Les dessous du Plan d'action jeunesse


Analyse du Plan d'action jeunesse 1998-2001
du Gouvernement du Québec
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3 Chantier éducation

3.1 Problématique

Le Chantier éducation du Plan d'action jeunesse se base sur une vision de l'éducation surtout axée sur la performance scolaire, l'école comme voie d'insertion en emploi et au service des entreprises.

D'entrée de jeu, le Plan d'action jeunesse affirme que l'éducation est accessible au Québec, que "la gratuité scolaire est maintenue jusqu'à l'enseignement collégial et que les droits de scolarité demeurent très bas à l'université"[50]. En réalité, l'enseignement collégial n'est plus gratuit pour tout le monde, malgré ce que prétend le gouvernement. Depuis l'automne 1996, la taxe à l'échec est en vigueur : les cégeps imposent ainsi des frais de 2$ par heure de cours aux étudiants et étudiantes qui ont échoué plus d'un cours dans une même session. L'an dernier seulement, la taxe à l'échec a frappé plus de 30 000 personnes qui ont payé chacune en moyenne 212$. Pourtant, rappelle le journal L'Étincelle, du Mouvement pour le droit à l'éducation (MDE), "ceux et celles qui échouent le plus au collégial sont les personnes présentant le plus de problèmes socio-économiques. Par exemple, les personnes qui doivent travailler plus de 24 heures par semaine ont un taux d'échec de 68%, contre 30% pour ceux et celles qui ne travaillent pas. De même, plus le revenu des parents est bas, plus le taux d'abandon est élevé"[51].

Le Plan d'action jeunesse mentionne aussi que les frais de scolarité universitaires au Québec sont les plus bas du Canada. Remarquons ici qu'aucune comparaison n'est faite avec l'Europe; le Québec serait loin d'occuper la première position. Depuis le dégel des frais de scolarité en 1990, ces frais ont triplé. Parallèlement, le nombre de faillites étudiantes a augmenté de 557% [52].

Le gouvernement vante l'accessibilité aux études mais insiste uniquement dans le Plan d'action jeunesse sur l'importance d'accroître le nombre de diplômés et diplômées au secondaire et dans les secteurs professionnels et technique au secondaire et au Cégep. Pour ce qui est de l'université, seuls les secteurs de pointe, dans les domaines des sciences et de la technologie, sont valorisés.

Le Plan d'action jeunesse rappelle le plan d'action ministériel intitulé "Prendre le virage du succès", dans la foulée de la Réforme de l'éducation annoncée à l'automne 1996. Ce titre traduit bien l'approche privilégiée: miser sur la performance scolaire, dans les délais prescrits. Voici d'ailleurs comment la ministre de l'éducation, Madame Pauline Marois, débutait son allocution dans le cadre du Sommet sur l'économie et l'emploi, le 31 octobre 1996: "Le défi de la réforme de l'éducation, c'est de prendre le virage du succès : passer de l'accès au plus grand nombre au succès du plus grand nombre"[53]. On peut déjà constater avec les fortes compressions budgétaires des dernières années, la hausse des frais de scolarité depuis 1990, et l'instauration de la taxe à l'échec depuis 1996, que l'accès de tous est sacrifié en faveur du succès d'une minorité. C'est la loi du plus fort qui doit régner dans les écoles à entendre Madame Marois au Sommet socio-économique:

Le monde dans lequel les jeunes seront appelés à vivre au XXIe siècle sera un monde de compétition. Nous devons donc, dès maintenant, leur inculquer le sens de la créativité, de la curiosité, de la qualité et de l'effort afin qu'ils sachent qu'on ne peut réussir qu'en donnant le meilleur de soi-même et même, en se dépassant.[54]

L'éducation est vue dans le sens utilitariste de la formation, avec l'insertion sur le marché du travail comme seul objectif à mettre de l'avant: "Dans un contexte de mondialisation des marchés, la formation, dont la formation professionnelle et technique, devient un facteur-clé, sinon discriminant entre les nations"[55], déclare Madame Marois. Qu'est devenu l'objectif de rendre accessible l'éducation et de former des individus critiques, de stimuler la libre-pensée et l'épanouissement individuel et collectif?

Soulignons d'autre part l'absence de mention de l'éducation populaire autonome dans le chantier éducation. Il n'y est question ni de reconnaissance, ni de soutien à celle-ci.

 

3.2 Stages, crédits d'impôts et jonction école-travail

Les mesures annoncées par le gouvernement dans le cadre du Chantier éducation du Plan d'action jeunesse représentent un déboursé de 143 millions de dollars. Les dépenses sont concentrées dans les secteurs suivants :

Un montant de 28 millions de dollars sera octroyé en crédits d'impôts aux entreprises pour une partie du salaire des stagiaires ou apprentis qui y effectuent un stage. Environ 20 000 personnes en bénéficieront, pour une moyenne de 1 400$ par personne, selon nos calculs. De plus, un autre 750 000$ sera ajouté par Emploi-Québec au Régime d'apprentissage. Il n'est pas spécifié quelle sera le salaire des stagiaires. Lors de l'annonce de la mise sur pied du Régime d'apprentissage, au Sommet socio-économique, certaines associations étudiantes avaient critiqué le fait que les stagiaires n'allaient être payés, la première année, qu'à environ 40% du salaire d'un diplômé ou d'une diplmômée débutant dans la profession.

Le Plan d'action jeunesse prévoit aussi que le programme de stage étudiants appelé alternance travail-études (ATE) bénéficiera d'un ajout de crédits de 1,9 millions de dollars en 1998-1999, et de 3,4 millions, en 1999-2000. L'objectif est d'augmenter de 2 000 le nombre d'inscriptions dans ces programmes pour le porter à 6 000.

Le gouvernement injectera aussi 10 millions de dollars dans le nouveau Fonds étudiant solidarité travail du Québec, auquel contribuera pour la même somme le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ). Le Fonds servira à financer 550 stages étudiants dans les organisations syndicales, les coopératives, les organismes à but non lucratif du secteur communautaire et dans les petites entreprises privées. La contribution moyenne de l'État par personne sera de 18 000$, selon nos calculs.

Une aide financière de 4 millions de dollars sur deux ans sera apportée aux collèges et aux universités, "qui développeront de nouveaux moyens pour répondre rapidement aux besoins de formation des entreprises qui oeuvrent dans des secteurs qui rencontrent des difficultés de recrutement de main-d'oeuvre spécialisée"[56]. Cette mesure nous fait malheureusement penser à la proposition de Mario Dumont, en campagne électorale, qui préconisait l'augmentation du financement des secteurs d'études selon le taux de placement des finissant-e-s sur le marché du travail. Les secteurs d'études dont n'ont pas besoin les entreprises - les arts, les lettres, les techniques et les sciences qui concernent l'humain, le social, l'environnement - ne mériteraient-ils plus un financement adéquat?

Autre mesure du Plan d'action: le crédit d'impôt pour frais de garde sera aussi élargi aux personnes étudiant à temps partiel. Le coût pour le gouvernement de cette mesure fiscale est de 15 millions de dollars par année.

Enfin, pour promouvoir la participation des filles aux programmes d'études professionnelles et techniques des secteurs non-traditionnels, le Chantier éducation annonce·un concours! Ce concours existait déjà l'an dernier. Il "s'adresse aux jeunes filles et aux femmes inscrites, à temps plein, dans un programme de la formation professionnelle ou technique menant à l'exercice d'un métier où les femmes sont nettement sous-représentées"[57], dit le Plan d'action jeunesse. Le ministère de l'éducation consacrera 91 000$ à des bourses décernées aux "gagnantes". Des "commandites de service", pour un montant évalué à 185 000$, seront aussi investies dans ce concours par plusieurs entreprises privées comme Noranda, Vidéotron, le magazine Chatelaine et Glaxo Wellcome, une compagnie pharmaceutique. La promotion des entreprises privées par l'intermédiaire de commandites dans les institutions d'éducation, qui s'implante de manière très inquiétante dans plusieurs institutions scolaires, vient menacer leur caractère indépendant et non-commercial. Présenter ce genre de promotion sous le couvert de l'avancement des femmes par l'éducation ne la rend que plus choquante.

 

3.3 Endettement étudiant

Les mesures dont fait mention le Plan d'action jeunesse avaient déjà été annoncées par le gouvernement en novembre 1997 et lors des budgets 1998-1999. "Elles visent essentiellement à trouver des moyens pour que les étudiants et les étudiantes puissent rembourser leurs dettes plutôt que de trouver des moyens pour diminuer l'endettement", déplore Jean-René Lévesque, responsable à l'interne à l'exécutif du Mouvement pour le droit à l'éducation (MDE).

Par exemple, le Plan d'action jeunesse annonce que les étudiantes et les étudiants universitaires ainsi que les élèves de la formation technique collégiale "pourront se prévaloir d'une remise de 15% de leur dette d'études s'ils terminent leurs études dans les délais prescrits"[58]. La mesure est destinée aux étudiants "les plus démunis, soit celles et ceux qui reçoivent une bourse à chaque année au cours de leurs études". Cette affirmation a des failles: "pourquoi les étudiants qui ont fait une formation générale collégiale ne pourraient-ils pas bénéficier de cette remise de dettes?, demande Jean-René Lévesque. De même, pourquoi ne pas diminuer l'endettement d'étudiants qui viennent d'un milieu défavorisé et qui doivent travailler, donc qui ne peuvent souvent finir leurs études dans les délais prescrits?

Une autre mesure passe par l'instauration d'un crédit d'impôt non remboursable sur la somme des intérêts payés annuellement sur les dettes d'études. Cette mesure n'aide en rien ceux et celles qui ne parviennent pas à dénicher un emploi à la fin de leurs études et qui vivent la précarité, en passant d'un boulot à l'autre. Tant qu'à la possibilité de sortir de l'argent de son REER sans pénalité aux fins d'études, la plupart des étudiants et étudiantes démunis n'en profiteront certainement pas, n'ayant pu se payer un REER.


Notes :

50 ibid p.38[retour au texte]

51 Mathieu Thériault, "La taxe à l'échec au collégial: erreurs et pauvreté non permises", L'étincelle, sept.98, vol.5 no 1. [retour au texte]

52 Denis Lessard, "4435 étudiants ont déclaré faillite en 1997", La Presse, 26 septembre 1998. [retour au texte]

53 "La Réforme de l'éducation et l'emploi", Notes pour la présentation de la ministre de l'éducation Pauline Marois, Sommet sur l'économie et l'emploi, 31 octobre 1996, p.1. [retour au texte]

54 ibid p.2. [retour au texte]

55 ibid p.2. [retour au texte]

56 Plan d'action jeunesse, op.cit., p.44[retour au texte]

57 Guide d'information sur les mesures du Plan d'action gouvernemental 1998-2001, p.47. [retour au texte]

58 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.45. [retour au texte]

2- Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, Plan d'action jeunesse 1998-2001, Gouvernement du Québec, p.10. [retour au texte]

 

 

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