Les dessous du Plan d'action jeunesse


Analyse du Plan d'action jeunesse 1998-2001
du Gouvernement du Québec
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Conclusion

Une opération de relations publiques : voilà comment nous apparaît le Plan d'action jeunesse 1998-2001 que le ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration de l'époque, responsable de la jeunesse, Monsieur André Boisclair, a rendu public en juin 1998. Derrière le projecteur, le gouvernement est bien ouvert à ce que les jeunes de 15 à 29 ans prennent leur place dans la société à condition qu'ils prennent la place qu'on leur désigne et qu'ils fassent ce qu'on leur dit sans broncher. Sinon, ils risquent non seulement d'être privés de dessert, mais bien de repas complets! Bien que quelques jeunes y trouveront leur compte, ils feront partie des privilégiés pour lesquels on aura mobilisé l'ensemble des ressources et des services disponibles, au détriment d'un nombre grandissant de jeunes exclus, nombre que le Plan d'action jeunesse (et les réformes gouvernementales auxquelles il est lié) fera nécessairement grossir.

À la base, l'intervention gouvernementale, que ce soit en matière jeunesse ou dans quelqu'autre secteur, s'oriente - ou s'enfonce pour mieux dire - dans une perspective essentiellement économique. Combien ça coûte comparé à ce que font nos compétiteurs (Ontario, États-Unis, etc.)? Combien ça rapporte à nos grandes entreprises et à leurs actionnaires? Est-ce que nos programmes sociaux et notre main-d'oeuvre vont être "compétitifs"? Est-ce que notre monde va être fonctionnel et s'adapter à la nouvelle réalité en consentant à diminuer ses conditions de vie et de travail? Les gens sont-ils prêts à modifier leurs comportements et à payer pour se faire soigner si jamais ils sont "atteints" de pauvreté? Est-ce que le Québec au complet va enfin participer à la grande corvée de l'adaptation à l'économie mondiale, où la souveraineté est une fois pour toutes troquée pour la compétitivité tous azimuts?

Le Plan d'action jeunesse du gouvernement québécois constitue une pierre d'assise pour que la jeunesse s'adapte à la loi du plus fort. Le nouveau contrat proposé entre les jeunes et la société de la compétition est à prendre ou à laisser. Cette dernière option justifie que l'État exclut le contrevenant de la dite société, en lui coupant les vivres. Le noeud du nouveau contrat, et celui du Plan d'action jeunesse, est l'insertion obligatoire en emploi. L'emploi comme salut · et responsabilité ultime de l'individu, l'emploi comme passage obligé vers la citoyenneté et les droits sociaux. La profonde mutation de la société salariale, avec la pénurie et la précarisation des emplois qu'elle entraîne, et dont les conséquences affectent particulièrement les jeunes, constitue une donnée bien négligeable dans l'éventail statistique des technocrates du social. Vaut mieux cibler les "risques" associés à la jeunesse et distribuer un mode d'emploi ·

Comme disaient les groupes communautaires du Haut-Richelieu lors d'une conférence de presse tenue en octobre 1998, le Plan d'action jeunesse "réduit la problématique jeunesse au sous-emploi". Le document ne fait que "l'apologie du travail alors que l'on sait qu'il y a pénurie", dénoncent ces organismes. "Il est évident que cela s'inscrit dans les différentes réformes que l'on a connu à la Sécurité du revenu, à l'assurance-emploi et à l'éducation"[95].

L'éducation et le mieux-être, même s'ils sont constitués en chantier, au même titre que l'emploi, dans le Plan d'action jeunesse, ne sont considérés que comme des domaines utilitaires pour aider les jeunes à s'insérer le plus tôt possible en emploi, à n'importe quel prix (le moins cher possible en fait), dans n'importe quelles conditions, peu importe la finalité de cet emploi (un emploi pour faire quoi? pour polluer? produire ou vendre quoi?). Pourtant, l'éducation et le mieux-être ne sont-ils pas d'abord des composantes de l'épanouissement de l'individu et de la collectivité? À lire le Plan d'action jeunesse, on a plutôt l'impression que l'éducation se résume en une voie vers la performance et que le mieux-être passe par l'adaptation de l'individu au marché. Rien pour contrer le mal de vivre d'un nombre croissant de jeunes en difficultés, rien pour garantir une amélioration de la qualité de vie des jeunes et leur donner un pouvoir (non délégué) sur leur vie, ce qui serait pourtant la meilleure façon de les intégrer dans la société.

Dans une étude du ROCAJQ sur les valeurs des jeunes face au travail et au non-travail menée il y a quelques années déjà, il apparaissait primordial de prendre en compte la présence du non-travail qui se propage à côté de la sphère du travail. La recherche réalisée alors auprès de jeunes précaires nous a démontré que plusieurs sont actifs dans cet espace du non-travail qui demande à être reconnu. "Permettre et soutenir leurs initiatives, leur débrouillardise, leurs choix en quelque sorte", nous semble toujours incontournable [96].

L'étude du ROCAJQ soulevait en conclusion une préoccupation liée au fait que les organismes communautaires jeunesse sont "considérés comme de véritables gestionnaires de l'employabilité des jeunes" et qu'ils reçoivent du financement pour ce faire. La question suivante fut soulevée : "en étant à ce point captif des programmes d'employabilité issus de la loi 37 (loi de l'aide sociale), jusqu'à quel point les groupes communautaires et populaires ne perdent-ils pas la capacité d'agir de façon critique dans le champ du travail et du non-travail? ". L'étude rappelait que "les groupes communautaires jeunesse ont été jusqu'ici une forme de rempart contre l'exclusion des jeunes".

Quatre ans plus tard, les programmes d'insertion en emploi remplacent peu à peu les programmes dits d'employabilité mais la logique est la même et elle se renforce avec la redéfinition de la politique sociale. Quand, au Sommet socio-économique d'octobre 1996, le gouvernement Bouchard s'est refusé à protéger les personnes assistées sociales aptes au travail de nouvelles compressions budgétaires (clause appauvrissement zéro), le Fonds de lutte à la pauvreté·par la réinsertion au travail est apparu. Et les groupes communautaires ont répondu à l'appel, toujours à l'affût de financement pour bonifier leurs minces moyens.

Dans le flot de l'action, tant dans les milieux gouvernementaux que communautaires, on entend de plus en plus parler de citoyenneté active, de mesures actives et de mesures passives. Certains pensent carrément que les mesures actives devraient être multipliées, quitte à les faire financer par les (négligeables?) "mesures passives". Or, les dites "mesures passives" sont en fait les prestations de base, un droit reconnu jusqu'à récemment - le droit à un revenu pour vivre - pour lequel se sont battus les chômeurs et les chômeuses durant tout le siècle qui s'achève.

Ce droit s'est passablement effrité au fil des réformes d'aide sociale et avec la mise à mort du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) par le gouvernement fédéral en avril 1995. Maintenant il est de bon ton de discréditer le droit inconditionnel à un revenu pour vivre et de lui attribuer le vocable péjoratif de "mesures passives". Il ne reste qu'un pas à faire pour dire que les personnes qui reçoivent ce dû sont passives· et que si elles se mettaient en mouvement·ça irait mieux. On manie désormais un langage raffiné pour responsabiliser l'individu, non seulement pour sa situation de chômage mais aussi pour la profonde crise de l'emploi!

Pourtant le droit à un revenu inconditionnel pour vivre est plus que nécessaire aujourd'hui. Dans son dernier livre, le sociologue français André Gorz exprime bien le paradoxe de nos sociétés, qui éliminent le travail (technologies, internationalisation de la production, financiarisation de l'économie, etc.) tout en l'imposant comme valeur centrale et comme moyen d'accès à tout revenu et statut social. Cela dévalorise et disqualifie tous ceux et toutes celles qui refusent ou qui ne parviennent pas à s'intégrer dans cette sphère du travail muté:

Voici donc le coeur du problème et le coeur du conflit : il s'agit de déconnecter du "travail " le droit d'avoir des droits et notamment le droit à ce qui est produit et productible sans travail, ou avec de moins en moins de travail. Il s'agit de prendre acte de ce que ni le droit à un revenu, ni la citoyenneté plénière, ni l'épanouissement et l'identité de chacun ne peuvent plus être centrés et dépendre de l'occupation d'un emploi. Et de changer la société en conséquence.[97]

 

Concertation et consentement

Le Plan d'action jeunesse 1998-2001 est imposé par le gouvernement : il a été élaboré sans consultation préalable avec les groupes communautaires autonomes jeunesse et leurs regroupements, ni même avec les Carrefours Jeunesse Emploi, qui doivent pourtant y jouer un rôle central. Ici et là, le Plan d'action mentionne que le "milieu", les "groupes communautaires" ou les "organismes qui travaillent avec les jeunes" seront interpellés pour mettre certaines mesures en oeuvre. Il faudrait accepter d'être un boulon dans une mécanique qu'on ne contrôle pas, et qui contribuera à broyer les jeunes qui dévient du "parcours" qui leur est tracé ·

Comme pour compenser pour l'assujettissement et la collaboration qu'il demande aux organismes jeunesse, le gouvernement leur offre des sièges dans les instances nationales, régionales et locales qui joueront un rôle politique important dans les prochaines années. Ce qui est présenté - avec un marketing soigné - comme un modèle québécois unique de partenariat et de décentralisation ne constitue dans les faits qu'un calque des projets mis en place dans plusieurs pays occidentaux, portant le sceau du capitalisme sauvage et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La "communauté" est en train d'être mobilisée pour la grande compétition de l'économie et de l'emploi. Reste à mobiliser la jeunesse et à prévenir la résistance virulente qu'elle pourrait peut-être opposer à l'ordre planifié.

Que feront donc les instances dites de partenariat et de concertation dans la réalisation du Plan d'action jeunesse et des réformes gouvernementales qui affectent les jeunes? Quel est le rôle stratégique des représentants et représentantes des organismes jeunesse qui y participeront? Leur participation au suivi du Plan d'action jeunesse, aux instances de concertation, à la gestion des mesures qui en découlent, ne revient-elle pas à cautionner quelque chose qui va à l'encontre de l'intérêt des jeunes, dans leur ensemble? Où se retrouveront les jeunes, leurs préoccupations, leurs besoins, leurs choix, leur pouvoir, dans tout cela?

Une réponse qu'on entend de plus en plus dans le milieu communautaire pourrait permettre d'occulter complètement le débat : "il faut éviter la politique de la chaise vide, il faut y être pour être informé et influencer les choses sinon on n'a pas de pouvoir". Et vlan, le sujet est clos. Faut-il attendre que les jeunes et moins jeunes, ceux et celles qui sont défavorisés économiquement et socialement, reprochent aux groupes communautaires de s'être intégrés, pour un brin de reconnaissance et de pouvoir, dans une machine qui les dépossède de tout pouvoir sur leur vie et sur la société?

 


Notes :

95 Le Centre de formation à l'Autogestion du Haut-Richelieu et autres, "Réaction au Plan gouvernemental 1998-2001 en matière jeunesse", Communiqué de presse, St-Jean-sur-Richelieu, le 8 octobre 1998. [retour au texte]

96 ROCAJQ, TNT : un dossier explosif. Les valeurs et les pratiques des jeunes face au travail et au non-travail, 1995, p.55. [retour au texte]

97 Gorz, André, Misères du présent. Richesse du possible. Editions Galilée, 1997, pp.90-91. [retour au texte]

 

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