Table des matières

Avant-propos

Ce rapport a été écrit de manière à ce qu'il soit accessible aux formateurs et aux formatrices qui seraient désireux de le consulter, limitant le plus possible le recours à un langage hermétique et rébarbatif. Cela dit, on ne peut aborder de nouvelles réalités sans utiliser, à l'occasion, un langage développé pour faciliter notre compréhension de ce qui ne fait pas partie de notre quotidien.

C'est pourquoi, ont été précisés la plupart des termes qui ne font pas nécessairement partie du langage usuel des formateurs et des formatrices. L'objectif étant de les démystifier de manière à les utiliser, les intégrer dans sa pratique quotidienne et se les approprier.

D'entrée de jeu, il est important de préciser que cette recherche a été réalisée en collaboration avec deux organismes communautaires où les employées étaient exclusivement de sexe féminin. Même si le sexe ne constituait pas un critère pour choisir les participantes, c'est la réalité avec laquelle nous avons dû composer. Cette caractéristique constitue cependant une certaine «limite» méthodologique à la recherche, en ce sens que les données et les analyses sont basées essentiellement sur la réalité de femmes: les participantes et la chercheure. Toutefois, considérant la forte présence féminine dans les organismes communautaires, nous pouvons envisager la transférabilité des résultats dans plusieurs milieux, d'autant plus que le sexe ne constitue pas la seule caractéristique pouvant avoir un impact sur les résultats de ce projet.

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont collaboré de près ou de loin à la réalisation de cette recherche et, plus particulièrement, Fernand Serre, Maurice Payette et Suzanne Roy. Dans l'équipe de recherche, je remercie ma collègue responsable du premier volet de ce projet, Rachel Bélisle, pour son support et pour son ouverture à partager son expérience ainsi que M. Pierre Paillé, professeur à la Faculté d'éducation qui a supervisé les travaux. Sa passion et sa connaissance de la recherche qualitative ont grandement enrichi le développement de cette recherche.

Un merci tout particulier à chacune des participantes: France Lauzon, Janine Tessier, Claire Tessier et Jocelyne Paquette ainsi que Camille Chénard et Manon Monfette. Elles ont été les principales artisanes des étapes de la méthode d'analyse. Je tiens à souligner que leur collaboration a été des plus précieuse et très appréciée tout au long de la démarche formelle et informelle. Leur apport a été très riche à tous les niveaux et je tiens à souligner l'énergie et l'enthousiasme manifestés par toutes les participantes tout au long du parcours.

Pour terminer, je remercie le Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA) qui a subventionné cette recherche et, plus particulièrement, M. Jean-Marie Martin pour la confiance qu'il a témoignée à cette démarche tout au long des travaux. L'expérience a été des plus enrichissante et elle pourra progressivement offrir une contribution intéressante à l'alphabétisme.

Introduction

Le présent rapport de recherche, intitulée Reconnaissance et transférabilité des savoirs d'action de formatrices et formateurs œuvrant auprès d'une clientèle peu à l'aise avec l'écrit, s'inscrit dans la recherche subventionnée par le Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA) en collaboration avec l'Université de Sherbrooke. Il présente le deuxième volet de cette recherche visant à fournir aux milieux des outils méthodologiques en recherche et en analyse qualitative qui puissent les aider à reconnaître et améliorer les pratiques qui contribuent à l'alphabétisme tout au long de la vie.

Le principal défi de ce volet de la recherche consiste à proposer une méthode d'analyse qualitative qui soit adaptée aux données d'action intervention et accessibles à des personnes œuvrant dans des organismes d'éducation non formelle ayant des formations initiales diverses ainsi que des expériences variées. L'intérêt pour le SNA de travailler avec des organismes qui œuvrent dans les secteurs de l'éducation à la santé psychique ou mentale, du développement personnel ou autres a été mis en évidence par des recherches menées par Bélisle (1997b) ainsi que par Mauch et Papen (1997). Ces travaux relatent que, dans les faits, des organismes n'ayant pas de mandat spécifique d'alphabétisation contribuent tout de même à l'alphabétisme du public très peu scolarisé. Toutefois, ces interventions nécessitent un recul et une analyse pour comprendre en quoi et comment elles ont pu contribuer à l'alphabétisme de leur clientèle. Ce n'est qu'en rendant ces interventions plus conscientes et explicites que les formatrices pourront consolider leurs approches et les transférer à d'autres activités d'intervention. Le travail vise donc à faire émerger l'expérience des formatrices, à réveiller des savoirs existants (Bélisle, 1997b) de manière à avoir accès aux stratégies implicites qu'elles ont développées au cours de leur pratique. En ne reconnaissant pas le rôle que jouent leurs interventions à ce chapitre, elles peuvent difficilement y rattacher de nouvelles approches, partager leur expérience et en dégager des savoirs transférables à d'autres situations et à d'autres contextes.

Dans cette recherche, l'expérience et les stratégies cognitives des formatrices participantes ont été utilisées de manière à développer avec elles une méthode qui rend plus explicite des modes de fonctionnement implicites. La méthode proposée dans ce rapport est le fruit de cette démarche, théorique dans un premier temps, puis pratique dans un deuxième temps. Cette méthode s'est développée graduellement par la détermination des étapes à suivre pour réaliser une démarche d'analyse de pratique puis par la nécessité d'identifier et d'expérimenter des outils appropriés.

L'objectif a été atteint et le projet continue d'avoir des impacts inattendus sur le travail des formatrices. Leur intérêt et leur enthousiasme à s'approprier les outils et la démarche dans leur pratique quotidienne témoignent de la pertinence et de l'accessibilité de la méthode ainsi que du besoin et de l'ouverture de ces formatrices à mieux comprendre leurs interventions et à transférer ces nouveaux savoirs dans d'autres situations de travail. Cette méthode semble stimuler la créativité des intervenantes participantes ce qui constitue un impact positif majeur autant pour les travailleuses que pour les clientèles elles-mêmes.

Dans le premier chapitre, nous allons présenter la méthode d'analyse réflexive de pratique que nous proposons. Les activités réalisées pour y parvenir sont exposées puis, les différentes étapes de la méthode sont précisées. Par la suite, les outils que nous avons utilisés sont expliqués et l'arrimage des étapes et des outils constituant la méthode est décrit. Nous avons ensuite relevé les principales propriétés de cette méthode de manière à cerner sa spécificité. Dans le deuxième chapitre, nous abordons les fondements théoriques de cette méthode relativement aux conceptions de la réflexivité, de l'analyse de pratique et de la construction des savoirs qui ont guidés nos travaux. Le troisième chapitre est consacré aux impacts du projet sur la pratique des formatrices. Différents facteurs ayant influencé les résultats de la démarche de recherche seront spécifiés de manière à envisager la transférabilité des résultats à d'autres milieux.

Premier chapitre: Présentation de la méthode

La méthode d'analyse réflexive qui a été développée répond au principal objectif du deuxième volet de cette recherche:

Construire et valider une méthode de recherche et d'analyse qualitative accessible à des formateurs et à des formatrices engagés dans une démarche de formation initiale ou de perfectionnement professionnel désireux de mieux comprendre les savoirs mis en action dans leurs interventions, de les bonifier et de les transférer dans de nouveaux contextes.

Dans un premier temps, les activités qui ont été réalisées depuis le début du projet pour développer la méthode seront présentées. Par la suite, seront exposées les étapes de la méthode d'analyse réflexive. Ces étapes sont la saisie, la décantation, la connexion et l'appropriation. Comme nous le verrons plus loin, chacune de ces étapes est constituée de plusieurs opérations mentales qui s'effectuent souvent inconsciemment. De manière à ce que ces étapes puissent s'incarner dans la pratique quotidienne des formatrices, il s'est avéré nécessaire d'explorer des outils qui puissent en quelque sorte favoriser l'accessibilité et la traduction en langage de l'expérience intérieure réalisée au cours des étapes identifiées. Trois principaux outils se sont imposés. Il s'agit de la carte mentale (aussi appelée schéma heuristique), des jeux projectifs (style cartes ou photolangage) et de la visualisation. Chacun de ces outils sera présenté, mais une attention particulière a été accordée à la carte mentale qui constitue l'outil principal et le moins connu.

L'arrimage des étapes avec les outils constitue la méthode qui a émergée. L'expérimentation réalisée avec les formatrices a guidé l'élaboration d'une façon de procéder qui s'inscrit dans l'orientation qui a été poursuivie.

Cette méthode possède des propriétés qu'il importe de préciser pour mieux la comprendre et l'utiliser. Les neuf propriétés qui se sont dégagées se retrouvent à la fin de ce chapitre.

1. Activités réalisées

Les activités réalisées se sont étalées sur une période de deux ans. On peut distinguer les activités préparatoires et les activités terrain.

1.1 Activités préparatoires

1.1.1 Entrevues

Considérant les nombreux défis que comportait l'objectif du projet nous avons souhaité consulter des spécialistes de la question pour alimenter notre réflexion et notre recherche sur le sujet. Trois entrevues ont été réalisées avec des personnes œuvrant au niveau universitaire. Ces personnes ont été choisies en fonction de différents critères tels leur travail et/ou leurs publications et leur intérêt concernant les savoirs d'action des formateurs ou des praticiens et le développement de méthodes ou d'outils destinés à permettre à des praticiens de réfléchir et d'analyser leur pratique.

Le contenu de ces entrevues a été analysé et codifié permettant un premier déblayage d'information qui a, par la suite, orienté nos recherches au plan théorique.

1.1.2 Recherches bibliographiques

Les recherches théoriques ont mis en évidence l'intérêt croissant de chercheurs et de praticiens de différents pays et de différentes formations vis-à-vis des questions telles le développement d'une pratique réflexive, l'explicitation des savoirs d'action, les liens entre la théorie et la pratique, la formation des formateurs et le rôle de la recherche dans l'amélioration des pratiques professionnelles. La quantité d'information obtenue et la diversité des points de vue exprimés ont rendu nécessaire la réalisation d'une typologie des analyses de pratique (voir tableau 1) afin d'être en mesure, dans un premier temps, de les comparer pour n'en venir qu'à cerner un type d'analyse qui puisse répondre aux objectifs du projet. Cette démarche de création d'un outil personnel s'est avérée fort utile pour préciser et faire émerger les valeurs poursuivies. Cette typologie a été réalisée en suivant, autant que faire se peut, l'esprit de chacune des approches, certaines étapes et outils méthodologiques de l'analyse de théorisation (grounded theory, Paillé, 1994; Strauss et Corbin, 1990), c'est-à-dire en codifiant et en catégorisant l'information, en rédigeant des MEMOS1 sur les phénomènes ou sur les concepts de manière à en préciser la nature et les caractéristiques, puis en mettant ces données en relation.

Cette typologie a permis de dégager quatre grands types d'analyse de pratique:

  1. instrumentale;
  2. professionnalisante;
  3. auto-modélisante;
  4. critique-émancipatoire.

Pour chacun de ces types différents paramètres ont été identifiés: le contexte dans lequel se réalisait cette analyse, le rôle de l'analyse, le modèle éducatif privilégié dans la formation à l'analyse, les objectifs visés par la démarche, les conséquences pour les participants, le rôle du formateur, le niveau d'expertise en analyse de pratique du formateur à l'analyse de pratique, le niveau d'expertise professionnelle des participants pour s'engager dans la démarche, l'origine de l'évaluation de la démarche et, finalement, la durée de la démarche (voir tableau 1).

La réalisation de cette typologie a permis de préciser les différents enjeux présents et de comparer les types d'analyses entre eux de manière à cerner celui ou ceux qui seraient les plus appropriés au contexte et aux objectifs poursuivis. Cette démarche, jumelée à celle des entrevues avec des spécialistes, nous a donné accès à une grande quantité d'informations sur le sujet nous permettant ainsi de saisir la complexité de la tâche et la nécessité d'être attentive aux caractéristiques et aux besoins spécifiques d'une analyse de pratique destinée à des formatrices engagées au quotidien dans l'action.

La poursuite des travaux a consisté, entre autres, à explorer différents modèles d'analyse de pratique s'inscrivant davantage dans les types professionnalisant et auto-modélisant. Ce choix est basé sur l'interprétation du projet, les valeurs et l'expérience professionnelle de la chercheure avec des formateurs et des formatrices œuvrant en éducation non formelle. Parmi les valeurs prioritaires qui ont émergées mentionnons l'option de travailler «avec» les formateurs, plutôt que «pour» les formateurs, à l'élaboration et à la détermination d'un outil méthodologique de recherche et d'analyse qualitative qui puisse les aider à reconnaître et à améliorer leur pratique.

En abordant la deuxième phase de la recherche avec les participantes, nous nous situons, dans cette perspective, en marge du rôle traditionnel du chercheur qui agit comme expert professionnel et développe une relation de recherche de type élitiste avec les participants (Whythe, 1991,In Rolfe, 1996. p.68). En travaillant «avec» les formateurs et les formatrices, nous reconnaissons qu'ils sont les mieux placés pour identifier leurs besoins, leurs pratiques actuelles en terme d'analyse ou d'auto-évaluation, leurs difficultés, leurs résistances, leurs intérêts, etc. Ce rôle a été perçu et vécu dans le sens où l'entendent Carr et Kemmis (in Rolfe, 1996):

[...]outside facilitators form relationships with practioners, helping them to articulate their own concerns, plan stratégie action for change, monitor the problems and effect of changes, and reflect on the value and conséquence of the actually achieved (p.73).

Pour reprendre l'expression des auteurs plus avant nommés, nous nous sommes positionnée dans un rôle facilitateur externe. Cependant, il est important de préciser que nous avons une bonne connaissance des deux milieux et de chacune des formatrices ce qui, de notre point de vue, a grandement contribué à créer un climat de confiance propice à une relation de réelle collaboration.

Tableau 1 – Types d'analyses de pratique

Type d'analyse de pratique

Instrumentale

Professionnalisante

Auto-modélisante

Critique-émancipatoire

Contexte

Hétéroformation

Autodidaxie

Néo-autodidaxie

Hétéroformation
Autodidaxie
Néo-autodidaxie

Rôle de l'analyse de pratique

Développe la compétence à utiliser les instruments requis permettre une praxis.

Découverte de ses habitus et de ses agirs pour permettre une praxis.

Permet de s'engager dans une démarche praxéologique de création de savoirs nouveaux.

Découverte de ses habitus et de ses agirs pour permettre une praxis orientée.

Modèle éducatif privilégié

Transmissif puis appropriatif

Appropriatif et/ou transmissif

Appropriatif

Transmissif et/ou appropriatif

Objectif

Développer l'efficacité et la cohérence des interventions.

Accroître l'efficacité et la cohérence des interventions.

Découvrir et systématiser son propre modèle de pratique.

Accroître l'efficacité et la cohérence des pratiques visant le changement et la justice sociale.

Conséquences

Génère des habiletés à analyser, à comprendre et à modifier son agir professionnel.

Contribue au développement et au perfectionnement professionnel et personnel.

Génère ultimement un modèle de pratique, et de nouvelles connaissances sur la pratique.

Génère une praxis conscientisante des structures d'oppression sociale et économique.

Rôle du formateur

Formateur

Accompagnateur

Accompagnateur

Formateur/ accompagnateur

Niveau d'expertise en ANP du formateur

Élevé

Variable

Élevé

Élevé

Niveau d'expertise professionnelle des participants

Novices

Variable, de débutant à expert

De compétent à expert

De novice à expert.

Évaluation de la démarche

Extrinsèque, selon des standards prédéterminés dans la formation

Intrinsèque, de l'ordre de l'appréciation

Intrinsèque et continue

Intrinsèque et continue

Durée

Déterminée par l'organisme

Déterminée par l'accompagnateur avec les participants, variable

Déterminée par la personne, démarche de longue haleine

Déterminée par la personne et/ou le milieu, variable

© Sylvie Bessette 1999

1.2 Activités terrain

1.2.1 Orientations

Avant de décrire concrètement les activités réalisées avec les formatrices, rendons plus explicites certaines orientations qui ont traversé et influencé la démarche aussi bien dans l'élaboration du matériel des données.

En ayant la préoccupation constante de rendre cette démarche accessible aux formatrices, nous avons été attentive à ce qu'elles puissent s'inscrire dans leur culture au plan des valeurs aussi bien qu'au plan de leurs relations avec le savoir et avec la réalité. Un des principaux défis à relever était de développer une méthode d'analyse propre à l'action dont l'appropriation serait suffisamment facile pour que les formatrices développent l'habitude d'y avoir recours.

La recherche documentaire du début a permis d'être attentive tout au long de la démarche à plusieurs dimensions de la question de manière à pouvoir procéder à un arrimage constant entre la pratique des formatrices, les objectifs du projet et les différentes orientations théories et philosophies sous-jacentes à la démarche.

D'entrée de jeu, précisons que les formatrices rencontrées, à l'image de plusieurs intervenantes du réseau communautaire et selon notre expérience, procèdent régulièrement à une certaine forme d'évaluation ou de critique de leur pratique. L'habitude est donc acquise, pour un bon nombre d'entre elles, de s'arrêter après une intervention ou une formation pour l'apprécier. Le bien-fondé de cette évaluation est ancré dans la culture de ces intervenantes qui y voient une occasion d'apprendre et de dépasser leurs limites. Ce qui caractérise leur pratique actuelle en matière de réflexion-sur-l'action, pour emprunter les termes d'Argyris et Schön (1974), c'est que cette démarche est plutôt de l'ordre de la critique et de l'évaluation. Chaque personne critique son intervention à partir de critères différents selon l'humeur, la situation et le moment. De cette manière, il est difficile pour la formatrice de départager ce qui relève de sa subjectivité et de découvrir les fondements de son action. Or, le défi de la méthode d'analyse de pratique proposée est justement de fournir des moyens pour objectiver le plus possible sa subjectivité afin de découvrir de nouvelles pistes pour bonifier son intervention. Objectiver sa subjectivité est toutefois un travail abstrait et de longue haleine. Pour y parvenir, il est nécessaire d'apprivoiser une démarche attentive au fonctionnement et à l'organisation de ses pensées. Comme on peut l'imaginer, il s'agit là d'une tâche jamais achevée, c'est pourquoi l'objectif est de favoriser un plus grand niveau de conscience de son agir dans l'action et sur l'action, et ce, peu importe l'habileté de départ à ce chapitre.

Par conséquent, il nous a semblé nécessaire de permettre à des personnes ayant des niveaux de conscience différents, des expériences ou des difficultés différentes de suivre une démarche semblable. Cet aspect nous apparaît essentiel afin de pouvoir s'adapter à une diversité de milieux de formation et de formateurs, diversité évidente de plusieurs ordres: formation, âge, expérience, etc. Il y a toutefois des formes de diversité beaucoup moins apparentes avec lesquelles il est nécessaire de composer dans une telle démarche. Il s'agit entre autres du procédé personnel d'apprentissage qui oriente notre rapport au savoir, du profil d'intelligence de la personne (musicale, kinesthésique, logicomathématique, langagière, spatiale, interpersonnelle et intrapersonnelle: Gardner, 1996), des différentes perspectives à partir desquelles les femmes perçoivent la réalité et construisent leurs conclusions concernant la vérité, le savoir et l'autorité (Belenki, Clincky, Goldberger et Tarule, 1986), des sept niveaux de jugement réflexif2 (King et Kitchener, 1994), etc.

Il est nécessaire de tenir compte de l'existence de cette diversité dans l'élaboration d'une méthode d'analyse dans la mesure où on envisage de rejoindre le plus grand nombre de formateurs et de formatrices. Toutefois, il ne saurait être question d'établir, pour chaque formateur qui s'engage dans une démarche d'analyse de pratique, un profil systématisé de l'ensemble des caractéristiques auxquelles nous nous sommes intéressée. L'important est que les formatrices aussi bien que la personne qui encadre la démarche d'analyse sachent que ces catégories de différences existent et qu'elles influencent leur pratique aussi bien que leur analyse.

L'intérêt de prendre en considération le procédé personnel d'apprentissage et la théorie des intelligences multiples est de reconnaître et de légitimer différents types de fonctionnement ou d'intelligence sans en valoriser un type plutôt qu'un autre. D'ailleurs, ces théories privilégient plutôt le développement, tout au long de la vie, de plusieurs procédés d'apprentissage ainsi que de plusieurs types d'intelligence afin de permettre à l'individu de maximiser l'utilisation de son potentiel.

En outre, les différences de jugement réflexif et de perspectives selon lesquelles les femmes construisent leur rapport à la réalité et au savoir sont présentées à partir d'un continuum de développement allant du moins au plus indiquant par là que même pour des personnes ayant peu développé leur jugement réflexif, il soit possible au fil des expériences, d'en accroître la profondeur. Cela signifie aussi que certaines femmes sont capables de recevoir et de reproduire des connaissances provenant d'autorités externes mais demeurent incapables de créer leur propre savoir jusqu'à ce qu'elles parviennent à contextualiser ces savoirs et expérimenter la création de savoirs en accordant de la valeur aussi bien à leurs stratégies objectives qu'à leurs stratégies subjectives d'apprentissage3.

Comme c'est le cas pour les styles d'apprentissage et les intelligences multiples, ces théories reconnaissent le potentiel de développement des personnes au plan de la réflexivité comme au plan de la création de savoirs.

Si l'objectif principal de ce projet est que des formatrices de différents milieux en viennent à utiliser une méthode d'analyse de leur pratique, il est nécessaire que chacune puisse y mettre sa couleur et la développer à sa façon et à son rythme. Dans cette perspective, rappelons que, pour modifier et développer de nouvelles habitudes de pratique, il est important de permettre l'expression des différences par une appropriation locale et individuelle de la démarche. Vous trouverez plus loin les différents aspects qui se prêtent à une appropriation locale. Réaliser une analyse de pratique demeure un processus de création de savoir et non pas de résolution de problèmes même si, en bout de ligne, la démarche risque de fournir de nouvelles pistes pour résoudre des difficultés. Ce qui caractérise un processus de création, c'est le fait de s'engager et d'accepter de ne pas savoir d'avance où il va nous conduire, en combien de temps et à quel rythme.

Toutefois, bien que permettant une expression individuelle, le but de la démarche n'est pas de renforcer l'individualité. Il est plutôt question de la reconnaître et de la légitimer tout en s'arrimant à la mission ou aux objectifs de la collectivité à laquelle appartiennent les formatrices. C'est donc dire qu'il y a un effort de consenti à tenir compte de la tension qui existe entre les intérêts personnels et collectifs au sein d'un organisme. C'est à la lumière des expériences réalisées avec les formatrices que cette démarche a pris forme.

C'est en procédant à une analyse qualitative des données obtenues à chaque rencontre par les échanges et le matériel réalisé par les formatrices, par leur rétroactions concernant les éléments présentés par la chercheure lors des sessions de travail que la méthode que nous présentons a pris forme au fur et à mesure du travail réalisé en collaboration.

1.2.2 Activités réalisées avec les participantes

Les activités d'élaboration d'un outil méthodologique d'analyse de pratique se sont réalisées avec six formatrices-intervenantes œuvrant dans le secteur communautaire de la santé et des services sociaux au sein de deux organismes situés dans des villes différentes. Les deux organismes offrent des services exclusivement à des femmes et l'ensemble des travailleuses est de sexe féminin par choix. Toutefois, chacun des organismes intervient au plan d'une problématique différente, ce qui influence les caractéristiques de la clientèle comme nous le verrons au point suivant (1.2.3).

Il n'existe pas de relation formelle ou informelle entre les deux organismes, pas plus qu'entre les formatrices de ces milieux. Chacun des groupes de participantes a vécu sensiblement la même démarche avec les mêmes outils et les mêmes consignes. Chacun a aussi été informé des réactions, opinions et analyses des participantes de l'autre groupe.

Une rencontre d'informations et de sensibilisation au projet a été réalisée dans chacun des milieux. Elle se sont alors engagées à participer à quatre rencontres formelles de trois heures (enregistrées sur bande audio) qui se sont tenues entre septembre et décembre 1999. Chaque participante a été invitée à répondre à un questionnaire portant sur leur façon habituelle de procéder pour appréciation ou auto-évaluer leur pratique, leur satisfaction vis-à-vis leur processus et leurs besoins à ce chapitre (voir annexe A). Au cours de ces rencontres, les participantes ont été appelées à réaliser, entre autres, une carte mentale (ou schéma heuristique, voir tableau 2) de leur pratique auprès des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Entre ces rencontres, des formatrices ont réalisé, de leur propre chef, des analyses de pratique et des cartes mentales qui ont eu des répercussions sur leur travail. Par la suite, à la demande des participantes, des documents de sensibilisation et d'informations leur ont été remis concernant la problématique des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit (Bélisle, 1997a) ainsi qu'un questionnaire (Gauthier et Poulin, 1985) visant à déterminer leur procédé personnel d'apprentissage selon les catégories de Kolb: expérience concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite et expérimentation active. De plus, tel qu'il a été convenu au début de la démarche, nous avons rencontré les formatrices qui ont été supportées et encadrées dans la réalisation d'une publication conjointe destinée à faire connaître leurs points de vue sur cette recherche dans leurs réseaux.

1.2.3 Profil des milieux et des participantes

Les deux milieux avec lesquels nous avons collaboré:

  • offrent la très grande majorité de leurs activités à une clientèle de sexe féminin adulte;
  • ont un cadre d'intervention féministe;
  • réalisent des activités auprès d'individus, de groupes et de collectivités;
  • s'intéressent dans un cas à la problématique des abus à caractère sexuel et dans l'autre à la prévention de la toxicomanie;
  • font de la formation et interviennent en contexte de prévention primaire et secondaire et en contexte de crise;
  • offrent leurs services dans des villes et des régions différentes.

Les participantes avec lesquelles nous avons collaboré:

  • 6 femmes de 35 à 50 ans;
  • 2 possèdent une formation universitaire; 3, une formation de technicienne en travail social et la dernière, une formation de niveau collégial;
  • 2 formatrices-intervenantes occupent un emploi dans l'organisme depuis environ 10 ans, 3 depuis plus ou moins 4 ans et une depuis près de 2 ans;
  • les 6 femmes et les 2 milieux étaient très bien connus par la chercheure.

2. Les étapes de l'analyse ou algorithmes

Comme dans toute forme de création, d'intervention et de formation il y a un processus à suivre qui est disponible grâce à un examen attentif de la réalité et du fonctionnement humain. Si on s'arrête à certains types de processus tels le processus créatif (Koestler, 1965; Landry, 1983; May, 1993), on remarque qu'il n'origine pas de la théorie ou de ce qui serait souhaitable de faire mais bien de ce que les gens font réellement et des étapes qu'ils traversent pour parvenir au terme de leur activité. Trop souvent toutefois, ces processus nous sont présentés comme des recettes à suivre, froides et désincarnées, alors que, en fait, il s'agit plutôt d'une façon de transmettre des savoirs pratiques facilitant la compréhension et le vécu de certaines expériences humaines remplies d'émotions, de sensations et de pensées. Le processus qui suit s'inscrit dans la première perspective. Il présente de manière systématisée les savoirs implicites des formatrices et de la chercheure lorsqu'elles ont procédé à des analyses sur leur pratique au travail. Le processus d'analyse de pratique qui s'est dégagé comporte quatre phases qui se déroulent dans un mouvement dynamique et continu: la saisie, la décantation, la connexion et l'appropriation. Chacune des phases comporte des étapes dont l'ordre de réalisation peut varier dépendamment du style d'apprentissage privilégié et des formes d'intelligences dominantes de la formatrice.

2.1 Première phase: la saisie

Le terme «saisie» a été retenu à cause de son pouvoir évocateur. Saisir fait appel à la capacité d'appréhender l'expérience, de la pénétrer et de l'explorer après coup. Ce terme fait aussi référence à la capacité d'entendre, de percevoir, de se remémorer, de ressentir, donc de comprendre une situation en utilisant l'ensemble de ses sens comme boussole afin de détecter ce qui s'est passé, et ce, dans la mesure de l'ensemble des capacités de chacun à un moment x de son histoire. Saisir, c'est aussi reconnaître, distinguer à travers la brume et le flou, des souvenirs qui ont laissé leurs traces et qui révèlent ce qui est survenu dans l'action réalisée. C'est recueillir toutes ces informations et les conserver sans savoir d'avance ou avoir l'assurance qu'elles pourront être utiles, mais en acceptant qu'elles émergent parce qu'elles ont joué un certain rôle dans l'action sans qu'on puisse, à ce stade-ci, préciser la nature et le sens de ce rôle. Écarter ces données, signifie nous priver d'informations qui peuvent faire la différence dans notre compréhension d'une situation complexe. Elles pourront agir comme liants avec d'autres données qui, sans ces informations qu'on aurait pu rejeter, elles auraient du mal à prendre forme et à livrer leur message. Saisir implique donc une action d'ouverture qui ne sélectionne pas consciemment ni ne discrimine ce que l'on appréhende.

Saisir signifie aussi traduire ces images, pensées, impressions en langage intelligible pour soi et pour les autres. Lors de cette première phase, on provoque en quelque sorte une forme de communication entre les souvenirs qu'on conserve de l'action qui s'est déroulée et soi. Pour que cette communication, que nous pourrions qualifier d interne, devienne mobilisable et activable (Aubret, 1991), il est nécessaire, pour reprendre une image bien connue, de formater en quelque sorte les souvenirs, impressions, sensations et idées qui nous habitent. Il s'agit là de faire l'effort de sortir cette information de soi en utilisant des mots pour la véhiculer et la traduire. En prenant forme, ces informations deviennent désormais accessibles et réutilisables.

Ce sont entre autres les travaux de Schön (1986, 1994, 1996) qui ont mis en évidence l'existence chez le praticien d'une conversation réflexive avec la situation, c'est-à-dire que, dans l'action, le praticien est mobilisé de manière à procéder à des ajustements constants ou à restructurer sa compréhension d'une situation provenant de ce qui est observé. Cette opération mentale, souvent intuitive et inconsciente tant elle est rapide, est nommée la réflexion-en-cours-d'action (Schön 1986) ou réflexion-dans-l'action. Lors de la phase de la saisie, le formateur tente de se remémorer la conversation réflexive qu'il entretenait avec la situation, de retracer entre autres sa réflexion-en-cours-d'action ou tout simplement sa réflexion-dans-l'action.

La saisie permet de réaliser deux actions centrales nécessaires pour amorcer toute analyse de pratique: appréhender l'expérience et la reconnaître. En effet, pour réaliser une réflexion-sur-l'action, il est nécessaire de se remémorer l'action avec le plus de détails possible et dans toutes ses facettes, même celles qui, à première vue, nous semblent peu dignes d'intérêts ou secondaires. La première étape que nous abordons consiste donc à appréhender l'action qui s'est déroulée lors d'une situation de travail ou d'une formation.

Plus précisément, appréhender signifie:

  • pénétrer l'expérience comme si on la revivait;
  • ressentir, c'est-à-dire sentir de nouveau avec tous ses sens ce qu'on a enregistré à différents moments pendant l'action aussi bien que ce qu'on a perçu des autres, l'atmosphère ambiante;
  • réentendre la situation, les paroles qui ont été dites de part et d'autre, le ton, le rythme, etc.;
  • percevoir, c'est-à-dire tenter de porter une attention particulière à ce qui nous a possiblement échappé consciemment, mais qui s'est tout de même enregistré dans notre mémoire (l'ensemble et le détail, l'environnement, les personnes, les attitudes);
  • détecter des éléments de quelque nature que ce soit qui retiennent notre attention pour une raison ou pour une autre et sans qu'on puisse à ce stade y attribuer un sens.

Cette étape permet de raviver la mémoire et d'explorer notre souvenir de l'action sous plusieurs dimensions.

La deuxième étape de cette phase consiste à reconnaître les différentes composantes de l'action qui demeurent floues, suffisamment pour:

  • clarifier ses impressions un peu comme lorsqu'on fait le focus sur une caméra ou des jumelles;
  • les traduire en langage accessible, les rendre intelligibles, c'est-à-dire de faire l'effort de choisir des mots qui reflètent le mieux possible l'expérience intérieure;
  • les accueillir, c'est-à-dire prendre note d'impressions qu'elles suscitent sans les censurer, les interpréter ou les juger tout de suite, même si certains éléments nous dérangent en ce sens qu'ils soulèvent diverses émotions de différents niveaux qu'on pourrait préférer taire.

Au terme de cette première phase, la formatrice se retrouve face à une grande quantité d'informations de nature et de niveaux différents, des informations que l'on pourrait qualifier «en vrac», c'est-à-dire non classées ni organisées entre elles, rendant ainsi difficile la formation d'un sens à toute cette expérience.

Cette première phase vient offrir aux formatrices une alternative à leur pratique habituelle de réflexion-sur-l'action tout en lui conservant son caractère jugé nécessaire de dégagement de l'action. Les intervenantes ont effectivement mis à jour par l'analyse, une pratique particulière visant à se dégager de l'action réalisée, ce qu'elles nomment de la ventilation. Pour se dégager de l'intervention ou de la formation qu'elles viennent de réaliser, les formatrices ont l'habitude le plus souvent de partager leurs impressions, réactions avec une collègue habituellement de façon informelle tout de suite après l'intervention. Cette pratique, qui a émergée au cours de la démarche, permet à la formatrice de préciser sa pensée, d'articuler ses impressions et de se faire une opinion. Toutefois, en confrontant ses impressions à chaud avec quelqu'un, avant même qu'on ait pu se faire une opinion sur l'ensemble de la situation, les formatrices ne se donnent pas l'occasion de développer un sentiment de compétence face à leurs interventions. C'est le regard de l'autre, ses questions, ses réactions qui permettent à la formatrice de valider ou d'invalider son intervention, d'explorer de nouvelles pistes, etc. Dans ce contexte, elles développent la croyance que le regard des autres sur leur intervention est nécessaire pour l'apprécier, l'analyser et être validée. Même si cette pratique leur apporte un certain soulagement, il ne serait que temporaire dans bien des cas, car plusieurs affirment que ces échanges les laissent souvent sur leur faim, comme dans le vide.

La méthode proposée fournit aux formatrices l'occasion d'explorer de nouvelles façons de se désengager de l'action et de ventiler4 en apprenant à faire de l'auto-ventilation. Cette façon de procéder apprend aux formatrices à se donner le temps et l'espace pour se former une opinion avant d'échanger avec les autres. Ainsi, plutôt que de servir principalement à décharger un trop plein d'émotions ou d'impressions, l'auto-ventilation réalisée par la saisie donne accès à un spectre beaucoup plus large d'informations concernant l'action sans pour autant minimiser la place des émotions. En intégrant différentes façons d'appréhender l'action, on favorise l'accès à différents ancrages sensoriels, ce qui permet de mettre en relation une plus grande diversité d'informations provenant de la situation analysée. Lors de la saisie, la formatrice prend conscience, entre autres, du degré de correspondance entre son expérience de la réalité et ce qu'elle parvient à rendre intelligible. Cette prise de conscience peut s'avérer très significative dans une pratique où la communication avec les autres est au cœur de l'agir professionnel.

2.2 Deuxième phase: la décantation

De la saisie qui a conduit à recueillir une grande quantité de données sur l'action qui a été réalisée, nous nous engageons dans la deuxième phase du processus qui consiste à laisser décanter toutes ces informations.

La phase de décantation se caractérise par une attitude d'inactivité délibérée, c'est-à-dire que, à l'image de la fermentation du vin, il est nécessaire de laisser les idées et les images se déposer, les laisser agir entre elles jusqu'à ce que se forme un sens qui s'impose à la conscience. Il s'agit alors de procéder à l'éclaircissement de l'idée, l'épurer, la raffiner pour en percevoir le corps et la consistance. Autrement dit, on parvient ainsi à capter ce qui apparaît une piste significative, elle se sépare du reste comme par gravité, avec le temps et surtout sans effort de volonté. Cette phase de décantation permet aux idées et aux images de s'organiser en un scénario intelligible et communicable aux autres. La décantation permet aussi la clarification des idées comme c'est le cas pour le vin. Au début, tout est brouillé: contexte, émotions, tensions, insatisfactions, évaluations, etc. Le formateur a du mal à cerner dans cet ensemble flou ce sur quoi il est important de porter son attention.

Il s'agit d'accepter de prendre le temps que les choses se passent sans intervention, sans agir. Nous reprenons ici le concept d'Heshusius (1994) concernant la conscience participative et celui d'attention, propre à Weil (1960).

Pour Heshusius (1994), un mode de conscience participatif résulte de l'habilité de laisser aller temporairement toutes les préoccupations reliées à soi pour plonger dans un état de complète attention (p. 17). Dans le même sens, la faculté d'attention de Weil (1960) décrit une attention qui se situe davantage dans l'intention que dans la volonté (p. 76).

L'attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et impénétrable à l'objet, à maintenir en soi-même à proximité de la pensée, mais à un niveau inférieur et sans contact avec les diverses connaissances acquises qu'on est forcé d'utiliser.

Même si l'attention ne relève pas de la volonté, Weil (Ibid.) insiste sur le fait qu'il s'agit d'un effort, «[...] le plus grand des efforts peut-être, mais c'est un effort négatif» (p. 76). Cette forme d'attention signifie justement accepter d'être en attente, «de ne rien chercher mais d'être prêt à recevoir dans sa vérité nue l'objet qui va y pénétrer» (p. 77). À ce chapitre, l'expérience personnelle d'Heshusius (1994) nous aide à comprendre comment s'est manifesté ce phénomène.

I had to completely and none valuatively observe my personal reactions and in that attentiveness, dissolve* (rather than manage or restrain) them, which opened up a mode ofaccess that was not here before. (*En italique dans le texte original.)

J'ai observé l'ensemble de mes réactions personnelles sans les évaluer et, dans cet état d'attention, elles se sont dissoutes (plutôt que gérées ou retenues), ce qui m'a donné accès à un nouveau mode de conscience qui n'était pas là auparavant. (Traduction libre)

Décanter implique donc la capacité de mettre en veilleuse ce qui a été saisi. Il n'est pas question de «ré-agir», d'être en «ré-action» mais plutôt de laisser se créer de nouveaux savoirs et d'en prendre conscience. Il est question de réapprendre à se donner le temps de penser et le temps de trouver des pistes par d'autres chemins que la volonté et la raison. Certains auteurs, dont Fath (1996), nous mettent effectivement en garde contre la tentation d'éviter cette phase qui ne fournit pas les repères habituels d'efficacité, comme en témoigne cet extrait: «je crains que le nombre d'analyses de pratique ne soient des pratiques d'extorsion de sens si leur codage se fige trop rapidement» (p.57). Selon De Romilly (1998), la méthode pour faire émerger des souvenirs: « [...] consiste avant tout à faire silence, à vider notre esprit de tout ce qui peut barrer la voie, à attendre que le souvenir remonte, rattachés par quelques liens, quelques rapports, quelques parentés avec les éléments dont nous pouvons disposer. Nous pouvons donner notre attention à ces rapports, mais il ne faut pas trop nous concentrer, il faut laisser faire le mouvement intérieur» (p. 59) (Les mots soulignés sont de nous, ils veulent mettre l'accent sur des éléments à retenir.)

Décanter signifie donc,

  1. laisser agir et interagir le processus déclenché par la saisie avec les différentes parties de soi;
  2. laisser se déposer ce qui cherche à se déposer;
  3. laisser se former un sens qui soit significatif ou parlant pour la personne;
  4. laisser se séparer les données comme par gravité sans effort de volonté;
  5. capter ce qui cherche à s'imposer, ce qui prend le plus de place et occupe l'espace;
  6. clarifier dans le sens de rendre plus clair les impressions, les liens qui se réalisent par rapport à la situation, raffiner sa perception du phénomène ainsi que sa traduction avec des mots.

Il s'agit peut-être de la phase qui suscite le plus de résistance chez les formatrices et celle qu'elles réalisent le moins dans leur façon habituelle de fonctionner au travail. Alors qu'il s'agit d'une phase cruciale et reconnue (Koestler, 1965) dans les processus de création littéraire, artistique ou musicale, dans les processus des chercheurs autant dans les sciences de la nature que dans les sciences humaines, que c'est une condition de la maturation des individus comme du bon vin, il en va tout autrement dans les milieux rencontrés qui y voient une activité peu productive dans un contexte de surcharge de travail. C'est de cette conception qu'il faut tenir compte pour accompagner les formatrices vers une modification de leurs habitudes d'analyse de pratique. Paradoxalement, toutes s'accordent pour reconnaître l'importance de cette étape lorsqu'il est question de leur vie privée. En prenant le temps d'analyser ce phénomène, elles ont pu rendre explicite ce qui était implicite dans leur fonctionnement. Les savoirs découverts par l'analyse de pratique peuvent être transférés dans la mesure où ils deviennent plus explicites. La décantation s'impose d'elle-même lorsqu'il est question de traiter de la vie privée, chacune ayant trouvé des façons personnelles pour avoir accès à cette attitude. Pour certaines, il s'agit d'écrire, de dessiner, d'aller marcher dans la nature, de faire des activités manuelles comme du bricolage.

Comme on peut le constater, spontanément, intuitivement, ces formatrices procèdent régulièrement dans leur vie à une activité de décantation qu'elles jugent nécessaire et fructueuse. Selon leurs dires, décanter leur apporte davantage de perspective dans des situations de la vie courante, leur permettant d'identifier de nouvelles pistes d'action ou de compréhension qu'elles n'auraient pu voir autrement. Toutefois, le transfert de cette habilité et de cette habitude au travail semble se heurter à une vision contre-productive (cette dimension capitale a émergé au cours de la démarche d'analyse avec les formatrices). Il est donc nécessaire qu'elles aient accès à leurs propres mécanismes de fonctionnement implicites afin qu'elles puissent valider elles-mêmes, à partir de leur propre expérience, le recours à cette phase dans un processus d'analyse de pratique.

Comme on peut se l'imaginer, la durée de cette phase peut être très variable selon les personnes, leur aisance dans le processus et la situation qui a été saisie.

2.3 Troisième phase: la connexion

La troisième phase survient au moment où la décantation semble terminée et que quelque chose prend forme. Faire une «connexion» nous renvoie au concept de liaison, de liens à réaliser entre les données saisies au départ et celles qui résultent de la décantation avec des données extérieures à soi.

[...] notre mémoire à nous a sur celle de l'ordinateur une supériorité sans pareille. C'est que, lorsque ces petits signes de reconnaissance, ces petites marques servant au rappel, au classement, au ressurgissement de la bonne fiche au bon moment, se trouvent avoir été usés, d'autres circuits s'établissent spontanément, d'autres liaisons surviennent, d'autres classements s'établissent spontanément (De Rommilly, 1998, p. 44).

À la phase de connexion, la formatrice procède en quelque sorte à un classement de ces informations lui permettant ainsi d'explorer des pistes de sens. Il s'agit aussi d'établir et de vérifier la cohérence entre ces données. Différents types de liens peuvent être établis tout dépendant de la situation, du besoin et du contexte.

L'analyse personnelle ou en groupe de ces liens pourrait permettre d'évaluer la correspondance entre ces éléments tels les intentions de la formatrice et ce qui s'est passé, la mission de l'organisme et les interventions, etc.

La troisième phase, dite de connexion, se caractérise donc cette fois-ci par un effort conscient et délibéré de provoquer des liens et de procéder à un exercice de mise en relation des données résultant de la saisie puis de la décantation avec différentes sources d'informations externes. Par exemple, en réalisant une carte mentale de leur pratique avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, des formatrices ont réalisé qu'elles s'étaient peu préoccupées de cette caractéristique de la clientèle et que, par conséquent, elles avaient peu exploré les conséquences possibles de cette caractéristique dans leur matériel, leurs interventions et leurs formations. Parvenues à l'étape de la connexion, elles ont manifesté le désir d'obtenir plus d'informations sur cette problématique. C'est en comparant leurs conceptions initiales avec des données factuelles et des définitions provenant d'organismes spécialisés sur la question qu'elles ont été en mesure d'évaluer différentes facettes de leurs interventions dans une autre perspective. Cette nouvelle perspective a modifié l'analyse qu'elles faisaient auparavant, en rajoutant un paramètre, jusqu'alors peu pris en compte dans leur pratique.

Les sources externes auxquelles nous faisons référence sont des informations qui ne relèvent pas de l'expérience ou du jugement personnel et professionnel de la formatrice. Ces sources d'informations sont de plusieurs ordres possibles selon la situation et le contexte.

  1. Des théories ou des études sur un aspect de la situation - La problématique rencontrée dans l'action, l'approche pédagogique utilisée, les techniques d'animation, les théories du fonctionnement social des individus ou de leur développement intellectuel ou moral, etc. Par exemple, que nous proposent les recherches ou les études lorsqu'il est nécessaire dans le cadre d'une formation d'avoir recours à des documents écrits avec des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit?
  2. Les objectifs, la mission et les valeurs de l'organisme - Dans quelle mesure et comment la pratique analysée s'arrime-t-elle avec les orientations officielles de l'organisme? Y a-t-il un écart entre ce qui est annoncé par l'organisme et ce qui a été réalisé? À quoi peut-on attribuer cet écart? etc. Par exemple, dans la mission de l'organisme, on retrouve le thème de l'accessibilité des services aux plus démunis, ce qui implique les gens peu ou pas à l'aise avec l'écrit de manière implicite. Dans quelle mesure ma pratique respecte elle la mission de l'organisme pour lequel je travaille?
  3. Le cadre de référence de l'intervention - Les approches privilégiées, orientation, croyances, valeurs véhiculées. Comment ma pratique est-elle en accord avec la volonté de l'organisme de favoriser l'émancipation de toutes les femmes? Est-ce que l'approche que j'ai utilisée correspond à l'approche privilégiée par l'organisme? Y a-t-il une différence? De quelle nature est-elle? Quel sens je donne à cette situation?

La manière de réaliser ces connexions est donc de questionner véritablement et clairement sa pratique à partir des informations extérieures jugées pertinentes et crédibles par la personne et/ou le groupe, selon la situation analysée.

Des questions aussi directes que:

  • pourquoi?
  • comment?
  • dans quel contexte?
  • de quelle façon?
  • quand?

En d'autres termes, il s'agit en quelque sorte de s'auto-déstabiliser avec les informations et les données analysées de manière à stimuler la création de connexions nouvelles qui ouvrent autant de différentes pistes d'analyse et de compréhension. Ici, de nombreuses avenues sont envisageables. Encore là, il est possible de modifier les connexions à réaliser, selon les besoins aussi bien que selon l'aisance des participantes à réaliser cette phase.

La phase de connexion consiste à tenter d'établir une correspondance entre sa pratique personnelle et l'une ou l'autre des dimensions proposées. Cette concordance se situe en termes de cohérence et de congruence aussi bien avec soi et les autres formatrices qu'avec le milieu. Lorsqu'on parle de congruence avec soi, il s'agit ici de prendre conscience de la présence ou non d'un écart entre que ce l'on fait vraiment et ce que l'on dit faire. Selon Tozzi (1995), lorsqu'on réalise une analyse de pratique, la cohérence est une dimension qui traverse toutes les autres.

Une exigence nous semble cependant transversale et susceptible de fournir un fil directeur, l'exigence de cohérence [...] Elle tente de réduire, ou du moins d'assumer, les parts d'opacité et d'imprévisibilité inhérentes à toute situation humaine. Mais elle a aussi et surtout une dimension éthique: faire vivre et actualiser des valeurs, unir réel et idéal; faute de quoi, elle dériverait dans l'obsession technocratique de la transparence et l'illusion techniciste de l'efficacité se prenant comme une fin suprême (p.50).

C'est à la personne que revient principalement la responsabilité d'estimer le niveau de concordance entre sa pratique et ce qui est souhaité par elle et/ou par l'organisme, et/ou par les théories. La réalisation de cette phase comporte une dimension de confrontation importante, il faut apprendre à composer avec les tensions qu'elle peut soulever chez les formatrices qui exposent alors des dimensions souvent cachées de leur identité personnelle et professionnelle. Il est donc important de sensibiliser les participantes à faire preuve d'éthique entre elles.

Il est bien certain que, selon les personnes et la nature des connexions, la durée de cette phase peut varier grandement. Une fois l'appropriation réalisée et l'action modifiée, la formatrice se retrouve de nouveau dans la position de refaire une saisie et de reprendre les étapes une à une. Il s'agit donc d'un processus sans fin qui peut se dérouler selon les besoins et le rythme d'intégration des formatrices concernées. Bien qu'il soit souhaitable et souhaité par les formatrices participantes que certaines phases se réalisent en équipe de travail, il est tout à fait possible d'être autodidacte et d'apprendre de son expérience par soi-même. Être autodidacte55 ne signifie pas de réaliser des apprentissages en vase clos, seul avec soi. Il s'agit plutôt d'une capacité de se mettre en situation d'apprentissage systématisée, c'est-à-dire consciente et propre à sa façon d'apprendre et de fonctionner, sans qu'il y ait de contexte formel qui nous y invite. Cela signifie que les formatrices peuvent identifier le besoin d'avoir recours à une expertise extérieure pour les alimenter sur des aspects précis qu'elles souhaitent approfondir. Il peut s'agir de participer à une formation ou à un colloque sur un thème spécifique ou de consulter des ouvrages spécialisés sur un aspect précis qui les interpelle. Ces nouvelles informations vont permettre aux formatrices de réaliser de nouvelles connexions à partir de ce qu'elles auront senti le besoin d'aller chercher.

Ce mouvement constant contribue à développer une culture d'apprentissage tout au long de la vie qui nourrit le perfectionnement continu des formateurs. Il s'agit d'intégrer cette culture à sa vie de manière à favoriser la construction de ponts entre l'action et la réflexion, la réflexion-sur-l'action et la réflexion-dans-l'action. Dans cette culture, il importe que la personne soit l'initiatrice et l'architecte aussi bien que la réalisatrice de ce pont.

2.4 Quatrième phase: l'appropriation

En réalisant la phase de connexion, c'est-à-dire en favorisant la création de nouveaux liens entre les éléments, la formatrice élargit sa perspective en augmentant ses critères d'analyse et ses repères. Cependant, l'élargissement de son champ d'analyse ne constitue pas la finalité de l'analyse de pratique en milieu de travail. C'est le passage à l'action, l'appropriation de certaines connexions en les rendant propres à son usage personnel qui constitue l'objectif de cette dernière phase du processus d'analyse.

Lorsqu'il est question d'appropriation, la formatrice est appelée à adapter, ajuster et harmoniser ce qui a émergé des connexions réalisées précédemment avec ce qu'elle est comme formatrice et comme personne, avec ses possibilités objectives et subjectives dans le but de décider de l'orientation qu'elle donnera dorénavant à son intervention. On décide de s'approprier, de prendre possession lorsqu'on peut se projeter dans cette nouvelle perspective d'une façon ou d'une autre. L'appropriation consiste à effectuer un passage entre l'abstrait (la prise de conscience) et l'action. On matérialise en quelque sorte, parmi les connexions qui ont été réalisées, celles qui, pour différentes raisons, présentent un potentiel de changement motivant et réaliste en fonction de sa position à un moment x.

L'appropriation conduit à intégrer, à consolider les connexions qui se sont imposées de manière à ce qu'elles puissent supporter l'action qui utilisera cette nouvelle énergie, ce nouveau canal pour circuler. Pour y parvenir, l'appropriation se réalise en procédant aux étapes suivantes:

  • rétention des aspects qui se sont particulièrement imposés à notre conscience à l'étape de la décantation et des liens que nous avons réalisés à la phase de connexion;
  • adaptation et ajustement des résultats de la connexion avec soi (ses forces, ses peurs, ses connaissances, ses possibilités objectives et subjectives à ce moment, dans le contexte présent);
  • harmonisation de la prise de conscience avec l'action possible, par l'identification concrète des objectifs et des moyens permettant d'agir en conformité avec ses intentions et ses possibilités d'une manière réaliste;
  • détermination de la destination envisagée pour bonifier sa pratique ou la modifier en définissant le plus concrètement possible le contexte ou la situation où l'on souhaite expérimenter le changement.

3. Les outils utilisés

Identifier des algorithmes ou les étapes pour analyser une pratique si collés soient-ils à la réalité ne présume pas de leur potentiel d'utilisation par les formatrices de différents milieux. Dans le cadre de cette recherche sur les savoirs d'action, il nous apparaissait nécessaire, dans un esprit de congruence, de nous préoccuper autant des moyens que du processus. Autrement nous aurions joué le jeu de la recherche sur les savoirs qui profitent principalement aux chercheurs et aux universitaires plutôt qu'aux personnes concernées et visées. C'est donc animé de ce désir que nous avons exploré différentes pistes pour donner une forme et un support à ces algorithmes. On ne saurait donc dissocier les phases précédemment identifiées, des moyens utilisés, car ils forment un tout. Le choix de ces outils n'est ni aléatoire ni neutre. Il correspond à une orientation qui s'est dégagée aussi bien de l'analyse des données recueillies avec les formatrices qu'avec celles provenant de la documentation scientifique. Cette orientation sera explicitée plus en détail lorsqu'il sera question d'identifier les fondements théoriques de cette méthode. Toutefois, nous pouvons rappeler que cette démarche vise à développer chez les formatrices des habitudes d'analyse dans une perspective de renforcement du sentiment de compétence professionnelle et de perfectionnement tout au long de la vie. Il est donc nécessaire que les outils et les moyens qui permettent la réalisation de la démarche d'analyse soient congruents aussi bien avec les objectifs du projet qu'avec les orientations théoriques sous-jacentes aux étapes proposées.

Trois types d'outils se sont imposés tout le long de l'expérimentation. Ils se sont imposés en ce sens que leur utilisation n'était pas prévue de la même façon et avec la même importance au départ. Ces trois outils sont la carte mentale (schéma heuristique), les jeux visuels projectifs et la visualisation. L'utilisation de ces outils a grandement contribué à l'émergence de la méthode retenue. Le principal outil qui s'est dégagé comme pouvant accompagner les formatrices tout le long de cette démarche aussi bien que dans leurs activités de travail est sans contredit la carte mentale. C'est pourquoi nous y apportons une attention particulière en expliquant ce dont il s'agit et en précisant sa pertinence dans le contexte de ce projet. Par la suite, nous présentons l'arrimage possible de cet outil central aux deux autres tout le long de la démarche.

3.1 La carte mentale

Le principal outil de cette démarche d'analyse est sans contredit la réalisation de cartes mentales (ou schémas heuristiques) tout le long du processus d'analyse par les participantes et par la chercheure. Qu'est-ce qu'une carte mentale ou un schéma heuristique? Selon Buzan et Buzan (1999), c'est

une technique de représentation graphique qui suit le fonctionnement naturel de l'esprit et permet de libérer le potentiel du cerveau. En effet, le schéma heuristique réunit l'ensemble des facultés corticales - mot, image, nombre, logique, rythme, couleur et conscience spatiale - en une seule et même technique (p. 84).

Pourquoi choisir les cartes mentales comme outils privilégiés? Parce que leur réalisation:

  1. respecte le déroulement et le rythme des pensées de chacun et de chacune;
  2. respecte le mode d'enregistrement des données dans le cerveau en procédant par association et favorise ainsi la rétention des informations;
  3. est évolutive, compte tenu de sa nature associative, tout mot-clé ou image ajoutée à un schéma peut lui-même donner lieu à une nouvelle série d'associations, et ainsi de suite à l'infini (p. 87);
  4. s'applique à n'importe quel type de situations (réflexion, résolution de problèmes, analyse, création de nouvelles idées, etc.);
  5. suscite une catégorisation et une mise en relation spontanée de l'ensemble des données ainsi qu'une hiérarchisation des informations;
  6. s'adresse à toutes les personnes en respectant leur mode privilégié d'apprentissage et de réflexion tout en stimulant l'accès à des modes moins développés ou privilégiés;
  7. est accessible à tous et ne nécessite pas d'investissement matériel important.

3.1.1 Une démarche rigoureuse mais accessible

Il est important de rappeler que le principal objectif de cette recherche est le développement d'une méthode d'analyse qualitative qui soit propre à l'action des formatrices. Elle ne peut donc être une transposition des méthodes d'analyse qualitative utilisée par les chercheurs; les finalités sont différentes entre le praticien-chercheur et le chercheur qualitatif, ce qui influence notamment le temps qu'il est possible de consacrer à ces analyses. Toutefois, ce qu'il importe de conserver des méthodes d'analyse qualitative utilisées par les chercheurs, c'est principalement la rigueur dans l'analyse; une rigueur qui se manifeste dans la façon dont les données seront traitées aussi bien que dans l'attitude avec laquelle sera prise en compte la subjectivité des chercheurs dans l'analyse.

En permettant à la formatrice de catégoriser, de hiérarchiser, de donner des propriétés à ses catégories, d'en préciser les dimensions, de les mettre en relation, on propose en quelque sorte une démarche qui reprend dans l'essentiel les grandes étapes de l'analyse de théorisation (Paillé, 1994; Strauss et Corbin, 1990). En réalisant la carte mentale de sa pratique, la formatrice procède spontanément et naturellement à ces opérations mentales.

Alors que, en recherche, on apprend au chercheur à réaliser ces activités de manière consciente et explicite pour répondre à des critères de scientificité, il nous est apparu plus approprié dans le cadre du projet de trouver une façon de concentrer l'attention des participantes sur l'explicitation des différents aspects de leur pratique plutôt que sur l'explicitation des étapes pour y parvenir.

À l'image de l'analyse qualitative en recherche, il est nécessaire d'inviter les formatrices à ne pas se contenter de la première idée et du premier jet. En effet, la catégorisation se raffine dans la mesure où on prend le temps de la revoir, de la questionner, de définir les catégories et leurs caractéristiques. Il est donc possible qu'une formatrice réalise plusieurs jets avant de parvenir à réaliser une carte mentale qui traduise clairement les différentes phases identifiées précédemment dans le processus d'analyse.

Une autre raison justifiant l'emploi de la carte mentale est qu'elle permet de garder rapidement et facilement les traces de sa pensée. Il devient ainsi plus facile de se remémorer les situations dans leurs dimensions objectives et subjectives. De plus, elle évite le recours systématique à l'écrit traditionnel, ce qui constitue un avantage dans des milieux où l'écrit plus dense n'est pas un mode d'expression privilégié par les travailleuses. L'écrit est toutefois essentiel dans cette démarche, cependant on y fait appel plutôt à des mots-clés (ou Idées-Force-Clés selon l'expression de Buzan et Buzan) qu'à un texte suivi.

De plus, notre propre expérience de chercheure ayant utilisé la technique de la carte mentale pour procéder à l'analyse de données, nous a permis d'y voir un outil très intéressant pour structurer sa pensée, consigner des données et les analyser, les retenir, les visualiser et approfondir aussi souvent qu'on le veut le portrait qui se dégage d'une situation. La découverte de cet outil a été accidentelle et sans aucun lien délibéré avec le projet. Toutefois, au fil des rencontres avec les participantes, il nous est apparu possible de transférer nous aussi de nouveaux savoirs d'action à la recherche.

Plusieurs modèles d'analyse de pratique ont d'ailleurs recours à l'écrit comme principal moyen de développement de la réflexivité. «Several studies have found that the use of journal writing helps preservice teachers progress through the cognitive-developmental stages and become more reflective (Bolin, 1988; Garman, 1982, 1987; Zeichner et Liston, 1987)» (Freiberg et Waxman, 1990). L'utilisation de la carte mentale, tout en accordant une place importante à l'écrit, se distingue des autres méthodes par le recours à l'écriture d'Idées-Force, de mots-clés plutôt que par l'écriture d'un récit ou d'un journal. Les "Idées-Force" sont en quelque sorte une première codification des informations. La personne est obligée de s'arrêter pour questionner l'information en se demandant: «De quoi est-il question ici?». En s'obligeant à n'écrire qu'un mot au lieu d'une phrase ou d'un syntagme, la personne développe un esprit de synthèse. De plus, les mots-clés facilitent la mémorisation des idées, ce qui permet de les retracer et de les analyser avec plus de rapidité lorsque nécessaire. Lors de la phase de décantation, cette caractéristique favorise l'établissement de nombreux liens.

Lors de notre expérimentation, cette utilisation particulière de l'écrit a soulevé moins de résistance chez les formatrices que la perspective de devoir réaliser un journal de bord ou le récit de sa pratique. Par conséquent, on peut émettre l'hypothèse que ce type particulier de savoir pourra être transféré dans leurs formations ou dans leurs interventions. Lorsqu'il s'agira de personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, le recours à cet outil facilitera possiblement l'expression des personnes. Buzan et Buzan (1990) font d'ailleurs référence à l'utilisation de cartes mentales avec des enfants et des jeunes identifiés comme ayant des difficultés d'apprentissage (p. 229). Le recours à cet outil a permis de révéler le potentiel de ces jeunes qualifiés d'inéducables et d'inintelligents aussi bien à eux-mêmes qu'aux intervenants qui les entouraient.

3.1.2 Une représentation personnelle

Dans le cadre de cette démarche spécifique, la carte mentale est donc une représentation personnelle d'une réalité vécue et de l'analyse réalisée à différents moments du processus. À la différence des cartes topographiques ou routières, la carte mentale ne vise pas à utiliser des codes universels, pas plus qu'à être utilisée par d'autres personnes. Dans ce contexte, il importe peu qu'une carte mentale soit peu parlante ou significative pour les autres. L'essentiel est, au contraire, de découvrir les codes qui sont représentatifs de son mode personnel de fonctionnement interne, son mode de représentation de la réalité, sa façon d'analyser. Il est donc normal et même heureux, dans cette perspective, qu'une carte mentale puisse paraître confuse ou incompréhensible à certaines personnes. Dans la mesure où la formatrice aura construit son savoir, pour reprendre une expression de Belinki et al. (1986), elle sera davantage en mesure de le partager, l'expliquer et le développer.

Les exemples de cartes mentales présentées vous permettront de vous confronter à cette réalité. Elles ne sont pas présentées pour comprendre et analyser le contenu qu'on y retrouve mais plutôt pour visualiser de quoi il est question dans sa forme et dans sa diversité. Cela dit, il n'est pas impossible pour autant de réaliser une carte mentale qui soit intelligible pour plusieurs personnes pas plus que d'en réaliser une collectivement. Cependant, comme ça n'est pas le but premier dans cette démarche, il est nécessaire d'accepter que la carte mentale d'une autre personne ne nous apparaisse pas très claire et que celle qui l'a réalisée la trouve au contraire très signifiante.

Il s'agit là d'un outil qui peut rejoindre dans leur expérience autant les formatrices ayant un mode de fonctionnement plus linéaire ou rationnel que celles ayant un mode non linéaire ou plus intuitif. Comme chaque personne traduit sa propre pensée et ses propres liens, il devient possible que des gens ayant des expériences et des formations variées travaillent en même temps avec le même outil et parviennent à des résultats de forme et de nature très différentes, respectant ainsi leur réalité.

3.1.3 Références sur la question

Plusieurs ouvrages accessibles sont consacrés à la question et présentent les dimensions théoriques et pratiques de cet outil, notamment Dessine-moi l'intelligence (Buzan et Buzan, 1999), Use both sides of your brain (Buzan, 1989), Pensez comme Léonard de Vinci (Gelb, 1999). De plus, le logiciel Inspiration permet dorénavant de réaliser des cartes mentales sur ordinateur. Toutefois, notre expérience et celle des participantes nous portent à considérer comme un atout majeur le fait de réaliser une carte mentale avec du papier et des crayons plutôt que d'avoir recours à l'ordinateur. Cette démarche implique le corps en entier et par la même occasion favorise l'établissement de nouvelles connexions. En bougeant autour de la page, en faisant de gros traits noirs ou jaunes, en reculant, ou en se levant, la personne modifie physiquement sa perspective. Il n'est plus seulement question d'une figure de style, d'un exercice mental, c'est un réel changement de position qui entraîne une modification des perceptions ne serait-ce que sensorielles.

Toutefois, l'utilisation d'un logiciel peut s'avérer intéressante pour conserver ou pour reproduire certaines cartes mentales, pour travailler plus en profondeur une ou plusieurs dimensions pour les intégrer à l'intérieur de documents. Il s'agit là d'un outil qui devra être analysé et utilisé davantage pour que nous puissions élaborer sa complémentarité avec les cartes mentales manuelles, pourrions-nous dire pour les distinguer.

À plusieurs reprises, l'expérimentation de l'outil par les participantes a confirmé la richesse de son potentiel dans le cadre d'une analyse de pratique. Il a permis entre autres d'avoir accès rapidement à des informations sur la pratique des intervenantes notamment certaines qui n'étaient pas partagées au grand jour et qui ont suscité des échanges visant à modifier, dans certains cas, des pratiques de groupe.

Tableau 2 – Cartes mentales réalisées par les formatrices6

[Voir l'image pleine grandeur]Deux illustrations de la carte mentale

3.2 Les jeux projectifs

Un deuxième moyen auquel nous avons eu recours pour l'analyse de pratique est l'utilisation d'images sous forme de jeu projectif ou de photo-langage à différentes étapes des phases du processus. Ces outils ont été grandement appréciés des participantes. Ils ont été utilisés dans différentes situations, mais ils se sont avérés très riches plus particulièrement dans des contextes qui permettaient de déstabiliser les formatrices en les invitant à accéder à d'autres formes d'intelligence que celles qui étaient principalement sollicitées par la discussion ou l'échange, de manière à les aider à clarifier une impression ou une pensée dominante et ainsi à travailler à plusieurs niveaux à la fois. Cet outil7 a été utilisé notamment pour réagir à différents processus d'analyse de pratique qui leur avaient été présentés ainsi que pour identifier des besoins pour s'engager dans chacune des étapes du processus. Par exemple, nous avons demandé aux participantes d'identifier ce qu'elles avaient le plus besoin de développer pour réaliser l'étape de la saisie. Pour répondre, les participantes étaient invitées à choisir une carte du jeu projectif, à l'aveugle, puis à se demander ce que l'information de cette carte pouvait leur fournir concernant leur besoin.

Alors que, de prime abord, la question a été perçue par certaines comme intello ou abstraite, l'utilisation du jeu projectif comme moyen de supporter la réponse a été accueillie avec enthousiasme par les participantes qui l'ont manifesté en exprimant un «Wow!», étonnées et ravies à la fois d'avoir recours à de tels outils pour apprécier ou évaluer un contenu très rationnel, structuré et abstrait. Comme on peut le remarquer, la question posée oralement n'est pas parvenue à s'arrimer, c'est-à-dire à rejoindre rapidement une expérience ou des connaissances pouvant permettre d'y répondre et surtout de trouver un intérêt à y répondre. En proposant un outil, composé de symboles et d'images sur lesquels toute projection est possible, l'arrimage s'est réalisé très rapidement et les réponses ont été très intéressantes. L'intérêt de ces réponses est principalement lié au fait qu'elles étaient ancrées dans la réalité de chacune des participantes. Alors que ce genre d'exercice peut conduire facilement à ce que nous pourrions appeler des vœux pieux, c'est-à-dire de très bonnes intentions qui ne présument aucunement de la réalité, il a plutôt permis aux participantes de cerner une dimension qui faisait du sens pour elles à ce moment-ci de leur vie. Comme le mentionnait une participante, «on se retrouve coincée entre ce que l'on est vraiment et ce que l'on voudrait être».

Le recours à des jeux projectifs permet aux formatrices de développer des capacités à recadrer8 leur expérience elles-mêmes, à identifier d'autres perspectives que celles spontanément explorées. Cet exercice favorise le transfert de cette habileté dans d'autres contextes et les habilite à réaliser, avec plus d'aisance, les différentes étapes du processus d'analyse. Les jeux projectifs deviennent dans le cadre de l'analyse de pratique un outil pour apprendre à réaliser une conversation réflexive avec soi.

3.3 La visualisation

Un troisième outil a été expérimenté, à savoir la visualisation. Plus précisément, les termes «visualisation» et «imagerie» réfèrent au processus par lequel des gens sont guidés dans des voyages intérieurs de l'esprit et réagissent à certains thèmes ou suggestions au moyen d'images mentales9. Technique bien connue et documentée (Galyean, 1986; Bry, 1978; Gawain, 1986), la visualisation est un moyen qu'utilisent déjà certaines formatrices participantes dans le cadre de leur travail.

Elles étaient donc, pour la plupart, réceptives à l'idée de faire ce genre d'exercice. La visualisation guidée contribue à ce que les formatrices expérimentent la phase de la saisie (être capable d'entendre, détecter, percevoir et sentir des informations et les traduire par la suite) et de la décantation en apprenant à laisser le temps aux images de prendre forme et de se composer en un scénario intelligible. Plus tard, lorsque la visualisation est terminée et que nous revenons en groupe, la connexion avec un thème ou une situation aide les participantes à établir de nouveaux liens autrement que par la volonté et l'effort conscient. Elles apprennent ainsi à faire davantage confiance à leurs propres ressources pour identifier des pistes et trouver leurs solutions. Pour reprendre l'expression de Galyean (1986), «cet exercice favorise un approfondissement de la dimension affective et de la conscience de soi» (p. 24).

Nous avons proposé aux formatrices de visualiser leur milieu de travail et leur pratique dans le sens des changements souhaités par elles. Après leur avoir permis de se former des images, nous avons poursuivi la visualisation en leur proposant de préciser ce qu'elles voyaient en complétant les affirmations suivantes:

  • De plus en plus souvent je...
  • J'ai pris l'habitude de...
  • J'ai de plus en plus d'aisance à...
  • Je découvre que je peux...
  • J'accepte davantage de...

Cette visualisation a contribué à mobiliser les formatrices vers les changements souhaités tout en respectant leurs besoins et leur disponibilité respective. Elles ont été ainsi à même de formuler des objectifs personnels à partir d'une autre source que la volonté, ce qui, de notre point de vue, est un atout lorsqu'on vise des changements durables et significatifs.

Ces deux derniers outils, les jeux projectifs et la visualisation, font appel aux images, croyances et représentations que se font les formatrices d'une situation. Comme le mentionnait Kant (In Galyean; 1986, p.33) «La pensée en images précède la pensée en mots». Ces dimensions influencent donc grandement les choix et les actions des formatrices comme des intervenantes même s'ils sont souvent implicites. D'ailleurs, plusieurs démarches d'analyse de pratique (Munby et Russell, 1990; Tobin, 1990; Marshall, 1990) destinées à des enseignants travaillent à partir des croyances et des métaphores qui se sont développées dans la pratique de chaque formateur. Rendre explicites ces dimensions et les analyser favorisent le développement de la réflexivité aussi bien que le sentiment d'acquérir du pouvoir sur sa pratique. Encore une fois, le choix précis des outils et leur utilisation peuvent varier grandement d'un milieu à un autre. L'essentiel est d'avoir recours à des outils qui viennent solliciter d'autres ressources de la personne, particulièrement lorsqu'on pourrait croire que c'est la raison qui est la mieux placée pour offrir une réponse. En apprenant à reconnaître les métaphores qui les guident, les croyances ainsi que les représentations, la formatrice apprend par la même occasion à développer sa capacité d'analyse intrapersonnelle.

Il est important de préciser que les cartes mentales, de même que les autres outils utilisés, n'ont pas été conçues originellement pour analyser le travail d'un formateur ou d'une intervenante. Elles sont proposées dans un cadre beaucoup plus large allant de la prise de notes, à la résolution de problème personnel ou professionnel, aussi bien qu'à la création d'idées nouvelles, de produits ou d'écrits officiels ou littéraires. Toutefois, quelque soit l'usage qu'on en fasse, elles facilitent effectivement la rétention des idées, l'organisation et la catégorisation des informations. C'est à la lumière des rencontres avec les formatrices que cet outil nous est apparu pertinent dans le contexte de ce projet. Cependant, même si cet outil ouvre la porte à l'analyse de pratique, il n'en demeure pas moins que ce sont les étapes de réalisation qui permettent vraiment d'accéder au niveau de l'analyse qualitative de ses savoirs d'action.

4. Arrimage des étapes et des outils: la méthode

Élaborer une méthode, c'est parvenir à arrimer des étapes, un processus avec des outils permettant la réalisation de ces étapes. Cet arrimage se doit d'être à plusieurs niveaux. Dans le cas présent, les étapes et les outils sont conçus et utilisés de manière à être congruents avec les objectifs et les orientations données au projet en matière d'analyse de pratique. Alors que nous étions préoccupée d'identifier des algorithmes d'analyse qualitative de la pratique, l'action ou l'expérimentation avec les participantes s'est chargée de mettre en évidence la nécessité d'utiliser des outils permettant la découverte et l'explicitation de ces étapes. Les outils permettent donc de matérialiser le projet envisagé par les étapes. En contrepartie, l'absence de projet peut rendre inapproprié ou insatisfaisant le meilleur des outils. Il en va de même lorsqu'on construit une maison; le plan ou le projet est essentiel pour déterminer les outils qui seront requis pour parvenir à réaliser la maison telle que prévue ou souhaitée. Par exemple, si on désire un chalet en bois rond, construit de manière traditionnelle, les meilleurs clous du monde seront carrément inutiles, bien qu'en soit les clous puissent paraître indispensables. Il en va de même pour cette méthode. Les étapes ont été crées de toutes pièces avec les formatrices, puis certains outils existants se sont imposés au fur et à mesure. L'utilisation d'outils à des moments spécifiques de chaque étape a permis d'élaborer, en fin de parcours, la méthode d'analyse qui est présentée. Cette méthode possède des propriétés qui sont définies plus loin dans ce chapitre. Ces propriétés permettent de cerner sa spécificité à partir de différents paramètres.

Dans un premier temps, certains aspects de la méthode qui a émergée sont présentés de manière à guider, un tant soit peu, la démarche des personnes intéressées à l'utiliser.

Le choix du déclencheur ou du thème de l'analyse s'avère de première importance dans la méthode avec des formatrices qui veulent s'initier à l'analyse de pratique. En effet, nos expérimentations avec les formatrices ont mis en évidence la nécessité de commencer par leur faire analyser leur pratique habituelle en matière de réflexion-sur-l'action.

Autrement dit, il s'agit de leur fournir l'occasion et les moyens de rendre explicite leur manière de procéder après une formation ou une intervention lorsqu'elles critiquent ou évaluent ce qu'elles ont fait. Pour ce faire, nous avons demandé aux formatrices de compléter, avant la première rencontre, un questionnaire composé de questions ouvertes (voir Annexe A). Cette activité avait pour objet de s'ancrer aux savoirs préexistants (Jonnaert, 1988), donc de mobiliser les savoirs que la personne possède déjà sur la question. L'expérience nous a montré avec les deux groupes à quel point ce premier exercice est riche en renseignements sur la pratique de chacune. Le partage de ces pratiques, rendues plus explicites, a d'ailleurs permis des échanges intéressants, entre autres, concernant des changements souhaités individuellement au travail mais jamais partagés collectivement. Ce premier exercice aide à cerner relativement rapidement des zones ou des aspects de leur pratique qui les interpellent et méritent une analyse ultérieure plus approfondie.

Les avantages à utiliser ce déclencheur pour réaliser des analyses de pratique sont nombreux. On peut remarquer qu'il contribue dans un premier temps à démystifier l'analyse de pratique en leur faisant réaliser que, d'une certaine façon, elles s'engagent déjà sur ce terrain. En utilisant leurs expériences et en mettant leurs pratiques en évidence, les formatrices reconnaissent qu'elles possèdent déjà des connaissances qui, une fois traitées ou analysées, seront transférables à d'autres dimensions de leur vie personnelle ou professionnelle. De plus, en choisissant ce thème commun à toutes, on favorise un partage d'informations entre les formatrices, ce qui leur permet de réaliser l'impact autant individuel que collectif d'un processus d'analyse plus rigoureux. En outre, en abordant ce thème, on leur propose une illustration d'une analyse d'une pratique qui n'est pas jugée, a priori, comme source d'insatisfaction ou de problème, ce qui, comme nous le verrons plus loin, est un des fondements de cette approche. On expérimente ainsi, dès le début du processus, ce que nous avons appelé «une lecture en perspective de la réalité». Les formatrices peuvent ainsi découvrir le potentiel de réponses et de ressources contenues dans d'autres contextes que dans les situations problèmes ou des situations de réussite.

L'animatrice consigne ces informations et les traduit au groupe en présentant la carte mentale qu'elle a réalisée pour analyser les informations contenues dans les questionnaires. Elle présente ensuite les étapes et les règles pour concevoir une carte mentale et en réalise une devant elles portant sur un thème abordé par les participantes. Ensuite, les participantes sont invitées à réaliser leur première carte à partir d'un thème suggéré. Ce thème ou ce déclencheur n'est pas un problème en soi et n'est pas formulé comme tel. Ce type de déclencheur mobilise des dimensions de l'expérience qui ne sont pas associées à des problèmes mais plutôt des dimensions moins fréquemment mises en lien ou en relation. Avec les participantes, nous avons utilisé la description de leur pratique avec des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit.

Cette première carte mentale permet la saisie d'une quantité d'informations de tout ordre qui devront être traitées et analysées ultérieurement. Cette carte est souvent constituée de matériaux à l'état brut, c'est-à-dire d'associations réalisées au fur et à mesure que des données concernant l'action se manifestent à la conscience. Les participantes sont invitées à conserver cette carte et même à l'afficher dans leur bureau, au travail ou à la maison puis à en réaliser une deuxième au besoin.

La réalisation d'une seconde carte mentale à partir de ces premières données permet à la formatrice de préciser davantage sa pensée, de traduire plus précisément ses émotions et ses idées et d'établir des liens plus subtils et nuancés entre les différents éléments. En fait, il est possible de réaliser le nombre de cartes mentales que l'on souhaite à partir des données de la première; chacune permettant à la personne d'explorer avec plus de rigueur un aspect ou l'ensemble jusqu'à ce qu'elle ait l'impression que la carte mentale traduise avec justesse ce qu'elle voulait exprimer.

La réalisation de la carte mentale accompagne le mouvement de l'esprit, elle ne le précède pas ni le suit, elle est une sorte d'accès à des rayons X de notre réflexion-sur-l'action. Comme on peut l'imaginer et comme nous l'avons constaté, les mouvements de l'esprit d'un individu sont aussi uniques que le sont leurs cartes mentales, il est impossible d'en trouver deux identiques.

Après avoir réalisé ce deuxième exercice, l'intervenante est invitée à l'afficher dans son bureau ou chez elle de manière à amorcer la phase de décantation. C'est la carte qui porte les questions, les tensions, les réflexions et les liens à la place de la formatrice, lui permettant ainsi de prendre le recul nécessaire pour être plus dégagée de l'action réalisée. C'est en l'observant, comme on observe un tableau dans un musée, c'est-à-dire sans faire d'effort mais plutôt en cherchant à se laisser imprégner par ce qui se dégage, que la participante permettra la décantation. La fin de cette étape se manifestera différemment pour chacune cependant, en développant sa capacité à être attentive à soi, la formatrice parviendra à reconnaître les aspects ou les thèmes qui l'habitent plus que les autres.

À ce stade, l'utilisation du jeu projectif peut aider les participantes à identifier ce dont elles auraient besoin comme indices pour sentir que cette phase est achevée (pour l'instant).

La mise à distance réalisée lors de la phase de décantation facilitera l'accès à de nouvelles connexions, à de nouveaux liens, qui l'aideront à prioriser et à identifier les changements les plus appropriés et stimulants pour elle dans le contexte. Lors de la phase de connexion, il peut être souhaitable de réaliser une autre carte mentale portant notamment sur la congruence entre la pratique analysée et les données extérieures mises en perspective. De plus, il serait approprié d'utiliser la visualisation pour aider la formatrice à se projeter dans l'avenir et, par le fait même, à découvrir la nature du changement qui serait le plus significatif pour elle. Ce nouvel exercice peut faciliter l'appropriation de certaines connexions en vue d'opérer un changement.

Il s'agit donc de réaliser une analyse dans un mouvement non linéaire et continu et de déterminer au fur et à mesure, selon le contexte et la situation, le nombre de cartes mentales qu'on souhaite réaliser pour analyser les thèmes qui nous interpellent. À partir du moment où la réalisation de cartes mentales est perçue comme un outil favorisant la traduction, la communication et la structuration de ses idées, pensées et émotions, la personne pourra faire autant de cartes mentales qu'elle le souhaite à chacune des phases du processus d'analyse et pour approfondir chaque dimension qu'elle souhaite explorer davantage. C'est la réunion des algorithmes d'analyse et des outils qui crée une méthode d'analyse de sa pratique pour l'action et dans l'action. Nous précisons dans la partie suivante les principales caractéristiques de cette méthode.

5. Propriétés de la méthode

Notre travail de développement, d'expérimentation et d'analyse de la méthode a conduit à identifier huit propriétés qui la caractérisent. Chacune de ces priorités est expliquée plus en détail dans les pages suivantes:

  1. qu'elle favorise le pouvoir d'agir ou l'empowerment,
  2. qu'elle contribue à dépolariser les structures mentales et les modes de fonctionnement;
  3. qu'elle est expérientielle, car elle met la formatrice en situation d'expérimenter savoirs;
  4. qu'elle est ancrée à des savoirs qui existent déjà;
  5. qu'elle est évolutive car elle peut se développer au rythme du cheminement de la formatrice;
  6. qu'elle est accessible car elle s'ajuste à la diversité présente chez les formatrices;
  7. qu'elle est adaptable aux besoins spécifiques des individus et des organismes;
  8. qu'elle est transférable à des intervenantes ou des formatrices œuvrant dans différents secteurs.

5.1 Favorise le pouvoir d'agir

La première propriété de cette méthode est qu'elle favorise le pouvoir d'agir10, mieux connu sous le terme empowerment, chez la formatrice. En d'autres termes, elle lui permet de retrouver le pouvoir de mieux comprendre ses interventions et ses actions en vue d'agir dans le sens souhaité. Elle favorise le développement de la conscience de ses propres modes de fonctionnement tout en les légitimant. Selon Barkatoolah (1989), il est nécessaire de «transformer l'expérience en conscience» (p. 51). Cette expression traduit bien l'esprit de cette démarche. Selon l'auteure,

Cette compréhension constituerait la base même de tout processus de développement personnel. C'est elle qui confère à la personne cette capacité (en puissance) pour agir. Elle acquiert des nouvelles façons de se positionner par rapport à sa vie, et de se ré-inventer. L'expression finale de cette transformation est la «conscientisation» (dans le sens que lui attribue Freire) qui fournit au sujet cette pulsion pour agir sur son contexte afin de le changer [...] Tout acte de repérage et d'auto-évaluation des acquis constitue à la fois un acte d'intégration, de remise en question et une poussée vers l'action [...] En fournissant à la personne le sentiment de maîtrise sur sa trajectoire passée, la démarche ne fait pas que favoriser l'émergence d'une image de soi positive. Ce regard dans le rétroviseur qui, pour certains, signifie une revision, pourrait se révéler un élément à la fois cathartique et déclencheur de comportements, qui permette de mieux appréhender l'avenir (p. 52).

La démarche, tant par ses étapes que par le choix des outils, propose aux formatrices de découvrir par elles-mêmes de nouvelles façons de se positionner et de se ré-inventer. Elle mobilise les ressources de la personne vers l'agir. Un agir conscient de sa trajectoire passée, des forces présentes et un agir contextualisé qui permet d'appréhender l'avenir avec plus de pouvoir sur sa vie.

5.2 Dépolarisante au plan cognitif

Analyser sa pratique dans le sens qui a été développé ne consiste pas à déterminer si l'action réalisée est soit bonne ou mauvaise. Elle ne consiste pas non plus à se référer à une autorité extérieure incarnée soit par la culture, les valeurs, des théories ou des personnes afin de valider l'action réalisée. Il ne s'agit pas non plus d'un processus de résolution de problème. Il est plutôt question de développer des habiletés à comprendre la réalité dans son contexte et à partir de son cadre de référence personnel, le rendre plus explicite, mettre son action en perspective avec le cadre de référence de l'organisme ainsi qu'avec d'autres sources d'informations et identifier les orientations que nous voulons donner à l'action à partir de cette prise de conscience.

En abordant l'analyse de pratique sous cet angle, on donne l'occasion aux formatrices d'explorer les perspectives à partir desquelles elles perçoivent la réalité et construisent leurs conclusions concernant la vérité, le savoir et l'autorité. L'autorité désigne ici le pouvoir, la crédibilité qui est accordée à une source externe ou interne d'expertise. Les travaux de Belinki et al. (1986) sont particulièrement révélateurs à ce sujet; nous les abordons plus en détail lorsqu'il sera question des fondements de la démarche. Toutefois, nous pouvons dire que les femmes créent leurs propres savoirs et s'y réfèrent lorsqu'elles parviennent à concevoir la réalité dans une perspective non dualiste. Acquérir le pouvoir de leur esprit est, selon ces auteures, une bataille que mènent la plupart des femmes (p.1-2).

Contribuer à briser la dualité est une caractéristique très importante de cette méthode. En dépolarisant ainsi le type de lecture qui sera fait de la réalité, on favorise la compréhension de l'action plutôt que le jugement, l'évaluation ou la sanction de l'action. De savoir que l'intervention était bonne ou mauvaise même si cette lecture est juste, ne permet pas aux formatrices d'y découvrir l'origine des actions ni les savoirs impliqués dans cette action. Une propension à la polarisation vient paralyser ou gêner les possibilités d'exploration et la mise à distance de sa pratique. Trois types de polarisations qui se sont manifestés. Chacun est précisé dans les pages qui suivent de manière à circonscrire les phénomènes et leurs impacts sur la pratique des formatrices.

5.2.1 Polarisation rationnel versus intuitif

La principale polarisation rencontrée porte sur les conceptions des modes d'appréhension de la réalité: rationnel versus intuitif. Les participantes reconnaissent spontanément l'importance de l'intuition dans leur vie et, dans plusieurs cas, leur inconfort à adopter un mode rationnel. Paradoxalement, bien que le mode privilégié soit le mode intuitif, tout se passe comme si on avait intégré le discours dominant concernant la valeur suprême de la rationalité garante de crédibilité. En effet, elles se jugent d'être peu à l'aise dans le mode rationnel, auquel elles attribuent des qualités d'efficacité, de rigueur, etc. Dans la mesure où les interventions et les activités professionnelles appellent peu ou pas la rationalité au premier plan, les intervenantes se reconnaissent des compétences et habilitent les femmes à respecter, valider et tenir compte de leurs émotions et leurs intuitions pour prendre du pouvoir sur leur vie. Cependant, dès que les activités professionnelles exigent que la rationalité soit au premier plan, les intervenantes ne mettent plus en pratique ce qu'elles véhiculent lors de leurs interventions. Elles se retrouvent dans une situation qu'elles choisissent d'éviter, qu'elles n'aiment pas, où elles se sentent peu compétentes et gênées de ne pas l'être. Lorsque la rationalité est mise en avant plan, elles ont l'impression de devoir faire un choix entre les deux modes, ce qui implique que les intuitions et les émotions soient mises de côté, ce qu'elles acceptent difficilement. Elles se sentent donc en territoire étranger, fragiles et exposées, ne sachant plus comment utiliser leurs compétences pour apprivoiser la rationalité.

Dans la mesure où rationalité et intuition sont perçues comme des entités opposées avec aucune possibilité de cohabitation, les formatrices se sentent effectivement coupées de leurs racines et de leurs forces. Elles en viennent donc à intégrer qu'ayant une dominante intuitive il est donc normal d'éprouver un malaise et n'avoir peu de compétences rationnelles. Ce qui rajoute au malaise c'est que, malgré ce constat, elles continuent d'accorder plus de crédibilité aux démarches rationnelles même si elles s'y sentent étrangères, incompétentes et peu motivées. Elles se placent donc régulièrement en position de mystifier la rationalité. Cette mystification contribue à empêcher les intervenantes de s'approprier leurs processus et de créer des façons de travailler qui respectent leur façon d'appréhender la réalité.

Concevoir que la rationalité peut être une alliée, dans une relation égalitaire avec soi, qui permette de donner plus de rigueur et de crédibilité à l'intuition et aux sentiments est un recadrage majeur qui nous apparaît central autant pour l'amélioration des pratiques avec les gens peu ou pas à l'aise avec l'écrit que pour le développement des pratiques réflexives.

5.2.2 Polarisation sur l'apprentissage par les difficultés

La deuxième polarisation rencontrée se manifeste par une attention centrée sur les difficultés, les échecs, les ratés. Lorsque ça va bien, on ne perçoit pas la nécessité de tirer des leçons de l'expérience de manière à répéter ce qui a bien été. Quand ça va bien, c'est un peu comme si ça allait de soi et qu'il est inutile de s'y arrêter. Toutefois, on manque de mots pour traduire ce qui a bien été. On se contente de sensations ou des commentaires fournis par les participantes aux formations. Pour les raisons dont nous avons parlé précédemment «une lecture exclusivement et délibérément positive» de la réalité, soulève des résistances. Les participantes se sont montrées sceptiques sur l'impact d'une démarche axée sur le positif exprimant même le besoin, voire la nécessité, de partager avec les autres ses faiblesses et ses difficultés pour se sentir moins seules et accepter de ne pas être parfaites.

La polarisation vient opposer lecture en positif (axée sur les forces ou les compétences) et lecture en négatif (ou axée sur les problèmes) de la réalité tout en empêchant les possibilités de réaliser d'autres types de lecture de la réalité tels la «lecture en perspective». Chercher des solutions à ce qu'on identifie comme problématique constitue en quelque sorte un cadre contraignant qui empêche la formatrice d'explorer ailleurs que dans l'énoncé du problème, des pistes de réflexions. Dans cette situation, elle met en branle un processus de réaction à ce qui s'est passé. La réaction se trouve placée en opposition avec l'action ou dans une boucle de rétroaction simple. Analyser sa pratique, c'est mettre à nu de nombreuses boucles de rétroaction complexes qui s'entrecroisent et cachent certains liens à la vue première. Introduire la notion de création dans une boucle de rétroaction vient modifier considérablement le regard qu'on peut porter sur sa pratique. L'objectif dans une telle boucle n'est plus l'action qui suit la réaction mais bien une synthèse personnelle, une composition qui ouvre sur autre chose sans pour autant qu'on en ait une idée claire en partant.

Comme le mentionnait Van Manen (1990), l'analyse de pratique n'est pas un processus de solution de problème (PSP), c'est plutôt une façon de soulever des questions qui, à force de les porter et de les explorer, viendront fournir des pistes de réponses que la conscience ou les démarches rationnelles peuvent difficilement rendre accessibles. Ainsi, la formatrice travaillera à partir des éléments qui prennent l'avant-scène dans sa vie et dans sa pratique.

5.2.3 Polarisation sur la sécurité des certitudes

La troisième polarisation concerne la difficile tolérance au doute ou à l'insécurité dans un processus dont le résultat n'est pas vraiment prévisible et dont les clés se manifestent au fur et à mesure. Lorsque ce type de polarisation se manifeste, les participantes préfèrent des situations ou des processus dont l'issue est claire et annoncée à des processus dont l'issue relève de leur responsabilité et dont le chemin est à découvrir. Se donner le droit de ne pas tout savoir en partant, de déterminer elles-mêmes des balises, de se fier à leurs expériences et à leurs connaissances semblent menaçant pour certaines malgré qu'elles se soient dites, au départ, ouvertes au changement et ayant une bonne capacité d'adaptation. Supporter le flou, porter le vague, contenir le doute et l'incertitude, prendre le temps qu'il faut pour qu'un sens émerge sont des attitudes qui ne sont que peu intégrées à leur pratique.

La méthode proposée apprend aux formatrices à porter le doute et à le considérer comme un ingrédient essentiel de leur démarche de réappropriation de leurs savoirs d'action. Accepter de douter est une attitude valorisée dans tout processus créateur et scientifique. Elle permet entre autres de réaliser soi-même des recadrages d'une situation ou d'un phénomène donnant accès à une perspective souvent cachée ou ignorée de l'artiste ou du chercheur. Il s'agit même d'une attitude éthique lorsqu'il est question de recherche.

5.3 Expérientielle

La méthode retenue favorise une compréhension interne de ses propres savoirs mis en action, c'est à dire que le sens n'est pas proposé ou imposé par l'extérieur mais bien créé par la personne elle-même. Cette construction de sens peut alors laisser une trace beaucoup plus forte chez les formatrices que si elle était livrée clé en main. C'est dans l'effort de construction de sens que la formatrice parvient à établir des liens significatifs pour analyser et bonifier sa pratique. De plus, comme l'ont indiqué Belinki et al. (1986) beaucoup de femmes n'ont pas appris à identifier et à créer leur savoir, à faire confiance à ses apprentissages et à y faire référence. Il est donc important, par souci de congruence, que la méthode les invite à explorer ce qu'elles savent déjà, en procédant elles-mêmes à l'analyse et en recadrant leurs expériences dans une nouvelle perspective pour réinvestir l'action à la lumière de ces prises de conscience. De plus, le recours à la carte mentale stimule l'utilisation de plusieurs sens et de plusieurs types d'intelligence. En créant sa carte mentale, la formatrice expérimente le processus d'analyse de pratique en même temps qu'elle découvre son propre processus mental. Cette découverte favorise ce qu'on pourrait appeler une compréhension expérientielle de l'analyse de pratique.

Il est important de préciser que ce type d'analyse permet aux gens de découvrir certaines pratiques souterraines qui émergent souvent à leur insu. La création de liens permet en effet de libérer des trésors cachés dans la mémoire et de les mettre en évidence alors que, au premier coup d'œil, dans une démarche linéaire consciente et rationnelle, on ne serait pas parvenu à mettre le doigt sur une donnée que nous aurions considérée négligeable. Cette dimension constitue une force de la démarche. Alors qu'on part avec une dimension de notre pratique, on ne sait pas du tout où elle peut nous conduire, c'est en suivant les liens qu'on le découvre et qu'on enrichit sa réflexion-sur-l'action. On ouvre des portes sur une action dans une nouvelle perspective que possiblement nous n'aurions pas explorées autrement.

5.4 Ancrée

En systématisant un fonctionnement adopté en partie par plusieurs formatrices dans leur vie privée, notamment en ce qui concerne certains aspects de la phase de saisie et de la phase de décantation, la démarche vient s'ancrer dans les savoirs existants. Les formatrices en viennent à systématiser consciemment des processus souvent intuitifs et spontanés qui se sont forgés avec le temps, sans qu'une décision consciente soit intervenue. Il s'agit de processus qui se sont installés graduellement chez les personnes et qu'elles ont expérimentés à de nombreuses reprises, validant ou invalidant elles-mêmes certains moyens adoptés pour le réaliser. C'est pourquoi on accorde une grande confiance en ces processus. Le fait d'expliciter et de partager entre elles des processus développés individuellement, de les analyser et d'en dégager les constances est une activité très stimulante et valorisante pour la formatrice. Elle réalise ainsi à quel point ses expériences de vie constituent un réservoir de savoirs qui lui sont utiles et accessibles moyennant un peu d'efforts.

Le transfert de ces savoirs d'action constitue une occasion d'initier des transferts d'habiletés et de savoirs dans un autre contexte, soit dans le cas qui nous intéresse, le contexte du travail. En utilisant ainsi un mode de fonctionnement déjà habituel pour la majorité, en le rendant plus explicite, on parvient à s'ancrer à des savoirs qui existent déjà. Ainsi, il devient plus facile pour les formatrices de concevoir le sens que nous accordons à l'idée de transférer des savoirs d'action dans d'autres contextes.

5.5 Évolutive

Cette démarche est évolutive en ce sens qu'elle peut accompagner une formatrice tout au long de son cheminement et de son évolution professionnelle. En effet, comme cette méthode n'est aucunement liée à la nature des objets d'analyse, pas plus qu'à leur degré de complexité, il est tout à fait envisageable qu'une formatrice puisse l'utiliser sur une longue période sans jamais parvenir à atteindre la limite de cette méthode. La limite sera davantage liée à la capacité d'intégration et d'analyse de la personne dans un temps donné. Cependant, ces capacités pouvant elles aussi se développer par la pratique, la démarche d'analyse permet de guider la personne dans son rythme d'évolution personnelle et professionnelle pour toute la durée qu'elle le voudra bien. Par exemple, si on s'arrête à la phase de la saisie, qui fait appel à l'ensemble des facultés sensorielles et aux mémoires à court, moyen et long terme, on peut facilement comprendre que l'habilité à «saisir» puisse se développer tout au long de la vie sans que jamais il soit possible de prétendre être parvenu à une maîtrise totale de ces facultés. Donc, graduellement, plus la formatrice s'exerce à la «saisie», plus elle devient susceptible de développer davantage de sensibilité et d'acuité dans l'action et à nouveau dans une nouvelle «saisie».

5.6 Accessible

La méthode est conçue pour s'adapter aux différences entre les formatrices présentes. Différences en termes de style privilégié d'apprentissage, de types d'intelligence, de niveaux de jugement réflexif, de formation et d'expérience. Chacune peut partir d'où elle est vraiment et se rendre plus loin, et ce, peu importe son point de départ. Il s'agit là d'une caractéristique importante de la méthode, car sa souplesse favorise son accessibilité. L'accessibilité se retrouve aussi au niveau du vocabulaire choisi pour déterminer les étapes de la démarche aussi bien qu'au niveau de la convivialité des outils proposés. À ce chapitre, nous tenons à souligner l'utilisation de la carte mentale avec une femme ayant une légère déficience intellectuelle avec un résultat inespéré par l'intervenante, ce qui confirme l'accessibilité de l'outil.

La méthode est relativement simple et rapide ce qui permet aux formatrices de l'intégrer à leurs activités quotidiennes. Lors de l'expérimentation, les formatrices sont parvenues en quelques rencontres à s'approprier certaines dimensions de la démarche qui, à ce moment, était en élaboration. Elles ont procédé à des analyses à partir de la réalisation de cartes mentales et elles ont même transféré ces nouveaux savoirs dans leur travail en leur donnant leur propre couleur.

5.7 Adaptable

La méthode permet à chaque formatrice et chaque organisme de déterminer et d'orienter l'analyse selon leurs besoins et leur réalité à un moment x de leur histoire. Elle ne présume pas de la nature de l'analyse pas plus que de l'objet ou de l'issue. Elle sert de guide à une démarche intellectuelle. Elle invite les formatrices à explorer un certain parcours dont le point d'arrivée est le transfert de savoirs dans de nouveaux contextes et la bonification de dimensions de leurs pratiques. Il s'agit d'un parcours guidé mais individualisé en ce sens que chacune pénètre dans son propre décor, dans son propre univers, dans sa réalité. Peu importe le secteur dans lequel œuvrent les formatrices, chacune peut adapter la démarche à ses besoins. L'adaptation peut aussi concerner les outils. Par exemple, un milieu peut choisir de commencer la démarche par un jeu projectif de son choix, par un collage ou par la réalisation d'une carte mentale. En fait, même les termes caractérisant les étapes peuvent être remplacés par des synonymes si ces derniers ont un plus fort potentiel évocateur pour les gens d'un milieu ou d'une culture particulière. Par exemple, l'utilisation du terme carte mentale est apparu vers la fin de la démarche avec les formatrices. Bien que l'usage de cette appellation soit apparue plus heureuse que celle du schéma heuristique pour plusieurs, il n'en demeure pas moins que certaines préfèrent ce dernier terme, qui même s'il ne fait pas partie de leur vocabulaire usuel a et je cite «une plus belle musique, une plus belle sonorité qui m'attire davantage que le terme carte mentale qui évoque des images peu stimulantes». Il est donc important si on désire favoriser l'analyse de pratique chez les intervenantes formatrices d'être attentive aux réactions concernant le vocabulaire et la terminologie utilisés et de proposer des changements au besoin.

L'adaptation se présente aussi dans la flexibilité de la méthode qui peut s'appliquer aussi bien à un petit groupe qu'individuellement, et ce, sans réelles modifications ou réels ajustements. Pour Houston et Clift (1990), cette caractéristique est très importante car, selon eux, la détermination de procédures standardisées ne peut que gêner voire nuire au développement de la réflexivité (p. 219).

Reflective inquiry is not a form, and the substance changes. Each individual has his or her own mode of inquiry. A teacher éducation program can provide the challenges needed to sharpen skills used in reflection as well as the opportunities to consider alternatives. But spécifie formulas or définitive algorithms for reflective inquiry hinder rather than help persons in using it.

Deuxième chapitre: Fondements théoriques

La méthode développée avec les formatrices participantes s'est construite sur des bases explicites concernant différentes facettes qui ont orienté la construction de la démarche à chacune des étapes de sa réalisation. Il a fallu se positionner régulièrement face à différents aspects et différents moments de la démarche de manière à ce que le résultat soit congruent et s'articule en un tout le plus cohérent possible. Une attention particulière a été apportée pour:

  • identifier une conception de la réflexivité qui s'arrime aux objectifs du projet;
  • identifier une conception de l'analyse de pratique qui va dans le sens d'une reconnaissance et d'une transférabilité des savoirs d'action de formateurs et de formatrices œuvrant en éducation non formelle;
  • cerner une conception des rapports aux savoirs qui s'inscrit dans une vision émancipatrice des formateurs et des formatrices.

Ces trois principaux éléments constituent en quelque sorte les fondements théoriques de cette méthode que nous présentons sommairement dans les pages qui suivent.

1. Fondements théoriques relatifs à la réflexivité

On retrouve dans la documentation scientifique plusieurs définitions de la réflexivité qui ont parfois des bases épistémologiques11 fort différentes. Néanmoins, la réflexivité possède des caractéristiques de base qui nous permettent de la distinguer de la réflexion. Une de ces caractéristiques est qu'elle implique d'accéder à la métacognition. Il y a donc une nécessité d'explicitation dans le sens où Vermersch (1996) l'entend. «La spécificité de l'entretien d'explicitation est de viser la verbalisation de l'action» (p. 17). Pourquoi la verbalisation de l'action? Parce que, selon lui, c'est une source d'information précieuse, qui pose des problèmes qui ont été sous-estimés et qui n'a pas reçu toute l'attention qu'elle mérite. La verbalisation de l'action oblige la formatrice à donner une forme intelligible à ses représentations mentales. Le fait de rendre ces représentations intelligibles n'a pas seulement pour objet de les partager et de les rendre accessibles à l'échange, la critique ou l'analyse. Cette activité permet aussi au praticien d'agir sur ces représentations une fois qu'elles sont accessibles à la conscience. Dans la mesure où elles demeurent floues, isolées les unes des autres, il est difficile d'agir sur des représentations que ce soit pour les modifier, les valider ou même les rejeter. La réflexivité permet au praticien d'augmenter le niveau de conscience de son agir professionnel. Pour Saville (In Rolfe, 1996), il existe effectivement une progression des niveaux de conscience dans la vie professionnelle partant de l'«incompétence inconsciente à l'incompétence consciente à la compétence consciente jusqu'à la compétence inconsciente» (p. 119).

Selon Desgagné (1994), la réflexion renvoie plutôt aux activités où l'acteur manifeste dans l'action son code de pratique sans s'arrêter à le formuler alors que la réflexivité renvoie aux activités où l'acteur se retrouve en situation de livrer ce code. Comme le précise Heynemand (In Schön 1994), le terme réflexif réfère plutôt au phénomène de l'abstraction et des opérations de la pensée décrit par Piaget « [...] ceci est de l'ordre de la pensée analogique. Il s'agit du savoir-caché dans l'agir professionnel» (p. 76).

Par conséquent, la reconstitution de la réflexion en cours d'action, même si elle peut permettre de procéder à une action plus réfléchie, ne constitue pas, selon plusieurs chercheurs, la principale visée de l'analyse de pratique professionnelle.

À partir de là, les travaux de Grimmet, Erickson, Mackinnon et Riecken (1990, p. 23) nous permettent d'aller plus loin. Ces auteurs ont distingué trois grandes conceptions de la réflexivité qui nous ont permis de situer celle qui correspondait le mieux à l'objet et au contexte de ce projet de recherche. Ces trois perspectives, résumées dans le tableau qui suit, nous présentent la réflexivité soit comme un outil de médiation de l'action, un outil de prise de conscience ou une expérience de reconstruction ou de réorganisation des savoirs. C'est cette dernière conception de la réflexivité que nous avons retenue, notamment parce qu'elle vise à appréhender et à transformer l'expérience.

Tableau 3 – Résumé des bases épistémologiques [...]

Résumé des bases épistémologiques de trois conceptions de la réflexivité en formation des enseignants

Conception de la réflexivitéOrigine/Source de connaissance pour la réflexivitéType de connaissances réflexivesUtilité de la réflexivité

1

Réflexivité comme médiation de l'action

Autorité externe (médiation à travers l'action)

Technique

Diriger

2

Réflexivité comme vision d'un enseignement réfléchi

Autorité externe (médiation à travers le contexte)

Conscientes et réfléchies

Informer

3

Réflexivité comme expérience de reconstruction

Contexte (médiation avec soi et avec les collègues)

Dialectique

Appréhender et transformer

(Adaptation tirée de Grimmett et al., 1990, p. 35)

Cette vision de la réflexivité se caractérise par une volonté de comprendre et de transformer sa pratique à partir des éléments qui émergent au cours de l'analyse de pratique. Les propos de Van Manen (1987, In Grimmett et ai, 1990) illustrent bien ce que peut signifier concevoir la réflexivité comme une expérience de reconstruction de son identité professionnelle.

Van Manen has articulated a conception of pedagogy that includes as one of its principles, that of «self-reflection of life». He describes three ways in which the idea of life's reflectivity has been used in hermeneutic pedagogy: self-reflection as an ontological phenomenon, self-reflection as a life philosophy, and self-reflection as a methodological concept. As an ontological phenomenon, self-reflection is concerned with ways of being in the world [...] In using the concepts of self-reflection as a life philosophy and self-reflection as a methodology, Van Manen seeks to gain insights into the action of teachers, not only as educators but also as adults who shared a lived realty with children. To be self-reflective in this sense is to be attentive to the relationship between theory and action (p. 29).

Le développement d'habiletés réflexives viendrait outiller la formatrice et lui fournir la conscience de son expertise, nécessaire à l'acquisition de son autonomie. Selon Altet (1994),

[...] c'est aussi pour avoir un accès à un plus large spectre et accroître la capacité d'adaptation de l'enseignante ou de la formatrice aux nouvelles réalités avec lesquelles elle est appelée à composer. Il s'agit de faire passer l'enseignant12 d'une pratique intuitive, empirique, à une pratique réfléchie de professionnel qui s'adapte à la demande, au contexte, au nouveau public, aux nouvelles situations. [...] Pour nous, la recherche ne vise pas à doter le praticien d'outils pour le soumettre à des modèles, à des prescriptions pédagogiques mais, au contraire, sert à lui fournir des outils lui permettant d'inventer les normes en fonction du contexte, de s'adapter. Nous nous appuyons sur la distinction de Ganguilhem entre normalité (ajustement à des normes extérieures) et normativité (création de normes dans des limites définies). Les savoirs professionnels permettent à l'enseignant d'inventer ses propres normes stratégiques, qui conviennent aux contextes, aux élèves, à la situation rencontrée (p. 32).

La mouvance des clientèles et des situations d'apprentissage confronte effectivement les formateurs à améliorer ou à changer certains aspects de leur pratique. Ces changements peuvent se réaliser, comme ils l'ont souvent été, et ce, parfois avec succès, en se basant sur l'expérience, le passé ou l'intuition. Ce qu'apportent de plus les pratiques réflexives, c'est l'intégration des normes, des valeurs ou des modèles comme éléments de réflexion pour réaliser un changement dans sa pratique. Ce qui est intéressant de noter aussi ce sont les notions de normativité qui, d'une certaine façon, valorisent la création d'un espace d'appropriation et de création dans l'enseignement et dans la formation.

Cette conception de la réflexivité nous amène à préciser ce qu'on entend par formateur ou praticien réflexif et en quoi le développement de la réflexivité a une incidence sur la pratique. Les travaux de Patenaude (1997) nous aident à entrevoir l'impact de la réflexivité sur la pratique d'un praticien. C'est en comparant le modèle bien connu de l'expert à celui de praticien réflexif, que nous pouvons saisir les différences fondamentales entre ces deux conceptions.

Tableau 4 – Le modèle de l'expert versus celui du praticien réflexif

Modèle de l'expertModèle du praticien réflexif

démarche déductive à partir d'un savoir théorique

démarche davantage abductive

suppose une universalité dans les résultats pratiques

considère chaque situation comme unique et incertaine

oublie les finalités de l'agir

intègre les finalités de l'agir

neutralité, objectivité souhaitée

intersubjectivité essentielle

vise l'efficacité

vise la congruence, la consistance et l'efficacité

(adaptation, tiré de Patenaude, 1998.)

En mettant ces deux modèles en perspective, on peut mieux comprendre l'origine de l'existence de l'écart entre les théories épousées et les théories pratiquées. En effet, la majorité d'entre nous, pour ne pas dire la totalité, a évolué et a été éduqué dans un système où dominait le modèle de l'expert. Même si le discours et la volonté de plusieurs formatrices, intervenantes ou praticiens de différents milieux est de privilégier un autre modèle que celui de l'expert, il n'en demeure pas moins que les gens ont peu de référents et de modèles pour apprendre à agir dans le sens souhaité.

Une des caractéristiques du modèle du praticien réflexif est qu'il fait appel à un autre type de raisonnement que ceux habituellement identifiés. Pourtant, comme le rapporte Bateson (1979), le raisonnement qui s'appuie sur un processus hypothético-abductif est loin d'être nouveau ou si complexe que son nom le laisse croire. «De toute évidence la possibilité de l'abduction s'étend jusqu'aux racines mêmes de la physique: l'analyse newtonienne du système solaire et le tableau périodique en sont des exemples historiques» (p. 149). Nous savons tous que c'est en regardant une pomme tomber d'un pommier alors qu'il était assis en dessous que Newton a pu trouver la loi de la gravité. Bien qu'il ait cherché à appréhender cette loi de la nature dans le cadre de son travail scientifique, c'est en procédant, involontairement à des analogies ou à des assemblages d'occurrences qu'il est parvenu à trouver ce qu'il cherchait. Dans le cas de Newton comme dans celui de plusieurs chercheurs13, même provenant des sciences physiques et de la nature, les raisonnements déductif et inductif n'ont pas pu fournir les réponses attendues. La définition de Le Meur (1998) nous permet de comprendre les racines particulières de ce type de raisonnement.

L'abduction correspond à un processus intellectuel qui utilise les capacités inventives, créatives du sujet sans obligatoirement faire appel à la déduction ou à l'induction. Ces compétences se caractérisent par des aptitudes d'intuition dans la découverte de solutions ou de propositions de conceptions nouvelles (p. 213).

Par conséquent, donner une place centrale, c'est-à-dire valoriser les raisonnements et les démarches abductives, constitue un défi majeur pour la formatrice qui veut s'engager dans le développement d'une pratique plus réflexive. La méthode proposée s'inscrit dans cette orientation tant par le choix des outils que par la nature des étapes de la démarche.

Partant, viser la congruence et la consistance de l'intervention en plus de la seule efficacité constituent un recadrage des objets d'évaluation ou d'analyse de la pratique. En intégrant ces dimensions à la visée de l'intervention, on modifie en profondeur le regard qu'un praticien sera appelé à porter sur sa pratique.

Intégrer la congruence comme visée de l'intervention suppose, dès le départ, que le praticien ou la formatrice ait développé un niveau de conscience aigu de son rapport à elle-même et aux autres. Autrement dit, faire en sorte que sa manière d'agir soit appropriée, adéquate dans une situation donnée exige que la personne ait recours à son intelligence interpersonnelle et intrapersonnelle pour analyser le plus finement possible cette dimension. Lorsqu'on rajoute l'aspect de la consistance aux objectifs de l'intervention, on reconnaît la complexité de chaque situation tout autant que celle de son analyse. Analyser la consistance de son intervention c'est être en mesure de reconnaître la solidité et les fondements de l'agir ainsi que sa cohérence. La cohérence de l'agir se traduit par la compatibilité entre les idées et les actions afin que cet ensemble soit harmonieux, lié et qu'on remarque une absence de contradiction. On pourrait rajouter à ces aspects que cet ensemble doit aussi être harmonieux avec les idées et les actions de l'organisme. Les objets d'analyse sont, comme on peut le constater, très nombreux.

Le modèle du praticien réflexif vise bien sûr l'efficacité de l'intervention. Cependant, comme nous l'avons vu, cette efficacité est abordée dans une perspective éthique qui souligne la responsabilité du praticien dans son agir. Comme le fait remarquer Patenaude (1998), dans la mesure où les sociétés misent sur les intervenants et sur les formateurs entre autres pour résoudre les problèmes sociaux, le modèle d'expert ne peut répondre à la commande. «Le praticien est donc partie prenante de sa culture, de la société dans laquelle il intervient; il est responsable».

Pour Houston et Clift (1990), pour qu'un individu soit réflexif, il doit être non seulement libre mais il doit aussi sentir qu'il a le pouvoir de penser. Les dimensions de liberté et de pouvoir sur sa vie seraient nécessaires dans le processus de la réflexivité (p. 219).

Cette donnée nous est apparue capitale en ce sens qu'elle doit traverser l'ensemble de la démarche d'analyse de pratique proposée aux formatrices. Elle concorde avec notre profonde conviction que toute forme d'intervention et de formation doit viser l'empowerment des personnes quelles qu'elles soient, et ce, dans n'importe quel contexte de formation ou d'intervention. Barkatoolah (1989) va dans ce sens en affirmant que:

Transformer le rapport au savoir signifie transformer le rapport au pouvoir, car tout nouveau rapport au savoir induit un nouveau rapport au pouvoir. En prenant pouvoir sur sa vie, l'individu va prendre pouvoir sur les événements qui dominent ou ont dominé sa vie (p. 54).

Pour ce faire, la formatrice est appelée à faire naître et construire la confiance, ce que les anglophones nomment le confidence-building, et à permettre aux gens de prendre du pouvoir sur leur vie aussi connu sous l'expression empowerment. Selon cette auteure, la conjugaison de ces deux éléments procure ce sentiment d'assurance et de puissance qui agissent comme catalyseurs de changement. Depuis les travaux de Freire (1968) sur ce sujet, on assiste à un foisonnement d'approches et d'outils concrets permettant à des formatrices de s'engager sur cette voie.

En d'autres termes, nous pouvons dire que la démarche d'analyse proposée favorise l'empowerment des formatrices aussi bien que celle des personnes avec lesquelles elles travailleront. Pour Zimmerman (1990), un chercheur reconnu pour ses travaux en ce domaine, les approches d'empowerment orientées vers l'individu se caractérisent par l'intégration de la relation de la personne avec son environnement.

It includes, but not limited to, collective action, skill development, and cultural awerness; and incorporated intrapsychic variables such as motivation to control, locus of control, and self-efficacy (p. 174).

2. Fondements théoriques relatifs à l'analyse de pratique

Premièrement, il est nécessaire de savoir que l'analyse de pratique est un secteur d'activités et de recherches en pleine ébullition. Elle suscite de l'intérêt et des expérimentations notamment dans le monde des affaires et de l'administration (Le Boterf, 1997; Argyris et Schön, 1974; Minet, 1995), de la psychologie (St-Arnaud, 1992, 1993a, 1993b, 1995, 1997; Lescarbeau, Payette et St-Amaud, 1996), du service social (Nélisse et Zuniga, 1997; Racine, 1997), du nursing et de la santé (Rolfe, 1996; Lehoux, Rodrigue et Lévy, 1995) et de l'éducation; formation recherche et enseignement (Altet, 1992, 1994; Blanchard-Laville et Fablet, 1996; Hébrard, 1994).

D'aucuns préfèrent cependant parler de pratique réflexive. En fait, l'analyse de pratique implique, comme nous le verrons plus loin, le développement d'une pratique professionnelle qui devient de plus en plus réflexive ce qui incite le praticien à devenir réflexif. On peut remarquer que les Français semblent utiliser davantage le concept d'analyse de pratique alors que les anglophones, Américains, Anglais et Australiens, font plutôt référence au concept de réflexivité. Pour notre part, nous avons privilégié l'expression «analyse de pratique» car elle désigne un processus, une action qui nécessite le développement d'habiletés réflexives pour y parvenir.

Selon Copeland, Birmingham, De La Cruz et Lewin (1993), la réflexivité est devenue une des questions les plus populaires au plan de la formation des enseignants. Il cite, à cet effet, plusieurs recherches sur des aspects particuliers de ce phénomène.

The littérature is replete with accounts of the reported success of reflective practitioners in changing and improving their own teaching (e.g., Bolon, 1988; Lalik, Niles & Murphy, 1989; Munby & Russell, 1989), of teacher education program instilling refective «practices» in their students (e.g., Applegate, Shaklee, & Hutchinson, 1989; Bean & Zulich, 1989; Elbaz, 1988; Korthagen, 1988; LaBoskey, 1989; Ross, 1989b; Tabachnick & Zeichner, 1991; Zeichner, 1987) and of calls for further reform in pursuit of a reflective stance in teaching (e.g., Noffke & Brennan, 1988; Zeichner, 1983) (p. 347).

Cependant, dans ce contexte, le concept d'analyse de pratiques est en quelque sorte en mal de frontières. Chacun y va de ses qualificatifs et de sa définition. Nous avons retenu plusieurs définitions et éléments de certaines définitions pour cerner et tenir compte de la complexité de ce concept. Selon Vermersh et Maurel (1997) l'«analyse de pratique professionnelle» est une,

situation sociale dans laquelle un individu ou un groupe composé de professionnels à parité de statut (en formation initiale, formation continue, régulation) aidé par un animateur qualifié non impliqué dans le cadre institutionnel des participants (principe de neutralité institutionnelle) opère un retour réflexif et réfléchissant sur des situations professionnelles effectivement vécues (p. 221).

Cette définition nous offre des caractéristiques qui vont de pair avec les intérêts et les besoins manifestés par les participantes à savoir qu'elle peut se réaliser seule et/ou en groupe et que, si tel est le cas, il importe que cette démarche se fasse dans un rapport d'égalité de statut entre les formatrices. De plus, la présence d'une animatrice extérieure au milieu qui les accompagne dans la réalisation de cette démarche a été identifiée par les formatrices participantes comme un facteur important pour s'engager dans la démarche. Il est important de préciser qu'on parle ici d'aide et d'accompagnement et non de formation au sens de transmission de savoirs. Le dernier aspect que nous retenons est le fait d'aborder des situations réellement vécues par chacune des formatrices, donc d'analyser différents aspects de leur propre pratique.

Cependant, il est essentiel de rajouter que l'analyse de pratique nécessite le développement d'habiletés réflexives sur sa pratique ce qui, selon certains auteurs, serait incontournable dans le contexte social actuel.

L'analyse des pratiques professionnelles fait partie intégrante du travail de demain, parce que la réflexion sur sa pratique est une position «métacognitive»14 qui est devenue un facteur essentiel de changement» (Beillerot, 1996, p. 13).

Mais à quoi fait-on précisément allusion en parlant de «sa pratique»? Pour Beillerot (1996), la pratique est à la fois la règle d'action et son exercice ou sa mise en œuvre. «C'est la double dimension de la notion de pratique qui la rend précieuse: d'un côté, les gestes, les conduites, les langages; de l'autre, à travers les règles, ce sont les objectifs, les stratégies, les idéologies qui sont invoqués» (p. 12). Comme on peut le constater, «analyser sa pratique» est une tâche d'une rare complexité à cause de la multiplicité des paramètres qui s'interinfluencent et sur lesquels il serait possible de s'arrêter et de porter attention. On pourrait croire qu'il serait alors plus juste et réaliste de parler d'analyse d'éléments de sa pratique. En abordant la question de cette manière, le risque serait grand de considérer l'activité d'un formateur comme le collage d'un ensemble d'aspects sans liens entre eux. Il est donc important de reconnaître que les deux composantes de ce concept sont interreliées dans une dynamique qui est particulière à chacun. Autrement dit, tout en faisant l'effort d'analyser dans le sens où l'entend Beillerot dans l'extrait qui suit, on ne perd pas de vue que l'objet qu'on analyse, soit sa propre pratique, est réfractaire à une conception linéaire de la réalité, c'est-à-dire prévisible, mesurable, etc. En ce sens, l'auteure nous rappelle que dans la réalité humaine le tout n'est pas seulement la somme des parties. Il est donc essentiel d'accepter que des choses échappent donc à l'analyse quelques soient les dispositifs utilisés.

Analyser impose une opération de division, de fragmentation, de parcellisation. Or, bien évidemment, les procédures de découpe, les outils de dissection sont alors essentiels: sans eux, il n'y aurait pas d'analyse. L'analyse implique la reconnaissance qu'un ensemble est constitué de parties qui, identifiées permettront d'atteindre les noyaux, les insécables de cet ensemble (p.12).

Le Boterf (1997) nous permet d'aller plus loin dans cette réflexion en affirmant qu'il est même important de préserver une certaine part d'opacité à l'agir professionnel comme il l'explique dans l'extrait suivant.

C'est dans le savoir combiné que réside la richesse du professionnel et son autonomie. Mais c'est aussi ce qui en fait le «point aveugle» ou «la boîte noire». Le processus combinatoire échappe à la visibilité et ne correspond pas à une programmation séquentielle. On ne peut agir que sur les conditions qui le favorisent et il serait illusoire de vouloir le contrôler. Et c'est bien ainsi! Le savoir combiné est inaliénable et l'ombre qui le protège est propice à sa créativité.
Les compétences réelles des professionnels ne peuvent faire l'objet que d'anticipations probabilistes. Il n'y a pas qu'une seule façon d'être compétent par rapport à un problème ou une situation. Il n'y a pas qu'un comportement observable qui soit le bon. Plusieurs conduites sont possibles [...] C'est de la réussite de la combinaison que dépend l'émergence d'une compétence à un autre niveau (p. 12).

S'engager dans une démarche d'analyse de pratique c'est, par conséquent, accepter de naviguer entre deux polarités qui se manifesteront constamment en créant une tension soutenue avec laquelle l'animatrice aussi bien que les formatrices devront apprendre à composer: analyser avec rigueur et accepter une dimension inexplicable de la réalité humaine.

L'ambition scientifique devient prétention lorsqu'elle croit aboutir à la transparence totale des processus cognitifs. En revanche, nous pensons qu'il est possible et opérationnel de caractériser le «mode de manifestation» d'un savoir (Le Boterf, 1997, p. 130).

Néanmoins, comme le précise Le Boterf, il faut accepter que le savoir expérientiel est difficilement verbalisable.

Il existe une certaine «impénétrabilité cognitive» des gestes du métier. Ce qui est verbalisable ne constitue qu'une partie du savoir-faire expérientiel. L'implicite et le sous-entendu l'emportent sur ce qui peut être dit. Dans ce «savoir-insu», la non-visibilité, l'indicible est bien souvent «l'art» du métier. Les «savoirs agis» ne sont pas complètement traduisibles en «savoirs produits». Ils s'avèrent réfractaires à toute formalisation (p. 116).

Cette donnée est capitale. Elle influence l'ensemble du processus d'analyse de pratique en reconnaissant, dès le départ, l'existence d'une dimension dans l'expérience qui ne peut être découpée, traduite et répétée dans un but de reproduction. Cette reconnaissance peut justement permettre d'aller plus loin dans le développement de la capacité de traduire l'expérience. On reconnaît aussi qu'il est impossible de tout expliciter et que c'est bien ainsi. Selon Berman (1990, In Heshusius, 1994), la difficulté réside dans le fait qu'on tente de réaliser une analyse verbale d'une expérience non verbale (p. 20). Cependant, pour Le Boterf, malgré cette difficulté à formaliser, il est important de poursuivre des efforts en ce sens afin de progresser dans la compréhension du savoir expérientiel.

Autrement dit, même pour un expert au niveau réflexif, il existera toujours une zone floue dans l'agir professionnel liée à la difficulté, voire la quasi-impossibilité, de décrire parfaitement et totalement cette expérience en mots. De plus, il est essentiel de considérer le fait que de la même façon que la pratique professionnelle d'une personne est appelée à se modifier au cours d'une vie, sa capacité d'analyse est elle aussi appelée à bouger et à évoluer suivant un rythme qui lui est propre, difficilement prévisible et pas nécessairement soumis à sa volonté.

Nous nous retrouvons donc dans une situation dynamique qui varie d'une personne à l'autre. Cependant, comme Moles (1990) l'a bien spécifié, l'imprécis, le vague fait partie de l'existence humaine. Néanmoins, «Le vague dans les faits n'implique pas nécessairement le vague dans la pensée», car certaines opérations de l'esprit vont permettre «de conduire en ordre ses pensées qui s'adapteront particulièrement à ce que nous appelons les sciences du vague» (p. 162).

Analyser sa pratique nous confronte donc à composer constamment avec ces deux aspects apparemment opposés que sont l'explicitation de l'agir et son «impénétrabilité cognitive» pour reprendre l'expression de Le Boterf. Le défi est justement de surmonter cette tension par la prise en compte des rythmes individuels aussi bien que des possibilités d'apprentissage de quelque ordre que ce soit, tout le long de la vie. Comme l'ont mentionné Griffiths et Tann (1992), «[...] une analyse de pratique superficielle est préférable à aucune démarche réflexive» (p. 79).

Après avoir cerné davantage de quoi il est question lorsqu'on parle d'analyse de pratique, il nous est apparu important avant de développer une méthode de nous demander en quoi cette méthode serait différente de ce que font actuellement les praticiens et les formatrices. Les pistes de réponses que nous avons trouvées ont été très éclairantes pour la poursuite du projet.

De fait, les formateurs et les formatrices réalisent fréquemment, et ce, depuis longtemps, des bilans ainsi que des critiques de leurs interventions. Le rythme, la nature et les modalités de réalisation varient toutefois d'un milieu à l'autre tout autant que d'un individu à l'autre. La critique est le plus souvent utilisée pour modifier ou ajuster sa propre pratique et pour se sentir plus à l'aise dans ses interventions. Toutefois, la critique présente des limites importantes comme l'ont mis en évidence les travaux de Lescarbeau, Payette et St-Amaud (1996). En effet, alors que la critique objective permet à un praticien débutant «[...] de progresser rapidement, passant par exemple d'une efficacité qu'on pourrait évaluer à 10% à une efficacité de 20%», il en serait tout autrement pour un praticien expérimenté. S'appuyant sur les travaux d'Argyris et Schön (Argyris et Schön 1974; Argyris, 1990, 1993; Argyris et al., 1985; Schön, 1983, 1985, 1987, 1991, 1994), les auteurs nous permettent de «[...] comprendre pourquoi à partir d'un certain niveau d'expérience, la critique objective ne donne plus rien». Le praticien atteindrait un plafond estimé à environ 60% dans l'échelle d'efficacité de Lescarbeau, Payette et St-Amaud (1996, p. 62) comme l'explique l'extrait suivant. Ce qui est maintenant désigné comme la loi d'Argyris et Schön nous dit que,

Les résolutions que l'on prend à la suite d'une critique objective sont basées sur ce qu'on pense avoir fait, la théorie qu'on professe. Mais comme on ignore sa propre théorie pratiquée, les causes évoquées pour expliquer son manque d'efficacité ne sont pas les bonnes. En conséquence, les résolutions basées sur la critique objective s'avèrent irréalistes: elles décrivent ce que l'acteur veut faire pour demeurer cohérent avec son modèle ou avec sa théorie professée; mais dans l'action, ce même acteur est cohérent avec une autre théorie qu'il professe à son insu. Cette théorie ne peut être découverte sans que l'on s'interroge sur ses propres besoins et sur ses propres attitudes (p. 63).

La critique objective demeure donc un moyen efficace mais ce, principalement lorsque les praticiens sont débutants ou peu expérimentés. Après un certain temps, le praticien devient en quelque sorte perméable à certaines critiques qui viendraient ébranler le système de croyances, de valeurs et d'attitudes qu'il a mis en place au fil des ans. Pour Le Meur, (1998) l'expérience peut être une limite potentielle au développement de la pratique et donc indirectement à la capacité de l'individu de réaliser une critique objective lui permettant de dépasser les écueils habituellement rencontrés (p. 76).

Ainsi, par exemple, nous entendons «nous avons l'expérience mais elle nous joue des tours, et nous avons des difficultés à nous débarrasser des routines». En fait, ces routines sont néfastes aux changements. Elles sont défavorables aux prises de décisions novatrices nécessaires à la poursuite et à la réussite de nouvelles activités. En effet, l'expérience a souvent tendance à «figer les savoirs que l'on a durement acquis», elle bloque parfois la volonté de changement.

Perrenoud (1996, p. 14) nous permet de comprendre en quoi ces résistances peuvent en fait être tout à fait légitime pour l'individu. Envisager les résistances liées à l'expérience dans cette perspective nous ouvre des portes pour réaliser une méthode d'analyse de pratique qui respecte les formatrices dans cette démarche où elles s'exposent autant au plan personnel que professionnel.

Accepter de jouer le jeu de l'analyse est un combat contre soi-même, non pas contre une résistance «irrationnelle» à la lucidité et au changement, mais au contraire contre une quête légitime d'identité, d'estime de soi, de tranquillité, d'insertion dans le milieu professionnel.

Tout en tenant compte des résistances que pourraient manifester des formatrices, il n'en demeure pas moins que les changements observés dans le monde du travail et les nouveaux types de besoins qui en découlent appellent une modification dans notre rapport au travail.

Aujourd'hui, le nombre de postes requièrent davantage d'intelligence, de conception, de savoirs abstraits qu'auparavant. L'accroissement de la réflexion, de la réflexivité, à plusieurs et en groupe constitué, la nécessité de penser ce que l'on fait, y compris pour rentabiliser les investissements, passent par une liberté et un engagement accrus et non par une robotisation accélérée [...] Ainsi, à travers l'analyse de pratiques, s'engagent des questions essentielles: aussi bien l'évolution des rapports entre théories et pratiques sociales, que la critique permanente d'une maîtrise de la réalité par des règles toutes faites, ou encore le sens de la formation continue dans son rapport au travail (Beillerot, 1996, p. 13).

Les savoirs d'action sont donc comme des réservoirs disponibles aux formatrices dans la mesure où ces dernières peuvent y avoir accès et souhaitent les découvrir.

3. Fondements théoriques relatifs à la construction des savoirs

La recherche de Belinki et al. (1986) intitulée Women's way of knowing: The development of Self, Voice and Mind, nous fournit des pistes pour comprendre davantage les différents processus mentaux liés aux façons de savoir (ways of knowing). Comme l'objectif central de ce projet est de concevoir un outil méthodologique destiné à permettre aux formatrices de reconnaître et de transférer des savoirs d'action, il nous apparaît essentiel de considérer la perspective évolutive de construction des savoirs présentées par ces auteures.

La typologie qu'elles proposent concernant les différentes perspectives à partir desquelles les femmes perçoivent la réalité et construisent leurs conclusions concernant la vérité, le savoir et l'autorité, découle d'une recherche qualitative qu'elles ont réalisée auprès de femmes ayant des expériences diverses. Il ne s'agit pas là d'un modèle théorique mais bien d'une analyse fine de la réalité décrite par les femmes participantes. Autrement dit, chacune des catégories présentées correspond à l'expérience de femmes en chair et en os. C'est pourquoi ces données nous sont apparues d'autant plus pertinentes et intéressantes pour la conduite de notre projet considérant que l'ensemble des participantes étaient de sexe féminin.

Sans faire un résumé de cet ouvrage, nous allons présenter les principales catégories épistémologiques qui se sont dégagées de manière à ce qu'elles puissent alimenter la réflexion et l'action des personnes qui animeront des sessions d'analyse de pratique aussi bien que les formatrices engagées dans la démarche.

Les cinq grandes façons de connaître et de savoir des femmes qui se sont dégagées (Woman's way of knowing):

  1. Le silence, c'est une position dans laquelle les femmes ne s'expriment pas et sont sujettes aux volontés d'une autorité externe.
  2. Le savoir reçu, c'est une position à partir de laquelle les femmes se conçoivent capables de recevoir et de reproduire des connaissances provenant d'autorités externes mais ne sont pas capables de créer leur propre savoir.
  3. Le savoir subjectif, c'est une perspective à partir de laquelle la vérité et la connaissance sont conçues comme des savoirs personnels et privés, ils sont subjectifs ou intuitifs.
  4. Le savoir procédural est une position dans laquelle les femmes s'investissent à apprendre et appliquer des procédures objectives pour obtenir et pour communiquer un savoir.
  5. Le savoir construit est une position à partir de laquelle les femmes contextualisent les savoirs, elles expérimentent la création de savoirs et elles accordent de la valeur aux stratégies objectives et subjectives d'apprentissage.

L'aspect qui nous semble le plus important à considérer dans le cadre de ce projet est de ne pas présumer que l'ensemble des formatrices qui s'engageront dans une démarche d'analyse de pratique sera en mesure de créer leurs propres savoirs et de les valider parce que nous leur proposons une méthode pour le faire si congruente ou adaptée soit-elle. En fait, la démarche d'analyse de pratique proposée viendra confronter les formatrices, quelque soit l'objet d'analyse, à leur manière de connaître et de savoir. Un exemple nous permettra de mieux saisir cet aspect.

Si on se retrouve à travailler avec une formatrice dont les croyances valeurs et attitudes traduisent une position de savoir-reçu, il est tout à fait probable qu'elle se sente mal à l'aise ou qu'elle résiste à la méthode d'analyse qualitative développée, et ce, pour les différentes raisons suivantes extraites des travaux de Bélinki et al.

Pour ces femmes, il n'existerait qu'une seule bonne réponse à chaque question et par conséquent, toutes les autres réponses allant dans un autre sens sont automatiquement fausses (p. 37). On peut donc remarquer chez ces personnes une intolérance à l'ambiguïté (p. 42) qui se manifeste par une vision de la réalité en noir et blanc, sans nuances de gris (p. 41). Cette attitude les amène souvent à fuir le qualitatif et à être rassurée par le quantitatif (p. 41) qu'elles interprètent comme un jugement d'autorité auquel elles font confiance (p. 49). Parce que ces femmes croient que le savoir et la connaissance proviennent de l'extérieur d'elles, elles font appel aux autres mêmes lorsqu'il est question de savoir personnel ou self-knowledge (p. 48). Lorsqu'elles se retrouvent face à un problème d'ordre moral, elles vont souvent utiliser des expressions caractéristiques comme «je devrais» et «il faut que» (p. 46), ne considérant pas que la compréhension est un processus qui prend du temps et exige le recours à des raisonnements qui se structurent graduellement (p. 42).

Donc, si on se réfère aux caractéristiques de la méthode présentées précédemment, on peut s'attendre à ce qu'une formatrice ayant ce mode d'appréhension des savoirs, le savoir-reçu, ait de la difficulté à s'engager dans une telle démarche n'y trouvant pas les repères qui la sécurisent. Au contraire, la méthode interpelle sa capacité à porter l'ambiguïté, à utiliser ses connaissances subjectives et objectives et à valider elle-même les savoirs d'action qui vont émerger du processus. La formatrice est considérée par la méthode comme l'experte de sa situation, en reconnaissant qu'elle est la mieux placée pour construire ses savoirs de manière à les réinvestir dans une situation ou dans un contexte qui fera du sens pour elle.

Cette grille d'analyse des façons de connaître et de savoir nous permet de situer la démarche dans une perspective de perfectionnement continu visant à ce que les formatrices puissent progressivement expérimenter de nouvelles façons de savoir et de connaître leur permettant ultimement de construire leurs savoirs, de reconnaître leur expertise et leurs limites tout en accordant de la crédibilité à leur jugement et leurs perceptions sans occulter les aspects objectifs ou extérieurs à elles.

En acceptant et en reconnaissant la présence de différences entre les formatrices au chapitre de leur rapport aux savoirs, et en intégrant l'objectif d'empowerment de la méthode, l'animatrice sera mieux outillée pour comprendre et intervenir auprès des participantes en les accompagnant dans leur cheminement respectif.

Troisième chapitre – Les impacts et la transférabilité

Aborder la question des impacts du projet, c'est rendre compte de l'influence de cette démarche de recherche collaborative sur la pratique des formatrices à différents niveaux. En effet, il est apparu nécessaire, au terme du processus de recherche, de retourner sur les deux sites explorer la dimension des impacts avec les participantes, même si cette démarche n'avait pas été initialement prévue. Elles ont été invitées à réaliser un texte ou une carte mentale portant sur l'impact de leur participation à la recherche sur leur pratique, entre autres, avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Ces documents, remis lors de la rencontre d'évaluation de l'impact, ont permis d'avoir un échange très riche.

Les impacts ont été regroupés en trois grandes catégories: la pratique des formatrices avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, les différents niveaux de leur pratique, et finalement ceux qui concernent la reconnaissance et la transférabilité des savoirs d'action.

Parler des impacts ouvre la voie à la question de la transférabilité: transférabilité de la méthode à d'autres formatrices dans différents milieux de pratique œuvrant avec des clientèles variées, transférabilité des outils, particulièrement la carte mentale avec des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, etc. À ce stade des travaux d'élaboration de la méthode, il apparaît très envisageable que d'autres formatrices puissent se l'approprier et parviennent à analyser leur pratique dans la perspective qui a été développée. Toutefois, plusieurs facteurs ont été identifiés comme pouvant influencer la réussite de la démarche dans d'autres milieux. Vous retrouverez en deuxième partie du chapitre, des facteurs qui relèvent des milieux ainsi que des facteurs qui relèvent de la relation entre les participantes et la personne ressource qui facilite l'appropriation de la méthode.

1. Impacts sur la pratique des participantes

1.1 Impact au plan des pratiques [...]

Impact au plan des pratiques avec des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit

La participation et l'engament des formatrices ont eu des impacts concrets au niveau de leur pratique avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Cet aspect est d'autant plus intéressant qu'il n'était pas un objectif explicite dans la recherche. L'impact s'est manifesté de diverses façons ; par la prise en compte de cette réalité dans le cadre des formations de groupe et des rencontres individuelles, par la prise en compte de cette réalité dans différentes activités de l'organisme, par une préoccupation vis-à-vis de l'accessibilité du langage par l'organisme ainsi que par l'intégration des cartes mentales aux outils déjà existants.

Prise en compte de cette réalité dans la formation de groupe et les rencontres individuelles: La démarche leur a permis d'évaluer l'accessibilité de leurs outils d'intervention et de sensibilisation auprès des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Certaines ont réalisé qu'elles possédaient déjà plusieurs outils d'intervention mieux adaptés pour travailler avec des personnes ayant des difficultés avec l'écrit mais qu'elles ne les utilisaient pas, même si elles les trouvaient efficaces, intéressants et stimulants. Cette prise de conscience a donc suscité une réactualisation du matériel et des outils disponibles tout en les invitant à porter une attention particulière aux personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Concrètement, cela signifie que les formatrices d'un milieu ont modifié leur façon d'utiliser du matériel écrit entre autres au début des sessions de formation avec des femmes aînées. Elles ont noté depuis une plus grande aisance des participantes à s'exprimer.

Concernant les rencontres individuelles, plusieurs formatrices-intervenantes ont modifié leur pratique en explorant systématiquement cette dimension avec les femmes qu'elles rencontrent. Selon elles, la prise en compte de cette caractéristique s'avère très significative dans le processus d'intervention aussi bien que dans la relation qui s'établit avec la personne.

Prise en compte de cette réalité dans les activités collectives: Désormais conscientes et attentives à cette réalité, des formatrices ont modifié leur stratégie de présentation lors de leur assemblée générale annuelle de manière à rejoindre davantage des personnes pouvant être peu ou pas à l'aise avec l'écrit formel. Les formatrices ont donc réalisé une carte mentale géante (elle couvrait un mur) pour présenter leur rapport annuel d'activités. L'intégration d'éléments visuels et de mots-clés a fait en sorte que plus de gens qu'à l'habitude ont réagi ou posé des questions. L'aspect dynamique de la présentation a aussi contribué à intéresser les membres en favorisant un partage d'informations accessibles dans sa globalité autant que dans des dimensions plus spécifiques.

Préoccupation de l'accessibilité du langage et des termes utilisés. En analysant leur stratégie d'information et de publicité, un des milieux a identifié qu'il n'utilisait pas un type de langage approprié pour rejoindre les personnes peu ou pas à l'aise alors qu'elles sont susceptibles de constituer une partie importante de leur clientèle. Une attention spéciale est dorénavant accordée à la réalisation de tout nouveau matériel d'information et de publicité.

Intégration de la carte mentale aux outils de formation. Considérant que les outils habituellement proposés dans les formations de groupe faisaient largement appel à une culture de l'écrit, les formatrices ont décidé d'explorer le potentiel de la carte mentale comme support à l'expression des femmes. La création de cartes mentales collectives aurait favorisé l'expression des femmes participantes sans qu'elles n'aient à exposer devant le groupe le fait qu'elles sont inconfortables avec l'écrit.

1.2 Impact à différents niveaux de leur pratique

En plus des impacts reliés directement à leur pratique avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, on peut remarquer des retombées à d'autres niveaux. Des changements se sont effectivement manifestés dans leur façon d'analyser leur pratique, dans l'adoption de la carte mentale comme outil de travail, dans l'élargissement des clientèles rejointes, les innovations et la créativité dans leur pratique ainsi que dans leur intérêts à poursuivre des apprentissages de manière autodidacte.

Modification dans leur pratique d'analyse. Suite à leur participation à cette recherche, les formatrices prendraient davantage le temps d'auto-ventiler avant de partager leurs impressions, émotions ou difficultés avec une autre formatrice. Elles développent ainsi graduellement une plus grande confiance en leur capacité à décanter et de trouver elles-mêmes des moyens de trouver des pistes de réponses satisfaisantes.

Utilisation de la carte mentale comme outil de travail: Spontanément et graduellement, les formatrices ont utilisé les cartes mentales pour analyser leur pratique. Il peut s'agir de dénouer une impasse que ce soit en intervention ou dans l'élaboration d'une activité de formation ou de sensibilisation ou de clarifier des malaises ou des impressions.

Élargissement des clientèles rejointes, En plus des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, les modifications à leur pratique auraient permis de rejoindre aussi d'autres catégories de personnes, notamment les personnes ayant un handicap intellectuel léger. Ces personnes sont, elles aussi, peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Le recours à la réalisation de cartes mentales comme outil d'intervention s'est avéré très approprié. En effet, malgré ses limitations, la personne a réalisé une carte mentale démontrant une grande compréhension des différents facteurs ayant une influence sur sa situation. Cet outil a favorisé la communication entre la cliente et l'intervenante bien plus que les mots ou les écrits n'avaient pu le faire jusqu'à ce jour.

Innovations et créativité dans l'ensemble de leur pratique. À cet égard, il importe de souligner l'enthousiasme des intervenantes à innover et à s'approprier la démarche dans les différentes sphères tant de leur vie professionnelle que personnelle. Pour illustrer cet aspect nous allons nous référer à une utilisation particulièrement originale de la carte mentale. Dans le but de réaliser une évaluation riche de contenus suite à des sessions de formation auprès d'intervenants de leur région, des formatrices ont proposé aux participants et participantes, en plus des stratégies habituelles orales et écrites, de réaliser une carte mentale collective. L'analyse des différents outils d'évaluation utilisés dans les trois groupes rencontrés soit; des commentaires oraux, des questionnaires ainsi que les cartes mentales leur a permis de remarquer des différences qualitatives appréciables. La carte mentale a permis l'expression de contenus relevant davantage des émotions et de l'affectivité. Ces nouvelles données ont enrichi leur analyse de l'appréciation des formations données.

Poursuite des apprentissages de manière autodidacte. En effet, à la fin des rencontres prévues à la démarche, les participantes ont manifesté le désir d'obtenir de l'information concernant les styles d'apprentissage et leurs impacts dans l'action ainsi que des données relatives à l'accessibilité de leurs services aux personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. De plus, après leur participation officielle au projet de recherche, les deux milieux se sont procurés les ouvrages de référence concernant les cartes mentales ou schémas heuristiques de manière à poursuivre cette voie de façon autonome.

1.3 Impact au plan du processus [...]

Impact au plan du processus de la reconnaissance et de la transférabilité des savoirs d'action

En modifiant des éléments de leur pratique avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit aussi bien que dans d'autres dimensions générales de leur pratique, les formatrices ont reconnus et transférés certains savoirs d'action dans de nouveaux contextes. Toutefois, il nous apparaît nécessaire d'insister sur certains aspects qui viennent illustrer des aspects propres au processus de reconnaissance et de transférabilité.

Réflexion sur le rapport que les formatrices entretiennent avec l'écrit. Aborder la question de leur pratique avec les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit comme thème de leur première analyse de pratique a suscité beaucoup de réactions, voire d'inconforts. Cette démarche leur a cependant permis d'analyser certains aspects de leur pratique vis-à-vis lesquels elles s'étaient rarement ou jamais arrêtées, notamment leur propre rapport avec l'écrit. Plusieurs situations les ont confrontées à cet aspect durant la démarche de recherche. Cependant c'est particulièrement lors de la rédaction, par chacune, d'un texte témoignant de leur démarche dans le projet de recherche, destiné à être diffusé dans leurs réseaux que les formatrices ont analysé, de manière plus explicite, leur propre rapport à l'écrit.

Découverte et légitimation de leur mode d'appropriation de la réalité. La démarche a eu, entre autres, pour impact de légitimer les formatrices ayant des processus mentaux non linéaires15 tout en leur permettant de reconnaître la pertinence contextuelle de processus linéaires ou rationnels. Pour reprendre une idée de la Commission Delors16, la démarche a contribué à ce que les formatrices surmontent les tensions entre des modes de fonctionnement plus créatifs ou intuitifs et des modes plus cartésiens ou rationnels. La démarche leur a permis de mettre ces deux réalités en perspective et d'établir des liens entre elles plutôt que de les placer en opposition et de devoir choisir un mode de fonctionnement ou l'autre. Une participantes qui ressent depuis longtemps cette tension l'a qualifiée de combat intérieur, avec lequel elle souhaite faire la paix.

À la suite de la démarche, cette participante a été capable d'identifier son besoin de développer un équilibre entre ces deux pôles. En effet, la démarche a mis en évidence le fait que plusieurs se sentaient obligées d'adopter des processus linéaires pour faire preuve de rigueur et être crédibles à leurs yeux comme aux yeux des autres même si elles ne sont pas à l'aise, confortables ou habiles dans ce mode de fonctionnement. Les réflexions qui suivent viennent illustrer ce qu'elles vivent habituellement lorsqu'elles sont confrontées à ce type de tensions.

Pour une participante, lorsqu'on adopte un mode de fonctionnement linéaire et qu'on a une idée, il est souhaitable qu'elle puisse s'insérer dans les cases prévues au moment convenu sans quoi, l'idée est, en quelque sorte, jetée aux poubelles et disparaît sans laisser de traces. Avec les processus non linéaires, elle apprécie le fait que lorsqu'une idée apparaît, on peut créer un espace pour ne pas la perdre, afin qu'elle laisse une trace et qu'un lien explicite puisse prendre forme à un moment ou à un autre. On procède donc à une activité de conservation temporaire, faisant ainsi confiance au temps requis pour que se construise un sens. Pour une autre, les processus rationnels viennent d'une certaine façon figer sa réalité ou son expérience dans le temps et dans l'espace lui soutirant par le fait même son caractère vivant et dynamique. Cette prise de conscience a eu un fort impact sur plusieurs qui se sont senties validées et libérées de l'obligation d'adopter un modèle de fonctionnement qui les contraignaient depuis longtemps

Transfert de savoirs d'action en intervention. L'expérience personnelle d'une formatrice vient illustrer clairement les étapes de son processus de reconnaissance et de transfert rapide des savoirs d'action à un contexte d'intervention.

À la suite d'une entrevue, une participante a senti le besoin de réaliser une carte mentale de sa compréhension et de son évaluation de la situation présentée par une personne. Bien qu'elle l'ait rencontrée en entrevue à plusieurs reprises, elle avait l'impression de ne pas être en mesure de se faire un portrait clair de la situation. La réalisation de cette carte lui a permis de clarifier ses idées et ses impressions tout en orientant la rencontre suivante sur une nouvelle piste. Elle a décidé de présenter le travail qu'elle avait réalisé à la personne concernée en lui traduisant les limites de sa compréhension à partir des données recueillies. Visuellement, la carte mettait en évidence l'absence de données concernant tout un secteur de la vie de la personne. Cette dernière a bien accueilli cette représentation graphique et a manifesté de l'intérêt à analyser sa situation avec cet outil. La formatrice lui a donc proposé de laisser décanter et de continuer la carte mentale jusqu'à ce que de nouvelles connexions ou de nouveaux liens émergent et lui apportent de nouvelles pistes de compréhension ou d'action.

Il s'agit là d'un exemple où la formatrice a pris le temps d'analyser sa pratique, soit de saisir les données provenant de l'action, les laisser décanter, être ouverte à de nouvelles connexions et s'approprier ces nouveaux savoirs en les transférant dans une nouvelle situation. Cette initiative de la formatrice vient mettre en évidence que la méthode d'analyse réflexive est effectivement émancipatrice à plusieurs niveaux, qu'elle est accessible, expérientielle, ancrée, adaptable et dépolarisante. Cette situation est présentée à titre d'exemple pour illustrer la nature des changements réalisés dans la pratique d'une intervenante. Cependant, plusieurs autres expérimentations de la méthode ont été réalisées, certaines en groupe, d'autres avec des personnes ayant, soit un profil qualifié «d'artiste», soit un profil qualifié «d'intellectuel».

Facilite l'organisation de la pensée et la conscience de cette organisation mentale. Pour illustrer cet aspect une formatrice a raconté qu'il lui arrive de plus en plus souvent lors d'un échange ou d'une argumentation avec quelqu'un de visualiser la carte mentale de la communication en cours. Cette activité se déroule sans décision consciente de sa part. Elle lui permettrait d'être davantage en mesure de retracer l'essentiel ou l'origine de son propos, évitant ainsi de s'égarer ou de se perdre dans les méandres d'une communication animée.

2. La transférabilité et les facteurs influençant la réussite de la méthode

2.1 La transférabilité

Bien que la démarche ait été développée avec des formatrices provenant du réseau de la santé et des services sociaux pour analyser leur pratique, il est permis d'envisager que la méthode et les outils proposés puissent être appropriés avec des formateurs et des formatrices œuvrant dans d'autres secteurs de l'éducation non formelle ou formelle.

Cette remarque se base sur des observations réalisées auprès des participantes. Comme il a été précisé auparavant, cette méthode origine des habitudes d'analyse des formatrices concernant certains aspects de leur vie et visant à la rendre plus conforme à leurs besoins et à leurs aspirations. En systématisant et en nommant leur processus, il leur a été possible, par la suite, de transférer rapidement ces savoirs d'action à leur travail. Le processus qui a émergé fait écho à l'expérience de chacune, c'est pourquoi le potentiel de transférabilité à d'autres formatrices est envisageable. Il fait aussi écho à plusieurs démarches et processus déjà existants: le processus créateur, le processus d'intégration des apprentissages, le processus d'ancrage aux savoirs préexistants, le processus de développement personnel et professionnel, etc.

D'une part, à la lumière de ces travaux, la transférabilité de l'utilisation de la carte mentale avec une clientèle peu ou pas à l'aise avec l'écrit se présente comme une piste à explorer davantage. En effet, cet outil permet à des personnes de parvenir à communiquer leur expérience par un autre moyen que l'écrit traditionnel ou l'oral. L'expérimentation de cette communication, avec soi-même dans un premier temps, pourrait contribuer à apprivoiser une forme d'écrit, les mots-clés, plus accessibles à la majorité. L'usage des mots-clés peut être proposé aux personnes relativement à l'aise avec l'écrit, tout en donnant beaucoup de place à l'usage de symboles, formes, couleurs et dessins pour illustrer leurs pensées ou leurs idées. Cette production leur permettrait d'expérimenter le plaisir de communiquer des idées, éventuellement à l'aide de l'écrit. Ainsi, les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit expérimenteraient une forme de communication écrite qui fait appel à d'autres intelligences que la seule intelligence langagière.

D'autre part, l'ensemble du processus de collaboration et d'analyse met en évidence la présence de plusieurs facteurs qui ont influencé l'atteinte des objectifs et par conséquent, la possibilité de transfert de la méthode. On peut retrouver deux catégories de facteurs: la première relève des caractéristiques propres au milieu dans lequel travaillent les intervenantes et la deuxième relève plutôt de la relation qui s'établit entre la personne-ressource et les formatrices.

2.2 Facteurs qui relèvent des milieux

2.2.1 Le facteur temps

Le facteur temps est central dans une démarche d'analyse de pratique et il importe de lui accorder toute l'attention requise afin que l'analyse porte fruit. En ce qui concerne plus précisément le fait de sensibiliser des formateurs et des formatrices à la méthode, nous estimons, à partir de notre expérience, que cette tâche peut se réaliser au cours de quelques rencontres (environ 4) de trois heures chacune. Rapidement, certaines personnes peuvent parvenir à réaliser une analyse qui leur permette de poser un nouveau regard sur certains aspects de leur pratique et souhaiter réaliser des changements. Cependant, d'autres peuvent exprimer différents types de résistances associées davantage au fait que la démarche implique qu'elles fassent confiance en leur expertise et qu'elles osent exprimer leur couleur et leur orientation dans une situation donnée. Se situer en amont de ces résistances peut permettre aux participantes de réaliser à quel point elles se font peu confiance et qu'elles attribuent des valeurs d'efficacité et de fiabilité à une démarche qui détermine d'avance le point d'arrivée et le parcours précis pour y parvenir alors qu'elles disent valoriser davantage les démarches non linéaires.

Comme l'objectif de cette recherche est de susciter le développement d'une pratique d'analyse chez les formatrices, il est nécessaire que la méthode permette l'usage répété des mêmes consignes et des mêmes outils, de manière à ce qu'ils puissent être utilisés rapidement sans personne-ressource pour encadrer la démarche et sans avoir besoin de consulter un mode d'emploi complexe et difficile à mémoriser. Donc, déjà lors des premières phases de l'analyse, la participante est appelée à réaliser plusieurs cartes mentales, à avoir recours à quelques jeux projectifs. Cette pratique répétée la rendra apte à réutiliser la méthode par elle-même. À un tout autre niveau, la méthode favorise l'« habituation » à une démarche de réflexion et d'analyse créative plutôt que réactive. Dans la perspective d'habiliter les formatrices à créer leurs propres savoirs, il importe que la méthode aille dans le même sens. En effet, en proposant que les personnes affichent leurs cartes mentales dans leur bureau, on favorise un certain apprivoisement entre la formatrice et sa réflexion-sur-l'action. Cet apprivoisement graduel, au rythme des personnes, contribuera à ce que l'analyse de pratique soit intégrée à la vie quotidienne et donc qu'elle soutienne le développement de son jugement réflexif.

2.2.2 Les ressources financières de l'organisme

Les deux milieux avec lesquels nous avons travaillé possèdent un financement relativement stable (subventions récurrentes) qui rend possible, à ce stade de leur histoire, de concentrer du temps à des activités de formation et de perfectionnement plutôt que sur la recherche de financement comme c'est le cas pour un bon nombre d'organismes. Cette situation permet aussi une certaine stabilité au plan du personnel dont l'embauche n'est pas liée à des projets gouvernementaux de courtes durées. La stabilité du personnel constitue un facteur important pour qu'un organisme s'engage dans une telle démarche. D'ailleurs, comme le précisait St-Amaud (op.cit) c'est après avoir acquis une certaine expérience que la critique objective ne suffit plus, donc on peut croire que dans la majorité des organismes où le personnel est en position de précarité et de changement continuel il soit peu envisageable et réaliste de s'engager dans une démarche d'analyse de pratique. Comme l'a mentionné une des participantes, elles ont maintenant la possibilité de s'arrêter et de se perfectionner ce qui aurait été impossible quelques années auparavant. Il s'agit là d'un facteur de réalité majeur qui ne peut être mis de côté lorsqu'on travaille avec des groupes communautaires. La disponibilité financière permet la disponibilité requise pour que le désir d'analyser sa pratique puisse émerger et y investir temps et énergie.

2.2.3 Les ressources humaines de l'organisme

Dans les groupes communautaires, on peut retrouver des travailleurs et des travailleuses ayant des formations diverses et des niveaux de scolarité variés chez des personnes occupant les mêmes fonctions. Par exemple, une personne ayant un secondaire cinq et quelqu'un qui a une formation collégiale ou universitaire planifient et réalisent parfois les mêmes activités de formation.

Cette diversité est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu'on veut susciter des habitudes d'analyses de pratique chez des formatrices. Une préoccupation éthique de tous les instants devrait animer l'ensemble des participantes, et ce, entre autres à l'étape de connexions. C'est plus particulièrement à cette étape que chaque participante est appelée à établir des liens entre ses propres savoirs et ceux provenant de l'extérieur. Dans la mesure où des gens ayant des niveaux de scolarité différents se côtoient, des niveaux de connaissances théoriques et externes risquent également de se côtoyer. Dans ce contexte, la visée «émancipatrice» prend tout son sens et toute sa place.

2.3 Facteurs qui relèvent de la relation avec la personne-ressource

À l'instar de toute situation d'apprentissage, la relation de confiance que parvient à établir la formatrice avec les participantes a un impact déterminant sur l'intérêt, la motivation et l'investissement des personnes dans leur processus d'apprentissage.

La formation des adultes ne fait pas exception à ce principe. Les différentes études sur la pédagogie et la formation aux adultes s'entendent pour reconnaître l'importance de faire appel et de tenir compte de l'expérience professionnelle et personnelle de ces participants.

Dans le cadre de cette formation à l'analyse de pratique, plusieurs principes pédagogiques doivent guider à la fois les intentions et les actions du formateur. Il s'agit donc de considérer Y empowerment des participantes comme une trame de fond, omniprésente dans l'ensemble des activités et des interactions avec les participantes. Contribuer à ce que les participantes reprennent davantage de pouvoir face à leur vie et leur travail exige une position particulière du formateur. Cette position se traduit par des attitudes et des comportements qui témoignent de sa croyance profonde au potentiel des gens à trouver et à découvrir leurs propres réponses concernant leur réalité.

Dans le cadre de ce projet, il est important de préciser que la chercheure connaissait les participantes des deux milieux depuis quelques années pour y avoir été impliquée de plusieurs façons. Dans ce contexte, nous savions que la relation de confiance existait déjà. La présence de cette relation a certainement influencé le déroulement et l'implication des participantes aussi bien que celle de la chercheure.

Une des principales influences de l'existence de cette relation est que nous avons consacré peu de temps et d'énergie à l'établissement de cette relation comme ce serait le cas avec des participantes et des milieux inconnus de la personne ressource. Par conséquent, il a été possible d'entrer rapidement dans le vif du sujet et d'assister à des échanges très riches dès la première rencontre.

Nous attribuons aussi à cette relation les fréquents contacts informels avec plusieurs participantes, et ce, dès le début du processus. Ces échanges ont grandement contribué à l'implication des participantes. Ils ont aussi permis une compréhension beaucoup plus fine des phénomènes analysés, donnant accès à la chercheure à des données complémentaires très précieuses.

De plus, la présence d'une relation de confiance avec les participantes a eu une influence directe sur l'aisance de la chercheure à proposer et à expérimenter des outils non conventionnels. Nous avons réalisé après coup à quel point la confiance réciproque installait un filet de sécurité pour la chercheure. Rappelons que dans ce type de recherche-action-formation la chercheure s'expose tout autant que les participantes.

Cette expérience nous permet de dégager certaines pistes favorisant la transférabilité de la méthode. Bien qu'il soit, la plupart de temps, impossible que des formatrices connaissent les participantes et aient développé une relation de confiance avec elles, il n'en demeure pas moins possible de bâtir en cours de processus, une relation dans laquelle les participantes aussi bien que les formatrices se sentent suffisamment en confiance pour s'engager et se mobiliser dans cette démarche. La responsabilité de considérer ce facteur dans la formation à l'analyse de pratique revient nécessairement à la formatrice. Il est donc important qu'elle puisse élaborer des stratégies pédagogiques et des activités ayant pour objectif l'établissement d'une relation de confiance avec les participantes.

3. Recommandations

D'entrée de jeu, il est nécessaire de rappeler que le principal objectif du projet visait la détermination d'étapes permettant aux formateurs et aux formatrices d'avoir accès à leurs savoirs d'expérience. Notre processus de recherche nous a confrontée à la difficulté de séparer étapes et outils lorsqu'il est question d'aborder des savoirs d'action. Il s'est donc avéré nécessaire de combiner les deux aspects pour être en mesure d'accéder réellement à l'expérience des formatrices engagées dans le projet. Toutefois, la démarche proposée qui intègre les étapes et les outils a émergé en cours d'expérimentation. Il serait donc nécessaire de poursuivre plus avant les travaux d'élaboration et de structuration de la méthode dans son ensemble avant de la proposer à différents organismes. Les rencontres qui ont suivies nous ont permis de constater l'impact autant du principal outil proposé soit la carte mentale, que du processus d'analyse. Il serait néanmoins souhaitable de réaliser une nouvelle expérimentation avec d'autres formatrices pour étoffer davantage la réalisation du contenu et des outils de formation proposé aussi bien pour déterminer les séquences et le rythme des rencontres avec les formatrices que pour réaliser un guide d'analyse de pratique fournissant aux participantes l'ensemble des données requises pour poursuive cette démarche de manière autodidacte.

Une fois cette étape complétée, la formule que nous proposons est de former des animatrices provenant du milieu qui pourraient fournir aux différents organismes communautaires œuvrant en éducation non formelle le support requis pour s'engager dans une telle démarche. Comme nous l'avons mentionné précédemment, ce support pourrait prendre la forme de trois ou quatre rencontres avec les formateurs et les formatrices visant à amorcer la démarche et accompagner les personnes dans leur analyse. De plus, il serait nécessaire de fournir au milieu des documents et des outils accessibles et souples visant une appropriation des concepts et de la méthode ainsi que les fondements théoriques et les valeurs sous-jacentes de la démarche. On devrait aussi retrouver dans un tel document d'accompagnement une liste de références accessibles et commentées sur les différents aspects de l'analyse de pratique, des pratiques émancipatrices ou d'empowerment, des cartes mentales, etc., ainsi qu'un glossaire des termes et des concepts fréquemment utilisés, stimulant ainsi les personnes intéressées à poursuivre leur démarche de façon autodidacte. Il serait bien sûr nécessaire de joindre des exemples de cartes mentales réalisées par les formatrices à différentes phases de la démarche afin d'illustrer le propos et rendre la démarche plus signifiante pour les éventuelles participantes.

Néanmoins, il est tout de même envisageable que, dans certains milieux, des formatrices puissent entreprendre pareille démarche à partir des informations fournies dans ce rapport. Dans ce cas, nous proposons aux personnes et aux organismes intéressés de définir à l'avance les différentes stratégies que nous avons identifiées.

  • Premièrement, une stratégie d'ancrage aux savoirs préexistants des formatrices engagées dans la démarche.
  • Deuxièmement, une stratégie de présentation de différents types d'analyse de pratique et d'exemples d'analyses de pratique cohérents avec le ou les types choisis.
  • Troisièmement, une stratégie d'appropriation et d'expérimentation des outils d'analyse, incluant le choix d'un déclencheur initial.
  • Quatrièmement, une stratégie de planification et de structuration des activités d'analyse en groupe.
  • Cinquièmement, une stratégie de support et d'encadrement de l'ensemble du processus.

Conclusion

Le présent mandat est apparu un défi de taille. En nous basant notre expérience professionnelle formatrice en techniques de travail social et en techniques d'accueil au collégial, sur nos expériences de perfectionnement en éducation formelle aussi bien qu'informelle, ainsi que sur notre connaissance de nombreux milieux de pratique (notamment par le biais de la coordination et de la supervision de stages professionnels), il nous a semblé que cette recherche rejoignait les préoccupations de nombreuses personnes œuvrant en éducation. Ce défi a pu être relevé, notamment, grâce à la précieuse collaboration des six participantes au projet.

Nous en sommes venues à la conclusion que les algorithmes ou les étapes d'un processus d'analyse d'une situation sont eux-mêmes des savoirs d'action transférables dans la mesure où nous prenons le temps de les reconnaître et de les laisser se manifester de manière à ce qu'ils soient intelligibles pour soi et pour les autres. Cette première découverte a contribué à servir d'assises à l'ensemble de la démarche tant celle des participantes que celle de la chercheure. En effet, en prenant conscience de l'existence de savoirs d'action et de leur potentiel de transférabilité à d'autres contextes, les participantes et la chercheure ont pu chacune de leur côté, donner un sens nouveau à leurs expériences, y voyant la possibilité d'utiliser des ressources souvent peu explorées.

L'utilisation d'outil tel la carte mentale s'est avérée des plus supportante pour une démarche d'analyse de pratique et très facile d'appropriation. Cet outil semble rejoindre les personnes en faisant un écho à leur vie intérieure: leurs questionnements, leurs idées, leurs émotions, etc. Ainsi, l'outil devient un prolongement de la pensée qui permet en la visualisant, de l'organiser, la revoir et la réévaluer au besoin. Cette image construite à partir de la réalité de chacune ouvre la porte à une appréciation plus articulée de la pratique.

Le projet a eu plus de retombées dans la pratique des formatrices que nous aurions pu l'imaginer. Des retombées concrètes, au quotidien, qui originent de la grande implication et mobilisation des participantes dans des activités formelles et les activités spontanées d'analyse qualitative de leur pratique.

D'autres retombées sont à venir. En effet, une recherche financée par le Programme d'aide à la recherche en enseignement collégial (PAREA) va nous permettre de poursuivre les travaux sur une période de deux ans avec des enseignants et des enseignants du secteur professionnel et des aide-pédagogiques. À la suite de cette seconde recherche sur la recherche et l'analyse qualitative de savoirs d'action, il sera possible de proposer des outils concrets destinés à des personnes œuvrant dans des contextes et des milieux différents.

L'orientation qualitative ainsi que la méthodologie utilisée dans le cadre de ce projet ont contribué à démystifier, un tant soit peu, le monde de la recherche et l'activité dite «scientifique» chez les participantes. Dans l'univers de la recherche, on parle ont contribué à démystifier, un tant soit peu, le monde de la recherche et l'activité dite «scientifique» chez les participantes. Dans l'univers de la recherche, on parle fréquemment de l'existence d'un theory practice gap (Rolfe, 1996), c'est-à-dire de l'écart ou l'intervalle entre le monde de la pratique et le monde de la théorie et d'un research-practice gap (Robinson, 1998), ou écart entre la recherche et la pratique. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la présence de frontières différentes entre ces réalités rend leur cohabitation difficile. Cette recherche a été orientée dans une perspective qui n'oppose pas la théorie à la pratique ou la recherche à la pratique. Les deux univers sont essentiels et complémentaires pour appréhender les savoirs d'action de manière à les reconnaître vraiment, les analyser et les transférer. Les résultats obtenus nous confirment qu'une telle perspective a sa place. Toutefois, il s'agit d'une place à créer et à occuper de plus en plus.

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Annexe A – Réflexion sur les savoirs existants

Merci encore d'avoir accepté de collaborer à cette recherche!

En vue de la première rencontre, je vous propose de répondre aux questions suivantes. Il ne s'agit pas d'un examen et encore moins d'un devoir, il n'y a pas de bonnes réponses, il y a vos réponses. C'est plutôt un moyen de mobiliser vos connaissances et réflexions sur la question pour que la première rencontre soit la plus significative possible pour vous et pour qu'elle puisse s'enraciner dans un terreau approprié et disponible.

Il serait souhaitable d'y répondre par écrit. Toutefois, chacune est libre d'y consacrer le temps qu'elle veut bien. J'apprécierais que vous me remettiez une copie de vos réflexions lors de la première rencontre afin que je puisse utiliser ces données pour m'adapter et tenir compte, le plus possible, de votre situation et vos besoins.

Pistes de réflexions

  1. Comment procèdes-tu actuellement lorsque tu explores, analyses ou évalues ta pratique d'intervenante? (Quand? Avec qui? Quoi? Dans quel type de situations?...)
  2. Qu'est-ce que cette réflexion t'apporte habituellement? Perçois-tu l'impact de cette réflexion au plan personnel, professionnel ou au niveau de l'organisme à court, moyen ou long terme?
  3. À quoi pourrait te servir actuellement une autre démarche visant à t'outiller pour réfléchir sur ta pratique d'intervenante et de formatrice et pour intégrer ces réflexions dans l'action par la suite?
  4. Qu'est-ce que tu souhaiterais le plus acquérir ou consolider au cours de la démarche proposée?
  5. Peux-tu identifier actuellement les forces et les compétences que tu possèdes qui peuvent t'aider à regarder ta pratique dans le rétroviseur, à l'analyser de manière constructive et à modifier ta pratique en conséquence.
  6. Peux-tu identifier ce qui pourrait t'aider à soutenir ta réflexion à court, moyen ou long terme, de manière à satisfaire tes besoins.

Annexe B – Exemples de cartes mentales1718

[Voir l'image pleine grandeur]Deux exemples de cartes mentales

Crédits

Auteure
Sylvie Bessette
M.S.S., M.A. éd. enseignante au Collège de Sherbrooke en Techniques de travail social

Sous la supervision de
Pierre Paillé
Professeur Faculté d'éducation Université de Sherbrooke

La réalisation de cette recherche a été rendue possible grâce à l'appui financier du Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA) du ministère du Développement des ressources humaines du Canada (DRHC)


  • 1 Les MEMOS sont des outils de recherche qualitatives réalisés par les chercheurs. Ils consistent à explorer un concept, à le définir, à noter ses impressions ou réactions de manière à pouvoir s'y référer tout au long de la recherche.
  • 2 Le modèle de jugement réflexif développé par King et Kitchener (1994) comporte sept niveaux qui correspondent à des habiletés réflexives de plus en plus grandes.
  • 3 Vous trouverez plus d'informations concernant la façon dont les femmes construisent leur rapport aux savoirs et à la réalité au point «fondements théoriques du projet».
  • 4 La ventilation est une technique d'intervention qui consiste à encourager la libre expression des sentiments et la communication des émotions, à créer un climat qui rendra cette expression possible dans le but de permettre le soulagement de l'anxiété et de la tension.
  • 5 Selon Le Meur (1998), la recherche, la découverte, la création de savoirs, de connaissances dans et par l'action font partie de l'activité des autodidactes qu'il a rencontrés. Ils sont devenus des «agents de leur formation», c'est-à-dire des sujets sociaux apprenants à part entière (p. 116).
  • 6 Il s'agit des premières cartes mentales réalisées par les formatrices. Elles présentent la pratique de chacune avec des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit.
  • 7 Les jeux projectifs utilisés sont le Motherpeace Round Tarot Deck par Vogel et Noble (1983) et le Power Deck d'Andrews (1991) (les références des ouvrages accompagnant ces jeux se retrouvent dans les références bibliographies).
  • 8 Recadrer consiste à envisager une situation ou un comportement dans une autre perspective ou selon un cadre de référence différent.
  • 9 L'ouvrage de Galyean (1986), Visualisation, apprentissage et conscience, est particulièrement intéressant, car il présente les fondements théoriques de cette technique tout en proposant des applications orientées vers des apprentissages autant de types cognitifs qu'affectifs ou transpersonnels (p. 22).
  • 10 L'expression pouvoir d'agir a été privilégiée à celle d'empowerment pour deux principales raisons; premièrement, comme il s'agit d'une expression française elle est beaucoup plus facilement accessible; deuxièmement, elle possède un caractère simple et évocateur pour tous et, troisièmement, elle précise que la nature du pouvoir dont il est question: le pouvoir d'agir. Il n'est pas question de pouvoir de domination ou sur les autres pas plus que de pouvoir d'influence. La paternité de cette expression revient à Yann Le Bossé qui poursuit des recherches sur l'articulation et la clarification de l'approche centrée sur le pouvoir d'agir avec les personnes et les collectivités à l'Université Laval.
  • 11 Épistémologique: relatif à la théorie de la connaissance, fondements. Le Robert, 1995.
  • 12 L'auteure utilise le terme «enseignant»; toutefois, il nous semble tout à fait possible le remplacer par celui de formatrice ou d'intervenante tout en conservant l'à-propos du discours.
  • 13 À ce sujet voir l'ouvrage d'Arthur Koestler (1965), Le Cri d'Archimède, l'art de la découverte et la découverte de l'Art. Plusieurs exemples illustrent les processus mentaux de créateurs et scientifiques illustres.
  • 14 Métacognition: La métacognition, c'est le retour sur ses propres démarches mentales pour en prendre conscience et pouvoir les décrire. Non spontané, ce retour exige lui-même un apprentissage qui suppose l'intervention d'un médiateur (Le Boterf, 1997, p. 160). Nous tenons cependant à souligner que la présence d'un médiateur ne nous apparaît pas essentielle pour toutes les personnes. Re: les personnes ayant une intelligence intrapersonnelle significative peuvent acquérir elles-mêmes ce niveau de conscience.
  • 15 Voir Carle (1998). Processus non linéaires d'intervention. On retrouve dans cet ouvrage des techniques favorisant les processus non linéaires aussi bien que les processus linéaires.
  • 16 Commission canadienne pour l'UNESCO (1997). Trousse d'animation sur le rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le 21e siècle.
  • 17 Carte mentale réalisée par la chercheure pour illustrer les étapes de la méthode d'analyse de pratique
  • 18 Carte mentale réalisée par des formatrices pour présenter leur rapport d'activités lors de l'assemblée générale annuelle de juin 2000.