L'analyse
du Plan d'action jeunesse que nous vous proposons dans les pages qui
suivent doit être complétée par vos propres réflexions
et par la prise en compte de multiples informations qui n'apparaissent
pas dans les documents gouvernementaux mais qui surgiront à la
surface, dans les prochains mois, au fur et à mesure que le Plan
d'action sera mis en oeuvre.
Le Plan d'action
jeunesse se veut "un nouveau contrat entre la société
québécoise et la génération montante",
dit le premier ministre Lucien Bouchard dans l'introduction du document
gouvernemental. Cette idée de "nouveau contrat" est
centrale dans le Plan d'action et elle se retrouve dans le discours
et dans les politiques privilégiés par l'État et
par des intervenants proches de l'État. Rappelons d'abord comment
le gouvernement Bouchard expliquait le nouveau "pacte social"
à définir, lors de la Conférence sur le devenir
social et économique du Québec de mars 1996, où
le principe du déficit zéro fut adopté par "consensus",
en préparation du Sommet sur l'économie et l'emploi d'octobre
1996 :
Les principes
de responsabilité et de solidarité devront être
au centre du renouvellement de notre pacte social. Au regard de
l'emploi, ces deux mots, responsabilité et solidarité,
possèdent une connotation bien particulière. La responsabilité
consiste à faire en sorte que chaque personne soit davantage
responsable de la maîtrise de son destin, en donnant le meilleur
d'elle-même pour accéder à la société
active par un emploi ou par un autre type d'activité à
caractère économique et social. La solidarité,
c'est de faire en sorte que l'ensemble de la population prenne toutes
les dispositions pour lever les verrous qui bloquent ou freinent
l'accès au travail et, par conséquent, à la
société active.[2]
Quand
le gouvernement parle de la solidarité de la "population"
comme la levée des verrous "qui bloquent ou freinent l'accès
au travail et, par conséquent, à la société
active", nous nous inquiétons. Se réfère-t-il
à la réduction des salaires et des conditions de travail
pour rendre moins "rigide" le marché du travail, comme
le préconisent les néolibéraux? Entend-il par "levée
de verrous" la levée, dans certains secteurs, de certaines
protections et certains droits tels que les normes minimales du travail
et le droit à la syndicalisation? [3]Ce
nouveau "pacte social" ou "contrat social", présenté
par le gouvernement à la Conférence socio-économique
de 1996, ressemble à celui dont il est question dans le Plan
d'action jeunesse de 1998 et dans la réforme de l'aide sociale
adoptée en juin 1998. Il est basé sur l'obligation pour
les individus de participer à des programmes d'insertion en emploi,
ou d'occuper un emploi, quelqu'en soient les conditions de travail et
de salaire.
Tant
dans le Plan d'action jeunesse que dans la réforme de l'aide
sociale, l'enjeu de l'insertion sur le marché du travail est
considéré comme une problématique centrale. On
pourrait longuement faire l'examen de cette notion d'insertion, qui
semble de plus en plus remplacer la notion d'employabilité dans
le discours public au Québec. En France, les chercheurs Bonniel
et Lahire affirment que l'insertion sociale constitue un dispositif
de contrôle comportemental qui s'adresse aux jeunes des classes
populaires, à ceux et celles qui "·possèdent le moins
de capital économique et le moins de capital scolaire, les fractions
les plus dominées des classes dominées, les fractions
les plus stigmatisées des classes dominées·".[4]
Nous
reviendrons sur le problème que pose cette réduction de
la problématique jeunesse à la question de l'insertion
par l'emploi dans la partie de ce texte qui portera sur le Chantier
emploi du Plan d'action jeunesse (point 2.1).
1.1
Les clauses connues du nouveau contrat
Un
contrat implique au moins deux parties, une négociation libre
des termes du contrat entre ces deux parties ainsi que des bénéfices
et des obligations pour chacune des parties. Dans le Plan d'action jeunesse,
il est dit que le nouveau contrat est "une nouvelle façon
d'entrevoir les relations entre les jeunes et les autres acteurs sociaux"[5].
Le contrat que le gouvernement du Québec propose à la
jeunesse "requiert la mobilisation de l'ensemble de l'appareil
gouvernemental, des partenaires socio-économiques et de la jeunesse
elle-même". Ainsi, le Plan d'action permettrait la mise en
oeuvre de ce nouveau contrat en offrant aux jeunes, "tant aux niveaux
local, régional que national, des lieux de participation aux
mécanismes consultatifs et décisionnels"[6].
D'abord,
nous devons souligner que le gouvernement a formulé les termes
de ce "nouveau contrat" entre les jeunes et la société
sans même les avoir consultés à grande échelle
et sans avoir consulté les organismes communautaires autonomes
jeunesse, ainsi que leurs regroupements, qui travaillent avec les jeunes
depuis nombre d'années et qui ont développé une
expertise à ce niveau.
Deuxièmement,
le "nouveau contrat", défini par le gouvernement, prétend
accorder comme bénéfice collectif aux jeunes une place
pour leurs supposés représentants et représentantes,
au sein de différentes instances de concertation, aux côtés
des représentants du gouvernement, des entreprises, des syndicats,
des groupes communautaires, des groupes de femmes. Ces instances ont
une composition, un mandat et un rôle bien précis dans
le cadre de la réforme de l'aide sociale et de la politique de
soutien au développement local et régional. Nous y reviendrons
et questionnerons le caractère démocratique ainsi que
le mandat de ces prétendues instances de représentation
au point 5.
Dans
le Plan d'action, on lit qu'en plus des "lieux d'échange",
le gouvernement s'engage à une plus grande concertation et davantage
d'informations sur ses interventions en matière jeunesse".
Il y aurait donc, "au coeur de ce nouveau contrat que le gouvernement
propose aux jeunes Québécoises et Québécois,
une ferme détermination de mobilisation, de cohérence
et de transparence gouvernementales"[7],
peut-on lire.
Pourtant,
la dite cohérence du Plan d'action jeunesse s'articule essentiellement,
dans le document gouvernemental, autour de la mise en place d'un "service
de placement intégré". La responsabilité de
celui-ci serait de:
rassembler l'ensemble des informations qui permettent de jumeler
les demandeurs d'emplois réguliers, d'emplois d'été
et de stages et les offres des employeurs intéressés
à combler des postes ou à accueillir des stagiaires.
Ce service de placement deviendra la voie toute naturelle d'accès
aux emplois et aux stages de même qu'aux mesures d'aide financière
offertes aux entreprises qui embauchent ou offrent un stage à
des jeunes.[8]
Ce
service de placement intégré relèvera d'Emploi-Québec
en complémentarité avec différents organismes dont
les Carrefours Jeunesse Emploi, les services de placement sur les campus
collégiaux et universitaires et les organismes communautaires.
De
prime abord, les bénéfices prévus par le nouveau
contrat entre la société québécoise et les
jeunes, par l'entremise de l'État, sont bien minces pour ces
derniers mais peuvent sembler relever de bonnes intentions : la possibilité
d'une participation dans des instances de concertation et la mise en
place d'un service de placement intégré. Toutefois, les
termes du fameux contrat sont ambigus. Quelles seront les obligations
des jeunes dans le cadre de ce contrat? Quelles sont les parties qui
adhèrent librement à ce contrat? En quoi les jeunes sont-ils
représentés dans les instances de concertation et cette
"représentation" donne-t-elle un réel pouvoir
aux jeunes?
Ce
n'est pas dans le Plan d'action jeunesse qu'on trouve réponse
à ces questions et qu'on peut comprendre plus à fond les
clauses inconnues du nouveau contrat proposé aux jeunes. Il faut
aller voir comment s'articule ce nouveau contrat social dans d'autres
documents qui ont orienté ou qui constituent la base de réformes
engagées par le gouvernement et avec lesquelles le Plan d'action
jeunesse s'inscrit en continuité.
1.2
Responsabiliser la communauté
Le contrat proposé
par le gouvernement dans le Plan d'action jeunesse "prend racine
dans les localités pour se transporter sur la scène régionale
puis au niveau national"[11].
Cette idée de mettre en place un "nouveau contrat social"
qui "prend racine dans les communautés" et qui redéfinit
les responsabilités de ces dernières, de l'État
et des individus n'est pas propre au Québec. Dans plusieurs pays
occidentaux, qui ont mis en place un État-providence après
la Seconde Guerre mondiale, le discours autour du nouveau contrat social
va de pair avec un processus de redéfinition du rôle de
l'État et de la politique sociale[12].
La version québécoise
du discours idéologique sur le "nouveau contrat social",
qui trouve des échos dans le Plan d'action jeunesse, est particulièrement
explicitée dans un avis adressé au gouvernement par un
organisme-conseil para-public, le Conseil de la santé et du bien-être
du Québec, et qui s'intitule "L'harmonisation des politiques
de lutte contre l'exclusion"[13].
Tout comme le Plan d'action jeunesse, cet avis du Conseil est centré
sur l'harmonisation de diverses politiques pour réaliser l'objectif
central d'insertion par le travail. Le Conseil restreint toutefois sa
réflexion aux interventions auprès des personnes assistées
sociales en spécifiant que les leçons qui se dégagent
peuvent être pertinentes pour l'ensemble de l'intervention publique
auprès de la main-d'oeuvre exclue[14].
L'idée de
"nouveau contrat" développée par le Conseil
dans cet avis sera ensuite reprise dans le Livre vert sur les orientations
de la réforme de la sécurité du revenu, rendu public
en décembre 1996, et dans l'esprit du projet de loi 186 (la même
réforme) adopté en juin 1998. Notons aussi que le même
Conseil de la santé et du bien-être est l'instigateur de
la vaste démarche d'organisation de Forums sur le développement
social à l'échelle locale, régionale et nationale.
Les liens idéologiques entre le Conseil de la santé et
du bien-être et le Plan d'action jeunesse nous semblent plus qu'évidents
comme l'expliquent les lignes qui suivent.
Pour le Conseil
de la santé et du bien-être, "la solution à
l'exclusion du marché du travail des prestataires d'aide sociale
requiert un renouvellement des relations entre ceux-ci et leurs communautés.
La notion de solidarité est invoquée pour fonder ce renouvellement".
Soulignons que la solidarité est définie par le Conseil
comme "une relation de réciprocité entre les communautés
et leurs membres, laquelle implique, selon son sens même, deux
mouvements : la responsabilité du collectif à l'égard
de ses membres et en retour, la responsabilité des membres à
son endroit"[15].
Cette idée de nouveau contrat social impliquant l'État,
l'individu et "sa communauté", dans une relation dite
de réciprocité, signifie une responsabilisation accrue
de l'individu et de sa "communauté" à l'égard
de son insertion sur le marché du travail.
Le Conseil de la
santé et du bien-être admet qu'il existe une "faible
disponibilité d'emplois" et il considère que:
La responsabilité
des personnes à l'égard de leur réinsertion
sur le marché du travail n'a de sens, dans ce contexte, que
dans la mesure où celles-ci sont susceptibles de l'exercer.
Cela signifie, concrètement parlant, qu'elles doivent disposer
d'un certain nombre de possibilités de réinsertion
afin de pouvoir assumer leur responsabilité à cet
égard.[16]
Autrement dit :
les communautés doivent offrir des possibilités de réinsertion
pour que l'État puisse justifier l'obligation pour les personnes
assistées sociales de s'insérer en emploi, sous peine
de voir leurs prestations réduites de façon draconienne.
Le Conseil propose donc que les institutions publiques régionales
ou infra-régionales, "une fois dotées de ressources
suffisantes, se voient imposer une obligation concrète d'offrir
aux prestataires d'aide sociale résidant au sein du territoire
qu'elles desservent de véritables choix de réinsertion"[17].
Pour atteindre cet objectif, le Conseil croit qu'il est souhaitable
que les communautés s'approprient leur développement et
des leviers de pouvoir.
1.3
L'obligation d'insertion
En
ce qui concerne la responsabilité des individus à s'intégrer
en emploi, le Conseil de la santé et du bien-être est d'avis
que l'offre de "choix réels et réalistes" de
réinsertion devrait entraîner une contrepartie, à
savoir, que les individus aient l'obligation d'en accepter au moins
un. Toujours selon le Conseil, un refus de participer à des mesures
d'insertion en emploi pourra entraîner "des pénalités,
voire une exclusion complète des mécanismes qui sont prévus
pour leur venir en aide. Sur cette dernière question, évidemment
délicate, le Conseil suggère une réflexion plus
approfondie, notamment afin d'en explorer le réalisme et les
modalités"[18].
Le Conseil indique que ces propositions se distinguent du "workfare"
("work-for-welfare", c'est-à-dire aide sociale en échange
du travail obligatoire) car "dans la mesure où le choix
des démarches qui leur est offert est réel et réaliste,
le Conseil considère que ceux qui décident de participer
le font alors de façon volontaire"[19].
Pour
le Conseil de la santé et du bien-être, la perte d'aide
financière aux individus qui refusent de participer aux mesures
d'insertion "se défend en raison du fait qu'un refus de
participation, en dépit d'offres raisonnables, constitue une
rupture de la relation qui lie ces individus à leur communauté"[20].
Le Conseil affirme dans un autre de ses documents que "l'exigence
de participation dont il est question devrait s'appliquer à l'ensemble
des travailleurs québécois exclus du marché du
travail"[21]. Cela
signifierait qu'avec le rapatriement par Québec des "mesures
actives" de l'assurance-chômage, les gens recevant des prestations
d'assurance-chômage devraient aussi être contraints au workfare·
La
citation du Conseil de la santé et du bien-être sur le
refus de participation et la rupture avec la communauté se retrouve
telle quelle dans le Livre vert sur les orientations de la réforme
d'aide sociale pour justifier les pénalités financières
imposées aux personnes qui refusent de participer aux actions
considérées obligatoires. Il y est aussi dit qu'il "incombe
au centre local d'emploi de veiller à ce que le choix des démarches
offertes soit réel et réaliste"[22].
Ni le Conseil de la santé et du bien-être, ni le Livre
vert et ni le projet de loi 186 sur la réforme d'aide sociale
ne précisent ce qui constitue un choix de démarches d'insertion
"réel et réaliste". C'est pourtant le refus
d'un tel choix qui entraîne de fortes pénalités
financières, ayant des conséquences dramatiques dans la
vie des gens. Faudra-t-il accepter de participer aux mesures d'insertion
si celles-ci conduisent à des possibilités "réelles"
d'occuper ensuite un emploi, quelqu'en soient les conditions par ailleurs?
Faudra-t-il renoncer à des programmes de formation qui ne sont
pas jugés "réalistes" pour nous, comme par exemple
la poursuite d'études collégiales ou universitaires dont
la durée serait considérée trop longue ou le taux
de placement dans le domaine, pas assez élevé?
Allant
dans le même sens que le Conseil de la santé et du bien-être,
le Livre vert propose un nouveau régime d'aide sociale qui "entend
établir un contrat de réciprocité reposant sur
un rapport ouvert, démocratique et solidaire entre l'individu,
l'État, les partenaires du marché du travail et les collectivités"[23].
La réforme proposée "s'insère dans le cadre
d'une politique active du marché du travail" et les interventions
en matière de main-d'oeuvre prendront appui sur le développement
local et sur les partenariats qui devront être développés
à tous les niveaux". Des conseils locaux des partenaires
du marché du travail auraient la responsabilité d'élaborer
un plan local d'action concerté pour l'emploi et à voir
"comment rendre plus productifs les budgets consacrés à
la sécurité du revenu en en investissant une plus grande
partie en mesures destinées à l'emploi"[24].
Dans
le préambule du projet de loi 186 appelée Loi sur le soutien
du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale, la
partie du contrat attribuée aux individus est très claire
: une personne n'ayant pas de contraintes à l'emploi doit entreprendre
des démarches appropriées à sa situation pour trouver
un emploi convenable[25]
et doit se conformer aux instructions que le ministre peut lui donner
à cette fin. Elle ne peut, sans motif sérieux, refuser
ou abondonner un emploi.
À
l'article 47, on lit que le ministre peut exiger qu'il s'inscrive "auprès
d'un service de placement reconnu par le ministre et de communiquer
avec ce service à des fréquences raisonnables et de rechercher
activement un emploi, notamment par une participation à une activité
structurée de recherche d'emploi". Est-il ici question,
en ce qui concerne les jeunes de 18-24 ans, des services de placement
intégré dont on parle dans le Plan d'action jeunesse?
Des Carrefours Jeunesse Emploi?
Certains
manquements aux obligations instituées par la réforme
d'aide sociale peut faire en sorte que la demande d'aide sociale soit
refusée, réduite ou que le ministre cesse de la verser
(article 54).
Les
obligations sur lesquelles se fondent le fameux " contrat de réciprocité
" prôné par le Conseil de la santé et du bien-être,
inscrites dans la réforme de l'aide sociale, ont été
contestées devant un comité des Nations unies par l'Association
américaine des juristes et la Ligue des droits et libertés
du Québec. Ces organismes considèrent que le Canada et
le Québec ne respectent pas leurs engagements internationaux
dans le cadre du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels qu'ils ont signé. Ils ont entre autres dénoncé,
devant le comité de l'ONU, le fait que la réforme québécoise
de l'aide sociale viole les articles 6, 7 et 9 concernant le droit au
travail librement choisi et le droit à la sécurité
sociale, et institue des mesures discriminatoires pour les jeunes:
On
assiste à l'introduction des techniques associées
à l'"employabilité" et au "workfare"
conditionnant l'octroi des prestations sociales à l'accomplissement
d'un travail ou d'une formation en emploi, rendant ainsi conditionnelle
la réalisation du droit correspondant. Ces mesures permettent
de réduire l'importance du droit à l'aide de l'État
fondé sur la notion de besoins pour la remplacer par le critère
de l'aptitude ou non au travail à partir d'une décision
médicale ou administrative. Le critère de "revenu
suffisant" perd ainsi sa qualité de droit. Une personne
qui abandonne ou refuse un emploi proposé sans raison jugée
suffisante par le fonctionnaire peut voir l'aide de dernier recours
lui être réduite, contredisant ainsi son droit au libre
choix de son travail et à la sécurité sociale.
Des mesures discriminatoires visent plus particulièrement
les jeunes dans cette situation.
Les
travailleuses et travailleurs québécois soumis à
ce "workfare" sont privés du bénéfice
du libre choix de leur travail et de la protection des lois générales.
En effet, la Loi sur la sécurité du revenu a permis
expressément au Ministre pour l'application de ce programme
de dispenser les employeurs du respect des normes du travail, incluant
celles relatives au salaire minimum ainsi que le droit d'association
en violation de l'article 7 du Pacte. Ces dispositions ont été
maintenues lors de la révision de la loi.[26]
En
effet, la nouvelle loi de l'aide sociale prévoit la possibilité
de suspendre l'application de certaines lois du travail à des
programmes d'intégration en emploi par voie réglementaire.
Dans un rapport rendu public le 4 décembre, le comité
de l'ONU bl'me sévèrement le Canada en mentionnant
entre autres "la présence, dans six provinces canadiennes,
de programmes de mise au travail obligatoire pour les bénéficiaires
de l'aide sociale ou de pénalités touchant principalement
les jeunes, lorsqu'une personne affirme son droit de choisir le genre
de travail qu'elle veut accomplir"[27].
Le Québec est l'une de ces provinces.
1.4
L'insertion des jeunes assistés sociaux
Même
si le gouvernement a finalement adopté le projet de loi 186 avec
un moratoire (jusqu'en septembre 2000) sur l'obligation pour les jeunes
de 18-25 ans de participer à un parcours individualisé
vers l'insertion, la formation et l'emploi, les obligations décrites
ci-dessus s'appliquent quand même aux adultes, jeunes et moins
jeunes, considérés aptes au travail, qui s'inscrivent
ou sont déjà à l'aide sociale. Rien n'empêche
le gouvernement d'orchestrer une intervention spécifique à
l'égard des jeunes assistés sociaux et de ne plus lui
attribuer le vocable "parcours", parce que l'expression est
devenue particulièrement impopulaire dans certains milieux communautaires.
Il semble que c'est ce qui se dessine, quand on voit comment la mise
en place du programme OPTIONS, ciblé vers les jeunes adultes
assistés sociaux de 18-24 ans, en a conduit plusieurs à
écoper de lourdes pénalités (150$ à 300$
par mois) pour refus de se confirmer aux directives du ministère.
Par exemple, pour un ou une jeune qui partage son logement (il subit
donc la coupure pour partage du logement de 104$ par mois) et qui écope
de deux pénalités, le chèque de BS réduit
à 86$ équivaut à se faire jeter à la rue
ou à devoir accepter n'importe quel boulot mal payé ou
travail au noir. Mais· les statistiques s'améliorent. Le nombre
de jeunes adultes âgés de 18-24 ans aptes au travail qui
reçoivent de l'aide sociale a diminué de 33% en 4 ans
[28]! Reste à voir
dans quelles conditions de vie vivent ces jeunes adultes, dont plusieurs
sont sûrement des travailleurs et des travailleuses précaires
ou des sans-chèque, sans parler de ceux et celles qui se sont
carrément retrouvés dans la rue quand leur aide sociale
a été réduite.
Dans
le Livre vert sur les orientations de la réforme d'aide sociale,
les jeunes sont ciblés comme une des "clientèles
prioritaires" et il est question de "plans d'actions spécifiques
pour les jeunes" qui doivent entre autres "prévoir
la contribution de l'ensemble des partenaires et, en particulier, celle
des Carrefours Jeunesse Emploi pour assurer un accompagnement adéquat
des jeunes dans leur parcours d'insertion"[29].
Le
Plan d'action jeunesse arrive à point pour mettre en branle toute
une approche décrite dans le Livre vert sur la réforme
d'aide sociale, afin que soit institué un nouveau contrat social
(aussi appelé contrat de réciprocité) qui approfondit
l'obligation au travail, en priorité pour les jeunes, en échange
d'une reconnaissance politique et d'une participation de personnes déléguées
d'organisations qui prétendent les représenter au sein
d'instances de concertation.
Notes :
2 Gouvernement du Québec, Un Québec de responsabilité
et de solidarité, document préparatoire de la Conférence sur le devenir
social et économique du Québec, mars 1996. [retour
au texte]
3 C'est du moins ce que laisse entendre la nouvelle
loi sur la sécurité du revenu. Voir le point 1.3 du présent document.
[retour au texte]
4 Jacques Bonniel, Bernard Lahire, "Remarques sociologiques
sur la notion d'insertion", L'insertion sociale, Actes du colloque "SOCIOLOGIES
IV", Tome 1, ƒditions L'Harmattan, Paris, 1994, pp.21-31, cité dans
Marc-André Houle, Recherche exploratoire sur le concept de l'exclusion
et de l'insertion, texte non-publié, août 1996. S'inspirant de Bonniel
et Lahire, M-A Houle explique que le "dispositif d'actions d'insertion
sociale" s'appuie sur un discours "social" qui prend la forme d'une
imposition de normes de conduite, d'attitudes face à la vie, et même
un mode de comportement lorsqu'il s'agit de réapprendre à se tenir,
à parler, à se présenter. "Ë mettre l'accent sur les attitudes qu'il
faut modifier, et non sur les causes des situations vécues, les discours
sur l'insertion sont une forme d'énonciation de la morale dominante.
L'énonciation de ce qu'il faut atteindre, la distance entre l'idéal
et la réalité dans les faits, est même susceptible de créer une stigmatisation.
En fait, le succès de la notion d'insertion n'a d'égale que son ambigu•té:
c'est pourquoi elle est utilisé autant par le travail social, la sociologie
que les pouvoirs publics. Et c'est pourquoi la notion doit faire l'objet
d'une attention particulière lorsqu'elle est utilisée comme concept."[retour
au texte]
5 Plan d'action jeunesse, op.cit., p.10[retour
au texte]
6 ibid p.13[retour au texte]
7 ibid p.13[retour au texte]
8 ibid p.18[retour au texte]
9 ibid p.11[retour au texte]
10 ibid p.11[retour au texte]
11 ibid p.11[retour au texte]
12 Parmi les auteurs franais qui s'inscrivent
dans ce courant, voir Pierre Rosanvallon, La Nouvelle question sociale.
Repenser l'ƒtat-providence. Seuil, 1995, 223 p. [retour
au texte]
13 Conseil de la santé et du bien-être, L'harmonisation
des politiques de lutte contre l'exclusion, avis au ministre de la Santé
et des Services sociaux, 1996. [retour au texte]
14 ibid p.2[retour au texte]
15 ibid p.53[retour au texte]
16 Conseil de la santé et du bien-être, op.cit.
p.53. [retour au texte]
17 Conseil de la santé et du bien-être, op.cit.
p.54[retour au texte]
18 ibid p.55[retour au texte]
19 ibid p.55[retour au texte]
20 ibid p.55[retour au texte]
21 Norbert Rodrigue, président du Conseil de la
santé et du bien-être, De la confiance, du réalisme et de la transparence,
avant tout, Mémoire présenté à la Commission des affaires sociales sur
le Livre vert : la réforme de la sécurité du revenu, un parcours vers
l'insertion, la formation et l'emploi, 21 janvier 1997, p.9. [retour
au texte]
22 Gouvernement du Québec, Un parcours vers l'insertion,
la formation et l'emploi, 4e trimestre 1996, p.41. [retour
au texte]
23 ibid p.14[retour au texte]
24 ibid p.15[retour au texte]
25 En gros, l'emploi convenable est défini dans
le projet de loi 186 comme un emploi satisfaisant les normes minimales
du travail (article 48). Rien qui assure de sortir de la pauvreté. [retour
au texte]
26 Communication de l'Association américaine des
Juristes, section pan-canadienne, et de la Ligue des droits et libertés
du Québec concernant l'examen du troisième Rapport périodique du Canada
à l'ouverture des travaux de la 18e Session du Comité d'experts du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Genève, 16 novembre 1998. [retour au texte]
27 Caroline Montpetit, "L'ONU bl‰me le Canada",
Le Devoir, 5-6 décembre 1998, p.A-2. [retour au
texte]
28 Presse canadienne, "Baisse du nombre de prestataires
d'aide sociale", Le Devoir, 27 novembre 1998. [retour
au texte]
29 Un parcours vers·op.cit. p.44. [retour
au texte]