Les dessous du Plan d'action jeunesse


Analyse du Plan d'action jeunesse 1998-2001
du Gouvernement du Québec
Accueil - Sommaire - Introduction - Ch. 1 - Ch. 2 - Ch. 3 - Ch. 4 - Ch. 5 - Conclusion - Annexes

5 Instances de concertation, mandats
et représentativité démocratique

5.1 Démocratie fonctionnelle

Le nouveau "contrat" proposé par l'État aux jeunes dans le Plan d'action jeunesse leur offre "tant aux niveaux local, régional que national, des lieux de participation aux mécanismes consultatifs et décisionnels". Les lieux de concertation dont il est question s'inscrivent complètement dans la structure liée à la politique de soutien au développement local et régional de l'ancien ministre du développement des régions, Monsieur Guy Chevrette. Côte à côte se retrouveront donc les "représentants" des jeunes, du gouvernement, des syndicats, de l'entreprise privée, des groupes communautaires, des groupes de femmes, etc. Nous vous proposons en annexe 2 un tableau qui présente les instances de concertation où des "représentants" de jeunes siégeront, les liens entre ces instances et la composition de chacune d'entre elles.

Nous avons vu dans la première partie de ce document que cette possibilité de participation était offerte par le gouvernement aux jeunes comme une faveur et comme un des aspects d'un nouveau contrat social. Lucien Bouchard, en campagne électorale, a aussi parlé d'organiser un Sommet de la jeunesse (voir 5.7). Le secteur "jeunes" devient l'un des secteurs reconnus par l'État pour siéger dans les instances de concertation.

Les instances et les mécanismes de concertation, de consultation et de négociation se sont multipliés dans les dernières années. L'État a ainsi répondu à la critique qui lui reprochait d'agir sans prendre en compte les points de vue des différents secteurs de la population, les spécificités des différentes régions. Toutefois, la gestion du pouvoir qui passe par la concertation ne nous apparaît pas comme un pas vers la démocratisation du pouvoir. Au contraire, on pourrait plutôt la décrire ainsi:

Ce qui tend à l'emporter dans une telle orientation, c'est le marchandage, le consensus temporaire entre différents représentants d'intérêts particuliers, l'influence des acteurs organisés les plus puissants, et non la prise en compte de toutes les sensibilités, de toutes les particularités dans une synthèse raisonnable. Il n'y a pas progression de la démocratie mais, transformation du sens de celle-ci, passage d'une démocratie à caractère politique à une démocratie que l'on peut qualifier de fonctionnelle.[72]

Dans une " démocratie fonctionnelle ", qu'on pourrait aussi appeler une démocratie d'intérêts, ceux et celles qui savent se faire entendre et mobiliser des ressources pour faire valoir leurs intérêts peuvent espérer obtenir un siège dans les instances de concertation. Certaines personnes y voient l'émergence d'une nouvelle façon d'exercer la citoyenneté. Au contraire, nous ne considérons pas ce phénomène comme un élargissement des espaces politiques qui permettrait aux citoyens et aux citoyennes d'avoir plus de prise sur l'organisation de la société, sur leurs conditions de vie. Nous constatons plutôt une volonté de mettre en oeuvre et de donner une légitimité à la concertation d'acteurs sociaux sélectionnés qui vont gérer des politiques, les rendre opérationnelles et orchestrer l'adaptation de la société à ces politiques. Remarquons que les personnes qui siègent dans les instances de concertation sont rarement redevables devant les secteurs de la population qu'elles sont censées représenter, en regard des positions qu'elles défendent en concertation.

Pour leur part, les politiques mises de l'avant dans les instances de concertation sont définies du haut vers le bas, en dehors des instances de concertation et souvent même en dehors des instances parlementaires, et elles sont présentées comme inéluctables. Ce sont des politiques fondées sur l'atteinte à tout prix de la compétitivité de l'économie et de la main-d'oeuvre, en priorité sur toute autre norme sociale, et elles sont élaborées par les technocrates de l'État, des grandes institutions internationales (comme l'Organisation de coopération et de développement économiques- OCDE, la Banque mondiale, etc.), des comités "d'experts", des instituts privés ou publics de recherche, etc.

Le gouvernement québécois insiste constamment pour dire que le partenariat, la concertation et la décentralisation constituent un "modèle québécois" unique et prometteur. La Banque mondiale, et les nombreux gouvernements néolibéraux qui suivent ses mots d'ordre, chantent le même refrain:

· des solutions inédites doivent être trouvées en associant les entreprises, les travailleurs, les ménages et les groupes de proximité. Il faut tout d'abord mettre en place de véritables organisations intermédiaires, dont les représentants au sein des instances de décision doivent être les porte-parole des citoyens.[73]

Dans un autre document de la Banque mondiale, on parle de l'efficacité d'un tel modèle :

La décentralisation procure de nombreux avantages (·) Elle peut contribuer à l'amélioration de la gestion publique et à une meilleure représentation des intérêts des entreprises locales et des citoyens. La concurrence entre les provinces, les villes et les localités peut aussi favoriser l'élaboration de politiques et de programmes plus efficaces.[74]

Le document d'analyse réalisé par le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MÉPACQ) et intitulé "La localisation, la régionalisation et·la mondialisation. Enjeux et impacts de la "Réorganisation" en cours", explique bien les stratégies du gouvernement québécois:

Dans le cas présent, le discours autour de la régionalisation représente une tentative - et nous dirons une tentative orchestrée et planifiée - de vendre une chimère aux Québécoises et aux Québécois, en faisant appel à leur sentiment d'identité régionale, à leur sentiment d'appartenance. Pour ce faire, les dirigeants politiques et économiques ont tricoté autour de la notion de la régionalisation un discours dont l'objectif premier est de mystifier et de cacher ce qui est en train de se produire réellement, soit le retour en force d'un capitalisme sauvage. L'outil de cette mystification, c'est le langage.[75]

La même mystification par le langage et la même vision économique se retrouvent dans le Plan d'action jeunesse et dans les mandats des instances de concertation où les jeunes sont invités à siéger · par l'intermédiaire de "représentants" désignés bien-sûr. La primauté des intérêts de l'entreprise privée passe entre autres par la réduction du filet de sécurité sociale et par les programmes obligatoires d'insertion en emploi à n'importe quel prix, Le Plan d'action jeunesse ne part pas des préoccupations des jeunes comme le préconisent les groupes populaires et communautaires autonomes jeunesse et leurs regroupements. Il n'est donc pas surprenant de voir les Carrefours Jeunesse Emploi (CJE) ciblés par le gouvernement comme étant les acteurs privilégiés pour la mise en application du Plan d'action jeunesse. Nous reviendrons sur leur rôle au point 5.4, car cela mérite plus que quelques lignes.

Qui dit quoi au nom de qui?

Parmi les lieux de participation et de concertation actuels où sont représentés les jeunes, le Plan d'action jeunesse mentionne le Conseil permanent de la jeunesse, la Table de suivi de la réforme de l'éducation, un comité aviseur sur le développement de la main-d'oeuvre à Emploi-Québec et un comité technique sur l'emploi des jeunes, l'Assemblée permanente Environnement-Faune et enfin le Sommet sur l'économie et l'emploi. Lors de ce dernier, quatre regroupements ont été invités, soit la Fédération des étudiants universitaires du Québec (FEUQ), la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), l'Association des services d'aide aux jeunes entrepreneurs et le Regroupement des jeunes gens d'affaires du Québec.

Comment peut-on dire que ces quatre organisations représentent la jeunesse du Québec ou en sont les porte-parole? Cette jeunesse n'est pas uniquement formée d'étudiants et d'étudiantes au Cégep et à l'université ainsi que de jeunes entrepreneurs!

 

5.2 Mandat donné aux CLD

Les Centres locaux de développement (CLD) doivent "élaborer une stratégie locale liée au développement de l'entrepreneuriat et des entreprises, incluant les entreprises de l'économie sociale"[76], dans le cadre de la politique de soutien au développement local et régional. Dans la région de Montréal, les Corporations de développement économique et communautaire (CDEC) se sont fait reconnaître comme CLD.

Le Plan d'action jeunesse annonce que:

Chaque CLD devra élaborer un plan local pour l'économie et l'emploi, d'une durée de 3 ans, qui déterminera ses priorités en distinguant notamment un volet pour les jeunes promoteurs de 35 ans et moins. Ce volet décrira les stratégies qu'entendent poser les CLD pour développer une véritable culture entrepreneuriale chez les jeunes et pour assurer un suivi adapté auprès des jeunes dirigeants et dirigeantes d'entreprises.[77]

Les CLD disposeront d'une enveloppe protégée de 4,5 millions de dollars pour soutenir des projets de démarrage d'entreprises par les jeunes de moins de 35 ans. La vision gouvernementale du rôle des CLD transparaît dans un discours tenu par le premier ministre Bouchard devant l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec :

Vous, des entreprises, allez partager ce pouvoir de décision avec vos collègues des municipalités, du secteur de l'éducation, des syndicats, de l'économie sociale, de l'économie rurale et avec des jeunes. Vous, des entreprises, avez une responsabilité particulière. Vous détenez en moyenne 15% des sièges aux CLD. Vous êtes ceux qui créez la richesse, qui savez faire fructifier l'investissement, qui savez gérer une entreprise. Votre objectif doit être de faire partager ce savoir, de faire preuve à la fois de rigueur et d'imagination. Vous avez l'esprit d'entreprise, Vous devez être contagieux.[78]

L'autre grand mandat du CLD, outre ce qui a trait à l'entrepreneuriat, concerne tout le domaine de l'insertion. Dans son document d'analyse sur les enjeux de la réorganisation en cours, le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MÉPACQ) fait remarquer que le plan local pour l'économie et l'emploi que le CRD a le mandat d'élaborer et de mettre en oeuvre "ressemble étrangement au Plan local d'action concertée pour l'emploi, présenté dans le Parcours d'insertion"[79], le Livre vert sur les orientations de la réforme d'aide sociale.

Le Plan d'action jeunesse annonce aussi que la jonction sera faite avec les Centres locaux pour l'emploi (CLE) et les Carrefours Jeunesse Emploi (CJE):

les CLD et les CLE seront incités à mettre en place les passerelles et les arrimages nécessaires avec les Carrefours Jeunesse Emploi afin d'assurer des services de première ligne d'aide à l'entrepreneuriat et à l'emploi adaptés aux besoins des jeunes et conformes aux orientations du plan d'action.[80]

Certains CJE se font actuellement référer des jeunes par des CLE et les encadrent dans des programmes d'insertion. Il apparaît assez clair que ces jeunes sont menacés de perdre une partie de leur chèque d'aide sociale (pénalité de 150$ à 300$ mensuels) s'ils ne se conforment pas aux "instructions" du ministère. Les CJE vont-il accepter de "signaler" au CLE les jeunes qui ne se présentent pas chez eux ou qui ne fournissent pas les efforts espérés pour participer aux programmes d'insertion? Quand la jonction avec le CLD sera faite, ne faudra-t-il pas craindre que les jeunes se fassent offrir/imposer, avec la menace de voir leur aide sociale coupée s'ils ne participent pas, des emplois développés dans le cadre du Plan d'action pour l'emploi? La quantité d'emplois créés primera certainement sur leur qualité car les CLD seront financés selon une gestion par résultats, dont les cibles seront déterminées dans le Plan local pour l'emploi[81].

Le fameux "service de placement intégré", le coeur de la cohérence du Plan d'action jeunesse, selon le gouvernement (voir point 1.1 ) n'est-il pas la dernière pièce à huiler pour que le rouage glisse à souhait· Bref, pour les jeunes sans-emploi qui n'ont pas le coeur à l'entrepreneurship, le Plan d'action jeunesse ne semble pas laisser d'autre voie que les travaux forcés, enrobés de concertation locale, pour mieux assurer le contrôle social.

 

5.3 Les CRD et les Forums jeunesse régionaux

Au niveau régional, les Forums jeunesse constituent l'instance désignée par le Plan d'action jeunesse. Ils travaillent en lien avec les Conseils régionaux de développement (CRD), que le Plan d'action présente comme étant "des guichets multi-services d'aide à l'entrepreneuriat gérés par le milieu et placés sous l'autorité d'un conseil d'administration représentatif des partenaires locaux de l'économie et de l'emploi"[82].

Ce sont les CRD qui seront appelés à "mettre en oeuvre" les Forums jeunesse régionaux, ce qui semble signifier en termes concrets qu'ils vont les mettre sur pied et désigner qui en fera partie. Dans la région de Montréal par exemple, le CRD (appelé CRDÎM) a invité des représentants et représentantes des associations étudiantes (FEUQ et FECQ), du Comité jeunes CSN et de celui CTM-FTQ ainsi que des représentants et représentantes de la jeune Chambre de commerce à former un comité provisoire pour mettre en place le Forum jeunesse.

Pourquoi les CRD mettent-ils sur pied les Forums jeunesse? Voici ce qu'en dit le Plan d'action:

Pour qu'ils puissent intégrer plus fidèlement les problématiques touchant la jeunesse dans leur planification stratégique régionale et dans leurs interventions, notamment au moyen des ententes cadres et des ententes spécifiques conclues avec le gouvernement et d'autres partenaires, les CRD seront appelés à mettre en oeuvre des Forums jeunesse régionaux.[83]

Ces Forums jeunesse auront pour mandat, selon le Plan d'action jeunesse:

ð d'exercer un rôle aviseur auprès du CRD sur les problématiques touchant les jeunes en région ;

ð d'élaborer, dans la planification stratégique régionale, le volet consacré aux jeunes ;

ð de veiller à ce que la représentation des jeunes sur le conseil d'administration des CLD soit assurée ;

ð de favoriser la concertation entre les intervenants jeunesse locaux et régionaux pour assurer la cohérence et maximiser l'effet de leurs interventions.

Ajoutons que "le gouvernement apportera un soutien financier aux CRD qui mettront en place un processus menant à la concertation des organismes jeunesse".[84] Les Forums jeunesse deviendront-ils les seuls interlocuteurs jeunesse reconnus par le gouvernement? Pourquoi mettre sur pied des structures en parallèle avec les structures démocratiques que les organismes communautaires autonomes jeunesse et leurs regroupements se sont donnés depuis des années? Belle façon de donner "une place" aux jeunes· en imposant un contrôle sur ce qu'ils font!

De plus, "pour assurer la participation des jeunes à la planification stratégique régionale", le gouvernement demande au CRD de réserver un siège dans son conseil d'administration à un représentant ou une représentante jeune désigné par le Forum jeunesse régional. Il semble ici que le caractère démocratique de l'opération est bien limité : le CRD désigne le comité fondateur du Forum jeunesse qui désigne à son tour un membre du conseil d'administration du CRD représentant les jeunes·

Le gouvernement tient vraiment à coordonner la mise sur pied des Forums jeunesse dans les différentes régions. Pour ce, il va créer " un comité ad hoc composé de représentants de l'Association des régions du Québec (ARQ), du Conseil permanent de la jeunesse (CPJ), du Secrétariat à la jeunesse et du ministère des Régions (MR) "[85].

Par ailleurs, il est intéressant de constater que ce sont aussi les CRD qui ont pour mandat de mettre en oeuvre le suivi des Forums régionaux sur le développement social. Dans la région de Montréal par exemple, le Conseil régional de développement de l'Île de Montréal (CRDÎM) a mis sur pied un comité de direction provisoire sur lesquels ne siègent que des représentants et représentantes gouvernementaux ou para-gouvernementaux (Emploi-Québec, Régie régionale, Santé Canada, Ville de Montréal, Conseil de la santé et du bien-être) à l'exception de la représentante de la Table des groupes de femmes de Montréal et du représentant du CRDÎM. Cette structure d'organisation présentée dans un document de travail sur le Plan stratégique sur le Développement social de l'Île de Montréal, reflète des velléités démocratiques bien limitées. On peut y lire : "le processus actuel en est un informel, étant donné d'une part le très grand nombre de partenaires et d'autre part, l'ampleur du projet. Cette situation doit demeurer. C'est un processus démocratique qui a fait ses preuves"[86].

 

5.4 Le rôle des Carrefours Jeunesse Emploi dans le Plan d'action jeunesse

Il apparaît évident que les Carrefours jeunesse Emploi (CJE) jouent un rôle central dans la mise en application du Plan d'action jeunesse. Rappelons que les CJE ont été créés de toutes pièces par le gouvernement, depuis 1995, à partir d'un modèle d'organisme qui existe en Outaouais.

Dans le cadre du Plan d'action jeunesse, " le gouvernement envisage de confier aux Carrefours Jeunesse Emploi un rôle privilégié dans l'application des mesures découlant de ce plan d'action " [87].

Le gouvernement souhaite aussi élargir leur mandat, semble-t-il :

Tout en maintenant leur mission fondamentale de services d'aide à l'emploi des jeunes, le gouvernement souhaite ouvrir la discussion avec le réseau des Carrefours Jeunesse Emploi afin d'explorer l'idée qu'ils deviennent les interlocuteurs locaux privilégiés de la jeunesse et que, le cas échéant, ils soient dotés des ressources nécessaires à un élargissement de mandat qui les placerait au centre des actions locales concernant la jeunesse.[88]

Cette manière de voir les CJE au "centre des actions locales concernant la jeunesse" et de prévoir un élargissement de leur mandat est préoccupant. Verra-t-on bientôt les CJE ajouter à leur mandat lié à l'insertion en emploi des mandats de prévention et de services sociaux? Verra-t-on les CJE, en lien avec les CLSC et les CLD, tisser une immense toile d'araignée autour des jeunes pour les obliger à adopter les comportements "adéquats" afin de s'insérer obligatoirement dans des "parcours vers des emplois précaires" choisis pour eux?

Déjà, on peut constater que dans le Chantier emploi du Plan d'action jeunesse, les CJE se voient confier la mission de "mener une action nationale d'intervention précoce auprès des jeunes décrocheuses et décrocheurs"[89]. Cette action devrait se réaliser en collaboration avec le ministère de l'éducation, les Centres locaux d'emplois (CLE), les CJE et "les organismes qui interviennent déjà auprès de cette clientèle". Parle-t-on ici des groupes communautaires jeunesse? Des fonds de 18 millions sur trois ans seront injectés dans ce projet qui sera concocté à la sauce gouvernementale et CJE.

Si le gouvernement place les CJE au "centre des actions locales concernant la jeunesse", c'est qu'il ne tient aucunement compte des groupes communautaires autonomes jeunesse qui sont implantés et impliqués localement, régionalement et nationalement depuis de nombreuses années. Ce sont les espaces d'autonomie et de liberté pour les jeunes qui sont en jeu ici.

Par ailleurs, les groupes communautaires autonomes jeunesse seront-ils contraints de faire de la sous-traitance pour les CJE s'ils désirent survivre? Le Plan d'action jeunesse parle du rôle des CJE dans la "mobilisation des nombreux partenaires de leur milieu dans la réalisation d'activités en matière d'emploi, de raccrochage scolaire et d'aide à l'insertion sociale et professionnelle"[90]. Quelle part de l'autonomie des groupes communautaires sera sacrifiée pour les CJE?

Les "ressources nécessaires" dont disposeront les CJE seront-elles autant de ressources auxquelles n'ont plus accès les groupes communautaires autonomes jeunesse? En 1998-99, le gouvernement aura injecté 27 millions de dollars dans les CJE, soit 7 millions de plus qu'en 1997-98. Au Secrétariat à la jeunesse, on nous dit que le nombre de Carrefours Jeunesse Emploi (CJE) augmente rapidement. Leur nombre passera de 83 à 99 dans le cadre du Plan d'action jeunesse 1998-2001.

L'autre grande question est la suivante : quel sera le rôle des Carrefours Jeunesse Emploi dans la gestion des parcours obligatoires, ou, en attendant la fin du moratoire, des mesures obligatoires de formation, de recherche et d'insertion en emploi? Rappelons encore une fois que le Livre vert sur les orientations de la réforme d'aide sociale, parle de "plans d'actions spécifiques pour les jeunes" qui doivent entre autres "prévoir la contribution de l'ensemble des partenaires et, en particulier, celle des Carrefours Jeunesse Emploi pour assurer un accompagnement adéquat des jeunes dans leur parcours d'insertion"[91].

Déjà, des CJE ont été sollicités pour siéger sur les Conseils locaux de développement (CLD), qui vont définir les plan locaux pour l'emploi, ainsi que pour siéger sur les Conseils régionaux de développement (CRD). Le Réseau des Carrefours Jeunesse Emploi siège pour sa part au Comité national de suivi du Plan d'action jeunesse (point 5.4).

Nous constatons que les actions menées actuellement par certains CJE nous laissent entrevoir jusqu'où pourraient aller les interventions publiques en faveur de l'insertion des jeunes en emploi. Par exemple, dans la région du Centre-du-Québec, un CJE tente de mobiliser les jeunes de 12-16 ans pour faire du bénévolat, afin de répondre aux attentes du ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration de l'époque, Monsieur André Boisclair. Alors qu'il existe déjà de multiples organismes communautaires bénévoles et différents groupes de jeunes où ces derniers peuvent s'impliquer bénévolement, comment expliquer cette volonté de structurer le bénévolat des jeunes? L'objectif est-il de renforcer l'éthique du travail des jeunes dès l'adolescence pour s'assurer que les jeunes suivront la "bonne voie" de l'emploi précaire à 18 ans?

 

5.5 Comité national de suivi

Un Comité national de suivi veillera à la bonne marche du Plan d'action jeunesse et il sera présidé après le transfert de Monsieur André Boisclair à d'autres responsabilités, par le nouveau ministre responsable de la jeunesse, Monsieur François Legault. Ce comité est aussi formé de représentant-e-s du Conseil permanent de la jeunesse, de l'Association des services d'aide aux jeunes entrepreneurs du Québec, du Réseau des Carrefours Jeunesse Emploi, de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), de Place aux jeunes inc. (un organisme qui offre un soutien aux jeunes diplômé-e-s désireux de trouver un emploi ou de partir leur entreprise dans leur région d'origine), du Comité national des jeunes de la CSN, de Oxy-Jeunes et du Comité jeunes de la Fédération des femmes du Québec. Ce dernier affirme qu'il ne se retire pas du Comité national de suivi mais qu'il prendra le temps d'évaluer le Plan d'action jeunesse. Pour sa part, le Regroupement des maisons de jeunes du Québec a été invité à en faire partie, mais après la première réunion d'information du Comité de suivi, son conseil d'administration a décidé que le Regroupement n'en ferait pas partie car il n'est pas prêt à s'associer au contenu du Plan d'action jeunesse, qu'il juge insatisfaisant.

Le Comité national de suivi aura notamment le mandat :

ð de développer un mode de suivi de chacune des mesures du plan d'action jeunesse et d'assurer la production d'un rapport de suivi quatre fois par année;

ð de recueillir les informations pertinentes sur la réalisation du plan d'action jeunesse dans les diverses régions du Québec;

ð de proposer de nouvelles initiatives en vue, le cas échéant, de bonifier l'intervention gouvernementale sans toutefois se substituer aux instances de concertation bilatérale déjà existantes;

ð de se réunir quatre fois par année pour analyser le rapport de suivi, évaluer la progression des résultats, alerter le gouvernement sur des retards anticipés et proposer des solutions à d'éventuelles difficultés de mise en oeuvre;

ð d'identifier les modalités pour instituer les forums jeunesse et assurer la liaison entre les différentes instances de représentation des jeunes;

ð de mettre en place un cadre approprié pour la mise à jour du plan d'action ainsi que pour son renouvellement..

Lors de la première réunion du Comité national de suivi (la seule en date du 7 décembre 1998), ce mandat a été élargi. Nous en parlerons dans la section sur la politique jeunesse au point 5.6.

"Une fois l'an, le comité rencontrera le Premier ministre afin de lui faire rapport sur l'état de réalisation du plan d'action jeunesse et de proposer au gouvernement des moyens d'en faciliter la mise en oeuvre ou d'étendre la portée de certaines actions" [92].

Plusieurs ministères sont réunis "pour soutenir les travaux de ce comité de suivi et afin d'assurer la cohérence de l'action gouvernementale" au sein d'un comité interministériel sous la coordination du Secrétariat à la jeunesse. Ce comité réunit, entre autres, des personnes provenant des ministères de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, de la Culture et des Communications, de l'Éducation, de l'Emploi et de la Solidarité, de l'Enfance et de la Famille, des Finances, de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, des Régions, de la Métropole, de la Santé et des Services sociaux ainsi que des Secrétariats à la condition féminine, du Conseil du trésor et du Comité des priorités.

 

5.6 Vers une politique jeunesse?

Le gouvernement présente le Plan d'action jeunesse comme un premier pas vers une politique jeunesse, qui devrait voir le jour avant l'an 2000. Qui définira cette politique? Quelles seront ses orientations? Ira-t-elle dans le même sens que le Plan d'action jeunesse? Si un Sommet de la jeunesse se tient, tel que l'a promis Monsieur Lucien Bouchard pendant sa campagne électorale et réaffirmé lors du discours[93] d'inauguration du nouveau mandat, sera-t-il une étape importante dans l'élaboration de la politique jeunesse? Difficile de répondre à toutes ces questions pour l'instant.

Tout ce que nous pouvons lire dans un document de travail du Comité national de suivi, c'est que le gouvernement affirme qu'il "tient à ce que les jeunes soient associés de près aux réflexions qui conduiront à l'élaboration du projet de politique jeunesse. Aussi, juge-t-il utile de leur donner dès maintenant des outils de travail qui leur permettent d'amorcer les discussions et la concertation en ce sens", poursuit le document.

Lors de la première réunion du Comité national de suivi du Plan d'action jeunesse, les représentants et représentantes d'organismes ont fait savoir au ministre Boisclair qu'ils voulaient participer à l'élaboration de la politique jeunesse et ce dernier a accepté. Le Secrétariat à la jeunesse nous a confirmé cette information. Le mandat du Comité national de suivi est ainsi élargi.

De plus, le mandat suivant a été confié au Secrétariat à la jeunesse (toujours selon un document de travail du Comité national de suivi):

ð établir un inventaire des politiques jeunesse mises de l'avant par d'autres gouvernements,

ð produire un document synthèse et critique de ces mêmes politiques jeunesse,

ð constituer un comité de travail composé de membres du Comité national de suivi, de personnes provenant du Secrétariat à la jeunesse et de membres du Cabinet du ministre responsable des dossiers jeunesse.

Ce comité de travail aurait été formé mais il ne s'est toujours pas réuni selon les informations que nous avons obtenues au début de décembre 1998.

Nous constatons que les organismes jeunesse qui acceptent de participer à la mise en oeuvre du Plan d'action jeunesse, donc d'en avaliser son contenu, seront dans les premières loges pour participer à l'élaboration de la politique jeunesse. Le processus nous semble, encore une fois, loin d'être démocratique et loin de partir à la base, des préoccupations des jeunes.

 

5.7 Un Sommet de la jeunesse

Durant la campagne électorale, le gouvernement a fait savoir son intention d'organiser un Sommet de la jeunesse[94] s'il est élu. Dans un communiqué de presse émis par le Parti québécois le 21 novembre 1998, voici comment est présenté ce Sommet:

Pour concrétiser davantage les mesures contenues dans son Plan d'action jeunesse émis au début de l'été, un gouvernement du Parti québécois réunira autour d'une même table, lors d'un grand Sommet pour la jeunesse qui se tiendra au cours des prochains mois, des jeunes des milieux étudiants, professionnels, communautaires, culturels, syndicaux, des jeunes entrepreneurs, des maires et des parlementaires avec plusieurs des décideurs et des partenaires qui ont participé au Sommet sur l'économie et l'Emploi, à l'automne 1996.

Soulignons ici que l'on mentionne explicitement les maires comme participants au Sommet (on aurait pu parler explicitement des commissions scolaires ou d'autres institutions), ce qui nous fait inévitablement penser à la mesure du Plan d'action jeunesse concernant les subventions salariales pour des "emplois" dans les municipalités, destinés aux jeunes à l'aide sociale.

Le communiqué mentionne aussi que "la réflexion des jeunes lors des Forums régionaux jeunesse alimentera les discussions du Sommet de la jeunesse". Il cite aussi le premier ministre Lucien Bouchard qui établit d'office la légitimité des conclusions qui émaneront du Sommet sur la jeunesse :

Ce Sommet pour la jeunesse nous permettra de prendre collectivement des engagements fermes en faveur des jeunes et de nous fixer des objectifs auxquels tous les secteurs de la société québécoise auront consentis. Chacun doit s'interroger sur les meilleures façons d'ouvrir l'avenir aux jeunes. Une fois de plus, nous faisons appel au modèle québécois de concertation et de partenariat pour relever un défi, celui de la jeunesse du Québec.

Encore une fois, cela n'est pas sans nous rappeler la Conférence socio-économique et le Sommet sur l'économie et l'emploi qui ont prétendument consacré l'adhésion de la société québécoise à l'objectif du déficit zéro, à la déréglementation, à l'économie sociale, à la lutte à la pauvreté par la réinsertion en emploi (souvent des emplois précaires et/ou de courte durée).

Tout comme les instances de concertation dont nous avons parlé ci-dessus, le genre de Sommet que préconise le gouvernement Bouchard constitue un exercice anti-démocratique, qui vise à légitimer des décisions socialement controversées en y associant les supposés représentans et représentantes de toute la société, et dans ce cas, aussi les supposés représentants de la jeunesse québécoise. Nous pouvons peut-être même déjà anticiper la possibilités de "compromis" à l'issue de ce Sommet tels que : l'obligation des jeunes à participer aux mesures d'insertion en emploi en échange de création d'emplois précaires dans les municipalités, les organismes communautaires et les entreprises d'économie sociale ainsi que d'une législation sur les clauses "orphelins"; une autonomie accordée à chaque université pour décider si elle hausse ses frais de scolarité et en échange, la création de nouveaux programmes de stages en entreprises pour étudiants et étudiantes, etc.


Notes :

72 Yves Bonny, "Les formes contemporaines de participation: citoyenneté située ou fin du politique?" dans D.P. Merle et F. Victor, La citoyenneté aujourd'hui, extension ou régression, Presses universitaires de Rennes, 1995, p.17, résume ici J-F. Thuot, "La démocratie à l'ère post-moderne: esquisse du concept de démocratie fonctionnelle", texte non publié, 1994. [retour au texte]

73 Banque mondiale, Rapport annuel 1996, p.7, cité dans Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec, La localisation, la régionalisation et·la mondialisation. Enjeux et impacts de la "Réorganisation" en cours", Montréal, décembre 1997, p.26. [retour au texte]

74 Banque mondiale, L'ƒtat dans un monde en mutation, Rapport sur le développement dans le monde, 1997, p.7, cité dans La localisation, la régionalisation et·la mondialisation (op.cit), p.28. [retour au texte]

75 Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec, La localisation, la régionalisation et·la mondialisation. Enjeux et impacts de la "Réorganisation" en cours", Montréal, décembre 1997, p.29. [retour au texte]

76 ibid , p.11. [retour au texte]

77 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.33[retour au texte]

78 Presse canadienne, "Bouchard souhaite que les entreprises s'impliquent dans les régions", Le Devoir, 1er octobre 1998. [retour au texte]

79 La localisation, la régionalisation·op.cit. p.11. [retour au texte]

80 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.33[retour au texte]

81 La localisation·op.cit. p.11[retour au texte]

82 Plan d'action jeunesse, op.cit. p.15[retour au texte]

83 ibid p.16[retour au texte]

84 ibid p.16[retour au texte]

85 ibid p.17[retour au texte]

86 Conseil régional de développement de l'”le de Montréal , Plan stratégique sur le Développement social de l'”le de Montréal. Proposition de mise en oeuvre, version du 7 octobre 1998,. [retour au texte]

87 ibid p.16[retour au texte]

88 Allocution de Monsieur André Boisclair, ancien ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, dans le cadre de la conférence de presse sur le Plan d'action jeunesse 1998-2001, Québec, le 18 juin 1998, p.5. [retour au texte]

89 Plan d'action jeunesse, ibid p.28. [retour au texte]

90 ibid p.16[retour au texte]

91 Un parcours vers·op.cit. p.44. [retour au texte]

92 Plan d'action jeunesse, op.cit., p.17[retour au texte]

93 Dans ce discours, il a été rebaptisé Sommet du Québec et de la jeunesse[retour au texte]

94 Dans le discours inaugural du nouveau mandat de Monsieur Lucien Bouchard, le 3 mars 1999, il a été également question du "Sommet du Québec et de la jeunesse" prévu dans les premiers mois de l'an 2000. [retour au texte]

 

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