3.1
Problématique
Le
Chantier éducation du Plan d'action jeunesse se base sur une
vision de l'éducation surtout axée sur la performance
scolaire, l'école comme voie d'insertion en emploi et au service
des entreprises.
D'entrée
de jeu, le Plan d'action jeunesse affirme que l'éducation est
accessible au Québec, que "la gratuité scolaire est
maintenue jusqu'à l'enseignement collégial et que les
droits de scolarité demeurent très bas à l'université"[50].
En réalité, l'enseignement collégial n'est plus
gratuit pour tout le monde, malgré ce que prétend le gouvernement.
Depuis l'automne 1996, la taxe à l'échec est en vigueur
: les cégeps imposent ainsi des frais de 2$ par heure de cours
aux étudiants et étudiantes qui ont échoué
plus d'un cours dans une même session. L'an dernier seulement,
la taxe à l'échec a frappé plus de 30 000 personnes
qui ont payé chacune en moyenne 212$. Pourtant, rappelle le journal
L'Étincelle, du Mouvement pour le droit à l'éducation
(MDE), "ceux et celles qui échouent le plus au collégial
sont les personnes présentant le plus de problèmes socio-économiques.
Par exemple, les personnes qui doivent travailler plus de 24 heures
par semaine ont un taux d'échec de 68%, contre 30% pour ceux
et celles qui ne travaillent pas. De même, plus le revenu des
parents est bas, plus le taux d'abandon est élevé"[51].
Le Plan d'action
jeunesse mentionne aussi que les frais de scolarité universitaires
au Québec sont les plus bas du Canada. Remarquons ici qu'aucune
comparaison n'est faite avec l'Europe; le Québec serait loin
d'occuper la première position. Depuis le dégel des frais
de scolarité en 1990, ces frais ont triplé. Parallèlement,
le nombre de faillites étudiantes a augmenté de 557% [52].
Le gouvernement
vante l'accessibilité aux études mais insiste uniquement
dans le Plan d'action jeunesse sur l'importance d'accroître le
nombre de diplômés et diplômées au secondaire
et dans les secteurs professionnels et technique au secondaire et au
Cégep. Pour ce qui est de l'université, seuls les secteurs
de pointe, dans les domaines des sciences et de la technologie, sont
valorisés.
Le Plan d'action
jeunesse rappelle le plan d'action ministériel intitulé
"Prendre le virage du succès", dans la foulée
de la Réforme de l'éducation annoncée à
l'automne 1996. Ce titre traduit bien l'approche privilégiée:
miser sur la performance scolaire, dans les délais prescrits.
Voici d'ailleurs comment la ministre de l'éducation, Madame Pauline
Marois, débutait son allocution dans le cadre du Sommet sur l'économie
et l'emploi, le 31 octobre 1996: "Le défi de la réforme
de l'éducation, c'est de prendre le virage du succès :
passer de l'accès au plus grand nombre au succès du plus
grand nombre"[53]. On
peut déjà constater avec les fortes compressions budgétaires
des dernières années, la hausse des frais de scolarité
depuis 1990, et l'instauration de la taxe à l'échec depuis
1996, que l'accès de tous est sacrifié en faveur du succès
d'une minorité. C'est la loi du plus fort qui doit régner
dans les écoles à entendre Madame Marois au Sommet socio-économique:
L'éducation
est vue dans le sens utilitariste de la formation, avec l'insertion sur
le marché du travail comme seul objectif à mettre de l'avant:
"Dans un contexte de mondialisation des marchés, la formation,
dont la formation professionnelle et technique, devient un facteur-clé,
sinon discriminant entre les nations"[55],
déclare Madame Marois. Qu'est devenu l'objectif de rendre accessible
l'éducation et de former des individus critiques, de stimuler la
libre-pensée et l'épanouissement individuel et collectif?
Soulignons d'autre
part l'absence de mention de l'éducation populaire autonome dans
le chantier éducation. Il n'y est question ni de reconnaissance,
ni de soutien à celle-ci.
3.2
Stages, crédits d'impôts et jonction école-travail
Les mesures annoncées
par le gouvernement dans le cadre du Chantier éducation du Plan
d'action jeunesse représentent un déboursé de 143
millions de dollars. Les dépenses sont concentrées dans
les secteurs suivants :
Un montant de 28
millions de dollars sera octroyé en crédits d'impôts
aux entreprises pour une partie du salaire des stagiaires ou apprentis
qui y effectuent un stage. Environ 20 000 personnes en bénéficieront,
pour une moyenne de 1 400$ par personne, selon nos calculs. De
plus, un autre 750 000$ sera ajouté par Emploi-Québec
au Régime d'apprentissage. Il n'est pas spécifié
quelle sera le salaire des stagiaires. Lors de l'annonce de la mise
sur pied du Régime d'apprentissage, au Sommet socio-économique,
certaines associations étudiantes avaient critiqué le
fait que les stagiaires n'allaient être payés, la première
année, qu'à environ 40% du salaire d'un diplômé
ou d'une diplmômée débutant dans la profession.
Le Plan d'action
jeunesse prévoit aussi que le programme de stage étudiants
appelé alternance travail-études (ATE) bénéficiera
d'un ajout de crédits de 1,9 millions de dollars en 1998-1999,
et de 3,4 millions, en 1999-2000. L'objectif est d'augmenter de 2 000
le nombre d'inscriptions dans ces programmes pour le porter à
6 000.
Le gouvernement
injectera aussi 10 millions de dollars dans le nouveau Fonds étudiant
solidarité travail du Québec, auquel contribuera pour
la même somme le Fonds de solidarité des travailleurs du
Québec (FTQ). Le Fonds servira à financer 550 stages étudiants
dans les organisations syndicales, les coopératives, les organismes
à but non lucratif du secteur communautaire et dans les petites
entreprises privées. La contribution moyenne de l'État
par personne sera de 18 000$, selon nos calculs.
Une aide financière
de 4 millions de dollars sur deux ans sera apportée aux collèges
et aux universités, "qui développeront de nouveaux
moyens pour répondre rapidement aux besoins de formation des
entreprises qui oeuvrent dans des secteurs qui rencontrent des difficultés
de recrutement de main-d'oeuvre spécialisée"[56].
Cette mesure nous fait malheureusement penser à la proposition
de Mario Dumont, en campagne électorale, qui préconisait
l'augmentation du financement des secteurs d'études selon le
taux de placement des finissant-e-s sur le marché du travail.
Les secteurs d'études dont n'ont pas besoin les entreprises -
les arts, les lettres, les techniques et les sciences qui concernent
l'humain, le social, l'environnement - ne mériteraient-ils plus
un financement adéquat?
Autre mesure du
Plan d'action: le crédit d'impôt pour frais de garde sera
aussi élargi aux personnes étudiant à temps partiel.
Le coût pour le gouvernement de cette mesure fiscale est de 15
millions de dollars par année.
Enfin, pour promouvoir
la participation des filles aux programmes d'études professionnelles
et techniques des secteurs non-traditionnels, le Chantier éducation
annonce·un concours! Ce concours existait déjà l'an dernier.
Il "s'adresse aux jeunes filles et aux femmes inscrites, à
temps plein, dans un programme de la formation professionnelle ou technique
menant à l'exercice d'un métier où les femmes sont
nettement sous-représentées"[57],
dit le Plan d'action jeunesse. Le ministère de l'éducation
consacrera 91 000$ à des bourses décernées
aux "gagnantes". Des "commandites de service", pour
un montant évalué à 185 000$, seront aussi
investies dans ce concours par plusieurs entreprises privées
comme Noranda, Vidéotron, le magazine Chatelaine et Glaxo
Wellcome, une compagnie pharmaceutique. La promotion des entreprises
privées par l'intermédiaire de commandites dans les institutions
d'éducation, qui s'implante de manière très inquiétante
dans plusieurs institutions scolaires, vient menacer leur caractère
indépendant et non-commercial. Présenter ce genre de promotion
sous le couvert de l'avancement des femmes par l'éducation ne
la rend que plus choquante.
3.3
Endettement étudiant
Les mesures dont
fait mention le Plan d'action jeunesse avaient déjà été
annoncées par le gouvernement en novembre 1997 et lors des budgets
1998-1999. "Elles visent essentiellement à trouver des moyens
pour que les étudiants et les étudiantes puissent rembourser
leurs dettes plutôt que de trouver des moyens pour diminuer l'endettement",
déplore Jean-René Lévesque, responsable à
l'interne à l'exécutif du Mouvement pour le droit à
l'éducation (MDE).
Par exemple, le
Plan d'action jeunesse annonce que les étudiantes et les étudiants
universitaires ainsi que les élèves de la formation technique
collégiale "pourront se prévaloir d'une remise de
15% de leur dette d'études s'ils terminent leurs études
dans les délais prescrits"[58].
La mesure est destinée aux étudiants "les plus démunis,
soit celles et ceux qui reçoivent une bourse à chaque
année au cours de leurs études". Cette affirmation
a des failles: "pourquoi les étudiants qui ont fait une
formation générale collégiale ne pourraient-ils
pas bénéficier de cette remise de dettes?, demande Jean-René
Lévesque. De même, pourquoi ne pas diminuer l'endettement
d'étudiants qui viennent d'un milieu défavorisé
et qui doivent travailler, donc qui ne peuvent souvent finir leurs études
dans les délais prescrits?
Une autre mesure
passe par l'instauration d'un crédit d'impôt non remboursable
sur la somme des intérêts payés annuellement sur
les dettes d'études. Cette mesure n'aide en rien ceux et celles
qui ne parviennent pas à dénicher un emploi à la
fin de leurs études et qui vivent la précarité,
en passant d'un boulot à l'autre. Tant qu'à la possibilité
de sortir de l'argent de son REER sans pénalité aux fins
d'études, la plupart des étudiants et étudiantes
démunis n'en profiteront certainement pas, n'ayant pu se payer
un REER.
Notes :
50 ibid p.38[retour au texte]
51 Mathieu Thériault, "La taxe à l'échec au collégial: erreurs et pauvreté non permises", L'étincelle, sept.98, vol.5 no 1. [retour au texte]
52 Denis Lessard, "4435 étudiants ont déclaré faillite en 1997", La Presse, 26 septembre 1998. [retour au texte]
53 "La Réforme de l'éducation et l'emploi", Notes pour la
présentation de la ministre de l'éducation Pauline Marois, Sommet sur
l'économie et l'emploi, 31 octobre 1996, p.1. [retour au texte]
54 ibid p.2. [retour au texte]
55 ibid p.2. [retour au texte]
56 Plan d'action jeunesse, op.cit., p.44[retour au texte]
57 Guide d'information sur les mesures du Plan d'action gouvernemental 1998-2001, p.47. [retour au texte]
58 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.45. [retour au texte]
2-
Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration,
Plan d'action jeunesse 1998-2001, Gouvernement du Québec, p.10.
[retour au texte]