Les dessous du Plan d'action jeunesse


Analyse du Plan d'action jeunesse 1998-2001
du Gouvernement du Québec
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4 Chantier mieux-être

4.1 Problématique

L'état de la situation présentée dans l'introduction du Chantier mieux-être semble teintée de la vision de l'épidémiologie sociale. On y parle de "détection précoce des problèmes sociaux et de santé" et de "réduction des facteurs de risques". On insiste sur la nécessité "d'intervenir dès la petite enfance" et "de rejoindre davantage les familles les plus vulnérables et de les aider plus intensément"[59]. Cette tendance est populaire chez les gouvernements occidentaux, qui remettent de plus en plus en question les programmes sociaux universels.

L'approche de l'épidémiologie sociale, qui s'exprime dans la section sur le Chantier mieux-être du Plan d'action jeunesse, ne s'attaque pas aux rapports sociaux inégaux, aux politiques sociales et aux facteurs structurels socio-économiques qui engendrent la pauvreté et les problèmes sociaux (effritement du filet de sécurité sociale, non-accès à un revenu décent pour vivre, à un logement adéquat, etc.). Selon Michel Parazelli, cette "normalisation médicale des problèmes sociaux revient alors à traiter les personnes en responsables de leurs "pathologies": plutôt que de leur permettre d'acquérir un pouvoir sur leur existence sociale, on les invite à suivre une thérapie qui modifiera leur comportement à risque. C'est là que le dérapage se produit : on occulte les causes collectives et on met l'accent sur la culpabilité individuelle"[60].

Les principales problématiques sur lesquelles il faudrait agir, selon le Plan d'action jeunesse, sont identifiées comme étant: les mauvais traitements que subissent les enfants et les jeunes, la détresse et le suicide chez les jeunes, la consommation de drogue et d'alcool, le tabagisme, les grossesse à l'adolescence, la sédentarité accrue chez les jeunes. Il est aussi question des difficultés d'intégration des jeunes adultes et de ceux et celles qui vivent la parentalité.

Dans la section sur les interventions gouvernementales, on rappelle la nouvelle politique familiale qui a vu le jour en septembre 1997, suivie de deux mesures qui " répondent aux besoins des jeunes familles et du marché du travail "[61]: la nouvelle allocation familiale et la mise en place de services éducatifs et de garde à la petite enfance. Notons que la politique familiale ne s'adresse pas spécifiquement aux "jeunes familles" malgré la façon dont la présente le Plan d'action jeunesse.

 

4.2 Actions financées

Une différence entre le document écrit du Plan d'action jeunesse et la version disponible sur Internet nous donne une idée des tactiques utilisées par le gouvernement pour enjoliver ses interventions. Dans le document publié, on lit que le gouvernement "injectera 45 millions de dollars de plus sur deux ans"[62] dans le Chantier mieux-être. Cela laisse entendre que ce seront des fonds additionnels à ceux déjà prévus dans les crédits gouvernementaux. Dans la version du texte publiée sur Internet, on lit que "le gouvernement a annoncé l'injection de 45 millions de dollars additionnels, sur deux ans, lors du dépôt de son budget 1998-1999". Il s'agirait donc plutôt de budgets déjà planifiés. La présentation des interventions gouvernementales nous laisse croire que cette deuxième version est certainement la plus proche de la réalité.

La majeure partie des 45 millions de dollars, soit 25 millions de dollars, est destinée à financer l'élargissement des services de garde à 5$ aux enfants de 3 ans, à compter de septembre 1998. La distribution des autres 20 millions n'est pas définie dans le Plan d'action jeunesse. Il y est toutefois mentionné qu'une "stratégie pour les enfants, les jeunes et leur famille" devait être rendue publique à la fin de l'été 1998. Finalement, la sortie de cette stratégie[63] a été retardée au début 1999, après le dépôt du rapport de la Commission Cliche. "Ce rapport a été écrit par un comité de travail chargé de se prononcer sur la capacité du réseau à répondre aux besoins et aux problèmes des jeunes ainsi que pour proposer une plan d'action visant à améliorer l'accessibilité et la qualité des services, la concertation et la collaboration intersectorielle"[64].

Le Plan d'action jeunesse indique que la stratégie[65] pour les enfants, les jeunes et les familles s'articulerait autour de six grands types de mesures visant, entre autres [66]:

ð à intervenir sur les conditions de vie des jeunes et de leur famille, particulièrement lorsque la pauvreté est en cause ;

ð à consolider, sur une base locale, les services intégrés destinés aux enfants, aux jeunes et aux familles en encourageant la collaboration entre les principaux partenaires (éducation, municipalités, économie, secteur communautaire, justice) ;

ð à diversifier les formes d'aide naturelle selon les besoins décelés par les parents (mères visiteuses, maisons de parents) ;

ð à augmenter l'intensité des services offerts aux jeunes en difficulté et à implanter des mesures diversifiées pour soutenir les personnes responsables de leur développement, et

ð à mettre en place des interventions mieux adaptées aux enfants victimes de négligence et de violence en favorisant la formation et la recherche.

D'autres interventions sont identifiées dans le Plan d'action jeunesse, sans plus de détails sur leur mise en oeuvre ou leur financement. Plusieurs sont orientées vers un "soutien " à la famille, aux communautés et aux groupes communautaires, ce qui laisse entrevoir la volonté de continuer à transférer certaines responsabilités des services sociaux publics, quelque soit la lourdeur et la complexité des problématiques vécues. En effet, où est le soutien, sans les crédits? Par exemple, on lit:

L'ensemble des orientations à l'égard des enfants et des jeunes, quelles que soient la problématique et la cause visées (santé mentale, handicaps physiques, déficience intellectuelle, délinquance, toxicomanie, etc.), met en évidence la nécessité d'assurer un meilleur soutien aux familles par le développement des compétences parentales et en offrant des mesures de répit-dépannage.[67]

Dans la section "Estime de soi et habitudes de vie", le Plan d'action jeunesse parle de "transformer les services de santé mentale", une transformation qui "touche en premier lieu les personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants" et qui s'adresse entre autres aux jeunes de 15 à 30 ans. L'emphase est mise sur "la nécessité de rapprocher l'intervention des milieux de vie des individus, de diversifier les ressources et de les adapter à l'évolution des besoins". Il s'agit ici encore apparemment d'un transfert de responsabilité des services sociaux vers "les milieux de vie", soit l'entourage, la famille (surtout les femmes) et les groupes communautaires. La réalité, dans certains cas, ce sont plutôt des familles essoufflées ou elles-mêmes en difficulté. La charge risque d'être lourde à voir ce qu'on attend des "communautés", déjà surchargées par l'effet des dernières compressions budgétaires en santé [68]:

Les principales ressources à développer dans les communautés concernent l'accès au logement et la réponse aux besoins de subsistance, l'intervention de crise en tout temps, le maintien à l'accès au traitement dans la communauté, l'accès à des services de réadaptation ainsi qu'à des activités de soutien aux familles et aux proches. [69]

Quant à la stratégie d'action en vue de réduire la toxicomanie, elle s'appuie non seulement sur la consolidation des services mais aussi sur "l'utilisation maximale de l'expertise des groupes communautaires", dans le cadre d'une approche intersectorielle, sans plus de précisions.

Par ailleurs, le Chantier mieux-être prévoit aussi "accélérer le développement des programmes Opération Quartier (·) un instrument qui permet d'accélérer le processus de prise en charge des personnes démunies dans chacun des quartiers où þuvre un centre communautaire privé de loisirs"[70].

L'idée de "l'utilisation maximale de l'expertise des groupes" et de la définition des interventions par l'État qui en transfère ensuite la charge à la "communauté" indique que, dans le Plan d'action jeunesse, tout comme au ministère de la Santé et des Services sociaux, les groupes communautaires sont considérés comme une composante du réseau public.[71] Or, les groupes communautaires autonomes jeunesse tiennent à rester autonomes du réseau public et de l'État ainsi qu'à définir avec leurs membres les orientations de leurs actions. De plus, ils sont conscients de l'importance que l'État garantisse des services publics accessibles, universels et gratuits et que ce rôle ne leur revient pas.

Malheureusement, le Chantier mieux-être du Plan d'action jeunesse n'ouvre pas de perspectives pour que les services publics soient élargis plutôt que rétrécis, afin de répondre aux besoins des jeunes. Par exemple, où se retrouvera une jeune fille qui a vécu l'inceste et qui a besoin d'un service de suivi psychosocial? Ce n'est pas le Carrefour Jeunesse Emploi qui le lui offrira. Au CLSC, elle doit actuellement attendre plus de trois mois avant d'obtenir un suivi par un-e psychologue pendant une période assez limitée. Entre le centre d'accueil jeunesse et la pédo-psychiatrie, où sont les services d'intervention psychosociale de deuxième ligne assurés par l'État pour les jeunes en difficultés?

Enfin, le Plan d'action jeunesse n'aborde pas la question du soutien à l'action communautaire autonome jeunesse.


Notes :

59 ibid p.51[retour au texte]

60 Parazelli, Michel, " De la pauvreté traitée comme une maladie ", Monde Diplomatique, décembre 1995. [retour au texte]

61 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.50[retour au texte]

62 ibid p.53[retour au texte]

63 Ministère de la santé et des services sociaux, Pour une stratégie de soutien du développement des enfants et des jeunes: Agissons en complices, Gouvernement du Québec, 1998[retour au texte]

64 Claudine Laurin, Nouvelles structures gouvernementales. Des structures convergentes pour qui ou pourquoi?, Bureau de consultation jeunesse, printemps 1998. [retour au texte]

65 Le ROCAJQ souhaite faire l'analyse sous peu du document "Agissons en complices"[retour au texte]

66 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.53[retour au texte]

67 ibid p.53[retour au texte]

68 Leur équilibre, notre déséquilibre. Rapport d'enquête sur les impacts de la transformation du réseau de la santé et des services sociaux ˆ Montréal, Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal, avril 1998, 158 p. [retour au texte]

69 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.54[retour au texte]

70 ibid p.55[retour au texte]

71 voir Coalition Solidarité Santé, Commentaires préliminaires suite ˆ la publication par le MSSS des orientations 1998-2000, automne 1998. [retour au texte]

 

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