Le Tour de Lire est un organisme communautaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve œuvrant dans le champ de l'alphabétisation depuis maintenant plus de trois ans. Afin de consolider notre intervention auprès de la population analphabète, nous avons entrepris l'année dernière une démarche de réflexion par le moyen d'une recherche-action dont la première étape a porté sur l'articulation d'un modèle théorique global définissant l'ensemble de notre approche et de notre processus pédagogiques.
Cette année, la démarche s'est poursuivie en continuité avec l'étape précédente, et nous avons décidé de scruter un large éventail de notre pratique afin de vérifier et de développer notre modèle théorique. Pour ce faire, nous avons déterminé trois priorités de recherche sur lesquelles nous voulions porter notre réflexion.
Nous avons, tout d'abord, voulu cerner les implications pratiques et de principe que comportait pour nous notre intervention en alphabétisation à travers un travail dans/sur/par la langue définie à la fois comme fait social global, matière et moyen d'apprentissage. Nous voulions surtout déblayer nos positions de principe sur la fonction et le rôle de la langue, organe et véhicule de communication, appareil idéologique de reproduction sociale et corpus linguistique témoignant de l'histoire d'un peuple. Nous voulions aussi préciser, de façon concrète, les choix que nous faisions du/des type(s) de langue (certains diraient des niveaux de langage) utilisé(s) dans les ateliers. Nous voulions enfin affirmer notre objectif global de réappropriation de la langue et de créativité à travers nos activités d'alphabétisation.
Dans un second temps, nous avons voulu confronter nos principes d'animation avec le fonctionnement concret de différents types d'activités d'apprentissage. En relatant les différents moments 1) d'une activité liée à l'utilisation d'un outil, 2) du déroulement d'un thème, 3) d'une période d'atelier et 4) du programme de session de chacun des groupes d'apprentissages, nous avons pu vérifier si, conformément à nos intentions, notre animation rencontrait nos objectifs d'une approche en tout temps pédagogique, dynamique, dialogique, globalisante et critique. Nous avons aussi scruté comment s'établissaient, se distribuaient et s'exerçaient les rôles de chacun (participants/animateurs/supports) et questionné notre orientation d'ensemble sur les pratiques de décisions et d'organisation (hiérarchique et autres) au Tour de Lire.
La troisième priorité que nous avons identifiée visait à tracer les grands principes et le cheminement pratique de notre progression d'apprentissage au Tour de Lire. Trois volets constituent cet exercice. Le premier veut étudier notre démarche du point de vue de l'apprentissage notionnel du code et de l'apprentissage fonctionnel d'habiletés diverses constituant la matière première de nos activités d'alphabétisation. Un deuxième volet s'attache à scruter notre cheminement à travers nos activités de vie de groupe alors qu'un troisième considérait notre approche dans le cadre de nos activités de conscientisation.
L'ensemble de cette démarche de recherche-action ainsi définie vise donc surtout à évaluer notre pratique en regard de ces trois priorités de façon à faire avancer notre intervention vers une meilleure adéquation avec nos principes généraux qui vont du même coup s'en trouver mieux définis.
Une équipe affectée au dossier recherche-action fut constituée d'un agent de recherche spécialement engagé et d'un responsable, permanent au Tour de Lire. Toutefois, conformément à la définition même d'une recherche-action, l'ensemble du collectif d'animateurs-trices fût intégré au processus de réflexion, de cueillette d'informations, de débats et de formulation des constats. Toutefois, c'est spécifiquement l'équipe de la recherche qui a élaboré les instruments de cueillette et d'analyse,!'organisation analytique et interprétative des résultats de même que la rédaction du présent rapport.
La première activité de recherche-action en fut une de revue de littérature. Nous avons passé en revue les "grands classiques" de l'alphabétisation (Freire, Humbert, Martinez) de même que des documents émanant d'autres groupes œuvrant dans le champ de l'alphabétisation au Québec. De plus, nous sommes retournés dans le matériel de recherche et de réflexion élaboré au Tour de Lire depuis trois ans et plus spécifiquement lors de la première étape de la recherche-action.
Cet exercice nous a permis de re-situer plus clairement le mandat de l'étape présente et d'identifier clairement les trois priorités de recherche pour cette année. (Voir annexe 1).
Après avoir élaboré un plan de cueillette qui, pour le fond et la forme, établissait notre échéancier de collection des informations, nous avons entrepris la construction d'un premier questionnaire sur la langue. Cette démarche impliquait donc d'identifier les différentes dimensions théoriques et pratiques que nous voulions aborder pour ensuite les faire figurer tour à tour sous la forme d'un questionnaire suivi et systématique (Voir annexe II). C'est par entrevues individuelles que nous avons choisi de recueillir les réponses à ces questions. Afin d'impliquer davantage les animateurs à cette étape, le questionnaire leur a été fourni une semaine avant l'entrevue comme telle. Les animateurs-trices sont donc arrivés préparés pour les entrevues qui ont duré de trois à six heures en moyenne. L'ensemble des réponses recueillies par l'interviewer a constitué un premier corpus d'informations d'une cinquantaine de pages. Ces informations furent soumises à un premier examen rapide afin d'en sortir les "faits saillants" de façon à alimenter la première rencontre-débat du mois de mai. Cette rencontre, réunissant le collectif d'animateurs-trices et l'équipe de la recherche, a constitué un complément d'informations important puisqu'elle a permis de confronter les idées et opinions reçues lors des entrevues individuelles. Nous avons pu alors jeter les bases de nos positions communes à propos du travail dans/sur/par la langue et identifier les points qui demeuraient matière à questionnements.
La collection des informations sur l'approche d'animation a suivi à peu près le même scénario que celui de la première cueillette. Toutefois, nous avons préféré créer un "schéma d'entrevue", moins systématique qu'un questionnaire permettant un entretien plus libre. (Voir annexe III). Ces informations, (une trentaine de pages) ont aussi servi à préparer la deuxième partie de la rencontre-débat du mois de mai. De la même façon, nous avons pu alors confronter nos pratiques d'animation et jeter les bases d'un premier questionne-ment sur les grands principes de notre approche.
Concurremment à ces deux premières étapes de cueillette d'informations, s'est tenu au Tour de Lire le bilan de la fin de la session d'hiver 1983. L'équipe de la recherche-action fut particulièrement concernée par cette activité puisque c'est elle qui fût chargée, conformément à un des éléments secondaires de son mandat, de forger une grille d'évaluation exhaustive devant servir de guide à ce bilan particulier, et de modèle unifié (sujet à évaluation et remaniements) pour les bilans de fin de session futurs. (Voir annexe IV). Ce bilan a aussi constitué un appoint appréciable dans la constitution de notre corpus d'informations pour la présente recherche, puisque la plupart des items d'évaluation proposés avaient des résonances très liées avec les thèmes de la recherche.
Par la suite, nous avons entrepris la troisième étape de notre cueillette d'informations. Il s'agissait la d'une étape d'envergure puisque nous voulions à partir de la pratique de pédagogie dans les ateliers, jeter les bases d'une réflexion large sur les progressions d'apprentissage. Nous avons délaissé, pour ce faire, la formule des entrevues directes pour nous attaquer à une analyse de contenu assez poussée des comptes-rendus et des programmes des ateliers de l'année 1982-1983. Cette opération a nécessité beaucoup d'énergie de la part de l'équipe de la recherche et a duré près de deux mois et demi.
Nous avons dans un premier temps consigné sur fiches toutes informations disponibles à partir des comptes-rendus et des programmes et décrivant les objectifs, consignes, activités, observations des animateurs rendant compte des contenus et des contextes d'apprentissage (aussi bien apprentissage notionnel - c'est-à-dire du code - que fonctionnel), de même que de la vie collective du groupe et de son cheminement dans la conscientisation. Près d'une centaine de fiches ont ainsi été utilisées selon un découpage par sessions, niveaux de difficultés et ateliers spécifiques proprement dits.
Avec cette vaste banque de données, nous avons alors pu entreprendre un large travail d'analyse et de découpage selon diverses dimensions pré-définies. Nous avons, tout d'abord, pu dresser une liste des objectifs d'ateliers que se donnaient les animateurs et les participants au début d'une session pour contribuer à préciser le travail à effectuer. Nous avons aussi élaboré des tableaux descriptifs de différentes dimensions du travail d'apprentissage. Ainsi, nous avons répertorié, pour chacun des ateliers, l'ensemble des activités où l'on pouvait isoler un travail développé en fonction de chacun des "4 savoirs" -LIRE - ÉCRIRE - ÉCOUTER - S'EXPRIMER. Nous avons aussi, par exemple, construit un tableau représentant l'ensemble du travail en atelier (apprentissage, conscientisation, vie de groupe) à travers le développement des thèmes dans chacun des groupes.
Mais le gros du travail d'analyse s'est surtout effectué sur la progression des apprentissages proprement dits.
Afin de déterminer le cheminement des apprentissages pour chacun des niveaux du point de vue du travail sur le code notionnel nous avons dû réaliser un travail d'analyse en plusieurs temps. Tout d'abord, nous avons présenté un portrait descriptif des notions vues en atelier pour chacun des groupes à chaque rencontre. Par la suite, nous avons raffiné cette première présentation en opérant un découpage des apprentissages selon six catégories de notions d'apprentissage possibles: la lettre, la syllabe /son, le mot, la phrase, le texte et les travaux-recherches. Nous avons pu de cette façon identifier la portée, l'ampleur et la variété du travail fait dans chacun des ateliers (le tableau est présenté dans le chapitre sur les apprentissages; cf Tab. 9 ). Par la suite, un travail d'analyse et de recherche de longue haleine à trois personnes (les deux membres de l'équipe de recherche plus une autre permanente), nous a permis de présenter une proposition de guide d'apprentissage, pas vraiment directif, mais englobant l'ensemble des notions à voir tout au long des quatre niveaux de difficultés (ce tableau est aussi présenté dans le même chapitre, de même que ses applications possibles).
Pour les apprentissages de type "fonctionnel", nous avons, en gros, répété les mêmes étapes avec un peu moins d'ampleur pour la description de la session passée (cf tableau ), mais tout autant d'application dans la proposition d'un cheminement à évaluer cette année.
Deux autres tableaux d'analyse furent effectués dans le cadre de cette étape. Un premier s'attache à rendre compte de la progression de la vie du groupe dans chacun des ateliers alors qu'un deuxième présente plutôt le cheminement des activités de conscientisation.
Quand ce travail d'ampleur fût terminé, nous avons repris de façon plus complète l'analyse du corpus d'informations que nous avions recueilli sur notre intervention dans/sur/par la langue afin de systématiser et opérationnaliser nos observations en vue de la rédaction.
Le même travail fût effectué avec le compte-rendu de nos entrevues sur l'approche d'animation.
Enfin, nous avons entrepris la rédaction proprement dite du rapport devant servir d'outil de réflexion et d'application/évaluation pour l'année. Nous parlerons de nos options quant à la continuité de cette recherche-action, en conclusion de ce document.
Pour terminer cette introduction, nous tenons à remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de cette recherche; nous soulignons plus particulièrement le travail de Marie-Claire DesRoches et de Anne Ampleman qui, par leur"art du clavier", ont mis sur papier ce qui n'était au départ qu'idées, mots et "brouillons écrits".
1 au 18 mars |
- Formation |
18 au 22 mars |
- Reformulation du mandat de recherche |
22 mars |
- Dépôt du mandat de recherche |
23 au 28 mars |
- Préparation du plan de cueillette |
29 au 1er avril |
- Construction du questionnaire sur la langue |
4 au 8 avril |
- Entrevues avec animateurs-trices sur la langue |
13 au 29 avril |
- Construction d'un schéma d'entrevue sur l'approche d'animation |
16 au 22 avril |
- Construction d'une grille d'évaluation globale pour la session d'hiver 1983 |
25 au 29 avril |
- Bilan de la session d'hiver 1983 |
2 au 6 mai |
- Entrevues avec animateurs-trices sur approches d'animation |
6 au 10 mai |
- Préparation de la rencontre-débat sur langue et approche d'animation |
11 mai |
- Rencontre-débat sur langue et approche d'animation |
16 au 30 mai |
- Cueillette données sur progression d'apprentissage notionnel/fonctionnel/vie de groupe/conscientisation, etc. à partir des comptes-rendus d'ateliers et des programmes de session automne 1982, hiver 1983 |
31 mai au 11 juin |
- Construction de tableaux descriptifs et analytiques à partir des données recueillies sur progression apprentissage notionnel/fonctionnel/ vie de groupe/conscience/thèmes/les quatre savoirs |
13 au 15 juin |
- Préparation rencontre-débat sur progression d'apprentissage |
16 juin |
- Rencontre débat progression d'apprentissage |
20 juin au 12 août |
- Poursuite analyse et élaboration de cheminement d'apprentissage notionnel/fonctionnel/ vie de groupe/conscientisation |
15 août au 26 août |
- Analyse interprétative réponses/entrevues sur la langue |
29 août au 9 septembre |
- Analyse interprétation réponses/entrevues sur l'approche d'animation |
12 septembre au 15 novembre |
- Rédaction du rapport. |
Intervenir dans le champ de l'alphabétisation populaire, c'est s'engager dans un type d'intervention communautaire qui comporte un aspect bien particulier. Au delà du service communautaire rendu, au delà de l'implication sociale que notre travail permet auprès de la population du quartier Hochelaga-Maisonneuve, apparaît une dimension dont l'impact prend toute son acuité à mesure que nous en prenons conscience. Il s'agit de la MATIÈRE même dans/sur/par laquelle nous intervenons dans le contexte d'un travail en alphabétisation, soit la LANGUE.
S'interroger sur la portée et les acquis de notre travail depuis plus de trois ans, c'est donc aussi rendre compte de nos positions par rapport à cette composante fondamentale du tissu social et c'est témoigner de notre type d'intervention, dans un contexte de pédagogie de masse qui repose sur un apprentissage et une utilisation de la langue comme contenu premier.
Nous avons pris l'habitude depuis trois ans, grâce aux acquis des étapes précédentes du processus de recherche, de considérer cette dimension de notre "approche pédagogique" à travers un concept global de "TRAVAIL DANS/SUR/PAR LA LANGUE". Cette "manière de dire" veut refléter le triple aspect que revêt pour nous la langue à travers nos activités d'éducation populaire.
Tout d'abord, la langue est un phénomène social global qui rend compte et participe de diverses façons à la formation sociale dont elle est issue. Elle peut être, d'un point de vue essentiellement fonctionnel,considérée comme un organe et un véhicule de communication dans la société, mais constitue aussi assurément le reflet de la structure de classe ainsi qu'un des "appareils idéologiques" qui favorise la reproduction même de cette structure. De plus, elle témoigne de par sa forme de toute l'histoire sociale et culturelle d'une nation ou d'un groupe linguistique et continue d'évoluer en réponse aux "événements" culturels qui interviennent dans le cours de cette histoire.
Intervenir en alphabétisation c'est donc travailler dans le contexte d'un produit social global à la fois "forme" historique, sociale et culturelle et "contenu" idéologique assujettissant et intégrateur. Nous disons DANS LA LANGUE parce que nous voulons bien situer le champ de notre intervention qui s'insère donc à l'intérieur/dans la réalité de ce phénomène de société qu'est la langue. TRAVAILLER DANS LA LANGUE, c'est reconnaître cette nature globale de la langue, fonctionnelle, sociale et historique, c'est en tenir compte, en rendre compte et parfois tenter d'en dépasser les limites.
À la suite de cette prise de conscience de la langue comme fait social global, nous avons à travailler SUR cette matière en tant que contenu d'apprentissage comme tel. Intervenir en alphabétisation, c'est donc faire de la langue la substance même de notre travail. C'est donc faire en sorte de transmettre de façon adaptée et vivante, le code linguistique dans ses dimensions notionnelle et fonctionnelle. C'est aussi choisir QUEL niveau, quel degré, quelle variété de langage sera proposé à nos participants. C'est se retrouver devant l'option difficile entre une langue normative et une langue populaire puisant ses racines dans le quotidien des gens du quartier. TRAVAILLER SUR LA LANGUE constitue donc la dimension centrale de nos activités d'alphabétisation, (permettre l'apprentissage de la langue) mais sous-entend aussi que ce contenu d'apprentissage se doit d'être adapté 5 notre milieu d'apprentissage (des analphabètes, adultes, venant d'un quartier populaire de Montréal).
Notre intervention d'alphabétisation s'inscrit dans une troisième dimension soit le TRAVAIL PAR LA LANGUE. Ce dernier énoncée résume en fait la portée de notre approche globalisante d'éducation populaire. Car non seulement avons-nous choisi d'adopter une "méthode globale" d'apprentissage du code, mais avons-nous aussi choisi de dépasser,tout au long du processus, le contenu notionnel comme tel, pour permettre une réflexion critique et collective sur la langue même et sur la société. Ce volet de notre travail rend compte de notre souci d'éveiller la conscience de nos participants au "contexte", à l'environnement, au milieu. Intervenir en alphabétisation devient de cette façon un large processus de conscientisation individuelle et collective dont nous reconnaissons la pertinence et le bien fondé ailleurs dans ce rapport. (Cf chapitre sur la conscientisation).
Par le développement de ce TRAVAIL DANS/SUR/PAR LA LANGUE, nous voulons que s'opère pour les participants une démystification authentique, non seulement du code écrit mais de toute la langue en général. Nous voulons que les participants sachent "s'approprier" cette langue qui leur a paru si lointaine. Mais plus encore, nous souhaitons éveiller chez eux une faculté de CREATIVITE qui leur permette de donner libre cours à une expression de soi se matérialisant dans la communication, mais aussi dans les autres dimensions de la vie humaine.
C'est un peu pour vérifier la réalisation de cette intention que nous avons entrepris cette démarche de réflexion sur la langue, composante particulière de notre intervention en alphabétisation populaire. C'est pour aussi mieux asseoir nos orientations face aux contenus d'apprentissage et à notre approche d'animation. C'est enfin pour mieux cerner la complexité du phénomène de la langue, comme "produit social" particulièrement vis-à-vis de notre intervention auprès d'une clientèle analphabète.
Cette question de notre intervention en regard de la langue comme "contexte, contenu et moyen" d'apprentissage méritait un examen particulier dans le cadre du processus de recherche-action au Tour de Lire. Nous voulions tâter le pouls de notre pratique par rapport à cette unité théorique de notre approche pédagogique et confronter nos opinions sur les diverses dimensions de la langue telles que définies plus haut.
Nous avons donc recueilli auprès de chacun des animateurs(trices) les opinions, conceptions, idées, qu'ils se formaient de la langue en général, de même que des éléments d'information sur leur façon de travailler dans les ateliers SUR/DANS/PAR LA LANGUE. Cette cueillette fut faite avec chaque animateur individuellement puis fut assortie d'un premier débat sur la question à la lumière des premiers constats obtenus.
De cet examen, nous comptons jeter les bases d'une première démarche définissant nos positions et orientations par rapport à la langue comme phénomène fonctionnel, social et historique, comme contenu d'apprentissage et comme moyen global d'éducation populaire. Nous nous attarderons donc à déterminer nos éléments de réflexion et d'action communs et à souligner nos questionnements et nos incertitudes. Il ne s'agit donc pas ici d'établir notre "credo" de principe sur cette dimension puisque, selon nous, un débat large reste encore à faire. Toutefois, nous croyons que cet exercice nous permettra justement "d'apporter de l'eau au moulin" et contribuera à nourrir notre réflexion et nos orientations à venir. Soulignons aussi que tout au long de ce travail de réflexion sur la langue, nous avons pris soin de mettre en relief nos perceptions sur la problématique de l'analphabétisme. Ces observations nous permettront de mieux évaluer la situation des analphabètes dans notre société "lettrée".
Nous avons décidé de présenter ce chapitre selon chacun des trois volets définissant notre travail DANS/SUR/PAR LA LANGUE que nous avons présentés plus haut, de même que selon la perspective de l'appropriation de la langue/créativité" qui incarne l'objectif global de notre travail.
Il s'agit donc ici de relever l'essentiel des positions du collectif du Tour de Lire sur les divers aspects de ces volets et voir comment se reflètent ces positions dans le déroulement des ateliers comme tels.
(Le travail dans la langue).
Nous voulons cerner ici notre conception générale de la langue dans notre société selon trois dimensions ou trois "lunettes d'approche". Tout d'abord,en déterminant d'une façon fonctionnelle, la place, le rôle, la fonction que la langue tient, sous diverses formes, comme organe ou véhicule de communication.
Puis nous voulons nous attacher à soulever la dimension d'identification, d'intégration et de contrôle social que la langue engendre, bref sa participation à l'instance idéologique de toute formation sociale en tant que reflet des structures de classes. Enfin, nous désirons aussi relever l'importance que nous portons au développement de la langue dans le contexte historique québécois.
S'il est une caractéristique qui distingue l'homme des autres êtres vivants sur terre, c'est bien celle de l'utilisation du langage. Bien sur, d'autres espèces animales partagent entre les individus de ces espèces un code de communication, mais aucune n'atteint la compétence et la performance de l'homme à ce chapitre. Avec la faculté de créer des outils, le langage est probablement le produit le plus authentiquement humain. Si le langage et les langues sont humaines, on peut dire que l'homme est communication.
La langue, organe et véhicule de communication d'un groupe ethnique donné, incarne donc, dans un contexte socio-géographique déterminé, cette faculté humaine du langage qu'on peut décrire et isoler par une analyse détaillée de ses composantes structurelles. On reconnaît généralement qu'une langue comporte des unités de sens, de contenu, nécessaires à la compréhension du "signifié" dans un message donné: le lexique et la grammaire. Une langue est aussi formé d'éléments qui lui donne sa forme, son "signifiant": les "phonèmes" (en gros, les sons formés par l'utilisation des voyelles et des consonnes) ainsi que des traits "supra-segmentaux" comme l'intonation, l'accent, la durée, etc.
Voilà pour la linguistique. Toutefois, comme nous travaillons dans le champ de l'alphabétisation, nous avons voulu saisir, d'une façon souvent assez intuitive, quelles étaient nos perceptions des rôles particuliers que jouaient la langue selon les deux formes principales qu'elle revêt: la parole et l'écrit. Il nous semblait important de considérer la place et la qualité que nous accordions à ces deux formes du langage.
La parole est pour nous plus du domaine du spontané que l'écrit. C'est aussi la forme première du langage qui permet une expression plus libre, plus sensible (par le ton, l'intonation et souvent le gestuel) et plus intime des individus entre eux.
L'écrit connote davantage une impression de normatif car sa production est nécessairement régie par des règles plus strictes. Il devient de ce fait moins accessible spontanément mais permet, par contre, une organisation plus rationnelle de la pensée. C'est aussi avec l'écrit qu'on s'ouvre davantage sur le monde, par la lecture. De plus, l'écrit donne un caractère officiel aux choses (contrat, garantie).
Dans notre société actuelle qui connaît un élargissement massif de la diffusion des médias et une introduction poussée de l'informatique, on peut se demander si la parole et l'écrit ne sont pas voués à une certaine marginalisation. La position du collectif est quelque peu ambigüe sur ce point. On reconnaît le caractère oral des médias électroniques qui menacent de reléguer l'écrit aux oubliettes. Mais on croit tout de même que ce dernier persistera tout en demeurant l'apanage d'une certaine classe et d'un certain mode de gestion du social (la bureaucratie).
Les médias électroniques permettent une ouverture sur le monde qui n'était pas possible auparavant, mais le message est à sens unique: émission par des "élites" culturelles et réception passive pour le commun des mortels. De plus, on craint qu'ils contribuent à isoler les gens dans leurs milieux. "Les gens ne se parlent plus, ils écoutent la télévision".
Par ailleurs, la poussée de l'informatique inquiète puisqu'elle représente la naissance d'un nouveau langage qui ne sera accessible qu'aux initiés.
Il semble donc que le tableau soit quelque peu pessimiste quant à l'avenir des formes de communications traditionnelles. En fait, le collectif veut justement par son travail d'éducation populaire, contribuer à améliorer la faculté de communication des individus que ce soit par l'écrit ou par l'oral et freiner cette tendance à la marginalisation de ces deux formes d'expression.
Quant à la situation des analphabètes dans cette société lettrée et bientôt informatisée, c'en est une d'impuissance et d'inaccessibilité selon notre collectif. Les analphabètes éprouvent un sentiment de rejet par rapport à la langue écrite et aussi par rapport à la langue parlée.
Notre expérience nous a permis de constater ce sentiment d'incapacité, de blocage, voire de défaitisme qu'ils éprouvent par rapport à l'écrit. Ils sont dépendants des autres dans ce domaine. Ce qui entretient leur sentiment d'insécurité. C'est pour eux un monde inconnu; souvent ils ne voient pas ce qu'ils pourraient lire dans leur quotidien. C'est un autre univers, qu'on va peut-être dénigrer à l'occasion pour se donner une contenance.
Mais cette situation d'insécurité vis-à-vis l'écrit est vécue aussi par rapport à la parole. En fait, "ce sont des gens qui ne l'ont jamais pris" observe une animatrice du Tour de Lire. On rencontre beaucoup de participants qui ont des difficultés à s'exprimer à un plus ou moins grand degré. Ils ont souvent l'impression qu'ils parlent mal ou que leur opinion est sans valeur. Devant une personne d'un autre milieu, ils vont avoir tendance à se taire.
On voit donc qu'il y a tout un travail de construction à faire avec eux, non seulement au niveau de l'écrit mais aussi au niveau de la parole. Devant ce constat quelque peu sombre de leur situation, on peut se demander si notre intervention en alphabétisation réussit à briser ce mur d'isolement. Il semble que les observations à ce niveau soient beaucoup plus optimistes.
En soulevant le fait que le travail d'apprentissage de la langue au Tour de Lire est en fait beaucoup plus qu'un simple processus d'acquisition "fonctionnelle" mais une réappropriation globale de la langue, les animateurs ont enregistré de réels changements chez la plupart de nos participants. En effet, beaucoup ont amélioré leur élocution et leur confiance en eux. Des gens qui ne disaient jamais un mot au début des ateliers s'expriment maintenant sur une foule de sujets. Certains ont vu les effets de cette prise de conscience se répercuter dans leurs lieux de travail ou dans leur vie familiale. D'autres se sont découvert des intérêts dans la vie sociale ou communautaire et s'impliquent maintenant dans le quartier. On démystifie une foule de questions qui paraissaient hors de portée et on apprend avec le groupe à clarifier et exprimer son idée, à écouter et comprendre l'autre.
Nous reviendrons, de toutes façons, sur les acquis que notre travail permet, mais nous désirions conclure cette première partie sur la langue et son rôle fonctionnel dans notre société, par ce constat positif sur l'amélioration réelle de la faculté de communication chez nos participants.
Au delà de ce rôle fonctionnel d'organe et de véhicule de communication, il semble clair pour l'ensemble du collectif que la langue joue un rôle idéologique particulier dans notre société divisée en classes. En effet, on s'entend pour dire que la langue rend compte et participe à cette division de la société en classe par le pouvoir culturel qu'exerce la classe dominante sur les autres couches sociales, pouvoir qui se concrétise principalement par l'imposition d'une langue normative. Les élites culturelles parviennent ainsi à définir ce qui est bien et ce qui est mal au niveau de la langue et rappellent aux usagers de la langue que s'il y a des "niveaux de langage" c'est qu'ils correspondent à des classes de citoyens dans la société. La langue des intellectuels et des élites en place devient par l'imposition du normatif, inaccessible à la masse. Ce clivage est entretenu à l'école en particulier, qui devient un lieu de "violence symbolique" inadapté aux individus de la classe ouvrière. L'école devient donc un appareil idéologique de première force dans cet assujettissement des classes populaires, par son enseignement d'une langue, notamment, qui ne correspond pas à la langue parlée dans les milieux populaires.
Pour certains, la langue contribue, dans sa forme même, à reproduire la division de la société en classe ou selon les sexes. (Par l'usage de mots comme salai-re, cachet, honoraires, ou par les noms de professions qui ne comportent pas de féminin, par exemple).
Il semble donc qu'il est clair pour nous qu'il existe, en correspondance avec une classe dominante dans notre société, une langue et une culture dominantes qui contribuent à maintenir au pouvoir les élites en place. À notre époque, on avance que ce phénomène prend même plus d'ampleur par l'imposition d'une "culture de masse" introduite en particulier par les médias électroniques. On veut faire entrer tout le monde dans le même moule par l'inculcation de valeurs et de modèles propres à cette soi-disant "classe moyenne" inspirée de "l'American way of life". La famille est une de ces valeurs (un homme, une femme, deux enfants), le travail, la propriété privée et les habitudes de consommation en sont d'autres. Alors qu'à notre époque, il semble que nous vivons plutôt un fonctionnement évident de notre société selon une appartenance à divers groupes minoritaires (familles mono-parentales, assistés sociaux, jeunes, homosexuels, chômeurs, groupes ethniques, etc.), on continue donc de proposer un modèle qui ne correspond pas à notre quotidien. Par contre, ce modèle est probablement assez bien intégré et contribue à marginaliser toutes ces minorités qui composent en fait le gros de notre clientèle.
Nous en sommes venus à nous demander s'il existait encore une véritable culture populaire dans notre société moderne. Nous nous sommes quelque peu buté à cette question. Les caractéristiques et les valeurs de cette culture qui nous venaient à l'esprit avaient beaucoup plus un caractère folklorique et appartenaient davantage à la culture populaire de la société rurale d'avant 1940, qu'à notre société actuelle. (Chansons du terroir, recettes, coutumes, légendes, remèdes, etc.). La langue que nous attribuions à la classe populaire relevait essentielle-ment de la tradition orale. Tout en reconnaissant que cette langue continue d'exister dans sa coloration, son émotion et sa richesse, nous nous sommes vraiment rendus compte de nos lacunes par rapport à l'identification d'une véritable culture populaire actuelle. S'ouvre donc à nous un certain défi qui consistera à travers nos activités d'éducation à relever les indices de cette culture dans son expression moderne. Si nous voulons promouvoir cette culture et cette langue (comme nous en faisons le vœu un peu plus loin), il faut donc s'attacher à les définir et à mettre en relief les "manifestations culturelles" émanant de la classe populaire. Nous sommes convaincus que nous ferons avancer notre pratique à ce sujet et que les gens dans nos ateliers et dans nos activités hors atelier vont nous aider à rejoindre cette réalité.
Nous avons aussi voulu cerner l'environnement culturel des analphabètes dans ce contexte et la perception qu'ils avaient de la place qu'ils occupent dans la société.
En gros, nous abordons avec réticence l'idée d'identifier un environnement social et culturel spécifique aux analphabètes. Nous reconnaissons plutôt qu'ils s'intègrent aux couches sociales des milieux populaires dans les quartiers ouvriers principalement. Leur situation d'analphabètes est liée de très près aux conditions de vie de la classe populaire: manque d'argent, besoin de travailler, abandon de l'école où ils ne se reconnaissaient pas de toutes façons. Ils constituent souvent une banque toute fraîche de "cheap labour" pour les employeurs.
Leur perception d'eux-mêmes, empreintes des valeurs dominantes proposées, est souvent assez négative. Ils se voient impuissants et inutiles. Toutefois, beau-coup savent identifier leurs exploiteurs et sont conscients des injustices sociales.
Pour nous, il est clair que des qualités comme endurance, force, survie, sont véritablement appropriées pour décrire la faculté d'adaptation et l'ingéniosité dont les analphabètes doivent faire preuve pour réussir à "fonctionner" comme ils le font dans notre monde alphabétisé. Ils incarnent, par leur vécu, la vitalité et la volonté des masses populaires devant les contradictions sociales, particulièrement dans la conjoncture de crise actuelle.
Nous sommes donc conscients du pouvoir "symbolique" de la langue en tant qu'instrument de contrôle et de reproduction de la structure sociale. Devant cet état de fait, nous en sommes venus à nous interroger sur la façon dont nous "composions", en tant "qu'animateurs culturels" avec cette tendance intégratrice de la langue dans nos ateliers d'alphabétisation.
Depuis que nous intervenons au Tour de Lire, nous avons toujours voulu dépasser un simple apprentissage fonctionnel. Nous ne voulons pas, par exemple, devenir de simples agents réformistes permettant une "reclassification" de la main d'œuvre à bon marché. Nous ne voulons pas non plus reproduire une pédagogie scolaire et normative. Nous voulons remplacer le modèle professeur/étudiants et enrichir notre pédagogie d'une réflexion critique et d'un engagement revalorisant des participants au processus pédagogique.
Toutefois, nous savons que cette tendance régulatrice de la langue et du contexte pédagogique est difficile à combattre. C'est pourquoi nous avons défini, depuis quatre ans, les principes d'approche pédagogique (cf les chapitres sur notre approche d'animation et notre modèle de progression d'apprentissage) qui tiennent compte de l'appartenance de classe de nos participants et qui s'appuient sur une reconnaissance de la culture populaire.
À l'intérieur du processus d'apprentissage de la langue, nous nous attachons donc à nous départir de la manière didactique, à dépasser les règles normatives de la langue en montrant que souvent il existe plusieurs façons de dire ou d'écrire les choses à être conscient du contexte dans lequel s'inscrit la matière enseignée. À un niveau plus culturel, nous nous faisons un soin de combattre les stéréotypes et les préjugés en élargissant le plus possible la réflexion critique sur les va-leurs proposées par la culture de masse par exemple.
On décide aussi de ne pas bannir la langue populaire des ateliers et ce, même dans l'écrit. L'important pour nous est plutôt de montrer les alternatives; de présenter le normatif dans sa forme "préférée" mais aussi de laisser la place aux expressions populaires et de faire prendre conscience des différences.
Nous reviendrons plus loin sur la langue utilisée à l'intérieur des contenus d'apprentissage.
Par ailleurs, la langue témoigne aussi, par sa forme, du chemin historique que le peuple qui la parle a parcouru. L'avis général du collectif à propos de la langue parlée ici est qu'il s'agit du français. Nos ancêtres ont amené au Québec cette langue issue du vieux fond latin. Si elle présente aujourd'hui certaine différences avec le français parlé en France, c'est à cause de l'isolement relatif dans lequel nous nous sommes trouvés après la conquête. Notre langue reflète donc à plusieurs égards le parler coloré de ces colons du XVII et XVIIIe siècle qui sont venus s'établir ici. Elle contient aussi plusieurs emprunts aux langues amérindiennes ainsi qu'à l'anglais évidemment.
Notre attitude n'est pas nécessairement de condamner ces néologismes ou ces canadianismes. Nous les admettons dans les ateliers mais nous nous efforçons d'expliquer l'origine de l'introduction de ces mots dans la langue. Les participants démontrent d'ailleurs un intérêt pour ces questions historiques et géographiques.
Nous tenons donc à faire une place au français du Québec dans les ateliers. Nous essayons de relever les régionalismes qui apparaissent au hasard des exercices et des conversations (certains de nos participants viennent de l'extérieur de Montréal) car cet élément intéresse aussi beaucoup les gens.
Mais nous présentons aussi le français normatif. Nous constatons avec les participants les différences qui existent entre le français parlé et le français écrit. Il nous est même arrivé de faire de l'étymologie en atelier; Sur l'origine des noms des jours de la semaine et des mois de l'année, par exemple.
Bref, nous avons une attitude de souplesse et de réflexion critique par rapport à la langue que nous parlons ici et par rapport à la langue normative. Nous comprenons la distance qui existe entre les deux par les effets de l'histoire sur ces deux formes de français. Une est beaucoup plus une langue que l'usage,dans un contexte bien précis, a façonné; l'autre, est une langue normative, régie par l'Académie française depuis 1635, et qui reflète de ce fait, le pouvoir des élites aristocratiques (à l'époque), intellectuelles et bourgeoises (aujourd'hui), qui ont toujours défini le "bon usage".
Nous sommes sensibles à cette particularité du français (langue des intellectuels) et nous sommes portés à vouloir dépasser ces cadres un peu trop encombrants. Nous revendiquons spécialement en tant qu'intervenants en éducation populaire, le droit à une langue d'usage issue du peuple et des milieux vivants de la société. Nous croyons qu'en tant qu'usager d'une langue, nous avons aussi notre "mot à dire" dans son évolution. Si le français, au Québec comme ailleurs veut survivre, c'est par une réappropriation du langage par le peuple que cette survie sera rendue possible.
Place du code, des codes dans les contenus d'apprentissage
(Le travail sur la langue)
En situant la langue comme phénomène social global, nous avons déjà annoncé nos orientations quant à la langue que nous voulons utiliser à l'intérieur des contenus d'apprentissage.
Il est clair que nous devons reconnaître la langue normative, en particulier dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Intervenir en alphabétisation, c'est contribuer à l'amélioration de la qualité de la langue écrite. De plus, c'est un désir clairement exprimé par les participants que d'avoir accès à une langue écrite conforme "au bon usage".
Toutefois, notre approche veut refléter notre choix de faire place à une langue populaire proche de la réalité que vivent nos participants. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit, nous attachons beaucoup d'importance au contexte justifiant l'utilisation d'une forme de langage par rapport à une autre. Nous tenons donc à permettre un apprentissage "conscient" de la langue normative qui alloue un certain niveau de tolérance.
Cette question d'une certaine tolérance va conditionner notre attitude par rapport aux "fautes" de français que commettent les participants dans les apprentissages. Là encore, selon nous, tout dépend du contexte, du niveau de difficulté des participants et de "l'erreur" en cause.
On s'entend assez bien pour insister sur l'importance d'une bonne syntaxe dans la langue écrite comme dans la langue parlée. Sans s'attarder à donner des règles strictes de construction des phrases, nous insistons sur la clarté de la phrase construite afin que l'idée qui la sous-tend soit parfaitement compréhensible. Nous tentons d'amener les participants à se corriger eux-mêmes à ce niveau, en mettant en relief les éléments de la phrase qui nous semblent ambigus.
Pour l'orthographe, il semble qu'on soit plus tolérants, surtout, bien entendu, pour les participants de niveau complet. Notre approche globale de la pédagogie ne s'attarde pas à faire gober par cœur les règles d'accord des verbes, des noms et adjectifs, etc. À notre avis, c'est plus par la pratique même de l'écrit que cet apprentissage va se faire dans les faits.
Nous trouvons beaucoup plus important d'améliorer de façon large la faculté de communiquer des participants que de corriger leurs fautes d'orthographe. Il est sur que nous allons travailler avec eux certaines difficultés particulières mais nous tenons surtout à ce qu'ils parviennent à fonctionner dans l'écrit qui les entoure, et à ce qu'ils s'ouvrent vers le monde extérieur.
Dans la lecture, par exemple, avec nos participants de niveaux semi-fonctionnel et fonctionnel, nous travaillons beaucoup sur la compréhension de texte. C'est la un des éléments déclencheurs qui permettra d'introduire rapidement des habitudes de lecture gratifiantes.
Par ailleurs, dans l'ensemble, le collectif considère que les moyens, outils et activités d'apprentissage reflètent le choix qu'ils ont fait par rapport à la langue. Les exercices sont conçus en fonction de la langue normative et le contexte global de pédagogie dans lequel nous introduisons nos exercices rejoint notre souci de vouloir mettre en relief la culture populaire. Toutefois, il reste encore du travail à faire pour systématiser et uniformiser notre pratique dans ce sens. Une concertation des animateurs serait donc nécessaire afin de créer ensemble un programme d'activités permettant, grâce aux moyens et outils proposés, de mieux refléter notre approche consciente de la langue à travers les apprentissages. C'est sûrement une avenue à explorer.
(Le travail par la Langue)
Comme nous l'avons présenté au début de ce chapitre, nous entendons par approche globale, non seulement notre méthode pédagogique utilisée, mais aussi dans un sens plus large, un processus global d'apprentissage privilégiant au-delà de la matière enseignée, le contexte dans lequel s'inscrit cette matière, donc une réflexion sur la langue même et sur la société.
Ce troisième volet définissant notre intervention dans/sur/par la langue a, aussi, été quelque peu annoncé dans les deux volets précédents.
D'une part, la méthode d'approche globale proprement dite nous permet un apprentissage "en contexte". Elle dépasse l'apprentissage bancaire et répétitif de syllabes et de mots sans signification et prétend plutôt faire saisir les interrelations qui existent entre les syllabes pour former des mots, entre les mots pour former des phrases, entre les phrases pour former un texte significatif. Elle encourage aussi le transfert de notions acquises dans le contexte d'un exercice particulier à un autre contexte. Dans ce sens, elle permet un apprentissage de la langue englobant donc, à la fois, les règles de formation des syllabes, des mots et des phrases, de même que le sens que ces syllabes, mots et phrases prennent quand on les met ensemble.
D'autre part, par notre travail de la langue, nous voulons dépasser un apprentissage simplement "fonctionnel" pour atteindre des objectifs de réflexion critique et de vie de groupe que seule notre approche globale, au sens large, permet d'obtenir.
Dans ce travail par la langue nous avons jusqu'ici atteint ces objectifs jusqu'à un certain point. Avec l'utilisation des thèmes, des discussions d'atelier, d'exercices dont le contenu se rapporte directement au quotidien des participants, par des travaux de recherche sur des sujets d'actualité, par nos évaluations d'atelier, nous pouvons dire que nous sommes sur la bonne voie vers un apprentissage global par la langue qui mène non seulement à l'acquisition du code, mais aussi à une prise de conscience de soi, des autres et du milieu qui contribue à enrichir la "faculté de communication" de nos participants.
Nous avons creusé ces questions de la conscientisation et de la vie de groupe dans le chapitre sur les progressions d'apprentissage. Toutefois dans le cadre de ce chapitre on peut affirmer qu'il est clair que notre façon de travailler permet cette "remise en contexte" de l'apprentissage et une réflexion critique sur nos vies et divers phénomènes de société qui nous touchent de près (monde du travail, chômage, alimentation/épicerie, sexisme, publicité, transports, etc.).
Toutefois, nous avons jusqu'ici avancé un objectif de réflexion sur la langue même comme fait social qui compléterait cette ouverture sur le monde amenée par notre approche globale d'apprentissage. Il y a eu quelques amorces de réflexion dans ce sens (sexisme des noms de profession, étymologie de certains mots, réflexion sur le bon usage de telle ou telle expression), mais cette réflexion est encore assez superficielle. En fait, au-delà de notre intention de vouloir proposer der alternatives "populaires" au français normatif dans les ateliers, nous n'avons pas véritablement amené une réflexion sur les questions mêmes de bon usage, ou d'histoire de la langue, par exemple. Il faut dire que ce sont là des sujets assez "intellectuels" et que notre propre réflexion n'était pas très avancée. Cette présente étape de la recherche veut justement combler un tant soit peu nos lacunes à ce sujet.
L'objectif de base de notre intervention dans/sur/par la langue est de permettre une réelle démystification de la langue comme moyen de communication oral et écrit. Nous voulons aussi, en accord avec notre orientation sur la langue et la culture populaires, favoriser une faculté d'appropriation et de créativité qui, dans la problématique de l'analphabétisme, permette enfin aux participants de prendre consciemment la parole -et le crayon- pour parvenir à s'exprimer pleinement.
Nous croyons que, par notre approche globale d'apprentissage et notre souci de coller aux réalités de notre clientèle, nous parvenons, dans une certaine mesure, à rencontrer ces objectifs.
Nous avons côtoyé dans nos ateliers des gens qui n'avaient jamais lu ou écrit, des gens qui s'exprimaient avec difficultés, des gens qui étaient isolés socialement et qui ont appris à prendre conscience d'eux-mêmes et de leurs possibilités. Ils se sont mis à réfléchir et discuter ensemble au fil des ateliers, ils ont appris à exprimer oralement et par écrits des phrases complètes voire des textes entiers, ils ont lu et compris des phrases et des textes de fond significatifs.
Pour beaucoup, l'écrit était une dimension inaccessible qu'ils ont lentement apprivoisée. Il est certain que certains résultats individuels sont parfois très lents, mais même dans ces cas, on ne peut que constater une réelle amélioration de la faculté de communication pour ces participants.
Ces acquis, nous les avons obtenus en réussissant à sortir, jusqu'à un certain point, du modèle scolaire. Il est clair que l'animateur est encore "l'élément actif" dans les ateliers, mais on peut affirmer que nous nous acheminons de plus en plus vers un mode d'animation où le collégialité et le partage des savoirs et des expériences sont pleinement vécus (cf chapitres sur notre approche d'animation et chapitre sur la progression d'apprentissage). D'ailleurs, bon nombre de nos participants n'auraient jamais "fonctionné" dans un modèle de type scolaire et ils sont bien conscients de ce fait.
Par contre, nos efforts doivent converger pour continuer dans cette direction puisqu'elle semble apporter des résultats prometteurs. Notre objectif de créativité en particulier, se doit d'être mieux systématisé et concrétisé par des activités, empruntant dans leur mode d'application à la "pédagogie du projet, par exemple. L'expérience de la session de printemps 1983 est, pour nous, assez éloquente dans ce sens.
Le principal vœu que le collectif semble exprimer à ce niveau, semble surtout porter sur un souci de se doter, au-delà des principes et des orientations, d'une approche pédagogique concrète propre à faire valoir pleinement nos objectifs de travail dans/sur/par la langue. La création concertée d'outils, moyens pédagogiques et un mode unifié d'application de ces outils permet-trait une concrétisation systématique de ces beaux principes de même qu'un mode d'évaluation/confrontation de notre pratique plus efficace.
C'est probablement la tâche qui nous attend après la présente étape de recherche-action au Tour de Lire, tâche qui réaliserait par une production et une application concrète, les acquis de nos prises de positions et de notre pratique relevés dans les deux premières étapes de la recherche.
Nous avons cru utile, comme préalable à l'étude de notre approche d'animation, de nous rappeler les éléments qui nous ont amené il y a déjà quelques temps à faire un choix d'approches spécifiques, à identifier des qualités à notre animation. Il nous semble utile aussi de refaire ensemble le tour des concepts (dans leur définition) sur lesquels nous nous sommes appuyés jusqu'ici. Ce qui nous permettra d'une part de vérifier l'adéquation/correspondance de notre pratique à ces concepts, leurs limites (les "situations limites") et contradictions; d'autre part de vérifier se ces concepts correspondent toujours à notre vision (animateurs/tri ces et participants/es) de ce qui est applicable et réaliste, si nous sommes toujours d'accord et ce que nous voudrions bifer/ajuster/ajouter.
Soulignons tout d'abord le CHEMINEMENT nous ayant permis d'identifier nos champs d'intervention, nos positions sur le travail d'alpha, les principes qui découlent de ces positions et qui donnent assises à notre approche d'animation pédagogique.
3 Champs d'intervention/action dans le travail d'alphabétisation
T. Apprentissage/acquisition/contrôle de la langue, du code.
2. Le groupe, un apprentissage en soi.
3. Développement de l'attitude critique, de la réflexion/action consciente.
1. Le travail d'alpha ne se limite pas à l'acquisition du code
Connaissant mieux la problématique, les causes/effets de l'analphabétisme, son origine/impact social/économique/culturel, nous disons que nous devons AGIR AUTANT SUR LES CAUSES QUE LES EFFETS; ce qui nous mène/oblige à élargir notre intervention aux 3 champs ci-haut mentionnés.
Les buts visés:
2. Le travail d'alpha n'est pas neutre - il doit être conscientisant/critique
Il doit pouvoir donner libre cours au(x) questionnement(s), au partage/ confrontation d'idées, d'opinions, aux remises en question de modèles/ va-leurs/jugements. Le travail d'alpha peut alors devenir le lieu du "procès" de la connaissance infuse/verticale/bancaire/intégratrice/contrôlante et déboucher sur la connaissance diffuse/horizontale/créatrice/générative/ libérante (libératrice).
3. L'intervention d'alpha-conscientisation doit être faite dans un contexte d'éducation populaire.
Elle s'appuie donc sur la reconnaissance/réappropriation/édification d'une CULTURE POPULAIRE et d'une LANGUE POPULAIRE. Elle est un lieu d'information, de ressources sur nos droits et la nécessité de s'organiser individuellement/collectivement pour les revendiquer. L'intervention n'est donc pas seulement dans le cadre des ateliers mais aussi dans d'autres activités/lieux. Ouverture au milieu, au monde; nouvelles lectures du quotidien, de la réalité.
4. Les méthodes pédagogiques utilisées doivent permettre/être au service/prolonger l'acquisition/ réflexion / interaction / action des 3 champs d'intervention
Donc, choix d'une méthode "globalisante" mixte autant sur la langue, le code que sur les autres aspects (dans le sens de: on part du général pour déboucher sur le particulier et retourner au général).
5. Enfin, en terme de projection, un choix que nous sommes à formuler / façonner / structurer
L'idée de la cogestion (équipe TDL - participants) menant à l'autogestion des apprentissages, des moyens, des ressources, des lieux. (à vérifier/évaluer entre utopie et réalité).
Le travail d'alpha pourra alors être acte/action de pouvoir (individuel et collectif) permettant de passer de la dimension des "savoirs" à celle des "pouvoirs": pouvoir lire/écrire + pouvoir dire + pouvoir faire = pouvoir être.
Donc, une lutte de reconnaissance/réappropriation/construction du droit à l'existence - à l'expression - à l'expérience.
Se reconnaître capables de prendre (de) la place et ainsi briser les chaînes de dépendances (hontes, gênes, culpabilité, marginalisations, minorisations, individualisation, aculturation).
Notre approche d'animation, ses principes, leur définition
L'approche (en animation) que nous choisissons en conséquence se doit de permettre:
Nous pouvons donc identifier un certain nombre de qualités à cette approche. Qualités pouvant être organisées en quelques PRINCIPES que nous tentons d'appliquer quand nous intervenons dans les ateliers et hors atelier.
Premier principe: une approche qui soit en toute occasion pédagogique
C'est une animation qui réfléchit continuellement sur ses intentions "d'apprendre à apprendre" à partir de tous les éléments/événements qui existent/ se présentent dans le groupe d'apprentissage. C'est une animation qui conçoit chacun de ces éléments comme matière à consolider, étendre et "connecter" la connaissance, l'appropriation et l'expérience. C'est une animation qui se préoccupe au-tant de l'acquisition que de la manière dont cette acquisition se réalise. Elle n'est plus seulement une manière, un ensemble de techniques variées et variables à utiliser selon les circonstances et le bon jugement de l'animateur/trice responsable mais plutôt un instrument qui permet à tous/tes de comprendre et d'intégrer le cheminement par lequel ils/elles apprennent. En cela, notre animation s'appuie sur des principes pédagogiques qui impliquent l'identification d'objectifs, la planification d'activités et de moyens, la discussion, l'évaluation critique d'une part au sein de l'équipe des animateurs/trices et d'autre part avec le groupe de participants/es impliqués/es dans le projet d'apprentissage.
C'est donc une approche d'animation qui se préoccupe d'être comprise, discutable, malléable, adaptable, qui n'est donc plus que de l'ordre du spontané, qui n'appartient plus seulement qu'a l'animateur mais aussi au groupe et à chacun de ses membres comme un instrument devant permettre la bonification en tout état de conscience de la démarche qui organise l'apprentissage.
Deuxième principe: une approche qui soit dynamique
Principe frère du précédent, l'approche DYNAMIQUE nous réfère non pas à une approche de type psycho-sociale de la vie des groupes mais bien à une meilleure appréhension/compréhension de l'organisation et du devenir ainsi que des freins et limites du groupe vu comme lieu d'apprentissage, de développement et d'expérience collective (mais aussi individuelle, personnelle). Une approche qui vise le DYNAMISME DANS L'INTERACTION ET L'ACTION. Une approche qui s'oppose au statisme et au directivisme, à la programmation verticale; qui préconise plutôt la variété, la pluridisciplinarité dans la planification, la réalisation des activités et l'expression, la découverte, la créativité pour tous ceux/celles (animateurs et participants) qui sont impliqués dans l'action d'apprendre.
Dynamique aussi dans le sens qu'elle doit se débarrasser de tout caractère scolaire, de toute rigidité, de tout rapport autoritaire propres à scléroser et bloquer les gens dans leur passage d'état d'objets à celui de sujets réfléchissant, influant et agissant sur leur réalité et celle de leur entourage, de leur milieu de vie. C'est une approche qui autorise, qui propose plutôt le droit de proposer, de se concerter sur la décision à prendre, la nécessité de la participation et de la responsabilité personnelle et collective, la nécessité de la coopération et du partage dans la tâche.
L'approche dynamique ainsi déployée présuppose que les gens ont des motivations à vouloir changer/transformer leur manière d'être et de penser, qu'ils acceptent l'aventure de l'implication dans un tel contexte et qu'ils puissent se voir comme des participants/animateurs acteurs de leur propre développement à travers des apprentissages diversifiés. Ces conditions doivent nécessairement être retenues au moment de l'accueil et de la formation des groupes d'apprentissage (incidemment au cours des activités de pré-alpha), puis développées dans les premiers ateliers pour que nous puissions parler de l'existence d'une animation véritablement chargée de dynamisme.
Troisième principe: une approche qui soit globalisante
Comme nous l'avons exprimé plus haut dans notre prise de position, nous croyons que l'intervention alpha ne se limite pas au simple travail sur l'acquisition/contrôle du code linguistique et de ses règles. Il importe d'une part de travailler avec les gens sur les causes et les effets de l'état d'analphabétisme et d'autre part de débattre/construire/développer une (des) alternative(s) à cet état. Nous orientons ainsi notre intention dans une perspective de changement devant mener:
En conséquence notre approche d'animation se doit d'être GLOBALISANTE dans le sens qu'elle doit intégrer continuellement et en symbiose dans son déroule-ment et son application les 3 dimensions (ou champs) d'intervention mentionnés au point II. Elle doit aussi se préoccuper d'amener et de développer des conte-nus et contenants diversifiés, de l'ordre du général, et tenter de les aborder de façon globale. C'est une approche qui part du général pour aller vers le particulier, la partie, l'élément et qui retourne au tout, à l'ensemble, au général, après traitement/étude/apprentissage, autant dans le travail sur le code, nous le verrons plus loin, que sur les autres dimensions d'apprentissage. Ce qui s'oppose à un traitement à part, partie par partie, notion par notion, difficulté par difficulté et découpé dans le temps et les moments (progression linéaire).
Certains instruments, moyens ou méthodes facilitent l'application de ce principe de globalisation tels
Nous en sommes d'ailleurs à découvrir/expérimenter que le "pédagogie du projet" pourrait être le lieu, la méthode, l'avenue pour que se concrétise cette vision globalisante de l'apprentissage. Elle pourrait être le chemin pour briser/solutionner les limites/contraintes et problèmes rencontrés actuellement dans nos tentatives communes d'appliquer d'une part les principes d'animation en cohérence avec nos positions à propos du travail d'alpha et, d'autre part, nos difficultés à concilier la nécessité somme toute primordiale, prioritaire, déterminante du travail sur l'acquisition/contrôle de la langue écrite/lue et nos préoccupations à intervenir sur les faits et conditionnements qui font en sorte qu'existe et se reproduit l'analphabétisme social, culturel et bien sur linguistique. L'expérience de la session de printemps constitue pour nous une piste sûre et riche en enseignements et possibles. Nous y reviendrons dans le chapitre sur la pédagogie et les contenus d'apprentissage.
Quatrième principe: une approche qui soit dialogique
Le modèle d'intervention que FREIRE a pu développer au cours des campagnes d'éducation populaire menées en Amérique du Sud mais surtout l'idéologie, la pensée de FREIRE nous ont jusqu'ici beaucoup influencés et fouettés dans notre façon d'intervenir et dans nos attitudes à travers le travail d'alphabétisation. Quoique nous n'ayons jamais appliqué dans son ensemble ce modèle, il reste que quantité d'éléments et de moyens autant que d'attitudes à développer (pour soi-même en tant qu'animateur/formateur) et à "transférer" aux participants ont été retenus dans notre pratique d'animation d'atelier. Ses réflexions et positions sur l'éducation, la manière d'apprendre et les conditions pour qu'il y ait changement culturel (sans négliger le social, le politique et l'économique) nous ont appris à nous questionner sur notre propre pratique et sur les intérêts ou objectifs que nous poursuivions en tant qu'animateurs/tri ces ou éducateurs/tri ces responsables. Ce "procès" a été de nature à faire que nous avons senti la nécessité de clarifier notre orientation et nos choix/positions face à l'idée de culture populaire, à la réappropriation individuelle et collective des savoirs et des pouvoirs pour/par les gens (analphabètes), à la possibilité de renverser le rapport d'autorité et les rôles dominant/dominé dans le processus de l'acquisition de connaissances. Sa conception de l'animation et de la pédagogie populaire nous a permis aussi d'introduire dans notre pratique les principes de globalisation, de dialogue, de dynamisme et commode bien entendu, nous ont confirmé dans notre choix de faire de l'alphabétisation-conscientisation un terrain, un moment où s'analyse, s'exerce, se développe et se propulse la "pratique de la liberté" et de l'autonomie, de la responsabilité, de la solidarité.
Résumons donc ici ce que nous avons retenu de cette approche dans notre pratique d'animation:
1. L'animateur n'est pas un "maître savant" devant des "élèves ignorants" mais un membre à part entière, un participant au groupe. Il a des responsabilités et tâches précises face à ce groupe. Il a à apprendre de la réalité des gens, il est aussi un apprenant.
2. Les moments d'apprentissage sont vus comme des temps privilégies pour établir/rétablir l'expression, l'échange, la confrontation des idées, opinions, convictions et questionnements dans un climat d'ouverture, d'écoute et de respect qui soit propre à faire avancer/se développer la ré-flexion, la pensée. Le dialogue franc et critique doit pouvoir s'établir et être la source d'acquisitions, d'apprentissages. Il doit générer les thèmes sur lesquels nous allons apprendre ensembles. C'est le lieu de l'apprentissage DU DROIT À SA PAROLE.
3. Les groupes d'apprentissage doivent être vus non comme des "classes" mais bien comme des collectifs où les énergies/ressources sont mises en commun, où il y a nécessaire partage des responsabilités vers la réalisation d'objectifs ou projets qui sont communs à ce collectif, aux individus qui le composent. Ce sont des lieux de communication, de coopération et de solidarité, des lieux aussi de développement où l'organisation est collective et l'autorité partagée.
4. L'action dialogique se propose de faire la synthèse culturelle, de rétablir le lien, l'unité dialectique entre des éléments/concepts qui sont souvent mis en opposition, en contradiction. Elle propose aussi des ruptures.
Les unités à rétablir:
- théorie/pratique
- réflexion/action
- conscience/réalité
- savoir/pouvoir
- général/particulier – sujet/objet
- pensée/être
Les ruptures:
- passage de la pensée magique à une pensée capable de réalisme concret.
- passage de l'état d'OBJET (subissant, passif) à l'état de SUJET (agissant, actif).
- briser la relation enseignant/enseigné dont l'axiome est maître-savant/élève-ignorant.
- développement d'une éducation libératrice s'opposant à une éducation bancaire.
5. Le dialogue et la coopération sont les éléments de l'action culturelle qui, d'une part, sont à l'origine et, d'autre part, permettent l'éclosion d'un projet concret, le développement d'une conscience critique individuel-le/collective apte à agir, à transformer, à créer sa propre culture, son propre milieu. L'action dialogique n'est donc en soi jamais neutre et nécessite que l'on définisse une orientation, des buts, un contenu à notre action d'apprentissage.
6. Mais il est des risques, des limites à trop vouloir réaliser l'idéal dia-logique. On risque que notre intervention tombe dans le spontanéisme à outrance et l'activisme à force de trop de souplesse, d'ouverture, de non-directivisme. Ou alors on glisse vers l'autoritarisme en imposant nos propres conditions, rythmes et contenus à force de trop vouloir que l'idéal de la communication, de la prise de parole et de l'action créatrice se réalise. Deux mises en garde s'imposent donc. La première vise à s'assurer que les gens qui font partie d'un collectif voient, comprennent et adhèrent au projet proposé par l'animateur et/ou le groupe; que ça corresponde non seulement aux besoins exprimés mais aussi aux attentes quant aux contenus, moyens de le réaliser/développer et aux objectifs, résultats, habiletés que les gens visent en participant à de telles activités.
Dans notre cas, il est clair que les gens ont des attentes précises quant au développement de leur capacité à comprendre/s'exprimer par la lecture et l'écriture.
La seconde mise en garde a trait aux limites objectives de ce rapport dialogique. Il faut tenir compte du contexte spécifique de l'analphabète ici (individualisation - culpabilisation - marginalisation - perte de confiance - etc.), du chemin, des étapes, parfois longues, ardues, syncopées, inégales, qu'un individu, un groupe ont à franchir avant d'atteindre les performances et les résultats que nous escomptons d'eux. Il faut une fois de plus relativiser nos propres attentes et, nous aussi, nous mettre à l'action dialogique c'est-à-dire s'intégrer véritablement à un groupe, en faire partie, ne pas déterminer au préalable ce qui est bon ou non pour ce groupe. Il faut surtout ne pas abdiquer face aux responsabilités qui nous incombent quand notre rôle est de faire en sorte que le dialogue s'établisse entre les gens, entre nous, et qu'un projet d'apprentissage se réalise selon les attentes, besoins et découvertes progressives de ces derniers. Il faut aussi tenir compte du contexte, du milieu dans lequel on intervient, ses conditions, ses enjeux, reconnaître les rapports de force et les contradictions qui le traversent et le caractérisent, tout en identifiant et évaluant les ressources et moyens somme toute assez limités, dans le contexte actuel, pour parvenir aux objectifs que nous nous fixons, animateurs/trices et participants/es.
Cinquième principe: une approche qui soit critique/analytique:
Sur le chemin de la conscience, il y a émission et confrontation d'idées, d'opinions. Il y a aussi des actions, des productions, des réalisations. Une approche d'animation qui se veut cohérente à des principes de réalisme, de dialogue, de coopération, de développement dans un cadre progressiste se doit donc de se regarder aller, de s'évaluer. Toute démarche entreprise, toute action posée est donc sujette à être revue, analysée, critiquée par tous/tes ceux/celles qui y sont impliqués/es. Il n'est pas question de jugé pour juger tout comme dans le dialogue il n'est pas simplement question de jaser pour dire qu'on a jasé... Divers lieux et moments sont possibles pour exercer ce retour évaluatif: fin d'un atelier, fin de session, collectif des ateliers, collectif des animateurs, bilans.
Ce retour critique continu porte non seulement sur les résultats mais aussi sur le processus et les moyens mis en place pour atteindre ce résultat, les conditions et le climat dans lequel une réalisation s'est déroulée et la responsabilité/participation/implication des divers acteurs, qu'ils soient participants/es ou animateurs/trices. Elle vise non seulement l'expression des opinions, des points de vue mais aussi la prise de conscience et la prise en charge de ces réalisations, de ce cheminement et des moyens pris en vue de leur atteinte. Il cherche aussi à identifier les acquis ainsi que les problèmes rencontrés afin d'y trouver des solutions pour l'avenir.
Mais pour qu'une approche d'animation soit véritablement critique/analytique, il ne s'agit pas simplement que les acteurs soumettent leur pratique et réalisations à un retour évaluatif continu. Ce que nous entendons par cela c'est que notre animation des moments d'apprentissage et de réalisation doit être constamment soucieuse de l'activité d'analyse. Elle doit développer justement les aptitudes à une pensée qui soit critique/analytique, qui questionne, interroge, fouille, farfouille, qui ne se contente pas d'états ou de réponses toutes faites autant en ce qui concerne les apprentissages concrets de la langue que lors des débats et discussions qui ont cours dans les ateliers ou hors atelier. Ainsi tous ceux et celles qui entreprennent ensemble une démarche d'apprentissage n'apprennent pas qu'à utiliser l'écriture et la lecture mais ils/elles se dotent eux-mêmes d'outils intellectuels qui leur/nous permettent de mieux appréhender leur/notre réalité et d'être plus en mesure d'agir avec plus d'assurance, de conviction, de sûreté pour la transformer. Ils/elles affinent ou affirment leur esprit, leur conscience critique par la pratique continue d'analyse et ainsi dépassent la simple acquisition de savoirs, car ces savoirs deviennent alors des instruments de développement et d'appropriation de pouvoirs individuels et collectifs qu'ils ne se reconnaissaient pas auparavant.
C'est donc cet ensemble de principes dont nous avons voulu vérifier l'application à l'intérieur de notre approche d'animation. Pour ce faire, nous avons convenu d'évaluer quatre types "d'activités" d'apprentissage à l'intérieur des ateliers et observer quelle correspondance il y avait entre celles-ci et nos principes d'animation. Nous avons procédé par entrevue avec les animateurs (trices) du collectif du Tour de Lire leur demandant de relater dans le détail les différents moments 1° du déroulement du programme de la dernière session d'apprentissage (hiver 1983), 2° du déroulement d'un atelier-type, 3° du déroulement des activités à l'intérieur d'un thème et 4° du déroule-ment d'un apprentissage à partir d'un moyen-outil.
Nous avons tenté de relever le rôle que chacun, animateur, personne-support, participants ont joué à chacune des étapes de ces activités, choix, conception/ préparation, réalisation, évaluation. Nous avons aussi considéré l'adéquation de notre animation avec objectifs d'apprentissage, de vie de groupe et de conscientisation. (Cf schéma d'entrevue, annexe III).
Munis de ces renseignements, nous croyons que nous pouvons déterminer la correspondance globale de notre approche d'animation avec nos principes d'animation que nous venons d'exposer.
Pour procéder à l'analyse des observations que nous avons recueillies, nous nous proposons de relever chacun des éléments d'analyse de façon globale. C'est ainsi que nous relèverons nos commentaires sur le déroulement des activités, le rôle des individus impliqués, l'adéquation à nos objectifs d'apprentissage, de vie de groupe, de conscientisation, de même qu'a nos principes d'animation, pour l'ensemble des activités évaluées.
À titre indicatif seulement, nous présenterons sous forme de tableaux, un exemple tiré de la pratique concrète d'un atelier particulier, pour chacun des types d'activités répertoriées: le programme d'une session, un atelier-type, le déroulement d'un thème et l'utilisation d'un outil. Toutefois, les observations que nous apporterons sont issues de l'analyse de l'ensemble des entre-vues et complètent donc les données présentées dans les tableaux.
Nous croyons que cette analyse nous permettra d'éclairer par la pratique les acquis de notre approche d'animation et nous guidera vers une redéfinition de cette approche et une application plus systématique des principes auxquels nous souscrivons.
Tableau 1 - Approche d'animation
Activité: "un atelier type" | Atelier niveau semi-fonctionnel et fonctionnel hiver 1983 |
Déroulement de l'activité |
|
Choix |
Ordre du jour préparé par l'animatrice. |
Conception/préparation |
L'animatrice avec la collaboration de l'autre animatrice. |
Réalisation |
Ordre du jour adopté par tous. Correction des travaux à domicile, apprentissage principal, questions, correction, apprentissage secondaire. |
Ajustements |
En général, l'atelier est réalisé mais des réaménagements ont eu lieu quelques fois. |
Évaluation |
L'évaluation est animée tantôt par l'animatrice, tantôt par un participant. Important pour la vie de groupe. Permet de réajuster l'animation. Mais souvent les vrais commentaires viennent après l'atelier de façon informelle. |
Rôle |
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Animatrice |
Préparation, conception, réalisation, évaluation. |
Participants |
Peu de participation à la préparation des ateliers. |
L'activité rencontre-t-elle les objectifs |
|
D'apprentissage |
Préparation plus systématique depuis que ça se fait en équipe. |
Vie de groupe |
Entraide travail d'équipe, échange des savoirs, des expériences. |
Conscientisation |
Avec les thèmes, métiers, publicité sexiste |
Adéquation à nos principes d'animation |
|
Pédagogique |
Préparation plus efficace depuis qu'on travaille en équipe d'atelier. |
Dynamique |
La dynamique du groupe est peu installée véritablement. |
Globalisante |
Variété des apprentissages. Apport des thèmes qui ouvrent sur le milieu. |
Dialogique |
Participants pas assez impliqués dans la préparation d'atelier et dans l'animation/réalisation du contenu. |
Critique/analytique |
Les évaluations permettent de se forger une opinion mais il faut combattre des préjugés; "quand on critique, on est critiqueux." |
Tableau 2 - Approche d'animation
Activité: Outil/moyen "le menu" | Atelier niveau complet hiver 1983 |
"Déroulement de l'activité" |
|
Choix |
Les participants ont donné la suggestion. |
Conception/préparation |
L'animateur a conçu le menu comme tel et prépare le local (mise en situation : restaurant). |
Réalisation |
Participation très bonne de tous. Lire le menu,prendre les commandes,faire la lecture,additionner le total (plus taxe),faire un chèque. À l'intérieur d'une mise en situation d'un jeu de rôles. |
Ajustements |
NIL |
Évaluation |
Beaucoup d'apprentissages fonctionnels, les gens ont apprécié le climat. |
Rôles |
|
Animateurs (trices) |
Très présents, conception, préparation, animation. |
Support |
? |
Participants(es) |
Leur suggestion, implication, expression de soi, intérêt, humour, lire, écrire, compter, chèque, jeu de rôle. |
L'activité rencontre-t-elle les objectifs |
|
D'apprentissage |
En continuité avec le thème épicerie, lire,écrire, compter, chèque, menu. |
Vie de groupe |
Mise en situation,jeu de rôles,attendre le tour de chacun. |
Conscientisation |
Au restaurant ça coûte plus cher. |
Adéquation à nos principes d'animation |
|
Pédagogique |
A permis plusieurs apprentissages. |
Dynamique |
A conservé l'intérêt dans un cadre original. |
Globalisante |
Emprunte à situation quotidienne. Permet variété d'apprentissages. Mais aspects vie de groupe et conscience plus faibles. |
Dialogique |
Suit la suggestion des participants,sort d'un cadre "scolaire" par la mise en situation. Toutefois discussion, échanges plus faibles. |
Critique/analytique |
Faible. |
Tableau 3 - Approche d'animation
Activité: Thème "la publicité sexiste" | Atelier niveau semi-fonctionnel et fonctionnel hiver 1983 |
Déroulement de l'activité |
|
Choix |
Par les deux animatrices des ateliers SF/F dans le but de se donner un thème commun. |
Conception/préparation |
Plusieurs dimensions sur la publicité ont été proposées aux part, mais ils n'ont pu se faire une idée. Les animatrices ont préparé les activités et les outils. La personne support et les part, ont apporté des images publicitaires. |
Réalisation |
Enclenchement difficile. Blocage au début. Importance de les guider dans les exercices. Rythme rapide. scrapbook, interpréter images,questions-réponses, texte collectif. |
Ajustements |
Au début,incompréhension,2eatelier,l'animatrice propose un canevas pour l'exercice d'interp. d'images pub] |
Évaluation |
A permis les réajustements. Permet de questionner le rythme et la difficulté des exercices. |
Rôles |
|
Animateur (trice) |
Influence prépondérante. Choix,conception,préparation du matériel,des exercices. Guide les exercices. Vu le manque d'outils existants sur le thème, l'animation était très importante. |
Support |
Collabore à amener du matériel. Rôle surtout au niveau de l'évaluation. Son jugement critique favorise celui des autres. |
Participants |
Expression,entraide,organisation,partage des savoir. Ont su exprimer leur mécontentement. Correspondance au vécu. |
L'activité rencontre-t-elle les objectifs |
|
D'apprentissage? |
Organisation de la phrase, les liens entre les phrases Sons "ouille, oeil, ille". Accord des verbes. scrapbook et exercices. |
Vie de groupe? |
A permis l'entraide. A renforci la connivence. Échange sur les problèmes de la condition des femmes. |
De conscientisation? |
Décortiquer une image (les valeurs,les méthodes,les trucs utilisés). Le sexisme dans le langage, dans nos vies quotidiennes. Quoi faire pour changer ça. |
Adéquation à nos principes d'animation |
|
Pédagogique |
A permis plusieurs apprentissages. |
Dynamique |
Touche un sujet d'actualité qui recoupe le quotidien. Animation efficace. |
Globalisante |
Part d'un problème précis (publ. sexiste) pour déboucher sur le général (le sexisme) et revenir au quotidien (dans nos vies). |
Dialogique |
Rythme trop imposé. Réajustements bénéfiques. Focus sur sujet d'actualité qui touche le quotidien. |
Critique/Analytique |
Permet prise de conscience des valeurs imposées Discussions/échanges avec les autres participants. Quoi faire pour changer ça, dans nos vies? |
Tableau 4 - Approche d'animation
Activité: Déroulement d'une session | Atelier niveau semi-complet hiver 1983 |
Déroulement de l'activité |
|
Choix |
Les participants ont suggéré les thèmes et certains contenus d'apprentissage. |
Conception/Préparation |
L'animatrice s'est inspirée des suggestions pour bâtir le programme et le matériel. |
Réalisation |
En général réalisé. |
Ajustements |
Devant suggestions ad hoc, on a délaissé certaines parties du programme pour faire place. Aussi ajustements ponctuels à l'intérieur d'ateliers qui ne marchaient pas. |
Évaluation |
Les gens ont pu développer un certain esprit de cor Les gens ont aimé garder un thème plusieurs semaine avec diversité des apprentissages. |
Rôles |
|
Animatrice |
Se sent moins indispensable que lors de la session d'automne. À l'écoute des suggestions, peut se rajuster. |
Participants |
Très présents dans les suggestions de thèmes, sorties et outils d'apprentissage. Bon esprit d'équipe. Entraide. |
L'activité rencontre-t-elle les objectifs |
|
D'apprentissage |
Lecture et écriture se sont améliorées. Possèdent bien les sons vus en atelier. Vont s'essayer à lire panneaux des rues et publicités. Par contre, compréhension de texte faible. |
Vie de groupe |
Connivence développée. Apport du vécu de chacun. Échange des savoirs. |
Conscientisation |
Session plus centrée sur acquisition fonctionnelle que esprit critique. Conscience des autres assez bien développée cependant. |
Adéquation à nos principes d'animation |
|
Pédagogique |
Progrès dans lecture et écriture. |
Dynamique |
Place faite aux suggestions des participants. Sorties à l'extérieur, Matériel original. |
Globalisante |
Référence au milieu (travail, quartier). Sorties autres groupes alpha, métro. |
Dialogique |
Place faite aux suggestions des participants. |
Critique/Analytique |
Pas tellement centrée sur développement de l'esprit critique. |
Voyons maintenant les quelques observations que nous pouvons tirer de l'examen des réponses obtenues lors de l'entrevue, quant au déroulement des activités du point de vue de l'animation.
Le choix
On peut dire que, de façon générale, les participants ont leur mot à dire dans l'établissement du programme d'une session dans tous les groupes d'ateliers au Tour de Lire. C'est une pratique qui est maintenant instituée que d'inciter les participants à proposer leurs choix de thèmes et d'activités lors des premières rencontres d'une session. Toutefois, l'animateur(trice) demeure celui (celle) qui décide véritablement du contenu du programme. Ainsi, il nous semble que l'exercice se résume à tenir compte, autant qu'il se peut, des suggestions des participants sans qu'eux-mêmes participent à la mise en place comme telle de la session à venir.
Nous sommes conscients des limites qui existent à élaborer de concert avec les participants un programme complet, surtout si ces participants en sont à leur premier contact avec le Tour de Lire. Toutefois, nous croyons, qu'avec des outils appropriés (par exemple: une "grille-programme" à remplir); il serait possible de les impliquer encore plus à l'établissement du contenu de la session à venir. Un exercice de ce type permettrait d'actualiser le cheminement à venir à travers les apprentissages, les thèmes, voire les outils, de façon consciente et responsable. Nous y reviendrons plus loin.
La conception préparation
Que ce soit pour l'élaboration du programme, la préparation du contenu, d'un thème, la conception d'un outil/moyen et des activités qui s'y rapportent, ou l'organisation d'un atelier comme tel, on constate que les participants sont peu impliqués. C'est d'ailleurs le "moment" des activités où le travail des animateurs(trices) est le plus présent alors que la collaboration des participants est à peu près inexistante.
D'ailleurs, les obstacles pour changer cet état de choses semblent de taille. Il semble que les animateurs(trices) s'entendent pour dire que les gens s'attendent à ce que les ateliers soit "préparés" par les animateurs. D'un certain point de vue, il semble même qu'on en fasse une question d'éthique: "Les participants viennent ici pour apprendre à lire et à écrire, ce n'est pas à eux de préparer le contenu des ateliers, c'est la job de l'animateur".
Même une participation moins poussée semble difficile. Ainsi, il semble complique d'obtenir que les gens apportent dans l'atelier du matériel spécifique (photos, journal ou autre) devant servir à l'apprentissage. On peut donc dire que, sur ce point, les rôles traditionnels soient bien ancrés.
Toutefois, nous savons que dans certains contextes cette participation est possible. Ainsi, lors du thème sur la publicité sexiste, les participantes d'un atelier ont assez bien contribué à apporter des photos significatives. Par ailleurs, dans une activité globalisante comme notre expérience de production d'un journal, lors de la session de printemps, nous avons pu voir des gens s'impliquer du début à la fin dans l'ensemble des étapes.
Il semble donc que c'est plus une question de contexte proposé, de cadre d'apprentissage, que de principe, d'éthique ou de fait irréversible. Nous croyons qu'il faut tendre vers un plus grand engagement des participants dans cette étape de nos activités, et nous croyons que ceci pourrait en fait devenir un apprentis-sage comme tel, (dans la préparation d'un outil par exemple) et favoriser l'échange des savoirs entre participants.
Il reste donc à développer une approche plus systématique par rapport à la conception-préparation de nos activités, si nous jugeons, et c'est la une question fondamentale qu'il faudra vider, qu'il est important, dans le cadre d'une animation qui se veut globalisante et dialogique, d'impliquer les participants à ce niveau.
Réalisation
C'est dans la réalisation de nos activités que se doivent d'être le mieux appliqués nos principes d'animation. Le cœur de nos apprentissages se trouve dans cette étape et l'évaluation qu'on peut en faire dépend en fait de multiples facteurs selon l'activité observée.
Nous avons pu noter que nombre d'activités permettent des apprentissages multiples alors que d'autres sont plus restreintes. Par ailleurs, il est clair que l'utilisation d'un outil donné par exemple, restera probablement cantonnée à la dimension pédagogique que cet outil veut toucher. Toutefois, conservons à l'esprit que l'ensemble de nos principes d'animation permettent généralement, quant ils sont présents d'une façon ou d'une autre à l'intérieur des activités, des acquis plus complets pour les participants.
En particulier, les activités expérimentées dans le cadre bien définis d'un thème actuel et pratique permettent la réalisation d'une approche globalisante dépassant le simple contenu pédagogique. Elles permettent aussi de s'engager pleinement dans un travail d'équipe et dans une prise de conscience critique d'une réalité concrète. Avec cette ouverture sur le milieu qui les caractérise, ces activités vont plus facilement contribuer à dépasser un "cadre scolaire". L'implication des participants sera d'autant plus grande qu'ils pourront faire profiter le groupe de leurs expériences.
Nous croyons que des thèmes comme l'alimentation, (niveau complet), les rues du quartier/le métro (semi-complets) ou la publicité sexiste (semi-fonctionnels et fonctionnels) ont largement permis de développer des pratiques d'apprentissage rencontrant nos principes d'animation. Les participants ont su tirer profit de ces contextes thématiques et se sont impliqués d'une façon satisfaisante.
Toutefois, on note tout de même la prépondérance de l'animateur(trice) à l'intérieur du processus de réalisation des activités. Ils (elles) demeurent les guides et les "sanctionneurs" de la bonne marche du groupe en tout temps. Une exception à souligner: l'expérience de présentation des travaux-recherches dans nos ateliers de semi-fonctionnels/fonctionnels où le soin de l'animation et l'apport de connaissances fût laissé à chaque participant à tour de rôle alors que l'animatrice était plutôt utilisée comme personne ressource.
Par ailleurs, la mise à contribution des personnes-supports dans les ateliers où une telle formule fût expérimentée, ne semble pas tout à fait concrétisée pendant la réalisation des activités; nous y reviendrons plus loin.
Les réajustements
Ce "moment" de nos activités, bien sûr, n'apparaît pas nécessairement à chaque activité. Toutefois, nous l'avons inclus dans notre schéma de cueillette afin de "tester" la faculté d'adaptation des animateurs(trices) devant une situation imprévue. Une telle situation peut survenir pour n'importe quel type d'activité: incompréhension du groupe devant le travail à exécuter, insatisfaction par rapport au contenu ou à la forme proposés, refus de participer, suggestions nouvelles d'activités à brûle-pourpoint.
De façon générale, on peut dire que les animateurs(trices) ont su manifester une certaine souplesse et une capacité d'écoute. De nombreux réajustements ont été opérés en raison de motifs de l'ordre que nous venons de signaler. Toutefois, nous avons aussi pu identifier d'autres moments où un réajustement vraisemblable-ment nécessaire ne s'est pas opéré avec l'ampleur qu'il aurait dû avoir.
Un exemple: le maintien du thème "publicité sexiste" dans deux ateliers composes d'hommes et ce, dans une forme similaire à celle qui prévalait dans un autre atelier formé uniquement de femmes. Cette situation a occasionné certains problèmes d'implication à l'intérieur de ces ateliers. Il est vrai que le désir d'unifier la thématique et le contenu des trois ateliers semi-fonctionnels/fonctionnels était sous-jacent à cette situation, mais il nous semble qu'il aurait justement pu survenir un réarrangement minimal permettant une meilleure implication des participants, même si le thème choisi était, par ailleurs, hautement conscientisant.
Cette observation fait surgir les contradictions qui peuvent exister entre le désir d'unifier notre pratique pédagogique et le souci d'être à l'écoute des suggestions et des particularités de chacun de nos groupes d'apprentissage. C'est un point qui doit demeurer à notre esprit dans l'élaboration d'une orientation définitive de notre approche d'animation.
L'évaluation
Les moments d'évaluation, en particulier à la fin de chaque période d'atelier, constituent comme nous le disons ailleurs (cf chapitre sur la vie de groupe) une des "institutions" les plus vivantes dans la pratique du Tour de Lire. Nous avons pu y constater pour nombre de participants une véritable prise de parole et une conquête d'autonomie certaine.
Bien sûr, il reste encore beaucoup à développer; souvent ces moments tombent à plat dans la dynamique de l'atelier. Les commentaires sont rares et stéréotypés. "Les vraies critiques ou suggestions surgissent souvent informellement quand l'atelier est fini".
Mais il n'en demeure pas moins que ce moment porte en lui une initiation au respect de l'autre, à l'écoute, à l'expression de soi, à la conscience critique, ainsi qu'au fonctionnement démocratique. De par les acquis que permet l'évaluation, elle mérite pleinement de persister comme activité finale de chaque atelier et de chaque session. Il nous semble, toutefois qu'il faudrait privilégier une formule d'animation qui confie à tour de rôle la tâche de "président" de l'évaluation à chaque participant, permettant ainsi une prise de contact avec l'univers de l'animation.
À travers les diverses activités que nous avons répertoriées, nous avons pu effectuer certaines observations sur la place que tenaient les participants(es), les personnes-supports, et les animateurs(trices), durant les différentes étapes de leur déroulement. Nous avons déjà présenté quelques commentaires sur ce sujet. Voyons-le plus en détail.
Les animateurs (trices)
Les animateurs(trices) tiennent assurément un rôle fondamental dans l'organisation du Tour de Lire. Faut-il rappeler que c'est un noyau de quatre animateurs (en puissance) qui ont mis sur pied l'organisme et lui ont donné son cadre et son organisation?
Il n'est donc pas surprenant de constater qu'a chacune des étapes du déroulement des activités en atelier, l'animateur tient un rôle, le plus souvent central. Retenons que ce rôle est particulièrement important aux étapes de conception/ préparation et à celle de réalisation de l'atelier. Nous avons vu que c'est l'animateur(trice) qui se charge le plus souvent de mettre sur pied les activités, c'est-à-dire d'en élaborer le contenu pédagogique et de préparer le matériel nécessaire.
Lors de la réalisation de l'activité pédagogique, l'animateur(trice) actualise pleinement sa fonction d'animation. Il (elle) présente et explique les exercices, donne les explications, corrige chacun, apporte les références, amène les réflexions, etc.. Être animateur au Tour de Lire, c'est donc beaucoup "animer un atelier" de façon concrète.
Dans les autres étapes des activités, (Choix et évaluation) l'animateur est aussi très présent puisqu'il (elle) fournit le plus souvent le cadre nécessaire à la tenue de ces "moments". Il (elle) organise la prise de décision sur le con-tenu de la session par exemple et tentera de stimuler la participation des gens à donner leurs idées. Il (elle) sera attentif et réceptif aux commentaires lors des évaluations et favorise la prise de parole des participants par la mise en confiance.
Comme on le voit, le rôle de l'animateur(trice) est prépondérant dans l'animation des ateliers au Tour de Lire. On peut se demander, devant cette importance, si nous sommes parvenus à sortir du modèle scolaire où la science infuse repose pratiquement uniquement sur le professeur. Il est certain que, dans un certain sens, non. Les participants ont d'ailleurs tendance à s'en remettre pour beau-coup à l'animateur, d'où leur effacement de certaines taches auxquelles ils pourraient contribuer beaucoup plus activement.
Une certaine remise en question de notre pratique par rapport à la façon dont sont choisies, conçues, préparées, réalisées et évaluées les activités serait donc nécessaire afin de délimiter clairement la place et le rôle que devra prendre à l'avenir l'animateur tout au long de ces différentes étapes. Il est clair que nous sommes tiraillés entre un désir de laisser davantage de responsabilités aux participants et les limites auxquelles de telles pratiques nous confronteraient en regard de nos propres choix de contenus, de méthodes et de matériel, par exemple.
Il s'agit ici d'un débat qui doit se faire parmi nous et auquel, justement devront participer, d'une façon ou d'une autre les participants.
Les participants(es)
Les hommes et les femmes qui viennent à nos ateliers d'alphabétisation subissent une problématique de l'isolement et du manque de confiance qui transparaît toujours lors des premiers ateliers et souvent beaucoup plus longtemps. Voilà pourquoi nous devons être nuancés dans nos commentaires face au rôle que prennent les participants dans le déroulement des activités. C'est la une autre limite de notre approche d'animation dont il faut tenir compte quand nous en énonçons les principes et les objectifs.
On peut tout de même souligner ce que nous avons déjà noté plus haut. Dans l'étape de réalisation, la participation et l'implication des individus a été assez intense cette année. Cet engagement des participants est encore plus senti lorsqu'on leur propose un ensemble d'activités à l'intérieur d'un thème qui les intéresse par ses débouchés fonctionnels et qui se rattache à des situations de la vie quotidienne.
Par contre, l'implication fut beaucoup plus faible au niveau de la conception/préparation des activités en particulier. C'est une lacune que nous avons déjà souligné. Il faudrait donc tenter de développer une formule qui permette une plus grande participation de tout le groupe à la préparation du contenu des ateliers. De même, il faudra clarifier nos réticences (qui sont sûrement en partie justifiées) sur une façon de faire aussi systématique et délimiter les limites quant à une telle implication des participants pour cette étape.
Par ailleurs, les participants ont pu contribuer à la bonne marche du choix et de l'évaluation des activités dans la plupart des cas. Il reste encore à favoriser une expression plus consciente pour ces deux moments mais nous croyons que nous sommes sur la bonne voie. Toutefois, une telle démarche va impliquer pour les animateurs(trices) de tenir compte d'une façon ouverte et souple des choix et des commentaires présentes dans le cadre de ces moments. La recherche du consensus avec tout le groupe est peut-être le meilleur moyen de réaliser nos principes de "dialogique" et de critique-analyse dans l'animation.
Les personnes supports
L'expérience des personnes-support (dans deux ateliers) a été des plus profitables selon les dires des deux animateur (trice ) concerné(e)s. Rappelons qu'il s'agit d'anciens participants qui ont accepté de servir de personnes ressources à l'intérieur des ateliers. Nous croyons que l'introduction d'une personne-support est stimulante pour les participants et contribue à sortir du modèle scolaire.
Toutefois, il semble que l'implication des personnes-support aux prises de décisions concernant les ateliers ne semble pas avoir été possible de façon assidue. Par contre, elles ont montré beaucoup de motivation dans l'aide à la préparation du matériel et dans les moments d'évaluation.
Nous croyons que cette formule devra se généraliser dans nos ateliers d'au-tant plus qu'elle constitue une forme utile de "post-alpha" et qu'elle permet de "faire le pont" la où la contribution des participants semble plus faible.
Nous parlons abondamment dans un autre chapitre des acquis de notre pratique en matière d'objectifs d'apprentissage, de vie de groupe et de conscientisation. Nous pouvons y voir que toute cette question est assez complexe; qu'il y a des différences selon les niveaux, le type d'activités (thèmes, exercices, mise en situation, etc.) et chacun des groupes d'ateliers.
Si les objectifs d'apprentissage semblent être assez bien rencontrés dans l'ensemble puisque la plupart des activités sont tournées vers cet objectif de prime abord, les objectifs de vie de groupe et de conscientisation semblent plus difficiles à satisfaire. C'est surtout dans l'accomplissement d'activités "globalisantes" que nous pouvons réaliser des acquis pour des objectifs de cet ordre.
Quoiqu'il en soit, nous préférons pour l'instant vérifier l'adéquation à nos cinq principes d'animation, ce qui revient à voir si nos objectifs fondamentaux sont rencontrés. En effet nos principes visent, dans leur formulation, une correspondance avec notre orientation générale. En relevant l'application de nos principes, nous révisons notre pratique d'ensemble dans sa confrontation avec nos prédicats théoriques.
Une animation pédagogique
Quand on regarde la somme des apprentissages que nous avons pu voir dans les ateliers (cf chapitre sur la progression d'apprentissage), on peut sans doute considérer qu'une bonne partie de cet objectif est rencontré. Il nous semble clair que l'ensemble des participants qui ont assisté à nos ateliers ont pu étendre le champ de leurs connaissances, non seulement par l'apprentissage de la langue écrite mais aussi par une ouverture sur le monde à partir de leur propre quotidien.
L'apport des thèmes dans cette démarche d'apprentissage est à souligner puisqu'ils permettent ce transfert des apprentissages à travers des mises en situation concrètes se référant au quotidien ou aux conditions de vie. C'est un acquis que nous devons continuer à développer.
Par ailleurs, on peut se demander si, au delà du matériel vu et du cadre des ateliers, nous parvenons grâce à notre formule d'animation à faire intégrer la matière que nous voyons dans les ateliers. En effet, le transfert des acquisitions au niveau du code semble souvent être extrêmement lent à s'opérer. On constate qu'il faut souvent répéter et réviser les mêmes notions. Nous faisons donc une évaluation positive de la matière proposée dans les ateliers (comme nous le verrons dans le chapitre sur les progressions d'apprentissage) mais nous questionnons tout de même notre méthode de travail. Il faut améliorer l'intégration des notions présentées et faire en sorte que les transferts de notions d'un exercice à un autre soient rendus possibles.
Les solutions à cette limite que nous rencontrons dans le quotidien de nos ateliers ne sont pas évidentes à trouver. Nous croyons que si nous désirons sans faux-fuyant améliorer notre pratique sur cette question, il faudra travailler de front à résoudre cette difficulté. Une certaine systématisation de nos évaluations des apprentissages effectués sera nécessaire pour identifier les faiblesses de notre approche. On pourra par exemple se servir de la grille de notions pro-posées dans le chapitre sur les progressions d'apprentissage, pour identifier "les notions apprises et noter celles qui présentent des embûches quant à leur acquisition par les participants. Par la suite, en identifiant la formule d'animation utilisée lors de l'apprentissage de ces notions on pourra parvenir à mieux cerner à quoi tiennent les faiblesses rencontrées et veiller à y remédier.
Une animation dynamique et dialogique
Selon la définition que nous donnons de ces deux principes, on peut dire que les observations que nous faisons par rapport au déroulement des activités, nous laissent avec un bilan mitigé.
Nous parvenons, sans aucun doute, à sortir dans une grande mesure du modèle scolaire. Cela est dû, en grande partie, à notre attitude ouverte et familière comme animateurs plus qu'à notre approche d'animation comme telle. En effet, nous avons pu voir comment le rôle des animateurs(trices) demeurait fondamental tout au long des activités. Et plus encore, nous avons constaté que celui des participants était, somme toute, assez effacé à plusieurs moments. Nous croyons qu'un véritable dynamisme dans l'animation et un réel dialogue entre participants et animateurs seront possibles à la seule condition qu'on favorise une plus grande implication des premiers aux différentes étapes du processus d'apprentissage. Si nous voulons prétendre à des apprentissages "libérateurs, responsables et permettant la solidarité", il faudra donc favoriser une réelle participation des gens à toutes les étapes du travail d'alphabétisation.
Toutefois, il est clair que dans les limites occasionnées par la problématique même de l'analphabétisme, une telle intention ne pourra se réaliser qu'avec nuance et pondération. Cependant, il est nécessaire que nous fassions un objectif clair de cette dimension de notre approche d'animation afin de commencer un premier déblayage dans nos esprits face aux changements à apporter par rapport à cette situation. Les changements dans notre intervention suivront en correspondance avec les possibilités concrètes que nous donnent nos ateliers d'alphabétisation. Ce n'est que de cette façon qu'on pourra prétendre favoriser une approche d'animation où les participants deviennent les acteurs de leur apprentis-sage.
Une animation globalisante
Même si nous avons affirmé plus haut que le développement des objectifs de vie de groupe et de conscientisation semblait plus difficile que celui visant l'apprentissage du code comme tel, nous sommes tout de même assez satisfaits des acquis de notre approche en vertu de ce principe d'une approche globalisante.
Il semble que nous sommes parvenus, dans une certaine mesure, à intégrer à nos activités pédagogiques, un travail sur la vie de nos groupes et sur une prise de conscience (cf chapitres correspondants). Il est clair que nous dépassons largement la seule acquisition bancaire des notions pour profiter du contexte de nos ateliers d'alphabétisation pour permettre une première prise de conscience de soi-même, un "réajustement" de son image et une nouvelle implication dans son milieu. Nous avons des exemples tangibles de cette évolution pour beaucoup de nos participants. La dimension collective est aussi très importante à ce niveau, alors qu'il est indéniable que pour beaucoup d'individus, nos ateliers ont été une occasion exceptionnelle de s'intégrer et de participer à la vie d'un groupe avec tout ce que ça implique d'engagement personnel et d'apprentissage du respect et de la faculté d'échanger avec les autres.
Bien sûr, ces aspects peuvent être davantage développés dans des termes que nous énonçons ailleurs dans ce document, mais il semble tout de même que nos buts vis-a-vis ce principe sont assez bien servis par notre approche.
Nous sommes conscients que les meilleures formules d'animation permettant une telle "globalité" dans notre approche doivent s'inspirer du travail à travers les thèmes qui a donné d'excellents résultats à ce point de vue. Nous croyons aussi que des contextes d'apprentissages diversifiés ont effectivement permis de réaliser cette approche globalisante. Les sorties hors ateliers, l'utilisation des médias comme source de connaissance en sont des exemples éloquents. Par ailleurs, une expérience globale comme la production d'un journal des participants lors de la dernière session de printemps et empruntant son approche à la "pédagogie du projet" a aussi démontré qu'elle permettait des acquis riches et formateurs.
Nous sommes donc confirmés sur le bien-fondé de ce principe et sur un ensemble de formules que nous avons adoptées pour parvenir à en réaliser l'essentiel. Il nous reste à systématiser notre approche dans ce sens et à capitaliser sur nos acquis auprès des participants afin qu'ils s'impliquent dans ce processus de développement.
Une animation critique/analytique
C'est une dimension qui est assez présente dans nos orientations de travail. Comme nous l'avons dit, il reste encore à systématiser notre approche par rapport à cette question. Elle s'est avérée assez faible lors de certaines activités ou tout aspect visant une prise de conscience s'est retrouvé plutôt secondarisé devant un apprentissage fonctionnel.
Toutefois, nous ne pouvons nier que l'ensemble des participants ont pu connaître grâce au travail en atelier (et aussi grâce aux activités hors atelier) un éveil certain à leur réalité particulière en tant qu'individus capables de réflexion, d'échange avec les autres, et d'action sur leur milieu. La encore, nous devons tenir compte de la problématique de l'analphabétisme dans nos tentatives d'application de ce principe. Nous savons que de toutes façons les acquis en ce domaine seront appréciables en autant qu'ils coïncideront avec des apprentissages reposant sur un appareil thématique collé sur le quotidien et les conditions de vie des participants. Or cet exposé de la réalité va stimuler l'intérêt et l'implication des gens dans leur apprentissage tout en leur fournissant des éléments de réflexion et de remise en question.
Ce n'est que par ce processus profond de prise de conscience dont nous ana-lysons les détails dans un autre chapitre de ce rapport (cf chapitre sur la conscientisation) que nous obtiendrons une dynamique de changement, allant de l'évolution personnelle au changement social.
Intervenir dans le champ de l'alphabétisation c'est donc encourager le changement social et le mieux être d'une certaine couche de la population à travers une intervention pédagogique, dynamique, globalisante, dialogique et permettant la critique.
Nous croyons que nous parviendrons à réaliser ces principes dans notre animation à la condition que nous remettions aux participants la place qui lui est due dans l'organisme...
Nous venons de voir que nous visons une implication poussée pour les participants à travers chaque étape du déroulement des activités pédagogiques dans les ateliers. Cette prise en charge des apprentissages où l'autonomie, les responsabilités et une certaine pratique de la liberté s'exerceraient, connote une orientation d'action qui ne manque pas de mettre en question la place des participants au sein du fonctionnement et du processus de prises de décision dans l'organisme même.
Nous sommes donc confrontés, dans un avenir rapproché, à réviser l'ensemble de nos structures de fonctionnement pour fixer les rôles que sont en droit de remplir nos participants.
Les animateurs(trices) du Tour de Lire reconnaissent que l'expérience des personnes-supports dans les ateliers constitue un premier pas dans cette direction. Plus encore, les réalisations du comité des activités révèlent des possibilités pleines de promesses tout comme l'expérience du comité des représentants il y a deux ans.
En conséquence, il semble qu'il est temps de préparer le terrain pour un meilleur engagement à l'intérieur des structures globales de décision du Tour de Lire. Quelle forme vont prendre ces structures? Assemblée générale, conseil d'administration, comités de travail? Les voies sont multiples et peut-être périlleuses dans un contexte d'intervention comme celui que nous connaissons.
Il apparaît donc que si l'intention de principe est bien arrêtée, la formule idéale de participation est assez loin d'être fixée. La plupart des animateurs soulignent la nécessité de ne pas brusquer les choses à ce niveau, de même que les besoins d'information et de formation qu'il faudra combler avant de songer à "institutionnaliser" une véritable pratique en ce sens. Les limites de l'analphabétisme face à des principes de cet ordre rendent toute proposition extrêmement délicate.
Des structures d'implication et de fonctionnement s'ouvrant tout d'abord à des participants parvenus au niveau "post-alpha" sont peut-être, d'une part, le moyen le plus sur d'opérer un développement en douceur et d'autre part, de permettre une continuité pour nos anciens participants.
Quoiqu'il en soit, une volonté claire du collectif reste à définir sur cette question. Par la suite nous devrons adopter une stratégie cohérente et adaptée à notre base sociale pour la réaliser. C'est une des questions qui dans la poursuite des acquis de cette recherche devra être mise à l'ordre du jour en accord avec les principes d'animation et de fonctionnement que nous avons développés dans ce chapitre.
Dans ce vaste chapitre, nous voulons rendre compte des constats d'observation que nous avons effectués pour l'ensemble des contenus d'ateliers autant pour le fond que pour la forme. Il s'agit donc d'une description de la démarche globale d'apprentissage par laquelle nous avons cheminé dans notre pratique pédagogique. Ce chapitre comprend donc un relevé des contenus d'apprentissage visant une acquisition du code notionnel et d'habiletés fonctionnelles permet-tant ainsi une appropriation des facultés de lecture/écriture/expression/écoute dans ce qui constitue la base première de nos activités d'alphabétisation.
De plus, nous avons aussi opéré un examen du développement de la dimension "vie de groupe" à l'intérieur des ateliers. Pour nous, cette dimension constitue plus qu'un contexte d'apprentissage, mais un"apprentissage en soi" par la découverte, pour nos participants, d'un ensemble de véritables "notions" avec lesquelles il faut savoir composer pour assurer l'évolution des individus et des collectifs vers un épanouissement de cette pratique du communautaire.
Enfin, notre intervention ne saurait être complète sans un véritable processus de prise de conscience -de soi, des autres, du milieu- réalisée grâce à des activités de réflexions et d'implication personnelle présentes tout au long de notre démarche d'apprentissage. C'est pourquoi nous proposons un troisième volet qui dépeint le cheminement de nos groupes à travers cette dimension.
Chacun des exercices d'observation que nous proposons sera assorti des interprétations, critiques et propositions informelles nés de ce travail. Dans certains cas, des applications concrètes visant une systématisation de notre pratique à la lumière des constats effectués, seront proposés.
Conçu de la sorte, ce chapitre permet donc une vision globale de ce qui constitue pour nous notre démarche générale d'apprentissage selon ses diverses dimensions. Le défi qui nous attend, suite à cette étape d'observation et de réflexion, sera donc d'élaborer pour l'avenir une synthèse pratique de ces trois composantes. Nous pourrons, de cette façon, développer une intervention où le contenu et le contexte d'apprentissage permettent aux participants un cheminement réaliste, continu, progressif et libérateur vers un réel mieux-être.
Nous présentons donc dans ce chapitre ces trois dimensions de notre démarche d'apprentissage selon l'ordre suivant:
A) Apprentissage de la vie de groupe
B) Apprentissage vers une prise de conscience
C) Apprentissage de contenus notionnels et fonctionnels.
Parmi les diverses composantes que nous tenons à explorer pour rendre compte du cheminement d'apprentissage global poursuivi à travers nos activités d'alphabétisation, émerge l'initiation et le développement d'une "vie de groupe" propre à susciter un épanouissement le plus large possible des participants-es.
Nous avons déjà identifié lors de la recherche-action de 1982 que c'est avec des nuances que nous abordons cette dimension de notre approche pédagogique. Si nous reconnaissons de façon primordiale l'importance des collectifs comme "cadre social" permettant le développement des potentialités des individus, nous affirmions quand même, alors, qu'à cette "approche collective" du travail pédagogique se juxtaposait un suivi individuel essentiel. À l'intérieur même de l'évolution des groupes de travail nous avons maintenu cette préoccupation par un support personnalisé, une collaboration animateur/participant faisant en sorte que l'individu ne se fonde pas dans le collectif.
Cette double dimension, -individuelle/collective-, de notre travail avec les participants, doit donc être présente à notre esprit tout au long de ce sous-chapitre sur le développement de la vie de groupe à l'intérieur des collectifs.
Nous attachons beaucoup d'importance à l'évolution de la "vie de groupe" à l'intérieur des ateliers. En effet, nous devons être conscients du fait que la couche de population avec laquelle nous sommes en contact vit souvent, -et c'est là un des aspects de la problématique liée à l'analphabétisme-, avec certaines difficultés à communiquer avec le reste des gens de même qu'avec un sentiment d'isolement et d'impuissance. C'est cet isolement que nous voulons percer par notre intervention. Le groupe, concrétisé par les collectifs de travail des ateliers, devient alors un lieu privilégié de prise de contact avec la réalité, un lieu d'échange et d'affirmation de soi qui permet à chacun de s'inscrire dans une évolution dynamique où il est partie prenante d'un tout en regard duquel il détient une certaine responsabilité.
C'est pourquoi nous affirmons qu'au delà du cadre physique et inter-relationnel que permet le groupe, au delà de sa fonction de "contenant", se greffe une fonction de "contenu" propre par laquelle le groupe devient plus qu'un lieu d'apprentissage, il devient un apprentissage en soi. Apprendre le dialogue, le partage, l'échange des savoirs, le travail d'équipe, le respect des autres, apprendre à s'affirmer, à dire son point de vue, à prendre ses responsabilités vis-à-vis de soi et des autres, faire l'expérience d'une réflexion collective, du développement d'une connivence, sont autant de dimensions d'un véritable apprentis-sage que nous avons voulu mesurer dans notre pratique. C'est donc de l'évolution des collectifs à travers ces diverses manifestations de la vie de nos groupes que nous voulons tracer le cheminement. Cette démarche nous permettra de mieux juger de notre intervention à ce niveau et de présenter les critiques et les questionnements qui surgissent à la lumière de cet examen.
Au premier abord, nous avons cru pouvoir circonscrire le chemine-ment de nos collectifs du point de vue de la vie de groupe sans faire référence aux niveaux de difficultés (analphabètes complets, semi-complets, semi-fonctionnels et fonctionnels). Toutefois, et c'est là la première constatation que nous permet l'étude de cette dimension de l'apprentissage, il nous est apparu qu'il y avait une corrélation marquée entre le développement de la vie de groupe et le niveau de difficultés des collectifs avec lesquels nous travaillons.
On ne peut avancer que l'ensemble du cheminement de la vie de groupe ne se révèle qu'en rapport avec le niveau de difficultés auquel on a affaire. En effet, nous appliquerions une grille un peu trop réductrice si nous voulions ne rendre compte de l'évolution de cette dimension qu'à travers les niveaux de difficultés. La réalité est beaucoup plus complexe. Il n'y a pas un individu pareil et il n'y a pas un groupe pareil. Chacun apporte avec soi son bagage, ses capacités et son dynamisme propre et cet apport n'est pas nécessairement en fonction du degré d'analphabétisme vécu. De plus, nous côtoyons aujourd'hui des participants-es qui sont encore de niveau complet ou semi-complet et qui viennent au Tour de Lire depuis plusieurs sessions. Ils ont pu durant cette période apprendre avec nous à fonctionner à l'intérieur de nos ateliers d'une façon souvent plus intense que nombre de nouveaux participants intégrés à nos groupes de fonctionnels.
Quoi qu'il en soit, il reste que la division de nos collectifs en niveaux de difficultés réunit des individus qui partagent souvent, jus-qu'à un certain point, les mêmes problèmes de communication ou d'expression. Il n'est pas de notre propos de présenter une analyse détaillée de ce phénomène mais notre expérience nous permet tout de même de constater que notre intervention auprès des analphabètes complets, par exemple, se soit d'être quelque peu différente de celle que nous effectuons dans nos ateliers de semi-fonctionnels ou de fonctionnels. Pour des raisons faciles à comprendre, il semble qu'à un degré d'analphabétisme complet se juxtaposent souvent un ensemble de problèmes d'intégration et de socialisation qui revêtent une acuité particulière que nous devons reconnaître.
C'est donc un peu à cause de cet état de fait que nous avons décidé de présenter nos observations sur le cheminement de la vie de groupe dans nos ateliers, à travers les niveaux de difficultés. Par contre, beaucoup de ces constatations révèlent une dynamique commune et peuvent donc s'appliquer à tous les niveaux. De plus, comme nous l'avons dit, nous ne prétendons pas faire un tableau immuable de notre pratique selon chacun des niveaux et bon nombre des observations faites pour les participants-es d'un certain niveau peuvent s'appliquer à d'autres individus selon le contexte.
Enfin, le but de cette analyse de notre pratique n'est pas non plus de présenter un cheminement linéaire du développement de la vie de groupe du niveau complet au niveau fonctionnel. Nous dénoterons plutôt les tendances qui se sont révélées à chaque niveau de façon à mieux éclairer notre intervention actuelle. De cette façon nous serons à même d'évaluer nos acquis et nos faiblesses.
Afin d'évaluer le développement de la vie de groupe dans nos ateliers nous avons identifié 7 composantes permettant de tracer le portrait global de notre pratique de la session d'hiver '83. Ces sept catégories touchent les points suivants: 1° l'initiation et l'intégration au groupe de même que le développement d'une certaine connivence parmi les participants-es; 2° l'entraide et le travail d'équipe; 3° l'échange des points de vue; 4° l'échange de savoirs et des expériences; 5° la prise des responsabilités individuelles et collectives dans l'atelier ainsi que le respect des autres; 6° l'occurrence d'une réflexion/formation sur la dynamique même du collectif; 7° les contributions à une prise en main collective des apprentissages.
Comme nous l'avons expliqué nous présentons ces dimensions selon les 3 niveaux de difficultés avec lesquels nous travaillions au Tour de Lire lors de cette session (cf. tableau 5)
Tableau 5 - Progression apprentissage vie de groupe
Dimensions | Niveaux | ||
complets |
semi-complets |
semi - fonctionnels / fonctionnels |
|
Initiation / Intégration connivence |
- Mise en place. Déf. du rôle de chacun dans le groupe Les besoins de chacun. Les consignes. -Difficultés dues à la différence de niveau d'apprentissage et d'intégration - Connivence: jeu de rôles: Restaurant |
- Mise en place. Déf. du rôle de chacun dans le groupe. - Développement connivence/intégration: 3 sorties d'atelier. |
- Mise en place. Rôles et responsabilités de chacun. - Organisation de l'atelier et démarche de travail. - Discussion: "Qui on est" - Implication des anciens participants. |
Travail d'équipe / Entraide |
- Travail en équipe de deux (à quelques reprises): faire des phrases, écrire la date. - Bâtir ensemble un questionnaire. |
- Travail en équipe de 2 (mots, phrases découpées chiffres) - Textes collectifs orale ment. - Textes collectifs par écrit. |
- Corrections collectives, phrases, textes, travail maison. - Production collective scrapbook. - Production collective lettre texte final publicité sexiste |
Échange des points de vue |
- Discussion épicerie, "Pour-quoi c'est cher" les spéciaux, les grandes chaînes. - Utilisation du $150. de R.-C. - L'école, comment changer ça? (1 groupe) |
- Discussion / compréhension de texte- Réflexion / discussion Publicité, T. V., enfants. | - Débat sur "j'ai pus mes lunettes"; situation des ass. sociaux; jeunes et chômage. - Discussion large sur le thème publicité sexiste, grille C. S. F. etc.- Discussion sur les travaux recherches |
Échange des savoirs / Expériences |
- Au moyen du photo-montage échange sur son vécu, celui des autres (travail, famille le quartier, etc.) |
- Texte collectif sur vécu de certains partic. (Photo-montage)- S'échanger des phrases découpées, les reconstruire. | - Notre expérience de l'école (le Centre Baril). Nos expériences de travail. - Présentation/animation des travaux-recherches. |
Prise des responsabilités ind. et coll./ Respect des autres |
- Se donner un gardien du temps. - Cueillette de matériel à domicile (mots-images-épicerie). - Importance de travailler chez soi pour respecter le rythme des autres. - Consigne: respect écoute, tour de parole |
- Implication dans le contenu des ateliers: suggestions d'activités. |
- Établissement de contrats individuels et collectifs. - Déf. au départ les rôles & responsabilités (animateur-support-participants-es). - Animation par participants des travaux-recherches. |
Retour / Réflexion / information sur la dynamique |
- Rappel, discussion sur difficultés à travailler coll. discipline, contenu des ateliers. - Accorder les différents niveaux d'apprentissage. - Les évaluations de fin d'ateliers. |
- Les évaluations de fin d'ateliers. |
- Problème d'apprentissage dû à 2 niveaux de difficultés (1 groupe) - Réticence face au thème chez certains participants - Les évaluations de fins d'ateliers. |
Prise en main collective des apprentissages |
- "Brain Storming" sur choix des thèmes. - Discussion sur le déroulement des thèmes: épicerie, noms de rue, les outils. - Nos attentes pour la session printemps. |
- Mise en application des suggestions des participants: sortie métro, échange correspondance, sortie CEDA |
- Au départ, travail sur le programme, choix des thèmes-les apprentissages à faire, objectifs ind. et coll.- Présentation-animation travaux-recherches |
Initiation intégration connivence
Pour l'ensemble des ateliers, les activités d'initiation/intégration semblent en gros rendre compte des mêmes démarches: mise en place du groupe défini comme collectif de travail à l'intérieur duquel sont déterminés les rôles et responsabilités de chacun (animateur, participants, support s'il y a lieu). Il semble, par contre, qu'au niveau des semi-fonctionnels et fonctionnels,on ait davantage mis d'emphase, au départ, sur un échange de présentation de chacun et sur une première planification collective de la démarche de travail.
Il est clair qu'afin de développer l'intégration des individus ainsi qu'un sentiment de connivence à l'intérieur du groupe, il est important de susciter un échange sur le vécu des participants face à l'analphabétisme. Cette démarche semble davantage possible au niveau S.F. et F. D'ailleurs les animateurs tiennent à souligner qu'il ne faut pas brusquer les choses à ce niveau mais, encore plus pour les ateliers de complets, attendre l'ouverture spontanée des gens sur cette question. C'est à l'animateur d'être attentif à cette ouverture et de susciter, alors qu'un climat de confiance s'est établi, des échanges constructifs et valorisants sur ce point.
En fait, il semble bien que l'intégration à la vie de groupe semble plus difficile au niveau des complets. On souligne d'ailleurs des difficultés dues à des différences de niveaux d'apprentissage et d'intégration à l'intérieur des mêmes ateliers. C'est un problème qui ne manque pas de surgir et ce, pas seulement à ce niveau. Mais il est sur que le développement d'un esprit de groupe est plus difficile dans ces circonstances. La distribution préalable des effectifs des ateliers est donc cruciale au début, du point de vue de l'équilibre et de l'homogénité dans les connaissances et le vécu. De plus, on se doit de faire appel à la bonne volonté des plus "avancés" et des anciens quand des problèmes de cet ordre surgissent.
Soulignons, par ailleurs, le développement d'un esprit de groupe qui s'est installé dans notre atelier de semi-complets grâce à des "sorties" hors atelier suggérées par les participants et qui ont permis de développer un sentiment d'appartenance assez marqué. C'est sûrement ici un exemple à suivre.
Travail d'équipe / Entraide
Avec cette dimension, on constate clairement l'évolution de la dynamique de nos ateliers puisque le nombre et l'ampleur des activités faisant appel à l'entraide et au travail d'équipe vont croissant à mesure qu'on passe d'un niveau de difficultés à un autre. En effet, et c'est un constat général qui sera repris tout au long de notre étude de cette question, les possibilités de travail d'équipe semblent beaucoup plus limitées au niveau des complets, et les mentions du niveau S.F. et F. rendent compte d'une implication plus continue et plus profonde de la part des participants. De plus, on réussit plus facilement à engager l'en-semble de l'atelier dans une production collective chez les semi-fonctionnels et les fonctionnels que chez les complets et, à un moindre degré, que chez les semi-complets où l'on travaille davantage en équipes de deux personnes.
Cette tendance est symptomatique des difficultés à s'intégrer véritablement et rapidement dans une dynamique de groupe qu'éprouvent, en général, les participants avec un haut degré d'analphabétisme. Les animateurs du Tour de Lire n'ont pas manqué de souligner comment un suivi plus personnel est essentiel à ce niveau, du moins au début. Faut-il faire en sorte que les choses s'accélèrent?
C'est une question difficile qui n'est pas résolue chez nous. On se doit de maintenir un support individualisé au niveau des complets en tenant compte des difficultés spécifiques de chacun et des disparités qui ne manquent pas de surgir. Toutefois, il ne serait pas exagéré de susciter un plus grand nombre d'occasions de travail d'équipe à deux et à plusieurs, ne serait-ce que dans une forme simple au début. Il est sur que l'apprentissage dans et par le collectif se fera d'autant mieux qu'on expérimentera, avec ses hauts et ses bas, une véritable vie de groupe.
Échange des points de vue
On ne peut nier qu'il y ait eu un certain souci d'amener des échanges de points de vue dans l'ensemble des ateliers. Toutefois, ce qui frappe, bien sûr, c'est la profondeur et la variété des sujets abordés chez les fonctionnels et semi-fonctionnels surtout si on tient compte en plus des 3 ou 4 séances de présentation des travaux-recherches des participants sur divers sujets d'intérêt. À notre avis il y a un trop grand écart entre ce niveau et les deux autres. Les occasions où les participants des niveaux C. et S.C. peuvent avancer et développer leur opinion doivent être multipliées même si on se doit d'aborder des sujets qui collent au vécu immédiat des participants-es. On doit aussi se garder de prolonger indûment ces temps d'échange.
Il faut s'attendre, en fait, à voir une certaine résistance se manifester face ces moments de discussion. Certains participants préféreront ne s'en tenir qu'à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
Il faut donc savoir doser ces moments de même que les sujets abordés et tenter d'expliquer du mieux qu'on peut l'importance de ce type d'activité.
Quoiqu'il en soit, il est clair que les échanges de points de vue et les discussions sont plus faciles à mesure que l'on progresse dans les niveaux d'apprentissage. Il semble donc qu'avec une progression dans l'acquisition du code et des habiletés fonctionnelles se manifestent aussi un esprit plus critique et une plus grande habileté à discuter. En fait, ce constat exprime bien ce que nous soulignions au début de ce chapitre, il y a un lien assez étroit entre ces 3 composantes du contenu d'apprentissage (code, conscience et vie de groupe) dont on doit tenir compte dans notre intervention d'alphabétisation.
Échanges des savoirs / Expériences
C'est probablement une dimension qui gagnerait à être davantage abordée dans nos ateliers. D'une part, il est important que les participants-es en arrivent à se sentir assez en confiance pour pouvoir faire partager aux autres leurs expériences de vie. Il serait donc essentiel de privilégier à travers les thèmes que nous abordons davantage de moments où la mise en commun de ces expériences soit valorisée. Dans la problématique de l'analphabétisme il faut faire en sorte que les individus puissent prendre conscience de la richesse de leur vécu et de celui des autres. L'utilisation des photo-montages sur le quartier aux niveaux complets et semi-complets est un pas dans cette voie, mais nous croyons qu'il faut consciemment systématiser cette dimension dans notre approche de la vie de groupe.
Quant à l'échange des savoirs dans le sens où un participant fait partager aux autres ses connaissances ou ses efforts de travail, il ne semble avoir été réalisé de façon satisfaisante qu'au niveau des semi-fonctionnels et fonctionnels dans le cadre de la présentation par les participants de leurs travaux-recherches. Cette expérience s'est avérée dans l'ensemble très riche pour la mise en confiance des participants en leurs capacités. Nous ne croyons pas toutefois que la formule des travaux-recherches présentés à l'atelier soit intégralement "exportable" aux autres niveaux. Il faudrait plutôt permettre ce type d'expérience dans un cadre plus simple mais tout aussi valorisant. Par exemple, apport dans l'atelier de matériel recueilli à la maison et susceptible de servir d'outil dans l'atelier, ou présentation au collectif d'un travail à domicile qu'on corrige collectivement.
Par ailleurs, il faudrait encourager un échange spontané de con-naissances entre les participants. La formule de la personne-support, elle-même ancienne participante, contribue à développer cette dimension, mais il faudrait qu'elle s'étende à des collaborations entre participants. À ce sujet il faut combattre la réaction de certains qui ont plutôt tendance à s'impatienter devant ceux qui sont plus lents ou moins avancés qu'eux. En leur montrant que c'est l'ensemble du rythme de l'atelier qui va profiter d'un geste d'entraide de leur part on pourra peut-être y arriver. En favorisant davantage le travail en équipe, on contribuera à créer cet esprit d'assistance.
Prise des responsabilités individuelles et collectives et respect des autres
Fonctionner dans un groupe demande une certaine dose de discipline personnelle et collective. Il est sur qu'en regard des observations que nous avons faites jusqu'ici on ne sera pas surpris de constater que c'est surtout dans les ateliers de niveau complet qu'on a connu certaines difficultés de fonctionnement à ce chapitre. Les animateurs ont souligné que, de façon générale, ils ont souvent à répéter les consignes de tour de parole ou de travail à la maison mais cet état de fait apparaît plus fréquemment dans les ateliers de niveau complet.
À cet égard on peut souligner l'initiative intéressante de l'établissement de contrats individuels et collectifs qui a été expérimentée chez les fonctionnels et semi-fonctionnels. C'est une formule qui gagnerait à être adoptée dans les autres niveaux. Elle permet d'impliquer davantage les participants dans la bonne marche de l'apprentissage et du groupe. De plus, l'expérience d'animation du groupe qu'a permis la présentation/animation des travaux-recherches mériterait aussi d'être expérimentée de façon adaptée dans les autres ateliers, comme nous l'avons déjà souligné. Des activités de ce type investissent les participants d'une responsabilité par rapport à eux-mêmes et au groupe et contribuent à une prise de conscience de leurs capacités et de celles des autres.
Retour / Réflexion / Formation sur la dynamique
Prétendre que la vie de groupe est un "apprentissage en soi" implique, à notre avis pour chaque individu, une démarche consciente de réflexion sur son fonctionnement dans le collectif ainsi que sur la bonne marche du groupe dans son ensemble.
Mais cette réflexion doit aussi se faire collectivement à l'intérieur du groupe. C'est pourquoi cette dimension prend pour nous un aspect particulier. Elle devient une activité du groupe dans laquelle on s'exprime, on analyse ensemble le groupe. C'est la vie de groupe au 2e degré! Nous croyons que de tels moments de remise en question sont hautement essentiels et c'est pourquoi dans la pratique de travail du Tour de Lire nous avons établi un temps d'évaluation à la fin de chaque atelier. Ces moments sont devenus parties inhérentes de nos ateliers si bien qu'il ne viendrait à l'idée de personne de considérer qu'une période d'apprentissage est complétée sans qu'ait eu lieu "l'évaluation".
Si nous faisons des progrès dans notre vie de groupe c'est beaucoup grâce aux temps d'expression que constituent les évaluations de fin d'ateliers. C'est dans ces moments qu'on apprend l'écoute et le respect de l'autre, qu'on se lance pour la première fois à dire son idée, qu'on essaie de trouver ce qui peut clocher dans le groupe, qu'on propose des solutions. C'est beaucoup dans ces moments que les animateurs ont pu juger de la portée de leur travail, qu'ils ont été remis en question, qu'ils se sont renlignés, etc.
Tout ceci pour dire qu'une dimension comme celle de retour/réflexion/formation sur la vie de groupe devient possible et significative par l'existence de ces moments d'évaluation.
Nous avons inscrit au tableau les principales difficultés de fonctionnement qui ont été exprimées lors de la session d'hiver '83. Deux mêmes mentions reviennent pour le niveau complet et le niveau semi-fonctionnel et fonctionnel. Elles portent sur des problèmes vécus dans l'atelier à cause d'une différence de niveau d'apprentissage entre certains participants. Nous avons déjà souligné cette difficulté et nous croyons qu'on doit faire en sorte que nos ateliers soient les plus homogènes possibles à ce niveau mais nous croyons aussi comme nous l'avons dit dans le point portant sur l'échange des savoirs, qu'il est possible d'encourager des attitudes d'entraide et de solidarité plus ouvertes à l'intérieur de nos groupes.
D'autres réflexions consignées dans le tableau touchent le con-tenu des ateliers comme tel. Nous ne pouvons qu'être heureux de voir qu'on ne s'est pas gêné pour remettre en question des choix de thèmes ou de contenu d'apprentissage qui ne correspondaient pas parfaitement aux attentes des participants-es. Pour les animateurs il est clair que de tels commentaires ont pu être délicats à gober. Mais ils ont surtout permis une évaluation personnelle de l'animateur et collective du groupe qui contribuera à mieux orienter le travail des pro-chaines sessions.
Prise en main collective des apprentissages
C'est une dimension qui s'inscrit dans l'aspect conscientisation ou qui questionne notre approche d'animation autant qu'elle participe à la vie de groupe. C'est dans la réalisation collective de cette dimension que la vie de groupe est touchée. Nous venons de voir, comment les moments d'évaluation ont permis un retour sur la dynamique du groupe. Il en est de même pour la prise en main des apprentissages.
D'autres activités ont permis aux participants de s'impliquer sous cet aspect et ce, quels que soient le niveau d'apprentissage. Toutefois, la profondeur de l'engagement semble être encore plus grande chez les semi-fonctionnels et fonctionnels à cause d'une planification collective plus élaborée au début de la session de même que par la présence des travaux-recherches, tour ce point comme pour la plupart des dimensions précédentes, on peut souhaiter que ces formules soient expérimentées, dans une certaine mesure, au cours du dé-roulement des ateliers des autres niveaux. Mais nous sommes conscients qu'une certaine "adaptation" des objectifs fixés pour ce type d'activités est nécessaire si on veut répondre au mieux à la problématique des participants-es que nous côtoyons dans ces ateliers.
Pour notre examen des diverses dimensions de la vie de groupe, nous nous en sommes tenus aux compte-rendus des ateliers de la session d'hiver 1983. Toutefois, s'intégrer pleinement à une vie de groupe au Tour de Lire signifie plus encore que le quotidien des ateliers. Dans un souci d'étendre cette dimension, nous croyons qu'il est souhaitable de créer une appartenance commune et une expérience de vie de groupe qui dépasse le simple cadre des ateliers d'alphabétisation. Nous avons depuis trois ans vécu un ensemble d'activités hors atelier qui ont permis à nombre d'individus d'élargir leur sentiment de solidarité, leur capacité de dialogue en groupe et leur niveau de connivence avec l'ensemble des animateurs et participants du Tour de Lire. Ces activités sont de plusieurs ordres. Elles sont la plupart du temps encadrées par un "comité des activités" formé de participants et d'une animatrice. Beaucoup sont à caractère social ou culturel: cabane à sucre, pique-nique, voyages organisés, partys de Noël ou de fin d'an-née, activités sportives;et permettent aux gens de s'amuser et d'échanger ensemble dans une atmosphère détendue où les amis et les parents sont aussi invités. D'autres activités sont à caractère plus sérieux et permettent plutôt des discussions de groupe: films ou vidéos sur l'analphabétisme, pièce de théâtre montée par les participants à l'occasion du 8 mars.
Toutefois, un certain travail reste à faire pour lier les deux niveaux d'activités du Tour de Lire: les ateliers et les activités hors atelier. Il serait par exemple important de planifier les programmes d'atelier en tenant compte à l'avance des activités hors atelier à venir. Ceci permettrait d'intégrer adéquatement les participants à la préparation des activités d'une part, et rendrait possible un retour/réflexion plus structuré après l'activité d'autre part. De plus, certains éléments de contenu abordés dans ces activités pour-raient être insérés comme thème d'apprentissage par exemple. Il est bien certain que cette suggestion doit tenir compte du nombre d'individus ayant participé à l'activité, pour pouvoir intéresser tout le monde. Quoi qu'il en soit, cette idée suppose qu'on doit établir au préalable, d'une façon assez complète, le calendrier des activités hors atelier. Il faudrait donc penser à remettre en branle le comité des activités avant le début des sessions.
Le bilan du développement de la vie de groupe au Tour de Lire, que ce soit dans les ateliers ou dans des activités hors atelier, est somme toute sûrement très positif. Nous avons réussi, tous ensemble, animateurs et participants à faire du Tour de Lire un lieu ou chacun se reconnaît et est à l'aise de s'exprimer et de participer. La preuve de cet état de fait nous est fournie par les nombreuses visites que nous font, sans façon, la plupart des participants qui viennent à l'occasion prendre un café et "jaser de choses et d'autres". Ces moments aussi sont importants et permettent de créer des liens de confiance qui persistent souvent après qu'un individu ait quitté nos ateliers.
D'une façon générale, pouvons-nous croire que cet apprentissage de la vie de groupe au Tour de Lire a porté des fruits?... Nous pouvons sans doute répondre dans l'affirmative. Nous avons de visu pu constater le réveil et la prise en main personnelle de beaucoup de nos participants qui ont appris malgré leur gêne et leur isolement à s'exprimer, à socialiser, bref à "prendre leur place" au sein des collectifs. Beaucoup nous ont fait part de changements positifs d'importance dans leur vie familiale, professionnelle ou sociale, changements où l'influence du climat et des expériences de groupe et d'ex-pression du Tour de Lire était prépondérante. Il ne s'agit pas ici de "flatter la bedaine" des animateurs-tri ces du Tour de Lire puisque ce climat ne s'est créé que grâce à la participation active des hommes et des femmes qui ont bien voulu faire collectivement ce bout de chemin vers un plus grand épanouissement de tous. D'ailleurs, les intervenants-es du Tour de Lire ont à leur tour largement profité de cette expérience de travail et tous-toutes sortent grandis de ce con-tact riche et chaleureux.
De toutes façons, il reste encore beaucoup de travail à faire pour développer de la façon la plus satisfaisante possible une vie de groupe telle que nous le concevons et le souhaitons.
Nous avons déjà souligné, l'année dernière, lors de l'étape antérieure de notre processus de recherche-action, la primauté que revêt pour nous cette dimension qu'est la conscientisation à l'intérieur de notre démarche pédagogique.
Nous avons illustré cette particularité du modèle de conscientisation - "déterminant en première et dernière instance à chaque niveau de notre intervention"- en montrant qu'il a des effets sur chacun des éléments théoriques définissant notre approche d'alphabétisation. Par le fait même, cette dimension exerce une influence sur l'ensemble du processus et des moyens pédagogiques tels que nous les appliquons chez nous (se référer au schéma II "Démarche globale des ateliers" T. de L. - Hiver '82). Nous avons clairement indiqué alors notre choix d'intervenir selon une approche "d'alphabétisation conscientisante" puisant au sein même de la problématique de l'analphabétisme et du vécu de la "culture populaire" les éléments de son orientation. Ce sont des vues que nous partageons encore à l'heure actuelle.
Nous avons toutefois pris garde à cette époque de proposer un modèle spécifique de conscientisation. Nous avons bien sûr consulté les modèles et les compte-rendus d'expériences québécoises et étrangères. Ces lectures ont fait naître chez nous des sentiments mitigés. D'une part, nous nous sommes rendus compte de la pertinence et de l'importance de cette dimension à l'intérieur de toute démarche d'alphabétisation populaire. Cependant, nous avons rejeté les recettes toutes faites et l'intervention "enrégimentée". En effet, nous nous refusons à isoler des "étapes" jalonnant d'hypothétiques "états de conscience" où un processus précis, dirigé vers "une prise de conscience "objective" serait proposé.
Nous ne prétendons pas avoir la vérité, nous sommes plutôt souvent en proie à l'incertitude, aux questionnements, aux hésitations devant les contradictions de notre société et loin de nous l'idée d'appuyer un principe d'action particulier "pour changer ça". Par contre, nous croyons beaucoup au développement d'un esprit critique d'une capacité d'analyse et d'une attitude positive permettant, tout au moins, une évolution enrichissante vers une implication personnelle et collective dans nos milieux respectifs.
Nous abandonnons donc l'idée d'embrasser un modèle général et préférons identifier certains principes essentiels relatifs au type de conscientisation que nous croyons souhaitable au Tour de Lire. Ces principes sont devenus pour nous des pistes propres à guider notre intervention, tout en rendant compte aussi des questionnements qui continuent de ponctuer notre cheminement.
En gros, retenons que ces positions de base reconnaissent trois principes qui sont acceptés, dans l'essentiel, par le collectif du Tour de Lire:
1°) la fonction idéologique de la conscientisation et le bien-fondé de cette dimension à l'intérieur de notre intervention. Ce principe définit ainsi l'orientation concertée guidant nos activités et notre contenu d'apprentissage en regard d'une lecture libératrice et désaliénante de la problématique de l'analphabétisme. De plus, il veut rendre compte des choix que nous faisons d'une langue et d'une culture populaires qui ont leur place dans les ateliers, d'une approche collective du travail d'alphabétisation associée à un suivi individuel constant, d'un contenu thématique comme cadre et contenu d'apprentissage qui colle au vécu des participants et qui nourrit leur réflexion, d'une approche d'animation dialogique et consensuelle qui veut voir se concrétiser une véritable prise en main des apprentissages par les participants.
2°) Le rayonnement de la conscientisation sur l'ensemble du processus d'apprentissage, de l'approche aux moyens et aux outils que nous choisissons d'utiliser dans les ateliers.
3°) L'identification de 3 "dimensions" de la conscience qui ne sont pas non plus des étapes ou des niveaux de conscience mais qui révèlent le triple aspect de la conscientisation: la conscience de soi, essentielle et préalable à toute action réfléchie, la conscience collective qui se développe par l'interaction entre individus impliqués dans un processus de réflexion et d'action communes, conscience du milieu, du monde extérieur, du contexte des structures, qui donne un sens intelligible à toute véritable prise de conscience.
L'exposé de ces grands principes peut paraître un peu idéaliste mais nous croyons qu'il reflète plutôt une "approche globale" d'animation qui constitue une des orientations les plus assises du collectif du Tour de Lire. Nous sommes encore à digérer toute la portée de ces choix et certains points de vue qui semblent très souhaitables au niveau théorique sont déjà parfois remis en question ou enrichis par notre expérience pratique.
D'ailleurs, notre récente expérience de la production collective d'un journal par l'ensemble des participants, quel que soit leur niveau de difficulté et en dehors du cadre des ateliers (session printemps '83), a fait miroiter pour nous une nouvelle approche: la "pédagogie du projet" qui élargit encore le champs des possibilités à l'intérieur de notre démarche d'alphabétisation conscientisante.
Par ailleurs, nous identifions aussi d'autres orientations de base qui sous-tendent notre intervention dans le champs de la conscientisation.
D'une part, nous voulons inscrire l'ensemble de notre démarche dans un contexte du quotidien, définissant une réalité propre aux gens et à travers laquelle sont puisés des thèmes générateurs de réflexion critique et d'intervention sur cette réalité (famille, travail, con-sommation, quartier, etc.). De plus, l'interaction dialogique entre l'ensemble des participants incarne le moyen d'animation par excellence qui permet de créer un climat d'échanges constructifs et favorise des attitudes d'écoute, de respect et d'expression personnelle permettant un réel cheminement collectif à travers le processus de conscience. Nous faisons aussi référence à certaines théories quant à la façon d'aborder le contenu spécifique d'un thème ou d'un exercice du point de vue de la conscientisation. Par exemple un procédé par problématisation qui identifie un fait social, un phénomène, une expérience du vécu quotidien qui devient un élément déclencheur permettant, dans la recherche d'une solution au problème, d'identifier l'ensemble des besoins qui, du général au particulier, deviendront autant d'éléments d'apprentissage fonctionnels ou notionnels. Un autre exemple s'inspire d'un procédé par contradictions qui s'attache à isoler les positions, valeurs, agents sociaux, éléments structurels polarisés dans un contexte d'opposition. Cette méthode en amenant un certain choc émotif / culturel / social permet elle aussi de relever les besoins et intérêts des participants et de les guider vers des apprentissages et une réflexion enrichissants.
Enfin, ajoutons que nous identifions comme objectif ultime, comme but général visé, une appropriation concrète par les participants d'une conscience globale de soi, collective et du milieu, qui sans être orienté vers un modèle d'action spécifique (comme nous l'avons déjà dit) permette un changement global, une évolution libératrice dans leur vie.
Cette introduction révèle donc l'essentiel de notre orientation par rapport à la question de la conscientisation à l'heure actuelle. C'est un peu pour alimenter encore le débat et les interrogations qui ne manquent pas de surgir dans cette démarche d'orientation générale que la présente étape de recherche-action a voulu puiser largement dans l'expérience pratique que nous vivons depuis trois ans.
Sommes-nous en accord avec nos principes? Comment se concrétisent les activités de conscience dans nos ateliers? Pouvons-nous identifier des étapes relatives à un cheminement global à travers cette dimension? Comment l'ensemble du processus pédagogique que nous développons sert-il nos objectifs de conscientisation et comment à leur tour, nos activités et nos expériences de conscience appuient l'ensemble de notre intervention d'alphabétisation?
Une façon concrète, pour nous, de tenter d'apporter des éléments de réponses à ces questions, a été de prendre comme terrain d'observation la dernière session d'hiver du Tour de Lire et de relever les activités et les moments où, d'une façon ou d'une autre, un aspect du travail de conscientisation semblait présent.
Cet exercice, rendant compte de la dynamique spécifique du développement de cette dimension, nous permettra d'amorcer une première mise en place d'une démarche d'intervention conscientisante, par la comparaison entre les constats effectués selon chacun des trois ni-veaux de difficultés. Cette façon de procéder contribuera à identifier d'une façon souple le cheminement poursuivi, à mesure que l'on progresse dans les contenus d'apprentissage, dans l'intégration à une vie de groupe et, par le fait même, dans une prise de conscience de soi, des autres et du milieu.
L'essentiel des observations que nous avons faites à partir du relevé de l'ensemble des activités de conscience à l'intérieur des ateliers de la session d'hiver '83, a été fait au moyen d'une grille à travers laquelle ces activités sont réparties selon les 3 "dimensions de conscience" que nous avons définies plus haut: conscience de soi, conscience collective et conscience du milieu.
Trois paramètres d'analyse sont proposés: 1) les objectifs vises par les animateurs- et par l'atelier s'il y a lieu- dans le cadre du travail de prise de conscience; 2) les"habiletés" qu'on veut développer qui consistent en autant de capacités susceptibles de contribuer au développement de la conscience; 3) une liste des activités, des consignes à long terme ainsi que des "contextes particuliers d'apprentissage" qui servent nos interventions de travail sur la conscience.
Nous nous sommes servis, comme nous l'avons dit, des compte-rendus d'ateliers ainsi que des programmes pré-établis pour produire cet inventaire. Nous avons consigné ces données pour chacun des trois niveaux de difficultés avec lesquels nous intervenions au Tour de Lire cet année.
L'examen du tableau révèle certaines tendances qui peuvent contribuer à déterminer un cheminement à travers l'univers de la conscientisation. Toutefois, comme nous l'avons déjà dit, nous ne cherchons pas tant à produire un modèle général et rigide qu'à évaluer l'en-semble de notre démarche selon nos principes généraux. Voilà pour-quoi, nous nous sommes davantage attardés à relever comment s'établissait notre démarche à travers les trois dimensions de la conscience, et quels acquis cette démarche permettait.
Niveau complet
La lecture du tableau 6 nous permet de constater, que déjà dès le niveau complet, le processus de conscientisation s'enclenche d'une façon assez satisfaisante. La profondeur et la variété des activités énumérées n'est peut-être pas très marquée -surtout si on pousse la comparaison avec les autres niveaux-, mais il reste que le bilan de travail effectué révèle une excellente amorce de la progression à travers cette dimension.
Il ressort de façon assez évidente qu'à ce niveau, l'essentiel des énergies a été concentré sur la dimension conscience de soi. C'est d'ailleurs, la dimension qui est identifiée comme majeure parmi les trois, puisqu'elle reflète assez bien les réels efforts de mise en confiance et d'expression de soi qui ont été déployés par les participants-es à l'intérieur des ateliers.
Tableau 6 - Progression d'apprentissage, activités de conscientisation
Niveau complet (3 ateliers), hiver '83.
Majeure identifiée
Conscience de soi
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Identifier ses intérêts, ses besoins |
Confiance, Réflexion |
Prendre conscience de ses capacités |
Confiance, Autonomie |
Exprimer ses idées |
Confiance, droit à la parole, Expression |
Prendre des responsabilités |
Agir, s'organiser, Respect des consignes |
Développer sa créativité |
Initiative, confiance |
Activités
Conscience collective
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Formuler son idée pour être compris |
Confiance, Expression, Écoute |
Respect des autres |
Écoute, consensus |
Collaborer dans le travail |
Adaptation, ouverture, valorisation, solidarité |
Activités
Conscience du milieu
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Partager nos vécus |
Expression-analyse-réflexion-confrontation solidarité-valorisation |
Démystifier l'apprentissage et le milieu d'apprentissage |
Confiance-valorisation-reconnaissance du problème |
Réfléchir sur certaines situations de vie ou sociales, y chercher des alternatives |
Intégration-identification-analyse-critique |
Mieux connaître notre milieu de vie |
Autonomie-ressource-implication |
Activités
D'ailleurs, l'expérience vécue par rapport à cette dimension souligne avec acuité les difficultés et les problèmes que connaissent les participants, -particulièrement pour ce niveau- à sortir de leur gêne, de leur isolement et à prendre conscience de leur valeur propre. C'est un peu dans ce sens que sont énoncés les objectifs et les habiletés visés par les animateurs et les participants - toute-fois on peut trouver, qu'en général, les activités ne sont pas assez valorisantes à ce point de vue. Il faudrait davantage d'activités où les participants contribuent à la prise en charge de l'apprentissage et aussi davantage d'échanges sur leur vécu respectif. Nous savons que cela s'est fait dans une certaine mesure, mais nous croyons qu'une implication personnelle, en terme de prise des responsabilités et de prise de confiance serait un objectif à développer.
La dimension de conscience collective nous semble faiblement développée, quand on compare avec les deux autres niveaux de difficulté. Les moments d'interactions réelles, que ce soit à l'intérieur d'échanges ou dans l'apprentissage, ne sont pas systématiquement proposés durant les ateliers.
En fait, le travail sur la conscience de soi a peut-être accaparé la majeure partie des énergies mises dans l'atelier. On peut se demander s'il n'y a pas eu déséquilibre entre suivi individuel et suivi collectif au profit du premier. À ce niveau, un engagement personnel de l'animateur vis-à-vis chacun est quelques fois nécessaire pour permettre un premier "décollage" dans l'apprentissage et la confiance en soi.
Par ailleurs, nous avons éprouvé des difficultés dans la formation des groupes d'apprentissages (désistement, absences) qui nous ont laissé assez souvent avec des ateliers de deux ou trois personnes. Dans ce contexte, et avec les écarts de niveau d'apprentissage entre les participants qui ne manquent pas de survenir, il n'est donc pas surprenant de constater cette faiblesse générale du développement de la conscience collective.
Une façon efficace de développer davantage la conscience collective est illustrée par la réalisation du thème "épicerie" qui constitue la période forte des ateliers pour la dimension de conscience collective. Il fait donc voir à répéter ce type de fonctionnement et à impliquer davantage les participants dans des réalisations collectives à moyen terme.
De la même façon, l'expérience de production collective d'un journal est riche d'enseignements à ce point de vue et une telle formule adaptée à une "session régulière" mériterait d'être examinée.
Nous faisons un peu la même appréciation du développement de la dimension de conscience du milieu à l'intérieur des ateliers de niveau complet. Il faudrait voir à développer davantage cet aspect. L'expérience la plus significative est encore celle d'une visite dans une coopérative d'alimentation (préparée avec soin et utilisée par la suite dans l'apprentissage). C'est donc un thème qui a été développé avec ampleur et dont les "débouchés" sont multiples. C'est probablement la façon la plus rationnelle de travailler sur la conscience collective au niveau des complets.: choisir un thème qui colle au vécu, l'exploiter durant plusieurs ateliers sous de multiples aspects: apprentissage du code, contenu fonctionnel concret, préparation à une activité d'expérimentation (dans ce cas la visite), expérimentation collective sur le terrain, retour sur l'activité, utilisation dans les apprentissages, réflexion et échanges collectifs sur le thème). L'ensemble de ces étapes ont été réalisées dans le déroulement de ce thème particulier mais il faudrait peut-être systématiser ce type d'activité et ajouter plus de profondeur au niveau de la conscience critique.
En somme, nous nous interrogeons sur la faiblesse des dimensions de conscience collective et du milieu qui ont été quelque peu négligées au niveau des complets. Un souci de développement devrait être apporté pour appuyer davantage le travail sur ces dimensions.
Niveau semi - complet
Dans notre atelier de niveau semi-complet, c'est la dimension de conscience collective qui s'est développée de façon très marquée. C'est d'ailleurs l'aspect majeur du travail de conscience que nous avons relevé pour ce niveau.
Il est sur que la démarche personnelle de conscience est probablement beaucoup plus facile et déjà entreprise chez nos participants de ni-veau semi-complet. Il ressort, par contre, de la liste d'activités consignées pour la"conscience de soi", une certaine carence d'activités de valorisation individuelle et d'échanges inter-personnels sur des sujets comme la problématique de l'analphabétisme ou les conditions de vie.
C'est plutôt dans l'action collective qu'on a fait du chemin de même que par une certaine prise en charge du contenu thématique des apprentissages, concrétisée par les suggestions et la participation active des participants. Les participants et l'animatrice ont montré beau-coup d'esprit d'initiative en choisissant de créer des contacts ex-ternes pour échanger une correspondance par exemple. Une bonne ampleur sur le travail collectif dans les apprentissages est aussi à souligner, en particulier quand on compare avec le niveau complet.
Tableau 7 - progression d'apprentissage, activités de conscientisation
Niveau semi-complet (1 atelier) hiver '83
Conscience de soi
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
IDEM que niveau complet |
IDEM que niveau complet |
Plus favoriser la prise en charge et la participation active à certaines responsabilités dans l'atelier. |
Plus implication, engagement. |
Activités
Majeure identifiée
Conscience collective
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Collaborer dans le travail |
Adaptation-ouverture-valorisation-solidarité |
Ouverture/connaissance des autres |
Écoute-expression-confiance |
Décider/organiser ensemble des activités |
Organisation-consensus-écoute, respect initiative, connivence. |
Activités
Conscience du milieu
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Partager nos vécus |
Confrontation, valorisation, solidarité, Expression, réflexion, analyse |
Réfléchir sur l'analphabétisme |
Esprit critique, valorisation, démystification |
Réfléchir sur certaines situations de vie ou sociales |
Intégration, identification, analyse, critique |
Mieux connaître notre milieu de vie |
Autonomie, ressource, implication |
Activités
Finalement, c'est pratiquement toute une prise en mains de l'apprentissage qui s'est effectuée dans cet atelier et la connivence du groupe s'est développée de façon importante. C'est avec dynamisme que les participants ont fonctionné dans le cadre pédagogique que le Tour de Lire et l'animatrice proposaient. Les suggestions des participants sont alors apparues et l'animatrice a emboîté le pas sans hésitation.
On peut toutefois regretter un certain manque de profondeur dans la troisième dimension, conscience du milieu, qui montre qu'au delà des actions et sorties concrètes réalisées, il n'y a eu que peu de réflexion et d'échanges critiques sur les situations de vie ou les contextes sociaux. Ces sujets de discussion auraient quand même pu être relevés tout au long de ces activités. Eh fait, le traitement des thèmes pour ce niveau, s'est fait avec moins d'ampleur que celui fait pour le thème "épicerie"du niveau complet ou le thème"métiers" du niveau semi-fonctionnel/fonctionnel. Une certaine préparation et stratégie globale par rapport à un instrument comme le thème serait donc à réviser.
On peut donc conclure que dans notre atelier de semi-complet, l'accent a été tout entier mis sur la vie de groupe et la prise en mains collective d'une certaine partie du contenu et du cadre d'apprentissage. Par contre, on a peut-être trop délaissé les dimensions de conscience de soi et de conscience du milieu.
Niveau semi-fonctionnel / Fonctionnel
Sûrement le niveau d'atelier où l'ensemble des activités de conscientisation s'est développé avec le plus de profondeur et d'harmonie à travers les trois dimensions. Nous avons quand même souligné le travail particulier effectué dans l'aspect conscience du milieu par la richesse et l'ampleur des activités répertoriées. Information, échanges, recherches personnelles, mise en valeur des connaissances et des efforts don-nés, connaissance et réflexion sur une variété de sujets, parfois terre à terre, plus souvent d'une grande portée générale.
Cette performance a été possible par une utilisation systématique de l'outil thématique. Un premier bloc "fonctionnel" proposé en début de programme abordait pendant 5 ou 6 semaines des apprentissages concrets comme le chèque, le formulaire, la lettre, les noms de métiers. Une deuxième période de la session fut consacrée pendant 3 à 4 semaines au thème principal: la publicité sexiste. Enfin les 3-4 dernières semaines ont servi à la présentation des travaux-recherches des participants.
Tableau 8 - Progression d'apprentissage, activités de conscientisation
Niveau semi-fonctionnel et fonctionnel (3 ateliers) hiver '83
Conscience de soi
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
IDEM que niveaux complet et semi-complet MAIS SURTOUT |
IDEM que niveaux complet et semi-complet MAIS SURTOUT |
Développer son initiative/sa créativité |
Curiosité, autonomie, organisation, Irresponsabilité, valorisation |
Développer son esprit critique |
Réflexion, attitude critique, analyse, synthèse |
Entreprendre une démarche personnelle de travail/débrouillardise |
Autonomie, valorisation, initiative, organisation |
Activités
Conscience collective
Objectifs visés | "Habiletés" visées |
Former un groupe de travail |
Organisation-consensus-responsabilités-implication-collaboration-action |
Partager ses points de vue avec les autres |
Attention critique-écoute-respect-réflexion |
Que l'animateur soit davantage vu comme une personne-ressource |
Autonomie-partage des responsabilités |
Partage des connaissances entre participants |
Expression-valorisation |
Motivations aux activités d'apprentissage |
Volonté-constance-assiduité |
Recherche du consensus |
Dialogue -écoute- respect |
Activités
Majeure identifiée
Conscience du milieu
Objectifs visés | "Habiletés"visées |
Exprimer nos opinions, en débattre |
Expression-attention critique-confiance-assurance |
Se questionner, se faire une opinion sur certaines situations de vie ou sociales |
Identification-analyse-réflexion-synthèse |
Élargir son champ de connaissance |
Curiosité-compréhension-information |
Activités de transfert/généralisation |
Analyse-esprit critique-initiative-implication -action |
Activités
Ce rythme étourdissant peut être remis en question mais on ne peut qu'apprécier à sa juste valeur, l'effort mis pour impliquer les participants dans des réflexions personnelles et collectives favorisant l'expression et la valorisation des participants.
Certains participants ont quelque peu critiqué le choix du thème principal. Il faut dire que deux ateliers sur trois étaient formés entièrement d'hommes. Une meilleure écoute des aspirations et suggestions des participants aurait sûrement contribué à mettre sur pied un thème plus proche de leurs intérêts.
On peut aussi souligner que le thème principal qui a quand même eu beaucoup d'ampleur était davantage de l'ordre de la réflexion que du créatif. Là encore, l'expérience de la session de printemps pourrait, dans le cadre de la "pédagogie du projet", nous guider vers un thème d'une part, plus senti par les participants, et d'autre part, impliquant un travail plus franchement productif que critique. Par contre, les travaux-recherches ont comblé en grande partie cette lacune. De plus, plusieurs productions collectives ont été faites, mais pas avec l'ampleur qu'aurait permis un thème d'envergure traité selon une formule de projet. C'est donc une avenue qui reste à explorer pour nos ateliers de niveau semi-fonctionnel/fonctionnel.
Soulignons en terminant la variété et la richesse des acquis accumulés par rapport à la dimension de conscience de soi. Le développement certain de la confiance en soi et de la valorisation de nos participants (développement qui s'est mesuré de façon non équivoque dans la vie quotidienne de beaucoup d'entre eux), a été possible grâce à l'en-semble de l'appareil thématique, bien sûr, mais surtout par la démarche personnelle de recherche/préparation/animation/réflexion, qu'ont permis les activités de travaux-recherches. Chacun(e) a été fier(e) de présenter le fruit de ses efforts. Les animatrices de ces ateliers ont constaté le sérieux et le soin mis dans le travail. C'est donc une expérience à renouveler mais sans la départir de l'aspect "animation d'atelier" qui complète parfaitement le processus de recherche par un échange de connaissances avec l'ensemble des autres participants.
Il est assez intéressant de constater que les "dimensions" de conscience qui nous ont servi de grille d'analyse, semblent jouer un rôle dominant, une à une, à chacun des niveaux de difficultés. En effet, le travail sur la conscience de soi semble constituer la composante majeure du niveau complet. S'alphabétiser, pour ces participants, c'est se confronter à ses capacités, dépasser des limites qu'on croyait impossible à franchir, c'est prendre conscience de sa valeur, c'est apprendre à s'apprécier. Au niveau semi-complet, on expérimente la conscience des autres. Collectivement, dans un chaud climat de connivence, on s'ouvre sur son milieu, on confronte nos points de vue, on s'entraide dans l'apprentissage. S'alphabétiser c'est se solidariser avec les autres. Chez les semi-fonctionnels/fonctionnels, tout en concrétisant un travail personnel, et tout en partageant avec les autres les acquis de notre démarche, on appréhende notre milieu de vie: on partage nos intérêts, on démystifie le monde du travail, on aborde les questions d'actualité, on questionne nos valeurs et notre conformisme. S'alphabétiser c'est s'ouvrir sur le monde.
Nous croyons que cette correspondance entre nos trois niveaux de difficultés et les trois dimensions de la conscience, conscience de soi, conscience des autres, conscience du milieu, reflète assez bien notre pratique d'alphabétisation conscientisante. Il est important de travailler les trois dimensions à chacun des niveaux, mais il est frappant de voir que la portée du processus d'apprentissage se situe, tour à tour, à chacun des paliers. Cette constatation renforcit nos orientations vers un cadre d'approche tenant compte de ces trois dimensions.
On serait même tentés de parler d'étapes mais nous préférons cependant conserver une idée plus globale de notre intervention et considérer que les dimensions s'emboîtent les unes dans les autres alors que les "couvercles des boîtes sont ouverts". On peut, quelque soit le niveau, aller chercher une parcelle de prise de conscience dans chacune d'elle. Toutefois, ça prend plus de temps pour explorer en entier les plus grandes boîtes...
Par ailleurs, nous reconnaissons parfaitement le bien-fondé du travail sur la conscience à travers un processus libérateur face à la problématique de l'analphabétisme. Nous évaluons ailleurs, notre engagement à inclure une réelle réflexion sur la langue et la culture populaire et à intervenir dans le cadre d'une approche d'animation où la prise en main de l'apprentissage par les participants est possible. Notre approche individuelle/collective, encadrée par un appareil thématique qui reflète les attentes et les préoccupations du groupe, semble transparaître clairement dans le relevé de nos observations. De plus, nous convenons assez facilement, du rayonnement de la conscientisation à travers l'ensemble du processus d'apprentissage.
D'autre part, cet examen de notre pratique ne semble pas mettre en relief une "stratégie" claire d'intervention sur la conscience. C'est un peu normal puisque nous avons déjà annoncé notre réticence à embrasser un modèle spécifique de conscientisation. Toutefois, on s'attendrait peut-être à retrouver une pratique reflétant tout de même certains éléments d'orientation puisés dans le "procédé des contradictions" ou "l'approche par la problématisation". Or, il ne semble pas qu'on ait appliqué d'une façon cohérente les principes de ces "méthodes". Par contre, on retrouve davantage une volonté de faire référence à un "contexte du quotidien". "L'approche dialogique" du déroulement des activités de conscience semble également avoir été appliquée dans une certaine mesure.
Par les acquis de l'observation globale que nous venons de faire sur la place et la portée des activités de conscientisation dans notre intervention, nous serons à même d'alimenter le débat et les questionnements sur ces différents modèles et orientations de travail. D'autres modèles d'approche sont aussi possibles (par exemple, la pédagogie du projet). La tâche qui nous attend à ce niveau consistera donc à peser, à la lumière de notre pratique, le pour et le contre des différentes options qui s'offrent à nous et à systématiser notre approche en fonction des choix que nous effectuerons.
Quoi qu'il en soit, mesurer les acquis de cette dimension particulière qu'est la conscientisation demeure tout de même un exercice approximatif. Comment rendre compte de l'épanouissement certain des participants qui sont venus à nos ateliers? Comment apprécier leur implication constante à vouloir se prendre en main? Comment témoigner de leur volonté, de leur solidarité, de leur tolérance face à un contexte souvent gênant, "dérangeant", insécurisant?
Comment saisir la signification des moments vécus dans une évaluation de fin de session, dans un échange à bâtons rompus, dans la préparation d'une pièce de théâtre sur la condition des femmes, dans la mise sur pied d'une activité sportive, dans la réalisation quotidienne de la vie du Tour de Lire...
Être plus conscient, c'est aussi reconnaître que les acquis les plus significatifs sont souvent du domaine du "senti" et de l'impalpable cheminement de chacun à travers une perception de soi, des autres et du milieu qui n'est jamais objective, ni objectivement observable. Intervenir par une alphabétisation conscientisante c'est donc aussi faire l'expérience de la confrontation et de la réunion de plusieurs individus consciemment engagés vers un but commun ou chacun crée sa propre évolution.
Le contenu des apprentissages en tant que tels constitue l'essence même du processus d'alphabétisation que nous réalisons au Tour de Lire. C'est sur le terrain des apprentissages notionnels et fonctionnels que se bâtit la structure même de notre approche pédagogique ainsi que ses ramifications à travers les autres dimensions de notre intervention (Vie de groupe, conscientisation, etc.).
Il était d'une grande importance pour nous d'entreprendre un questionnement poussé sur ces contenus d'apprentissage. Il s'agissait surtout de jeter un regard le plus "neutre" possible sur la matière vue en atelier en d'en opérer un relevé systématique nous permettant d'identifier la "progression dans les apprentissages" d'un niveau de difficulté à un autre. De plus, nous voulions arriver à "qualifier et quantifier" la matière vue d'une façon qui nous permette de faire les correspondances avec nos orientations et nous principes d'intervention.
L'intervention en alphabétisation au Tour de Lire s'est forgée au long des expériences d'animation et des activités d'apprentissage dont notre pratique même nous enrichissait, en même temps que se tenait au sein du collectif d'animateurs, un perpétuel débat plus théorique sur la teneur même des contenus que nous voulions développer. L'occasion qui nous est donnée par la présente étape de recherche-action nous permet donc de rendre compte, dans un premier temps, des acquis de trois ans d'alphabétisation"sur le tas".
C'est à partir de cette pratique que nous voulons dans un second temps, proposer un"guide non-directif sur les contenus notionnels et fonctionnels" dont l'utilisation nous permettra de viser une adéquation plus ajustée de nos objectifs d'apprentissage avec notre pratique pédagogique, une continuité plus soutenue entre la matière vue d'un niveau de difficulté à un autre, de même que plusieurs possibilités d'application concrètes assurant une amélioration de la planification de notre intervention.
Voici donc, en résumé, en quoi consiste le présent chapitre: en première partie, un relevé des contenus d'apprentissage du code notionnel et des habile-tés fonctionnelles vues en atelier et, en deuxième partie, la présentation d'un guide d'apprentissage notionnel et d'un guide d'apprentissage fonctionnel, fruits d'un travail visant à systématiser pour l'avenir nos pratiques d'alphabétisation.
Nous avons donc voulu entreprendre une large démarche d'observation de notre pratique afin de déterminer la teneur de la matière vue dans les ateliers. Pour ce faire, nous avons "épluché" les compte-rendus et programmes d'ateliers de l'année 1982-83, de façon à pouvoir identifier avec précision l'essentiel des contenus d'apprentissage. (Voir dans l'introduction générale notre démarche de cueillette.)
De cette façon, nous avons pu esquisser une représentation assez fidèle de la démarche pédagogique que trois ans d'alphabétisation nous ont conduits à développer. Afin de faciliter l'observation de cette démarche nous avons divisé nos contenus d'apprentissage selon qu'ils se rapportaient à des exercices visant l'acquisition d'éléments spécifiques du code linguistique écrit ou parlé - c'est ce que nous avons appelé le "contenu notionnel" - ou selon qu'ils s'employaient à développer des habiletés pratiques d'utilisation du code en contexte, c'est-à-dire pour faire face concrètement à des situations de la vie quotidienne dans ses multiples aspects - c'est ce que nous avons appelé le "contenu fonctionnel".
Nous avons donc opéré un relevé séparé de ses deux composantes des con-tenus d'apprentissage en tentant de mettre en lumière leurs diverses qualités et leurs lacunes. Nous nous sommes aussi appliqués à présenter le cheminement des apprentissages d'un niveau de difficulté à un autre. Cette étape de cueillette et d'analyse s'est avérée assez laborieuse puisqu'elle supposait la construction d'une grille d'observation ainsi qu'une systématisation et une opérationnalisation des éléments recueillis selon une certaine structure d'interprétation.
L'essentiel de ce travail fût effectué par le biais de tableaux reprenant d'une façon ou d'une autre le relevé et l'analyse de la matière vue en atelier. Nous proposons, dans le présent chapitre, de nous attarder à la forme la plus achevée des tableaux que nous avons élaborés. Cependant, les observations que nous formulons peuvent être issues de l'interprétation de tableaux construits à des étapes antérieures qui, tout en se rapportant au même matériel, en révèlent certains aspects spécifiques moins évidents à l'examen des tableaux présentés.
Nous présentons, pour illustrer le développement des contenus notionnels des apprentissages, un tableau rendant compte du travail sur le code effectué dans la plupart des ateliers du Tour de Lire (9 en tout) lors des sessions d'automne 1982 et d'hiver 1983. Un examen de cette période nous a permis d'établir avec assez d'exactitude l'ensemble des notions acquises dans ces neuf ateliers au long des divers exercices et activités d'apprentissage. Après avoir mis en liste de façon assez détaillée l'ensemble des éléments du code identifiés le long d'une trame temporelle reproduisant la succession des ateliers, nous avons pu regrouper ces éléments selon six catégories de notions. Ces catégories déterminent le cheminement du travail sur 1) l'alphabet, les lettres, 2) sur les sons et/ou les syllabes, 3) sur le mot, 4) sur la phrase, 5) sur le texte, 6) sur les travaux-recherches. (cf tableaux 9-A à 9-G ). En fait, ces six groupes d'éléments notionnels découpent l'apprentissage du code linguistique d'une catégorie comprenant les unités de base du langage écrit (les lettres), à une catégorie les combinant pour produire les unités suivantes selon la structure que nous proposons (les syllabes/les sons), eux-mêmes s'alliant pour former les mots et ainsi de suite pour les phrases, les textes et les travaux-recherches.
Comme on le voit, ce découpage peut rendre compte tant d'un travail sur la forme de la langue que d'un travail sur son contenu. Il permet donc de visualiser la globalité de notre approche pédagogique qui s'attarde à travailler en atelier, tant les aspects techniques de base nécessaires à l'acquisition du code, que le travail plus "symbolique" et plus riche de signification.
En encadré dans nos tableaux apparaît le travail effectué à cheval entre deux catégories de notions qui témoigne des liens faits entre les catégories dans le quotidien des ateliers ainsi qu'encore une fois de la globalité du travail.
Par ailleurs, la succession des ateliers et des niveaux de difficulté permet d'intégrer la continuité des apprentissages entre trois paliers d'une démarche de pédagogie répondant à autant de "degrés" d'analphabétisme: "complet", "semi-complet"et un regroupement de participants considérés "semi-fonctionnels et fonctionnels". Ajoutons que le premier compte-rendu présenté reproduit un atelier qui pourrait ressembler à certains égards à une démarche de travail en pré-alpha. Les six autres trames proposées reproduisent nos trois niveaux sur une période de travail de deux sessions, ce qui permet une chaîne continue d'un niveau à l'autre.
En gros, on peut retenir que pour nos trois ateliers de complets, après un certain travail sur l'alphabet et la lettre, on développe surtout l'acquisition des sons/syllabes simples puis de plus en plus complexes et un travail assez poussé sur le mot qui devient l'élément majeur d'apprentissage pour ce niveau. On amorce un travail sur la phrase de façon pondérée.
Au niveau semi-complet, on poursuit sur les sons-syllabes et le mot pour finalement faire de la phrase l'unité majeure d'étude lors de la deuxième session.
Lors de la session d'automne, les semi-fonctionnels/fonctionnels ont eu comme élément dominant de travail la phrase et ce, avec assez d'ampleur; de plus, une continuité sur le travail du mot les met en bon synchronisme avec le niveau précédent. La progression se poursuit lors de la session suivante où la variété des apprentissages permet tout de même d'identifier le texte comme composante majeure de travail débouchant sur un processus de recherche global qui a permis aux participants d'atteindre un assez haut degré d'implication et de créativité dans la préparation, la rédaction et la présentation de leur "exposé". Le mot demeure un élément important du contenu même à ce niveau et on poursuit l'acquisition de sons complexes dans leur graphie.
Un examen plus en détail des tableaux permettrait une analyse plus poussée de chaque session étudiée et nous habiliterait à identifier un cheminement presque "atelier par atelier". Toutefois, nous nous refusons à un tel type d'analyse et préférons plutôt nous servir des informations recueillies par cette observation de notre pratique pour proposer un guide pratique de progression d'apprentissage apte à systématiser de façon concertée le contenu notionnel de nos ateliers à venir mais plus en termes d'objectifs pédagogiques à atteindre à l'intérieur d'un niveau que par une progression détaillée et probablement trop artificielle. C'est cette démarche que nous proposons quant au contenu notionnel dans la deuxième partie de ce chapitre.
Le relevé des activités d'ateliers de la session d'hiver 1983 se référant à un contenu "fonctionnel" tel que défini plus haut, laisse voir une liste d'apprentissages communs à tous les ateliers quels que soient les niveaux de difficulté des participants. Un certain nombre d'apprentissages spécifiques sont vus surtout dans un atelier ou un niveau précis. Le rythme des acquisitions va d'assez lent au niveau complet, à plutôt rapide chez les semi-fonctionnels/ fonctionnels. Le nombre des activités visant la maîtrise d'habiletés fonctionnelles est assez similaire pour les niveaux complet et semi-fonctionnel/fonctionnel. Toutefois, il est moindre chez les semi-complets.
De façon générale, on peut observer que les habiletés visées sont plutôt usuelles et très concrètes chez les complets et semi-complets pour devenir beau-coup plus globales et contextuelles chez les semi-fonctionnels/fonctionnels. À ce dernier niveau, il semble qu'on en soit à un processus général d'acquisition qui vise "a apprendre à apprendre" et à développer l'autonomie et la faculté d'opérer des transferts de connaissances à des situations ou des contextes nouveaux où l'esprit d'analyse, d'initiative et de créativité va jouer un rôle important. Chez nos deux premiers niveaux, les apprentissages semblent plus"ponctuels" et moins orientés vers un objectif global spécifique. (Cf Tableaux 10-A à 10-C)
On peut noter aussi l'importance que joue le contexte apporte par le traitement des thèmes à l'intérieur des ateliers dans le cours des apprentissages fonctionnels: épicerie, noms de rues, noms de métiers, etc..
Enfin, il nous a semblé que de façon générale, on était assez à l'écoute des attentes des participants quant à la teneur des apprentissages de type fonctionnel. C'est un bon point en ce qui concerne nos objectifs de prise en mains des apprentissages par les participants mais il faut se montrer prudent afin de ne pas trop tomber dans le travail "ad hoc". Notre proposition d'un guide des habiletés fonctionnels dans la partie qui suit va dans le sens d'une approche plus systématique des contenus fonctionnels des apprentissages en atelier. Ce guide complète par sa variété le développement concerté que nous avons voulu faire d'activités visant des habilités fonctionnelles propres à rendre plus autonomes et plus avertis nos participants et ce, dans toutes les situations de la vie quotidienne.
Tableau 9.A – Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau complet, atelier du mardi soir, Hiver '83 (28 ateliers)
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Tableau 9-B - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau complet, atelier du lundi soir, automne '82, (21 ateliers)
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Tableau 9-C - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau complet, ateliers du lundi & mardi soir, hiver '83, (28 ateliers)
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Tableau 9-D - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau semi-complet, atelier du mardi soir, automne '82, (21 ateliers)
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Tableau 9-E - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau semi-complet, atelier du mardi soir, hiver '83, (28 ateliers)
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Tableau 9-F - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau semi-fonctionnel et fonctionnel, ateliers du lundi et mardi soir, automne 82 (11 ateliers).
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Tableau 9-G - Progression d'apprentissage, contenu notionnel
Niveau semi-fonctionnel et fonctionnel, ateliers du lundi et mardi soir et du mercredi matin, hiver 83 (14 ateliers).
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Tableau 10-A - Progression d'apprentissage, contenu fonctionnel
Niveau complet (3 ateliers) hiver '83.
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Tableau 10-B - Progression d'apprentissage, contenu fonctionnel
Niveau semi-complet (1 atelier) hiver '83
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Tableau 10-C - Progression d'apprentissage, contenu fonctionnel
Niveau semi-fonctionnel/ fonctionnel (3 ateliers) hiver '83
[Voir l'image pleine grandeur]
Comme nous l'avons vu précédemment, la cueillette des données dans tous les ateliers et leur systématisation en tableaux sur les contenus notionnels et fonctionnels nous ont amenés à réfléchir et à analyser notre pratique afin d'en tirer des constats utiles pour l'avenir.
Évidemment, cette démarche nous a permis de discerner certaines lacunes dans notre façon de procéder au niveau des apprentissages notionnels et fonctionnels, et aussi de réaliser l'importance de l'écart (parfois rencontré) entre nos objectifs réels et les résultats concrets obtenus. (Cette analyse particulière de notre pratique pédagogique a fait l'objet d'un débat dans le cadre de la recherche-action en juin 1983. Les constats effectués sont trop spécifiques à chaque atelier pour figurer dans ce rapport.)
Bien qu'évidemment, le Tour de Lire avait des objectifs aux niveaux notionnels et fonctionnels, il n'y avait pas de politique claire à ce sujet, qui, sans être directive et contraignante respecterait une démarche naturelle de découverte des notions (sujet cher au Tour de Lire).
C'est pourquoi, à partir des constats de pratique énoncés plus haut, nous avons décidé de nous doter d'un outil qui nous permettrait de combler les lacunes identifiées jusqu'à maintenant. Les tableaux nous montraient bien le type de notions vues en atelier sans toutefois révéler le travail réellement fait sur cette notion, en terme d'habileté par exemple.
De par notre expérience, nos lectures et nos débats, nous connaissions "intuitivement" la démarche qui fait qu'on intègre "réellement" une notion au point d'être capable de l'utiliser par la suite. Et cette démarche tient compte des habiletés réelles. Tout ce qui nous manquait, c'était donc de transposer ce que nous savions, à partir de la pratique, en termes de démarche de progression des habiletés notionnelles et fonctionnelles.
Nous avions aussi besoin d'un outil qui, tout en tenant compte de la pratique et des constats, permettrait au Tour de Lire de développer, planifier ses activités d'une façon plus globale, plus systématique et donc, par le fait même, rendrait possible une évaluation plus rigoureuse.
Nous avons d'abord conçu un Guide d'apprentissage Notionnel découpé en cinq parties (Alphabet/Lettre, Sons/Syllabe, Mot, Phrase, Texte) à l'instar des tableaux d'observation de la pratique de progression d'apprentissage que nous venons de présenter. Ceci, afin de nous permettre d'identifier, sans pour autant délaisser la globalité des apprentissages, la progression des habiletés à maîtriser dans chacune de ces cinq catégories, dans le but d'acquérir une meilleure compréhension et utilisation du code écrit. (Cf Tableau 11)
Dans chacune de ces parties, les notions sont classées selon un ordre numérique qui ne représente pas nécessairement une gradation dans la complexité de celles-ci.
De plus, étroitement lié à cette présentation des notions, nous avons cru bon, pour les raisons mentionnées plus haut, d'ajouter selon un ordre de progression ascendant, les habiletés essentielles à maîtriser tour à tour en vue de l'acquisition de ces notions.
Cette classification (et des notions et des habiletés) correspond donc à la moitié gauche de ce Guide d'apprentissage Notionnel. Comme ce Guide a essentiellement été conçu à partir de la pratique mais aussi en fonction de ses possibilités d'application, nous vous le présentons ici, dans une version spécifique visant à définir, à titre indicatif, un modèle de progression d'apprentissage à travers les niveaux de difficulté.
Quant au Guide d'apprentissage Fonctionnel, la démarche qui a sous-tendu sa réalisation est sensiblement la même que pour le Guide Notionnel.
Par contre, comme ce type d'apprentissage n'implique pas nécessairement une progression ascendante, d'un élément au suivant, nous ne les avons pas numérotés. Il ne s'agit pas ici de notions, mais plutôt d'habiletés liées en même temps à l'apprentissage notionnel. Comme les habiletés contenues dans le Guide d'apprentissage Fonctionnel s'adressent à tous les participants (es) quel que soit leur niveau de difficulté, nous ne le présenterons pas dans la même version que le Guide d'apprentissage Notionnel. (Cf Tableau 12)
Tableau 11 - Guide d'apprentissage, contenu notionnel
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(Tableau 11... suite)
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(Tableau 11... suite)
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(Tableau 11... suite)
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(Tableau 11... suite)
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Tableau 12 - Guide d'apprentissage; contenu fonctionnel
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(Tableau 12... suite)
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(Tableau 12... suite)
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(Tableau 12... suite)
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(Tableau 12... suite)
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(Tableau 12... suite)
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Perspectives d'application et de développement des guides d'apprentissage notionnel et fonctionnel
Comme on peut le constater, ces Guides d'apprentissage Notionnel et Fonctionnel permettent une polyvalence d'utilisation très intéressante tant au niveau de la planification que de l'évaluation. Ils entrouvent, de plus, des possibilités d'utilisation applicables à plusieurs niveaux d'apprentissage. Nous vous présentons donc les nombreuses perspectives d'application et de développement des Guides d'apprentissage en deux volets soit, premièrement, la planification de nos activités d'apprentissage, et deuxièmement, leur évaluation. Par commodité, nous avons regroupé le Notionnel et le Fonctionnel.
Pour plus de clarté, nous croyons bon de répéter que c'est la partie gauche des documents qui constituent les Guides. Les applications possibles se retrouvent donc dans la partie de droite.
Guides d'apprentissage notionnel et fonctionnel: outil de planification
Les guides identifient à peu près toutes les activités/habiletés essentielles à posséder afin de parvenir à une maîtrise du code écrit et du domaine fonctionnel dans toutes leurs composantes. Il est clair qu'ils n'ont pas été conçus dans l'esprit d'en faire un programme rigide. Bien au contraire, nous croyons qu'ils fournissent des repères utiles à l'élaboration d'activités d'apprentis-sage cohérentes. Car tout en travaillant avec la méthode globale, il est important de pouvoir cerner les composantes réelles de tels apprentissages.
Donc, ces guides rendent possible la planification d'une progression/programme d'apprentissage concret et cohérent et ce, pour un cheminement établi sur trois ans, sur un an, ou sur une session.
Par le fait même, nous pouvons donc maintenant identifier les principales étapes d'apprentissage ainsi que les seuils qui déterminent le passage d'un niveau à un autre.
Bien que peut-être arbitraire, la définition de ces seuils permet d'éviter les répétitions inutiles d'un niveau à un autre, de s'assurer des acquisitions réelles des participants(es), pour ainsi se concentrer sur de nouveaux apprentissages.
Il y aura donc plus de cohésion dans le travail de l'équipe d'animateurs du Tour de Lire au niveau des ateliers hebdomadaires.
Nous pourrons alors planifier des activités d'apprentissage qui tiennent vraiment compte des objectifs notionnels et fonctionnels que nous nous fixons. Ce que nous planifierons, nous saurons pourquoi nous l'avons planifié. Ainsi, les liens d'un apprentissage à l'autre seront plus étroits. Les acquisitions ne seront pas isolées.
Ces deux guides vont enfin permettre de planifier des outils et des moyens qui coïncident vraiment avec nos objectifs. Et aussi, de développer au maximum les possibilités d'utilisation d'un outil/moyen à l'intérieur d'un même niveau, et même dans tous les niveaux.
Nous pourrons même développer des exercices (sur feuilles) des cahiers pédagogiques, des thèmes vraiment en lien avec le contenu et l'esprit des ateliers. Ceci, en extension aux ateliers et encore là, soit par niveau ou pour tous.
Voilà donc quelques-unes des applications possibles des Guides d'apprentissage au niveau de la planification. De telles perspectives seraient évidemment incomplètes sans leur pendant, qui touchent l'évaluation.
Guides d'apprentissage notionnel et fonctionnel: outil d'évaluation
À partir du même guide de base, nous avons développé une Grille d'évaluation individuelle pour les nouvelles personnes recrutées. Cette grille permet d'évaluer avec précision les connaissances et les acquis des nouveaux participants. En extension à cette grille, nous sommes à mettre au point un "Kit Évaluation" pour regrouper toutes les habiletés/notions à évaluer. Cela évitera les évaluations "intuitives". Cette grille donne donc une base d'évaluation égale, peu importe la personne qui fait l'évaluation. Cela facilite donc une meilleure homogénéité des participants(es) à l'intérieur des niveaux et des groupes. La grille est échelonnée sur une progression, un cheminement de trois ans, durant lesquels des évaluations sont faites à intervalles réguliers. Ceci permet de cerner la globalité du cheminement de la personne ainsi que ses difficultés particulières par rapport à l'ensemble du groupe. Nous pouvons aussi évaluer la progression "réelle" des individus, ainsi que leur rythme d'apprentissage. Le suivi des personnes est donc mieux assuré. (Cf Tableau 13)
Nous avons aussi construit un outil d'évaluation des contenus d'ateliers (Évaluation hebdomadaire des Ateliers). Il s'agit de vérifier si les Moyens et les Outils nous ont permis d'atteindre les objectifs que nous nous fixons tant au plan notionnel et fonctionnel que de conscience ou de Vie de Groupe.(Cf Tableau 14)
Dans les cas où nous planifions des Activités/Moyens/Outils/Thèmes communs à plusieurs ateliers, nous avons conçu un outil "Équipe-Atelier" permettant d'évaluer leur valeur, non seulement au sein d'un petit groupe mais par rapport à l'ensemble des ateliers. Il est donc possible d'apporter rapidement les corrections nécessaires quand il y a lieu. (Cf Tableau 15)
Tableau 13 – Grille d'évaluation individuelle (Extrait)
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Tableau 14 – Planification / Évaluation hebdomadaire des ateliers
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Tableau 15 - Planification moyens / outils; Activités communes
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Pour supporter cette démarche, les deux équipes d'animateurs se rencontrent chaque semaine afin de planifier et d'évaluer des activités/moyens/outils communs.
Comme tous ces outils, tant de planification que d'évaluation viennent d'être conçus ou le seront bientôt, ils sont présentement à l'essai. Après une session d'utilisation, nous serons plus en mesure d'évaluer leur efficacité réelle quant à l'amélioration conséquente de nos activités d'alphabétisation.
Le schéma suivant devrait permettre de situer tous ces outils dans un contexte "global" et de mieux saisir les liens qui les unissent.
Schéma "A" - Guides d'apprentissage notionnel et fonctionnel
Polyvalence d'utilisation multi-niveaux
Planification | Évaluation |
Grille d'évaluation individuelle |
|
"Kit Évaluation" **(!) |
|
Progression / Programmes d'apprentissage |
Évaluation des Programmes ** |
A) sur 3 ans |
|
Étapes d'apprentissage seuils entre les niveaux |
Évaluation du Rythme d'apprentissage** |
Planification Hebdomadaire (1) des Ateliers |
Évaluation Hebdomadaire des Ateliers |
Planification Moyens/Outils (1) Activités communes |
Évaluation Moyens/Outils (1) Activités communes |
Planification Blocs/Thèmes ** Activités (Multi-Niveaux) |
Évaluation Blocs/Thèmes ** Activités (Multi-Niveaux) |
(1) Extensions des Guides.
** Outils non encore développés.
Nous voici au terme de cette deuxième étape de recherche-action au Tour de Lire. Plus que toute chose, nous avons tenté, à travers l'étude des cinq priorités de travail que nous nous étions données, d'opérer un relevé fidèle de notre intervention dans son action quotidienne de travail. Nous avons tenté de systématiser nos observations afin d'en rendre l'interprétation intelligible. Nous croyons que nous sommes parvenus indéniablement à faire avancer nos connaissances et notre réflexion sur la forme que prenait notre intervention d'alphabétisation.
Nous avons aussi réussi à enrichir notre démarche d'orientation et de prise de position de plusieurs jalons importants. Nous avons énoncé, le plus clairement possible, les grands principes de base qui nous servaient de guides dans notre pratique. Par ailleurs, nous avons aussi pu quelquefois formuler d'autres propositions qui reflétaient pour la première fois une opinion commune à tous révélant ainsi au grand jour des façons de voir sur des sujets que nous n'avions pas encore exploré ensemble.
En d'autres lieux, les constats de la recherche-action suscitent encore des questionnements et des débats qui doivent s'actualiser dans une véritable démarche de réflexion commune. C'est pourquoi, le collectif du Tour de Lire a décidé de poursuivre cette étape de la recherche-action jusqu'à l'élaboration d'un corpus de recommandations et d'un plan d'application reflétant nos positions fondamentales par rapport aux cinq priorités de travail que nous avions identifiées. Pour ce faire, nous avons décidé de tenir, dans les deux prochains mois qui vont suivre la remise de ce rapport, une série de "réunions de travail" sur chacun des thèmes de la recherche. De cette façon, nous pourrons partager la connaissance de notre pratique que nous offre la recherche et discuter des observations et des interprétations qu'elle fait de notre intervention. Par la suite, nous serons à même d'établir de façon concertée et éclairée nos positions de base et notre orientation générale de travail. Plus encore, nous pourrons convenir ensemble d'un plan d'application rigoureux et réaliste de ces principes dans notre pratique de façon à "ré-ajuster" et à refléter le plus fidèlement nos choix dans notre action. Nous croyons que de cette façon, nous sommes sur la voie d'un réel développement de notre intervention d'alphabétisation.
Par ailleurs, nous sommes aussi à préparer la troisième étape de la recherche-action. Cette étape consistera dans l'essentiel à produire une banque d'outils/moyens devant servir à la bonne marche des apprentissages.
Après une première étape de recherche où nous avons développe les principes de base de notre approche pédagogique et une seconde étape où nous avons continué ce travail d'orientation en plus de vérifier l'adéquation de ces principes à la réalité de nos ateliers d'alphabétisation, nous proposons donc d'entrer cette année dans une phase d'application concrète fondée sur les acquis des deux étapes précédentes.
Par la production d'outils pédagogiques, nous comptons témoigner de nos choix et de notre expérience de travail en nous donnant la possibilité d'avoir accès à un matériel pédagogique commun à l'ensemble des ateliers. De plus, en vertu du développement de nos orientations et du nouveau regard que nous venons de jeter sur notre intervention, nous nous croyons en mesure d'élaborer des outils dont le contenu, la forme et le mode d'application proposés refléteront, de façon concertée ce développement.
En outre, nous comptons expérimenter en atelier et réévaluer cette nouvelle production afin d'en faire un bilan et d'en tirer de nouvelles perspectives d'amélioration de notre intervention.
Pour terminer, nous aimerions rappeler que dans l'esprit même des observations que nous avons faites tout au long de cette recherche, nous croyons qu'un véritable processus de développement de notre pratique ne sera pleinement conforme à nos grands principes d'intervention que dans la mesure où nous impliquerons les participants à ce vaste processus. Les modalités d'une telle implication restent encore à définir mais nous devons garder ce principe à l'esprit si nous voulons préserver nos chances d'améliorer notre action.
Programme des activités de recherche-action
Le présent projet des activités de recherche-action pour cette année, se veut en continuité avec la démarche entreprise dans un premier temps au cours de l'année 1981-82.
Après avoir développé un corpus théorique global sur notre démarche d'intervention en alphabétisation populaire, il nous est maintenant indispensable et nécessaire d'entreprendre un exercice de réflexion dynamique sur l'ensemble de nos pratiques à l'intérieur même de nos activités d'alphabétisation. Il s'agira ici d'un travail d'évaluation concertée et orientée par la confrontation entre le modèle théorique élaboré et les acquis de nos expériences concrètes.
Le défi que nous nous donnons dans un tel contexte, c'est de faire progresser notre pratique quant au fond et à la forme, quant à l'orientation générale que nous voulons adopter à travers nos activités quotidiennes d'éducation populaire, afin que notre travail contribue à améliorer les conditions socio-culturelles des personnes analphabètes rejointes à l'intérieur de notre intervention.
En plus de faire avancer notre propre travail au Tour de Lire, nous avons aussi comme objectif à plus long terme de faire profiter l'ensemble du milieu populaire concerné par l'alpha, de notre expérience spécifique; par la diffusion éventuelle, dans un autre moment, de notre intervention en alphabétisation.
L'étape actuelle de la recherche-action s'articule donc autour de deux volets spécifiques: 1) l'expérimentation du modèle global d'apprentissage concurremment à 2) un certain retour sur les acquis théoriques.
Volet I - Expérimentation du modèle global d'apprentissage
Objectifs
Mandat de recherche
Volet II - Formulation théorique du schéma
Objectifs
Mandat de recherche
I) Le phénomène de la langue et ses dimensions
(Le travail dans la langue)
A) La langue, organe et véhicule de communication
Q. 1
De façon générale, quelle fonction, quel rôle, quelle importance, la langue tient-elle dans notre société selon les deux formes principales qu'elle revêt?
a) La parole; dans l'expression de soi, dans la compréhension de l'autre, dans nos échanges, nos conversations, notre quotidien, etc.
b) L'écrit;
-dans nos lectures (journaux, livres, loisirs, travail, comptes, publicité, bail, etc.)
-dans l'écriture (lettres, commandes, travail, etc.)
Q. 2
Dans notre monde en transformation (avec l'élargissement massif de la diffusion des mass-média et l'introduction poussée de l'informatique (elle forme de langage) dans des secteurs comme les loisirs, le travail, l'information, l'école, la gestion etc.),es-timons-nous que la parole et/ou l'écrit sont voués à une certaine marginalisation?
Q. 3
Dans ce contexte, que pensons-nous des choix récents sur l'enseignement de la langue dans le système d'éducation au Québec? (Réforme scolaire, français oral/écrit, initiation à l'informatique)
Q. 4
Brièvement, quelle est la situation vécue par les analphabètes dans un Québec "lettré" et bientôt "informatisé"?
- par rapport à la parole
- par rapport à l'écrit
- par rapport aux média de masse
- par rapport à l'informatique (Qui est analphabète?)
Q. 5
a) Comment se définit alors, au Tour de Lire, l'apprentissage de la langue dans la parole et dans l'écrit?
b)Croyons-nous que, plus spécifiquement, l'intervention Alpha peut contribuer à "l'amélioration de la communication " pour les participants?
c)Pouvons-nous donner des exemples concrets où l'impact du travail Alpha a contribué à opérer des changements d'importance-chez des individus en particulier, -à l'intérieur de nos groupes dans leur ensemble?
B) La langue, identification, intégration, contrôle social
Q. 6
Comment la langue, tout en servant de véhicule de communication, rend-elle compte et participe-telle...
- à la division de la société en classe
- à la division hommes/femmes
- à d'autres contradictions sociales
Q. 7
a) S'il y a une classe dominante, y-a-t-il une langue, une culture dominantes? Quelles en sont les caractéristiques?
b) S'il y a une classe populaire, y-a-t-il une langue, une culture populaires? Quelles en sont les caractéristiques?
Q. 8
a)Quant aux analphabètes, quelles sont les caractéristiques de leur environnement social et culturel?
b) Quelle est leur perception par rapport à eux-mêmes et à la place qu'ils occupent dans la société?
c) Comment cette réflexion reflète-telle le pouvoir de l'idéologie (de la culture) dominante mais aussi la vitalité et la conscience de la culture populaire?
Q. 9
a) Comment l'apprentissage d'une langue en Alpha peut-il contribuer à se défaire des stéréotypes, des préjugés, du défaitisme?
b) Comment l'apprentissage d'une langue peut-il aussi contribuer à renforcer l'intégration et le contrôle social de ceux qui l'apprennent?
Q. 10
a) En tant qu'animateur (issu ou situé dans un milieu social parfois différent de celui des participants), comment réussissons-nous à composer avec ces deux tendances de la langue? (contrôlante et libératrice)
b)Sentons-nous que nous participons à l'intégration à la culture dominante?
c)Ou sentons-nous que nous avançons vers la reconnaissance d'une véritable culture populaire?
Q. 11
Avons-nous des exemples concrets (individuels ou collectifs) reflétant ce processus de conscientisation pour les participants?
C) Contexte historique et vivant
Q. 12
a) Qui fait la langue? (Ceux qui détiennent le pouvoir politique, ceux oui détiennent le pouvoir économique, les intellectuels, l'Académie française, le peuple?)
b)Qui fait quelle(s) langue(s)? (Motions de dialectes, variétés, niveaux de langage,degrés, régionalisme etc.)
Q. 13
Sommes-nous sensibles à l'héritage historique de la langue française parlée au Québec? (Grecs, Romains, Gaulois, Francs, Français, Amérindiens, Anglais, Américains,Québécois, Acadiens, régions)
Q. 14
a)Quelle langue parlons-nous au Québec? Quelles sont les caractéristiques de cette langue?
b) Quelle langue écrivons-nous? (les rapports entre l'écrit et le parlé en français, au Québec)
Q. 15
Historiquement, comment peut s'expliquer le phénomène de l'analphabétisme au Québec, à Montréal, dans Hochelaga-Maisonneuve?
Q. 16)
À notre tour, en tant qu'usager d'une langue, avons-nous la possibilité de contribuer à l'évolution de cette langue?
II. Place du code, des codes dans les contenus d'apprentissage
(Le travail sur la langue)
Q. 17
Quelle(s) langue(s) (degrés, niveaux, variétés) enseignons-nous dans les ateliers? Y-en-a-t-il que nous bannissons?
Q. 18
a) Quelle attitude, quel niveau de tolérance avons-nous face aux "fautes", aux difficultés par rapport à la norme, aux formes préférées? (Simplification vs vulgarisation)
b)Avons-nous la même tolérance par rapport au lexique, à la gram-maire, à la syntaxe?
Q. 19
a) En tant qu'animateur Alpha,quelle langue, quel niveau, quel usage de la langue visons-nous pour nos participants?
b) Est-ce que l'atelier (dont nous faisons partie) formule les mêmes objectifs par rapport à la langue dont on veut faire l'apprentissage?
Q. 20
Dans notre atelier, quels moyens, quels outils, quelles activités d'apprentissage avons-nous utilisés? (une liste complète s.v.p.)
Q. 21
a) Considérant le choix que nous faisons de la langue d'apprentissage dans les ateliers et des objectifs d'apprentissage de cette langue, estimons-nous que les moyens, outils, activités d'apprentissage reflètent ce choix? De quelle manière? b) Quelles améliorations verrions-nous à ce niveau pour l'avenir?
III) L'approche globale
(Le travail par la langue)
Nous définissons l'approche globale, non seulement par la méthode d'apprentissage utilisée, mais aussi dans son sens le plus large, c'est-à-dire un processus global d'apprentissage privilégiant au-delà de la matière enseignée, le contexte dans lequel s'inscrit cette matière, donc une réflexion sur la langue même et sur la société.
Q. 22
a) Justement, pensons-nous qu'une approche globale de la langue telle que définie plus haut (et amorçant une réflexion sur l'utilité, la fonction, le rôle, le pouvoir de la langue) permette une prise de conscience de la société dans laquelle nous vivons?
b) De façon inverse, croyons-nous qu'une approche globale conscientisante,qui englobe une réflexion sur nos conditions sociales, permette une prise de conscience par rapport à la langue que nous écrivons, lisons, parlons et réfléchissons?
Q. 23
À un niveau plus technique, Comment la méthode d'approche globale en alphabétisation nous permet-elle de suivre nos positions et nos objectifs par rapport à la langue (tels que nous les avons exprimé jusqu'ici)?
Q. 24
a) Comment se réalise la méthode d'approche globale de la langue dans nos ateliers?
b)Quelle place faisons-nous aux autres types d'approche (Syllabique, phonétique, mixte, grapho-phonétique etc.)? Pourquoi?
Q. 25
Est-ce que nous considérons que l'approche globale nous permet de rencontrer les 4 savoirs (Lire-écrire-écouter-exprimer)? De quelle façon?
IV. Démystification et appropriation de la langue / créativité
Q. 26
Face aux positions, objectifs et approche que nous choisis-sons dans notre travail sur/dans/par la langue, comment se réalise notre objectif de démystification/ appropriation / créativité dans nos ateliers?
Q. 27
Quelle évaluation faisons-nous de cet objectif de démystification? L'atteignons-nous au prix d'une simplification à outrance voire d'une vulgarisation de la langue?
Q. 28
Parvenons-nous ainsi à sortir du modèle scolaire et dominant? (apprentissage passif vs créativité)
Tu peux ajouter d'autres commentaires ou tes critiques sur le Questionnaire.
Afin d'évaluer le type d'animation que nous faisons dans les ateliers, afin de confronter notre pratique avec les orientations et les objectifs que nous nous sommes donnés sur l'approche-animatique, nous proposons d'examiner quatre "activités" dans toutes les étapes de leur déroulement, mais du point de vue de l'animation.
Pour chaque activité, appliquer les consignes d'analyse que nous vous suggérons.
Les activités
Consignes
Identifier et relater les moments
Relever les rôles de chacun à travers ces différents moments. Rendre compte des interrelations.
Dimensions
participation; expression de soi; échanges; influence de l'animateur; partage des savoirs, qualités de l'animateur etc.
Confronter avec nos objectifs
Évaluer la correspondance avec nos principes d'animation
Questions supplémentaires
Q.
Comment comptons-nous aborder la session de printemps du point de vue de l'approche d'animation?
- Quels objectifs spécifiques poursuivons-nous?
- Quel programme proposons-nous?
- Comment comptons-nous amener les gens à embarquer dans cette expérience?
- Quelle attitude particulière devrons-nous adopter dans le contexte de cette nouvelle expérience?
- Considérer les limites
Q.
Croyons-nous qu'une véritable prise du pouvoir par les participants est possible au Tour de Lire?
- Est-ce un objectif souhaitable?
- Dans quelles limites?
- Comment comptons-nous initier les gens à cette prise en charge?
- Quelles structures seraient susceptibles d'être adéquates? Visons-nous tous les niveaux de prise de décision? -Quelles sont les réactions par rapport à un projet de prise en charge?
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I. Subvention reçue |
10,000.00 $ |
II. Dépenses globales |
|
1. salaires |
|
- engagement de 2 agents de recherche |
7,238.00 $ |
- engagement de personnes-ressources |
1,000.00 $ |
- payes de vacances et avantages sociaux |
808.91 $ |
Total masse salariale |
9,046.91 $ |
2. frais de fonctionnement et de matériel |
|
- frais de secrétariat |
639.50 $ |
- frais d'impression et de photocopie |
285.61 $ |
- matériel divers |
229.96 $ |
Total frais de fonctionnement et matériel |
1,155.07 $ |
III. Résumé des dépenses |
|
- masse salariale |
9,046.91 $ |
- frais de fonctionnement et de matériel |
1,155.07 $ |
Grand total des dépenses |
10,201.98 $ |
Total de la subvention |
- 10,000.00 $ |
Déficit ou surplus |
(-) 201.98 $ |
... (ce déficit est assumé par LE TOUR DE LIRE inc.)
Par
Colette Renaud
Robert Chatigny
Jean de Champlain