Table des matières

Dans le présent document, nous avons tenu compte du féminin en ajoutant un E majuscule aux noms et adjectifs masculins.

Introduction

Le présent ouvrage s'adresse à toutes les personnes qui œuvrent auprès d'adultes peu alphabétiséEs et qui désirent en savoir davantage sur les processus d'apprentissage et les facteurs d'ordre affectif qui y sont liés. Depuis plusieurs années, le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles s'interroge sur ses pratiques et plus particulièrement sur les processus d'apprentissage des participantEs.

L'origine de cette démarche est en partie l'intégration de matériel informatique dans les ateliers d'alphabétisation, qui a suscité chez les apprenantEs un engouement inattendu. Ces personnes ont donc été sollicitées pour participer à une recherche d'expérimentation de logiciels informatiques. L'expérience s'est révélée fort enrichissante puisque les participantEs ont manifesté un désir ardent d'apprendre, une curiosité inopinée et une attitude très positive face à l'objet d'apprentissage. Face à ces résultats positifs, l'équipe de travail s'est alors questionnée sur les résistances manifestées par les participants lors de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, alors qu'en atelier d'informatique leurs réactions étaient tout autres. Nous présentons donc une recherche-action qualitative menée par le Carrefour d'éducation populaire dont l'objet est d'explorer, avec dix participantEs aux ateliers d'alphabétisation au Carrefour, leurs résistances, principalement sur le plan affectif, ainsi que leurs stratégies d'apprentissage.

L'objectif de cette recherche-action est d'abord de porter un regard neuf sur l'apprentissage, toujours dans une perspective déscolarisante, pour que les retombées de cette recherche provoquent des changements au sein de nos pratiques et améliorent les services offerts dans le secteur de l'alphabétisation.

Le présent document décrit en quatre chapitres l'ensemble des étapes qui ont contribué à la réalisation de cette recherche-action. Le chapitre I présente le contexte dans lequel s'insère la recherche. On y trouve donc une brève description des services offerts au Carrefour, de sa philosophie d'intervention, de ses questionnements et e ses recherches antérieures, du processus d'intégration des nouvelles technologies dans les ateliers, et enfin des objectifs de la présente recherche.

Au chapitre II, nous présentons la problématique de recherche, c'est-à-dire les constats et les concepts clés émis par les auteurEs que nous avons retenuEs relativement au sujet à l'étude. Les principaux thèmes traités sont l'apprentissage comme tel, les facteurs affectifs dans l'apprentissage, les résistances ainsi que l'utilisation de stratégies.

Le chapitre III porte principalement sur la méthode de recherche que nous avons utilisée. Nous y expliquons notre choix de mener une recherche qualitative et y décrivons l'échantillon, les instruments de collecte de données, la méthode de réalisation des entrevues ainsi que les démarches de traitement, d'analyse et d'interprétation des résultats recueillis dans le cadre des dix témoignages des participantEs.

Le chapitre IV expose et analyse les résultats en lien avec la revue de littérature détaillée au chapitre II ; les propos des participantEs viennent illustrer les analyses. Enfin, la conclusion traite des faits saillants de la recherche ainsi que des retombées possibles au sein de l'équipe du Carrefour. Puis, on trouve dans la bibliographie la liste des ouvrages que nous avons consultés au cours de la recherche-action. Finalement, en annexe, nous avons inséré le questionnaire d'entrevue ainsi qu'un tableau de Pierre Audy concernant les stratégies et les principes de vie qui sont à la base de l'Actualisation du potentiel intellectuel (API).

La lectrice ou le lecteur plus pressé peut, en consultant le chapitre IV (analyse des résultats) et la conclusion (synthèse des faits saillants), avoir rapidement une vue d'ensemble de la recherche et de ses retombées éventuelles au Carrefour.

Nous espérons que notre recherche contribuera à faire émerger de nouveaux savoirs en alphabétisation et nous donnera quelques pistes d'action. Bonne lecture!

Chapitre 1 : Présentation du contexte

Dans ce chapitre, nous traçons un portrait sommaire du Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles. Nous décrivons sa philosophie, son équipe et ses activités. Par la suite, nous nous attardons sur l'introduction de l'informatique au Carrefour, sur les enjeux liés à l'implantation des nouvelles technologies en milieux populaires. Enfin, nous exposons brièvement la teneur des recherches menées au Carrefour depuis trois ans et les objectifs de notre projet actuel.

1.1 Qui sommes-nous?

Le Carrefour est un groupe d'éducation et d'alphabétisation populaire de Montréal implanté dans le quartier Pointe Saint-Charles depuis plus de 30 ans. Né de la volonté des citoyenNEs de la Pointe de se doter d'un lieu à l'image de leurs besoins et de leurs aspirations, il témoigne encore aujourd'hui de leurs luttes et de leurs espoirs.

Dès le début de son existence, le Carrefour a choisi la gestion participative comme mode de fonctionnement. Tous et toutes, formatrices comme participantEs, ont droit à la même information et participent également aux prises de décisions. L'évaluation du travail du personnel porte tant sur son rôle et ses fonctions que sur son engagement. L'équipe du Carrefour est actuellement composée de dix-sept personnes. La coordonnatrice, l'adjointe à la coordination, le responsable des finances, les responsables de secteurs ainsi que les animateurs et animatrices se réunissent tous les lundis matin afin de mettre en commun leurs préoccupations ; ils discutent des thèmes qui seront abordés en atelier et prennent les décisions relatives au fonctionnement du centre. Les activités offertes sont regroupées par secteurs : action participative, alphabétisation, art et artisanat, informatique, intégration des personnes handicapées et interculturel. Le secteur alphabétisation est composé d'une coordonnatrice qui est également formatrice et de deux autres formatrices.

Profondément engagé dans les luttes sociales, tant sur le plan de la réflexion que sur le plan de l'action, le personnel du Carrefour participe aux mouvements sociaux qui dénoncent les effets pervers du néolibéralisme et de la mondialisation sur la population. Avec les citoyens, il revendique une plus grande justice sociale. Il participe, entre autres, aux luttes entreprises par le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) dans le but de faire reculer l'analphabétisme, de faire la promotion de la prévention et de défendre les droits collectifs des personnes peu scolarisées ou analphabètes.

L'action du Carrefour prend racine dans l'engagement des participantEs et passe par des rencontres d'échange et de réflexion thématiques ainsi que par les « pauses conscientisantes ». Ces pauses, insérées de façon hebdomadaire dans l'horaire des ateliers, constituent un temps d'arrêt pendant lequel on aborde un sujet d'actualité d'intérêt local, national ou international. Que ce soit dans un atelier de poterie ou dans le cadre d'une démarche d'intégration ou d'alphabétisation, tous et toutes ont l'occasion, chaque semaine, de s'interroger, d'exprimer leur point de vue, de partager et de confronter leurs idées. La conscientisation demeure toujours au cœur des pratiques, et toutes les interventions menées au Carrefour en sont empreintes.

Plus de 125 personnes s'inscrivent chaque année au Carrefour afin de participer aux ateliers offerts par les secteurs. Environ 35 adultes, hommes et femmes âgés entre 22 et 70 ans, majoritairement de Pointe Saint-Charles, s'inscrivent chaque année aux ateliers d'alphabétisation, dans un groupe de niveau débutant, intermédiaire ou fonctionnel offert le jour ou le soir.

Chaque atelier d'alphabétisation est composé de huit à dix personnes. Comme l'approche du Carrefour favorise l'intégration et une pleine participation à la vie démocratique, les participantEs inscritEs en alphabétisation peuvent, s'ils le désirent, s'inscrire à d'autres activités comme la couture ou la chorale. Comme tous les participantEs, ils peuvent participer aux fêtes et aux sorties organisées par le Carrefour et être actifs au conseil d'administration, dans les comités ou dans l'organisation des événements. Chaque année, le secteur alphabétisation mène des actions et des projets touchant la sensibilisation, le recrutement et la prévention de l'analphabétisme. Il participe également aux activités organisées par les autres secteurs.

1.2 L'introduction des ordinateurs

L'implantation des nouvelles technologies au Carrefour s'est faite de façon progressive. Au début des années 90, lorsque nous avons introduit les premiers ordinateurs, personne ne pouvait alors soupçonner l'impact qu'auraient ces outils sur notre travail d'intervention, de formation et de conscientisation. D'abord prévus uniquement pour le travail de bureau, les ordinateurs ont peu à peu débordé ce cadre pour devenir des outils pédagogiques à la disposition des formatrices et des participantEs en alphabétisation. Depuis l'automne 2000, le Carrefour a ouvert un laboratoire informatique et les participantEs disposent de 12 ordinateurs. De plus, un poste d'ordinateur branché sur Internet est accessible gratuitement à la population dans le hall d'entrée du Carrefour. Comment en sommes-nous arrivés là?

Comme pour plusieurs groupes d'alphabétisation populaire, c'est l'exploitation du guichet automatique comme contexte d'apprentissage qui a d'abord retenu l'attention des formatrices. L'intérêt marqué des participantEs a ensuite incité les formatrices à poursuivre dans cette voie. Dès 1995, tous les ateliers d'alphabétisation comprenaient un volet « apprentissage avec soutien à l'ordinateur ». À ce moment-là, l'ordinateur était utilisé exclusivement en fonction de l'apprentissage du français et du calcul et son usage se limitait au traitement de texte. Il était conçu comme un outil au service de l'apprentissage. Dans la pratique, cela voulait dire que les apprentissages à l'ordinateur se limitaient à l'exécution d'exercices d'écriture et de calcul. Les participantEs devaient apprendre à manipuler la souris, sélectionner, souligner, mettre en caractère gras et déplacer du texte. Ils manifestaient un vif intérêt pour ces nouveaux apprentissages, ils étaient curieux et très motivés.

L'introduction des ordinateurs au Carrefour ne s'est toutefois pas faite sans heurts. Les enjeux liés aux nouvelles technologies devenaient de plus en plus clairs pour les formateurs et les formatrices. Les nouvelles technologies allaient-elles devenir un autre lieu d'exclusion pour la population du quartier, déjà fortement marginalisée? Quel rôle pouvions-nous jouer afin de démystifier l'informatique et rendre les nouvelles technologies accessibles aux participantEs?

1.3 Les enjeux des nouvelles technologies

Ces questions ont vite débordé le secteur de l'alphabétisation, car tous les formateurs et formatrices se sentaient interpellés, concernés. L'informatique s'imposait dans notre travail et dans nos vies, et la connaissance des nouvelles technologies de l'information (NTIC) devenait incontournable. Si certaines formatrices étaient passionnées par les possibilités de ces nouveaux outils, d'autres étaient plus sceptiques. Mais tous et toutes savaient qu'ils devraient s'adapter. Fidèle à la tradition, l'équipe du Carrefour a choisi d'en débattre collectivement.

À l'automne 1999, l'équipe a entrepris une démarche de réflexion en collaboration avec l'organisme Communautique1 afin de clarifier sa position sur l'implantation des NTIC, la place qu'elles occuperaient dans notre groupe et leurs impacts sur nos pratiques et nos interventions dans le milieu. AccompagnéEs par deux personnes ressources, nous avons exploré nos réactions au changement. Nous avons nommé nos résistances, nos peurs et nos passions. Nous avons mieux compris individuellement et collectivement nos attitudes et dispositions face au changement, et c'est avec un réel respect mutuel que nous avons abordé les questions relatives à l'implantation et au développement des nouvelles technologies. Ces questions étaient les suivantes :

  • Quels étaient les grands enjeux futurs pour les populations exclues et marginalisées?
  • Quelle serait la place de la conscientisation dans ce nouveau champ d'intervention?
  • Jusqu'où irions-nous en ce qui a trait à l'implantation de l'informatique au Carrefour? Étions-nous prêtEs à investir dans ce champ d'intervention? Si oui, quelles seraient les limites?

Nos réflexions et débats nous ont menéEs à appuyer l'introduction de l'ordinateur dans notre milieu. Nous avons pris ensemble la position suivante : « L'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication était devenu un incontournable pour la population que nous rejoignons si nous voulons réduire l'écart entre les classes sociales et poursuivre notre lutte à l'exclusion. En effet, nous croyons que l'accès limité au monde informatique et par conséquent à la société informatisée devient un obstacle supplémentaire et majeur au plein exercice de la citoyenneté. Les personnes faiblement alphabétisées et peu scolarisées sont encore une fois marginalisées et exclues2. »

1.4 Et en alphabétisation populaire?

Actuellement, tous les ateliers d'alphabétisation comprennent un volet d'apprentissage technique d'utilisation de l'ordinateur lié à l'apprentissage du français et du calcul. Ceux et celles qui le désirent peuvent également s'inscrire à des ateliers d'initiation à l'ordinateur où ils auront l'occasion de se familiariser avec cet outil et d'explorer davantage les différents logiciels. Enfin, les plus audacieux peuvent s'initier à Internet ou venir s'entraîner pendant les ateliers libres.

Il va sans dire que le développement de ce champ d'intervention a eu des conséquences considérables sur nos pratiques d'alphabétisation. Au-delà des interrogations de l'équipe du Carrefour, les questions qui préoccupaient les formatrices en alphabétisation étaient les suivantes :

  • Valait-il la peine de tant investir sur l'aspect technique?
  • Étions-nous prêtes à consacrer tant de temps à l'organisation des ateliers au détriment peut-être de la recherche pédagogique? Le jeu en valait-il vraiment la chandelle?
  • Quel serait l'impact de ces outils sur nos pratiques à plus long terme?
  • Irions-nous jusqu'à repenser notre approche et nos interventions en alphabétisation populaire?
  • Ces outils allaient-ils créer des obstacles supplémentaires pour les participantEs?
  • Seraient-ils une source de motivation, de peur ou de curiosité? La situation d'apprentissage allait-elle en partie nous échapper3?

Comme nous l'avons déjà mentionné, les participantEs en alphabétisation étaient curieux et très motivéEs. L'utilisation de l'ordinateur les fascinait, et ils démontraient énormément d'intérêt. Du point de vue des formatrices, la réalité était parfois bien différente. En effet, la pratique nous réservait régulièrement des surprises. Dans la conception des exercices, il était plus difficile de distinguer les difficultés liées à l'utilisation de l'ordinateur de celles liées à la tâche elle-même. CertainEs participantEs étaient plus craintifs et plus lents. Les écarts entre les participantEs se creusaient. Le travail à l'ordinateur demandait une plus grande attention individuelle; le travail en groupe semblait moins populaire. Nous étions parfois incapables de régler les problèmes techniques inévitables en informatique, plus particulièrement parce que nous disposions d'un équipement désuet. Nous devions souvent prévoir des ateliers de dépannage et composer avec la déception des participantEs. Enfin, la situation exigeait une grande capacité d'adaptation, et nous devions consacrer beaucoup plus de temps à la conception et à l'évaluation de nos interventions.

« Situation peu commune, les formatrices devaient s'adapter à ce nouveau contexte en même temps qu'elles développaient ce secteur d'activités, transmettre tout en apprenant sans toujours maîtriser les outils. Les difficultés techniques, l'incertitude et le doute engendrés par cette situation les ont d'ailleurs par moments découragées4. »

1.5 De la pratique à la théorie : le monde de la recherche

Parce que ce nouveau contexte d'apprentissage soulevait de nombreuses questions sur le plan pédagogique, nous avons senti le besoin de créer des espaces de réflexion et d'exploration pour le secteur de l'alphabétisation. Nous nous sommes alors tournées vers la recherche. Nous voulions découvrir de nouveaux outils, mieux comprendre nos interventions et les réactions des participantEs. L'arrivée des nouvelles technologies venait non seulement bouleverser nos pratiques, elle exigeait un regard neuf sur l'apprentissage.

En 1996, le secteur alphabétisation présentait son premier projet de recherche dans le cadre du programme des Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation (IFPCA). De type exploratoire, cette recherche visait à évaluer quelques centaines de logiciels éducatifs dans le but de sélectionner ceux qu'il serait intéressant et pertinent d'utiliser dans le cadre d'ateliers d'alphabétisation. En 1997 et en 1999, nous avons d'ailleurs publié deux répertoires à ce sujet5.

Cette première démarche consistait à évaluer des logiciels dans le but de publier un répertoire utile aux intervenantEs en alphabétisation. Les logiciels étaient alors évalués uniquement par des formatrices. Ces dernières ont vite repéré les cédéroms intéressants et ont aussi vite compris qu'en dépit du caractère stimulant de ces nouveaux outils, leur intégration aux ateliers ne se ferait pas sans difficultés.

« Sur le plan pédagogique, on rencontrait aussi des obstacles importants. Étant majoritairement conçus pour les jeunes, la facture des logiciels est souvent infantilisante. De plus, étant souvent bâtis en fonction d'un programme scolaire progressif, les exercices sont présentés de façon peu compatible avec une approche d'alphabétisation populaire. On peut rarement utiliser un logiciel de façon intégrale du début jusqu'à la fin. Il faudra être créatif et créer un contexte pédagogique favorable à l'autonomie si on veut profiter pleinement des avantages qu'ils présentent sur le plan des apprentissages6. »

Nous devions donc repenser la situation d'apprentissage avec les participantEs si nous voulions faire un usage adéquat des logiciels et en tirer le maximum de profit sur le plan pédagogique. Nous voulions observer les participantEs à l'œuvre. C'est ainsi qu'en 1998, nous avons présenté une deuxième recherche, cette fois dans le cadre du programme fédéral du Bureau des technologies d'apprentissage (BTA).

Le but de notre projet était de voir comment et dans quelles conditions nous pouvions rendre les logiciels accessibles aux adultes, dans le contexte d'une démarche d'alphabétisation populaire. La première année (1999), nous avons observé 11 participantEs représentant les trois niveaux d'alphabétisation pendant qu'ils utilisaient les logiciels. Nous voulions cerner les principales difficultés liées à leur faible niveau d'alphabétisme dans le but, la deuxième année, d'élaborer et d'expérimenter, dans le cadre d'une démarche d'alphabétisation populaire, des scénarios d'apprentissage permettant de contrer les difficultés préalablement rencontrées.

La première année, les participantEs travaillaient individuellement ou en groupes de deux ou trois. ChacunE disposait d'un ordinateur et utilisait des logiciels préalablement choisis par les formatrices. La personne responsable de la recherche ne devait intervenir que pour guider les participantEs en cas de difficulté en leur offrant un soutien discret. L'expérimentation a duré quinze semaines en raison d'une rencontre de trois heures par semaine par participantE.

Il va sans dire que nous étions captivées par les réactions des participantEs lors de l'expérimentation. Les observer à l'œuvre, explorant librement les logiciels avec un minimum de consignes et d'encadrement, sans objectifs pédagogiques précis, était une situation idéale pour apprendre à mieux connaître leur processus d'apprentissage. Fait intéressant et révélateur, nous constations qu'une fois le stade de la peur et de l'anxiété dépassé, apparaissaient chez les participantEs le plaisir, la satisfaction et la fierté. Contrairement à ce que nous avions prévu, les participantEs apprenaient à surmonter d'eux-mêmes les obstacles. Cette situation nous étonnait. En effet, notre expérience en alphabétisation nous portait à croire que l'ordinateur, et de surcroît l'exploration de nouveaux logiciels, créeraient chez les participantEs des difficultés supplémentaires.

D'après notre expérience, la source des obstacles que rencontrent les personnes peu alphabétisées lorsqu'elles apprennent à lire se situe sur le plan des résistances à l'apprentissage. Dans les ateliers réguliers de lecture et d'écriture, nous observons en effet que la plupart de nos participantEs sont souvent déstabiliséEs par le changement. Les imprévus les irritent et les paralysent. Nous remarquons que face à un apprentissage plus complexe qui nécessite des habiletés liées à la lecture et à l'écriture, ils partent souvent perdants et se découragent rapidement. Or, dans le contexte de notre expérimentation, la situation était tout autre. Nous constations les effets bénéfiques de l'émerveillement face à la nouveauté, de la curiosité suscitée par l'expérimentation et de la stimulation créée par l'emploi d'un nouvel outil d'apprentissage. Tous les participantEs affirmaient avoir le goût d'apprendre et désiraient aller plus loin. Ils prenaient conscience de leurs habiletés et de leurs forces.

1.6 Un regard neuf sur l'apprentissage

Une situation d'apprentissage inhabituelle est une occasion unique pour les formatrices de découvrir les participantEs, d'en apprendre plus sur leurs intérêts et leur façon d'apprendre. De plus, cela nous oblige à questionner les préconceptions ou les idées que nous avons tirées de notre expérience et à voir les réalités sous un angle nouveau. Nous déconstruisons en même temps que nous nous ouvrons à de nouvelles perceptions. Comme nous le notions dans notre rapport BTA : « La nouveauté des outils et du contexte incite les participantEs à s'observer et à se questionner, ce qui présente une occasion privilégiée pour se pencher sur des stratégies d'apprentissage comme l'observation, la comparaison, l'anticipation ou la capacité à faire des liens. Ils développent le réflexe de faire appel à leur mémoire, ils prennent davantage conscience de leur façon de faire. Ils passent en revue les étapes franchies pour arriver au résultat7. »

Bref, nous nous sommes rendu compte que si la recherche a pour fonction de répondre à des questions, elle suscite en même temps des interrogations nouvelles. Ainsi, nous étions surprises par les réactions positives inhabituelles de nos participantEs devant les logiciels et nous voulions en savoir plus. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture, même dans des lieux comme les centres d'éducation et d'alphabétisation populaires, suscite d'habitude chez les participantEs des sentiments déficitaires et douloureux attribuables à des expériences antérieures. Nous pensions que si nous comprenions mieux leurs résistances, nous pourrions aider les participantEs à prendre conscience de leurs capacités d'apprendre et à travailler sur les facteurs qui influencent leur processus d'apprentissage. Nous espérions ainsi les aider à surmonter certains obstacles et à tirer un plus grand profit de la situation d'apprentissage, voire même encourager les adultes à s'engager dans de nouvelles situations d'apprentissage.

1.7 Nos objectifs de recherche

L'objectif initial de notre recherche était d'explorer des outils ou démarches pédagogiques qui nous permettraient de mieux comprendre la nature du processus d'apprentissage et l'origine des résistances des participantEs, afin de leur offrir des outils concrets et transférables à d'autres situations d'apprentissage. Nous voulions explorer ce sujet de façon qualitative, au moyen d'entrevues individuelles avec une dizaine d'apprenantEs, pour mieux comprendre leurs perceptions, conceptions et résistances concernant l'apprentissage.

Nous avons effectué une revue de la littérature qui nous a permis de mieux cerner notre objet de recherche (voir chapitre 2). Les travaux de Louise Lafortune8 sur les facteurs émotionnels qui influencent les apprentissages nous ont beaucoup inspirées. Nous avons pu constater que nous avions vu juste en pensant établir des parallèles éclairants entre les résistances des femmes aux mathématiques et la situation que nous nous proposions d'étudier.

Par ailleurs, nous voulions explorer deux approches pédagogiques liées aux stratégies d'apprentissage, soit l'enseignement stratégique et l'Actualisation du potentiel intellectuel (API). Or, nous avons changé notre perspective au cours du processus de recherche. En effet, nous avons plutôt utilisé ces deux approches pour mieux comprendre les résistances, mais sans faire un choix d'expérimenter l'une ou l'autre en ateliers. Le changement de pratiques s'inscrira plutôt, nous l'espérons, dans les retombées de cette recherche. On verra dans les chapitres suivants comment nous avons intégré des éléments théoriques de ces approches et comment nous avons utilisé le test Profil d'efficience cognitive et sur demande (PESD), un instrument lié à l'API, comme un moyen d'observer les stratégies des apprenantEs participant à la recherche.

Après plusieurs discussions, lectures et questionnements en équipe, notre objet de recherche se lit comme suit :

  • Explorer, avec dix participantEs aux ateliers d'alphabétisation au Carrefour, leurs résistances, principalement sur le plan affectif, ainsi que leurs stratégies d'apprentissage.

Le chapitre qui suit présente, au moyen de la revue de littérature, les concepts qui nous ont guidées dans cette recherche.

Chapitre 2 : Problématique de recherche

Tel que nous l'exprimions au chapitre précédent, nous avons voulu mieux comprendre la nature du processus d'apprentissage et explorer les résistances ou les facteurs affectifs qui ont un impact sur celui-ci, dans le but d'améliorer nos pratiques et d'aider les participantEs dans leurs apprentissages en alphabétisation. Dans ce chapitre, nous précisons le cadre théorique dans lequel se situe notre recherche. Nous présentons une brève description des concepts que nous avons explorés, à partir d'une sélection d'auteurEs, de chercheurs et de chercheuses qui nous semblent les plus pertinents.

Nous avons effectué la revue de littérature dans l'optique de clarifier certaines notions, d'en mettre d'autres à jour, de prendre du recul pour mieux comprendre la réalité étudiée, de vérifier certaines de nos intuitions, de nous doter de définitions utiles et pertinentes, de cerner notre objet de recherche, de construire l'outil de collecte de données et d'analyser nos résultats.

Les concepts que nous avons explorés sont les suivants : l'apprentissage, les résistances à l'apprentissage, les facteurs affectifs dans l'apprentissage, les stratégies d'apprentissage et la métacognition. Enfin, nous présentons brièvement les fondements théoriques du programme de l'Actualisation du potentiel intellectuel (API). Bien que distincts, tous ces concepts n'en demeurent pas moins interreliés.

2.1 L'apprentissage

Depuis des décennies, des chercheurs ont étudié le phénomène de l'apprentissage. Au début de notre recherche, nous avons fait un exercice qui consistait à recueillir presque au hasard des définitions de l'apprentissage, dont certaines dataient de plus de vingt ans. Nous les avons comparées, puis avons relevé les notions similaires dans chacune d'entre elles et celles qui pouvaient avoir un lien avec notre recherche. Nous les avons aussi comparées à notre propre conception de l'apprentissage.

Ainsi, le Dictionnaire actuel de l'éducation définit l'apprentissage comme « l'acquisition de connaissances et le développement d'habiletés, d'attitudes et de valeurs qui s'ajoutent à la structure cognitive d'une personne. Processus qui permet l'évolution de la synthèse des savoirs, des habiletés, des attitudes et des valeurs d'une personne9. »

Pour Jacques Tardif, un des auteurs québécois qui ont défini l'enseignement stratégique, l'apprentissage représente « un processus actif et constructif de traitement de l'information. Plus les connaissances sont organisées et reliées entre elles, plus elles sont significatives et réutilisables fonctionnellement. » Et il précise que l'apprentissage est « l'acquisition d'un répertoire de connaissances et de stratégies cognitives et métacognitives10 ».

Selon Guy Robidas, l'apprentissage est « un processus cognitif qui, grâce à une interaction entre l'organisme et l'environnement, permet à l'être vivant, à partir de son expérience passée, de modifier son comportement » ; c'est aussi « un processus interne et actif qui engage tout l'être de l'apprenant dans ses dimensions physiologiques, émotives et intellectuelles11 ».

Pour les auteurs Bertrand et Aznour12, apprendre désigne «  un processus faisant appel aux connaissances acquises précédemment et à tout le bagage expérientiel de l'apprenant  ». Selon eux, apprendre, c'est également « s'outiller, acquérir des connaissances, des habiletés et des attitudes réutilisables pour apprendre de nouvelles choses et pour, conséquemment, mieux agir ». C'est aussi « un processus personnel et intérieur, lié à des besoins, des intérêts, des motivations ». Enfin, l'apprentissage est « une construction de soi, qui ne s'arrête qu'avec la fin de la vie de l'individu ».

Le Carrefour avait déjà, en 1983, publié un document13 dans lequel était présenté un modèle d'apprentissage lié aux caractéristiques personnelles des apprenants. Ce modèle s'actualisait dans une approche dynamique tenant compte des acquisitions antérieures et où chacunE acquiert les connaissances à son rythme. L'alphabétisation pratiquée à cette époque au Carrefour était déjà conçue comme une formation globale incluant les dimensions sociale et culturelle des individus ainsi que leur histoire personnelle.

Les intervenants du Carrefour avaient déjà noté à ce moment-là que la référence aux connaissances antérieures des participantEs s'avérait un bon moyen pour faciliter l'intégration de nouveaux savoirs. Avec les années, parallèlement au développement de nouvelles théories de l'apprentissage et de nouveaux courants pédagogiques, le secteur alpha du Carrefour a continué de se questionner sur le phénomène de l'apprentissage.

Lors d'une recherche-action effectuée avec le Bureau des technologies d'apprentissage portant sur l'utilisation des logiciels éducatifs dans une démarche d'alphabétisation populaire, l'équipe de recherche a énoncé les éléments dont elle veut tenir compte à l'intérieur d'une définition de l'apprentissage :

« L'apprentissage est un phénomène complexe à l'intérieur duquel interviennent différents facteurs d'ordre cognitif, affectif, psychologique et social. La perception que l'on a de sa propre façon d'apprendre, la connaissance de ses stratégies d'apprentissage, les souvenirs et les sentiments liés aux premiers apprentissages sont tout aussi déterminants que les facteurs cognitifs ou plus spécifiquement pédagogiques14. »

Quand on regarde les éléments communs de ces définitions, on remarque que l'apprentissage est défini comme un processus à l'intérieur duquel l'apprenantE est actif En fait, la personne qui apprend est au cœur de son apprentissage. Elle est en action, en évolution ainsi qu'en changement et fait appel à toutes ses ressources cognitives et émotives. Elle peut aussi, à tout moment de sa vie, modifier ce processus ; elle peut s'ouvrir d'avantage à l'extérieur comme elle peut aussi se replier sur elle-même. On comprend donc l'essence même de la nature des mots employés dans ces définitions : processus, construction, évolution, interaction, dynamisme. L'apprentissage est donc un mouvement incessant du début à la fin de la vie. Cette conception de l'apprentissage ouvre grandes les portes pour ceux et celles qui désirent s'engager dans de nouvelles situations d'apprentissage. Savoir qu'on apprend à tout moment de la vie, qu'on peut développer ses capacités et élargir ses champs d'action stimule la création et le désir d'apprendre.

Au Carrefour, les participantEs ont la possibilité de se retrouver dans diverses situations d'apprentissage. En plus des ateliers d'alphabétisation et d'initiation à l'ordinateur, toutes et tous peuvent faire partie de comités, notamment le conseil d'administration, et suivre des cours de cuisine, de couture et de vitrail. Ce contexte leur permet de faire divers apprentissages comme prendre la parole, confronter ses idées, organiser des événements, prendre des initiatives et des décisions, réaliser des travaux pratiques, etc. Cela peut les aider à mettre en lumière leurs habiletés et leurs compétences.

Or, on remarque que les personnes en démarche d'alphabétisation ont peu confiance en leur capacité de faire de nouveaux apprentissages, principalement en lecture et en écriture. Elles sont souvent aux prises avec une image négative d'elles-mêmes qui leur est renvoyée depuis longtemps. Elles sont convaincues qu'elles ont la tête dure ou simplement ailleurs. Elles pensent aussi très souvent que de toute façon il est trop tard, qu'à un certain âge on n'apprend plus. Dans une situation d'apprentissage plus abstraite comme la lecture et l'écriture, qui de surcroît leur rappelle des souvenirs douloureux, elles se sentent démunies et éprouvent souvent une certaine forme de désarroi. Ces facteurs peuvent se manifester chez plusieurs d'entre elles par des résistances.

2.2 Les résistances à l'apprentissage

La notion de résistance est associée à des domaines comme la physique, la psychologie, la sociologie ou la pédagogie. Elle évoque presque inévitablement l'opposition, l'adversité, la lutte ou le refus. Elle se manifeste sous la forme d'une force qu'un individu ou un groupe social oppose à une autre force. On sait, par exemple, que les phénomènes provoqués par le changement peuvent souvent être neutralisés par des formes de résistance à ces changements.

Dans le Dictionnaire actuel de l'éducation, la résistance est définie comme « tout ce qui, au cours d'une situation pédagogique, empêche le sujet d'accéder à l'apprentissage15 ».

Comme nous venons de le mentionner, l'apprentissage est un processus, une construction; en situation d'apprentissage, la personne évolue et doit nécessairement affronter le changement. Or on le sait, le changement provoque souvent un phénomène de résistance. Cette résistance peut prendre la forme d'une pause, d'un retrait momentané dont l'individu aura besoin pour mieux comprendre ce qu'il vit. Elle peut également se manifester sous forme de refus, d'obstruction, d'opposition ou de blocage. La résistance aura pour fonction de permettre à l'individu de se protéger, d'éviter des situations jugées néfastes ou menaçantes, de neutraliser une agression ou plus simplement de s'arrêter avant de s'approprier les diverses composantes d'une situation.

Chez les participantEs en alphabétisation, on remarque que les résistances devant les apprentissages sont souvent associées à des émotions liées à des souvenirs douloureux. Conscientes ou inconscientes, ces formes de résistance leur permettent de se protéger. Les résistances se manifestent par une tendance au défaitisme, ou parfois même à refuser de s'engager dans certaines situations; elles prennent la forme d'émotions comme la peur, l'anxiété ou la gêne. Elles peuvent provoquer des réactions comme l'hésitation, l'évitement, la rigidité et la passivité. Les participantEs nomment souvent les résistances comme des « blocages » qu'ils s'expliquent mal. C'est dans le but de mieux comprendre ces « blocages  » que nous allons maintenant aborder les facteurs affectifs liés à l'apprentissage.

2.3 Les facteurs affectifs

En 1976, Jacques Nimier publiait un ouvrage marquant intitulé Mathématiques et affectivité à l'intérieur duquel il stipulait que les mathématiques ne se font pas qu'avec la tête et que l'apprenant ne peut se réduire qu'à un cerveau, et ce, que ce soit en mathématiques ou ailleurs. De nombreux chercheurs se sont aussi penchés sur les échecs attribuables à des blocages affectifs et ont élaboré l'hypothèse selon laquelle certains échecs ne sont pas liés nécessairement à un manque d'effort ou à une limite sur le plan intellectuel.

Louise Lafortune est l'une de celles qui, depuis plusieurs années, se penchent sur le phénomène des résistances des femmes face aux mathématiques. S'inspirant entre autres des travaux de Sheila Tobias16, elle a exploré dans ses recherches les liens entre blocages cognitifs et blocages affectifs. Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes principalement arrêtées sur un de ses livres, co-écrit avec Lise Saint-Pierre17.

Nous avons retenu les composantes qui, selon ces deux chercheuses, forment la catégorie générale du domaine affectif: attitude, émotion, attribution, confiance en soi et motivation. Nous avons enrichi la notion de confiance en soi en y intégrant des éléments contenus dans ce que François Ruph18 appelle le sentiment de compétence qui, selon nous, joue un rôle essentiel dans l'engagement et la persistance des apprenantEs dans leurs apprentissages. Idéalement, on peut se figurer que si une personne a une attitude positive envers ce qu'elle souhaite apprendre et envers ses propres capacités, qu'elle ressent des émotions favorables durant la phase d'apprentissage, qu'elle est convaincue de sa réussite si elle consent les efforts nécessaires, tout cela favorisera l'accomplissement de la tâche.

Attitude

Selon le Dictionnaire actuel de l'éducation, « une attitude est un état d'esprit (sensation, perception, idée, conviction, sentiment, préjugé...), une disposition intérieure acquise à l'égard de soi ou de tout élément de son environnement (personne, chose, situation, événement, idéologie, mode d'expression...) qui incite à une manière d'être ou d'agir favorable ou défavorable19 ».

Or on sait par expérience que, comme le dit Sylvie Roy, « plusieurs personnes inscrites en alphabétisation ont une perception négative d'elles-mêmes ; elles se sentent inférieures, à l'écart des autres. Elles éprouvent de la gêne ou de la honte devant leurs difficultés et ont certaines craintes ou blocages devant l'apprentissage, en raison de la peur d'un nouvel échec20 »

On comprend que l'attitude face à un apprentissage relève souvent de ce que nous avons intériorisé sur notre façon de nous comporter dans une situation similaire. Or, les personnes analphabètes se perçoivent comme des gens qui n'apprennent pas ou difficilement. Elles disent avoir la tête dure, ne pas avoir de mémoire ; leur passé scolaire est souvent douloureux, et les souvenirs qu'elles en gardent sont porteurs de sentiments négatifs. Tous ces facteurs déclenchent rapidement une attitude fermée face à la lecture et à l'écriture. Même dans un groupe d'alphabétisation populaire, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture les ramène trop souvent à leur passé avec tout ce qu'il comporte de difficultés, d'humiliations et malheureusement d'échecs successifs.

Émotion

Selon Sillamy, « une émotion est une réaction affective, heureuse ou pénible, se manifestant de diverses façons21 ». Parce que nous en faisons tous l'expérience quotidiennement, l'univers des émotions est un domaine connu. Le rôle des émotions dans l'apprentissage n'est cependant pas toujours bien compris. Les émotions face à l'objet d'apprentissage peuvent parfois jouer un rôle déterminant en bloquant l'accès aux ressources cognitives nécessaires à l'accomplissement de la tâche. Des émotions négatives comme la gêne, la frustration ou le découragement, si elles sont ressenties fortement, peuvent faire écran aux différentes ressources dont les participantEs disposent et auxquelles ils pourraient faire appel.

Lors de ses recherches, Louise Lafortune a noté que l'anxiété était l'émotion la plus souvent éprouvée lors de difficultés d'apprentissage en mathématiques: « L'anxiété à l'égard des mathématiques peut empêcher l'étudiant ou l'étudiante, adulte ou jeune, de faire des mathématiques : à la seule évocation d'avoir à en faire, la personne anxieuse panique et cherche des moyens pour éviter d'être en contact avec cette discipline22. »

Cette anxiété est particulièrement présente chez les apprenantEs adultes en processus d'alphabétisation. Toutes les manifestations de l'anxiété entraînent souvent une forme de désordre, de désorganisation mentale qui peut mener à l'échec. Afin d'éviter le sentiment de perte de contrôle qui l'accompagne, les participantEs auront tendance à s'éloigner de la tâche, à perdre le contact avec ce qu'ils ont à faire. Plusieurs personnes éviteront même de se placer dans des situations qui déclencheront chez elles de l'anxiété.

Attribution

Selon Roch Chouinard23, une attribution est une cause invoquée par une personne et dont la fonction est d'expliquer pourquoi un événement a eu lieu. Les raisons qui justifient un succès ou un échec sont des attributions causales. Les principales attributions utilisées pour expliquer le succès et l'échec scolaire sont l'aide, la chance, la difficulté de la tâche, l'habileté et l'effort

Chouinard présente l'attribution comme un facteur déterminant dans le comportement de la personne placée devant une situation d'apprentissage. Chaque attribution du succès ou de l'échec de l'apprentissage aurait au minimum trois caractéristiques : un lieu de contrôle, un niveau de stabilité et un niveau de contrôlabilité. Le lieu de contrôle indique d'où vient l'attribution ; il peut être externe ou interne. Par exemple, la chance est un lieu de contrôle externe, alors que l'effort fourni par la personne qui apprend représente un lieu interne. Une attribution est stable si elle s'applique à un élément qui demeure dans le temps et qui est inné ; ainsi, le talent est perçu comme une attribution stable, alors que la chance ou le hasard est une attribution instable. Enfin, la contrôlabilité est le degré de pouvoir que la personne a sur l'attribution : la chance est un facteur incontrôlable, contrairement à l'effort, qui peut dans bien des cas peut être contrôlé ou modifié.

Tableau I : Modèle attributionnel : relations entre les attributions, leurs caractéristiques, les émotions et la motivation

Exemples d'attributionLieu de contrôleStabilitéContrôlabilitéAffect - SuccèsAffect - ÉchecEffet sur la motivation et la tâche

Aide : « Le prof m'a aidé »; « Le prof est toujours absent »

Externe

Instable

Incontrôlable

Gratitude envers l'agent d'aide

Colère envers l'agent d'aide

Chance : « J'ai été chanceux »; « Je n'ai pas eu de chance »

Externe

Instable

Incontrôlable

Surprise

Résignation

Tâche : « L'examen était facile »; « Les maths, c'est difficile »

Externe

Stable (pareil la prochaine fois)

Incontrôlable

Désintérêt (défi peu réaliste)

Colère (défi peu réaliste)

Habileté : « Je suis bon dans cette matière »; « Je ne suis pas capable »

Interne

Stable

Incontrôlable

Fierté (Confiance en soi, sentiment de compétence)

Honte (Résignation)

Plus (+) (si succès); Moins (-) (si échec)

Efforts et stratégies : « J'ai étudié fort »; « J'aurais dû étudier plus »; « J'ai utilisé un truc efficace »; « Je n'ai pas fait ce qu'il fallait »

Interne

Instable

Contrôlable

Fierté (Confiance en soi, sentiment de compétence)

Culpabilité; Honte (moins si attribution aux stratégies)

Tableau inspiré de Weiner (1985), tiré de Chouinard, Roch (1992), « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire : théorie et intervention », Traces, vol. 30, n° 5, p. 23.

Dans son ouvrage sur l'apprentissage et l'enseignement de la lecture, Sylvie Roy affirme ce qui suit : « En général les adultes inscrits en alphabétisation ont la perception qu'ils n'ont pas ou peu de contrôle sur leur apprentissage. En raison de leurs échecs successifs, en lecture notamment, ils ont peu à peu développé un sentiment d'impuissance... Leur expérience d'apprentissage les a amenés à attribuer leurs difficultés à des causes externes ou à des causes immuables sur lesquelles ils n'ont pas de contrôle. Ces conceptions se retrouvent renforcées à chaque nouvel échec, qui à son tour entraîne une perte de motivation à apprendre ("je le savais que j'étais pas capable")24. »

Chouinard souligne aussi l'interaction entre l'attribution, les émotions et la motivation et précise que ces éléments peuvent être multiplicatifs. En effet, aux attributions servant à justifier un échec ou un succès sont attachées diverses émotions positives ou négatives. Les principales émotions relevées sont la culpabilité, la gratitude, la colère, le désintérêt et la fierté. Or, la motivation à s'investir dans une tâche est directement et fortement liée aux chances de réussite que l'apprenantE pense avoir. Si une personne pense qu'elle n'est pas apte à réussir une tâche et qu'elle se sent coupable et déprimée, sa motivation sera certainement très faible.

Cette interaction entre attribution, émotions et motivation s'avère d'ailleurs un élément fort intéressant dans notre recherche. Par exemple, si une personne manque de confiance en elle dans une situation d'apprentissage en lecture et en écriture, elle aura souvent tendance à attribuer son succès à un facteur extérieur tel que le rôle de la formatrice. Étant convaincue au départ qu'elle ne réussira pas seule, la personne analphabète risque également d'être peu motivée à entreprendre une tâche de façon autonome et d'y consentir les efforts requis. Si cette même personne reconnaissait la valeur de ses efforts, elle pourrait y trouver une source de motivation beaucoup plus forte. Le sentiment de ne pas avoir le talent nécessaire pour résoudre un problème ou effectuer une tâche amène l'apprenantE à abandonner, à ne pas chercher par lui-même de stratégies de solution. Les personnes qui ont une image négative d'elles-mêmes en tant qu'apprenantEs auront tendance à retenir leurs échecs plutôt que leurs réussites, ce qui est fréquent chez les adultes en processus d'alphabétisation. Ceux-ci ont, malheureusement, été pour la plupart si souvent en situation d'échec qu'ils n'arrivent plus à attribuer leurs réussites à la pertinence de leurs efforts ou de leurs habiletés.

Confiance en soi et sentiment de compétence

La confiance ou l'estime de soi est une construction étroitement liée à l'interprétation que nous faisons de nos expériences, de nos réussites. De plus, le regard des autres, l'image qui nous est reflétée depuis notre enfance influencent grandement l'interprétation que nous faisons de nous-mêmes ; cela contribue à construire l'assurance ou le manque d'assurance que nous manifestons dans différentes situations.

Comme l'indique Sylvie Roy, « certaines personnes (inscrites en alphabétisation) ne reconnaissent pas leurs difficultés ; elles sont par exemple persuadées de leur compétence dans des domaines où elles ne possèdent que des connaissances rudimentaires. Certaines affirment être capables de lire, même si elles ont peine à se servir de l'information d'un texte, à en résumer le contenu. Toutes ces attitudes ont souvent un point commun : préserver son estime de soi, se protéger contre le jugement d'autrui. Elles témoignent d'un manque de confiance devant l'apprentissage et de conceptions erronées de la lecture25. » À l'inverse de ce qui est décrit, nous rencontrons régulièrement des gens qui sous-évaluent leurs connaissances et leurs habiletés à l'écrit, particulièrement au moment de la première rencontre avec la formatrice et les autres participantEs. Nous découvrons que ce comportement est aussi généré par un manque de confiance en soi. C'est une forme de cercle vicieux : la réussite augmente la confiance en soi, laquelle favorise à son tour la réussite.

François Ruph apporte un élément clé qui nous permet de construire un pont entre les résistances affectives et les stratégies d'apprentissage en précisant le rôle central du sentiment de compétence : « Les changements rapides des technologies et la croissance exponentielle des connaissances favorisent les apprenants efficients et capables d'autonomie. Pour les personnes, le sentiment de sa compétence à apprendre représente un aspect particulier du sentiment d'être en contrôle de sa vie. Le sentiment de compétence est une variable particulièrement importante du fonctionnement humain. Il est un facteur clé de la motivation à apprendre, de l'engagement cognitif dans les activités de formation et dans les choix académiques et professionnels. Il influence directement et indirectement le rendement des résultats de l'apprentissage et conditionne les états affectifs face aux défis de la vie quotidienne, scolaire, professionnelle26. »

Selon Ruph, les sentiments, les jugements, la perception que nous avons de notre propre compétence auront un impact majeur sur notre engagement à effectuer une tâche. Plus le sentiment de compétence sera faible, moins l'apprenantE aura envie de s'investir dans une tâche. Cela va de pair avec une attribution des succès à des causes externes ou incontrôlables telles que la chance, le hasard ou encore l'aide de la formatrice. Vu sous cet angle, le rehaussement du sentiment de compétence devient presque un préalable à l'utilisation de stratégies variées ou efficaces ; inversement, l'utilisation adéquate de ces ressources renforce le sentiment de compétence en augmentant les chances de réussite attribuables aux habiletés de la personne. En effet, à quoi bon investir temps et effort si on considère que les dés sont déjà jetés?

Toujours selon Ruph, la réussite d'une tâche repose beaucoup plus sur ce que l'individu pense être capable d'accomplir que sur son réel potentiel. Ruph parle du lien entre le sentiment de compétence et les processus cognitifs, les processus motivationnels et les processus affectifs. Si, dans un contexte donné, les participantEs peuvent mettre en valeur leurs habiletés et leurs connaissances dans l'exécution réussie d'une tâche, ils auront certainement tendance à éprouver un sentiment de compétence plus solide, ce qui pourrait jouer un rôle moteur en les stimulant à faire appel à leurs ressources et à persister à franchir les obstacles éventuels.

Motivation

Selon Jacques Tardif, qui la définit selon la psychologie cognitive, « la motivation scolaire est essentiellement définie comme l'engagement, la participation et la persistance de l'élève dans une tâche. Elle se trouve donc à toutes les étapes de réalisation d'une tâche27. » En ce sens, la motivation aura un impact à la fois sur le choix d'entreprendre une activité d'apprentissage, sur l'intensité de l'engagement des participantEs et sur leur persévérance dans la réalisation de leur projet.

L'attitude de l'adulte face à l'apprentissage, les émotions ressenties et les croyances entretenues relativement à l'attribution de ses succès ou échecs influencent grandement son degré de motivation. On comprend facilement que si une personne est persuadée qu'elle ne réussira pas une tâche, elle sera peu motivée à l'entreprendre et encore moins à y consentir des efforts : « La motivation à accomplir une tâche dépend du produit de l'estimation que la personne fait de ses chances de réussite et de la valeur qu'elle attribue à ce succès28. » Autrement dit, si une personne estime que ses chances de réussite sont minimes et que, de plus, elle est convaincue qu'accomplir cette tâche ne lui apportera pas grand-chose, elle aura peu d'intérêt à persister, sa motivation sera faible et elle aura probablement l'idée d'abandonner en cours de route. Les sentiments déficitaires que les participantEs ont acquis au cours de leurs expériences antérieures et les croyances négatives qu'ils entretiennent sur leur capacité à réussir conditionnent sûrement leur faible degré de motivation.

2.4 Les stratégies d'apprentissage

Comme nous l'avons déjà mentionné, nous voulions, au cours de notre recherche, étudier les résistances affectives à l'apprentissage chez nos participantEs et voir si une utilisation plus consciente et plus étendue des stratégies pourrait les aider à surmonter ces résistances. En effet, nous pensions que la compréhension, la maîtrise et l'élargissement de leurs stratégies d'apprentissage seraient susceptibles d'accroître leur capacité d'apprendre en les rendant plus conscientEs de leurs ressources.

C'est surtout à la psychologie cognitive que nous devons le concept de stratégie d'apprentissage. Essentiellement, cette partie de la psychologie se penche sur l'étude des processus mentaux dans la construction et l'appropriation des apprentissages. Dans son ouvrage, Sylvie Roy nous présente une courte synthèse que nous jugeons utile de présenter intégralement ici : « Selon Tardif (1992, p. 23), une stratégie est conçue comme "la planification et la coordination d'un ensemble d'opérations en vue d'atteindre efficacement un objectif. On définit aussi les stratégies d'apprentissage comme "des pensées et des actions utilisées par l'élève alors qu'il apprend" (Archambault et Chouinard, 1996, p. 84). Une stratégie est donc un moyen intentionnel que l'on choisit afin d'accomplir une tâche. Les stratégies de lecture désignent donc tous les moyens délibérés qu'utilise un lecteur pour comprendre sa lecture et gérer sa compréhension. Les mots "délibéré", "conscient", "intentionnel", sont essentiels à la définition d'une stratégie29. »

Observer, gérer son impulsivité, faire des liens, comparer, explorer méthodiquement, regrouper, décomposer sont toutes des stratégies d'apprentissage. Celles-ci sont nombreuses et agissent le plus souvent simultanément et en interrelation les unes avec les autres. L'accomplissement d'une tâche nécessite la mise en œuvre coordonnée de plusieurs stratégies qui, une fois bien assimilées, finissent par s'intégrer dans un comportement automatisé. On fait rarement appel à une seule stratégie. Le choix des stratégies dépendra de la tâche à accomplir, de la personne qui l'exécute et du contexte. « Pour juger de la valeur d'une stratégie, il faut tenir compte du temps, de l'investissement cognitif qu'elle demande et de son efficacité30. » On distingue deux types de stratégies : les stratégies spécifiques, celles que l'on utilise directement au moment de la réalisation de la tâche, comme l'observation ou la comparaison, et les stratégies métacognitives, qui gèrent le processus d'apprentissage comme la sélection dés stratégies ou la planification de la tâche (voir point 2.5).

Au cours de leurs expériences, les personnes analphabètes se sont approprié et ont utilisé certaines stratégies. Cependant, comme elles ont eu peu de succès au chapitre de la maîtrise de la lecture et de l'écriture, elles utilisent un nombre restreint de stratégies et ont rarement le réflexe d'aller puiser dans un répertoire plus large. C'est ici que les mots « délibéré, conscient et intentionnel » prennent tout leur sens. Pour pouvoir utiliser efficacement de nouvelles stratégies, il faut en effet les connaître, en faire l'expérience et être convaincuE que ça en vaut la peine. Pour se débrouiller, les personnes analphabètes ont souvent acquis un très grand sens de l'observation. Malheureusement, elles en sont rarement conscientes et ne peuvent pas se figurer à quel point cette stratégie pourrait leur être utile dans un contexte d'apprentissage de l'écrit.

Sylvie Roy mentionne d'ailleurs que dans un contexte de lecture, on remarque « que ces adultes utilisent un nombre restreint de stratégies de lecture qui ne varient pas en fonction du type de texte ou de leur intention de lecture31 ». Fait encourageant cependant : la psychologie cognitive nous dit qu'on peut à tout moment au cours de notre existence acquérir de nouvelles stratégies et ainsi élargir notre répertoire.

Depuis quelques années, l'intégration des stratégies d'apprentissage et l'introduction des méthodes d'éducation cognitive semblent faire leur chemin en alphabétisation populaire. Dans un article, François Labbé32 définit clairement les questions que nous devrions nous poser au moment du choix d'une approche cognitive pouvant nous aider à répondre aux besoins des participantEs. Il termine par une analyse sociale et politique fort pertinente où il se demande si, dans le contexte actuel de l'éducation, l'introduction de méthodes ou d'approches d'éducabilité cognitive ne serait pas un nouvel enjeu en alphabétisation ; il explique également en quoi les groupes populaires devraient se sentir interpellés par ce débat.

Si nous faisons le lien les concepts relatifs aux stratégies d'apprentissage et ce que nous avons écrit précédemment, nous constatons rapidement que le travail sur les stratégies auprès des personnes inscrites en alphabétisation ne peut se faire de façon isolée. Nous devrons tenir compte à la fois des attitudes, des émotions, des attributions en jeu dans l'apprentissage de l'écrit, car tout cela aura des effets combinés sur la motivation et sur l'utilisation des stratégies.

2.5 La métacognition

Selon Lafortune et Saint-Pierre : « La métacognition est un concept relativement récent issu des travaux basés sur une conception cognitiviste de l'apprentissage. Selon Flavell (1979), considéré comme le père de la métacognition, ce concept recouvre deux aspects : les connaissances métacognitives et le contrôle que l'on exerce sur sa propre pensée en utilisant ces connaissances métacognitives que l'on appellera ici la gestion de l'activité mentale33. »

En acquérant de nouvelles habiletés métacognitives, l'apprenantE est en mesure de faire un retour sur son apprentissage, de connaître ses forces et faiblesses et, ultérieurement, de réutiliser les stratégies ayant contribué à sa réussite. Lafortune et Saint-Pierre nous disent que les connaissances métacognitives comprennent la connaissance des personnes, la connaissance de la tâche et la connaissance des stratégies (cognitives, affectives, métacognitives), alors que la gestion de l'activité mentale inclut la planification (organiser la façon dont on traitera l'information), le contrôle (surveiller et évaluer ses processus) et la régulation (apporter des correctifs et poursuivre la tâche). Leur recherche tend à démontrer en quoi il est utile de considérer ces aspects de la métacognition, qui sont à leur tour intimement liés à l'affectivité. L'un des auteurs qu'elles citent34 illustre bien ce mécanisme, qu'il désigne par le terme « cycle de l'activité métacognitive ».

Figure 1 : Cycle de l'activité métacognitive

[Voir l'image pleine grandeur]Cycle de l'activité métacognitive : connaissances métacognitives vers les mécanismes de gestion de l'activité mentale vers la conscience du fonctionnement de sa pensée.

Tiré de Schoenfeld, AH. (1987), « What's all the Fuss about Metacognition ».

Connaissances métacognitives : des connaissances par rapport à eux-mêmes, à l'égard de la tâche et aux moyens à prendre pour réaliser la tâche.

Mécanismes de gestion de l'activité mentale : l'apprenant procède à l'exécution de la tâche.

Conscience du fonctionnement de sa pensée : finalement, il porte un jugement sur son propre fonctionnement suite aux résultats qu'il a obtenus, ce qui influence à nouveau ses connaissances métacognitives.

Il va sans dire que si, au départ, la personne croit difficilement en sa capacité de réussir la tâche, qu'elle s'exécute et qu'elle échoue, son sentiment de compétence sera ébranlé. Du même coup, ses résistances seront renforcées. Quant aux croyances en sa capacité à accomplir à nouveau cette tâche, elles diminueront dramatiquement. Par conséquent, l'engagement et la motivation de la personne seront dès lors très fragiles. C'est pourquoi il est primordial que les apprenantEs prennent conscience de la démarche utilisée lors d'une tâche donnée. Ils éviteront ainsi l'intériorisation d'un discours défaitiste et adopteront davantage un raisonnement objectif en attribuant leurs échecs à l'utilisation de stratégies infructueuses qui peuvent être modifiées ou changées.

Les dimensions métacognitives de l'apprentissage s'acquièrent donc par l'expérience et, pour être efficaces, doivent être conscientes. Or, si nous sommes peu intervenues sur cet aspect de l'apprentissage, nous ne serons pas étonnées de constater que ces stratégies sont peu utilisées par les participantEs. Certes ils ont des intuitions, ils ont acquis de bons réflexes, mais leur conscience métacognitive est faible. Même s'il y a beaucoup d'autres facteurs en jeu, il reste que tant que les participantEs ne connaîtront pas l'existence des stratégies métacognitives, leur fonction et leur utilité, ils seront dans l'impossibilité de se les approprier et conséquemment d'en faire une utilisation adéquate et rentable. Selon les deux chercheuses : « En psychologie cognitive, il est demandé que les élèves soient informés des stratégies en question et que les enseignants créent les conditions nécessaires pour que leurs élèves aient à recourir à ces stratégies en leur présence35. »

Louise Lafortune a élaboré les caractéristiques d'une approche métacognitive en mathématiques qui s'adapte facilement à toute autre discipline ou situation d'apprentissage dont, croyons-nous, le contexte de l'alphabétisation populaire. Ainsi, une approche métacognitive devrait posséder les caractéristiques suivantes :

  1. Inciter l'élève à se poser des questions;
  2. Développer chez l'élève l'habileté à transférer le questionnement externe en questionnement interne;
  3. Permettre à l'élève de structurer ses connaissances de façon active;
  4. Apprendre à l'élève à développer des stratégies
  5. Susciter chez l'élève une prise de conscience de son processus mental et de ses représentations ;
  6. Apprendre à l'élève à s'auto-évaluer;
  7. Apprendre ce que veut dire comprendre36.

Lafortune et Saint-Pierre ont ainsi élaboré un plan d'intervention en mathématiques portant sur la dimension affective de l'acte d'apprendre. Les auteures ont accordé une attention toute particulière à la prise de conscience qui s'effectue lors d'un apprentissage : « Il nous apparaît nécessaire lors de l'apprentissage et par conséquent, lors de l'enseignement, de faire surgir au niveau de la conscience les réflexions de nature métacognitive devant accompagner la tâche. C'est une condition essentielle pour qu'il soit possible d'interagir et de faire interagir afin de développer de nouvelles habiletés métacognitives37. »

Mais pour amorcer une approche métacognitive auprès d'apprenantEs adultes dans un contexte d'alphabétisation populaire, il faut tenir compte de plusieurs éléments. Il faut amener les apprenantEs à cerner et à exprimer leurs craintes face à l'apprentissage, afin de les libérer de l'anxiété et d'établir un terrain propice à l'apprentissage où la motivation et la confiance en soi pourront peu à peu refaire surface et faire naître un sentiment de compétence. Les deux auteures insistent d'ailleurs particulièrement sur les aspects affectifs liés à l'apprentissage et sur la nécessité de les inclure dans une approche métacognitive.

2.6 L'actualisation du potentiel intellectuel (API)

Créé au milieu des années 80 par Pierre Audy, le programme API vise l'amélioration de l'efficience cognitive intégrée au développement équilibré de l'individu. Il traite principalement de stratégies cognitives et métacognitives, de leçons de médiation et de principes de vie. Comme nous F avons dit au départ, il nous semblait important de présenter les fondements théoriques de l'API même si nous n'utilisons pas cette approche avec les participantEs. De plus, il était nécessaire de le faire puisque nous avons utilisé un instrument qui avait été construit pour cette approche, soit le test Profil d'efficience cognitive et sur demande. Pour bien comprendre l'API, il importe de saisir comment les auteurs définissent certains concepts comme l'efficience cognitive et la médiation, de même que le rôle des stratégies d'apprentissage.

D'après Pierre Audy, « la faible productivité de la plupart des systèmes scolaires occidentaux, en particulier en Amérique du Nord, apparaît de plus en plus évidente, tant au niveau des évaluations comparatives au plan international qu'au niveau de l'augmentation du taux des échecs et des abandons38 ». Selon lui, les résultats scolaires sont inversement proportionnels aux sommes d'argent et aux efforts investis dans les multiples réformes des systèmes d'éducation. Il qualifie cette situation d'alarmante, dénonce le gaspillage qui en découle et propose un modèle qui, selon lui, pourrait nous permettre de mieux comprendre pourquoi « malgré tant d'efforts se traduisant aujourd'hui par un personnel enseignant mieux formé et des programmes et services mieux développés et articulés que jamais, la situation ne cesse de se détériorer39 ».

Pierre Audy insiste sur le concept d'efficience cognitive, qu'il présente comme un facteur déterminant dans le rendement intellectuel de chaque personne : « La performance intellectuelle de chaque individu repose fondamentalement sur son efficience cognitive, c'est-à-dire la maîtrise qu'il a d'un ensemble de stratégies de résolution de problèmes. L'individu efficient est alors celui qui peut compter sur un répertoire de stratégies pour résoudre des problèmes avec un minimum de temps, d'énergie et de ressources, et avec un maximum d'aisance, d'assurance et de plaisir40. »

Pour élaborer ce concept d'efficience sur lequel repose son modèle, Pierre Audy s'est inspiré des travaux de Feuerstein (1979 ; 1980) et de Sternberg (1986). Au psychologue israélien Reuven Feuerstein, Audy a emprunté l'idée selon laquelle la structure cognitive d'une personne est modifiable à tout âge dans la mesure où cette dernière peut profiter d'expériences d'apprentissage médiatisé qui contribuent au développement de fonctions cognitives constituant autant de préalables à un fonctionnement cognitif efficient. Dans son modèle, Feuerstein tient aussi compte de facteurs affectifs tels que l'impulsivité, qui peuvent influencer le processus d'apprentissage. Le programme d'enrichissement instrumental (ou PEI) élaboré par ce chercheur vise à augmenter l'efficience fonctionnelle de l'individu en travaillant sur les fonctions cognitives et la motivation intrinsèque ainsi qu'en stimulant la compréhension de la signification des diverses tâches.

Quant au psychologue Robert J. Sternberg, il s'est penché principalement sur le rôle de l'entraînement sur le plan des composantes de traitement de l'information en soulignant le rôle central des métacomposantes (ou stratégies métacognitives) qui orchestrent le fonctionnement de l'ensemble. C'est à partir de ces travaux que Pierre Audy a élaboré un ensemble de stratégies métacognitives de résolution de problèmes, des stratégies dites de niveau supérieur qui permettent à l'apprenantE de se pencher sur ses processus mentaux et de gérer de façon efficiente et autonome son répertoire de stratégies de base ou d'exécution.

C'est dans une perspective de complémentarité que Pierre Audy s'est inspiré de ces deux théories pour fonder, au milieu des années 80, le programme d'Actualisation du potentiel intellectuel (API). Le programme comporte l'enseignement médiatisé de 83 stratégies d'exécution et de quatre stratégies métacognitives auprès de publics d'enfants ou d'adultes (voir le tableau en annexe41).

L'enseignement des stratégies, selon l'API, n'est possible qu'avec un enseignement médiatisé, c'est-à-dire une personne qui prend le temps d'expliquer et de servir de modèle à la personne qui apprend. D'après Audy, l'effritement du tissu social serait en grande partie responsable de ce qu'il appelle le « syndrome de privation de médiation », qui aurait un impact majeur sur la capacité d'apprendre des individus. L'API se veut une réponse à cette lacune, par l'intervention efficace d'un médiateur. La médiation est un concept majeur en API ; elle permet à l'apprenantE de se développer et d'avoir accès de façon efficiente à son répertoire de stratégies. Le rôle du médiateur de l'API serait de stimuler les fonctions cognitives, de rendre l'apprenantE plus habile à utiliser son répertoire de stratégies et d'en accroître le contenu.

En terminant, nous tenons à souligner qu'au cours de notre revue de littérature, nous avons constaté à quel point tous les facteurs qui entrent en jeu au moment d'un apprentissage sont liés les uns aux autres. Théoriquement, nous pouvons tenter de les comprendre isolément, mais dans la pratique nous croyons que nous ne pouvons les observer et encore moins intervenir de cette façon. L'approche doit absolument être globale. Le chapitre suivant est centré sur la présentation de la méthodologie, soit les techniques, outils et approches que nous avons utilisés pour cerner notre objet de recherche.

Chapitre 3 : Méthodologie

Nous présentons dans ce chapitre les méthodes de recherche que nous avons utilisées pour approfondir notre question. Tout d'abord, nous définissons ce qu'est pour nous une recherche-action et pourquoi nous avons opté pour une méthode qualitative de recherche. Nous décrivons ensuite les étapes qui nous ont conduites à la constitution de l'échantillon, puis nous présentons nos deux instruments de collecte de données. Nous décrivons ensuite la réalisation de la collecte de données. Enfin, la méthode d'analyse des résultats est expliquée.

3.1 Une recherche-action

Selon la définition du programme IFPCA, un projet dans la catégorie recherche consiste à « mener une démarche systématique et rigoureuse de collecte et d'analyse de données en vue de répondre à des problèmes ou à des questions liés aux actions d'alphabétisation. Décidément, les résultats de la recherche devraient être réutilisés pour permettre l'amélioration des pratiques et des services offerts en alphabétisation42. »

Comme notre recherche relève de préoccupations terrain relatives au processus d'apprentissage des participantEs et qu'elle vise une meilleure compréhension de leur fonctionnement dans le but d'améliorer nos pratiques et nos interventions, elle peut se classer dans la catégorie de la recherche appliquée. Plus précisément, on pourrait parler de recherche-action puisque celle-ci « représente la rencontre de deux mondes : la théorie et la pratique. Elle se fait dans l'action et dans le respect des conditions d'action de l'organisme, par le travail conjugué des praticiens et praticiennes ainsi que des personnes spécialisées en recherche. Ce type de recherche découle du besoin de lier le travail théorique à la pratique, la réflexion à l'action. Ainsi, l'organisme est amené à améliorer ses pratiques en produisant de nouvelles connaissances alors que le chercheur ou la chercheuse approfondit ses connaissances du terrain. C'est un échange réciproque et équitable du savoir43. »

La présente recherche se situe dans une longue tradition d'études et de recherche qui a débuté avec la création du Carrefour. En effet, les pionniers du Carrefour se sont penchés très rapidement sur leurs interventions. Pour créer et élaborer l'alphabétisation conscientisante, ils se sont notamment inspirés des expériences du pédagogue brésilien Paolo Freire44 pour mettre en place des modèles qui s'éloignaient de l'enseignement formel issu des pratiques scolaires.

Ces personnes ont questionné leurs pratiques et leurs interventions et ont toujours eu le souci de partager leurs découvertes en écrivant et en publiant plusieurs documents45. Ici, comme pour la plupart des recherches-actions menées au Carrefour, nous sommes parties d'intuitions et de préoccupations que nous avions sur le terrain.

Au cours de notre recherche, nous avons fait des allers-retours constants entre la pratique et la théorie. La revue de littérature, dont il est fait état au chapitre 2, nous a permis d'approfondir notre sujet. Nous avons aussi fait appel au cours du processus à des personnes plus spécialisées que nous dans les méthodes de recherche afin de nous aider dans notre démarche. C'est ainsi que nous avons embauché une consultante pour bâtir les instruments de collecte et mener les entrevues. Nous avons également retenu les services d'une personne-ressource en méthodologie de la recherche pour nous guider dans l'analyse et l'interprétation de nos données et dans le processus de rédaction. Nous avons tenu plusieurs réunions de travail, de formation, d'échange et de réflexion. Nous avons mis en commun nos expertises et connaissances en respectant nos champs de compétence respectifs.

Bien que le fait de mener une recherche-action dans un cadre d'éducation populaire en même temps que nos tâches et nos responsabilités soit un projet audacieux, voire parfois téméraire, nous sommes convaincues que nous pourrons bientôt cueillir les fruits de notre travail et profiter pleinement des nouvelles connaissances que nous aurons acquises au cours de notre projet.

3.2 Une méthode principalement qualitative

Notre recherche repose sur la méthode qualitative car, comme le Guide de méthodologie le précise, cette méthode « s'attarde d'abord sur le sens et l'observation d'un phénomène social. Elle se concentre sur l'analyse de processus sociaux, sur le sens que les personnes donnent à l'action, sur leur construction de la réalité sociale. En ce sens la recherche qualitative s'intéresse davantage au contenu de l'information étudiée qu'à sa fréquence. Elle se penche sur les témoignages des personnes et sur leur perception de la situation étudiée. (...) Les recherches d'ordre qualitatif sont souvent basées sur de petits échantillons qui forment une représentation intéressante de la réalité sans toutefois prétendre à une généralisation des résultats obtenus46. »

C'est ainsi que nous avons décidé de travailler en profondeur avec un groupe constitué de dix participantEs. Bien que ce nombre puisse paraître restreint, nous avons pu recueillir dans leurs témoignages une information riche et suffisamment intéressante pour éclairer nos questions.

Par ailleurs, nous avons également utilisé le test Profil d'efficience spontanée et sur demande (PESD), conçu et élaboré en 1988 par Pierre Audy, concepteur du programme d'Actualisation du potentiel intellectuel. Ce test, qui sert à mesurer l'utilisation spontanée de certaines stratégies, est davantage d'ordre quantitatif. Il ne nous servira pas cependant d'outil nous permettant de faire des comparaisons ou de tirer des conclusions. Le PESD est utilisé, dans notre contexte de recherche, comme un matériel d'appoint nous révélant l'utilisation de certaines stratégies par les participantEs. Bref, nous avions prévu centrer notre recherche sur les témoignages recueillis en entrevues individuelles et compléter certaines observations avec les résultats des tests.

3.3 Constitution d'un échantillon

Nous avons travaillé en étroite collaboration avec dix (10) adultes participant aux ateliers d'alphabétisation, en explorant leurs témoignages dans le cadre d'entrevues individuelles. Comme nous voulions explorer les stratégies et les résistances à l'apprentissage chez des personnes peu alphabétisées, nous pensions au départ pouvoir nous adresser à des adultes peu à l'aise avec l'écrit qui fréquentent notre centre, qu'ils soient ou non inscrits dans une démarche d'alphabétisation. De plus, nous souhaitions que notre échantillon soit le plus représentatif possible des personnes qu'on retrouve généralement dans nos ateliers, en termes d'âge, de rapport au travail... Nous tenions également à ce que toutes les personnes participant à notre recherche parlent et comprennent bien le français, qu'aucune ne présente de problèmes sur le plan de la compréhension des consignes et que toutes aient à peu près le même rythme d'apprentissage afin d'éviter les confusions au chapitre des difficultés rencontrées et du rapport à l'apprentissage.

Afin de répondre à ces critères et pour des raisons pratiques évidentes, nous nous sommes d'abord adressées à des participantEs aux ateliers d'alphabétisation. La formatrice et l'agente de recherche ont présenté le projet au cours d'un atelier. Comme les participantEs se sont montréEs intéresséEs par le projet et qu'ils ont rapidement répondu à notre invitation, nous n'avons pas eu à poursuivre notre démarche de recrutement. Dix participantEs, trois hommes et sept femmes, âgéEs en moyenne de 48 ans, se sont inscritEs volontairement à notre recherche.

3.4 Description des instruments

Afin d'aller chercher le maximum d'information relative à notre objet de recherche, nous avons choisi de faire des entrevues individuelles au moyen d'un schéma d'entrevue semi-dirigé, puis d'administrer, en situation individuelle également, le PESD. Ce sont les mêmes personnes qui passaient le test et participaient à l'entrevue.

Le test Profil d'efficience spontanée et sur demande (PESD)

Le PESD a été conçu à l'intérieur du programme d'Actualisation du potentiel intellectuel ; il mesure l'utilisation spontanée de 23 stratégies de résolution de problèmes d'une personne lorsqu'elle est placée devant une telle situation. Selon les auteurs du test, celui-ci ne fait appel ni aux connaissances, ni à la culture, ni à la performance intellectuelle de la personne. Il mesure 13 stratégies d'observation ciblées, cinq d'élaboration de solutions et cinq d'application de solutions.

Tableau 2 : Les stratégies mesurées par le PESD

CODESTRATÉGIESEFFICIENCE (%)

Stratégies d'observation

I-2

Observation complète des données

I-3

Comparaison des données

I-4

Sélection des données essentielles

I-6

Regroupement des données par ensembles

I-7

Interprétation de ce qui est observé

I-8

Extrapolation à partir de ce qui est observé

I-9

Décomposition en sous-ensembles

I-10

Perception des données manquantes

I-13

Quantification des choses semblables

I-14

Qualification de ce qui est observé

I-15

Situation des données dans l'espace

I-16

Situation des données dans le temps

I-18

Organisation des données entre elles

QEI

Moyenne des résultats en observation

%

Stratégies en recherche de solution

E-1

Anticipation du problème

E-2

Définition du problème

E-11

Intériorisation du problème

E-13

Intériorisation des informations pertinentes

E-14

Recours à la preuve logique

QEE

Moyenne des résultats en recherche de solution

%

Stratégies de réponse

O-2

Précision de la réponse

O-5

Planification de la réponse

O-8

Vérification de la réponse avant de la produire

O-9

Maîtrise des instruments de communication

O-10

Vérification de la réponse après sa production

QEO

Moyenne des résultats en réponse

%

QEG

Moyenne globale des résultats

% Total

Compilateur Pile©, PESD©(0.6) Tous droits réservés, Éditions A.P.I.H.©, 1996

Comme nous voulions mieux comprendre le processus d'apprentissage des participantEs, entre autres au chapitre de l'utilisation de stratégies, nous savions que nous devions trouver des moyens sûrs d'obtenir de l'information sur ce sujet. Même si nous interrogions les participantEs, nous savions que ce sujet pourrait leur paraître très abstrait. De plus, l'utilisation des stratégies n'étant pas toujours consciente, il est d'autant plus difficile d'en parler. C'est après nous être entretenues avec une spécialiste de l'API que nous avons décidé d'utiliser le test PESD. Cependant, nous avions décidé dès le début de ne pas divulguer les résultats individuels des tests. Nous voulions de l'information objective sur l'utilisation spontanée de certaines stratégies et si possible voir si les résultats des tests concordaient avec les données révélées par les témoignages ou encore s'ils pouvaient nous fournir un éclairage supplémentaire sur ces données.

Un schéma d'entrevue individuelle

Compte tenu de nos objectifs de recherche, les entrevues individuelles semi-dirigées nous semblaient le choix le plus pertinent. Cette formule a l'avantage de permettre aux personnes de s'exprimer librement sur des thèmes ou des sujets qu'on leur suggère. Nous pouvions ainsi couvrir nos champs d'investigation sans influencer le contenu des témoignages et sans trop orienter les propos des personnes interrogées. Le choix de questions ouvertes s'est vite imposé. Nous avons beaucoup travaillé le style de nos questions afin qu'elles soient concrètes et qu'elles influencent le moins possible le cours de l'entrevue ou les réponses. Nous avons aussi eu le souci de regrouper les questions afin d'éviter l'éparpillement et d'aider l'adulte à faire des liens et à enchaîner ses idées.

Le questionnaire a été élaboré en plusieurs étapes. Une première version a été construite à la suite de la recherche documentaire. L'agente de recherche s'est alors inspirée des écrits de Louise Lafortune sur les résistances des femmes en mathématiques afin d'élaborer la première version qui a été ensuite discutée avec les animatrices en alphabétisation. Ces rencontres ont permis de réajuster le questionnaire en fonction du vocabulaire des participantEs, pour éviter des malaises engendrés par l'utilisation de mots trop abstraits. Une deuxième version a par la suite été élaborée et présentée à notre consultante en API, ce qui a permis d'ajouter et de préciser certaines questions en lien avec la conscience que les participantEs ont d'eux-mêmes.

À la suite de ces deux premières étapes de validation, une troisième version du questionnaire est née, divisée en huit sections :

  1. Le passé du participantE en tant qu'apprenantE;
  2. Le présent du participantE en tant qu'apprenantE;
  3. La perception qu'a le participantE de l'apprentissage;
  4. À quoi le participantE attribue-t-il ses succès?;
  5. Le participantE face à la nouveauté;
  6. La conscience qu'ont les participantEs (ou pas) de leurs stratégies d'apprentissage;
  7. Les facteurs qui influencent l'apprentissage;
  8. Discussion libre sur l'apprentissage.

Cette troisième version du questionnaire, après avoir été approuvée par la coordonnatrice du secteur de l'alphabétisation, a été utilisée comme prétest pour les trois premières entrevues. Certains correctifs mineurs ont été apportés au questionnaire à la suite du prétest. Par exemple, le premier participant a mentionné qu'il trouvait les questions difficiles à comprendre parce que jamais on ne lui avait posé ce genre de questions. Ainsi, certaines questions plutôt abstraites ont été modifiées.

Pour la deuxième entrevue, l'agente de recherche a rencontré un participant de niveau débutant. Ce dernier a eu beaucoup de difficulté à répondre, sauf lorsque les questions s'appuyaient sur des exemples tirés de son vécu. Cette constatation a également permis d'ajuster le questionnaire en déplaçant certaines questions afin d'amener le participantE à fournir un exemple de situation d'apprentissage dès le début de l'entretien. Les exemples mentionnés par l'agente de recherche, lorsqu'ils n'avaient pas d'écho dans le vécu des participantEs, créaient un malaise et ceux-ci ne semblaient pas savoir quoi répondre aux questions posées.

La troisième entrevue, réalisée avec une personne qui occupait un emploi, a permis de faire les derniers ajustements au questionnaire. À partir de cette entrevue, l'agente de recherche a ajouté une question en fin d'entretien, soit : Est-ce qu'il y a quelque chose que tu rêves d'apprendre un jour?, afin de laisser les participantEs sur une note positive.

Compte tenu des changements mineurs apportés au contenu du questionnaire et des délais serrés de réalisation de la recherche, l'équipe a décidé de conserver les données des trois entrevues de prétest et de les analyser au même titre que les sept autres entrevues. On compte donc au total dix entrevues individuelles. Le lecteur ou la lectrice intéressée consultera la version du questionnaire d'entrevue en annexe du présent document.

3.5 Réalisation de la collecte de données

Dans cette section, nous expliquons d'abord comment nous avons administré les tests de Profil d'efficience spontanée et sur demande (PESD), qui sont liés à l'API Puis, nous décrivons comment ont été réalisées les entrevues individuelles. Nous précisons ensuite quelles ont été nos préoccupations éthiques au cours de la recherche, puis nous faisons un bilan de la collecte de données.

Passation du PESD

Seules les personnes qualifiées peuvent faire passer le test de Profil d'efficience spontanée (PESD) à d'autres personnes. Dans le cadre de notre recherche, Carole Doré avait la responsabilité de faire passer le test aux participantEs. La passation de test était individuelle et s'est effectuée dans les locaux du Carrefour, donc dans des lieux connus des participantEs. Madame Doré n'ayant eu aucun contact préalable avec les participantEs, ces derniers étaient d'abord accueillis par la coordonnatrice du secteur de l'alphabétisation, qui est également formatrice. Cette dernière rencontrait également les participantEs à la fin du test afin d'échanger avec eux sur leur expérience. Neuf des dix participantEs se sont présentés au rendez-vous fixé, une seule personne s'est absentée pour cause de maladie.

La durée du test était d'environ une heure. À partir d'une image, le participantE devait répondre à des questions posées oralement par la personne responsable. En général, si le participantE en était capable et s'il le souhaitait, il rédigeait lui-même ses réponses, sinon c'était la responsable qui le faisait pour lui. Les consignes étaient les mêmes pour tous : des réponses courtes, simples et facilement compréhensibles. Afin de faire baisser le stress et de créer un climat de confiance, la personne responsable du test prenait le temps de faire connaissance avec chaque participantE. Elle l'informait que le test ne servait à mesurer ni les connaissances, ni l'intelligence, qu'il n'y avait pas de limite de temps et, enfin, qu'il n'y avait pas de bonnes ou de mauvaises réponses.

La personne qui faisait passer le test ne pouvait cependant donner d'explications supplémentaires, comme on le fait souvent en alphabétisation. Une fois le test terminé, la responsable offrait aux participantEs la possibilité de poser des questions ou de s'exprimer sur leur expérience.

Les tests ont été effectués dans la semaine du 12 mars 2001. Nous avons demandé aux participantEs la permission d'enregistrer les entrevues. Nous pensions que ces enregistrements pourraient nous fournir des indications supplémentaires, mais nous avons vite constaté qu'ils ne contenaient aucune information pouvant éclairer ou alimenter notre propos. En effet, comme les participants réfléchissaient aux questions qui leur étaient posées, ils étaient la plupart du temps silencieux.

Passation des entrevues

Les entrevues individuelles duraient entre 60 et 90 minutes, selon l'aisance des participantEs à discuter de leur rapport à l'apprentissage. Lors de la rédaction du questionnaire, nous avions convenu de faire dix entrevues d'une heure, mais nous nous sommes vite aperçues qu'il était préférable de prolonger l'entrevue pour nous assurer d'une collecte de données complète et pertinente. Nous voulions ainsi faciliter la communication et éviter à tout prix le style « test » qui aurait pu influencer l'attitude des personnes interviewées.

Nous voulions créer l'espace nécessaire pour qu'elles s'expriment librement sur leurs résistances et nous pensions que des entrevues individuelles leur permettraient de le faire en toute confiance. Nous souhaitions qu'elles oublient l'idée de donner la bonne réponse, et que l'atmosphère de l'entrevue et l'attitude de l'enquêteuse les incitent à s'ouvrir. Les entrevues ont été réalisées par l'agente de recherche en mars 2001 au Carrefour, dans un espace connu des participantEs. Notons que chaque entrevue a été enregistrée, avec la permission des adultes, afin de pouvoir transcrire les témoignages en vue de les analyser.

Préoccupations éthiques

Nous avons pris soin, au cours de la recherche, de respecter les règles de déontologie propres à une démarche de ce genre. Dans le but de rassurer les participantEs, de les mettre à l'aise et de leur permettre de comprendre la raison de leur participation à cette recherche, l'agente de recherche a commencé chaque entrevue par l'introduction suivante :

Bonjour!

Merci d'avoir accepté de participer à cette entrevue. L'entrevue va durer une heure et pendant cette heure, je vais vous poser des questions afin d'essayer de comprendre comment vous apprenez et pourquoi parfois c'est difficile pour vous d'apprendre. Si vous ne comprenez pas certaines questions, sentez-vous à l'aise de me le dire et je vous les poserai autrement. Les réponses que vous allez me donner vont permettre au Carrefour de mieux vous comprendre, dans le but de faire du matériel qui vous convienne et vous aide à apprendre. Ce n 'est pas un test. Donc vous n 'avez pas à vous en faire. Il n 'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses.

Si vous êtes d'accord, j'aimerais enregistrer notre conversation, afin de pouvoir par la suite compiler vos réponses avec celles des autres participantEs qui ont accepté de me rencontrer. Vous n 'avez pas à vous en faire, cette cassette sera utilisée seulement pour les fins de cette recherche et votre nom ne sera mentionné nulle part.

Notons que plusieurs participantEs mentionnaient n'avoir aucune objection à ce que leur nom apparaisse dans la recherche. La plupart semblaient soulagéEs de constater qu'il ne s'agissait pas d'un test et que seule leur opinion comptait.

Afin d'assurer la confidentialité des propos, les tests et les entrevues ont été réalisés dans un endroit fermé, à l'abri des regards. On a ensuite codifié chaque entrevue et chaque test afin d'enlever les noms des personnes et de préserver la confidentialité des témoignages.

Bilan de la démarche de collecte des données

La passation des tests PESD s'est bien déroulée. Bien qu'un peu nerveux, les participantEs semblaient toutefois assez à l'aise. Nous tenons à souligner que la responsable des tests a longtemps travaillé dans un groupe d'alphabétisation populaire. Elle a donc pris soin préalablement d'adapter son approche afin d'établir un climat de confiance et de bien faire comprendre la nature de l'exercice aux personnes présentes. Elle pouvait aussi, grâce à son expérience antérieure, anticiper les craintes des personnes qu'elle allait rencontrer.

Quant aux entrevues individuelles, l'agente de recherche s'est vite rendu compte que pour aider les participantEs à s'exprimer sur leur façon d'apprendre et sur leurs résistances à l'apprentissage, elle devait absolument faire des liens avec leur vécu. Avec certainEs participantEs de niveau intermédiaire, les exemples étaient plus faciles à trouver. Mais pour les personnes débutantes ou plus limitées face à l'apprentissage, il était difficile de trouver des exemples pertinents. Ainsi, de nombreuses questions sont restées sans réponse.

De plus, comme dans le cadre de cette recherche nous ne voulions pas limiter notre étude à l'apprentissage qui se fait au Carrefour, les participantEs avaient à s'exprimer sur des exemples d'apprentissage et de non-apprentissage tirés du quotidien et sur d'autres cas tirés de l'expérience au Carrefour. La variété des exemples donnés peut rendre l'analyse des résultats plus ardue.

Plusieurs participantEs, qui ont souvent moins confiance en eux et ont vécu échec après échec, ont eu beaucoup de difficulté à répondre aux questions suivantes : Est-ce qu'il y a des choses dans lesquelles tu te sens bon? Comment tu as fait pour devenir bon là-dedans?

Avant les entrevues, l'agente de recherche a rencontré l'animatrice en alphabétisation afin d'en savoir plus long sur les participantEs, si les personnes étaient de niveau débutant, intermédiaire ou avancé et depuis combien de temps elles participaient aux activités du Carrefour. Cela n'a pas été suffisant pour outiller l'agente de recherche, qui s'est trouvée souvent dépourvue face à l'aspect abstrait du propos à traiter. Selon elle, plus de renseignements sur les talents et limites de chacun des participantEs aurait grandement aidé à la collecte d'information.

3.6 Traitement et analyse des données

Notons au départ que le traitement et l'analyse des données ont été effectués par l'équipe de recherche, constituée d'une nouvelle agente de recherche et de la coordonnatrice du secteur d'alphabétisation au Carrefour, avec la collaboration de la consultante spécialisée en recherche. Les étapes concernant le traitement et l'analyse des résultats se sont déroulées de mai à octobre 2001. Nous présentons d'abord nos modes de traitement des données, puis la façon dont nous avons procédé à l'analyse. Ces deux étapes comportent également un bilan.

Le traitement des données du PESD

En ce qui concerne le test PESD, le traitement et l'analyse des données, plus spécifiquement la correction du test, ont été menés par les experts de l'API. L'équipe de recherche n'a donc pas participé à cette étape. Cependant, les résultats sont présentés au chapitre suivant.

Les entrevues

Premièrement, pour faciliter le traitement des données recueillies à partir des dix entrevues individuelles, nous avons d'abord enregistré l'ensemble des témoignages sur bandes audio. Ensuite, nous avons procédé à la transcription intégrale de chaque entrevue dans des fichiers de traitement de texte distincts afin de rester fidèle aux propos de chaque participantE. Ce travail de transcription de verbatims a été réalisé par une tierce personne. Par la suite, nous avons apporté des changements quant aux noms et aux institutions auxquels les participantEs ont fait référence durant l'entretien afin de préserver la confidentialité des propos. Nous avons donc imprimé l'ensemble des fichiers pour ensuite les distribuer à chacun des membres de l'équipe de recherche, qui ont procédé à une lecture flottante de la totalité des entretiens, une étape indispensable et préalable à la confection du schéma d'analyse. Notons également qu'au cours de cette étape, chaque membre de l'équipe de recherche a déterminé quels étaient les verbatims les plus utiles pour éclairer les données et les analyses.

Deuxièmement, nous avons procédé à l'élaboration collective du schéma d'analyse que l'on trouve à la fin du présent chapitre. Ce schéma s'est construit à la suite de la lecture des entrevues par l'équipe de recherche ainsi que de maintes discussions où plusieurs thèmes ont été ciblés et retenus. L'équipe a ensuite testé collectivement le schéma provisoire en tentant de catégoriser le contenu d'une entrevue. L'édification finale du schéma d'analyse repose sur 13 thèmes qui ont été judicieusement choisis pour effectuer une analyse de contenu thématique (voir schéma d'analyse).

Troisièmement, à l'aide du schéma d'analyse, l'agente de recherche a procédé à la catégorisation manuscrite de l'ensemble des entrevues. Par la suite, elle a enchaîné avec le montage de 13 fichiers Word où les propos des participantEs ont été répertoriés et classés distinctement selon les thèmes retenus. Cette démarche plutôt technique consiste en fait à recueillir, à comparer et à regrouper tous les éléments et témoignages qui se rapportent respectivement à un thème donné pour en évaluer la portée et en tirer un maximum de sens.

Bilan du traitement des données

En général, le bilan du traitement des données s avère fort positif, mais encore une fois, on sous-estime l'ampleur du travail lié à la codification manuscrite des entrevues et à l'édification des fichiers informatiques correspondant à chaque thème. Parfois, des problèmes d'ordre technique relevant de l'informatique viennent ralentir ce processus qui nécessite beaucoup de minutie et d'attention De plus, il apparaît important de mentionner que le traitement des donnes consiste également à disséquer chaque entrevue afin d'éliminer les répétitions et les témoignages non pertinents, c'est-à-dire hors propos. Cette étape s'est révélée périlleuse, puisque comme l'apprentissage est un concept plutôt abstrait, les participantEs ont à maintes reprises bifurqué du sujet à l'étude. Néanmoins, la méthode de traitement des données s'est révélée efficace puisque l'étape suivante concernant l'analyse des résultats s'est en majeure partie très bien déroulée.

Analyse des résultats

L'analyse et l'interprétation des données se sont effectuées en deux étapes : l'analyse collective de l'équipe de recherche à partir des 13 thèmes et la validation collective du chapitre 4 concernant les résultats avec des membres de l'équipe de travail du Carrefour.

À la suite de la lecture des 13 fichiers représentant les thèmes, l'équipe de recherche s'est réunie afin d'élaborer pour chacun des catégories permettant d'interpréter et d'analyser les témoignages des dix participantEs. Pour ce faire, nous avons débuté collectivement le travail de catégorisation avec le soutien de la consultante en recherche. Nous avons traité ensemble trois des 13 thèmes soit les stratégies, les conceptions de l'apprentissage et les attributions. Chacun de ces thèmes a donc été subdivisé en catégories. Ainsi, pour le thème concernant la conception de l'apprentissage, on retrouve trois catégories qui permettent de classer les témoignages : apprendre, c'est avoir accès au monde ; apprendre, c'est surtout lire et écrire ; apprendre, c'est difficile (voir chapitre 4).

Ce travail de catégorisation s'est poursuivi entre l'agente de recherche et la coordonnatrice du secteur d'alphabétisation. Environ une semaine a été consacrée à cette étape. L'ensemble de ces thèmes et catégories a contribué à la rédaction de la structure du chapitre 4. Chaque analyse de thème est illustrée par les témoignages des participantEs et appuyée par des auteurs dont les concepts théoriques ont été traités au chapitre 2.

Une première version du chapitre 4 a donc été élaborée et corrigée par la consultante. Par la suite, les chapitres 2 et 4 ont été remis à cinq membres de l'équipe du Carrefour pour qu'ils en fassent la lecture et soulèvent les éléments intéressants et les incompréhensions, mais également pour qu'ils indiquent les pistes de retombées possibles pour l'action du Carrefour. Cette discussion a eu lieu à la mi-octobre 2001.

Bilan de l'analyse des résultats

De façon générale, l'ensemble du processus d'analyse et d'interprétation des données s'est révélé efficace et intéressant. Cependant, il est apparu parfois difficile de respecter l'exhaustivité des catégories élaborées. Comme nous l'avons vu au chapitre 2, l'apprentissage est influencé par plusieurs facteurs d'ordre affectif, cognitif et social, et la plupart de ces éléments sont constamment en interaction. Il devenait parfois difficile de dissocier les stratégies utilisées du contexte, des émotions ressenties par les participantEs et de la perception de soi dans une situation d'apprentissage donnée. L'ensemble de ces facteurs forme un tout et représente davantage la description d'une expérience d'apprentissage où plusieurs variables interagissent. Toutefois, malgré ces difficultés, une ligne directrice s'est dessinée pour mener à bien cette analyse et assurer la fiabilité et la validité des résultats obtenus.

Enfin, soulignons que la rencontre de validation a été une expérience très enrichissante qui a permis de soulever des discussions importantes sur les pratiques du Carrefour et les retombées éventuelles de la recherche. On trouvera d'ailleurs en conclusion plusieurs éléments de réflexion et de synthèse qui sont issus de cette rencontre.

Figure 2 : Schéma d'analyse des résultats de la recherche

APPRENTISSAGE
Stratégies

Conditions et contexte

  • favorables
  • défavorables

Expériences concrètes

  • en rapport avec l'écrit et l'alphabétisation
  • non en rapport avec l'écrit et l'alphabétisation

HISTOIRE PERSONNELLE ET SOCIALE

Conceptions de l'apprentissage
Antécédents scolaires
Motifs d'inscription au Carrefour
Qualités personnelles
Perception de soi dans l'apprentissage

FACTEURS AFFECTIFS DANS L'APPRENTISSAGE

Émotions
Attitudes
Attributions

Chapitre 4 : Analyse des résultats

Nous abordons maintenant dans ce chapitre l'analyse de nos résultats de recherche. D'abord, nous présentons brièvement les résultats du test Profil d'efficience spontanée et sur demande (PESD) tiré de l'API Ensuite, nous procédons à l'analyse des données qualitatives obtenues à partir du schéma d'entrevue semi-dirigé. Nous en avons dégagé quatre principaux thèmes : l'histoire personnelle et sociale des participantEs, l'apprentissage en général, l'influence des facteurs affectifs dans l'apprentissage ainsi que les expériences concrètes d'apprentissage.

Les nombres indiqués entre parenthèses font référence aux dix participantEs. Par ailleurs, nous avons également relevé, lorsque cela nous paraissait pertinent, le nombre de fois où il y a eu, dans les témoignages des adultes, une référence à une image, une expression ou un sujet particulier ; c'est ce que nous avons appelé les « mention  ». Certains extraits de verbatims sont indiqués en italique pour illustrer nos analyses ; un point-virgule permet de distinguer les témoignages. Dans la mesure du possible, nous avons conservé le Verbatim tel quel, pour illustrer davantage le langage utilisé et respecter l'intégralité des propos. Certains verbatims contiennent des informations supplémentaires que nous avons jugé bon d'ajouter afin de faciliter la compréhension. Ces renseignements sont alors placés entre parenthèses et le caractère italique a été soutiré.

L'échantillon de notre recherche compte dix personnes, soit sept femmes et trois hommes, dont l'âge varie de 34 à 69 ans. L'âge moyen est de 48 ans. Ils habitent tous le sud-ouest de l'île de Montréal, dont quatre d'entre eux le quartier Pointe Saint-Charles. En moyenne, ils fréquentent le secteur d'alphabétisation depuis quatre ans, mais la majorité participe aux activités du Carrefour depuis plus longtemps, dans d'autres champs d'activité. Deux de ces personnes sont inscrites à les ateliers de niveau fonctionnel, six à les ateliers de niveau intermédiaire et deux, au niveau débutant. Trois d'entre eux vivent seuls ; les autres vivent avec leur conjoint, un parent ou leurs enfants. Signalons que la moitié ont des enfants, et que quatre d'entre eux ont des enfants dont l'âge (moins de 12 ans) nécessite un suivi scolaire quotidien.

4.1 Les résultats du PSED

Le Profil d'efficience spontanée et sur demande (PESD) mesure 13 stratégies d'observation, cinq stratégies de recherche de solution et cinq stratégies de réponses. La moyenne des 23 stratégies donne le quotient global d'efficience cognitive. Bien que nous soyons loin d'être des professionnelLEs du programme d'Actualisation du potentiel intellectuel (API) et que nous soyons peu familiariséEs avec le test PESD, nous tentons de présenter ce qui nous semble significatif et intéressant dans le sens des objectifs de notre recherche. Rappelons que neuf personnes sur dix ont passé le PESD.

Les résultats du PESD s'expriment en pourcentage pour chacune des stratégies évaluées ; les évaluateurs font ensuite une moyenne pour les trois types de stratégies, puis une moyenne d'ensemble. Selon les auteurs de l'API, le PESD ne fait appel ni aux connaissances, ni à une culture spécifique ; il ne mesure pas le produit d'une performance intellectuelle, mais le degré d'utilisation spontanée des processus de traitement de l'information (voir tableau 2).

Actuellement, ce test n'est pas standardisé. On peut donc uniquement en comparer les résultats avec d'autres populations qui l'ont également passé. Les seules données dont nous disposons sont les résultats de 613 enseignantEs et de 13 personnes en demande d'emploi. Nous avons fait le choix de ne pas faire ce type de comparaison. D'une part, les résultats ne s'appliquent qu'à neuf personnes, ce qui rend difficile toute généralisation à partir de données statistiques. Par ailleurs, il nous paraît très hasardeux de comparer ces résultats avec une moyenne obtenue à partir d'une population enseignante, qui est loin d'avoir les caractéristiques des populations peu scolarisées. C'est pourquoi nous tenons à préciser que nous ne révélons pas la moyenne des tests du PESD pour le groupe de neuf personnes, et encore moins pour chaque personne. Nous pensons que ces chiffres ne sont d'aucune utilité dans le cadre de notre recherche.

Comme nous l'avons déjà dit, trois catégories de stratégies sont observées au moyen du PESD :

Si on regarde le résultat global de chacune des trois catégories de stratégies, l'utilisation spontanée la plus forte est celle des stratégies d'observation; vient ensuite la moyenne des résultats en réponse, puis la moyenne des résultats en recherche de solution. Or, il est reconnu que pour se débrouiller, les personnes peu alphabétisées ont à utiliser et à s'approprier des stratégies d'observation. On sait aussi que l'appropriation de ces dernières peut certainement se faire assez facilement en alphabétisation et s'avère fort utile dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

La moyenne des résultats en observation se mesure à partir de l'utilisation spontanée de treize stratégies, soit l'observation complète des données, la comparaison des données, la sélection des données essentielles, le regroupement des données par ensemble, l'interprétation de ce qui est observé, l'extrapolation à partir de ce qui est observé, la décomposition en sous-ensembles, la perception des données manquantes, la quantification des choses semblables, la qualification de ce qui est observé, la situation des données dans l'espace, la situation des données dans le temps, l'organisation des données entre elles. Les deux stratégies d'observation pour lesquelles les participantEs ont obtenu les pourcentages les plus élevés sont la situation de données dans l'espace et la sélection des données essentielles. La stratégie d'observation qui semble la moins utilisée fait davantage appel à la métacognition : l'extrapolation à partir de ce qui est observé.

En général, la moyenne des résultats en réponse est obtenue à partir de l'utilisation spontanée de cinq stratégies : précision de la réponse, planification de la réponse, vérification de la réponse avant de la produire, maîtrise des instruments de communication, vérification de la réponse après sa production. Notons cependant que trois de ces stratégies n'ont pu être mesurées parce que les participants n'ont pas fourni assez d'information pour que le correcteur soit en mesure de faire une juste évaluation des stratégies en question. Les résultats obtenus nous permettent simplement de dire que la stratégie de maîtrise des instruments de communication semble la plus utilisée. En pourcentage, ce résultat est comparable à ceux recueillis pour les stratégies d'observation les plus utilisées par les participantEs.

La moyenne des résultats en recherche de solution se mesure à partir de l'utilisation spontanée de cinq stratégies, soit anticipation du problème, définition du problème, intériorisation du problème, intériorisation de l'information pertinente, recours à la preuve logique. Dans cette catégorie, c'est aux stratégies d'anticipation et de définition du problème que les participantEs ont le plus souvent recours ; à l'inverse, c'est la stratégie de recours à la logique qui semble la moins souvent utilisée. Cela peut s'expliquer par le fait que la preuve logique nécessite l'intégration de stratégies et fait donc appel davantage à la métacognition.

Enfin, les cinq stratégies les plus utilisées spontanément par les participantEs sont les suivantes :
  • situation des données dans l'espace;
  • sélection des données essentielles;
  • regroupement des données par ensemble;
  • maîtrise des instruments de communication;
  • observation complète des données et quantification des choses semblables.

Il nous paraît difficile d'aller plus loin dans l'analyse de ce test, compte tenu de notre démarche qui est essentiellement qualitative. Nous allons voir dans l'analyse qui suit la richesse des propos des personnes interrogées. Mieux que le PESD, les témoignages nous aident à avoir une compréhension large et globale de l'apprentissage et à mieux comprendre les résistances sur le plan affectif des participantEs face à l'apprentissage ainsi que l'inventaire des stratégies qu'ils utilisent. En somme, l'orientation qualitative de cette recherche a permis aux participantEs de procéder à une sorte d'introspection quant à leurs propres expériences d'apprentissage. Passons maintenant à l'analyse qualitative des entrevues.

4.2 Histoire personnelle et sociale

Nous abordons cette section sous deux aspects : les antécédents scolaires des participantEs et leurs motifs d'inscription au Carrefour. Comme Bertrand et Aznour47 le mentionnent, l'apprentissage est une construction de soi qui ne s'arrête qu'avec la fin de la vie. En effet, ce concept fait référence à une panoplie d'expériences qui commencent dès l'enfance et qui se poursuivent tout au long de la vie adulte. Ce concept d'apprentissage tout au long de la vie (ou Lifelong learning) est de plus en plus repris par les institutions internationales comme l'UNESCO, l'OCDE et, au Québec, par le ministère de l'Éducation48.

En abordant ainsi leur parcours scolaire qui renvoie, entre autres, à leurs premiers apprentissages formels de la lecture et de l'écriture, pour décrire ensuite leur démarche d'alphabétisation au Carrefour, il devenait plus facile pour les participantEs de se doter de points de repère afin de cerner le sujet à l'étude. Certes, nous aurions pu investiguer, dans l'histoire personnelle et sociale des participantEs, d'autres domaines tels que le rapport à l'emploi. Nous ne l'avons pas fait, faute de temps, d'énergie et de ressources.

Des antécédents scolaires pénibles

Bien que nous ayons abordé sommairement ce thème avec les participantEs, leurs propos révèlent la présence de souvenirs douloureux et démontrent la singularité de leur parcours. L'analyse des résultats nous permet de qualifier leur expérience scolaire en termes de ruptures et d'absences.

L'analyse nous montre en effet que la totalité des participantEs (10/10) ont vécu un cheminement scolaire tumultueux et bien souvent parsemé de coupures (20 mentions) : déménagements, transferts en classes spéciales, changement de famille d'accueil, école buissonnière, etc. « Mais ça c'était à cause de mon enfance parce que j'ai été dans les foyers de famille... Là tu restes un an, après ça tu rechanges, tu restes deux ans. Je pense que c'est plutôt pour ça que ça m'a démotivé, l'école. » Ces ruptures se traduisent également par le décrochage scolaire puisque la totalité des participantEs (10/10) n'a pas terminé ou même atteint le secondaire. Quatre d'entre eux ont quitté l'école dès le primaire et cinq au secondaire ; une autre n'a jamais fréquenté d'établissement scolaire.

On constate également dans les témoignages une image d'absence. La moitié des participantEs (5/10) décrivent leur parcours scolaire sous l'angle d'absences physiques, mais également mentales, comme nous le confie ce participant :

« ... j'étais jongleur... elle parlait... le professeur, puis mes idées sont ailleurs moi... je rêvais à toutes sortes d'affaires là, je n 'étais pas concentré sur qu'est-ce qu'elle disait, je ne sais pas pourquoi... »

On remarque donc que leur rapport à l'école était plutôt difficile. Ils sont plusieurs a indiquer leur manque d'intérêt pour celle-ci, mais les propos des participantEs révèlent dans les faits que l'école n'a pas pris de signification dans leur vie, comme le rapporte ce participant :

« Mais je pense que je ne l'ai même pas finie (l'école), fait que tsé, je ne me souviens pas, parce que j'avais bien de la misère à l'école fait que je n 'aimais pas l'école. Fait que j'ai décidé d'aller travailler. »

En ce qui concerne les premiers apprentissages scolaires, plusieurs d'entre eux (5/10) en conservent d'amers souvenirs. Déjà à cette époque, ils commençaient à intégrer une perception négative d'eux-mêmes (13 mentions), comme nous le confie cette participante :

« Avant c'était bloqué, fait que tout ce qu'ils me disaient là, je ne retenais rien. »

Ils sont nombreux à associer leurs difficultés à leurs propres incapacités :

« Je me sentais pas capable! Je me disais en moi-même : Ah! Je ne suis pas capable de faire ça! Kâline, c'est bien trop dur! »

Parfois, cette incapacité était renforcée par des paroles blessantes provenant d'autres personnes, dont les proches ou le personnel enseignant :

« Tu es donc bien niaiseuse, tu ne sais pas lire! De te faire dire ça par un professeur, ce n 'est pas trop trop encourageant hen! »;

« Je me dis, je n 'étais pas concentrée parce que quand ta mère te dit tout le temps : Ah! tu n 'es pas normale, tu ne te marieras jamais, tu n'auras jamais d'enfant... fait que tsé, veux, veux pas, j'fais un blocage moi là en quelque part... »

AffectéEs par l'image que projettent leurs proches, les apprenantEs ont vécu également des sentiments d'exclusion et de stigmatisation dans leurs interactions avec leurs pairs :

« J'étais tout le temps plus vieille que la classe... dans les classes de maturation, je me faisais traiter de niaiseuse... »

Les apprenantEs ont donc vécu très tôt l'isolement, symbolisé par la classe spéciale :

« J'étais toute petite, c'est beau d'aller à l'école, ça ne va pas... les autres me mettaient toujours en classe spéciale, à la longue je n'apprenais pas... »;

« Puis même je n'ai pas fait je pense une semaine dans une classe en première année, ils m'ont tout de suite mise en classe spéciale. »

François Ruph49, tel que nous l'avons vu au chapitre 2, parle du sentiment de compétence, défini par Bandura comme le résultat, chez les individus, d'expériences antérieures et d'un système de croyances en leurs capacités qui se forge au cours de leur histoire de vie. Le parcours scolaire des participantEs tel que décrit plus haut a certainement contribué à l'émergence d'un faible sentiment de compétence à un âge où la personnalité se construit et émerge. Tout cela a eu inévitablement des répercussions sur l'ensemble de leur cheminement en matière d'apprentissage.

On comprend donc qu'en général, les participantEs aient vécu un parcours scolaire chaotique sur le plan tant émotionnel qu'académique. L'abandon scolaire prématuré a eu pour conséquence d'orienter rapidement plusieurs adultes vers le marché de l'emploi et, quelques années plus tard, vers des services d'alphabétisation puisqu'ils ne maîtrisaient pas ou très peu le code écrit.

Des motifs d'inscription surtout liés à la lecture et à l'écriture

Nous savons que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ne se limite pas au monde scolaire ou encore à un stade d'âge (6-8 ans). En effet, le principal motif d'inscription au Carrefour indiqué par tous les participantEs interrogés est d'abord d'améliorer leur compétence à l'écrit. Cependant, on constate que derrière ce motif se cache un autre désir qui est d'acquérir une certaine autonomie par le biais d'une plus grande maîtrise du code écrit. En somme, la majorité (7/10) désire s'ouvrir au monde, comme le confie ce participant :

« Je veux apprendre à lire pour aller quelque part Que je n 'aie pas besoin de demander à tout le monde les noms des rues puis des affaires de même. Quand tu sais lire, tu peux le faire par toi-même. C 'est ça que je veux, c'est ça que je demande. »

S'ajoute à ce désir d'autonomie, celui de briser l'isolement :

« Bien j'aime ça parce que je rencontre du monde de mon âge... parce que tout le temps chez nous avec mes enfants là, ça fait du bien une fois de temps en temps de sortir pas d'enfants là. »;

« C'est le fun! (...) au moins on peut connaître d'autres gens... On peut aussi quand on a des fois un peu de chagrin, au moins... on a du monde qui t'écoute aussi. »

L'analyse nous laisse croire que les difficultés éprouvées par les participantEs en lecture et en écriture ont contribué à leur isolement : limites dans les déplacements, les loisirs, les possibilités d'emploi, etc.

Les événements qui incitent les participantEs à entreprendre une démarche d'alphabétisation sont de tout ordre. Trois d'entre eux (3/10) sont motivés par une expérience qui exigera d'eux un transfert des connaissances acquises dans des sphères d'activité telles que le travail, le rôle de parent d'élève, les obligations sociales, etc. :

« J'en ai parlé avec ma boss au travail Parce que où que je travaille, il faut que je fasse aussi beaucoup de rapports... Si j'ai de la misère à écrire ou (que) le monde ne comprend pas mon écriture, ça va mal. »

Par ailleurs, on dénote une similarité dans les propos tenus par les participantEs : pour la majorité d'entre eux (8/10), l'inscription en alphabétisation au Carrefour est le fruit d'une pression provenant du réseau social immédiat. On relève dix mentions à ce sujet, dont voici quelques-unes :

« J'ai travaillé à l'âge de 15 ans, puis je n 'ai jamais appris à lire, puis là bien j 'ai perdu mes parents... c'est ma sœur qui m'a conseillé de venir... »;

« Là c'est un ami, il a dit : Viens je vais te présenter le Carrefour ; depuis ce temps là je suis au Carrefour! »

De plus, les propos des participantEs illustrent bien l'importance de la vie communautaire dans le quartier, qui accroît la visibilité du Carrefour et qui contribue au recrutement des participantEs :

« J'en ai déjà entendu parler auparavant qu'ils montraient des cours icitte, puis cet été quand je suis venue à l'épluchette de blé dinde bien là j'ai donné mon nom. »;

« Ah! bien j'ai vu des affiches, qu'ils avaient besoin pour lire puis écrire, puis c'est là que je l'ai vu. »

Bref, l'analyse laisse croire que la démarche d'alphabétisation est incarnée chez les apprenantEs puisqu'ils fréquentent le Carrefour et s'y impliquent depuis plusieurs années. Toutefois, les activités expressément liées à la lecture et à l'écriture peuvent être interprétées comme un mariage de raison, car elles sont la clé pour accéder à d'autres objectifs plus larges qui prédominent bien souvent : désir d'autonomie, sortir de l'isolement, augmenter ses déplacements, etc. L'appropriation de la lecture et de l'écriture devient donc un passage obligé pour eux.

4.3 L'apprentissage en général

Nous abordons dans cette section trois thèmes qui permettront de comprendre le processus d'apprentissage des personnes interrogées et d'en savoir davantage sur celui-ci. Nous décrivons successivement leurs conceptions de l'apprentissage, les conditions favorables et défavorables à l'apprentissage ainsi que les stratégies qu'ils utilisent en situation d'apprentissage, soit les stratégies cognitives et les stratégies métacognitives.

Conceptions de l'apprentissage

Les témoignages nous laissent voir trois conceptions dominantes de l'apprentissage chez les participantEs : avoir accès au monde, surtout lire et écrire, et enfin, cette conception implicite selon laquelle l'apprentissage, c'est difficile.

Apprendre, c'est avoir accès au monde

Pour la majorité des personnes interrogées (7/10), l'apprentissage est un moyen d'accéder au monde qui nous entoure, de participer activement à la vie en société et d'apprivoiser de nouveaux savoirs. À ce sujet, on relève 12 mentions, dont voici quelques exemples :

« Moi je peux faire bien des affaires, mais ça prend de l'instruction pour le faire. Sans instruction, c'est impossible. »;

« C'est rencontrer du monde, travailler avec du monde... je peux lire, puis les lois, les droits au gouvernement des affaires, au moins je peux les lire. »;

« Il faut apprendre dans la vie. Si tu n'apprends pas, tu ne le fais pas. Je veux apprendre d'autres choses de nouveau. C'est tout moderne astheure aujourd'hui ; même mon petit neveu il a quatre ans puis il sait faire le vidéo, il sait faire l'ordinateur, je me dis en moi-même pourquoi je ne le ferais pas, moi? »

L'ouverture au monde reste cependant souvent générale et peu appuyée par des exemples concrets. Par ailleurs, les témoignages montrent que l'accès au monde reste conditionné, d'abord et avant tout, par la maîtrise du code écrit.

Apprendre, c'est surtout lire et écrire

En général, apprendre pour les participantEs s'avère une activité normale et essentielle qui se déroule tous les jours. Or, ces affirmations se limitent dès que nous leur demandons de donner des exemples d'expériences d'apprentissage. C'est alors qu'ils font presque uniquement référence à la lecture et à l'écriture. Le verbe « apprendre » semble plus souvent qu'autrement associé au monde scolaire et à l'écrit. Une seule personne mentionne qu'apprendre fait référence à des faits de la vie quotidienne : repasser, coudre, cuisiner, etc. Pour la plupart des autres participantEs (6/10), apprendre signifie essentiellement lire et écrire (8 mentions). C'est la porte d'entrée pour le marché de l'emploi et les loisirs, pour remplir les obligations sociales ou tout simplement pour les déplacements, comme l'indique ce participant :

« Mais je veux faire de quoi que je veux avoir, c'est apprendre à lire, que je puisse aller à des places que je n 'ai pas besoin de demander au monde telle rue, le nom de la rue est marqué sur les poteaux. »

En somme, pour la moitié des participantEs (5/10), la base de tout apprentissage repose sans contredit sur la maîtrise du code écrit (10 mentions), comme en témoignent ces affirmations :

« Après que je sais lire, là je peux faire de quoi. Mettons si j'arrive et que je sais lire, ils vendent des livres comment bâtir une maison, là je peux l'apprendre parce que le papier est devant moi, je sais lire puis je sais que c'est que je vais faire. »;

« Mais en couture, il faut être capable de lire aussi, en tricot aussi beaucoup, parce qu'on n 'a pas de patron, il faut tout faire, pour tricoter, il faut suivre ce qui est écrit. »;

« Le blocage c'est lire et écrire ; quand on ne sait pas lire et écrire, c'est ça. »

On sent à travers les témoignages qu'il leur manque quelque chose d'indispensable, la lecture. L'acquisition de compétences en cette matière représente pour eux un tremplin et devient un préalable à toute autre forme d'apprentissage. Pour la majorité des personnes interrogées, leur niveau de lecture demeure un frein à tout investissement dans un autre secteur d'activité, comme en témoigne cette participante :

« La lecture, les autres affaires, puis tu vois mes cours de conduite, je pense que ça fait trois ans que je veux y aller, puis je n'y vais pas. Ah! parce que je le sais qu'il y a de la lecture là-dedans. »

Cette conception est légitime, car comme Lafortune et Saint-Pierre4 le mentionnent, l'apprenantE doit posséder une connaissance de base pertinente à tout domaine dans lequel il s'investit afin de pouvoir organiser sa pensée et gérer efficacement l'activité mentale. Or, on comprend que pour les participantEs, la base de tous les apprentissages auxquels ils font face ou qui les intéressent réside dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Apprendre, c'est difficile

Près de la totalité des personnes interrogées (9/10, et 20 mentions) entretiennent l'idée que l'apprentissage en général est quelque chose d'insaisissable et de difficile. Cette conception de l'apprentissage n'est pas sans lien avec leur propre parcours scolaire marqué par l'échec et avec leur sentiment de compétence plutôt faible, comme nous le confie ce participant :

« C'est difficile. Je dirais pas que c'est dur parce que j'aime pas ce mot-là, je l'ai rayé de mon vocabulaire, mais je dirais c'est difficile... Parce que quand tu t'es fait dire presque toute ta vie que t'es un ignorant, ben t'es sûr que tu peux pas apprendre... Ce préjugé-là, il te reste dans (la) tête. »

Pour expliquer cette difficulté d'apprendre, cinq d'entre eux font référence à leur âge, non pas parce qu'ils se croient trop vieux pour apprendre, mais bien parce que leurs capacités sont à leur avis plus limitées que celles des jeunes. Us se considèrent plus lents, donc l'apprentissage exige d'eux beaucoup plus de patience. En voici quelques exemples :

« Ça commence jeune... Chaque année c'est devenu plus difficile. »;

« Je ne sais pas c'est quelle raison, c'est plus dur à apprendre, il faut que tu aies plus de patience à apprendre, parce que il me semble que c'est difficile, tu es plus lent pour apprendre que quand tu es jeune, tu apprends assez vite, astheure tsé bien c'est plus slow! »

Or, on sait maintenant, pour avoir survolé précédemment leurs antécédents scolaires, que déjà au primaire et au secondaire, ils éprouvaient des difficultés d'apprentissage (retrait en classes spéciales, rythme plus lent, blocages, etc.) En somme, que l'apprentissage soit scolaire ou dans tout autre domaine, il semble représenter quelque chose de périlleux depuis l'enfance.

Des conditions favorables à l'apprentissage

Nous avons relevé dans les témoignages deux conditions favorables à l'apprentissage : la dynamique de groupe ainsi que le respect du rythme et l'apport des formatrices. Compte tenu du fait que le rythme est assumé principalement par les formatrices, nous avons regroupé ces deux derniers éléments.

Une dynamique de groupe réconfortante

Apprendre au sein d'une dynamique de groupe réconfortante est une condition favorable très importante pour la totalité des personnes interrogées, avec à ce sujet 62 mentions qui se divisent en trois aspects : l'accueil chaleureux, l'entraide et les encouragements.

La majorité des participantEs (8/10) indiquent à 21 reprises que l'accueil chaleureux qui règne au Carrefour s'avère un élément qui favorise leurs apprentissages, comme nous le mentionnent ces participantEs :

« C'est ici que je l'ai appris à apprendre à lire et à écrire, puis (...) de parler avec d'autre monde, me faire connaître d'autre monde aussi, c'est le fun. Le Carrefour c'est comme une famille, on est tous unis ensemble, on est tous proches des autres. »;

« L'école (Le Carrefour) m'a beaucoup aidé. Même sur le plan moral, avec les gens d'ici, comme je t'ai dit, c'est une famille. »;

« Bien moi je trouve que c'est du bon monde, ils sont accueillants, je n'ai pas vu personne avec une gueule de bois à date, puis ça je trouve que c'est important quand tu travailles avec le monde. »

De plus, pour plusieurs personnes interrogées (7/10), l'entraide est un élément fondamental, et on relève 20 mentions à ce sujet :

« On s'aide, comme moi, il y en qui ne savent pas beaucoup lire, une autre personne prend la recette, lit pour moi c'est quoi j'ai besoin tout là, on s'aide au moins, on n 'est pas toute seule. »;

« Mais c'est mieux icitte faire le manger avec eux autres, tsé. On est tout ensemble, fait qu'on se voit faire le manger ; un fait ci, l'autre fait ça. Oui, ça nous aide à faire mieux... »

L'entraide est une condition à ce point importante qu'on constate un investissement personnel chez la majorité des participantEs (8/10) pour y contribuer. Ils en font mention à dix reprises en relatant les qualités personnelles nécessaires pour un travail en groupe : altruisme, bonne humeur, sociabilité, etc.

Finalement, les encouragements, la valorisation et l'identification au reste du groupe sont des éléments tout aussi importants pour la moitié des participantEs (5/10), avec 11 mentions :

« J'ai bien de la misère, fait qu'il faut quelqu'un qui me pousse, un peu au moins... Puis à la force que le monde, le monde qui t'encourage, ça je trouve ça important »;

« Bien avec du monde que je connais, je suis plus à l'aise de dire ce que je ne comprends pas, tandis que si ça l'aurait été du monde que je ne connaissais pas avant, j'aurais été bouche bée. L'appui, l'appui du monde. Moi je trouve que c'est encourageant. »;

« Puis on apprenait vite (sur l'ordinateur)! "Mon Doux, vous êtes bons!" Tsé, c'est ça qu'ils disaient... Fait que ça donnait plus de confiance quand ils disaient qu'on étaient bons là-dedans. »

On comprend donc qu'une dynamique de groupe réconfortante fournisse un contexte d'apprentissage favorable. Les adultes acquièrent un sentiment d'appartenance au groupe, ils s'y sentent acceptés, appuyés, valorisés et surtout ils ne sont pas seuls devant la tâche. L'entraide, l'encouragement, la valorisation ainsi que l'identification au reste du groupe sont donc des facteurs positifs qui viennent rehausser le sentiment de compétence des participantEs, comme nous l'avons vu dans les témoignages. Feuerstein et Feuerstein50 viennent confirmer ces résultats en indiquant que le sentiment de compétence résulte entre autres de la persuasion sociale, où le reflet positif des autres sur notre compétence est primordial. Bandura51 explique également que le travail de groupe permet de vivre des expériences significatives et positives, car ceux et celles qui y participent assistent à chaque petite réussite de leurs pairs. Nous verrons plus loin qu'un tel climat de coopération génère chez les participantEs des attitudes favorables face à l'objet d'apprentissage.

Le respect du rythme et l'apport essentiel des formatrices

Quatre personnes interrogées manifestent à huit reprises leur appréciation quant au respect dont ils bénéficient au Carrefour en ce qui a trait à leur rythme d'apprentissage, ce qu'on ne trouve pas, selon eux, dans les établissements scolaires :

« C'est facile à travailler. Parce que tu travailles à ton rythme, tu n 'as pas besoin de travailler comme les autres »;

« Tu sais que le monde qui sont icitte, ce n 'est pas du monde qui sont bien placés là dans la scolarité, fait que tu sais qu'ils sont icitte tous pour apprendre puis qu'il y a du monde qui travaille aussi comme moi, tandis que si tu vas plus à l'école (un lieu formel) je trouve que c'est plus rushant aussi ; icitte ce n'est pas rushant. »

Pour plus de la moitié des personnes interrogées (6/10), la personnalité et l'attitude de la formatrice sont également des facteurs déterminants pour favoriser leur processus d'apprentissage : la patience, la bonne humeur, l'appui constant, les explications constantes, etc. (11 mentions). Voici quelques témoignages qui rendent bien cet apport précieux:

« Si tu ne comprends pas quelque chose, (...) faut qu'elle ait de la patience, elle, parce que tsé nous autres on n 'est pas trop pire... Elle, elle en a de la patience! »;

« Bien parce que ça ne crie pas, ça ne parle pas fort puis... Ils le disent poliment, ils le disent les affaires correctes. »;

« Parce que c'est important que tu aies une bonne relation avec le professeur. Je pense que ça, ça aide beaucoup dans la vie. »

On décèle dans ces propos un contraste entre leur démarche en alphabétisation et leur expérience scolaire. Les participantEs semblent bénéficier maintenant d'une aide qui répond à leurs besoins et d'un cadre à l'intérieur duquel ils se sentent respectés. C'est un élément fort positif, comme Bandura52 le mentionne, puisque le modèle positif, symbolisé ici par la formatrice, joue un rôle crucial sur le sentiment de compétence des apprenantEs. Elle devient ainsi le modèle à suivre, un modèle qui est souvent absent depuis bon nombre d'années pour les adultes peu scolarisés. Nous verrons plus loin également, dans l'analyse des attributions, à quel point les formatrices contribuent selon eux au succès de leurs apprentissages.

Conditions défavorables a l'apprentissage

Voici, d'après ce qui se dégage des propos des adultes interrogés, trois conditions défavorables à l'apprentissage : un climat bruyant, la gestion des émotions négatives et l'isolement.

Un climat d'apprentissage bruyant

Sept participantEs mentionnent que le climat dans lequel se font les apprentissages influence leur rendement (12 mentions). On fait référence au bourdonnement et aux distractions, comme nous le confient ces participantEs :

« Si je lis un roman moi là, il ne faut pas qu'il y ait de musique. Il ne faut pas qu'il y ait de télévision, puis il ne faut pas qu'il y ait de tapage. Moi là, tu me parles, je ne suis pas capable de le lire. »;

« Si quelqu'un d'autre parle en arrière de moi, là j'ai bien de la misère à me concentrer dessus le mot ; le monde parle, le monde essaie de le lire en même temps... (Donc) je laisse lire les autres, moi j'attends. » ;

« Des fois chez nous, tsé la radio joue, la musique joue, là mon attention n'est pas là. Elle est ailleurs, mon idée est ailleurs (lorsqu'il fait ses devoirs et/ou des mots cachés). »

Le climat s'avère donc un facteur important dans le processus d'apprentissage des participantEs, et ces derniers témoignages illustrent la précarité de leurs pratiques en matière d'écrit. On comprend que même en présence de plusieurs conditions favorables à l'apprentissage, celui-ci peut être facilement ébranlé par un climat perturbé.

Des émotions négatives à gérer

Malgré l'apport du groupe et le soutien des formatrices, il n'en demeure pas moins que les apprenantEs sont aux prises avec des émotions négatives difficiles à gérer tout le long des situations d'apprentissage. La moitié des personnes interrogées (5/10) en font mention à 17 reprises. Les émotions se traduisent bien souvent par un malaise intérieur qui les mobilise fortement et qui se manifeste par de la fatigue, du stress, du découragement et une peur de ne pas réussir :

« Comment je me sens? Je suis en train de me demander si je vais réussir à le faire... ou si je ne réussirai pas à le faire... Bien là quand je vois que c'est une nouvelle chose qu'elle nous montre, là je suis là : "Ah! mon Dieu! ça l'a l'air compliqué!" »;

« Tu te dépêches, des fois tu écris qu'est-ce que tu penses, mais des fois si tu relis ta question, bien tu le vois que ce n'était pas ça. Si le monde me stresse, non, je ne prendrai pas le temps (de le faire). Je le sais, moi ça m'arrive souvent ; quand je suis stressée là je lis, mais voyons ce n'est pas ce mot là... Recommence! »;

« Icitte, c'est la place des bonnes conditions, mais ça ne rentre pas. Bien les bonnes conditions c'est parce que je viens icitte pour apprendre puis j'ai la personne pour me montrer à apprendre, mais il faut que je m'aide moi-même aussi... »

Bref, ces émotions reflètent bien le doute des apprenantEs quant à leurs capacités à accomplir correctement la tâche. Wood et Bandura53 expliquent que bien souvent, la présence d'un sentiment de compétence faible engendre chez les apprenantEs la visualisation de scénarios néfastes construits et répétés. Dans ce cas-ci, on comprend que les participantEs anticipent bien souvent l'échec, compte tenu de leurs expériences passées en matière d'apprentissage de l'écrit. Il devient alors difficile pour eux de se centrer uniquement sur la tâche. On constate donc que l'état d'esprit des participantEs est une variable centrale qui peut rendre l'apprentissage vraiment périlleux. On a vu plus tôt qu'apprendre est difficile pour la majorité des participantEs ; on verra plus loin que cette idée est accentuée par leur perception assez négative d'eux-mêmes dans l'apprentissage. Ce faible sentiment de compétence influence la capacité des apprenantEs à gérer leurs émotions et souvent bloque l'accès aux ressources cognitives, comme nous l'avons vu également au chapitre 2.

Quand on est seul, l'apprentissage est plus difficile

Plus de la moitié des participantEs interrogés (7/10) indiquent que l'isolement s'avère pour eux une condition défavorable à toute forme d'apprentissage : tricot, calcul, lecture, écriture, tâches liées à l'emploi, etc. On compte 14 mentions à cet effet, dont celles-ci :

« Il y a des affaires que je vais trouver plus difficiles si j'apprends toute seule... »;

« Parce que lui, il voulait me le montrer pour que moi je tombe toute seule après... Aïe ! Écoute bien ! Toute seule, c'est une grosse responsabilité là, parce que toi tu commences à 11 h le soir, puis à 2 h (le matin) il faut que tu aies fini tes muffins et tout ça. »;

« Parce que j'étais toute seule, puis si j'avais quelque chose à lire puis je ne comprenais pas... je ne le relisais pas assez. Chez nous je suis toute seule. Il n'y a pas personne qui peut m'aider. »

Le fait d'être seul devant la tâche accentue les difficultés puisque que les apprenants ne bénéficient pas des conditions favorables mentionnées plus haut : apport du groupe, aide des formatrices et contexte sécurisant. Or, les témoignages révèlent que l'isolement ravive le doute chez les participantEs quant à leur propre capacité à réussir la tâche entreprise. Par conséquent, ils sont seulEs pour concilier des émotions qui prennent alors toute la place. Il semblerait que la tâche perd alors toute signification en soi et que la motivation s'évanouit.

Stratégies spécifiques d'apprentissage

Nous avons dégagé des témoignages quatre stratégies utilisées par les apprenantEs lors de l'exécution d'une tâche : l'observation, le tâtonnement, l'apprentissage par cœur et le recours à l'aide extérieure.

J'observe /j'écoute

La totalité des personnes interrogées utilise fréquemment cette stratégie ; on en répertorie 23 mentions :

« La patience, puis écouter les autres aussi. J'écoutais, je regardais beaucoup les autres comment ils agissaient. Puis c'est comme ça que j'ai appris à m'améliorer là-dedans. »;

« Bien c'est à force d'écouter ah! bien! oui! je me souviens de ça, regarde donc ça. C'est à force de faire ça de même. »;

« Je regarde, j'observe, je m'essaye. Si ça marche pas, je demande de l'aide. »;

« C'est à force de voir Ginette (la formatrice)... C'est à force de la voir faire qu'à un moment donné j'ai appris à le fermer puis à l'ouvrir (l'ordinateur). »

On constate que la notion de pratique et d'observation dans le concret est importante pour réussir la tâche. Les témoignages révèlent toutefois que l'observation ne rend pas nécessairement l'exécution plus facile, mais qu'elle se fait souvent dans un contexte de répétition. Ainsi, les participantEs emploient à 11 reprises l'expression «  à force de le faire, de regarder, de me pratiquer, etc.  », ce qui signifie que l'apprentissage ne se fait pas d'emblée, même si on observe attentivement.

En ce sens, l'analyse nous montre que l'utilisation de l'observation ou de l'écoute ne parvient pas toujours à entraîner de bons résultats. Pourtant, plusieurs (6/10) se dotent de points de repère, soit pour s'orienter, soit pour effecteur un exercice en atelier (8 mentions) :

« Il faut que je regarde en haut, là si il y a six lettres qu'il faut que je mette ensemble ; il faut que je les trouve, puis je les trouve. »;

« Vous savez le métro, je ne sais pas lire, (mais) je sais où je m'en vais, savez-vous pourquoi? Je veux aller au métro sur le boulevard Saint-Laurent, là je vais compter les arrêts, cinquième arrêt j'arrive au métro Saint-Laurent. Je les compte. »;

« Elle m'a tout refait mes cassettes. J'avais 200 cassettes, puis elle me les a tout écrites! Moi je les mettais en ordre là puis je le savais lesquelles que je faisais jouer. »

Finalement, on note que l'écoute des consignes est une stratégie utilisée par la moitié des personnes interrogées (5/10). Ils en font mention à huit reprises, comme l'explique ce participant :

« Si c'est quelque chose de nouveau... (...) C'est officiel les explications qu'elle va faire, je vais être plus concentré sur ce qu'elle dit pour le faire tsé. »

Je tâtonne

Près de la totalité des participantEs (9/10) a recours à cette stratégie qui les conduit à procéder par essai-erreur sans être trop sûrs du résultat final. On compte un maximum de mentions à cet égard (43), dont voici quelques exemples :

« Des fois que j'y allais par hasard, des fois je mesurais mettons, ouais, bien je vais faire un autre sirop, j'ai dit à la place de mettre comme j'ai mis tout à l'heure, je vais en mettre plus, j'en mettais plus de sucre, là j'essayais (dans le cadre d'un exerciciel sur le sirop d'érable) »;

« Je regarde pour voir de quelle manière je peux finir par aboutir (sic). Des fois, ça ne réussit pas toujours ; j'y vais, je retourne encore, il y a bien des fois je suis obligée de revenir... je peux revenir 25 fois. »

Les témoignages indiquent que l'utilisation du tâtonnement conduit souvent les apprenantEs à adopter une attitude mécanique d'acharnement L'essai d'une nouvelle stratégie n'est alors pas envisagé. Par conséquent, on assiste à l'adoption de comportements répétitifs n'ayant aucun apport correctif sur la démarche initiale. À ce stade, on constate l'absence d'activités de contrôle c'est-à-dire de vérification, d'évaluation et de réajustement des moyens. En voici quelques exemples :

« Je me dis je vais continuer jusqu'à temps que je le sache! »;

« Tu vas essayer, tu vas te casser la tête mais là quand tu ne peux pas avancer là, que tu es complètement bloqué, bien tu reviens dessus c'est officiel, parce que tu veux le faire, tsé. »;

« Je l'essayais, je l'essayais! Je suivais mes affaires qu'ils marquaient dans le livre là, puis si je voyais que ça ne marchait pas, je le faisais jusqu'à temps que je l'avais. La même affaire. Je le fais jusqu'à temps que je ne le comprends pas (sic). »;

« Bien tu essaies, tu essaies, tu essaies... tu pousses, mais tsé il me semble que plus que tu pousses, plus que je ne comprendrais moins encore (sic). »

La littérature nous montre que le même phénomène de tâtonnement peut se produire dans le cadre de l'apprentissage des mathématiques. Ainsi, selon Schoenfeld54, il est plus fréquent chez les débutants d'avoir recours à ce type de stratégie, alors que les personnes dites performantes consacrent davantage d'efforts aux stratégies de planification. Nous verrons plus loin que, chez les personnes que nous avons interrogées, cet acharnement à la tâche est bien souvent accompagné d'un langage interne qui tient de la pensée magique, comme celui-ci :

« Non, non, moi je dis il y a toute une manière, le mot non il n'y en a pas, c'est : Oui, je suis capable, oui, je suis capable. Il faut que je le trouve, il faut que je le trouve, tsé. »

Par ailleurs, on constate chez cinq personnes interrogées l'utilisation d'une stratégie sous-jacente à l'acharnement, soit la « pause-retrait ». L'individu se retire alors pendant un certain temps pour ensuite reprendre la tâche là où il l'avait laissée. Cependant, on comprend que le résultat demeure le même puisqu'il répète alors les mêmes opérations. On relève huit mentions liées au retrait :

« Ah! je poigne le feu! Je poigne la rage! Je sacre ça là, puis le lendemain je recommence. Je prends des feuilles, je recommence. »;

« Je me dis : retire-toi, puis reviens. (...) Parce que si tu t'acharnes trop tu n'apprends pas... Tu laisses tomber à la place. »

Or, les stratégies d'acharnement et de tâtonnement conduisent bien souvent à l'abandon de la tâche pour plus de la moitié des participantEs (6/10), avec 23 mentions à cet effet :

« Non. J'essaye pis si ça marche pas, je laisse tomber. »;

« Mais aujourd'hui je fais mes mots cachés (...) mais il y a des places que j'ai de la misère à trouver le mot, les lettres pour le placer, finir le mot Puis là quand je vois que je ne suis pas capable, j'abandonne! »;

« Je ne sais pas si je vais être capable de le faire... Si je ne suis pas capable, je le laisse là. »

En somme, ces témoignages laissent croire que l'éventail des stratégies utilisées par les participants est restreint. De plus, le retrait et enfin l'évitement représentent des formes de résistance à l'apprentissage, comme nous l'avons vu plus tôt au chapitre 2. En se retirant ou en abandonnant la tâche, l'individu se protège d'un éventuel échec et des émotions qui s'ensuivent.

J'apprends par cœur

La majorité des personnes interrogées (8/10) disent utiliser cette stratégie, mais l'analyse montre à quel point il semble difficile de parvenir à des résultats positifs par l'emploi de cette stratégie. On compte 23 mentions à ce sujet, dont voici quelques exemples :

« Bien j'essaie à l'étudier plus là, puis là je finis par m'en souvenir là... à force d'étudier puis d'étudier là... Je finis par m'en souvenir... »;

« Neuf fois cinq, à force de le savoir, de le dire souvent, bien là je finissais par le savoir par cœur. C'est parce que quand tu arrêtes de faire de quoi, puis au bout de deux, trois mois là quand tu viens pour le faire bien là... j'oublie un peu... »

Bref, on remarque que l'application de cette stratégie semble peu convaincante. Elle renvoie à une action répétitive, utilisée mécaniquement, et on constate une absence de fluidité lors de son utilisation. Les participantEs ont recours à cette stratégie de la même façon que les stratégies d'observation et d'écoute ; en réalité, l'exercice semble ardu à appliquer. Dans un cas comme dans l'autre, l'expression « à force de », qui fait référence à de nombreux efforts, est fréquemment employée par les participantEs. Nous verrons d'ailleurs que les participantEs associent souvent leurs échecs à leur incapacité à mémoriser les notions apprises. On constate donc que cette stratégie ne s'avère pas très fructueuse; elle n'est pas sans lien avec l'acharnement, puisqu'on l'utilise sans qu'elle fournisse de résultats.

Je demande de l'aide

L'aide externe provient soit de personnes, soit de ressources matérielles. En ce qui concerne l'aide d'une autre personne, tous les adultes interrogés ont recours à cette stratégie et 37 mentions ont été relevées à cet effet :

« Toute seule, j'essaie de trouver. Quand je ne suis pas capable, je demande à la maîtresse puis elle nous aide pour trouver des affaires là, elle nous dit comment faire. »

Cette stratégie est fréquemment utilisée au Carrefour dans les ateliers d'alphabétisation, mais elle s'applique également à d'autres secteurs d'activité, notamment pour s'orienter, pour réparer un objet ou encore faire fonctionner un appareil électroménager.

Les participantEs font surtout appel à leur réseau social :

« Comme moi j'ai un vidéo chez nous, (...) tant que quelqu'un ne m'explique pas comment ça fonctionne, je ne le saurai pas. »;

« Des fois, ça va arriver que je vais demander à ma nièce si il y a quelque chose que je ne comprends pas bien là, je vais lui demander si c'est bien de même. Je vais lui expliquer de la manière que je comprends, puis je vais lui demander si c'est bien comme ça qu'eux autres ils veulent... »

Si le réseau n'est pas disponible, l'aide peut provenir de passants, d'inconnus, ce qui peut rendre les participantEs plus anxieux :

« À un moment donné, je suis obligée de me renseigner à trois, quatre personnes, puis au lieu de m'indiquer par là, à gauche, ils m'ont indiqué en direction droite puis là j'avançais, j'avançais... À un moment donné je ne trouvais pas le nom de la rue. »

Au sujet de la consultation d'outils de référence, sept personnes interrogées utilisent cette stratégie et elles en font mention à 16 reprises. Au même titre que l'aide d'une personne, les manuels de référence sont la plupart du temps consultés pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, mais aussi dans d'autres domaines. Les outils mentionnés sont d'une grande variété : livre de recettes, dictionnaire, calculatrice, manuel d'instruction :

« Quand je fais mon épicerie, bien là si je veux avoir un mot je vais regarder dans le dictionnaire. Du sucre, du beurre... J'ai un gros dictionnaire de même fait que... »;

« Je ne fais pas beaucoup d'enregistrement (avec le magnétoscope)... Mais c'est parce que maintenant j'ai un livre je vais essayer de programmer. »;

« Bien il faut que j'apprenne à compter tout seul avant la calculatrice ; si je compte avec la calculatrice après là, je suis correcte, ça l'arrive tous les deux ensemble... »;

« Je vais dans le dictionnaire puis je fais des recherches. Des fois ce n'est pas tellement la réponse, c'est comment tu l'écris, fait que là je cours rien que pour savoir comment l'écrire le mot. »

En somme, nous venons de survoler les stratégies spécifiques que les adultes utilisent spontanément pour réaliser une tâche. Au total, on répertorie 189 mentions de stratégies spécifiques, contre 93 mentions qui concernent l'application de stratégies métacognitives, que nous verrons au point suivant. Cela nous permet de conclure que les adultes utilisent effectivement plusieurs stratégies pour réaliser diverses tâches d'apprentissage ; cependant, les résultats demeurent faibles et le choix des stratégies, pas toujours approprié.

Stratégies métacognitives

Nous avons relevé trois types de stratégies métacognitives mentionnées par les adultes : le langage interne, la planification et la vérification.

Je me parle (le langage interne)

Le langage interne fait en général référence à la gestion de l'activité mentale, c'est-à-dire au contrôle que nous exerçons sur notre propre pensée lors de l'exécution ou de la planification d'une tâche. Les témoignages des participantEs nous permettent d'identifier quatre formes de discours internes. D'abord, cinq personnes mentionnent à 21 reprises qu'elles adoptent face à la tâche une attitude d'ouverture qui témoigne de leur désir d'apprendre et de réussir :

« J'étais bloqué, je n'étais pas ouvert, là je peux apprendre parce que je suis plus ouvert là tsé. Comme la cervelle est plus ouverte, elle veut apprendre là tsé. »;

« Je ne suis pas mieux qu'un autre (sic). Je veux apprendre, je veux apprendre. »;

« Aujourd'hui je connais mes lettres, mais la seule affaire que j'ai hâte, que je veux apprendre à lire comme il faut. C'est tout. »

L'analyse montre également l'emploi d'un langage interne qui renvoie à une forme d'auto-renforcement chez plus de la moitié des participantEs (7/10), avec 16 mentions :

« Tsé j'essaie de me dire : Je suis capable! je suis capable! Mais j'essaie ma fille, puis là je suis là : Il faut que je l'aie, il faut que je l'aie! »;

« Quand je n'ai pas réussi ce que je voulais apprendre, bien je me dis en moi-même : Je vais réessayer encore, peut-être je vais peut-être gagner la deuxième fois, peut-être jamais deux sans trois, je vais peut-être gagner la troisième fois. »;

« Je me dis je vais continuer jusqu'à temps que je le sache! Tsé je persiste à l'avoir! Là je me mets là-dedans, je me dis: Il faut que je l'aie... »

Ce langage interne est comme un encouragement que les personnes se donnent pour se permettre de surmonter les nombreux obstacles. Ce renforcement demeure cependant désincarné puisqu'il ne génère pas l'utilisation, dans un contexte réel, des stratégies métacognitives qui pourraient être utiles telles que la planification, la vérification, l'évaluation, etc.

Par ailleurs, on décèle la présence, plus ténue cependant, de deux autres formes de discours. Ainsi, plus de la moitié des adultes (6/10) disent recourir à une forme de questionnement face à la tâche à accomplir (8 mentions) :

« C'est-tu IN... AIN... ENT? Puis là je relis la phrase, c'est-tu au pluriel ou au singulier, parce que c'est avec ça qu'on a le plus de misère, tsé. »

On note ici que l'apprenantE s'interroge pour apprendre et pour exécuter la tâche donnée et non sur ce qu'il a appris afin de vérifier son niveau de compréhension.

Enfin, la majorité des personnes interrogées (8/10) adoptent également une attitude sécurisante face à elles-mêmes : elles se parlent, se raisonnent et se donnent mentalement des directives afin de réduire l'anxiété face à une tâche donnée. On compte 12 mentions à ce sujet :

« Fait que là je disais : bon là Rose, panique pas, on va se concentrer. »;

« Là tu restes calme, là tu t'en vas voir quel bouton tu peux aller, voir si ça marche, tout. Mais tu essaies de te débrouiller par toi-même. »

Cette forme de langage est sans aucun doute à encourager, car elle suppose l'emploi de procédures ou d'attitudes utiles pour favoriser l'exécution d'une tâche et réduire véritablement l'anxiété.

On remarque donc que les participantEs témoignent d'une motivation intrinsèque qui se traduit par un langage interne positif qu'ils se tiennent pour s'encourager. Toutefois, ce langage est souvent synonyme d'auto-renforcement et d'acharnement, c'est-à-dire que coûte que coûte je dois réussir, même si je ne varie pas mes stratégies :

« Je vais le faire tant que je ne réussis pas. »

Je planifie

On relève trois types de planification. D'abord, quatre participantEs disent procéder étape par étape lors de l'accomplissement d'une tâche (11 mentions) :

« La recette n'est pas trop longue, j'check voir si elle est facile à lire, tout ça, là après ça, je vais mettre des affaires comment ça prend tout. Là, on commence à le faire cuire. Couper tous les légumes avant ; après ça tu commences à faire cuire ta viande, après ça tu mets ça dans le fourneau... »;

« On commence par découper le patron avec des pics, on commence par-dessus le patron, le tissu, découper le patron, à la bonne mesure, à la mesure qu'on veut... Et puis, il faut repasser le patron et repasser le tissu. Mettre le tissu, prendre la mesure comme il faut... »

Puis, quatre personnes confectionnent des outils ou des aide-mémoire auxquels elles peuvent avoir recours durant la tâche (8 mentions) :

« Mettons c'est une tasse et trois quarts, bien c'est le trois quarts, moi, que je ne sais pas! Ou qu'il est le trois quarts? Fait que là je le marque, mettons je me dessine un petit dessin, une tasse, puis je le marquerait qu'au moins je le savais que c'était ça. »;

« Pour le disque (dans l'ordinateur), j'ai commencé à apprendre à mettre le disque dans le rond, après ça j'ai mis ça dans le petit carré, (...) là moi j'ai fait le même dessin à côté pour m'en souvenir, là après ça c'est comme ça que j'ai appris plus vite. »

Finalement, trois participantEs disent aider les autres lors de l'accomplissement d'une tâche, ce qui leur demande d'être aptes à en planifier les étapes. L'exemple suivant est éloquent à cet égard :

« Fait que là j'ai dit à ma mère : "On va prendre un papier, on va se calmer les nerfs!", je prends un papier, là je vais lire les instructions dans ton livre, puis là à mesure je vais te les marquer. Pour savoir où est-ce qu'on s'en va! »

Je vérifie

La vérification comme activité d'autorégulation est utilisée par la majorité des personnes interrogées (8/10). On relève 14 mentions de ce genre. Certains exemples sont d'ordre très pratique :

« Il faut goûter de temps en temps pour voir si ça manque des épices, de l'ail, du thym des choses comme ça. »

D'autres sont davantage d'ordre cognitif :

« Pis je regarde toujours mon ouvrage deux fois. »

Bref, l'analyse montre qu'il n'y a pas absence de recours à des stratégies métacognitives, mais que leur emploi n'est pas toujours garant de la réussite. Il est important de souligner que les témoignages des participantEs concernant l'utilisation de stratégies nous exposent à une panoplie de situations d'apprentissage qui ne relèvent pas seulement du monde de l'écrit. Comme Taurisson55 l'avance, il existe toujours deux pôles chez l'apprenant : l'exécutant et l'organisateur.

Dans le premier cas, c'est la personne qui agit, c'est-à-dire qu'elle sollicite de l'aide, se résume et emploie des stratégies cognitives. Dans le deuxième cas, l'apprenantE se regarde agir, planifie, évalue et exécute des stratégies métacognitives. On constate donc que chez les participantEs interrogéEs, le pôle dominant semble plutôt être celui de l'exécutant.

Ce constat n'est pas sans rapport avec le sentiment de compétence. Plusieurs auteurs, dont Ruph56, affirment que le sentiment de compétence influence le degré d'engagement face à la tâche. L'apprenantE qui a connu du succès en utilisant une stratégie sera plus enclinE à la réutiliser ou même à élargir son répertoire. Or, nous verrons plus loin que les participantEs entretiennent plutôt une image négative d'eux-mêmes dans l'apprentissage, ce qui explique en partie leur recours relativement restreint aux stratégies.

4.4 Les facteurs affectifs dans l'apprentissage

Dans cette section, nous abordons quatre aspects qui, selon la littérature, désignent des facteurs affectifs influençant l'apprentissage : la perception de soi dans l'apprentissage, les attitudes face à l'objet d'apprentissage, les émotions ainsi que les attributions.

Perception de soi dans l'apprentissage

Malgré quelques mentions positives, on peut dire que le portrait que les adultes tracent d'eux-mêmes est relativement sombre.

Quelques exemples de perceptions de soi positives

Toutes les personnes interrogées ont indiqué détenir des habiletés dans certains domaines. Dans la majorité des cas, les exemples relevés ne concernent pas des habiletés d'ordre cognitif, comme l'écrit, mais plutôt des compétences sociales ou manuelles. On compte 17 mentions à cet effet :

« Tu vois j'ai eu trois enfants puis je ne pensais pas d'être capable de m'en occuper, même il y a bien du monde qui trouve que je suis assez bonne de m'occuper de trois enfants. »;

« Bien surtout dans les dernières années là depuis au moins quatre, cinq ans là, je vois une différence (positive en comparant avec le passé). J'étais plutôt une personne qui n'aurait pas fait ça avant, parler dans le micro, je serais partie chez nous. »;

« Comme faire le manger, c'est facile, coudre c'est facile, l'électricité c'est facile, puis arranger des affaires d'électricité c'est facile. »

... mais une perception surtout négative

Contrairement aux quelques remarques précédentes, on note surtout que neuf des personnes interrogées entretiennent une image négative d'elles-mêmes dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ; on compte d'ailleurs 55 mentions à ce sujet. Cette perception négative est fortement ancrée et vivement ressentie, comme le confient ces participantEs :

« Je dirais plutôt "Encore pourrie!" Oui, souvent on se le dit quand on n'est pas capable. »;

« Je ne suis pas bonne pour écrire parce que je ne suis pas capable. »;

« Mettons si il y a une phrase là (problème de mathématique à résoudre)... Paul, 480, 10, 16 à placer, divise-les par... ça j'ai de la misère! Parce que c'est dans la lecture premièrement, plus les mathématiques. Fait que là-dedans, je suis pourrie! »;

« J'ai appris mes lettres, mais avec mes lettres je veux faire le mot, puis je ne suis pas capable, ça ne me rentre pas. ..ça ne rentre pas pantoute. »

À 32 reprises, l'expression « je ne suis pas capable » est employée par les participantEs. On constate donc qu'un sentiment d'impuissance s'est tissé à travers les échecs et les expériences passées :

« J'étais petite à l'école, puis ça ne rentrait pas. Puis ce n'est pas aujourd'hui que ça va me rentrer encore. Je n'apprends pas »;

« Ce n'est pas d'aujourd'hui que je ne suis pas capable d'écrire, j'ai de la misère. »;

« Le professeur, elle prend le temps quand il y a quelque chose que tu ne comprends pas. Tsé elle s'assisait, puis elle te l'expliquait puis tout ça. Mais ça ne rentrait pas, même là j'ai encore de la misère aujourd'hui. »

On comprend alors que le sentiment d'incapacité ait été intériorisé au fil des années par les participantEs et qu'ils semblent impuissantEs à changer cette situation.

Ces témoignages viennent confirmer le fait que les résistances sont souvent provoquées par des situations d'apprentissage vécues antérieurement et dont le simple souvenir ravive des émotions troublantes chez les apprenantEs. Somme toute, on constate à quel point ces résistances sont présentes et influencent le processus d'apprentissage des apprenantEs, car comme nous l'avons vu au chapitre 2, la tendance accrue au défaitisme et au retrait cache bien souvent le désir de se protéger et de préserver sa dignité.

Par ailleurs, huit personnes disent se percevoir négativement en raison de leur rythme d'apprentissage trop lent (15 mentions) :

« Ça prend plus de temps (...) des fois je passe à travers, des fois je ne passe pas. Parce que c'est nouveau, c'est dur à apprendre vite, vite, vite parce que c'est ça, on est slow, ça prend plus de temps, plus de fois »;

« Bien j'aurais aimé apprendre tout de suite... mais je ne suis pas capable d'apprendre tout de suite. » ;

« Bien oui, parce que des fois tu te dis, bien j'aimerais ça comprendre dans une shot là tsé, mettons deux shots là tsé. »

À la suite de ces propos, on comprend qu'en s'évaluant, inévitablement les participantEs se comparent aux autres. Ainsi, huit d'entre eux éprouvent un sentiment d'infériorité et se sentent à l'écart des autres (15 mentions) :

« J'ai toujours eu une crainte pareil à lire parce que j'étais tout le temps en arrière des autres. Les autres lisaient tous bien puis toi tu es ba, ba, ba... »;

« Mais j'aimerais ça être comme tout le monde, dire : Ah! tiens je suis capable de parler en anglais, comprends-tu ou je suis capable de lire comme il faut, sans avoir de difficultés à lire ou bien non... à cliquer ou whatever là, tsé. »

Plusieurs même font référence à des expériences qui les ont marginaliséEs, comme le raconte cette participante :

« Tout le monde attendait que j'aie fini (son examen), puis là je le savais, puis ma chum elle me voyait, elle a dit : "Tu commençais à shaker là". Parce que je regardais tout le monde... Tsé j'ai passé mais de justesse là parce que je pense que je me suis dépêchée. »

Bref, comme Saint-Pierre et Laforturne57 le mentionnent en s'appuyant sur plusieurs auteurs, le sentiment de compétence se construit au fil des expériences et des comparaisons que l'on fait entre soi et les autres. Chez les adultes interrogés, ces deux éléments (les expériences et les comparaisons) ont presque toujours renforcé une perception négative de soi. Même s'ils utilisent abondamment un langage interne positif à leur propre égard, que leur désir d'apprendre est grand, il n'en demeure pas moins que les participantEs que nous avons interrogéEs sont aux prises avec un sentiment de compétence très faible. Ces représentations négatives ne font qu'augmenter le stress, multiplier les résistances, restreindre les stratégies, affaiblir la motivation, bref diminuer la performance cognitive.

Attitude : tout dépend du contexte

Il s'est avéré particulièrement difficile de dégager les attitudes des participantEs à l'égard des apprentissages puisque celles-ci dépendent fortement du contexte dans lequel se font ces apprentissages. L'attitude, fragile, change au gré du contexte et dépend d'une série de facteurs.

L'analyse montre que l'entraide est une condition qui aide les apprenantEs à maintenir une attitude d'ouverture face à l'objet d'apprentissage; cela est vrai pour sept personnes interrogées (12 mentions) :

« Tu te sens plus valorisée, tu te dis : Elle, elle a confiance en moi. Fait que je vais essayer d'avoir confiance en moi. »;

« C'est le fin! On est toujours à s'aider et tout dans l'équipe, on est tout le temps en équipe. »

Ce constat est particulièrement présent lors d'une expérience d'apprentissage citée par plusieurs participantEs, soit la recherche sur les logiciels. On relève sept mentions à ce sujet, dont ce commentaire :

« J'aime bien faire de la recherche, aider aux autres ici. On est toujours en équipe tout le temps. J'aime ça, je suis plus ouverte, je vois plus de choses, tout. C'est le fun. »

L'entraide et le travail d'équipe renforcent donc le sentiment de compétence des participantEs en raison de la confiance que les autres leur portent ; cela les motive à poursuivre leurs apprentissages et à garder une attitude favorable d'ouverture et de persévérance.

Par ailleurs, il va sans dire que le fait d'être seules devant la tâche engendre chez plus de la moitié des personnes rencontrées (6/10) des attitudes défavorables face à la tâche, telles que le désintéressement et la démotivation (7 mentions) :

« Non, ça je vais le lâcher si je ne suis pas capable, si je suis toute seule là, je le lâcherais. »;

« Puis si c'est ici (au Carrefour), je pourrais me sentir à l'aise si quelqu'un m'appuie. Mais toute seule là... Non, je n'aime pas ça. »;

« Puis si je ne suis pas capable de le faire, bien là je demande (de l'aide). A la maison, il y a quelqu'un, mes frères... mon frère, il me le montre. »

La tâche, surtout si elle demande un effort cognitif, perd peu à peu sa signification, surtout dans un contexte autre que le Carrefour où les conditions favorables ne sont pas réunies.

L'analyse indique également que face à une tâche qui leur paraît difficile, six personnes adoptent une attitude défavorable qui se traduit bien souvent par l'évitement ou l'abandon de la tâche (11 mentions) :

« Je me dis qu'y faut que j'essaye. Pis quand je comprends pas, ben je laisse ça là. Comme pour une recette, si y'a des mots compliqués que je comprends pas, je vais laisser ça là. J'essaye pis si ça marche pas, je laisse tomber. »;

« Oui, je laisse tomber parce que quand tu n'es pas capable de faire que c'est qu'elle te demande, tu ne fais pas parce que tu n'es pas capable... »;

« Parce que tu as tellement de la misère que c'est là que tu veux lâcher tout le temps le plus, où tu as plus de misère. Qu'est-ce qui est facile hein! Tu ne chiales jamais. »;

« Quand j'ai de la misère là, je m'en viens (je dis) : y a-t-il quelqu'un? Mais là je n'en peux plus! Mais je veux dire je ne laisserais pas trois heures (à l'ordinateur) là à faire de quoi, ça me tanne! C'est trop! Parce que tu essaies trop. Tsé regarde ça, ça ne marche pas. Ah! non! ça ne marche pas encore! »

L'adoption d'une telle attitude paraît légitime puisque les participantEs ne souhaitent pas placéEs constamment face à leurs difficultés, car cela viendrait renforcer l'image négative qu'ils ont d'eux-mêmes. En effet, cette attitude devient synonyme de résistance, car devant la possibilité d'un échec, l'apprenantE préfère s'éloigner de la tâche plutôt que de revivre cette situation désagréable.

Schoenfeld58 illustre bien les résultats de la présente recherche avec le Cycle de l'activité métacognitive, que nous avons mentionné au chapitre 2. Ainsi, nous avons vu que la majorité des participantEs ont une perception négative d'eux-mêmes et que pour eux, apprendre est inévitablement quelque chose de difficile. De plus, les résultats indiquent que les adultes exécutent les tâches avec peu de moyens, et pas toujours les bons, ce qui les mène bien souvent à un nouvel échec. Par conséquent, leur sentiment d'incompétence est ravivé. À la suite d'un nouvel échec, les participantEs réajustent leurs connaissances métacognitives, c'est-à-dire leurs croyances selon lesquelles la tâche devient encore plus difficile et qu'ils sont vraiment incapables de la réussir. Nous verrons au point suivant que les émotions jouent également un rôle important dans ce cycle. L'apprenantE reste dans bien des cas aux prises avec des sentiments de déception et de frustration, ce qui n'est pas sans influencer son engagement dans une nouvelle tâche. Schoenfeld avance en ce sens qu'il est particulièrement ardu de cerner ce qui relève de l'affectivité et de la métacognition dans l'exécution d'une tâche, les deux étant trop imbriquées.

Les émotions: plus souvent le découragement et la frustration que la satisfaction

Presque toutes les personnes interrogées (9/10) se disent fières lorsqu'elles réussissent à accomplir une tâche (22 mentions). Un simple petit succès les rend heureuses et leur donne le sentiment d'avoir eu une bonne journée. La majorité des réussites rapportées par les personnes rencontrées ont été réalisées à l'intérieur du Carrefour, c'est-à-dire au sein d'un environnement protecteur, comme le racontent ces participantEs :

« Bien j'étais content, au moins j'ai réussi. Quand je fais de quoi puis Ginette me regarde puis elle rit : "bien là, c'est beau tu as bien réussi tes affaires", bien je suis content! Quand elle me dit : "Bien ça l'a bien marché pour toi aujourd'hui, ça l'a bien été". »;

« Là je trouve mon mot, là après ça je peux l'aider aux autres. Je peux l'aider au moins je suis fière je l'ai trouvé mon mot! »

Les témoignages révèlent que lorsqu'ils ont réussi un exercice ou qu'ils se sont appropriés certains concepts, un sentiment de fierté émerge. De plus, ce sentiment se conjugue avec le désir de manifester aux autres leur réussite et l'espoir de réduire ainsi leur sentiment d'infériorité :

« Je suis fière je suis très fière de moi! Oui! Je veux montrer que je suis capable moi aussi comme les autres... parce que je veux monter plus haut que les autres. Je veux montrer que je suis capable d'apprendre. »

Face à l'échec, beaucoup plus fréquent que les réussites, les participantEs éprouvent plusieurs sentiments, dont deux qui semblent se vivre plus intensément, soit la frustration et le découragement. Six personnes indiquent à 14 reprises que face à l'échec, un sentiment de frustration, voire de colère et d'impuissance, s'empare d'eux :

« Tu serais peut-être capable de le calculer vite de même, toi, mais moi je ne suis pas capable, puis ça, ça me frustre, ma fille... Ça, par exemple, je ne l'ai pas réussi, puis là j'étais frustrée au bout! Parce que je me disais pourquoi je ne suis pas capable? Puis je voulais l'apprendre! Mais ça ne rentrait pas... »;

« Parce que ça me fâche moi, parce que je ne suis pas capable d'écrire. Je ne suis pas capable! J'aimerais écrire pareil comme qu'il y en a qui écrivent, tsé... mais je ne suis pas capable! »

S'ajoute à cela, pour six personnes (et 16 mentions), la déception face à la non-réalisation d'une tâche, comme l'exprime si bien ce participant :

« Si je n'ai pas réussi, bien je suis déçu. Déçu parce que je mets pas mal d'effort à essayer de comprendre (...) comprendre ce qu'ils veulent que je fasse, tsé. Je me sens mal, (parce que) je voulais le faire, mais ce n'était pas dans mon moyen de l'apprendre, je deviens pas mal déçu. »

On comprend que l'attitude positive, l'intérêt pour la tâche ainsi que le langage interne positif qu'ils se répètent constamment, tout cela s'effondre peu à peu pour faire place au découragement et à la colère lorsqu'ils constatent que leurs efforts ne génèrent que de faibles résultats.

Attribution

Nous voulions savoir à quoi les participantEs attribuaient leurs réussites ou leurs échecs. Nous avons divisé leurs réponses en trois catégories : la conviction de leur «  incapacité  », leurs efforts et leurs stratégies, puis l'aide des personnes significatives.

Je n'apprends pas parce que « je ne suis pas capable »

Pour neuf personnes rencontrées, l'échec ou la réussite découle principalement de leurs capacités intellectuelles, ou plutôt de... leurs incapacités (30 mentions). La majorité d'entre elles (8/10) font référence à leur incapacité à se concentrer devant une tâche (12 mentions) :

« Si je ne suis pas concentrée là j'ai de la misère à comprendre. »;

« Je ne le sais pas, je pense à d'autres choses. On dirait que ça ne va pas rentrer pour apprendre à lire. C'est d'autre chose qui est dans ma tête qui m'accepte plus d'affaires. »

On remarque également que plus de la moitié des participantEs rencontréEs (7/10) font allusion à leur incapacité à mémoriser (18 mentions). Comme nous l'avons vu précédemment, la stratégie de la mémorisation par le « par cœur » génère de minces résultats :

« J'apprends de quoi et j'oublie, ça ne reste pas, ça Va de la misère à rentrer »;

« Mais je m'en fais moins de cas parce que je le sais que c'est compliqué, il faut que tu aies bien de la mémoire pour ça. (Et) je n'en ai pas. Je n 'ai pas beaucoup de mémoire pour ça non. »;

« ... c'est un down de mémoire que ça l'a été formé en étant jeune. »

Nous avons vu que la majorité des participantEs entretiennent une image négative d'eux-mêmes. Une fois de plus, l'analyse nous montre à quel point cette perception est fortement ancrée. Si l'on se réfère à Chouinard59, le modèle attributionnel qui se dégage des propos des participantEs pour expliquer leurs succès ou leurs échecs d'apprentissage fait surtout référence à leurs incapacités intellectuelles. En effet, ils entretiennent une vision négative de leur propre lieu de contrôle interne, c'est-à-dire de leur personne, et ce sentiment demeure stable dans le temps : tu l'as ou tu ne l'as pas! Ce modèle attributionnel engendre donc des effets négatifs puisqu'il réduit la motivation des participantEs, et dans bien des cas, génère des sentiments de honte et de résignation.

Je peux apprendre parce que je mets des efforts

Neuf participantEs indiquent que la réussite d'une tâche peut être attribuable aux nombreux efforts qu'ils déploient (32 mentions). En voici quelques exemples:

« J'ai mis des efforts à réussir! Parce que je voulais réussir. »;

« Puis à la force de me forcer là je l'ai appris, puis les mathématiques c'est comme ça aussi, en faisant plus, essayer de me forcer, (...) parce que je ne savais rien de ça. »;

« J'ai travaillé assez fort pour l'apprendre fait que c'est officiel que je ne l'oublierai pas... puis plus tu pratiques plus tu vas apprendre. »

Cet aspect est fort positif, comme le mentionne Chouinard60, puisque l'attribution des succès à l'effort devient contrôlable dans la mesure où il est possible d'adopter des stratégies pour exécuter la tâche, contrairement aux habiletés, qui demeurent généralement des aptitudes innées. Les propos des participantEs témoignent donc d'un certain espoir en leurs possibilités de réussite lorsqu'ils y mettent les efforts. Par contre, ces efforts ne donnent pas souvent les résultats escomptés, car ils ne conduisent pas à des stratégies efficaces. Ainsi, malgré tous leurs efforts, les participantEs se butent plus souvent qu'autrement à des impasses. Par conséquent, une attitude favorable face à l'apprentissage peut se muer rapidement en découragement au moindre problème. De plus, les témoignages nous laissent croire que les efforts déployés sont en réalité liés au langage interne d'auto-renforcement et non à l'emploi de bonnes stratégies, tel que le montrent ces participantEs :

« Il faut que je l'apprenne, je vais l'apprendre! Même que ça me prendrait deux jours, trois jours, je vais l'apprendre pareil! »;

« En partie c'est grâce à moi (que j'apprends) parce que je me donne une poussée à dire il faut que je l'aie! »;

« Mais il ne faut pas que j'abandonne, il ne faut pas que je me décourage. Parce que si je me décourage, je suis fait! »

J'apprends mieux avec de l'aide

L'attribution des succès à un lieu de contrôle externe tel que l'aide d'autrui rejoint les conditions favorables à l'apprentissage qui ont été traitées plus haut, notamment la dynamique de groupe réconfortante ainsi que l'apport précieux des formatrices. Huit personnes (18 mentions) indiquent que les encouragements, le travail d'équipe et surtout le soutien et les explications des formatrices sont des éléments qui contribuent énormément à leurs petites réussites, comme le confient ces participantEs :

« C'est grâce aux maîtresses qui nous ont montré à lire. »;

« J'ai dit à Ginette (la formatrice) : "J'ai réussi ça, puis l'autre (fois) je n'ai pas réussi". Bien elle a dit : "On va le faire ici (au Carrefour)" Avec d'autre monde, on dirait qu'on s'aide nous autres. »;

« Bien la professeure me l'a montré comment faire (en tricot). Elle avait le patron, puis elle me le montrait. »

Ce constat confirme ce que nous avons vu précédemment. Ainsi, le fait d'être seulEs devant la tâche entraîne souvent l'adoption d'attitudes défavorables chez les participantEs, ce qui engendre bien souvent un nouvel échec ou simplement un désistement face à la tâche. Chouinard61 explique que l'apprenantE qui a la chance d'observer au préalable la tâche à exécuter, qui accède aux consignes et à des explications claires éprouvera un plus grand sentiment d'auto-efficacité qu'une personne qui est laissée à elle-même et qui n'a aucune idée du «  comment procéder  ». On comprend que l'apport des formatrices dans le processus d'attribution des réussites pèse lourd chez les apprenantEs et que les formatrices peuvent, par conséquent, jouer un grand rôle dans l'enseignement d'un plus grand nombre de stratégies.

4.5 Les expériences concrètes d'apprentissage

Nous avons voulu vérifier comment les apprentissages se vivaient pour les participantEs, tant au Carrefour qu'en dehors de ce lieu de formation, et tant avec l'écrit que devant tout autre apprentissage. Ces « petites histoires » d'apprentissages sont autant d'illustrations de notre objet de recherche, autant de tranches de vie révélées par les adultes et qui expliquent ce qui vient d'être montré précédemment.

Les expériences pratiques d'écriture

Les pratiques d'écriture ont été distinguées selon qu'elles se vivaient dans le contexte du Carrefour ou en dehors de ce lieu.

J'écris et je lis surtout au Carrefour

Selon les propos des personnes, les expériences vécues au Carrefour en lecture et en écriture sont positives et très satisfaisantes pour tous les participantEs, avec 17 mentions. La majorité des expériences relatées par les participantEs font référence à des projets : projet d'album photo avec le musée McCord, participation au journal du Carrefour ou à la recherche sur les logiciels au Carrefour, etc. On compte dix mentions qui concernent l'apprentissage à l'ordinateur, plus particulièrement la recherche sur les logiciels. Les adultes en parlent avec enthousiasme, leur sentiment d'utilité ayant été remarquable lors de cette activité, comme l'affirme ce participant :

« C'était plus tard pour les enfants (...), pour les logiciels pour eux autres, fait que nous autres on était un peu à essayer de voir comment est-ce qu'on aimerait ça, puis un enfant comment qu'il aimerait ça? J'ai bien aimé ça, moi! »

Toutefois, on sait que cette participation des apprenantEs au projet de recherche découle du fait qu'ils avaient préalablement entrepris une démarche d'alphabétisation où ils avaient pu rehausser leur sentiment de compétence en matière de lecture et d'écriture et que, bien sûr, l'activité se faisait en groupe, ce qui a certes favorisé leur engagement.

À l'extérieur du Carrefour, j'écris et je lis moins

Les expériences liées à la lecture et à l'écriture semblent beaucoup moins présentes à l'extérieur du Carrefour ; cinq personnes en ont parlé (9 mentions). D'une part, on constate que cinq de ces mentions concernent des pratiques positives de lecture et d'écriture. L'analyse des témoignages porte à croire que les expériences relatées par les participantEs sont un prolongement significatif des acquis et des apprentissages faits à l'intérieur du Carrefour. Ainsi, trois personnes mentionnent que dorénavant, à la suite de leur participation aux ateliers d'alphabétisation et de cuisine, elles sont aptes à cuisiner en suivant une recette :

« Des fois je regarde dans un livre, dans les 7 jours dans des affaires de même là, il y en a des recettes, ah! je dis, ça me tente de faire ça aujourd'hui, je le fais... parce que je suis venue deux ans à un cours de cuisine en bas, j'ai été dans le cours Maigrir avec le sourire, j'ai appris là aussi. »

On assiste donc à un transfert de connaissances non négligeable, et le processus d'apprentissage en soi semble très positif puisque le Carrefour fait résonance à l'extérieur de ses murs.

D'autre part, trois des neuf mentions relatent des expériences négatives : l'une concerne l'aide aux devoirs d'un participant auprès de son enfant, l'autre porte sur la difficulté à répondre à un questionnaire lors d'un cours de premiers soins et le dernier, sur des difficultés à comprendre des documents gouvernementaux. Dans les trois cas, on soulève la complexité grandissante des écrits, qui peut également refléter la présence de barrières culturelles, comme en témoigne ce participant :

« Mais ça l'arrivé ça des fois à des papiers qui arrivent à la maison, tsé des affaires du gouvernement à remplir, c'est quoi ça, je ne comprends pas, je comprends un peu mais pas toujours, fait que là je vais venir à Carrefour, je vais essayer d'avoir de l'aide pour les remplir. »

Dans ces trois cas, on constate que le Carrefour est appelé à jouer un rôle de médiateur en dehors des activités régulières pour rendre accessible les écrits sociaux.

Les expériences d'apprentissage en dehors de l'écrit

Comme pour le point précédent, nous avons dégagé les propos des personnes interrogées sur les expériences d'apprentissage selon qu'elles ont lieu au Carrefour ou en dehors.

Au Carrefour, on s'implique dans plusieurs ateliers et comités

Le Carrefour offre une multitude d'ateliers aux participantEs, ce qui fait de cet établissement un milieu de vie communautaire où les apprentissages vont bien au-delà de la maîtrise du code écrit puisqu'ils visent la citoyenneté. Comme nous l'avons vu plus tôt, les gens viennent au Carrefour pour contrer l'isolement, acquérir une autonomie, avoir accès au monde, bref faire l'acquisition d'habiletés sociales qui leur permettent d'être des citoyens actifs. Ils sont nombreux à fréquenter le Carrefour depuis plusieurs années, ce qui a contribué à l'accumulation de réussites et à la consolidation de leur propre sentiment de compétence, même si celui-ci se rapporte peu à leur maîtrise de l'écrit. En voici quelques exemples :

« Je vais au comité rencontres à tous les premiers du mois... Si on a besoin de demander à la commission scolaire, au gouvernement, si on a besoin de faire de quoi dans l'atelier, si on a quelque chose qu'on n'aime pas, on fait un comité puis on demande si c'est possible, »;

« Comme demain, je viens au Carrefour pour le comité de rencontres des parents, le soir là, puis demain après-midi, c'est Maude avec le comité des fêtes. »;

« Je représente ma coop (d'habitation), puis là si j'avais quelque chose à dire, je n 'avais pas peur de parler. Fait que j'ai appris tsé confiance et puis j'ai appris porte-parole, avec le comité de participants (du RGPAQ62) on a eu des chances à parler aux journalistes et puis parler des affaires de nos subventions, toutes des affaires qui touchent l'apprentissage. »

En dehors du Carrefour, je tente d'appliquer les connaissances que j'y ai acquises

L'analyse des témoignages nous permet de constater encore une fois que le passage des participantEs au Carrefour favorise leur implication dans d'autres domaines d'activité. C'est un élément fort positif, car on assiste alors à un transfert de connaissances, comme l'exprime cette participante :

« Moi j'aime à faire des préparatifs, des organisations de soirées, comme j'ai fait avec Marie (au comité des fêtes), l'an passé là... parce que là je suis en train d'organiser le party à mon frère pour son vingt-cinquième, puis j'ai des neveux, je leur donne des suggestions puis ils me prennent mes idées parce que je connais l'affaire. »

Par ailleurs, les expériences négatives rapportées par les participantEs en dehors du Carrefour découlent d'un contexte où les conditions favorables à l'apprentissage énumérées plus tôt pour la lecture et l'écriture brillent par leur absence. Ainsi, si l'adulte est seul devant la tâche, l'expérience peut s'avérer difficile, comme l'exprime ce participant qui était chauffeur d'autobus scolaire :

« Le gars, il montrait les rues à prendre pour toutes sortes... c'était plus facile. (Mais) la troisième journée tout seul là, ouououou! Tu essaies de suivre qu'est-ce qu'il faisait mais tu te perds un peu tsé, là tu veux avoir de l'aide. »;

« À Québec, j'y vais, j'y suis allé trois, quatre fois. (Mais) dans le temps que j'ai été à Québec, c'était le Vieux-Québec, mais là j'y ai retourné et j'étais perdu. »

S'ajoute à ce contexte défavorable la difficulté d'utiliser des stratégies relevant de la métacognition, telles que la planification ou l'application de concepts théoriques appris en ateliers, notamment les points cardinaux. En témoigne cette participante :

« Fait que là j'ai fini par comprendre que le nord c'était en haut, le sud c'était en bas, mais quand tu es rendue dehors là puis tu veux savoir où est-ce qu'il est le nord, le sud, est, ouest... Ben là, j'étais assez découragée de ne pas trouver le chemin... Je voulais retourner de bord, je voulais m'en retourner chez nous... »

Bref, on constate que le Carrefour joue un rôle prédominant dans l'acquisition de compétences chez les personnes interrogées. Au départ, il représente l'issue pour apprendre enfin à lire et à écrire, mais il devient rapidement un lieu où l'on brise aussi l'isolement, accède au monde, acquiert des habiletés sociales et manuelles, et ce, dans plusieurs domaines. L'accueil chaleureux de l'équipe de travail contribue au maintien de la participation assidue de sa clientèle ; en effet, plusieurs mentionnent que le Carrefour, c'est pour eux une famille. De plus, la gestion participative fait en sorte que les apprenantEs éprouvent un sentiment d'appartenance très fort envers l'établissement, et cet aspect a certes contribué à leur implication au sein de comités où ils participent au processus de prise de décision.

Les résultats de cette analyse nous laissent entendre qu'au Carrefour, les facteurs affectifs ainsi que les résistances à l'apprentissage sont pris en compte dans tous les ateliers, et pas seulement en alphabétisation : dynamique de groupe réconfortante, valorisation, encouragements et soutien des formatrices, intégration des nouvelles technologies, conscientisation sur des sujets d'actualité et souci de rehausser le sentiment de compétence chez les participantEs.

Mais cela reste un énorme défi, car on constate que malgré tout, il demeure difficile d'apprendre pour les participantEs. Les personnes entretiennent une perception négative d'elles-mêmes dans l'apprentissage et elles sont constamment aux prises avec des émotions négatives à gérer : peur de ne pas réussir, sentiment d'impuissance et d'incapacité, etc. La motivation est alors affectée, l'évitement de la tâche est souvent préconisée, ce qui réduit l'engagement des participantEs ainsi que la variété des stratégies utilisées. À cet effet, on remarque que l'éventail de stratégies dites métacognitives est très restreint, mais que lorsque celles-ci sont utilisées à bon escient, elles peuvent générer des résultats plus fructueux que le tâtonnement. Par conséquent, une intervention sur le plan du modèle attributionnel des participantEs est souhaitable afin qu'ils transforment leurs efforts en stratégies efficaces. Ainsi, les participantEs attribueront leurs échecs ou leurs succès aux stratégies utilisées durant la tâche et non à un manque d'habiletés.

C'est ainsi que se termine l'analyse des résultats de nos quatre thèmes, soit l'histoire personnelle et sociale des participantEs, l'apprentissage en général, les facteurs affectifs dans l'apprentissage et les expériences concrètes d'apprentissage. La conclusion porte sur un résumé des résultats ainsi que sur les perspectives et retombées éventuelles dans notre milieu d'intervention.

Conclusion

Cette recherche-action vient perpétuer la tradition du Carrefour : mettre à jour les connaissances sur l'apprentissage des personnes peu alphabétisées demeure toujours au cœur de nos préoccupations. Le questionnement, la réflexion, le réajustement ou le changement des pratiques font partie intégrante de la philosophie et de la mission de l'équipe de travail du Carrefour, et ce, dans tous les secteurs d'activité et des services offerts à la population de Pointe Saint-Charles. Cette recherche se voulait au départ un moyen de mieux comprendre les résistances des participanEs inscritEs en démarche d'alphabétisation, mais les témoignages nous livrent également une masse d'information précieuse sur le processus d'apprentissage des adultes peu alphabétisés.

L'objectif de cette recherche-action était d'explorer, avec dix participantEs aux ateliers d'alphabétisation du Carrefour, les résistances de ces derniers, principalement sur le plan affectif, ainsi que leurs stratégies d'apprentissage. Rappelons que cette recherche qualitative a été possible grâce à la générosité de ces dix participantEs, qui ont révélé avec beaucoup de sensibilité leurs émotions, leurs résistances, leurs stratégies, leurs expériences, leurs conceptions et leur histoire de vie à l'égard de l'apprentissage.

Cette recherche nous a permis de porter un regard neuf sur l'apprentissage des participantEs en nous donnant une meilleure compréhension de l'utilisation et de l'évaluation que les apprenantEs font de leurs apprentissages, même une fois revenuEs à la maison. Voilà un aspect à ne pas négliger, car la parole des participantEs engendre une réflexion quant à nos pratiques et nos propres résistances en tant que formatrices. L'analyse des résultats nous laisse croire aux bienfaits d'entreprendre mutuellement, c'est-à-dire tant les participantEs que les formatrices, une certaine déconstruction de nos conceptions de l'apprentissage qui sont bien souvent ancrées dans des façons de faire plutôt traditionnelles issues de nos expériences scolaires et professionnelles.

La présente conclusion résume les résultats de la recherche selon les quatre thèmes analysés, soit l'histoire personnelle et sociale des participantEs, l'apprentissage en général, les facteurs d'ordre affectif qui influencent le processus d'apprentissage des apprenantEs ainsi que les expériences concrètes d'apprentissage. Par ailleurs, au terme du processus de recherche, des membres de l'équipe du Carrefour se sont réunis afin d'échanger sur les perspectives et les retombées possibles de la recherche sur le plan des interventions andragogiques ; ces éléments sont brièvement présentés. Enfin, signalons que nous ne retenons pas, pour cette synthèse, d'éléments liés au test Profil d'efficience spontanée et sur demande, issu de l'API Nous estimons que ce moyen n'a finalement pas éclairé comme nous le souhaitions notre démarche de recherche. Le lecteur ou la lectrice qui souhaite en apprendre davantage consultera les chapitres 3 et 4 à ce sujet.

Synthèse sur l'histoire personnelle et sociale

Dans cette section, deux sujets ont été principalement abordés : les antécédents scolaires et les motifs d'inscription au Carrefour. Les personnes interrogées présentent un parcours scolaire difficile parsemé de ruptures et teinté d'absences. On parle de déménagements, de transfert en classes spéciales, de va-et-vient entre familles d'accueil ; les adultes mentionnent également des périodes d'absence mentale et disent avoir eu la tête ailleurs plutôt qu'en classe. Cela nous semble un constat légitime si nous considérons, dans une approche globale, tous les facteurs sociaux présents durant cette période. Les personnes sont nombreuses à rappeler leurs incapacités dès leurs premiers apprentissages scolaires et les sentiments d'exclusion et de stigmatisation qu'elles ont vécu jusque dans leurs interactions avec leurs pairs. Déjà, en bas âge, elles entretenaient une perception négative d'elles-mêmes, image souvent renforcée par le personnel enseignant ou par leurs parents. On assiste à l'émergence d'un faible sentiment de compétence à un stade où la personnalité se construit. Cet aspect a certainement entraîné des répercussions importantes sur leur cheminement ultérieur en matière d'apprentissage.

On comprend que la totalité des personnes interrogées ont quitté l'école du fait qu'elles entretenaient un rapport particulièrement difficile avec le monde scolaire. Elles sont plusieurs à souligner leur manque d'intérêt pour l'école, celle-ci n'ayant pas pris tout son sens. La singularité de leur parcours les mène donc plus tard vers des services d'alphabétisation puisqu'elles ne maîtrisent pas ou très peu le code écrit.

Le principal motif d'inscription au secteur de l'alphabétisation est d'améliorer les compétences en lecture et en écriture. On pourrait penser que leur souhait découle d'une pression externe provenant de la société, de la complexité grandissante des écrits ou encore des obligations sociales que doit remplir chaque citoyen. Or, leur désir de maîtriser le code écrit provient davantage d'une motivation intrinsèque qui trouve sa légitimité dans les gestes les plus banals et quotidiens : lire une recette, un patron, le bulletin de son enfant, des documents au travail, le nom des rues, etc. La maîtrise de l'écrit représente donc un moyen pour eux d'acquérir une autonomie.

S'ajoute à cela le désir de briser l'isolement, car leur méconnaissance en matière de lecture et d'écriture constitue aussi un obstacle à leur engagement dans d'autres secteurs d'activité. Le désir d'apprendre à lire et à écrire peut être interprété comme un passage obligé, car il représente le seul moyen d'accéder à d'autres objectifs qui prédominent bien souvent : être autonome, socialiser, jouer son rôle de parent, travailler, etc. C'est pourquoi il ne faut pas négliger l'influence du réseau social des participantEs et la vie communautaire qu'offre le Carrefour dans leur choix d'entreprendre une démarche en alphabétisation. Bref, quels que soient les motifs invoqués, on constate que la maîtrise de la lecture est encore et toujours un enjeu démocratique pour une population trop souvent marginalisée.

L'apprentissage en général

Les personnes interrogées nous font part de trois conceptions dominantes de l'apprentissage. D'abord, l'apprentissage est perçu comme un moyen d'accéder au monde qui les entoure et d'y participer activement. Cependant, cette ouverture au monde est conditionnelle à l'appropriation du code écrit. Ce préalable devient pour elles la base de toute forme d'apprentissage. Donc, apprendre passe, nécessairement, par le fait d'apprendre à lire et à écrire. De plus, la troisième conception dégagée à partir des propos des participantEs révèle qu'apprendre, c'est inévitablement difficile. Ce constat paraît logique si l'on se remémore le parcours scolaire de ces adultes, qui ont vécu l'échec plus souvent qu'autrement. L'apprentissage est donc perçu comme un processus difficile, qui semble s'être révélé périlleux tout au long de leur vie et ce, depuis l'enfance.

En ce qui concerne les conditions favorables à l'apprentissage, on constate que le fait d'apprendre au sein d'une dynamique de groupe réconfortante est un aspect important pour les participantEs. La coopération, l'entraide, les encouragements et l'accueil chaleureux sont des éléments qui jouent un rôle capital pour faciliter le processus d'apprentissage des participantEs. D'abord, un sentiment d'appartenance s'installe ; parce qu'elles s'identifient aisément à chaque membre du groupe, les personnes se sentent valorisées et surtout n'ont pas l'impression d'être jugées. Elles assistent donc aux réussites de chacunE, ce qui n'est pas sans rehausser leur sentiment de compétence ; cela permet également de générer des attitudes favorables face à l'apprentissage. Dans un autre ordre d'idées, on constate que le respect du rythme et l'apport essentiel des formatrices sont des facteurs qui influencent favorablement l'apprentissage chez les participantEs. La patience, la bonne humeur, les explications et l'appui constant des formatrices sont des attitudes et des traits de personnalité sincèrement appréciés des apprenantEs. En somme, on comprend que cet environnement favorable soit dans bien des cas à l'opposé de l'expérience scolaire des adultes interrogés. Leur démarche en alphabétisation semble répondre davantage à leurs besoins, et ils s'y sentent plus respectés.

À l'inverse, les conditions vues comme défavorables par les participantEs sont d'abord un climat d'apprentissage bruyant, des émotions difficiles à gérer et le fait d'être seulE devant la tâche à accomplir. L'importance accordée au climat de travail montre bien la fragilité des apprentissages en matière de lecture et d'écriture. Un simple bourdonnement ou trop de discussions peuvent en effet perturber les apprentissages. De plus, les personnes interrogées révèlent que même dans un environnement où l'entraide et l'aide des formatrices sont omniprésentes, elles demeurent aux prises avec des émotions négatives provoquant bien souvent des résistances qui bloquent l'accès à leurs ressources : la peur de ne pas réussir, le stress, le découragement, etc. Finalement, l'isolement devant la tâche accentue, de l'avis de tous, l'anxiété des apprenantEs. On remarque que l'écart semble très grand entre une situation où on est encouragé par un groupe et où on bénéficie des explications et de l'appui constant des formatrices et une situation où on rentre chez soi pour exécuter la même tâche, mais seulE avec ses émotions négatives et anxiogènes à gérer. L'apprentissage semble perdre alors tout son sens.

Sur le plan des stratégies d'apprentissage utilisées par les apprenantEs, on constate qu'outre l'observation, l'apprentissage par cœur ou l'aide extérieure, le tâtonnement est la stratégie la plus mentionnée. Ce tâtonnement ne conduit pas nécessairement à de bons résultats. En effet, les personnes s'acharnent à la tâche en adoptant des comportements souvent mécaniques et répétitifs, sans varier les stratégies de départ et sans apport régulateur ou correctif Par conséquent, face à des résultats infructueux, les apprenantEs abandonnent simplement la tâche, se protégeant ainsi d'un nouvel échec. Pour ce qui est des stratégies dites métacognitives, le langage interne qu'adoptent les partcipantEs se révèle le moyen le plus préconisé. Cependant, cet aspect n'est pas sans lien avec l'acharnement, puisque les participantEs entretiennent surtout un langage d'auto-renforcement (du type « mantra » : Je suis capable, je suis capable...) qui demeure désincarné car on souhaite ardemment réussir, mais sans évaluation, sans correction et sans varier les stratégies. Mentionnons cependant que quelques personnes utilisent un langage interne plus bénéfique, en se calmant, en énumérant des étapes à suivre; c'est ce langage qu'il faudrait sans doute mettre en valeur auprès des apprenantEs.

En somme, on peut affirmer que les adultes que nous avons interrogés ont recours à divers types de stratégies telles que l'observation, le tâtonnement, la demande d'aide, la mémorisation, la planification et la vérification. Cependant, les résultats obtenus demeurent faibles parce que l'éventail des stratégies mises en œuvre est restreint, que leur choix n'est pas toujours approprié et que la démarche reste instinctive et non consciente. Les apprenantEs s'en tiennent donc davantage à une attitude positive désincarnée (l'auto-renforcement du type « Je suis capable, je dois réussir, il faut que je réussisse ») et à un acharnement dans leur tâtonnement, ce qui les mène rarement à la réussite.

Les facteurs affectifs dans l'apprentissage

D'abord, la majorité des personnes interrogées ont une perception négative d'elles-mêmes face à l'apprentissage. Cette perception est fortement ancrée puisqu'elles se sont à maintes reprises butées à leurs difficultés, et ce, depuis leurs premiers apprentissages scolaires. Au fil de ces expériences d'échecs répétés, un sentiment d'impuissance s'est tissé, une image négative a été intériorisée, pour laisser toute la place à un constat immuable : « Je ne suis pas capable ». On comprend que même si elles utilisent constamment un langage interne d'encouragement et que leur désir d'apprendre est grand, les personnes interrogées ont un sentiment de compétence très faible. Ces représentations négatives augmentent le degré de stress, multiplient les résistances, restreignent les stratégies, affaiblissent la motivation et diminuent du même coup la performance cognitive des apprenantEs.

On peut comprendre alors pourquoi les attitudes face à l'apprentissage sont très fragiles et dépendent en grande partie du contexte. En présence de conditions favorables telles que l'entraide, l'apport des formatrices et les encouragements du groupe, une attitude d'ouverture est adoptée par les participantEs. Cependant, dès que ces conditions se modifient, ils adoptent rapidement des attitudes défavorables à l'apprentissage, comme la fermeture ou la démotivation. Les comportements qui en découlent alors sont l'évitement ou l'abandon de la tâche.

Sur le plan des émotions, la frustration et le découragement se vivent plus intensément et plus souvent que la satisfaction d'avoir réussi. Devant la perspective appréhendée d'un nouvel échec, l'attitude positive, l'intérêt pour la tâche ainsi que le langage interne d'auto-renforcement disparaissent pour faire place à la déception ou à la colère. Les apprenantEs prennent conscience encore une fois que leurs multiples efforts ne génèrent pas les résultats escomptés. Une fois de plus, nous constatons que cette perception d'eux-mêmes est issue d'expériences vivement ressenties. Nous comprenons alors pourquoi les adultes, lorsque nous les interrogeons à ce sujet, attribuent essentiellement leurs échecs à un manque d'habiletés qui leur apparaît immuable. Certes, ils déploient énormément d'efforts, mais comme nous l'avons vu précédemment, ceux-ci donnent rarement lieu à des réussites. Les apprenantEs font face à des échecs qui renforcent leur sentiment d'incapacité, lequel génère à son tour des émotions anxiogènes qui les empêchent de varier leurs stratégies et d'être mobiliséEs pour la tâche, ce qui conduit à un autre échec. Et cette spirale, que Schoenfeld appelle le cycle de l'activité métacognitive (voir chapitre 2, p. 24), semble bien difficile à réorienter lorsqu'elle se vit sur un mode négatif.

Les expériences concrètes d'apprentissage

Nous avons demandé aux personnes interrogées de nous raconter diverses expériences d'apprentissage qu'elles vivaient quotidiennement dans leur vie. Nous nous sommes rendu compte, en analysant toutes ces petites tranches de vie, à quel point le rôle du Carrefour est important dans la vie des personnes, tant pour faire face aux écrits que pour accomplir divers apprentissages en rapport avec les rôles sociaux. En effet, le Carrefour est le lieu où l'on apprivoise tant bien que mal l'écrit dans des conditions favorables, alors qu'en dehors, cela demeure difficile en raison notamment de la complexité des écrits. Dans ce cas, le Carrefour joue souvent un rôle de médiateur pour que ces documents soient compris et que les personnes puissent les utiliser.

Par ailleurs, c'est aussi au Carrefour que les adultes font des expériences citoyennes qui leur permettent de prendre des décisions sur des choses qui les touchent, de prendre la parole, d'être entendus. Ainsi, dans les ateliers de couture ou de vitrail, lors des rencontres des comités, on fait l'apprentissage en direct de la démocratie. Ces apprentissages sont inestimables pour les personnes interrogées, qui font état des multiples changements positifs que cela a occasionné dans leur vie. Par contraste, on observe qu'en dehors du Carrefour, les personnes vivent parfois des expériences négatives qui, bien qu'elles ne touchent pas l'écrit, se vivent dans les mêmes conditions défavorables, comme le fait d'être seulE devant une nouvelle tâche.

Perspectives et retombées possibles au Carrefour

Nous avons discuté des résultats de la recherche avec des membres de l'équipe de travail du Carrefour. Cette discussion n'est que le début d'une année consacrée notamment à réinvestir la recherche dans la pratique et à communiquer ces résultats aux apprenantEs pour qu'ils soient partie prenante du processus de changement. Voilà brièvement nos réflexions et quelques perspectives d'action à la suite de cette première discussion.

Tout d'abord, le fait qu'il soit possible d'améliorer l'efficience cognitive à tous les moments de la vie est un concept que l'équipe désire mettre davantage en valeur. On souhaite transmettre davantage aux participantEs l'idée qu'apprendre est une activité normale, quotidienne, légitime et surtout essentielle à toutes les étapes de la vie, et pour tout le monde. Chaque personne possède un capital inné qui se développe, se renforce ou s'inhibe sous l'influence des facteurs environnementaux. Cela rejoint le concept novateur et fondamental de « l'apprentissage tout au long de la vie », qui est de plus en plus utilisé pour illustrer la nécessité d'élargir les possibilités d'éducation à tous les stades de la vie, et pas seulement au cours des études initiales.

Par la présente recherche, les formatrices en ont appris beaucoup sur l'histoire personnelle des participantEs, même si elles les côtoient quasi quotidiennement depuis plusieurs années. Elles ont surtout été frappées par la perception lucide que ces personnes ont d'elles-mêmes, par l'évaluation qu'elles font de leurs apprentissages dans le quotidien, de leurs résistances, de leurs émotions et de leurs schèmes de pensée. Les animatrices possèdent donc de précieux renseignements pour réorienter, ajuster ou changer leurs interventions. Elles sont également à même de comprendre pourquoi le recrutement aux activités d'alphabétisation demeure si difficile, si les personnes peu alphabétisées ont des perceptions si négatives de leurs capacités d'apprentissage...

Les formatrices insistent sur le juste équilibre à trouver entre le respect des perceptions souvent justes des adultes face à eux-mêmes et le « harcèlement » pour les rassurer et les encourager à poursuivre leurs efforts et à continuer leur démarche d'alphabétisation malgré des difficultés réelles et contraignantes. Comment réagir face au découragement? Faut-il accepter les retraits, nier les difficultés ou confronter les perceptions? Les témoignages des participantEs nous ont démontré les inconvénients d'entretenir des attentes irréalistes à leur égard ou de les encourager sans tenir compte des résultats réels ; la déception et la frustration n'en sont que multipliées. Si les adultes se répètent constamment « Je suis capable, je suis capable », il faudrait peut-être questionner nos encouragements du même type (« Tu es capable, tu es capable ») si les efforts déployés ne mènent pas à de bons résultats. Par conséquent, une plus grande part de transparence est souhaitée, car on sait maintenant que l'on peut s'appuyer sur la lucidité des participantEs.

Ainsi, l'équipe désire souligner davantage les efforts rentables des participantEs. À titre d'exemple, la mise en place d'un tableau d'affichage des bons coups ou des stratégies rentables de chacunE pourrait devenir une source supplémentaire de motivation et un outil de référence. On veut faire verbaliser les apprenantEs sur leur démarche et sur leurs stratégies afin de les rendre plus conscientEs des moyens qu'ils se donnent et afin qu'ils puissent les réutiliser dans d'autres situations. C'est à ce prix que les encouragements des formatrices seront pertinents.

Tout cela remet en perspective l'intérêt d'enseigner plus clairement les stratégies dans les ateliers d'alphabétisation, de les expliquer et d'en montrer les résultats. Mais les formatrices se questionnent sur les façons d'intégrer cet aspect à leur pratique, tout en conservant une approche globale qui tient compte des facteurs affectifs en jeu dans l'apprentissage. D'où le peu d'intérêt à adopter intégralement un modèle ou un autre et le choix de continuer les débats et le perfectionnement au sujet des stratégies d'apprentissage, dans le contexte de l'alphabétisation populaire et de la mission du Carrefour.

Aussi, d'une manière plus pratique, l'équipe du secteur d'alphabétisation au Carrefour se questionne sur la pertinence de former des groupes selon les trois niveaux utilisés en alphabétisation, soit fonctionnel, intermédiaire et débutant. Compte tenu des résultats de la recherche, est-ce que l'apprenantE n'est pas encore jugéE implicitement à partir de sa principale difficulté, ce qui le renvoie à l'image négative qu'il s'est forgée de lui-même? Ne devrait-on pas former des groupes hétérogènes qui prennent en compte l'ensemble des compétences des individus?

Ce questionnement amène également l'équipe à repenser les pratiques d'enseignement dans les ateliers ; on souhaite réaliser davantage des projets où les participantEs seront appeléEs à vivre plus fréquemment de petites réussites dans des activités qui auront un sens dans leur quotidien, dans leur quartier. Les résultats révèlent que l'entraide et la dynamique de groupe qui règnent au Carrefour favorisent l'apprentissage des participantEs. On souhaite donc mettre sur pied des projets concrets où les attitudes de coopération et de concertation à l'intérieur même du groupe seront essentielles à la réussite du projet. L'idée ultime est que la participation au projet soit tellement intéressante que les apprenantEs en oublient leurs difficultés.

Cependant, on note que les personnes inscrites en démarche d'alphabétisation sont en général fragiles devant tout changement de pratique ; les ateliers conventionnels sont encore pour elles la seule « vraie » façon d'apprendre à lire et à écrire. Voilà une conception qui leur vient certainement de leurs premières expériences scolaires ; mais ces conceptions touchent également les formatrices et teintent leur pratique. C'est pourquoi un travail mutuel de « déconstruction » progressive de l'apprentissage (et de l'enseignement) est largement souhaité.

De plus, l'analyse des résultats met en lumière le fait qu'être seulE devant une tâche peut se vivre comme un cauchemar. L'équipe a réalisé à quel point les apprenantEs se sentent seulEs au retour à la maison, lorsqu'ils font face à leurs difficultés d'apprentissage. La tâche devient encore plus difficile et perd sa signification. L'équipe considère donc qu'il importe de réduire cet écart immense entre le fait d'être au Carrefour dans un environnement sécurisant et le fait d'être seulE chez soi où l'apprentissage devient en quelque sorte menaçant et peu signifiant. On souhaite donc proposer davantage d'activités où les participantEs pourront se rencontrer à l'extérieur du Carrefour afin de travailler ensemble à des projets. Pourquoi ne pas leur proposer de tenir quelques ateliers au domicile de chacunE? En somme, l'objectif est de favoriser l'entraide à l'extérieur des murs du Carrefour afin de briser l'isolement, de faire émerger de nouvelles stratégies et de faciliter les transferts.

Enfin, les intervenantes soulignent que les résultats et les nouveaux savoirs découlant de cette recherche-action leur paraissent transférables et applicables à tous les ateliers offerts au Carrefour, et pas seulement au secteur d'alphabétisation. En effet, la recherche ne se centre pas seulement sur les résistances et les stratégies des participantEs, mais les inscrit à l'intérieur d'une approche globale où les facteurs d'ordre affectif sont également pris en compte et traités de façon à mieux comprendre les processus d'apprentissage. Cela peut enrichir toutes les pratiques du Carrefour, qui se veut un lieu de prise de parole et d'apprentissage de la démocratie au quotidien. Et cela, les adultes participant à la recherche l'ont amplement souligné.

Bref, l'apprentissage n'est pas une chose simple, et une multitude de facteurs influencent son processus. La présente recherche nous a permis d'en savoir davantage sur les participantEs, leurs émotions, leurs résistances et leurs stratégies. C'est une véritable introspection que les personnes ont dû faire pour répondre à nos questions. Nous leur avons demandé de réfléchir sur leurs expériences d'apprentissage ; à notre tour, nous avons réfléchi et questionné nos pratiques. Nous souhaitons humblement que l'acquisition de ces nouveaux savoirs nous permettra de faciliter le processus d'apprentissage des apprenantEs et que pour vous, lecteur ou lectrice, le contenu de cet ouvrage suscitera la réflexion et des pistes d'action et de changement.

Bibliographie

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Annexes

Le tableau « Taxonomie des stratégies de résolution de problème »

Taxonomie des stratégies de résolution de problème – 1

[Voir l'image pleine grandeur]

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Taxonomie des stratégies de résolution de problèmes – 2

[Voir l'image pleine grandeur]

Liste des stratégies complémentaires privilégiées par le programme d'actualisation du potentiel intellectuel (A.P.I.)

Questionnaire d'entrevue

Entrevues individuelles

1. Introduction

Merci d'avoir accepté de participer à cette entrevue. L'entrevue va durer une heure et pendant cette heure, je vais vous poser des questions afin d'essayer de comprendre comment vous apprenez et pourquoi parfois c'est difficile pour vous d'apprendre. Si vous ne comprenez pas certaines questions, sentez-vous à l'aise de me le dire et je vous les poserai autrement. Les réponses que vous allez me donner vont permettre au Carrefour de mieux vous comprendre, dans le but de faire du matériel qui vous convienne et vous aide à apprendre. Ce n'est pas un test. Donc vous n'avez pas à vous en faire. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses.

Si vous êtes d'accord, j'aimerais enregistrer notre conversation, afin de pouvoir par la suite compiler vos réponses avec celles des autres participants qui ont accepté de me rencontrer. Vous n'avez pas à vous en faire, cette cassette sera utilisée seulement pour les fins de cette recherche et votre nom ne sera mentionné nulle part.

Le passé du participant en tant qu'apprenant

2. J'aimerais que tu me racontes un peu d'où tu viens. As-tu été à l'école longtemps?3. C'est quoi tes souvenirs de l'école?4. Quand tu repenses à ça, comment tu te sens Pourquoi?Le présent du participant en tant qu'apprenant5. Maintenant tu fréquentes le Carrefour. Ça fait combien de temps?6. Qu'est-ce qui t'a amené à venir au Carrefour?7. Comment tu te sens ici? Pourquoi?

Le participant face à l'apprentissage

8. J'aimerais que tu me racontes un moment, une fois dans ta vie où tu as vraiment eu l'impression d'apprendre quelque chose (donner un exemple personnel si nécessaire).

Sous-questions :

  • Comment ça s'est passé?
  • Dans quel contexte c'était?
  • Tu avais quel âge?
  • Avais-tu l'aide de quelqu'un d'autre ou tu étais seul(e)?
  • Comment tu t'es senti après?

À quoi le participant attribue-t-il ses succès?

9. Est-ce qu'il y a des choses dans lesquelles tu te sens bon(ne)?

Sous-questions :

  • Comment t'as fait pour devenir bon(ne) là-dedans? (exemple concret)
  • Comment tu t'y es pris(e)?

10. Quand tu réussis à apprendre quelque chose, comment tu te sens après? (donner un exemple en lien avec les compétences du participant)

11. Quand tu réussis à apprendre quelque chose, qu'est-ce qui fait que tu réussis?

(cette question sera posée en trois temps : au Carrefour, à la maison et, si applicable, au travail)

As-tu l'impression que c'est grâce à

  • toi-même
  • la personne qui t'enseigne
  • Au hasard

12. Est-ce que c'est dû à ton talent ou à l'effort que tu as fourni?

13. Est-ce que ça t'arrive souvent d'avoir l'impression d'apprendre?

La conscience que les participants ont (ou pas) de leurs stratégies d'apprentissage et d'eux-mêmes...

14. Quelles sont tes principales qualités?

15. As-tu l'impression que ces qualités-là peuvent t'aider à apprendre? Pourquoi?

16. Quand tu es en train d'apprendre quelque chose, est-ce que tu t'en sers de ces qualités-là? Comment?

17. Quand tu te retrouves face à quelque chose de nouveau à apprendre, comment tu te sens? Qu'est-ce que tu te dis?

18. Est-ce que tu te fais confiance?

19. Comment tu t'y prends pour réussir à apprendre (donner un exemple concret, le trouver avec eux), qu'est-ce que tu fais?

Au Carrefour :

  • Quand on te donne un exercice à faire, par quoi tu commences
  • Comment tu fais pour être certain(e) que ce que tu fais c'est correct? À la maison

20. Est-ce que tu te poses des questions? Comme quoi?

21. Quand tu apprends quelque chose de nouveau, comment tu fais pour que ça rentre dans ta mémoire? Pour t'en rappeler? (exemple si nécessaire)

22. Quand tu te retrouves devant quelque chose que tu sais que tu as déjà appris mais que tu ne t'en rappelles plus, qu'est-ce que tu te dis?

Le participant face à la nouveauté

23. Quand il y a des nouveaux ateliers qui sont offerts au Carrefour, es-tu porté à t'inscrire? Pourquoi?

24. Dans quel genre d'ateliers tu ne t'inscrirais jamais? Pourquoi?

Les facteurs qui influencent l'apprentissage

25. J'aimerais que tu me racontes un moment, une fois dans ta vie où tu as vraiment eu l'impression de ne pas apprendre, où tu t'es dit « ah! ça je serai pas capable  »...

Sous-questions :

  • Comment ça s'est passé?
  • Dans quel contexte c'était?
  • Tu avais quel âge?
  • Avais-tu l'aide de quelqu'un d'autre ou tu étais seul(e)?
  • Comment tu t'es senti?

26. Est-ce que ça t'arrive souvent d'avoir l'impression de pas apprendre?

27. Est-ce qu'il y a des choses dans lesquelles tu te sens moins bon(ne)?

28. Quand tu n'as pas réussi à apprendre, comment tu te sens? Qu'est-ce que tu te dis?

29. Quand tu te sens moins bon dans quelque chose, de quoi as-tu besoin pour réussir?

  • Confiance en toi? (de bonnes dispositions intérieures)
  • L'aide de ta formatrice, des gens autour de toi?
  • Un environnement favorable? As-tu l'impression que c'est plus facile d'apprendre quand toutes ces conditions sont réunies? Pourquoi?

30. Quels sont les facteurs qui t'empêchent d'apprendre?

À reformuler en employant des mots et exemples utilisés par les participants

La perception du participant de l'apprentissage

31. Si je te dis le mot apprendre, c'est quoi les premiers mots qui te viennent en tête? Complète la phrase suivante : Pour moi apprendre c'est... Pourquoi?

32. Est-ce que tu aimes ça apprendre? Pourquoi?

33. Est-ce qu'il y a des moments où tu détestes apprendre? Pourquoi?

34. C'est quoi pour toi apprendre, que ce soit au Carrefour ou ailleurs?

35. Discussion libre sur l'apprentissage

Dans les dernières minutes de l'entrevue, je discuterai librement avec l'apprenant de sa perception de l'apprentissage et des résistances à l'apprentissage en lien avec l'âge adulte. Si le temps le permet, je lancerai les questions suivantes :

Vos résistances sont-elles reliées à une peur du changement de vos habitudes? Est-ce plus difficile de réapprendre que d'apprendre?

Est-ce qu'il y a quelque chose que tu rêves un jour d'apprendre?

Ces quelques minutes de discussion libre permettront de faire un résumé avec le participant et de le remercier de sa collaboration

Fin de l'entrevue

Questionnaire d'entrevue élaboré par Lisa Sfriso lisasfriso@hotmail.com

Imprimer le questionnaire complet

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement tous les adultes qui ont accepté de nous livrer avec simplicité et beaucoup d'honnêteté leurs témoignages ; sans eux, nous n'aurions jamais fait cette recherche.

Cette recherche a été rendue possible grâce au programme des Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation (IFPCA).

Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles Montréal, 2001

Crédits

Rédaction
Élise De Coster et Nathalie Drolet

Supervision du processus de recherche et collaboration à la rédaction
Sylvie Roy

Recherche documentaire
Élise De Coster et Lisa Sfriso

Conception du guide d'entrevue
Lisa Sfriso

Recrutement de l'échantillon et réalisation des entrevues
Lisa Sfriso

Consultante en API (actualisation du potentiel intellectuel) et passation du PESD
Carole Doré

Transcription des verbatims
Colette Delisle

Compilation et analyse des données
Nathalie Drolet

Collaboration à l'analyse critique des résultats
Claire Boyer, Michèle David et Jocelyne Drolet

Révision
Isabelle Chagnon

Coordination du projet
Élise De Coster


  • 1 Communautique est un organisme à but non lucratif qui vise l'appropriation, socialement et démocratiquement, des technologies de l'information et de la communication. Il offre ses services aux organismes communautaires et aux populations risquant de demeurer en marge du monde des technologies.
  • 2 De Coster, Élise, et autres (2001), Rapport de recherche BTA, Carrefour d'éducation populaire (non publié).
  • 3 Ibid
  • 4 De Coster, Élise, et autres (2001), Rapport de recherche BTA, Carrefour d'éducation populaire (non publié).
  • 5 Pilon, Sylvie, et Johanne Bouffard (1997), L'ABC des logiciels : un répertoire pour mieux s'y retrouver!, tome 1, Montréal, Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, 106 p.; Pilon, Sylvie, et Johanne Bouffard (1999), L'ABC des logiciels : un répertoire pour mieux s'y retrouver!, tome 2, Montréal, Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, 130 p.
  • 6 De Coster, Élise, et autres (2001), Rapport de recherche BTA, Carrefour d'éducation populaire (non publié).
  • 7 De Coster, Élise, et autres (2001), Rapport de recherche BTA, Carrefour d'éducation populaire (non publié).
  • 8 Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, Montréal, Éditions Logiques, 545 p.
  • 9 Legendre, Rénald (1993), Dictionnaire actuel de l'éducation, Montréal, Guérin, p. 67.
  • 10 Tardif, Jacques (1992), Pour un enseignement stratégique, Montréal, Éditions Logiques, p. 25.
  • 11 Robidas, Guy (1989), Psychologie de l'apprentissage, p. 9 et 11.
  • 12 Bertrand, Denis, et Hassan Aznour (2000), Réapprendre à apprendre, Montréal, Guérin, p. 76.
  • 13 Vanasse, Cécile, Hélène Desjardins et Françoise Lefèvre (1983), Au jour le jour, Montréal, Carrefour d'éducation populaire.
  • 14 De Coster, Élise, et autres (2001), Rapport de recherche BTA, Carrefour d'éducation populaire (non publié).
  • 15 Legendre, Rénald (1993), Dictionnaire actuel de l'éducation, Montréal, Guérin, p. 114.
  • 16 Tobias, Sheila (1987), Succeed with Math: Every Student's Guide to Conquering Math Anxiety, New York, College Entrance Examination Board, 252 p.
  • 17 Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, Montréal, Éditions Logiques, 545 p.
  • 18 Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », Les fondements théoriques de l'apprentissage, Rouyn, UQAT, p. 109-138.
  • 19 Legendre, Rénald (1993), Dictionnaire actuel de l'éducation, tiré de Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 46.
  • 20 Roy, Sylvie (1996), Enseignement et apprentissage de la lecture en alphabétisation, Montréal, Table de concertation en alphabétisation de Montréal, p. 30.
  • 21 Sillamy, R. (1980), Dictionnaire encyclopédique de psychologie, tiré de Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et le émotions en mathématiques, p. 47.
  • 22 Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 48.
  • 23 Chouinard, Roch (1992), « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire : théorie et intervention », Traces, vol. 30, n° 5, p. 19-30.
  • 24 Roy, Sylvie (1996), Enseignement et apprentissage de la lecture en alphabétisation, p. 29.
  • 25 Roy, Sylvie (1996), Enseignement et apprentissage de la lecture en alphabétisation, p. 29.
  • 26 Ruph, François (1999), Les fondements théoriques de l'éducation cognitive, p. 111.
  • 27 Tardif, Jacques (1992), Pour un enseignement stratégique, p. 91.
  • 28 Slavin, R. E. (1988), Education Psychology : Theory into Practice, tiré de Chouinard, Roch, « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire », p. 19.
  • 29 Roy, Sylvie (1996), Enseignement et apprentissage de la lecture en alphabétisation, p. 52.
  • 30 Ibid, p. 53.
  • 31 Ibid., p. 63.
  • 32 Labbé, François, (2001), « Peut-on éduquer l'intelligence? », Le monde alphabétique, n° 15, printemps 2001, Montréal, Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, p. 20-26.
  • 33 Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématique, p. 35.
  • 34 Schoenfeld, A.H. (1987), « What's all the Fuss about Metacognition », tiré de Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 44.
  • 35 Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 16.
  • 36 Lafortune, Louise (1998), Métacognition et compétences réflexives, tiré de Lafortune, Louise (1999), L'autoévaluation pour favoriser le développement d'habiletés métacognitives en mathématiques, Montréal, Association des troubles d'apprentissage, p. 6.
  • 37 Lafortune et Saint-Pierre ( 1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 41.
  • 38 Audy, Pierre (1993), API : une approche visant l'actualisation du potentiel intellectuel, p. 1.
  • 39 Ibid, p. 2.
  • 40 Ibid, p. 2.
  • 41 Pour notre recherche, nous nous sommes surtout attardées au concept d'efficience cognitive. Nous tenons à préciser que le cadre du programme API dépasse largement ce concept. En effet, le programme inclut le travail sur les stratégies affectives et la transmission de principes de vie. L'API dégage également 12 critères essentiels à une bonne médiation dont le sentiment de compétence, la recherche de solutions de rechange, la nouveauté et le défi ainsi que la recherche de signification.
  • 42 Coulombe, Isabelle, et Sylvie Roy (2000), Guide méthodologique de recherche pour le milieu de l'alphabétisation, Québec, gouvernement du Québec, p. 5.
  • 43 Ibid, p. 6.
  • 44 Voir notamment Freire, Paolo (1980), La pédagogie des opprimés, Paris, Petite collection Maspero, 202 p.
  • 45 Doré, Louise (1982), Des gens comme tout le monde, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 151 p.; Laperrière, Micheline, et Serge Wagner (1981), L'alphabétisation à repenser, Montréal, Le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, 322 p. ; Laperrierre, Micheline, Cécile Variasse, Odette Paradis et Serge Wagner (1982), Alphabétiser, Le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, Montréal, 182 p. ; Desjardins, Hélène, Françoise Lefèvre et Cécile Vanasse (1983), Au jour le jour, Montréal, Carrefour d'éducation populaire, 198 p.
  • 46 Coulombe, Isabelle, et Sylvie Roy (2000), Guide méthodologique de recherche pour le milieu de l'alphabétisation, p. 8.
  • 47 Bertrand, Denis, et Hassan Aznour (2000), Réapprendre à apprendre, Montréal, Guérin, p. 76
  • 48 Voir notamment ministère de l'Éducation (1998), Prendre le virage du succès – Vers une politique de formation continue, document de consultation, Québec, MEQ.
  • 49 Bandura (1986), Social Foundations of Thought and Action : A Social Cognitive Theory, tiré de Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage ». Les fondements théoriques de l'apprentissage, Rouyn, UQAT, p. 114.
  • 50 Feuerstein et Feuerstein (1991), « Mediated Learning Experience : A Theoretical Review », tiré de Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », p. 116.
  • 51 Bandura (1986), Social Foundations of Thought and Action: A Social Cognitive Theory, tiré de Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », p. 115.
  • 52 Bandura (1995), « Exercise of Personnal and Collective Efficacy in Changing Societies », tiré de Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », p. 115.
  • 53 Wood et Bandura (1989), « Impact of Conceptions of Ability on Self-Regulatory Mechanisms and Complex Decision Making », cité par Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », p. 118.
  • 54 Voir Schoenfeld (1987), «  What's all the Fuss about Metacognition?  », tiré de Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 39.
  • 55 Taurisson (1988), Les gestes de la réussite en mathématiques à l'élémentaire, tiré de Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 55.
  • 56 Ruph, François (1998), « Le sentiment de compétence et l'apprentissage », Les fondements théoriques de l'apprentissage, Rouyn, UQAT, p. 129.
  • 57 Lafortune, Louise, et Lise Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 53.
  • 58 Schoenfeld, A.H. (1987), « What's all the Fuss about Metacognition », tiré de Lafortune et Saint-Pierre (1994), La pensée et les émotions en mathématiques, p. 44.
  • 59 Chouinard, Roch (1992), « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire : théorie et intervention », Traces, vol. 30, n° 5, p. 23.
  • 60 Chouinard, Roch (1992), « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire : théorie et intervention », Traces, vol. 30, n° 5, p. 23.
  • 61 Chouinard, Roch (1992), « L'effet des croyances et des attentes sur la motivation scolaire : théorie et intervention », Traces, vol. 30, n° 5, p. 23.
  • 62 Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) a mis sur pied il y a plusieurs années un comité composé de participantEs aux ateliers d'alphabétisation qui viennent de toutes les régions du Québec. Ces participantEs se réunissent plusieurs fois par année et participent à la vie du RGPAQ.