Le
Plan d'action jeunesse, publié en juin 1998, a été
présenté par le ministre responsable de la jeunesse de l'époque,
Monsieur André Boisclair, comme le préalable d'une politique
jeunesse qui verrait le jour avant l'an 2000. Il "prend appui sur
des programmes jeunesse existants" et vise à "en accélérer
les résultats"[1]
sur la période 1998-2001. Le Plan d'action est destiné principalement
aux jeunes âgés de 15 à 29 ans et "il s'adresse
aussi aux groupes et aux associations qui les représentent ainsi
qu'aux intervenants qui se préoccupent de l'amélioration
de la situation des jeunes au Québec". Les Carrefours Jeunesse
Emploi sont considérés comme des acteurs privilégiés
pour la mise en application de ce Plan d'action.
Dans
les faits, l'analyse qui suit démontre que le Plan d'action jeunesse
constitue en grande partie un rassemblage des programmes et mesures
du gouvernement qui existent déjà. Il ne part pas des
préoccupations et besoins des jeunes mais il n'est pas pour autant
dénudé de vision. Au contraire, ce plan s'inscrit tout
à fait dans la vision de société promue dans le
cadre du Sommet socio-économique d'octobre 1996 et de différentes
réformes sociales (santé et services sociaux, éducation,
aide sociale, développement local et régional). Cette
vision de société est axée sur la lutte au déficit,
donc sur l'élimination de programmes sociaux et de services publics,
ainsi que sur la compétitivité de l'économie et
de la main-d'oeuvre québécoises. Elle a nécessairement
comme impact une augmentation des facteurs d'exclusion à la citoyenneté
pour les jeunes.
Le
Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse (ROCAJQ),
comme d'autres composantes du mouvement populaire et communautaire autonome,
ne considère pas cette vision de société comme
allant de soi. Notre analyse nous amène plutôt à
faire d'autres choix de société.
D'une
part, notre travail quotidien nous amène à privilégier
les besoins des personnes et ceux des jeunes en particulier. Leurs besoins
sont au centre de notre analyse. Nos principes d'action communautaire
nous amènent à mettre en priorité les définitions
que les personnes concernées (en l'occurrence les jeunes) donnent
à leurs problèmes, leurs besoins, leurs projets et la
qualité de leur vie quotidienne.
D'autre
part, nous considérons que notre économie, de façon
globale, a connu une croissance constante. Le produit intérieur
brut canadien est en effet en hausse année après année.
Ce sont plutôt les mécanismes de redistribution de cette
richesse qui ne fonctionnent plus (par exemple, le travail qui est devenu
une "denrée" rare) ou qui sont de moins bonne qualité
(l'accessibilité aux prestations de chômage qui est de
plus en plus réduite, par exemple).
Ces
deux aspects de notre analyse nous ont amené à parler,
au fil des ans, de responsabilité de l'État dans la redistribution
de la richesse, de révision de la fiscalité, de lutte
à la pauvreté et notamment de la nécessité
d'un filet de sécurité sociale inconditionnel.
Pour
sa part, le gouvernement invite les organisations de jeunes à
"mobiliser la jeunesse" pour atteindre les objectifs du Plan
d'action jeunesse. Le rôle qu'on propose aux jeunes du Québec,
à travers la participation de leurs "représentants"
au sein de différentes instances de concertation, ne nous apparaît
toutefois que comme un rôle de figurant. De plus, le Plan d'action
jeunesse met en valeur un "nouveau contrat social" entre les
jeunes et la société qui n'est pas sans lien avec le renforcement
des mesures obligatoires d'insertion en emploi pour les jeunes à
l'aide sociale. Les trois piliers de l'intervention gouvernementale
dans le Plan d'action jeunesse sont un Chantier emploi, un Chantier
éducation et un Chantier mieux-être. Cependant, comme l'insertion
des jeunes en emploi à tout prix, à n'importe quel prix,
apparaît comme la principale préoccupation du gouvernement,
l'éducation et le mieux-être semblent uniquement considérés,
dans le Plan d'action jeunesse, en fonction du marché du travail,
des besoins des entreprises et de l'adaptation des individus aux intransigeantes
règles de l'économie néolibérale.
En
bout de ligne, les jeunes qui tireront profit du Plan d'action jeunesse
seront certainement les plus "performants", ceux et celles
qui ne vivent pas de problèmes de pauvreté, de problèmes
familiaux ou psychosociaux et qui ont obtenu un diplôme dans des
domaines en demande sur le marché du travail. Les autres, qui
traversent plus de difficultés, étudient dans des domaines
considérés "non rentables" pour l'économie
de marché ou ne dénichent pas d'emploi avec des conditions
de travail décentes, se verront encore plus responsabilisés
d'être "hors-jeu" et risquent même d'être
conscrits pour le travail obligatoire.
Pour
se donner une apparence alléchante, le Plan d'action jeunesse
est écrit dans un langage empreint de mots dont le sens est détourné,
d'expressions consacrées au sein des milieux communautaires et
qui sont utilisées pour donner bonne figure. Ne citons qu'un
exemple: il est question d'un "nouveau contrat, riche de solidarités
locales, régionales et nationales" et de "leviers pour
que les jeunes Québécoises et Québécois
aient davantage de prises sur les politiques et les mesures qui les
concernent" dans le message d'introduction du ministre Monsieur
André Boisclair.
De
même, les mesures et les budgets présentés dans
ce Plan d'action jeunesse le sont de manière à amplifier
l'action gouvernementale et à ne pas laisser entrevoir les réels
objectifs sous-jacents. Dans chaque chantier, le gouvernement annonce
des "coups de pouce additionnels". Parfois ce sont de nouvelles
mesures, parfois ce sont des mesures déjà en place avant
la publication du Plan d'action jeunesse, annoncées de nouveau.
Nous allons particulièrement nous pencher sur ces "coups
de pouce", parfois à l'aide de tableaux, pour tenter de
voir dans quelles directions ils inscrivent l'action gouvernementale.
Notes
:
1-
Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration,
Plan d'action jeunesse 1998-2001, Gouvernement du Québec, p.10.
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