Dans le but d'outiller les divers intervenants en alphabétisation, ce mémoire tente, à l'aide d'une démarche biographique, de produire de nouvelles connaissances sur le thème des relations éducatives en alphabétisation populaire. Par souci d'inclure tous les aspects qui touchent cette relation, l'idée d'un ensemble nommé système relation éducative a été développée. Les composantes de ce système sont : le contexte, le cadre, les sujets-acteurs, la matière au programme et la dynamique relationnelle.
La démarche biographique comportait un double objectif, celui de la recherche au regard du système relation éducative et celui de la formation pour un groupe d'adultes en démarche d'alphabétisation. Ce groupe de personnes apprenantes a produit un récit de formation sur le thème des relations éducatives qui ont jalonné leur vie. L'approche biographique, par ses fondements épistémologiques, a semblé croiser les principes de l'alphabétisation populaire et offrir un moyen approprié pour servir les objectifs de cette recherche.
L'intérêt de l'étude de cet objet est justifié par plusieurs éléments dont l'ampleur de l'analphabétisme au Québec et la constatation des retombées positives de l'alphabétisation. De plus, parce que les groupes d'alphabétisation populaire considèrent que la cause principale de l'analphabétisme est une question d'iniquité sociale, ils se sont proposé de participer à des transformations sur ce plan. Par ailleurs, la rencontre étant perçue comme un lieu de reproduction des rapports sociaux, la pertinence de fouiller plus à fond ce thème est affirmée. Un résumé des connaissances sur les relations éducatives, dans lequel est explicité le rôle de chacune des composantes du système relation éducative, est dressé comme base à la recherche menée.
Une description de l'expérimentation de l'atelier Autobiographie est présentée.
À la lumière de l'analyse des récits des personnes participantes à cet atelier, ainsi qu'à l'analyse de l'ensemble de cette démarche, il est possible de percevoir l'incidence des histoires personnelles des sujets-acteurs et de leur positionnement social sur la relation éducative ainsi que sur les acquis cognitifs. Il s'est aussi dégagé toute l'importance des besoins sociaux et des liens affectifs des personnes en démarche d'alphabétisation.
De plus, l'impact de chacune des autres composantes du système relation éducative et de leur étroite interrelation sur les liens qui se vivent dans un projet de formation se confirme. Le contexte social et politique a eu des effets sur les prises de décisions de l'organisme dans lequel s'est effectuée cette recherche et ces dernières ont eu une influence sur l'ensemble de la démarche, des apprentissages et des relations qui ont été vécues. Le type de rapport recherché par la personne qui accompagne un projet d'apprentissage ainsi que le statut donné à la matière au programme teintent encore ces rapports. Dans le cas présent, la perception du langage écrit qu'ont différents acteurs demande réflexion en ce qu'elle comporte des enjeux sociaux majeurs. En conclusion, il s'est dégagé que la relation de réciprocité est le modèle le plus approprié pour répondre aux principes et visées de l'alphabétisation populaire. Ce modèle exige pour la personne qui accompagne un atelier Autobiographie de poser un regard critique sur l'ensemble de ses conceptions, de ses actes pédagogiques et de se questionner sur elle-même.
Ce document est divisé en deux parties. Cette première partie présente la mise en place des paramètres de la recherche que nous avons menée. Elle comprend la problématique dans le chapitre 1, où nous argumentons la pertinence de notre objet de recherche. Le deuxième chapitre aborde les éléments théoriques qui ont guidé notre expérimentation et l'analyse ultérieure. Dans le troisième et dernier chapitre de ce bloc, nous exposons la méthodologie que nous avons utilisée, soit l'approche biographique en petit groupe.
Dans le monde contemporain, tous sont touchés par la réalité actuelle qu'engendre la mondialisation, mais tous n'ont pas accès à l'élaboration de cette transformation majeure. Beaucoup n'ont les moyens que de la subir. Pourtant, «aussi bien les risques planétaires que les nouvelles chances qui se présentent aux sociétés d'aujourd'hui rendent nécessaires la participation, la créativité et la compétence de tous les citoyens et toutes les citoyennes, prérequis indispensables pour supprimer l'intolérance et le racisme, et pour édifier un monde démocratique» (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999, p. 11, 12). L'éducation des adultes ne peut faire fi des nouveaux problèmes sociaux, culturels et économiques soulevés par ce contexte. «Les principes de paix et de démocratie rendent indispensables de nouvelles politiques d'éducation des adultes qui permettent d'inclure les exclus...» (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999, p. 13). De plus, si l'on tente de réduire la pauvreté dans ce monde, un des éléments essentiels demeure l'éducation de base des adultes. Ainsi, «l'alphabétisation pour tous les adultes concernés doit être proclamée priorité urgente» en ce qu'elle est «le moteur principal du développement humain», un instrument d'équité et tout autant un outil de maintien de la paix (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999, p. 137, 139). Toutefois, le concept de l'alphabétisation doit être repensé pour inclure plus largement la communauté et l'environnement des personnes apprenantes, tout autant que leur culture. Les programmes d'alphabétisation doivent donc être conçus dans le respect de ces personnes apprenantes et de leur réalité (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999). Cependant, seule, une conception de programme ne suffit pas à assurer le respect ni l'inclusion des personnes apprenantes. C'est aussi par les acteurs directement engagés dans les démarches d'apprentissage que peuvent s'actualiser respect et inclusion des personnes apprenantes. «C'est plutôt dans l'attitude et dans la relation que se concentrent ces petites choses qui ont l'air de rien et qui finissent par exclure [certaines personnes apprenantes] des activités et des apprentissages» (Perrenoud, in Brossard et Marsolais, 1995, p. 5) ou, au contraire, en viennent à les inclure. La relation éducative en alphabétisation serait donc un objet d'étude pertinent si l'on souhaite s'inscrire dans une redéfinition de l'alphabétisation, elle-même un enjeu majeur de l'évolution de nos sociétés.
Nous présentons ici un projet de mémoire comme exigence partielle d'une maîtrise en intervention sociale. L'objet de notre travail est le système relation éducative dans le cadre d'un atelier Autobiographie avec des adultes en démarche d'alphabétisation dans un groupe d'éducation populaire.
Dans la première partie de ce document, nous mettrons en place les éléments nécessaires à notre expérimentation. Pour débuter notre exposé, nous dresserons un portrait de l'analphabétisme et de l'alphabétisation au Québec. Dans la poursuite de notre problématique, nous présenterons les effets de l'analphabétisme ainsi que les résultats de l'alphabétisation, puis nous décrirons l'alphabétisation populaire au Québec telle que définie par les groupes d'alphabétisation populaire. Nous enchaînerons avec la relation éducative, inscrite dans un ensemble que nous nommons système relation éducative, et nous démontrerons la pertinence d'étudier plus à fond cet objet de recherche. Dans le deuxième chapitre, nous expliciterons notre compréhension du système relation éducative et de ses composantes, soit le contexte social, le cadre de la rencontre, les sujets acteurs, le contenu de la démarche et, enfin, la dynamique de la relation éducative. Au troisième chapitre, nous justifierons notre choix méthodologique : le récit de formation. Nous l'aborderons au regard de ses buts et visées, de ses liens de concordance avec l'alphabétisation populaire et avec la relation éducative. Nous poursuivrons par l'épistémologie de l'approche biographique, par les modalités, les exigences et l'éthique du récit de formation.
Dans la deuxième partie de ce texte, nous nous engagerons dans l'expérimentation elle-même. Nous en ferons une description dans le chapitre 4. Au chapitre 5, nous présenterons l'analyse des récits des participantEs en regard des composantes que nous aurons dégagées en première partie. Nous terminerons avec une analyse de l'ensemble de la démarche dans le chapitre 6, toujours en fonction des composantes du système relation éducative. Enfin, en conclusion, nous dégagerons quelques pistes de réflexion dans la poursuite de cet objet d'étude.
Qu'en est-il de la relation éducative en éducation des adultes, mais plus spécifiquement en alphabétisation? Pour répondre à cette question, nous débuterons par un portrait de l'analphabétisme ainsi que de l'alphabétisation au Québec. Nous poursuivrons par une rapide analyse de l'analphabétisme et de ses effets, puis des résultats de l'alphabétisation. Nous dépeindrons par la suite ce qu'est l'alphabétisation populaire et nous résumerons ce que nous savons à propos de la relation éducative. Nous terminerons par la présentation de la pertinence de l'étude de cette relation et par notre objet de recherche.
L'analphabétisme a revêtu différentes significations à travers les époques et selon les lieux (Hautecoeur, 1987). Dans certains pays dits sous-développés par exemple, est considérée analphabète une personne qui ne sait pas lire les lettres de l'alphabet. Aujourd'hui par contre, dans la majorité des pays dits développés, on nomme analphabètes les personnes qui possèdent «une faible capacité de traitement de l'écrit qui nuit au bon fonctionnement en société, tant sur le plan personnel que social et professionnel» (CDEACF, 2004). Être faiblement alphabétisé signifie, pour les personnes qui le vivent, avoir des difficultés à remplir un chèque, à lire une ordonnance médicale, à exercer son droit de vote, bref avoir des difficultés à accomplir que des tâches élémentaires quand il s'agit de traiter avec l'écrit. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène au Québec, seulement 58% des adultes francophones ont de bonnes capacités de lecture, c'est-à-dire sont capables de satisfaire à la plupart des exigences de lecture courante et de faire preuve de polyvalence à cet égard (CDEACF, 2004). Selon l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes de 1996, on dénombrait un million de personnes au Québec ne pouvant satisfaire aux exigences de lecture courante.
Pour réagir à ce problème, depuis la fin des années 1960 au Québec, quelques services ont été offerts aux personnes peu ou pas alphabétisées. Ce n'est toutefois que vers la fin des années 1970 et le début des années 1980 qu'un plus grand nombre de groupes d'alphabétisation populaire ont été mis sur pied et que des commissions scolaires ont commencé à offrir plus de formations en alphabétisation. Pour la Direction de la formation générale des adultes du ministère de l'Éducation du Québec1, les buts de l'alphabétisation sont : «d'accéder, le cas échéant, à d'autres services de formation; d'augmenter ses capacités dans différents domaines d'apprentissage; d'exercer ses rôles familiaux et sociaux» (ministère de l'Éducation, 2002, p. 1). Depuis, les services d'alphabétisation sont généralement en croissance, malgré des fluctuations à la baisse pour les commissions scolaires de 1992 à 2000.
De nouvelles initiatives ont été prises récemment au Québec pour trouver des solutions à ce problème. Des recherches et des expériences ont été menées dans le but de mieux servir les besoins et les intérêts des adultes concernés. En effet, plusieurs types de projets ont été mis sur pied, par exemple, des activités d'alphabétisation en milieu de travail, de la formation à distance, l'utilisation des technologies de l'information et de la communication, des programmes de prévention à l'analphabétisme, etc. De plus, les lieux d'intervention se sont donc diversifiés, certains syndicats et entreprises se sont ajoutés aux groupes d'alphabétisation populaire et aux commissions scolaires. Ces deux derniers restent par contre les principaux acteurs qui donnent de la formation aux personnes analphabètes. Notons que le réseau des groupes d'alphabétisation populaire, qui compte environ 130 groupes (dont 76 au sein du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec [RGPAQ]), a pris beaucoup d'ampleur depuis une dizaine d'années, grâce principalement aux nombreuses pressions du RGPAQ qui s'est vu octroyer un financement nettement plus important au cours de ces années. Du côté des commissions scolaires, il y a eu une perte d'effectifs et de financement entre les années 1992 et 2000, mais depuis 2001, il y a un accroissement du nombre de personnes inscrites à leurs programmes d'alphabétisation. En 2001-2002, le nombre de personnes en démarche d'alphabétisation dans les groupes d'alphabétisation populaire est évalué à 7 974 et 13 331 étaient inscrites dans les commissions scolaires (ministère de l'Éducation, 2002). Le ministère de l'Éducation du Québec soutenait que le pourcentage de la population rejointe par les services d'alphabétisation n'atteignait pas tout à fait 2% des personnes ayant un taux d'alphabétisme peu élevé (ministère de l'Éducation, 1998) et malgré les initiatives récentes, ce pourcentage n'a que peu augmenté.
De plus, peu de personnes, parmi celles qui entreprennent un cheminement en alphabétisation, finissent par être capables de s'approprier pleinement l'écrit. Les causes de chacun de ces faits (peu de personnes en formation et apprentissage restreint) sont multiples : l'accessibilité et la visibilité des services, l'approche et le type de pédagogie préconisés dans les divers établissements peu adaptés aux besoins des personnes, le sentiment d'échec intégré par les personnes qui ont connu un parcours scolaire difficile, la faible estime des personnes analphabètes qui osent peu admettre publiquement leur difficulté et, pour finir, il y a la complexité même de l'appropriation de l'écrit, comme a pu en témoigner la recherche menée par l'organisme d'alphabétisation populaire de Longueuil, la Boîte à lettres (Desmarais et coll., 2003).
L'analphabétisme est un phénomène complexe, comme toutes les situations sociales dans lesquelles s'imbriquent une multitude de facteurs.
Les auteurEs2 et études que nous présenterons ici ont analysé le problème du décrochage scolaire et non celui de l'analphabétisme. Toutefois, parce que l'école est obligatoire au Québec depuis nombre d'années et que sa responsabilité est, entre autres, d'enseigner le français écrit, nous considérons qu'il y a un lien étroit entre analphabétisme et décrochage scolaire dans la société québécoise actuelle. Bien qu'il y ait des différences entre ces deux problématiques, nous croyons qu'il est pertinent de nous appuyer en partie sur ces études pour comprendre le phénomène de l'analphabétisme.
Pour débuter voyons les facteurs de décrochage scolaire en lien avec la famille, soit l'attitude des parents face à l'enfant dans son apprentissage, le bagage scolaire des parents, le type d'activités exercées dans la famille, etc. (Bouchard et al, 1999). Viennent ensuite les facteurs psychologiques et individuels tels que l'anxiété, la santé, la consommation de psychotropes, une réactivité émotive forte, la motivation, etc. (Viau, 1994). On peut considérer aussi les facteurs de conditions matérielles dans lesquelles les personnes évoluent ou encore les facteurs de signifiance. Ce dernier aspect est trop souvent négligé, malgré qu'il soit flagrant que bien des jeunes ne trouvent pas de sens à l'entreprise d'études et ne peuvent donc s'engager dans une chose à laquelle ils n'accordent pas de valeur (Caouette, 1997). Il y a par ailleurs tous les facteurs liés au système scolaire, à l'école et à la pédagogie préconisée. «Le non-respect du style d'apprentissage, le manque d'activités parascolaires, le système d'évaluation et de punition» (Picard, 1996) sont des caractéristiques de l'école qui peuvent engendrer une autre forme de désintéressement. (Le choix des facteurs est fait ici en fonction d'un groupe de Québécois dit de souche, car il existe d'autres facteurs importants dans d'autres contextes). Nous pensons toutefois que tous ces facteurs peuvent être analysés d'un point de vue sociopolitique, car ils sont, à notre avis, majoritairement issus d'une réalité sociale construite. Nous nous appuyons d'abord sur la vision structuraliste de la société et du système d'éducation, plus particulièrement sur celle de Bourdieu (1984). Pour lui, l'échec scolaire est majoritairement une construction sociale du fait que le statut socio-économique des milieux défavorisés amène peu ou pas de reconnaissance sociale. Il utilise aussi la notion de capital culturel qui diffère d'un milieu à l'autre et suit un parcours parallèle à celui de la fréquentation du milieu d'origine de l'individu. Bien sûr, Freire (1974) de même que Laperrière et Wagner (1980) et plusieurs autres auteurs analysent le problème sous le même angle, tout comme le RGPAQ. Pour ces penseurs plutôt structuralistes, disons brièvement que les structures de la société sont essentiellement déterminées par des individus au pouvoir. Ces structures ont préséance sur les citoyenNEs qui les habitent et ceux-ci se retrouvent presque sans pouvoir, sinon celui de changer ces dites structures, entre autres, par des renversements de système politique.
Individus et société en dialectique
Nous introduisons ici l'apport de trois auteurs qui nuancent la vision structuraliste de la société et peuvent ainsi enrichir la compréhension de cette problématique. Pour Berger et Luckmann, la réalité est complexe et se construit dans une dialectique entre individu et société. Être en société c'est donc, pour ces deux auteurs, synonyme de participer à sa dialectique (Berger et Luckmann, 1966). Giddens va dans le même sens. Pour lui, il est même ridicule de mettre en opposition systèmes sociaux et individus, puisqu'ils se construiraient mutuellement : «les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de ces systèmes» (Giddens, 1984, p. 19). Pour ces auteurs, les structures ou systèmes sociaux ne sont pas de lourdes machines écrasantes, mais une organisation structurelle où agents et collectivités interagissent avec autonomie et dépendance à la fois.
Giddens renchérit avec la compétence et la conscience des agents en affirmant que ceux-ci contrôlent non seulement leurs activités, mais aussi les contextes dans lesquels ils agissent. De plus, ces agents, de façon routinière, «s'assurent d'une compréhension théorique continue des fondements de leurs activités» (Giddens, 1984, p. 54). C'est par la réflexivité, qui repose sur la rationalité et s'intègre à toute action, que les agents possèdent une prise sur la réalité sociale. Giddens nuance en indiquant qu'il existe bien des situations encadrées par des pratiques institutionnalisées où les conséquences d'une action ne sont pas intentionnelles. C'est d'ailleurs ce contexte qui est le plus souvent étudié en recherche. De plus, il écrit que les humains cherchent à contrôler leur histoire mais n'y arrivent que partiellement. Cette compréhension des choses sociales qu'ont ces auteurs a l'avantage de donner plus de pouvoir à tout individu et de déstabiliser le fatalisme d'une certaine perception marxisante de celles-ci.
Ces auteurs concèdent toutefois qu'il existe des catégories sociales traitées sous l'angle de la typification, selon Berger et Luckmann, et du positionnement social, selon Giddens. Ces positionnements sociaux sont inscrits au moment de la socialisation primaire et secondaire. La socialisation primaire est médiatisée par des personnes significatives qui sélectionnent les aspects de la réalité selon leur position sociale et leur personnalité.
La vision que ces personnes significatives ont de l'individu est assimilée par lui et il s'identifie à l'image qu'on a de lui. Ce processus se fait toutefois avec sa participation, dans une dialectique entre identification et auto-identification. Cette identité assigne une place dans le monde. Les attitudes et rôles appris alors sont par la suite détachés des Autres significatifs et sont généralisés, ce qui procure un sens d'identité à l'individu. La socialisation secondaire est l'intériorisation de «sous-mondes», d'une réalité partielle, comme le monde du travail par exemple. On y acquiert une connaissance de son rôle auquel on s'identifie, du vocabulaire et des normes qui s'y rattachent. La socialisation secondaire ne peut se faire que s'il y a eu au préalable une socialisation primaire persistante à laquelle elle se superpose. Cela rend les changements importants difficiles à faire (Berger et Luckmann, 1966).
Ajoutons que les positionnements sociaux sont en continuelle négociation lors de la rencontre. Giddens la considère d'ailleurs comme le fil conducteur de l'interaction sociale. En observant la répétition des rencontres et leur caractère routinier, il affirme qu'on dépasse l'impression de fugacité et que l'on perçoit qu'elles participent grandement à la reproduction sociale des institutions (Giddens, 1984).
Nous supposons que la relation éducative comporterait le potentiel de reproduire les positionnements sociaux ou à l'inverse d'apporter des transformations sociales.
Les effets de l'analphabétisme sont nombreux. D'après l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes de 1996, le faible taux d'alphabétisme aurait une influence négative sur la vie professionnelle, sur la possibilité de participer à la vie démocratique et même sur la vie sociale, car les personnes peu alphabétisées seraient victimes d'exclusion (Statistique Canada, 1996). Soulignons, par exemple, si l'on se fie à l'étude de Moreau, que le risque de connaître la pauvreté est quatre fois plus élevé pour qui n'a pas de secondaire V, que la santé est moins bonne et qu'il y a plus de criminalité et de délinquance chez les personnes avec une faible scolarisation (Moreau, 1995). Audet va dans le même sens. L'analphabétisme comporterait des coûts non seulement pour les personnes peu alphabétisées, mais aussi des coûts économiques et sociaux pour l'ensemble de la société (Audet, 1997). Parallèlement, toujours selon Audet qui fait référence à des études menées aux États-Unis entre autres, les programmes d'alphabétisation seraient rentables pour tous : moins d'accidents au travail, meilleure santé des personnes en démarche d'alphabétisation, meilleure estime de ces personnes, donc moins de détresse psychologique et une plus grande participation à la vie en société et citoyenne.
Comme nous venons de le voir, l'analphabétisme est donc un problème de société sérieux et l'alphabétisation, une nécessité, si l'on souhaite une amélioration de la vie des individus et de cette société, et ce, sur plusieurs plans.
Notre expérimentation aura lieu dans un organisme d'alphabétisation populaire. Selon Legendre, l'alphabétisation se définit par l'«enseignement ou [l']apprentissage de base du code écrit (lecture, écriture, calcul), généralement dans la langue maternelle, la langue dominante ou la langue d'usage d'une société. (Résultat de ce qui précède)» (Legendre, 2005, p. 41). L'alphabétisation populaire quant à elle se définit sur des bases idéologiques, inspirées des courants de gauche structuralistes et plus spécifiquement de la pensée de Paulo Freire, instigateur principal de l'approche conscientisante. Dans l'approche conscientisante, il est perçu que «l'apprentissage de l'écrit est lié à une prise de conscience critique du contexte sociopolitique qui vise l'engagement des individus dans un processus d'émancipation personnelle et de transformation des rapports sociaux» (Legendre, 2005, p. 44). Les causes de l'analphabétisme ne sont pas vues comme individuelles, mais liées à des problèmes structurels et sociaux. De plus, dans les groupes d'alphabétisation populaire, on s'interroge sur la fonction véritable de l'alphabétisation : S'agit-il d'inciter les personnes en démarche d'alphabétisation à accepter leur position? De les aider à s'intégrer dans une société qui les a exclues? Quel type d'intégration doit-on favoriser?
Pour Laperrière et Wagner (1980), l'alphabétisation a une fonction idéologique de démystification des discours dominants dans le but de créer une intervention au cours de laquelle ne se reproduiront pas les conditions d'inégalité. «L'alphabétisation participe au processus historique d'appropriation du savoir des masses populaires» (Laperrière et Wagner, 1980, p. 83).
Pour les groupes d'alphabétisation populaire, à l'instar de tout groupe d'éducation populaire qui ne fait pas qu'offrir des services aux personnes moins fortunées, la position idéologique est très importante. La spécificité de l'approche de l'éducation populaire est d'abord et avant tout une analyse sociopolitique des problèmes auxquels font face les participantEs de ces centres, dans une vision critique et globale de la société. De plus, c'est à partir de cette analyse que les buts, les moyens et les structures démocratiques de l'organisme se mettent en place. En conséquence, ces groupes tentent de participer à des transformations sociales par des actions, de l'information et de la formation données aux personnes qui fréquentent leur organisme dans l'optique d'un devenir citoyen à part entière pour tous.
Plus spécifiquement, l'alphabétisation populaire au Québec perçoit que «l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul [est] un outil d'expression sociale, de prise de parole, de pouvoir sur sa vie, sur son milieu et son environnement» [RGPAQ], 1986). Pour ce faire, les groupes membres du RGPAQ déploient un large éventail de pratiques et de méthodes. On insiste sur l'importance de construire une intervention ancrée dans le milieu de vie des participantEs et l'on cherche à développer un sentiment d'appartenance, plutôt qu'un climat de compétition. L'approche conscientisante développée par Freire (1974) fut, au départ, au centre de la pédagogie et continue d'influencer grandement les pratiques de ces organismes. Résumée en une phrase, l'approche conscientisante, selon le RGPAQ, serait de dire que l'ensemble des actions menées (dont les formations) vise à moyen et long termes «une transformation sociale, économique, culturelle et politique» (RGPAQ, 1991, p. 7).
La notion de prise en charge par les personnes analphabètes de leur milieu, le respect de leur rythme d'apprentissage, la relation animatrice3-participantEs fondée sur l'égalité découlent du choix de cette approche. Les personnes qui fréquentent les centres d'alphabétisation sont donc au cœur des démarches, que l'on veut essentiellement collectives, dans la prise en compte de leur réalité et de leur culture. Enfin, la défense des droits de ces personnes fait partie des mandats du RGPAQ (regroupement dont le centre où se fera notre expérimentation est membre).
De plus, le souci de redéfinir la démocratie et d'intégrer les participantEs à la prise de pouvoir dans les organismes et au RGPAQ sont constants, car la concrétisation des objectifs qu'ils se sont fixés est complexe et la réalité, en continuelle mouvance.
Postic, qui a effectué une étude sur le terrain de l'enseignement donné aux enfants, définit ainsi la relation éducative : «La relation éducative est l'ensemble des rapports sociaux qui s'établissent entre l'éducateur et ceux qu'il éduque, pour aller vers des objectifs éducatifs, dans une structure institutionnelle donnée, rapports qui possèdent des caractéristiques cognitives et affectives identifiables, qui ont un déroulement et vivent une histoire.» (Postic, 1988, p. 24). Dans le Dictionnaire actuel de l'éducation, on ne trouve pas l'expression «relation éducative», mais plutôt «relation pédagogique», qui est présentée comme étant l' :«ensemble des relations d'apprentissage4, d'enseignement et didactique dans une situation pédagogique» (Legendre, 2005, p. 1172).
La compréhension de la fonction du formateur et de l'enseignantE5 varie selon les approches; toutefois un consensus se dégage pour affirmer qu'elle est centrale. Bien sûr, plusieurs autres aspects entrent en ligne de compte dont les méthodes et les structures dans lesquelles sont vécues les formations, mais «la réussite scolaire se transige [...] avec le regard de l'Autre» (Desmarais et coll., 2003, p. 55). Pour Desmarais et coll., «les enseignants ont pris une place importante dans nos pratiques, notre construction identitaire et nos représentations de l'écrit, d'abord à partir du type de relation affective qu'ils ont établie avec nous» (Desmarais et coll., 2003, p. 46). Postic va dans le même sens : «les éléments de facilitation dans la relation maître-élève faisaient partie des conditions les plus importantes d'amélioration des acquisitions» (1988, p. 178).
Et ces «éléments de facilitation», sans vouloir banaliser l'apport du matériel didactique, de la structure des formations ni des méthodes, tiennent surtout à la qualité de la relation. «Les besoins les plus profonds de ces analphabètes ne sont pas d'ordre strictement pédagogique, ils sont plutôt d'ordre social» (Cartier et Houle in Audet et al, 2002, chap. 4, p. 16). Selon la Boîte à lettres, organisme d'alphabétisation populaire où s'est déroulée une recherche sur l'appropriation de l'écrit, «l'affectif semble constituer la porte d'entrée du développement cognitif» (Audet et al, 2002, chap. 4, p. 14). De plus, les renseignements que la personne recevra sur elle-même auront un impact sur sa motivation. Nombre d'études ont établi le fait que l'attitude de l'enseignantE provoque souvent les comportements attendus (Picard 1996). C'est par l'Autre que nous existons, son regard nous «conduit à être ce que [nous sommes] pour lui» (Audet et al, 2002, chap. 2, p. 30). Selon De Coster «le reflet positif sur notre compétence est primordial» (De Coster, 2001, p. 59) et «le sentiment de compétence est une variable particulièrement importante du fonctionnement humain. Il est le facteur clé de la motivation à apprendre [...]. Il influence directement le rendement des résultats de l'apprentissage ...» (Ruph in De Coster, 2001, p. 25).
Pourtant, nous savons que, pour l'avoir maintes fois entendu au cours de nos années de travail en alphabétisation, ce que confirme la recherche de la Boîte à lettres, pour les personnes analphabètes «les relations ont été très tendues avec la majorité de [leurs] professeurs» (Audet et al, 2002, p. 60).
Il serait ardu d'établir les raisons qui ont fait en sorte que les relations furent difficiles entre les enseignantEs et les personnes aujourd'hui analphabètes, dans le cadre de ce travail. Nous n'avons que quelques éléments de réponse que nous présentons ici. D'abord, les enseignantEs ont besoin d'être rassuréEs dans leurs compétences et ont tendance à encourager ainsi les plus fortEs et à critiquer les plus faibles, afin de garder une image positive d'eux-mêmes (Postic, 1986). Ensuite, «il semble que les enfants de classe moyenne font plus souvent l'objet d'attention, de félicitations et autres marques d'appréciation prodiguées par le personnel enseignant» (FCE, 1989, in CEQ, 1991, p. 11). Ajoutons enfin que «la relation établie entre l'enfant de famille ouvrière et l'enseignant apparaît conflictuelle parce que les références culturelles sont différentes» (Postic, 1986, p. 29).
Les différences culturelles et de positionnements sociaux ont sûrement aussi une incidence sur la relation participantEs-animatrice dans les groupes d'alphabétisation populaire. De plus, les enseignantEs des institutions scolaires et les animatrices en alphabétisation pourraient être des personnes significatives au sens de Berger et Luckmann, ou, à tout le moins, des personnes qui jouent une fonction importante dans une transformation des rapports sociaux. Il nous semble à propos de décrire ici la représentation que nous avons de chacun des acteurs de cette relation.
Sujets et acteurs
Cette rencontre qu'est la relation éducative peut se définir comme une rencontre entre deux ou plusieurs sujets. Être sujet, c'est pouvoir combiner une expérience vécue particulière avec une action rationnelle pour donner à un individu sa liberté créatrice, son unicité. En même temps, l'appartenance à une culture particulière, la capacité de développer un esprit critique, ainsi que le désir de liberté sont les particularités du processus d'être sujet.
Mais si chaque individu est sujet, il est aussi acteur social et porte son histoire en lien avec des positionnements sociaux. Chacun des positionnements est influencé par ce que Bourdieu appelle les capitaux, qui sont au nombre de quatre, soit le capital économique, le capital social, le capital culturel et le capital symbolique (Desmarais et coll., 2003). Animatrices et participantEs ne possèdent pas les mêmes capitaux. Des recherches démontrent en effet que, par exemple, les enseignantEs de niveau secondaire proviennent de milieux où la scolarisation est valorisée et accessible (Amen, 2000; Bourdieu, 1984). Nous supposons qu'il en est de même chez les animatrices en alphabétisation. Par ailleurs, la majorité des participantEs dans les groupes d'alphabétisation proviennent de milieux défavorisés.
De nouveaux rapports sociaux
Les différences de capitaux liées à des positionnements sociaux ont probablement, comme nous l'avons écrit plus tôt, une incidence sur la relation entre animatrice et participantEs, mais s'ils sont chacun sujets et que la rencontre est un lieu de reproduction des positionnements sociaux, peut-être peut-on «renverser les enchaînements de cause à effet et affirmer que la transformation de la relation éducative, décidée à la base, peut modeler de nouveaux rapports sociaux» (Postic, 1986, p. 30).
Nous ne pouvons vérifier si les animatrices de la Boîte à lettres ont su «modeler de nouveaux rapports sociaux», mais, dans les témoignages des jeunes rapportés dans L'alphabétisation en question, les relations semblent harmonieuses et porteuses de transformations. «Elles ont changé ma vie à tout jamais, en un an. J'ai changé du tout au tout.» (Judith in Audet et al, 2002, p. 79) Selon les participantEs de la Boîte à lettres, les animatrices sont considérées comme un modèle. Par leur implication et les efforts qu'elles mettent à l'enseignement, elles suscitent l'effort chez les jeunes. Il apparaît que «le désir de formation indispensable à l'engagement du jeune (.) est accueilli par un autre désir, celui de la formatrice qui s'engage à son tour d'une «manière telle qu'un signe de reconnaissance s'échange dans la relation formative, qui autorise le sujet à y engager son propre désir»». (De Villers in Desmarais et coll., 2003, p. 143). Par cet engagement, il y aura une «redéfinition des rapports entre formatrices et jeunes adultes» (Desmarais et coll., 2003, p. 143).
Si, comme nous l'avons vu plus haut, le taux d'analphabétisme est élevé au Québec et que les coûts sociaux et individuels en sont importants, si l'alphabétisation peut apporter des changements notoires et rentables sur différents plans, si la relation éducative est centrale dans tout processus éducatif, si l'on souhaite de surcroît participer à des transformations sociales, comme c'est le cas pour les groupes d'alphabétisation populaire et que des transformations peuvent se faire dans la relation, puisque la rencontre est un lieu de reproduction des positions sociales, il semble alors que la relation éducative en alphabétisation mérite d'être étudiée.
De plus, notre expérience nous amène à la même conclusion. Nous avons travaillé plus de 11 années en alphabétisation, dans des groupes d'alphabétisation populaire, où nous avons assumé plusieurs fonctions, mais tout au long desquelles nous avons été animatrice auprès d'adultes analphabètes. Au fil des ans, nous avons pu constater l'importance du lien que nous entretenions avec ces adultes, que nous appelons en alphabétisation populaire les participantEs. En outre, lorsque nous avons écrit notre propre récit de vie sur les relations éducatives qui avaient traversé nos années d'études, nous en venions au même constat : les relations que nous avions eues avec certains enseignantEs et formateurs avaient marqué, entre autres, nos apprentissages scolaires, que ce soit négativement ou positivement.
Nous avons, au cours de nos années d'expérience et d'études, cherché à trouver des informations sur la définition de cette relation, sur ses composantes et son fonctionnement. Nous avons trouvé quelques réponses, que voici : D'abord chez Freire, pour qui «l'éducateur» a pour tâche de «redonner aux hommes ce qu'ils ont reçu de manière parcellaire ou fragmentée, et ceci sous une forme organisée et problématique» (Humbert, 1994, p. 9). «L'éducateur» doit être un compagnon et chercher à établir des rapports égalitaires, tout en gardant la responsabilité de contextualiser les situations problématiques, d'aider à développer une vision globale, bref un rôle d'éducation politique. Il insiste sur le fait que tous sont «aliénés» et doivent cheminer ensemble dans le processus permanent de libération afin de devenir, de part et d'autre, sujet conscient et responsable.
«L'éducateur» doit être «éducateur-élève» et l'élève, «élève-éducateur». Le rôle de l'éducateur doit être celui d'un éducateur politique qui se met au service de la transformation sociale avec les «opprimés» et non pour les opprimés. Il se doit de laisser tomber ses privilèges de classe dominante, d'interagir avec amour pour les dominés et avoir confiance que tout être humain a la capacité de devenir sujet de son histoire. Personne ne sait rien, personne ne sait tout. L'éducateur doit éviter de se mettre en position d'expert et refaire ses connaissances en se laissant traverser, avec une écoute attentive, par les savoirs et les points de vue des dominés, dans un esprit critique envers ceux-ci et envers lui-même (Humbert, 1994).
Mais que signifie précisément rapports égalitaires? Si l'éducateur est aussi élève et l'élève éducateur, y a-t-il une différence entre les deux positions et, s'il y en a une, de quoi est-elle composée précisément? De plus, l'animatrice en alphabétisation se conçoit-elle comme un «éducateur politique»? Le contenu des formations en alphabétisation ne se résume-t-il qu'en une éducation politique? N'y a t-il pas le danger d'imposer une vision des transformations sociales? Les participantEs des groupes d'alphabétisation ont-ils ce désir de transformations sociales et, si oui, comment s'actualise-t-il? S'il y a eu des réponses chez Freire, beaucoup de questions restaient en suspens pour nous.
Postic, avec La relation éducative (Postic, 1979), a su nourrir notre désir de mieux comprendre cette relation. Or, il en traite dans un cadre scolaire avec des enfants. À quel point peut-on transposer les éléments de son analyse et de sa compréhension de la relation éducative avec des enfants dans un contexte d'éducation des adultes?
Dans L'alphabétisation en question ainsi que dans le rapport de recherche de la Boîte à lettres, on traite de l'importance de la relation éducative, mais seulement quelques paragraphes en font mention, puisque ce n'était pas là l'objet de leur étude. Après maintes recherches dans les bibliothèques, dans le Centre de documentation sur l'éducation des adultes et sur la condition féminine (CDEACF), dans les archives des organismes où nous avons travaillé, nous n'avons presque rien trouvé. Aucun texte, aucune formation au RGPAQ (qui a publié pourtant différents ouvrages et qui offre des formations aux animatrices sur une variété de thèmes qui touchent l'alphabétisation) ne traite spécifiquement de la relation éducative. Au cours de ces recherches, nous avons trouvé par-ci, par-là, un paragraphe et parfois même une seule phrase où l'importance de la relation était soulignée, mais toujours sans élaboration à ce sujet.
Dans les cours universitaires au programme d'andragogie (certificat complété à l'UQÀM), nous avions quelque peu entendu parler de la relation éducative, mais de façon succincte. En fait, il nous était suggéré surtout de tenir compte de la réalité des personnes adultes, de la particularité de leur position en tant qu'apprenants adultes. De plus, nous entendions des phrases-slogans du type : «on n'enseigne pas tant ce que l'on sait que ce que l'on est», mais sans élaboration sur la relation éducative.
En bref, nous pouvons conclure que très peu d'informations ont été répertoriées en regard d'une relation éducative entre adultes dans un contexte d'alphabétisation. Pour les raisons nommées plus tôt, l'importance de la relation éducative en alphabétisation populaire et le manque d'information à ce sujet, nous avons décidé de faire de ce thème l'objet de notre recherche dans le cadre de la maîtrise en intervention sociale.
La relation éducative est la rencontre entre individus où s'imbriquent des identités construites, liées à des positionnements sociaux. Si la relation éducative paraît de prime abord interpersonnelle, elle est aussi le reflet de modèles sociologiques qu'elle reproduit au quotidien (Laperrière, 1980; Bourdieu, 1984; Postic, 1986). En regard de cette position, nous approcherons la relation éducative sous l'angle des rapports sociaux. De plus, parce que la relation éducative est inscrite dans un cadre qui influence cette relation (nous développerons plus à fond ce point ultérieurement) et que nous souhaitons traiter des facteurs qui agissent sur cette relation dans le but d'inclure tous les éléments de notre compréhension de ce rapport, nous aborderons cette relation dans un schéma d'ensemble. Nous nommerons donc dorénavant «système relation éducative» l'ensemble des éléments qui touchent à la relation éducative.
L'objet de notre recherche fut donc de tenter une définition du système relation éducative, dans un cadre d'alphabétisation populaire, de saisir les composantes de celui-ci et de recueillir le plus de données qui peuvent influencer la relation. Notre expérimentation a eu lieu dans un organisme d'alphabétisation populaire, dans un atelier Autobiographie, avec un petit groupe d'adultes en démarche d'alphabétisation. Nous avons choisi l'approche autobiographique parce que l'épistémologie de celle-ci offre quantité de points communs avec l'alphabétisation populaire. Par exemple, dans les deux cas, la prise de parole des personnes en démarche est centrale et le but premier de l'une comme de l'autre est la transformation de ces personnes dans l'optique qu'elles possèdent plus de pouvoir sur leur vie. Nous justifierons plus à fond notre choix méthodologique dans le chapitre 3.
Comme nous avons pu le voir à travers les différents points de ce chapitre, analphabétisme et alphabétisation, analyse et effets de l'analphabétisme, résultats de l'alphabétisation, relation éducative, pertinence de l'étude de cette relation, il y a assurément un manque de connaissances théoriques sur le sujet de la relation éducative en alphabétisation. Nous chercherons dans le chapitre suivant à recenser ce qui pourrait déjà, en partie, combler ce vide.
Le contexte social et le cadre dans lequel une rencontre se joue ont une incidence sur cette rencontre. En ce qui concerne plus spécifiquement la relation éducative, nous emprunterons les mots de Postic pour appuyer notre point de vue : «toute analyse de la relation n'atteint la réalité du fonctionnement de celle-ci que si elle s'attache aux influences diverses qui s'exercent, [...], celles du contexte administratif et scolaire, celles du système économique et social» (Postic, 1986, p. 56). Comme cet auteur le souligne, il faut donc tenir compte du contexte et du cadre dans lequel a lieu la relation éducative. Nous débuterons ce chapitre par ces deux éléments du système relation éducative. Nous poursuivrons avec la présentation des sujets-acteurs qui se rencontrent dans la relation éducative en alphabétisation, puis avec le contenu de la démarche autobiographique. Nous terminerons ce chapitre avec la présentation de la dynamique de la relation éducative spécifique d'un atelier Autobiographie.
Notre société est disloquée. Les liens sociaux traditionnels (familiaux, conjugaux, intergénérationnels, etc.) sont fracturés. Jouthe et Desmarais (1993) perçoivent la fin du 20e siècle au Québec comme un moment important de crise sociale et culturelle. Cette crise, en sa qualité intrinsèque, nous révèle instabilité et changements non complétés qui touchent à presque tous les secteurs de la vie humaine. Elle ne peut que provoquer inquiétudes et difficultés. Difficultés pratiques parce que les inégalités sociales augmentent, les anciens mouvements sociaux perdent de la vigueur et les nouveaux sont en train d'émerger, parce que les anciens paradigmes ne sont plus légitimés, pas plus que les nouveaux ne sont instaurés.
Difficultés théoriques où l'idée même de société est sérieusement remise en question, où il n'y a plus de grand système d'explication du social, ce qui peut engendrer la perte de toute pensée sociale et avoir pour conséquence la participation à la désagrégation du social. Ces difficultés pratiques et théoriques seraient bien plus que les symptômes d'une crise politique ou économique, elles seraient la résultante d'une crise de sens, «une crise du projet, une crise de l'espérance» (Jouthe et Desmarais, 1993, p. 136). Pour sa part, Pineau affirme que la panne de sens dans laquelle nous nous trouvons est la conséquence de la désuétude des appareils de construction de sens, mais nous sommes à construire des nouvelles formes «de traitement solidaire de recherche et de construction de sens vital» (Pineau, 1998, p. 20). Selon cet auteur, nous avons la chance de pouvoir inventer des nouveaux rapports professionnels empreints de partage, et ce, non dans la simple logique mais engagéEs au cœur d'un processus vivant.
Les nouveaux mouvements sociaux apprennent à composer avec cette crise de société et de sens. Dans ces mouvements (groupes écologiques et environnementaux, groupes altermondialistes, groupes de femmes et féministes, associations de défenses des droits, groupes pacifistes, etc.), la croyance au lendemain meilleur, au grand jour de la révolution où tout se transforme est révolue. Le désir est de vivre aujourd'hui, de tenir compte de tous les aspects de la vie, de reconnaître la valeur de chacun de ces aspects, de valoriser les divers savoirs et les gens qui les possèdent. Il s'agit de légitimer tous ces savoirs, de légitimer les différents lieux de formation, qu'ils soient institutionnels ou non, reconnus ou non, de reconnaître légitime la parole de tout individu, quelles que soient ses appartenances. Tous ne seraient pas d'accord avec cette présentation des nouveaux mouvements sociaux. Alain Touraine (Touraine, 1993), par exemple, en a une définition beaucoup plus stricte, mais nous nous basons plutôt sur celle qu'ont Alberto Mellucci (1991) et Louis Maheu (1991). Les groupes d'alphabétisation populaire s'inscrivent dans cette lignée des nouveaux mouvements sociaux.
Dans ce contexte, il faut comprendre, comme l'affirmait Pineau (1986), que le récit de vie n'est pas un simple outil, mais un moyen qui révèle et nourrit à la fois l'émergence d'un nouveau paradigme. Ce dernier porte avec lui, selon Josso (1998), un questionnement sur un nouveau type de lien social, la fonction accompagnement6, qui aurait le pouvoir de transmettre et de réinvestir les savoirs de notre existence.
C'est donc dans ces conditions d'émergence que naissent le besoin d'écrire sa vie, le besoin de la fonction accompagnement, dans une société occidentale que certains penseurs appellent la modernité avancée, caractérisée par la désinstitutionnalisation des groupes, des mœurs et des discours, une société à haute historicité où chacun se doit d'inventer son «devenir inédit» dans un terrain de partage brut ou solidaire. Dans cette société, le monde du travail aussi est en transformation, et déhiérarchisation et convivialité y sont à l'honneur. Selon Pineau, la pratique biographique s'inscrit dans un large mouvement «bioéthique et biopolitique, qui interroge les conditions professionnelles et disciplinaires des savoirs-pouvoirs sur la vie» (Pineau, 1998, p. 11). Cette transformation est profonde et subversive pour l'élite des cultures dominantes, car elle donne la parole aux sujets, sujets qui discourent sur eux-mêmes dans le but de donner et de découvrir du sens à leurs expériences, en parallèle aux discours savants. Il s'agit d'un mouvement de fond, de société, une révolution tranquille, comme le dit en clin d'œil Christine Josso (1998).
La relation entre formateurs et personnes apprenantes n'est qu'un aspect de la situation d'apprentissage. En effet, la grande majorité des formations ont lieu dans des institutions qui sont elles-mêmes régies par des lois et des politiques gouvernementales ainsi que par leurs sources de financement (Labelle, 1996). Il est donc nécessaire de prendre en compte l'institution dans laquelle a lieu la formation.
Comme nous l'avons déjà mentionné, notre expérimentation aura lieu dans un organisme d'éducation populaire et tout ce que cela comprend. De plus, notre démarche se fera dans un cadre d'atelier autobiographique que nous décrirons dans le chapitre 3 (Voir Modalités de l'atelier Autobiographie). Nous ne nous étendrons donc pas ici sur le cadre sinon en ce qui concerne l'incidence des positions théoriques sur lesquelles se fondent institutions et animatrices. Signalons simplement que ce cadre sera partie intégrante de l'analyse ultérieure.
D'après Marie Santiago Delefosse (1998), les positions théoriques et scientifiques influencent grandement le type de relations éducatives qui sera choisi et vécu. Il nous semble donc fructueux que soient examinées les influences théoriques et les incidences qu'elles ont sur une pratique formative, puisque, comme le fait remarquer Delefosse, les positions théoriques qui seront prises détermineront en partie la nature et les objectifs de l'intervention.
Revenons aux histoires de vie avec Pineau (1998), qui perçoit la pratique d'histoire de vie et la fonction accompagnement dans toutes leurs dimensions, professionnelle, sociale et anthropologique. Il donne alors à celles-ci une portée beaucoup plus grande qu'un simple travail d'introspection. C'est d'un travail d'évolution de société, d'un lien dialectique entre société et individu qu'il s'agit. Un pouvoir de transformation personnelle et sociale, un mouvement solidaire. Voilà une façon de nourrir l'historicité d'une société, de faire grandir le sujet, puisque dès qu'il y a historicité, il y a sujet en développement. C'est par ce biais, la transformation personnelle et sociale, que nous voyons des similitudes entre Pineau et Paulo Freire (1974). Bien sûr, il n'y pas l'aspect purement politique si cher à Freire, on ne parle pas non plus chez Pineau de classes sociales ou d'oppriméEs à libérer. Il y est plutôt question de rapports sociaux multiples, contradictoires, et de sujets. Cependant, dans les deux cas, il y a le même désir d'un engagement social qui tente d'apporter une certaine évolution, une certaine libération des individus et des sociétés.
Nous croyons que la pratique des histoires de vie et la fonction accompagnement peuvent aller dans le même sens que la conscientisation de Freire, en cela qu'il y est tenté de donner la parole, la crédibilité, la possibilité de produire des connaissances à des personnes qui n'ont pas d'ordinaire le statut, les moyens ni la crédibilité de le faire. C'est une hausse de la reconnaissance de la parole des non-experts, une validation de leur capacité d'analyse, de leur moyen de participer à la création du monde, à la création du sens donné à notre monde. C'est voir leur possibilité de s'approprier un peu mieux leur histoire et l'environnement dans lequel elle s'est vécue. C'est une occasion qu'ils donnent eux-mêmes sens à leur histoire, ce qui est le début d'une prise de pouvoir sur cette histoire, d'une émancipation.
Dans notre expérimentation, il y a eu deux groupes de sujets-acteurs, soit les sujets apprenants (nommés participantEs en alphabétisation populaire) et les sujets formateurs (animatrice-chercheure et coanimatrice). Chaque groupe de sujets-acteurs a assumé des fonctions différentes que nous expliciterons un peu plus loin, au point Dynamique de la relation. Le terme sujet, déjà défini dans le premier chapitre, est fondamental dans notre conception de la relation. En effet, être sujet induit la notion d'originalité et d'irréductibilité de l'être humain. Si les structures sociales, économiques et politiques ont un poids sur la vie de tout individu, chacun est unique et garde en soi son libre arbitre. Toutefois, chacun des sujets est aussi acteur social, donc porteur d'une position sociale qui influence un certain nombre de choses dans sa vie.
Pour ce qui est des sujets apprenants (participantEs), dans la très grande majorité des cas, ils proviennent de milieux défavorisés. En effet, comme le soulignaient Desmarais et coll., «l'analphabétisme reflète une pauvreté du capital économique et montre les liens étroits entre les différents types de capitaux» (Desmarais et coll., 2003, p. 144). Comme nous l'avons déjà vu, les sujets formateurs (les animatrices en alphabétisation populaire) sont issus de la classe moyenne et ont donc accès à plus de ressources que les sujets apprenants (participantEs).
Si toute relation éducative comporte un paradoxe, en ce sens que la personne en situation d'apprentissage passe par une certaine dépendance envers la personne-ressource pour en venir à plus d'autonomie, ces deux pôles sont accentués dans la relation en alphabétisation entre animatrices et participantEs. En effet, à l'intérieur d'autres relations éducatives, si la personne-ressource possède un savoir ou un savoir-faire que la personne apprenante ne maîtrise pas, elles peuvent par contre provenir d'un même milieu et posséder sensiblement les mêmes capitaux.
Potentiellement, ces deux groupes (animatrices et participantEs) sont donc socialement en conflit. Un groupe, les animatrices, possède des privilèges que l'autre groupe, les personnes analphabètes, n'a pas. Avec moins de capitaux (ou des capitaux ne recevant pas la même légitimité), les personnes analphabètes sont plus dépendantes des personnes mieux nanties qu'elles pour apprendre. Elles ont moins de prise sur leur environnement, bref, moins de pouvoir d'action et moins de pouvoir en général que les animatrices. Les animatrices ont potentiellement la possibilité de dominer les participantEs. Premier paradoxe, d'une part, chez les participantEs, le besoin d'interactions avec les animatrices pour se transformer et apprendre côtoie le besoin de se défaire de la position infériorisée socialement par rapport aux animatrices. D'autre part, les animatrices occupent une position socialement supérieure, mais qui donne les moyens de participer à la transformation des personnes défavorisées.
Le deuxième paradoxe se situerait dans la motivation des unEs et des autres. Sur la ligne en continuum tracée entre le pôle de la liberté et celui de la domination/passivité se meuvent les désirs de chacunE. Chez les animatrices, la solidarité sincère envers les personnes moins fortunées, l'envie de créer un monde plus égalitaire et le souhait d'être cet Autre qui témoigne de l'élan d'apprendre des personnes en démarche d'alphabétisation, s'entremêlent aux désirs, souvent cachés, de garder la place que leur concèdent leurs privilèges, de ne pas trop changer l'organisation du monde qui les entoure et leur assure un emploi, entre autres. Chez les participantEs, le désir de transformation, la recherche d'autonomisation, de liberté plus grande et de prise de pouvoir sur leur environnement se vivent parallèlement à l'envie d'être prisEs en charge, de ne pas faire d'effort pour se responsabiliser des changements possibles de leur situation.
Bref, la relation entre animatrice et participantEs, relation entre sujets, est traversée par des enjeux de formation, de transformation et de rapports sociaux. Ces enjeux s'exécutent en mouvance entre des pôles où se trouvent d'un côté, l'action, l'apprentissage et la libération, et de l'autre, des désirs figés, la passivité, la domination, bref, le désir que rien ne soit changé.
La matière étudiée lors d'une formation oriente en partie le choix de la méthode et l'approche qui seront préconisées et, par-là même, le type de rapport qui sera établi. On n'aborde pas, par exemple, la mécanique, l'agriculture ou la psychologie de la même façon. Nous verrons donc ici le contenu que comporte un atelier Autobiographie avec des personnes en alphabétisation.
Le langage est le cœur de l'alphabétisation puisqu'il s'agit essentiellement de l'appropriation du langage écrit par des personnes qui le possèdent mal ou pas du tout. La langue écrite se construit principalement à partir de la langue parlée. Selon Berger et Luckmann, la conversation est l'élément le plus important de la rencontre, elle entretient, transforme et rebâtit la réalité subjective. Le fait de converser solidifie les perceptions des choses appréhendées, mais est tout aussi important l'arrière-plan de cette conversation qui englobe tout un monde appréhendé.
Selon Giddens, la parole est le cœur de presque toutes les rencontres et les normes d'expression verbale ne sont pas logées seulement dans la syntaxe ou le contenu sensé, mais aussi dans les occasions de parler, c'est-à-dire, le droit de participer à la conversation. Il y a donc correspondance entre la parole et la reproduction de la vie sociale (Giddens, 1984).
Suivant la description du langage par Giddens et Berger et Luckmann, on comprend que la connaissance de la langue est plus qu'un simple outil ou une technique. C'est la représentation de soi et la relation avec le monde qui se définissent ou se transforment par son acquisition.
Selon Laperrière et Wagner, «lire, écrire et parler constituent les rudiments de la civilisation» (Laperrière et Wagner, 1981, p. 88). Ces auteurs affirment aussi qu'il y a enjeu de pouvoir dans la prise de parole et dans le langage lui-même. Le langage (vocabulaire, structures logiques, syntaxiques et grammaticales) est essentiel à l'expression, il serait même le support nécessaire à la pensée, «un système permettant l'expression des jeux multiples de la pensée» (Laperrière et Wagner, 1981, p. 74). La parole est le moyen par lequel on peut affirmer son point de vue, défendre ses intérêts. «Lire et écrire des mots, c'est aussi lire et écrire la réalité» (Humbert, 1994, p. 12) et, dans cette optique, la pratique de la parole et de l'écrit devient un acte créateur.
L'équipe de la Boîte à lettres perçoit aussi que se trouve un enjeu de pouvoir dans l'apprentissage de l'écrit, mais sous l'angle de pouvoir sur sa vie et non de lutte de pouvoir. «Pour développer sa réflexivité, le sujet-acteur doit dire sa vie, ses expériences. Un être humain ne peut accéder à sa propre vie, ne peut donc en faire l'expérience, que pour autant que cette vie se présente comme discours» (De Villers in Desmarais et coll., 2003, p. 168). Donc, pour être sujet et ne pas rester dans une position de «dominé», il faut dire sa réalité. Pineau va dans la même direction lorsqu'il décrit l'histoire de vie. Pour lui, elle n'est pas un simple rapport de la vie racontée, mais bien une création qui voit «l'histoire de vie comme productrice du sujet, de son historicité, par la constitution d'un nouvel espace sociolinguistique» (Pineau 1986, p. 134), où le sujet n'est jamais définitivement complété, mais en vie, donc en mouvement, en construction. Toujours selon Pineau, l'histoire de vie est un moyen fondamental de se mettre en marche sur cette «voie de constitution» (p. 134) par la force de la dynamique sociolinguistique.
Examinons maintenant la notion d'énoncés linguistiques performatifs apportée par Benveniste et Austin (in Pineau, 1986). Le terme performatif signifie que l'énoncé porte en lui-même la production, ce qui revient à affirmer que «dire, c'est faire» (Austin in Pineau, 1986). «Et ainsi, dire son histoire est la faire en grande partie. Si les mots n'ont pas le pouvoir de créer l'objet auquel ils se réfèrent, ils ont celui de donner existence au sujet qui les prononce.» (Pineau, 1986, p. 134). Apparaît alors la fonction productrice du langage, parce que, selon Pineau, c'est par le langage que l'être humain peut devenir sujet, et l'histoire de vie peut merveilleusement servir cela. Bien sûr, le langage s'inscrit et se construit à partir de tout ce qui forme la vie.
L'idée de l'énoncé performatif nous amène à faire un autre lien avec Freire et l'un de ses principes fondamentaux. Selon lui, pour que les «oppriméEs» en viennent à prendre un certain pouvoir sur leur vie et deviennent sujets créateurs de l'histoire, il est essentiel qu'ils parlent, qu'ils racontent avec leurs mots leur vécu d'oppression, leurs préoccupations, leurs visions, leurs désirs, etc. Le récit de vie permettrait de vivre en profondeur cette importante étape pour la conscientisation, pour l'émancipation, l'étape de l'expression de son histoire. Mais pour que cette expression ait une portée, il est nécessaire, toujours d'après Freire, qu'elle soit accueillie, entendue, validée, ce qui rejoint Pineau. En effet, Pineau nous met en garde dans ses écrits de croire que de raconter sa vie peut en soi faire une vie. Il est nécessaire pour le scripteur de partager son récit avec d'autres qui l'accueillent, puis de faire l'analyse et la synthèse de ses écrits.
Pineau insiste sur l'importance de la prise de parole et de l'impact qu'elle peut avoir lorsque le savoir-pouvoir est remis en question, partagé et construit par des groupes de «sujets parlant» et non pas seulement par des experts. De plus, lorsqu'il dit que le langage est le principal instrument de la vie (évidemment en ce qui concerne la vie en société humaine), nous croyons qu'il touche là un point essentiel et apporte toute une pertinence à l'alphabétisation. Si, pour tous, le fait d'écrire sa vie puis de l'analyser est une activité créatrice de soi, il nous semble que l'impact doit être d'autant plus fort lorsque le code par lequel cela se fait nous a paru inaccessible toute notre vie. Si le langage a une fonction productive du sujet, cet enjeu est d'autant plus grand, plus concret et visible en alphabétisation. Écrire son histoire en tant que personne peu alphabétisée raconte et révèle la position de non-pouvoir et ce faisant, donne une possibilité de reprendre ce pouvoir dont on a été privé.
Sur un plan plus pratique, dans le cadre de notre expérimentation, il s'est agi de partir des savoirs acquis par les participantEs et de chercher à soulever une prise de conscience de ces savoirs et une hausse de leur valorisation. Ces apprentissages de la vie dans tous ces lieux, ainsi que la compréhension et la représentation du monde qu'on peut en avoir, sont acquis par toutes les expériences et tous les apports culturels, autant ceux qui sont considérés scientifiques, artistiques, physiques que ceux venant de la famille, de l'entourage et des gestes de la vie quotidienne. En bref, l'interprétation du monde que l'on fait est teintée des savoirs acquis dans tous les lieux de la vie, autant ceux qui reçoivent une légitimité que ceux qui s'obtiennent dans la vie courante et en reçoivent peu.
À ces savoirs acquis et partagés se sont arrimés des savoirs pratiques et théoriques transmis par l'animatrice-chercheuse et par tout le groupe. Selon Josso (1998), dans la pratique d'histoire de vie, les apprentissages qui se font sont ceux d'un savoir-vivre transversal à toutes les sphères de la vie humaine, soit un savoir-penser, un savoir-créer, un savoir-faire, un savoir-communiquer et enfin, un savoir-évaluer.
Nous avons cherché à faire en sorte que l'analyse des rapports sociaux, dans le rapprochement entre le vécu des participantEs et la théorie, donne du sens, du sens à leur histoire. Nous avons tenté de nous situer dans ce que Jouthe et Desmarais nomment «un projet épistémologique intercompréhensif» (1993), c'est-à-dire, dans la recherche et la mise en commun d'une compréhension des faits sociaux qui ont traversé l'histoire de chaque participantE, à propos des relations éducatives. Cela s'est fait en lien avec les théories vues au cours de l'atelier. Parallèlement, en maillage, s'est fait un travail sur l'écrit (la lecture, l'écriture) et sur le rapport entretenu avec celui-ci. Notons que les savoirs transmis doivent posséder deux caractéristiques essentielles pour qu'une dynamique formative se crée, soit la pertinence pour le sujet apprenant et l'incomplétude des savoirs dans le but de permettre au sujet apprenant de faire sa propre construction de savoir (de Villers, 1999).
En somme, dans un contexte de société en grand changement, des sujets-acteurs se sont rencontrés avec la pratique de récit de vie dans le cadre d'un centre d'alphabétisation populaire, avec pour objet d'apprentissage un langage et des savoirs pratiques et théoriques. Mais les éléments du système relation éducative que nous venons de nommer ne suffisent pas à comprendre la richesse et la complexité de cette relation puisque, comme toute relation humaine, elle est en perpétuel mouvement, elle s'inscrit dans une dynamique.
La dynamique de la relation éducative dans une démarche autobiographique en petit groupe est complexe. Nous expliquerons son fonctionnement par la construction théorique de Pineau, porteuse d'une compréhension fine et sensible de ce que peut être cette relation. Nous compléterons ce premier point par le concept d' «éducateur dialogique» proposé par Freire.
Pour décrire la dynamique de la relation éducative dans un atelier Autobiographie, nous nous appuyons donc essentiellement sur le tableau conçu par Pineau et nommé Champ dialectique des histoires de vie comme instrument de recherche et d'action. Ce tableau a été construit dans le but d'expliquer le fonctionnement d'une démarche d'histoire de vie dans son ensemble et non spécifiquement en regard de la relation éducative. Il nous a semblé tout de même un outil pertinent pour tenter de mieux comprendre la relation éducative vécue dans ce contexte, dans la mesure où il laisse une place centrale à la relation éducative. Ce tableau est constitué de quatre axes, chacun exposant deux pôles non seulement en opposition, mais aussi en dialectique.
(Tableau reproduit, Pineau, 1986, p. 138)
[Voir l'image pleine grandeur]
Le centre est formé de quatre éléments, interlocuteurs/locuteurs, vie/langage. Là, se trouve l'axe de la relation dialectique locuteur/interlocuteur qui, selon Pineau, est toujours présent, que l'autre soit là ou pas au moment de l'écriture, puisque l'élocution lui semble être toujours «un appel à l'autre, présent et passé» (Pineau, 1986, p. 138). Se raconte alors une histoire de la vie, la vie qui est ici objet de recherche, à la fois opposée et en dialectique avec le langage. Nous venons de nommer les deux autres éléments de l'axe central, la vie et le langage, où l'un n'est pas l'autre, mais où effectivement malgré la violence des mots sur la vie, celle-ci passe par ceux-là pour exister singulièrement. Le deuxième axe introduit par l'appel à l'autre est l'axe de la dialectique temporelle où se cherchent les liens entre présent, passé et futur. Le troisième axe est celui de la méthodologie et de l'épistémologie, dont les pôles sont distanciation théorique/implication pratique. C'est celui qui assure de ne pas figer l'objet de la vie ni du langage dans un discours ou un parcours préétablis. C'est par les pôles de la désappropriation/appropriation que se dessine le quatrième et dernier axe, celui de l'objectif ou de l'intérêt. Le locuteur devrait vivre un manque d'espace quant à sa possibilité de conduire sa vie. C'est ainsi que peut se ressentir un désir d'entreprendre une démarche pour créer un nouvel espace intérieur où l'individu a la possibilité de se construire comme sujet et le récit de formation serait un moyen pour y arriver. Cependant, le locuteur est imprégné de sa vie, où s'entremêlent les éléments et les événements de son vécu qu'il ressent mais ne comprend pas entièrement. Il doit tout d'abord accepter de se distancer de sa vie, procéder par un dédoublement de soi vers cet autre soi qu'il appréhende. Ce dédoublement, pour ne pas être trop déchirant, doit se faire par des allers-retours entre le soi présent et le soi appréhendé. De plus, il est essentiel qu'il accepte de se découper en catégories, que se déconstruise son unité syncrétique pour qu'elle se reconstruise ensuite et soit faite une synthèse des éléments épars de sa vie.
Il est à noter que ces axes ne doivent être travaillés que dans un rapport dialectique et en confrontation les uns avec les autres, ce qui recèle une richesse d'information extrême. La dynamique de ce modèle tient à la confrontation des pôles de chacun des axes et le but de cette dynamique dialectique est le lien étroit entre l'énonciation et l'interprétation de celle-ci. Cela se fait par le mouvement du locuteur et de l'interlocuteur, l'un vers la position de l'autre et ce, sur l'axe implication pratique/distanciation théorique. Le modèle dialectique n'est pas une structure figée, il se définit par le mouvement. «L'espace est occupé par un déplacement réciproque qui cherche le point de vision optimum permettant au locuteur de se distancier de sa vie en s'approchant des systèmes de compréhension et à l'interlocuteur de s'approcher suffisamment de cette vie en sortant de ces systèmes conceptuels» (Pineau, 1986, p. 144). Pineau nous met en garde toutefois de vouloir remplacer l'autre. Selon lui, chacunE doit garder sa place, car ce sont justement les positions différentes qui permettent le mouvement. Dans ce contexte, la connaissance n'est pas que production mentale. Il s'agit de «la production d'un nouveau rapport à soi et aux autres qui crée, qui met au monde une unité nouvelle» (Pineau, 1986, p. 145). Mais produire cela n'est pas simple, car il est nécessaire de découvrir le concept médiateur et de sentir le soutien en soi ainsi qu'auprès des autres.
Nous aborderons maintenant le concept «d'éducateur dialogique» émis par Freire. Freire s'arrête longuement sur les enjeux et les rapports de pouvoir à l'intérieur de la relation éducative. Selon lui, le travail de «l'éducateur» doit tendre vers une éducation libératrice au lieu d'imposer une éducation bancaire, c'est-à-dire, dépasser la contradiction éducateur/ élèves, défaire l'habitude de la prescription qui est l'un des éléments essentiels de la relation oppresseur/opprimé. Pour ce faire, «l'éducateur» doit établir un dialogue avec les personnes «opprimées». Cette notion est centrale dans sa pensée. Comme il le souligne, «personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul, les hommes s'éduquent ensemble par l'intermédiaire du monde», tout comme ils «se libèrent ensemble» (Freire, 1974, p. 44 et p. 62). Il souhaite ainsi qu'il n'y ait plus de statut d'éducateur, mais plutôt un «éducateur-élève» avec un «élève-éducateur» (Freire, 1974, p. 62). Pour ce faire, «l'éducateur» doit être à l'écoute de la culture des personnes avec qui il souhaite travailler, s'engager d'abord lui-même dans la démarche de conscientisation, développer une solidarité effective avec les personnes opprimées, s'autocritiquer régulièrement, mais surtout, échanger plutôt que de faire des discours, plutôt que de dicter. Freire nous présente donc une relation à double sens, qui prône la reconnaissance des savoirs de toutes cultures, donc des cultures dites populaires et, par là, rend légitime la parole des «oppriméEs».
L'accompagnement en histoire de vie, tout comme l'animation d'un atelier d'alphabétisation (tout au moins dans un contexte d'alphabétisation populaire), ne peut se confiner à une liste de tâches. Il comporte un aspect de «monitoring», comme nous le dit Jacqueline Monbaron (1998).
L'accompagnement en pratique biographique, à l'instar d'un accompagnement musical, est un «interaccompagnement», car l'unE a besoin des autres et inversement. L'équilibre entre solidité et discrétion n'est pas si simple à atteindre mais est essentiel, sans quoi l'accompagnéE se sentira étoufféE ou, à l'opposé, pas assez soutenuE. «L'accompagnement est ainsi, [...], une question d'interdépendance entre acteurs dans un partage profond et vrai...» (Monbaron, 1998, p. 105), un dialogue (comme nous le suggérait Freire) qui demande présence et écoute attentive des deux parties pour réaliser l'œuvre en construction.
L'accompagnateur et l'accompagnéE, dans une relation dialectique, travaillent ensemble à la production d'un savoir commun, à la construction d'un objet de connaissance. Ils sont liés ici par la production et l'analyse des récits et l'appropriation mutuelle de l'ensemble de la démarche. Les deux moments forts de cette interaction sont, selon Monbaron, l'instant de la construction commune d'un objet de connaissance et l'ensuite, où l'accompagnéE se retrouve «enrichi par un savoir acquis, (...), et l'accompagnateur avec de quoi enrichir ses recherches» (Monbaron, 1998, p. 106). Selon Pineau aussi, la fonction accompagnement se construit dans un espace d'interaccompagnement situé entre les relations hiérarchiques traditionnelles et les rapports de compagnonnage ou paritaires (Pineau, 1986).
L'accompagnateur est responsable du déroulement, de la crédibilité et du climat de l'entreprise ainsi que de la source des savoirs partagés. L'accompagnéE, quant à lui, accepte de s'impliquer, de participer à une recherche de sens et de produire un récit qu'il va partager.
La spécificité de l'interlocuteur, c'est d'être extérieur à la vie de la personne qui la raconte et cela engendre pour le locuteur de devoir prendre la parole pour dire à l'autre. Pour sentir sa vie complète, nous avons besoin d'être connuEs et reconnuEs par un ou plusieurs autres «et toute biographie est un moyen de compléter sa vie en établissant un rapport, sinon son rapport aux autres autant qu'à soi-même» (Pineau, 1986, p. 141). Toutefois, l'interlocuteur ne peut se contenter de représenter cette altérité radicale, il doit s'engager, se mettre en relation avec la personne qui se raconte car sa compréhension ne dépendra pas seulement de la distance entre lui et le locuteur, mais aussi de son engagement à tenter de s'approcher du vécu de celui-ci, de son langage qui peut être parfois très différent du sien.
Monbaron nous informe par ailleurs des difficultés rencontrées dans un contexte de recherche-formation qui donne à la personne animatrice un double statut, celui de chercheur ainsi que celui de formateur. Il faut aussi, selon Monbaron, être particulièrement vigilantE à la façon dont est perçu le formateur par les participantEs engagéEs dans un processus biographique, ainsi qu'aux questions éthiques soulevées par la superposition du statut du formateur d'adultes et de chercheur lié à son objet de recherche. De plus, la position du chercheur dans un tel contexte exige de l'humilité, puisque sa recherche n'est pas que recherche, mais d'abord formation. De plus, cette recherche, il la partage avec le groupe en formation.
Trouver le «bon dosage» d'engagement n'est pas simple, c'est un processus à réinventer chaque fois, car «il n'y a pas de chemins tout tracés» (Le Grand in Monbaron, 1998, p. 107). Cela demande d'être capable, d'une part, d'assumer l'insécurité engendrée par cette position et, d'autre part, de reconnaître ses limites et ses ambivalences possibles. Ajoutons que pour s'assurer de ne pas prendre pouvoir sur l'autre, il est essentiel que le formateur-chercheur s'efforce d'expliquer ses implicites et travaille à connaître ses présupposés.
Il faut toutefois noter que, par tradition, dans une réalité sociale apprise et convenue, la position de l'animatrice (ou celle de tout formateur) concède une reconnaissance de sa parole que l'étudiantE ne reçoit pas. Choisir d'être accompagnateur et tenter l'interaccompagnement au lieu d'un enseignement plus traditionnel permet certes une transformation de la relation éducative, mais les représentations des fonctions sont au départ, malgré tout, entachées par la vision acquise de ces fonctions (Dionne in Rugira et al, 1998).
Afin d'illustrer ce que devrait être l'accompagnement en histoire de vie, Josso (1998) propose quatre figures qu'elle dit anthropologiques. Selon elle, ces figures sont transversales et se retrouvent à tous les niveaux d'accompagnement exercé. Avant de nous les présenter, elle rappelle, tout comme Monbaron, la nécessité de l'humilité de la personne qui accompagne, afin d'être en position de grande écoute, «de se plier aux exigences d'une subjectivité» (Josso, 1998, p. 273) qui n'est pas la sienne. Seulement alors, l'interaction sera signifiante et motivante.
La figure première de Josso est l'Amateur. Amateur dans le sens d'une personne qui aime, qui aime les gens, qui aime leurs histoires et n'a de cesse de les entendre. Il s'identifie à l'humanité de l'Autre tout en s'arrêtant à sa singularité (celle de l'Autre). Il sait aussi mettre une distance pour permettre le questionnement. Ce regard intéressé à l'Autre, regard qui le reconnaît réellement, serait essentiel pour que la rencontre soit formatrice. La deuxième figure présentée par Josso (1998) est celle de l'Ancien, c'est-à-dire une personne qui connaît les processus de la démarche pour les avoir déjà expérimentés, pour les avoir étudiés et qui peut donc aider à apaiser ou à stimuler, selon le besoin. La troisième, le Passeur, est une figure utilisée par plusieurs autres (Rugira, par exemple), parmi ceux qui ont écrit sur l'accompagnement en histoire de vie. Le Passeur est au service de celui qui traverse, il connaît les routes, mais non le devenir des autres, aussi, il tentera de ne pas influencer le choix du chemin à prendre.
La dernière figure présentée par Josso (1998) est celle de l'Animateur qui a pour fonction de faciliter la démarche en général, qui s'occupe de chacunE et du groupe dans son ensemble. Et cela, il doit le faire avec la souplesse et la sensibilité d'un artiste qui improvise, pour que s'interaccomplissent le groupe et chacun des individus. Toutes ces figures sont nécessaires à la bonne marche du processus et correspondent chacune à la réalisation de certaines activités. Ces figures anthropologiques que peut incarner la personne qui accompagne un processus de récit de vie doivent être au service de cette visée : le «projet de soi» de celui qui écrit son récit. Mais surtout, selon Josso (1998), il est impératif d'être absolument attentif, disponible et de posséder une bonne capacité d'improvisation si l'on veut développer «convivance et reliance» dans le cadre de recherches et de formations en histoire de vie.
Nous nous servirons des réflexions de Serge Lapointe (Rugira et al, 1998) et de ses acolytes qui font partie d'un groupe de personnes qui pratiquaient le récit de vie entre eux, pour réfléchir sur ce qui se vit entre pairEs dans ce cadre. Précisons qu'il n'y a pas de visée formatrice explicite dans ce groupe, le but étant essentiellement celui de partage d'expériences et de soutien.
Selon Lapointe, travailler un récit de vie en groupe était un apport positif, mais de façon différente pour chacunE. Pour l'un, l'important est de faire partie d'un groupe, pour l'autre de trouver la familiarité d'un «chez-nous, par chez nous»; pour unE autre encore, il s'agit du besoin d'être accueilliE et reconnuE par l'autre. Le groupe peut avoir couleur de soutien et de stimulation aux démarches individuelles. Aussi, en dehors des moments de rencontres communes, les liens se poursuivent, avec des fréquences, des qualités et des types de rapports divers. Par ailleurs, selon Lapointe, «l'engagement dans l'écriture de sa propre histoire est directement proportionnel à l'attention aux personnes avec qui on souhaite la partager» (Lapointe in Rugira et al, 1998, p. 246).
Il est essentiel de recevoir écoute et compassion de nos pairEs, car ce n'est qu'en se sachant reconnuE et entenduE que la parole peut se libérer. Le regard du groupe répond au besoin de partager avec des semblables, de sentir les ressemblances, sans nier les différences.
L'écoute et la réception font naître l'identité. Le dialogue (encore une fois) est essentiel si l'on veut créer un sentiment d'appartenance et une communauté qui fait place à tous les individus.
Selon la recherche d'Élise De Coster, sise dans un groupe d'alphabétisation populaire de Montréal, «apprendre au sein d'une dynamique de groupe réconfortante est une condition favorable très importante pour la totalité des personnes interrogées» (De Coster, 2001, p. 57). Aussi, l'entraide et l'identification au reste du groupe sont des éléments très signifiants dans le processus d'apprentissage des participantEs en démarche d'alphabétisation, au point que la grande majorité des personnes interrogées choisit de s'investir et de nourrir cette entraide dans le groupe. De plus, toujours d'après De Coster, «le sentiment de compétence résulte entre autres de la persuasion sociale, où le reflet positif sur notre compétence est primordial» (De Coster, 2001, p. 58, 59, inspiré de Feuerstein et Feuerstein).
Comme nous avons pu le constater, le système relation éducative se compose du contexte social, du cadre de la rencontre, de plusieurs sujets-acteurs, d'un contenu au programme et d'une dynamique relationnelle. La dynamique de la relation éducative se construit sur plusieurs axes en en dialectique. Le dialogue sincère entre «l'éducateur-élève» et «l'élève-éducateur» sur un terrain non hiérarchique permet une interdépendance favorable au mouvement de toute personne, quelle que soit sa fonction. Enfin, pour que cette dynamique s'opère, elle doit être soutenue par une méthodologie rigoureuse, comme nous le verrons dans le prochain chapitre.
Dans le but d'obtenir de nouvelles données sur le système relation éducative, nous avons utilisé la méthode de récit de formation. Nous avons entrepris un atelier Autobiographie avec un groupe de personnes en alphabétisation qui ont produit un récit sur le thème des relations éducatives qui ont jalonné leur vie. Nous nous sommes appuyée sur le modèle développé par la Boîte à lettres et Desmarais et avons pu ainsi tester l'applicabilité de ce modèle avec un groupe de personnes adultes de tous âges (La Boîte à lettres offre ses services aux jeunes de 16 à 25 ans uniquement). Nous avons pu vérifier encore si ce modèle de l'atelier Autobiographie pouvait s'offrir aux personnes en alphabétisation sur un autre thème de recherche que l'appropriation de la lecture et de l'écriture, objet de recherche de La Boîte à lettres.
Dans ce chapitre, nous verrons l'approche biographique et le récit de formation, le but du récit de formation, l'épistémologie de l'approche biographique, la modalité et les éléments du récit de formation, les exigences, les risques, les pièges et l'éthique d'une démarche autobiographique.
L'approche biographique est une méthodologie de recherche utilisée depuis une centaine d'années, en anthropologie au départ, puis dans les autres sciences humaines. Cette approche a par la suite servi à des fins de formation et d'intervention. Depuis une vingtaine d'années, l'approche biographique a pris beaucoup d'ampleur, surtout en formation (Desmarais et coll., 2003). De plus, notons qu'elle fait partie du champ des méthodologies qualitatives, avec une épistémologie spécifique, comme nous le verrons plus loin.
Le récit de vie, dans un cadre de recherche, est une technique de collecte de données (puis d'analyse) qui utilise la forme narrative et considère l'aspect subjectif. Son but est, le plus souvent, d'illustrer une situation sociale. Le récit décrit l'expérience d'une personne et son point de vue relativement à son expérience. Il s'agit de «la construction de l'histoire d'un sujet, c'est-à-dire d'un se qui raconte sa vie en tentant d'articuler son vécu en une unité cohérente, afin que s'élabore, pour lui-même et pour celui qui l'écoute, ce qu'il est.» (Vikeman, in Mayer, 2000, p. 180). Le récit de vie est donc une production personnelle et autobiographique suscitée par unE chercheurE de manière à ce que la matière du récit révèle le point de vue de l'auteurE en lien à des situations vécues (Mayer, 2000). Le récit de vie comporte plusieurs avantages dont la richesse des détails obtenus sur des phénomènes sociaux ainsi que la possibilité de découvrir «le sujet réel en mouvement» et sa praxis (Pineau in Mayer 2000, p. 181). La définition du récit de vie donnée par Desmarais et coll. est : «la narration (orale ou écrite) par un acteur social de sa vie ou d'une partie de celle-ci, le plus souvent à partir d'un thème donné» (Desmarais et coll., 2003, p. 258). Plus particulièrement, le récit de vie de formation, que nous appellerons simplement récit de formation «se met quant à lui au service du narrateur et vise des transformations au bénéfice de ce dernier» (Legrand in Desmarais et coll., 2003, p. 258).
Si le récit de formation comporte un objectif de cueillette de données pour le chercheur, il a pour but premier la transformation des personnes qui se racontent. C'est du moins ce qu'en pense Michel Legrand lorsqu'il cite Pierre Dominicé : «[le but cherché est] une meilleure appropriation de la dynamique formative, de [son] trajet éducatif» (Legrand, 1993, p. 220). Selon Pineau, le récit de vie apparaît comme un moyen privilégié pour à la fois connaître et créer la vie. Dans le même sens, mais sous un autre angle, Hugues Dionne affirme que le récit sert le besoin de se «recomposer une fidélité identitaire pour s'assurer la «reconnaissance» des autres». Le récit «devient alors le territoire de soi» et aiderait donc à se créer, à créer du sens, à créer une identité de soi forte et vivante. Par cette création où s'inventent au fil de l'écriture un personnage de soi et plusieurs rôles, où s'imbriquent réalité et fiction, la «réparation de soi» serait possible (Rugira et al, 1998, p. 249). Josso dirait autrement que le récit de formation est un exercice «de mise en scène du sujet qui s'autorise à penser sa vie dans sa globalité temporelle, (...) dans son existentialité» (Josso, 1998, p. 276).
Il nous a semblé que le choix de l'approche biographique pouvait servir les visées de l'alphabétisation populaire, notamment parce qu'on y trouve nombre de points communs. Pour les auteures de L'alphabétisation en question, l'atelier Autobiographie se situe au carrefour de l'alphabétisation populaire, de l'approche biographique et de l'appropriation de l'écrit (nous ne traiterons pas ici de l'appropriation de l'écrit, puisqu'il ne fait pas l'objet de notre recherche). L'approche biographique et la conscientisation préconisée par l'alphabétisation populaire ont la possibilité de produire l'un et l'autre les effets suivants : une transformation du sujet-acteur observable sur plusieurs plans ainsi qu'une transformation des rapports sociaux qui traversent le sujet-acteur. Travailler avec les récits de vie apporte, en plus des changements personnels, des changements sociaux. Le social est perçu ici non comme une charpente fixe, mais comme un enchevêtrement complexe de rapports sociaux, économiques, politiques, culturels et idéologiques. Se transformer dans cette optique signifie changer ses relations avec ce réseau de rapports dont on est le centre. «Situés dans une perspective historique, les rapports sociaux constituent la matière première à partir de laquelle la société se produit elle-même» (Jouthe et Desmarais, 1993, p. 134).
De plus, dans l'atelier autobiographique, l'éducation est conçue comme une «pratique de la liberté qui est un acte de connaissance, une approche critique de la réalité» (Freire in Desmarais et coll. 2003, p. 200) et cette éducation a pour but l'échange de connaissances, ainsi qu'une recherche commune de transformation du monde dans lequel vivent les acteurs. Dans cette optique, l'approche biographique est considérée comme une possibilité de renouvellement des pratiques pour l'alphabétisation populaire. Ces auteures font donc un lien entre Freire et l'approche biographique en cela que chez l'un comme chez l'autre, «les hommes sont les sujets de leur propre pensée» (Freire in Desmarais et coll., 2003, p. 199). Dans ce lieu d'éducation, les sujets ont la possibilité d'exprimer leur pensée, leur perception du monde et de remettre en question ces perceptions. Cela se fait dans un dialogue avec pairEs et formatrices qui induit une transformation des rapports entre les différents acteurs de la démarche. Dans l'atelier Autobiographie, caractérisé par une perspective d'éducation populaire, parce qu'on y développe réflexivité et esprit critique, se trouve l'occasion d'amener les participantEs à s'interroger non seulement sur eux-mêmes, mais aussi sur la société. Pour les formatrices de la Boîte à lettres, l'atelier Autobiographie offre donc l'occasion de vivre une intervention de conscientisation. En effet, par les diverses activités proposées dans l'atelier, «le sujet-acteur se réapproprie sa vie quotidienne, sa réalité, puis s'interroge, les remet en question pour ensuite les transformer. Ainsi, le sujet-acteur s'appuie sur un apprentissage significatif qui «contribue à une libération personnelle et collective»» (Couceiro in Desmarais et coll., 2003, p. 201).
Toujours selon les auteures de L'alphabétisation en question, les relations qui se vivent dans un atelier Autobiographie méritent que l'on y porte attention car, selon elles, lorsque le sujet-acteur se raconte, il le fait pour les personnes qui l'écoutent (dans le contexte de ce livre, les personnes sont formatrices et pairEs). C'est donc à travers les relations inscrites dans l'atelier Autobiographie, par la reconnaissance qu'il reçoit des autres, que se construit le sujet-acteur. «La redéfinition des rapports entre formatrices et jeunes adultes à l'œuvre dans l'atelier, par l'expérimentation qu'en font les uns et les autres, interagit avec le travail de transformation du sujet-acteur et notamment avec le nouveau regard qu'il est amené à porter sur lui-même (et sur sa représentation de lui-même en lien à l'écrit)» (Desmarais et coll., 2003, p. 200).
L'atelier Autobiographie et l'approche biographique pouvaient donc servir à souhait notre objet de recherche, puisque les relations semblent en être un élément essentiel. Pour appuyer cette affirmation, citons Pineau pour qui la relation éducative est la pierre angulaire de cette méthode. «L'exploitation de cette dialectique relationnelle et communicative par interaction étroite acteur-chercheur, nous paraît être un point de méthode aussi important et heuristique que l'utilisation du transfert et contre-transfert en psychanalyse» (Pineau, 1986, p. 136).
Selon Santiago Delefosse, le mouvement d'histoire de vie reconnaît la réalité de chaque individu et s'y intéresse. On ne veut pas savoir pour l'autre; on respecte sa subjectivité; on le considère responsable de ses choix de vie dans une recherche compréhensive de sens; on instaure une certaine proximité entre accompagnateur et participantEs à la démarche. C'est l'idéal de la compréhension solidaire qui unifie, qui réduit la coupure entre les êtres et soustrait le non-sens (Santiago Delefosse, 1998).
L'un des fondements de ce mouvement d'histoire de vie et de la pensée qui le sous-tend, est «une recherche de singularité en reliance», soit d'un «cheminer vers soi avec les autres [et d'un] cheminer avec soi vers les autres» (Josso, 1998, p. 279), ce qui, pour Josso, est la voie où à la fois l'individu et son environnement dans son sens large sont pris en compte. Comme dans toute recherche-formation, il y a un double objectif, soit celui de recherche et celui de formation, ceci a tendance à provoquer des tensions entre chercheurEs et étudiants. Signalons que la méthode de récit de vie n'est pas toujours utilisée dans un cadre de recherche-formation, mais c'est dans ce cadre que nous avons élaboré nos travaux. Pour y remédier, il est nécessaire de mettre en place des «modalités interactives» où chercheurEs informent de leurs analyses mais où narrateurs participent à l'interprétation de leur récit, car «pour saisir ce que recouvre le processus de formation, il faudrait à vrai dire toujours approfondir l'échange avec celui qui en est le sujet» (Dominicé in Legrand, 1993, p. 221). C'est d'ailleurs ce qu'il y a de particulier à cette pratique, l'informateur se trouve «en situation d'analyste ou d'interprète de son histoire, plus fortement encore, elle l'institue en tant que sujet» (Legrand, 1993, p. 230), car l'informateur ne fait pas que raconter sa vie, il réfléchit sur elle en le faisant, puis en l'analysant.
Nous verrons ici le déroulement d'un atelier Autobiographie. Puis nous présenterons les éléments nécessaires à la compréhension de l'élaboration d'un récit de formation, soit : le fonctionnement du récit de formation, l'énonciation et le travail sur l'énoncé, les mouvements d'éclatement et de recollection ainsi que l'identité narrative.
Pour établir le déroulement détaillé de chacune des rencontres, nous nous sommes basée sur le modèle élaboré par la Boîte à lettres (Desmarais et coll., 2003) lors de sa recherche sur l'appropriation de la lecture et de l'écriture et nous l'avons adapté aux personnes inscrites à la démarche et à notre objet de recherche.
Comme mentionné plusieurs fois, l'expérimentation a eu lieu dans un groupe d'alphabétisation populaire de Montréal, qui travaille avec l'influence de l'approche conscientisante développée par Freire et endossé par le RGPAQ. Nous avions prévu deux rencontres par semaine, sous forme d'ateliers de trois heures chacun, pour une période de quatorze semaines. Le groupe était composé de neuf à treize personnes adultes de tous âges en démarche d'apprentissage de l'écrit, quel que soit leur niveau d'alphabétisme. L'animatrice-chercheure a été soutenue par une coanimatrice, elle-même déjà employée par l'organisme, et ce, dans le but d'assurer des liens entre les personnes impliquées dans l'atelier et les autres membres du secteur alphabétisation de l'organisme.
Cette démarche a été divisée en cinq grands blocs, soit : familiarisation à la démarche, construction théorique et méthodologique, production orale et écrite, analyse et synthèse. Notons que chacun des sujets apprenants a été amené à réfléchir sur son histoire en lien avec les relations éducatives, pour lui permettre d'être lui-même chercheur et formateur des autres. De la même façon, chaque sujet formateur a tenté de se mettre en position de grande écoute et d'apprentissage de la réalité des sujets apprenants. L'animatrice et la coanimatrice était donc aussi des sujets apprenants.
Familiarisation à la démarche : bloc 1
Cette étape a été importante pour installer un terrain de confiance, un climat propice à l'échange, à l'entraide et à l'ouverture. De plus, elle a été l'occasion d'initier à la méthode autobiographique, à ses concepts et à ses activités. Dans le premier bloc, il s'est agi aussi de stimuler la mémoire et d'amorcer une réflexion sur les relations éducatives (objet de la recherche). Ce fut enfin la possibilité de commencer à amasser des données sur le thème.
Construction théorique et méthodologique : bloc 2
La deuxième étape visait essentiellement un apprivoisement de la démarche autobiographique et un approfondissement des réflexions individuelle et collective sur les relations éducatives. Des notions théoriques sur le récit de vie et ses concepts ainsi que sur les relations éducatives ont été présentées oralement et à l'écrit. Des discussions et des échanges sur les thèmes préoccupant les participantEs ont été animés. Des activités d'écriture ont complété cette étape, dans le but d'aider à comprendre ce qu'est un récit de formation et comment il se produit.
Production orale et écrite du récit : bloc 3
Ce bloc fut une étape de production. En effet, à l'aide des diverses activités effectuées tout au long de l'atelier (ligne de vie, description et contextualisation d'un événement ou d'une situation, modélisation, lectures, etc.) les participantEs devaient produire un récit de formation oral, un récit écrit sur le thème des relations éducatives, ainsi qu'une réflexion écrite sur le sujet. Ces récits ont été présentés à l'ensemble du groupe à la fin du bloc. Il est à noter que deux jours de camp d'écriture à l'extérieur de l'organisme avaient été prévus, afin d'offrir les conditions optimales à la rédaction du récit.
Analyse : bloc 4
L'analyse des récits s'est faite par un partage de ces récits, une analyse individuelle de son propre récit, une analyse collective de l'ensemble des récits. Ces activités devaient permettre un approfondissement de la compréhension du thème de l'objet de recherche. Pour terminer, une réflexion individuelle et collective sur les relations éducatives a été proposée.
Synthèse : bloc 5
Ce bloc a été conçu pour permettre de saisir les acquis et les apprentissages faits et d'exprimer les prises de conscience qui ont lieu au cours du processus. De plus, ce devait être l'occasion de dégager des pistes d'action et de futurs projets.
D'après de Villers (1996), il y a trois composantes spécifiques au récit de formation : la production de soi (en faisant ses récits oral et écrit), la reconfiguration de sa temporalité (passé, présent, futur, dans son rapport au thème du récit) et l'interprétation du sens. Par ces trois composantes, le récit, conçu pour se mettre au service des personnes qui écrivent puis analysent leur histoire, donne la possibilité de changements et de transformations. De plus, c'est par boucles cumulatives, qui passent du senti au comprendre et au savoir qu'il est possible de saisir la complexité de l'objet de recherche (Desmarais et coll., 2003).
L'énonciation et le travail sur l'énoncé sont les deux opérations linguistiques comprises dans la production de l'histoire de vie. Cela se fait par des allers-retours entre l'énonciation et un travail sur l'énoncé, chacun recevant autant de considération, ce qui demande aux personnes concernées de s'engager pleinement dans les deux opérations.
Pour aider ce mouvement que font locuteur et interlocuteur l'un vers la position de l'autre, certains signifiants sont essentiels et prennent une place médiane entre les deux. De plus, afin «que ces signifiants soient significatifs, il faut qu'ils assurent l'articulation entre un vécu énoncé et un système de symboles» (Pineau, 1986, p. 143). Ainsi, il est possible de ne pas rester trop proche de la simple narration ou dans l'énoncé général. Il semble que trouver ces signifiants soit le problème central des histoires de vie.
Un des effets recherchés de l'histoire de vie est d'en venir à un sentiment d'une plus grande unité de sa vie. Cependant, pour y arriver, il est nécessaire dans une première étape de déconstruire «l'unité syncrétique initiale» (Pineau, 1986). C'est ce que nous dit aussi Legrand pour qui le point commun entre toutes les formes de travail sur le récit de vie de formation est le fait que «le récit de formation procède d'un éclatement de la vie jusqu'à sa récollection signifiante, propice à un déploiement. Raconter sa vie, c'est chercher à dire la multitude des éléments épars de celle-ci, c'est dire l'interférence entre toutes ses dimensions, c'est son éclatement dans ce qu'elle a d'étranger à soi-même» (Legrand, 1993, p. 225). Par ailleurs, le récit de vie ne peut être que si le sujet possède parallèlement «une capacité déjà minimalement agissante de la réfléchir, de la comprendre», afin d'en arriver à une récollection signifiante, à une synthèse «symbolisée selon certains sens» (Legrand, 1993, p. 226). Legrand signale ici que le sens n'est pas découvert, mais créé par le travail de recomposition. Le sujet, s'appuyant dès lors sur un nouveau sens de sa vie, se trouve ainsi en mesure de se projeter dans l'avenir; il est prêt pour un redéploiement.
«L'identité narrative» est un autre concept qui aide à comprendre la mécanique de l'histoire de vie. Ce concept inclut plusieurs idées que nous explicitons dans ce qui suit. Lorsque l'on tente de définir qui l'on est, on ne peut répondre qu'en se racontant. De plus, tout récit comporte une mise en intrigue qui ferait un lien entre les composantes discordantes et concordantes d'une vie. C'est «opérer un acte de configuration discordant-concordant qui fait la synthèse de l'hétérogène» (Legrand, 1993, p. 234). En outre, le récit de vie se base sur l'histoire réelle du sujet, mais se construit inévitablement, «en raison du caractère évasif de la vie réelle», comme une fiction (Legrand, 1993, p. 234). La fiction est perçue «nécessaire si l'on veut donner un sens à ce qui demeure bribes éparpillées et fuyantes...» (Legrand, 1993, p. 233). Enfin, l'identité narrative est instable et se transforme au gré du cheminement de l'auteurE.
Évidemment, il ne faut pas croire que le simple fait d'écrire une partie de son histoire est suffisant pour que des transformations se fassent, pour que de nouveaux sens à sa vie soient donnés. Pour qu'un acteur devienne sujet, il faut qu'il soit inclus dans la dynamique d'analyse et qu'il ait la possibilité de devenir interlocuteur. Autrement, c'est retirer le contexte à l'histoire et ainsi se couper d'une «clé majeure de la signification et de la compréhension» (Pineau, 1986, p. 135). Par ailleurs, Josso (1998) affirme que pour accompagner d'autres à cheminer vers soi, il faut d'abord faire le processus soi-même, pour soi-même, continuer à le faire et rester vigilantE pour ne pas s'enfermer dans une épistémologie figée.
Lorsque la démarche de récit de vie se fait dans un cadre de recherche comme ce fut le cas dans notre expérimentation, deux aspects sont présents simultanément : celui de la recherche et celui de la formation. Plusieurs auteurEs, dont Jacqueline Monbaron (1998), ont écrit sur les difficultés que cela apporte. Citons, par exemple, le double statut pour la personne qui anime.
Il y a, d'une part, la méfiance que peut susciter la recherche pour des participantEs inscritEs à une formation. Cela exige d'ailleurs clarté, explicitation et transparence de la part du formateur. D'autre part, il y a la subjectivité du chercheur et de son rapport à l'objet de recherche. Position donc complexe du chercheur dans un cadre de recherche-formation qui évolue sur trois axes en ce qui concerne ces interactions avec lui-même et les autres : l'axe de sa propre objectivation, l'axe de la confrontation de ses prises de conscience et théorisations avec des individus et des groupes, enfin, l'axe du dialogue avec d'autres chercheurEs d'un point de vue méthodologique et théorique. Il y a aussi, selon de Villers (in Monbaron, 1998), un piège majeur dans la pratique du récit de vie en recherche, et c'est celui de se servir du récit en tant que «matériau du savoir sans se préoccuper de la source de ce savoir» (De Villers in Monbarron, 1998, p. 103), c'est-à-dire, des personnes qui ont écrit leur récit.
Un des risques dans une démarche de récit de vie de formation est celui de la découverte du «je» et de son exposition. En effet, on ne peut regarder les différences avec les autres qu'en se dévoilant soi-même et ce n'est pas toujours chose évidente.
Comme le mentionne Legrand, le récit de vie n'a pas été et n'est pas toujours possible. Il ne peut se faire que dans le cadre d'une société où la valeur de l'individu est centrale. Il cite Catani, qui considère que le récit de vie exige deux conditions. Premièrement, il nécessite une rupture détachant le sujet de son groupe, sujet qui doit évoluer dans un monde lui offrant un large éventail de modèles et la possibilité de déplacements sociaux. Deuxièmement, il demande au narrateur la capacité d'organiser un récit, d'ordonner les éléments contradictoires de son histoire, de prendre une «distance réflexive» afin de «saisir lui-même la continuité de son expérience» (Legrand, 1993, p. 230). Ces deux conditions informent de l'impossibilité de profiter de cette méthodologie s'il n'y a pas «d'arrachement aux références holistiques» ni de «possibilité de distance réflexive» (Legrand, 1993).
La dernière mise en garde est émise par Legrand lorsqu'il évoque l'«illusion biographique» par laquelle il y a danger de tomber dans l'écueil de penser que «toute vie présente une unité interne», de croire en «un postulat métaphysique» qui s'apparenterait à l'âme. Pour évacuer cette méprise, Legrand rappelle que le récit de vie est construit sur la «notion de trajectoire comme série de positions successivement occupées par un même agent», «comme autant de placements et de déplacements dans l'espace social» (Legrand, 1994, p. 338). S'il existe bien une histoire de la vie, elle n'est pas simpliste et se présente en tant que «biographie complexe, tissée de contradictions, tramée autant par les rapports sociaux que par le désir et l'inconscient, une biographie dans laquelle la part du sujet (...) s'intrique problématiquement à des déterminations reçues d'ailleurs.» (Legrand, 1993, p. 338). De plus, «les opérations de récollection signifiante procèdent selon une démarche de construction prudente et ouverte» (Legrand, 1994, p. 338). Dans ces «opérations», il faut faire place à l'hétérogénéité en nommant ruptures et contradictions. S'il est convenu que le narrateur y gagne une compréhension de sa vie, l'idée n'est pas de croire qu'il y trouvera un projet originel comme fondement de sa vie. Il s'agit «de saisir la personnalité totale» (Legrand, 1993, p. 338), où s'interpénètrent structures psychiques, mentales et structures sociales.
Travailler avec la méthode de récit de vie requiert des exigences éthiques de partage, de solidarité. Cette méthode demande de percevoir l'autre comme un autre-sujet, «comme un tu en qui je me reconnais» (Lapointe in Rugira et al, 1998, p. 246). Ainsi, l'accompagnement peut s'établir dans la rencontre. Par contre, si l'accompagnement en histoire de vie suppose solidarité, il doit tout autant composer avec l'intrinsèque solitude existentielle de la réalité humaine, «conjugaison de cette solitude personnelle et de cette solidarité sociale» (Pineau, 1998, p. 19).
Enfin, pour être en mesure de tirer des connaissances de l'analyse de l'ensemble des récits, il est nécessaire, pour le chercheur, d'avoir au préalable expérimenté l'approche biographique (Jouthe et Desmarais, 1993).
Le démarche autobiographique est une méthode au fort potentiel de transformation pour les personnes qui écrivent et aux grandes possibilités de découvertes pour les chercheurEs. Toutefois, rien n'est possible sans certaines conditions. Le chercheurE doit posséder une bonne connaissance de l'épistémologie, des exigences et des pièges de cette méthode ainsi qu'une capacité à appliquer avec rigueur ses modalités. Le scripteur de son côté doit détenir les moyens et le désir de s'engager dans ce travail réflexif.
Cette deuxième partie expose la concrétisation de notre recherche. Nous la débuterons avec la description de notre expérimentation dans le quatrième chapitre. Nous poursuivrons dans le chapitre 5 avec l'analyse des récits produits par les participantEs de l'atelier Autobiographie. Nous analyserons enfin l'ensemble de la démarche dans le chapitre 6.
Dans ce chapitre, nous décrirons l'atelier Autobiographie tel que nous l'avons expérimenté. Nous passerons en revue les différents aspects de la démarche : soit le contexte et le cadre, les acteurs, le déroulement et le contenu de la démarche.
Lors d'une formation donnée pour le compte du RGPAQ au personnel et membres des groupes d'alphabétisation et animée par nous-même, nous avons rencontré les animatrices du centre dans lequel nous avons fait notre expérimentation. Nous y avons constaté une convergence d'intérêts et de points de vue en ce qui a trait aux relations éducatives en alphabétisation populaire. C'est alors que nous leur avons proposé de mener notre recherche à l'intérieur de leur organisme. Elles ont accepté de participer à ce projet.
En novembre 2002, nous avons organisé une rencontre au cours de laquelle nous avons présenté à l'ensemble des animatrices du secteur «alphabétisation» de l'organisme le thème et la méthode de notre recherche avec les exigences qu'elle comporte. Prises par des contraintes internes, les animatrices souhaitaient que l'atelier Autobiographie soit offert à la session débutant en janvier 2003. Si nous n'acceptions pas de le faire si rapidement, il aurait fallu attendre jusqu'à l'automne suivant pour effectuer notre expérimentation. De plus, elles nous ont suggéré d'exposer elles-mêmes le projet à l'ensemble des participantEs. Elles souhaitaient nous inviter par la suite à rencontrer les participantEs intéresséEs à l'atelier lors d'une activité informelle afin que s'établisse un premier contact entre ceux-ci et nous-même. Nous avons accepté ces conditions.
Nous décrirons maintenant le milieu dans lequel notre expérimentation a eu lieu. Il s'agit d'un centre multiservices d'éducation populaire. Nous avons décrit dans le chapitre 1 les caractéristiques de l'éducation populaire et plus spécifiquement de l'alphabétisation populaire. Nous ne présenterons donc ici que le fonctionnement et les structures de ce centre.
L'organisme :
Le centre, qui a ouvert ses portes il y a environ 35 ans et reçoit en moyenne 600 participantEs par année, comprend aujourd'hui plusieurs secteurs d'activités : comité de défense des droits des personnes recevant des prestations d'assistance-emploi, cours de langue seconde, comité d'accueil d'immigrantEs, ateliers de couture, vestiaire, café, etc. Chaque secteur, responsable en majeure partie de son financement, est autonome à l'intérieur de son mandat et gère ses activités, le plus souvent de manière collégiale. Toutefois, l'ensemble des secteurs se côtoient, collaborent lors de divers événements et actions. Ils sont de plus coordonnés par une permanente (la coordonnatrice du centre), un conseil d'administration, ainsi que par une assemblée générale.
Le secteur alpha reçoit en moyenne 45 participantEs par année et embauche trois animatrices à temps plein. Quelques personnes s'ajoutent au gré des projets et du financement obtenu. L'organisation des ateliers se fait comme suit : le cœur des activités offertes consiste en ateliers de lecture et d'écriture, divisés en fonction du niveau d'alphabétisme des participantEs. Il est à noter qu'à l'intérieur de ces ateliers, le code écrit n'est pas le seul objet d'apprentissage. Y sont aussi intégrées des notions de culture générale, d'histoire, de géographie, d'arts, de politique en lien avec l'actualité, etc. S'ajoutent enfin le développement d'une analyse critique et l'expression de soi. Une animatrice est attachée à chaque niveau et joue un rôle important auprès des participantEs de son groupe. De plus, chacune des animatrices offre un atelier de mathématique ainsi que des suivis individuels et de référence aux participantEs de son groupe. L'atelier théâtre, animé par une comédienne, produit une ou plusieurs prestations par année. Cet atelier est proposé à l'ensemble des participantEs du secteur alpha, sans distinction quant au niveau d'alphabétisme. En fonction de la demande, des ateliers d'informatique sont aussi offerts. Des activités ponctuelles de loisirs, d'actions politiques et sociales et des projets spécifiques (l'atelier Autobiographie, par exemple) complètent le tableau.
Au moment de notre expérimentation, le secteur alpha de cet organisme faisait face à des contraintes structurelles et financières, l'obligeant à faire des choix délicats. En effet, comme tout groupe d'alphabétisation populaire, le financement n'est jamais assuré et demeure toujours en deçà des besoins du plein fonctionnement. Ces groupes doivent donc déterminer les groupes et les activités qui seront mises en priorité. Les animatrices du secteur alpha ont choisi de s'investir plus particulièrement auprès de personnes ayant un faible taux d'alphabétisme et démontrant un engagement dans les activités d'apprentissage. Elles considéraient que plusieurs personnes inscrites dans leurs ateliers d'alphabétisation étaient soit trop avancées pour être en alphabétisation, soit figées dans leurs aptitudes ou dans leurs attitudes face à l'apprentissage. C'est ainsi qu'elles ont offert à ces personnes de s'inscrire à l'atelier Autobiographie, en imposant celui-ci comme fin de leur cheminement en alphabétisation. Il aurait été accepté à la rigueur que quelques-unEs de ces participantEs suivent d'autres ateliers d'alphabétisation de niveau inférieur à leur capacité de lecture et d'écriture, mais pour une dernière session seulement. S'ils le voulaient, ils pourraient s'inscrire ultérieurement à d'autres activités du secteur, mais ne pourraient plus participer aux ateliers de travail sur le code écrit.
Le choix des personnes à qui l'on a offert de participer à l'atelier Autobiographie ne s'est donc pas fait conformément aux exigences d'une démarche autobiographique. Pourtant lors de la présentation du projet, nous avions clairement informé les animatrices de la règle éthique de toute démarche autobiographique selon laquelle toute personne inscrite à ce type de démarche doit pouvoir librement et volontairement faire ce choix. Les animatrices avaient déterminé que cet atelier devait servir de lieu de transition entre les activités d'alphabétisation et un projet futur quelconque pour les participantEs sélectionnéEs (à l'exception d'une seule, pour laquelle il serait un moyen d'intégration). Cette stratégie a été adoptée sans consultation auprès des principaux intéresséEs : les participantEs et nous. Par ailleurs, touTEs les participantEs concernéEs auraient voulu continuer à travailler l'écrit et désiraient tout autant rester associéEs au secteur alphabétisation. C'était un milieu d'appartenance auquel ils étaient très attachéEs, puisque plusieurs d'entre eux fréquentaient le centre depuis plusieurs années. AucunE n'était d'accord pour quitter l'alphabétisation. Ils ont donc réagi en exprimant leur mécontentement. De plus, ils recevaient tous un supplément de prestations de bien-être social, spécifiquement parce qu'ils participaient à des ateliers d'alphabétisation, et, comme nous le verrons plus tard, ils n'avaient pas les moyens d'absorber une baisse de revenu. Comme on peut le constater, il s'agissait donc d'un choix très contraignant. Nous n'avons été informée de ces faits qu'une fois l'atelier Autobiographie démarré. Lorsque nous avons compris en cours de route les conditions exactes dans lesquelles se trouvaient les participantEs inscritEs à l'atelier, nous avons à deux reprises rencontré l'équipe de travail du secteur alpha. Ces rencontres furent stériles, de part et d'autre, les positions sont restées divergentes. Nous avions des opinions différentes quant aux possibilités d'apprentissage, au niveau d'alphabétisme des participantEs, aux stratégies pédagogiques et à leurs responsabilités envers ces participantEs.
Enfin, l'équipe permanente des animatrices, qui avait un emploi du temps chargé, ne connaissait pas l'approche biographique et paraissant peu intéressée par l'atelier Autobiographie, n'a soutenu que partiellement ce projet.
Les acteurs de cette démarche sont divisés en deux groupes, soit les participantEs à l'atelier Autobiographie et les deux animatrices. Bien qu'ayant influencé notre expérimentation, l'équipe de travail n'a pas été considérée comme un groupe d'acteurs puisque traitée dans le point précédent, soit, le cadre et le contexte de la démarche.
Le nombre de participantEs à l'atelier Autobiographie a quelque peu fluctué en cours d'expérimentation. Nous avons débuté avec douze participantEs, mais suite à la première rencontre, deux d'entre eux ont décidé de ne pas poursuivre, ce type d'atelier ne suscitant pas d'intérêt chez eux. Le groupe se composait alors de dix personnes. Après le sixième atelier, une autre participante a quitté, parce que, nous dit-elle, fragile sur le plan émotif, elle se sentait trop ébranlée par cette démarche. Par contre, au huitième atelier, une nouvelle s'est ajoutée au groupe. Enfin, à partir du douzième atelier, un participant a décidé d'abandonner le processus. Les motifs de son départ sont restés flous. En somme, treize personnes ont amorcé la démarche et neuf l'ont terminée.
Sylvie8 | Éric | Marc | Jacques | Dolorès | Lucie | Francine | Brigitte | Armand | Moyenne et compilation | |
Âge |
26 ans |
34 ans |
34 ans |
35 ans |
37 ans |
48 ans |
50 ans |
51 ans |
55 ans |
41,11 ans |
Sexe |
F |
H |
H |
H |
F |
F |
F |
F |
H |
4H, 5F |
Revenu annuel |
entre 10 000$ et 20 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
X |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 000$ et 10 000$ |
entre 5 625$ et 11 250$ |
Nombre d'enfants |
1 (3 ansl/2 ) |
X |
1 (8 mois) |
1 (9 ans) |
4 (7 à 16 ans) |
2 (23, 28 ans) |
1 (24 ans) |
2 (24, 27 ans) |
x |
1,33 enfants |
Origine ethnique |
Québécoise francophone |
Québécois francophone |
Québécois francophone |
Québécois francophone |
Latino-américaine |
Québécoise francophone |
Québécoise francophone |
Québécoise francophone et anglophone |
Québécois francophone |
7 québ. franco. 1 lat-amér. 1 québ. fr. et angl. |
État matrimonial des parents |
Divorcés |
père mort |
divorcés |
père mort |
ensemble |
séparés |
ensemble |
séparés |
ensemble |
3 couples ensemble 4 couples séparés 2 veuves |
Scolarité mère |
secondaire 4 |
X |
secondaire 3 |
X |
primaire 2 |
x orphelinat |
Secondaire 5 |
Primaire 4 |
X |
3 scol. Inconnue |
Scolarité père |
X |
X |
Secondaire 5 |
X |
pas d'école |
X |
x analphabète |
x |
x |
6 scol. inconnue |
Nombre de frères et sœurs |
2 demi |
8 |
3 |
10 |
6 |
5 demi |
10 |
9 demi |
8 |
7,77 enfants par famille |
État matrimonial participantEs |
séparée |
célibataire |
séparé |
séparé |
séparée |
séparée |
séparée |
séparée |
union de fait |
1 union libre 6 séparéEs 1 célibataire |
Scolarité part. | ||||||||||
Primaire régulier |
maternelle |
1 |
1 à6 |
1 à6? |
1 à6 |
1 à6 |
3 |
1 à6 |
1 à 5 |
2 prim. non compl. |
Primaire cl. spéc. |
1 à6 |
2à6 |
1 à6? |
2 primaire cl. spéc. |
||||||
Secondaire régulier |
1 |
1 à 3 |
1 et 2 |
1 |
4 en sec. rég. |
|||||
Secondaire cl. spéc. |
1 à 5 |
2 |
1 et 2 |
3 en sec. cl. spéc. |
||||||
Programme adapté. |
5 années |
1 personne |
||||||||
Éducation aux adultes |
sec. 3 |
Postulat et alpha. |
2 ont fini secondaire 3 rég. |
Nous présentons ici le profil socio-démographique des neuf personnes qui ont complété l'atelier Autobiographie (voir le Tableau 2). Nous y ajouterons des informations à propos de leur scolarité et de leurs familles (d'origine et celle construite à l'âge adulte) et terminerons ce portrait par la description de quelques particularités de leur histoire9.
Le groupe était composé de cinq femmes et de quatre hommes âgéEs de 26 à 55 ans. Sept personnes sur neuf sont d'origine québécoise francophone, une personne est d'origine québécoise, mais de père francophone et de mère anglophone, et a fréquenté l'école anglaise. Enfin, une personne est d'origine latino-américaine.
Les neuf participantEs sont prestataires d'assistance-emploi et reçoivent un surplus pour leur participation au programme d'alphabétisation. Sept d'entre eux disent avoir un revenu annuel entre 5 000$ et 10 000$. Une personne n'a pas révélé son revenu. Une autre personne perçoit entre 10 000$ et 20 000$ par année, car en plus des prestations d'assistance emploi, elle reçoit une pension alimentaire et des allocations familiales. Nous pouvons donc affirmer que sept participantEs sur neuf, au minimum, se trouvaient sous le seuil de la pauvreté. La majorité des personnes proviennent d'une famille nombreuse. La plus petite famille est composée de trois enfants et six autres, de sept enfants et plus. La plupart des participantEs ont grandi au sein d'une famille éclatée : pour quatre d'entre eux, les parents se sont séparés. Deux personnes ont perdu leur père durant l'enfance et une autre ne l'a pas connu du tout. Plusieurs participantEs ne connaissent pas la scolarité de leurs parents (trois ne pourrait dire celle de leur mère et six, celle de leur père). Quant au niveau de scolarité des parents de participantEs qui ont répondu à cette question, il apparaît qu'il reste peu élevé, seulement deux parents ayant terminé leur secondaire V.
Du côté des participantEs, sept sur neuf sont séparéEs ou divorcéEs de leurs conjointEs. Ces mêmes sept personnes ont des enfants entre 8 mois et 28 ans. Les enfants de ces participantEs qui ont atteint l'âge adulte (4 sur 12 enfants) ont complété leur secondaire V et deux parmi ces quatre ont entrepris des études de niveau collégial.
Quant à la scolarité des participantEs, elle varie d'un à l'autre, mais tous ont eu à un moment donné des difficultés. Notons tout d'abord que cinq d'entre eux ont changé d'école primaire entre deux et six fois. Deux participantEs présentent un léger retard mental10 et ont effectué leur parcours scolaire, au primaire comme au secondaire, dans des classes spéciales. Pour ce qui est des sept autres, ils ont suivi un cursus régulier au primaire, mais plusieurs (4 sur 7) ont redoublé une ou plusieurs fois pendant cette période de leur vie. Sur les sept, deux n'ont pas terminé leur primaire. En effet, une participante a quitté l'école en 3e année pour aider sa mère aux tâches ménagères et aux soins des enfants plus jeunes, et un autre a quitté en 5e année, après avoir redoublé celle-ci.
Seulement deux personnes sur neuf ont complété leur secondaire III au secteur régulier. Une participante a abandonné l'école en secondaire I, un autre, en secondaire II (cette deuxième année de secondaire fut en classe spéciale, alors que la première était au secteur régulier). Un participant a cessé ses études en secondaire III, en classe spéciale. Avant de s'inscrire en alphabétisation populaire, deux des neuf participantEs ont pris des cours de français à l'éducation des adultes, dans une commission scolaire.
Quatre participantEs maîtrisent assez bien le code écrit et pourraient être classéEs dans la catégorie des personnes analphabètes fonctionnelles11. Trois des participantEs écrivent péniblement, au son, ils se situent donc dans le groupe des personnes analphabètes semi-fonctionnelles. Deux autres participantEs se classeraient entre les deux catégories précédentes. Toutefois, ils sont tous mal à l'aise avec l'expression écrite. À l'exception d'une participante, ils ne pratiquaient que très rarement l'écriture expressive, qui plus est, en dehors des exigences des formations qu'ils ont entreprises.
Nous présentons ici quelques éléments du parcours biographique des participantEs inscritEs à l'atelier Autobiographie dans le but d'illustrer quelque peu les particularités de ce groupe. Un des participantEs a été incarcéré dans son passé et a consommé des drogues en quantité importante. Un autre participant s'est retrouvé avec un problème de drogue, au point de faire une overdose au cours de laquelle il a failli perdre la vie. Une des femmes du groupe a vécu 20 ans en institution psychiatrique. Elle en est sortie depuis plusieurs années, mais est toujours médicamentée pour «maladie mentale». Deux autres participantEs consomment aussi des psychotropes pour les mêmes raisons. CertainEs ont révélé avoir vécu de la violence familiale ou avoir été victimes de négligence pendant la période de l'enfance et de l'adolescence. Une participante affirme avoir été victime d'inceste et plusieurs disent avoir souffert de la faim au cours de leur vie, plus particulièrement au cours de leurs jeunes années. Enfin, la participante d'origine latino-américaine a vécu la guerre, avec toutes les conséquences qui peuvent s'en suivre : pauvreté, séparation d'amis et de certains membres de la famille, etc. Comme on peut le constater, le passé de la majorité des participantEs est marqué par des événements et des conditions difficiles.
Nous avons décidé de commencer l'atelier en janvier 2003, sans quoi nous nous retrouvions à attendre plusieurs mois avant d'entamer l'expérimentation. Nous avions déjà exploré le récit de formation lors du cours Fondement de l'autoformation dans le cadre du certificat en andragogie. Ce fut toutefois avec des conditions fort différentes de ce que nous allions entreprendre : le thème n'était pas le même, les étapes et le nombre d'étudiantEs, différents. Par ailleurs, nous avions lu le rapport de recherche de la Boîte à lettres (Audet et al, 2002) et leur ouvrage L'alphabétisation en question (Desmarais et coll., 2003), ainsi qu'une série de documents à propos du récit de formation. Eu égard au calendrier, nous avions peu de temps pour nous préparer. Nous avons donc débuté l'atelier sans être tout à fait prête. À partir du modèle de la Boîte à lettres, nous avions tout de même élaboré les étapes de la démarche et le déroulement des rencontres. Nous avions de plus commencé à rédiger notre récit et progressé dans la construction théorique de notre objet de recherche : la relation éducative en alphabétisation populaire. Par contre, au moment d'entamer les ateliers, nous n'avions pas terminé notre récit, notre cadre théorique n'était pas complété et le contenu de chacune des rencontres n'était pas encore détaillé.
Pour compenser cet état de fait, nous avons mis, tout au long de la session, un grand nombre d'heures à la préparation et à l'évaluation de la démarche. Nous mettions de trois à six heures pour préparer chaque atelier, nous avons pris du temps pour évaluer et ajuster au fur et à mesure le contenu de ceux-ci et les interventions que nous nous proposions de faire. Nous avons de plus tenu un journal détaillé de chacun de ces ateliers. Enfin, nous avons terminé notre récit et en avons fait l'analyse avec notre directrice de mémoire en milieu de session. Nous avons encore tenu plusieurs rencontres avec notre directrice, avec la coanimatrice et avec les autres membres du secteur alpha.
Il apparaît pertinent de spécifier ici la manière dont nous avons été présentée auprès des participantEs. Les animatrices du secteur alpha nous ont décrite aux participantEs qu'elles avaient invitéEs à l'atelier Autobiographie comme une experte en alphabétisation, une personne ayant beaucoup d'expérience, faisant des études supérieures à l'université dans le cadre desquelles elle réalisait une recherche. Nous émettons l'hypothèse que la représentation sociale que les participantEs ont des expertEs est assez négative et source de malaise ou de révolte. De fait, la plupart d'entre eux ont connu de mauvaises expériences avec les professionnelLEs qu'ils ont côtoyéEs (psycho-éducateurs, psychiatres, thérapeutes en milieu carcéral, etc.) et envers lesquels ils ne se sont pas sentiEs en confiance. Nous croyons que la description donnée de notre personne a teinté les rapports qui se sont établis ultérieurement entre les participantEs et nous.
La coanimation nous a été proposée par les animatrices du secteur alpha, car pour celles-ci, il apparaissait nécessaire d'établir un lien entre les autres activités du centre et l'atelier Autobiographie. La coanimatrice aurait aussi la possibilité de faire un suivi auprès des participantEs qui en sentiraient le besoin. Enfin, c'était pour elle une occasion de formation en alphabétisation.
Les participantEs en alphabétisation populaire sont le plus souvent attachéEs affectivement à leur animatrice. Cependant, cela était particulièrement marqué dans cet organisme, car c'était l'animatrice attitrée qui assurait les suivis individuels. Les groupes, divisés par niveau d'alphabétisme, se retrouvaient le plus souvent avec les personnes de leur groupe et leur animatrice habituelle, notamment lors d'activités sociales.
De plus, en début d'année, une animatrice en poste depuis plusieurs années et grandement appréciée a quitté le centre. Trois personnes ont été engagées en l'espace de deux ou trois mois pour tenter de la remplacer, mais aucune n'est restée. Bref, l'animatrice en poste lorsque nous sommes arrivée n'y était que depuis trois mois. Les participantEs avaient peur d'un nouveau changement et craignaient que la coanimation ait pu être une stratégie pour nous substituer à leur animatrice.
La coanimatrice, l'animatrice attitrée du groupe de participantEs avec lequel nous avons effectué notre recherche, possédait les aptitudes nécessaires pour animer un atelier d'alphabétisation et bien des années de militantisme à son actif, mais aucune formation ni expérience en enseignement, en accompagnement de formation ou en intervention, a fortiori en démarche autobiographique. Elle était quelque peu réfractaire aux intellectuelLEs et aux théories. De plus, elle portait peu d'intérêt aux activités d'introspection. Qui plus est, comme elle n'avait jamais été en contact avec l'alphabétisation populaire, elle ne connaissait aucune méthode d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Aussi, questionnions-nous parfois la pertinence de ses interventions à ce propos. Cette situation a augmenté notre niveau d'exigence et notre responsabilité personnelle eu égard à l'atteinte des objectifs de l'atelier.
Nous étions toutes deux très engagées autant dans les tâches que dans le désir de soutenir les participantEs dans leurs apprentissages. Nous avons tenu plusieurs rencontres de préparation, d'ajustement et d'évaluation de l'atelier. Au début de la démarche, nous faisions aussi des retours sur chaque atelier lors de conversations informelles. Toutefois, nous n'avions pas les mêmes visées ni les mêmes intérêts. Nos positions, nos stratégies pédagogiques et nos façons de faire n'étaient pas convergentes. De plus, un climat de compétition entre nous, où se jouait la reconnaissance des participantEs, a progressivement envenimé la relation de coanimation. Si au départ nous étions solidaires, plus l'atelier avançait, plus il était difficile de communiquer.
Notre premier objectif de recherche était celui de produire des connaissances sur le système relation éducative, de tenter de mieux saisir ses composantes, les interactions entre elles et de mieux comprendre la dynamique de la relation éducative dans le contexte d'un atelier autobiographique en alphabétisation populaire. Notre deuxième objectif de recherche était d'expérimenter le récit de formation avec un groupe d'adultes de tous âges, contrairement à la Boîte à lettres qui consacre sa mission aux jeunes de 16 à 25 ans. Nous souhaitions aussi expérimenter l'atelier Autobiographie avec un autre thème que l'appropriation de la lecture et de l'écriture, thème de la recherche précédemment menée par la Boîte à lettres.
Objectifs de formation
L'objectif de formation que nous avions fixé pour cette démarche était d'offrir aux participantEs l'occasion de saisir l'impact qu'ont eu sur leurs apprentissages, les bonnes et mauvaises relations éducatives vécues au cours de leur histoire. Nous souhaitions permettre un dégagement des effets néfastes des relations éducatives non fructueuses, difficiles et parfois conflictuelles. L'objectif était de susciter une hausse de l'estime de soi, une plus grande conscience de soi et des rapports créés avec les personnes ressources actuelles pour que les participantEs soient en mesure de profiter plus largement de ces relations et parviennent à une plus grande appropriation de leurs démarches formatives ultérieures.
Intentions des participantEs
Lors d'une rencontre prévue avant le début de la session, nous avons présenté l'atelier Autobiographie au participantEs. Cette rencontre était de plus l'occasion d'entendre leurs attentes relativement à ce projet. Tous les participantEs inscritEs à l'atelier ont clairement nommé le désir d'améliorer leur compétence à l'écrit, ceci constituant l'objectif central pour la presque totalité du groupe. Comme deuxième type d'objectif, plusieurs ont nommé des projets de vie tels que retourner en emploi, passer à une autre étape dans leurs études, s'ouvrir sur le monde ou s'impliquer socialement. Enfin, un troisième type d'objectif s'est dégagé, soit le désir d'acquérir une plus grande autonomie.
L'expérimentation s'est déroulée de la fin janvier à la fin mai 2003. Nous nous sommes vuEs deux fois par semaine, les mardis et jeudis, de neuf heures à midi, avec une pause d'une demi-heure à chaque atelier. Nous avions donc environ cinq heures de travail à chaque semaine, pour une période de quinze semaines, auxquelles s'est ajouté un camp d'écriture de deux jours, ce qui totalise quatre-vingt-une heures.
Le déroulement de la démarche a été conçu à partir du modèle développé par la Boîte à lettres (Desmarais et coll., 2003). Ce modèle a toutefois été ajusté à la réalité des personnes présentes. Nous le présentons au fil de la description qui suit. Le lecteur trouvera en annexe le Tableau 5 qui présente de manière succincte le contenu des rencontres.
Soulignons que chaque rencontre a débuté par une activité brise-glace de courte durée, afin de permettre aux participantEs de quitter leurs préoccupations quotidiennes et d'être plus réceptifs pour intégrer le contenu de l'atelier. Ces activités ont pris plusieurs formes : petits jeux d'échanges entre les participantEs, discussions sur un sujet d'actualité ou en lien avec une décision à prendre pour le groupe, relaxation, ostéophonie, annonces faites au sujet des activités du centre, etc. Nous voulions terminer chacune des rencontres par un petit retour sur ce qui avait été vu, mais lors des premiers ateliers, les participantEs paraissaient fort peu intéresséEs et s'exprimaient à peine. Par la suite, cette activité n'a donc été proposée qu'à quelques reprises. Lors du premier atelier, les participantEs portaient peu d'attention à la présentation de la démarche et contribuaient peu aux échanges que nous leur proposions. Nous les avons alors questionnéEs sur l'intérêt qu'ils portaient à cette démarche. Ils ont répondu qu'ils souhaitaient participer à l'atelier Autobiographie, mais que ce qui les motivait particulièrement était l'apprentissage du code écrit.
Dans le but de répondre à cette attente, nous avons choisi de travailler essentiellement le code au cours des deux premières rencontres et d'y réserver plus de temps que ce que nous avions prévu au départ. Cela fut un premier ajustement par rapport au modèle de la Boîte à lettres. Nous avons toutefois choisi de travailler le code écrit avec une approche inspirée de la méthode du langage intégré12. Ils ont été intéresséEs et satisfaitEs par cette approche. Cette façon d'aborder l'écrit nous a donné enfin l'occasion d'expliquer les différentes formes d'écriture13 et le but de chacune d'elles. Cette présentation nous semblait d'autant plus judicieuse qu'ils étaient particulièrement préoccupéEs par l'aspect normatif de l'écriture, au point d'en oublier les raisons d'être.
Au troisième atelier, nous avons entamé la démarche biographique comme telle par une activité d'échange sur le thème d'un apprentissage dont ils étaient fiers. Nous leur avons proposé de travailler en petites équipes, ce qu'ils ont refusé de faire. C'est donc avec l'ensemble du groupe que nous avons oralement exploré le sujet. Par la suite, nous les avons invitéEs à contextualiser individuellement, par écrit, un apprentissage dont ils étaient fiers.
Bien qu'ils nous aient dit préférer travailler par écrit, ils étaient soucieux des erreurs qu'ils pouvaient faire. Ils s'appliquaient à la tâche, mais la plupart hésitaient grandement avant d'inscrire leurs réponses aux questions qui devaient guider la contextualisation. La majorité d'entre eux demandait un encadrement serré pour le faire, certains allant jusqu'à attendre la présence d'une animatrice à leurs côtés avant d'écrire quoi que ce soit. Spécifions qu'il s'agissait de personnes possédant des niveaux d'alphabétisme très variables. Malgré leur préoccupation constante quant à la qualité normative de leur écriture, nous avons constaté le peu d'habitude à l'autocorrection.
Au quatrième atelier, pour répondre à leur demande, nous avons corrigé collectivement l'aspect normatif de l'écriture d'extraits de ce qu'ils avaient travaillé lors de la rencontre précédente. Ils ont été très motivéEs et intéresséEs à cette activité.
Au cinquième atelier, après une bonne discussion initiée par des participantEs sur la guerre qui débutait en Iraq, nous avons collectivisé14 les réponses de leur contextualisation précédente. Ils se sont engagés activement dans cette collectivisation et ont échangé plus qu'ils ne l'avaient fait aux ateliers précédents. À la fin de cette activité, ils voulaient terminer la correction de leur contextualisation écrite. Nous leur avons proposé de travailler en petites équipes. Nous avons constaté que la majorité d'entre eux ne savaient pas travailler en équipe. Nous avons terminé cet atelier par quelques explications de règles de grammaire en guise de réponse aux questions posées à ce sujet.
Au sixième atelier, nous leur avons suggéré une mise en situation à propos du travail d'équipe, suivie d'une discussion afin de leur donner la possibilité de découvrir les façons de faire, mais aussi les avantages et intérêts de cette manière de travailler. Ils ont apprécié cette activité et nous avons pu constater, au fil des ateliers subséquents, que cela a porté fruit. Nous avons repris ensuite la contextualisation d'un apprentissage dont ils étaient fièrEs. Nous leur avons demandé d'effectuer une catégorisation en regard de ce qui leur avait été nécessaire pour faire cet apprentissage. Ils ont été plus loquaces et pour la première fois depuis que la coanimatrice (leur animatrice attitrée depuis 3 mois) était en poste, ils ont oublié l'heure de la pause et ont continué à échanger. Nous avons terminé cette activité par une évaluation en leur posant la question suivante : pensez-vous avoir ce qu'il vous faut dans l'atelier pour pouvoir apprendre? Ils nous ont dit être satisfaitEs de l'atelier dans son ensemble, mais plusieurs désiraient mettre plus de temps au travail écrit et moins à l'oral et aux échanges. Nous avons quitté l'atelier 30 minutes avant la fin pour leur permettre de faire une évaluation avec la coanimatrice. Ils ont tous choisi de continuer la démarche.
Au septième atelier, après une modélisation, ils ont fait une ligne de vie des enseignantEs marquantEs de leur enfance. Puis, ils ont contextualisé par écrit et individuellement la relation qu'ils avaient vécue avec l'unE de ces enseignantEs. Comme ils ne voulaient pas échanger, nous n'avons pas collectivisé leur ligne de vie. Nous avons terminé la rencontre par une correction collective d'une partie de leur texte sur cette contextualisation.
Les constructions méthodologique et théorique seront abordées dans ce deuxième bloc. Soulignons que les blocs 1 et 2 se sont chevauchés jusqu'à l'écriture du récit. Au huitième atelier, nous avons exploré l'image sociale des enseignantEs et formateurs. Après un court échange avec l'ensemble du groupe, ils ont écrit individuellement sur le sujet. Puis, en petites équipes, ils ont lu les textes les uns des autres dans les buts de vérifier la compréhension de ce que chacun avait écrit et d'échanger. À partir de cette rencontre, nous avons noté un début de transformation quant à leur rapport à l'écrit. Ils hésitaient moins lorsqu'ils écrivaient; ils se questionnaient sur la compréhension possible de leur texte et enfin, certains structuraient déjà mieux leurs phrases. Tout au long des rencontres, nous avons mis de plus en plus l'emphase sur l'écriture expressive et insisté sur la clarté de ce qu'ils écrivaient, tout en répondant à leur désir de travailler l'écriture normative.
Au neuvième atelier, ils ont fait leur ligne de vie durant l'adolescence, toujours à propos des enseignantEs marquantEs. Étant donné que plusieurs n'avaient pas continué leur scolarité à l'adolescence et que d'autres avaient des difficultés à se souvenir des enseignantEs qu'ils avaient connuEs (plusieurs avaient des problèmes de mémoire dû, entre autres, à la consommation de psychotropes et de drogues), nous avons cru judicieux d'élargir la notion de relation éducative à toute personne significative qui les avait accompagnéEs dans un apprentissage quelconque au cours de cette période de leur vie. Ils ont poursuivi avec la contextualisation écrite d'une personne marquantE en regard d'un ou de plusieurs apprentissages à l'adolescence, puis avec une collectivisation de ce qu'ils avaient noté.
Deux participantEs ne voulaient pas écrire à propos de cette période de leur vie. Bien sûr, nous avons obtempéré et avons confirmé leur droit de refuser de fouiller cette partie de leur passé. Par contre, nous leur avons suggéré, sans insistance, d'écrire les raisons qui les amenaient à cette position. Tous deux ont accepté et ont écrit abondamment. Cependant, comme nous avons pu le constater par la suite, plutôt que de noter les motifs de leur refus, ils ont décrit leur cheminement scolaire de cette époque. Suite à la lecture des extraits qu'ils nous ont présentés, ils nous ont fait part des regrets qui les habitaient. L'un regrettait de ne pas s'être engagé davantage dans ses études et l'autre, de n'avoir pu continuer à cause de la guerre et de la pauvreté dans lesquelles sa famille vivait.
Lors de la collectivisation, l'ensemble des participantEs était peu enclin à partager avec l'ensemble du groupe. Nous avons aussi observé qu'ils étaient mal à l'aise de critiquer les enseignantEs et les formateurs en général. Si à l'oral, ils osaient émettre quelques commentaires négatifs à leur égard, ils ne se permettaient pas de le faire par écrit.
Par ailleurs, au cours de cette rencontre, nous avons remarqué qu'ils commençaient à s'entraider. Par exemple, ils se posaient des questions entre eux à propos de l'orthographe et lorsque certains avaient terminé leur texte, ils proposaient spontanément leur aide aux autres. Cela ne s'était pas fait auparavant.
Nous avons consacré les dernières minutes de cet atelier à des conseils sur l'utilisation de L'art de conjuguer (Bescherelle, 1991) qu'ils employaient de leur propre initiative, mais avec beaucoup de lenteur et pas toujours de succès.
Au dixième atelier, à leur demande, nous sommes revenue sur L'art de conjuguer et avons animé une correction collective des textes écrits sur leur dernière contextualisation. Pour la première fois, l'un des participantEs réfractaire à faire lire ses écrits a accepté de présenter aux autres des phrases qu'il avait écrites. Après la pause, ils ont lu un texte théorique sur les notions de sujet et de réflexivité. À l'exception d'un participant, ce texte est apparu difficile et pour quelques-uns, sans intérêt. Pourtant, la majorité d'entre eux lisait avec assez d'aisance. Nous vérifiions aussi la compréhension de chacune des phrases et ils comprenaient bien la teneur du contenu.
Le onzième atelier a débuté par un retour sur les notions de sujet et de réflexivité. Nous avons poursuivi par une animation sur le thème du formateur idéal. Cette fois-là, ils ont été volubiles. Ils ont profité de l'occasion pour nous adresser indirectement, à nous-même ainsi qu'à la coanimatrice, des critiques concernant l'atelier, notre façon d'animer et notre façon d'être. Ils ont aussi échangé des informations intéressantes sur leur vision des formateurs et sur leur perception de la relation qu'ils entretenaient avec eux. Nous avons terminé l'atelier avec un travail sur le code.
En début de douzième atelier, une participante a questionné le fait qu'ils étaient dans l'obligation de quitter l'alphabétisation. La coanimatrice a présenté la position de l'organisme à cet égard. Elle a souligné le fait qu'ils pourraient poursuivre leur participation à des activités autres. Plusieurs participantEs ont manifesté leur mécontentement à ce sujet.
Nous avons poursuivi par la lecture d'un texte sur le récit de formation et son fonctionnement. Ce texte en a intéressé quelques-uns, dont une participante qui ne montrait pas d'intérêt jusque-là. Après la pause, ils ont collectivement continué la correction de la contextualisation précédente et nous avons expliqué des notions grammaticales qu'ils saisissaient peu. Ils en étaient raviEs. De plus, ils ont exploré le dictionnaire. Dès qu'il était question du code écrit et des outils qui s'y rapportent, ils étaient enthousiastes.
Au treizième atelier, ils ont fait leur ligne de vie sur les relations éducatives à l'âge adulte, puis, comme pour les périodes de vie précédentes, ils ont contextualisé l'une de ces relations. Nous leur avons proposé le texte théorique Apprendre, c 'est quoi? Comme nous avions perçu de la résistance de leur part à propos des textes théoriques précédents, nous nous sommes réajustée. Ainsi, nous avons animé la présentation de ce texte en apportant des exemples concrets à chacune des informations données. Nous avons agrémenté le document avec des illustrations et nous ne leur avons fait lire qu'une page. Malgré cela, ils n'ont pas démontré un grand enthousiasme. Ils ont fini la rencontre par la correction collective de leurs écrits.
Ils ont lu la deuxième partie du texte Apprendre, c 'est quoi? lors du quatorzième atelier. A suivi la collectivisation des contextualisations d'une relation éducative à l'âge adulte, et nous avons fini par un retour sur les notions grammaticales vues auparavant. Pendant la lecture que nous avons encore illustrée par des exemples, tout en y ajoutant plus d'humour et des mises en scène, ils ont accordé de l'intérêt au contenu qui était livré. Pour la première fois, ils ont apprécié un texte théorique.
Le quinzième atelier fut différent des autres. Nous avons visionné de courts extraits du débat des chefs de partis politiques qui se présentaient aux élections québécoises. À la suite à cette projection, les commentaires fusaient. Nous leur avons suggéré ensuite d'écrire leur représentation de quelques mots clés touchant à la politique. Ils ont collectivisé ces réponses. Nous leur avons alors demandé de dessiner la société puis de tenter de se situer dans cet ensemble. Nous avons reproduit chacun des dessins au tableau et une discussion a suivi sur leur rapport à la société. Cette discussion leur a permis d'exprimer certaines prises de conscience, notamment à propos de leur pauvreté, de leur expérience de non-pouvoir, de pouvoir dans certains cas, dans toutes les sphères de leur vie et plus spécifiquement dans les relations éducatives et dans les structures de l'organisme. Ce fut l'une des rencontres les plus vivantes que nous ayons eues jusque-là. Ils participaient tous pleinement (à l'exception d'une participante). En fin d'atelier, une participante est venue nous demander : «Mais pourquoi NOUS, on est pauvres?».
C'est ainsi qu'à l'atelier suivant, le seizième, nous sommes revenue avec le thème de la pauvreté et des positionnements sociaux. Collectivement, ils ont réfléchi plus avant sur le sujet, puis nous avons tenté de les amener à faire des liens avec leurs apprentissages et avec les relations éducatives qu'ils ont vécues ainsi qu'avec celles qu'ils vivent actuellement. Ils se sont engagéEs dans cet échange. Certains ont exprimé leur culpabilité de ne pas avoir appris à écrire; certains autres participantEs ont parlé de leur fermeture devant de nouveaux apprentissages. Une réflexion sur leur histoire de personne apprenante s'est amorcée, au cours de laquelle nous avons cherché, sans les déresponsabiliser, à les déculpabiliser en les amenant à mettre en perspective ce qu'ils avaient vécu. Nous avons poursuivi l'atelier en présentant une schématisation de la relation éducative. En terminant, nous avons préparé le matériel pour le camp d'écriture et fait une revue rapide de tout ce qui avait été vu au cours de la démarche en lien avec le récit de formation et les relations éducatives.
Le troisième bloc consiste, selon le modèle de la Boîte à lettres, à produire oralement et par écrit un récit de formation. Comme ils étaient peu enclins aux échanges et souhaitaient surtout écrire, nous avons choisi d'éliminer l'étape du récit oral (autre ajustement par rapport au modèle). Nous avons évalué que tout le travail effectué précédemment leur permettait de passer au récit écrit. Ils ont commencé à écrire leur récit comme tel au camp d'écriture. Le camp d'écriture est lui aussi emprunté au modèle de la Boîte à lettres. Il a été défini essentiellement comme un moment privilégié, dans un lieu agréable, pour l'écriture du récit. Des périodes de détente ont aussi été prévues. Le travail s'est fait généralement individuellement, avec le soutien des animatrices et des pairEs lorsque désiré, mais des espaces d'échanges avec l'ensemble du groupe étaient à l'horaire. Le camp s'est déroulé sur deux journées complètes.
Après les salutations et quelques discussions informelles, nous avons débuté le camp par la présentation de deux courts métrages dans le but de stimuler la mémoire, la réflexion, l'échange et le désir d'écrire son histoire. Ces films relataient l'histoire de réalités vécues en institutions scolaires à deux époques différentes. Le premier se situait dans une petite école de rang autour des années cinquante et le deuxième dans une polyvalente au début des années soixante-dix. Pour faciliter l'écriture du récit, nous avions aussi préparé des feuilles-guides par étape de vie.
Le camp d'écriture a eu lieu dans un ancien séminaire à l'extrémité ouest de l'Île de Montréal. Le lieu était donc facilement accessible (une demande faite par des participantEs qui souhaitaient rentrer chez eux chaque soir) et offrait simultanément un certain dépaysement. De plus, chacunE avait une chambre privée avec salle de bain. HabituéEs à la pauvreté, la relative richesse et la beauté des lieux les ont enchantéEs. De notre point de vue, ils se sont sentiEs reconnuEs et estiméEs par notre souci du choix d'un tel lieu et par la somme d'argent que l'organisme avait accepté de débourser. Le plaisir de se retrouver dans un si bel endroit fut un élément de motivation et d'ouverture. D'ailleurs, cette activité d'écriture leur semblait représenter l'aboutissement de la démarche, ce qui apportait une stimulation additionnelle. De plus, tout le travail de préparation portait fruit. Ils avaient tout de même besoin d'être encadréEs, appuyéEs et rassuréEs, mais l'entrain y était, tout comme le désir de raconter leur histoire sur papier. Ils se sont particulièrement engagéEs dans l'écriture et ont beaucoup travaillé. La majorité d'entre eux ont produit l'essentiel de leur récit à ce moment-là.
Au dix-septième atelier, au retour du camp, ils nous ont dit qu'ils étaient fiers d'eux et très satisfaitEs. Ils nous ont confié qu'ils avaient partagé avec tous leurs proches ce qu'ils avaient vécu au camp d'écriture. De plus, cette expérience d'écriture leur permettait de comprendre le sens de la démarche et des activités faites préalablement. La majorité des participantEs étaient très stimuléEs et voulait continuer son récit. Dans le cas d'une participante, la tâche de correction semblait lourde; elle n'avait jamais autant écrit auparavant. Elle était quelque peu découragée. Une autre nous a dit avoir perdu son récit. Elle l'avait réécrit au cours de la fin de semaine et nous avons pu constater que tout aspect critique avait disparu de sa nouvelle version.
Les ateliers 18 à 21 ont été consacrés à la poursuite du récit, à sa correction ainsi qu'à sa saisie. Un long moment a été consacré à cette tâche, ce qui a entraîné une certaine perte de motivation, mais nous a surtout privé de temps pour l'étape suivante, l'analyse des récits. Par contre, la plupart d'entre eux étaient fiers de transcrire eux-mêmes leur texte et de constater la beauté d'une mise en forme de leur production.
Rappelons que les objectifs de cette étape sont le partage des récits, l'analyse individuelle puis collective des récits et l'approfondissement de la réflexion sur les relations éducatives.
La première étape de l'analyse s'effectue par la lecture et le partage des récits. Nous avons, avec l'accord des participantEs, fait appel à une comédienne qui est venue lire chacun des récits. L'atelier 22 s'est déroulé comme suit : la comédienne lisait un récit, l'auteur du récit faisait ensuite ses commentaires puis partageait ses impressions et ses réactions avec le groupe. Par la suite, tous les autres participantEs étaient invitéEs à réagir et la coanimatrice et nous-même commentions le récit. Dans un premier temps, les participantEs ont fait peu de commentaires sur les récits de leurs camarades, mais tous écoutaient attentivement et semblaient touchéEs. Progressivement, ils ont identifié des liens entre les différentes histoires. Deux participantEs ont nommé le fait qu'ils avaient besoin des autres.
Une solidarité transparaissait dans leurs propos et leurs attitudes. De plus, ils se sont dévoiléEs de façon surprenante par rapport à ce que nous avions vu jusque-là. Plusieurs ont révélé au groupe des difficultés particulières qu'ils avaient vécues et qu'ils n'avaient pas osé écrire. Une autre participante nous a informée qu'elle était habitée par ce qu'elle avait écrit. Quoique satisfaitEs d'avoir rédigé leur récit, certains étaient déçuEs de ne pas avoir écrit plus abondamment. À partir de cette rencontre, ils ont eu le désir de se dire, de s'écrire. Cet atelier fut un moment fort, rempli d'émotions, une amorce de transformation dans leur relation aux autres ainsi que dans leur rapport au travail réflexif.
La rencontre suivante, l'atelier 23, fut consacrée à l'analyse individuelle des récits. Ils ont souligné les éléments qui, dans leurs relations éducatives, avaient facilité leurs apprentissages et ceux qui leur avaient nui. Ils ont aussi souligné ce qui leur semblait le plus important dans leur histoire. Pour terminer l'analyse individuelle, ils ont répondu à quelques questions par écrit. En fin d'atelier, la coanimatrice leur a présenté un projet de création d'un jeu pour l'année suivante. Bien que plusieurs d'entre eux demandaient toujours de l'encadrement, ils étaient tous plus engagéEs et motivéEs dans le travail et dans la réflexion. À titre d'exemple, lorsque nous leur avons proposé de faire une analyse individuelle des récits, ils écoutaient les consignes avec attention et ont commencé avec entrain la tâche proposée.
Au vingt-quatrième atelier, ils ont terminé l'analyse individuelle et confectionné des affiches de catégorisation. Avec leur participation, nous avons ensuite modélisé la catégorisation à partir du récit de l'un d'entre eux. Par la suite, nous avons consacré du temps à la mise en forme du contenu de leur album de finissantEs. Enfin, ils ont spontanément amorcé un bilan de l'atelier Autobiographie. Ils ont affirmé qu'ils comprenaient bien, à ce moment-là, la démarche et les étapes et qu'ils considéraient avoir réalisé de nombreux apprentissages. Ils nous ont confié avoir pensé au départ de ce projet ne pouvoir réussir cette démarche. Ils se sont engagéEs avec enthousiasme dans le travail et dans les échanges, à l'exception d'une seule participante. De fait, après l'étape de lecture des récits, nous avons noté un peu plus d'absentéisme. Par contre, ils étaient en général enjouéEs et motivéEs à participer aux activités proposées, voire, à proposer autre chose. Nous avons observé des améliorations marquées à plusieurs égards, que ce soit dans l'ouverture aux autres, dans la motivation à participer, dans la qualité du travail (concentration, application dans les tâches, qualité de l'écriture, etc.) et dans les réflexions échangées.
Comme on peut le remarquer, le Bloc 5 a été amorcé par eux, à la fin de l'étape d'analyse.
À l'atelier 25, ils ont poursuivi l'analyse de contenu par la catégorisation de leur récit. Ils en découpaient des extraits, puis les plaçaient par catégorie sur les affiches prévues à cet effet. La tâche leur est apparue lourde au départ, mais en fin de compte, l'activité s'est bien déroulée. Suite à cet exercice, nous leur avons demandé quels apprentissages ils pensaient avoir réalisé au cours de la démarche. En résumé, ils nous ont dit avoir fait plusieurs prises de conscience par rapport à leur attitude relativement à l'apprentissage et par rapport à leurs relations aux autres. Plusieurs d'entre eux ont mentionné qu'ils avaient pris confiance en eux et qu'ils avaient développé une plus grande confiance dans les autres. Ils ont ajouté que la démarche les avait stimuléEs dans leur désir d'apprendre et que beaucoup d'apprentissages avaient été accomplis en lien avec le code écrit.
À l'atelier 26, ils ont collectivisé la catégorisation de leur récit, puis ils ont terminé le bilan de l'atelier Autobiographie. La dernière période de cette rencontre a été consacrée à leurs futurs projets. À l'exception d'une seule participante, tous ont entrepris l'activité de collectivisation avec plaisir. Une réflexion profonde a eu lieu à propos des relations éducatives qu'ils ont vécues et des liens entre leur positionnement social et leurs apprentissages. Au moment du bilan, plusieurs d'entre eux nous ont exposé le regret de ne pas s'être engagéEs plus tôt.
En ce qui concerne leurs projets futurs, ils semblaient plutôt vagues. Nous avons complété cette étape par des entrevues individuelles tout juste après la fin de la session.
L'atelier 27 fut le dernier atelier. Nous leur avons suggéré de créer un collage collectif qui représentait à la fois la démarche, ce qu'ils en avaient retiré et leurs projets futurs. Ils se sont investiEs avec enjouement dans cette création collective.
Les participantEs à cet atelier ont débuté la démarche avec une attitude plutôt fermée. Au fil du temps, ils se sont ouverts aux activités, aux notions présentées ainsi qu'aux autres participantEs de l'atelier. Cela s'est fait par des allers-retours entre résistance et ouverture. Avec la pratique de l'écriture et la rédaction de leur récit, ils en sont venuEs à apprécier le fait de s'exprimer par écrit et paradoxalement, à mieux maîtriser les règles du code alors qu'ils s'en souciaient moins. Ils ont terminé l'atelier en étant satisfaitEs d'eux-mêmes et de l'ensemble de la démarche. Cette description de l'atelier Autobiographie et des différents acteurs qui y ont joué un rôle a soulevé plusieurs pistes de réflexion sur le système relation éducative. Par exemple, bien que nous sachions que le cadre et le contexte jouaient un rôle dans la relation éducative, cette expérimentation nous a permis d'en vérifier l'ampleur. En effet, le cadre de cette entreprise, qui nous avait paru idéal avant le début des ateliers, milieu ouvert à l'exploration, idéologie apparentée, etc., s'est avéré être tout autrement dans la pratique. Nous développerons notre analyse sur ce thème dans les chapitres subséquents.
Nous débuterons ce chapitre par le résumé de l'analyse collective des récits réalisée par les participantEs à la démarche. Ce résumé sera organisé en fonction des composantes du système relation éducative, soit le sujet-acteur et ses conditions de vie, les matières formatives, le cadre de formation, les relations éducatives vécues et leur dynamique. Nous poursuivrons par notre propre analyse des récits.
Avant de présenter cette première analyse, nous rappellerons ici les outils qui ont soutenu la démarche et l'écriture même du récit. Au cours de la session, les participantEs ont effectué trois lignes de vie exposant les relations éducatives vécues à différentes périodes, contextualisé un événement ou une relation marquante pour chacune et collectivisé plusieurs de ces travaux. À partir de questionnaires écrits et d'animations, ils ont réfléchi à l'image sociale des formateurs et à leur conception d'un formateur idéal. Ils ont reçu plusieurs textes théoriques se rapportant à une démarche biographique et au fait d'apprendre ainsi que de l'information sur la dynamique des relations éducatives. Par l'entremise d'animations, ils ont entamé une réflexion sur le rapport entre apprentissage et positionnement social. Enfin, au moment même de l'écriture du récit, en plus de pouvoir faire référence aux différents outils offerts au cours des rencontres, ils avaient en leur possession des feuilles-guides (voir annexe) pour stimuler leur mémoire et leur réflexion. Nous avions jugé ces feuilles guides nécessaires, car jusqu'au camp d'écriture, ils avaient peu eu l'habitude de l'écriture expressive et autonome et demandaient beaucoup d'encadrement. Toutefois, nous avons constaté à quelques reprises qu'ils ont emprunté des termes de ces guides, sans se les être appropriés. En effet, on retrouve des qualifications de formateurs, d'enseignantEs ou de relations éducatives dans les récits qui sont calquées sur les exemples suggérés. Le fait de leur avoir remis ces guides a donc comporté un double impact, soit celui de les avoir stimuléEs et rassuréEs, mais aussi d'avoir, malheureusement, induit une façon d'exprimer leur histoire et peut-être d'en faire taire certains éléments.
En ce qui les concerne, les participantEs ont constaté que tous avaient vécu des divorces et des séparations des conjointEs avec lesquelLEs ils avaient eu des enfants, à l'instar de leur famille d'origine où les parents étaient en majorité séparés. Presque tous ont assisté à beaucoup de disputes entre leurs parents ou entre la mère et son ou ses conjoints. Pour plusieurs, la mère favorisait le conjoint à leurs dépens. Tous ceux qui ont eu des enfants ont tenté de leur offrir une meilleure éducation que celle qu'ils avaient reçue, mais plusieurs disaient entretenir des relations difficiles avec leurs enfants devenus adultes.
À l'exception d'une participante, ils s'entendaient tous pour dire que le grand manquant à leur éducation fut le père. Il leur semblait que s'il avait été présent comme ils l'avaient souhaité, les choses auraient été différentes : ils auraient pu profiter d'une plus grande stabilité émotive, ils auraient eu un modèle masculin proche d'eux comme ils en avaient besoin, ils auraient eu un soutien plus grand dans leurs projets. Un des participantEs faisait un lien direct entre l'absence de son père et ses difficultés d'apprentissage. Il était convaincu que la présence de celui-ci aurait été un élément de soutien nécessaire et grâce auquel il se serait plus engagé dans ses études. Enfin, plusieurs d'entre eux ont nommé qu'ils auraient eu besoin de l'autorité d'un père pour baliser et encadrer leur vie.
Les conditions de vie des sujets-acteurs
Les conditions de vie de ces participantEs avaient été difficiles. Comme ils le disaient : «tout le monde a été pauvre», tout le monde représentant évidemment tous les participantEs à l'atelier Autobiographie. À partir de l'analyse de l'ensemble des récits, ils ont constaté aussi qu'ils ont majoritairement connu des vies perturbées; ils ont souligné les déménagements fréquents, les séparations et divorces ainsi que la mort du père pour deux d'entre eux. CertainEs participantEs ont ajouté que leur vie était encore difficile, qu'elle était un combat quotidien. Selon ces participantEs, ces conditions de vie difficiles ont entraîné des problèmes d'apprentissage.
Ils ont souligné le fait que tous ont été actifs dans leur vie en étant sur le marché du travail, en faisant du bénévolat, du militantisme, en élevant des enfants, en s'occupant d'un parent malade, en participant à des activités de formation ou de loisir.
Ils n'ont pas nommé les matières ni les représentations qu'ils pouvaient en avoir. Au moment de l'expérimentation, cet élément ne faisait pas partie de notre construction théorique, nous n'avons donc que peu fait mention nous-même de cet aspect dans notre animation ou dans les activités proposées.
En ce qui concerne le cadre des formations qu'ils ont vécues, ils étaient unanimes dans leurs perceptions des polyvalentes au secondaire. À leurs yeux, ces écoles secondaires sont froides et impersonnelles. Les participantEs qui ont fait des études en polyvalente ne se sont pas sentiEs interpelléEs par ce qui leur était proposé : «ça venait pas me chercher». Ceux-ci auraient aimé recevoir plus de soutien ainsi qu'un encadrement plus serré, «la discipline était trop loose. L'un d'entre eux vivait même de la colère contre cet établissement et son personnel. À ses yeux, ce laxisme était la cause d'une grande perte de temps, temps qu'il aurait pu consacrer à s'investir dans ses études. Aucun des participantEs ayant fréquenté une polyvalente n'a apprécié y être, alors que plusieurs ont aimé leur école primaire ou le couvent.
Pour ce qui est des relations avec les enseignantEs, ils ont pu constater dans les récits que plusieurs se sont sentiE«délaisséEs» par eux. Ils ont alors tous affirmé qu'ils s'étaient effectivement sentiEs souvent «délaisséEs» par leurs enseignantEs. Par contre, ils ont aussi rencontré des enseignantEs qu'ils ont aiméEs et qui les ont aidéEs.
Au moment de l'analyse collective, aucunE participantE n'a fait de commentaires sur les relations éducatives vécues dans un autre contexte que le cadre scolaire, pas plus qu'ils n'ont fait mention des pairEs. Par contre, lors du bilan de l'atelier, il en a été question à maintes reprises, comme nous pourrons le voir dans le chapitre suivant.
Comme nous l'avons déjà mentionné, tous les participantEs provenaient de milieux socioéconomiques faibles, ce qui fut confirmé dans l'ensemble des récits. Par contre, à analyse des récits, on peut constater que des événements marquants ont amplifié les difficultés financières pour plusieurs familles, que ce soit la séparation des parents, la mort du père, le fait d'être victime d'un incendie ou encore de vivre en temps de guerre. Les conditions matérielles précaires ont eu pour trois d'entre eux comme conséquence directe un retrait de l'école. Ainsi, une participante a quitté après le secondaire III, puisque sa famille ne pouvait assumer les frais d'une scolarité supérieure, la gratuité scolaire n'étant plus offerte après ce niveau. Un participant a terminé sa scolarité après avoir redoublé sa 5e année du primaire, car sa famille avait besoin d'un apport financier. Plus tard, il a dû quitter le postulat pour les mêmes raisons. Une troisième participante n'a complété qu'une troisième année primaire, afin d'aider sa mère aux travaux ménagers. Dans les trois cas, les familles étaient nombreuses et on peut supposer que cela alourdissait la charge financière pour les parents ou la mère.
Il est facile d'imaginer qu'en plus de ces liens directs entre apprentissage et conditions matérielles précaires, ces conditions de vie ont eu une incidence sur l'ensemble des participantEs. Que ce soit la faim, les préoccupations quotidiennes ou le stress engendré par toutes les difficultés qu'ils ont rencontrées, il est certain que cela a pu nuire à la disponibilité à l'apprentissage ainsi qu'à l'ouverture nécessaire à créer des liens.
Nous remarquons que dans tous les récits, la famille est abondamment citée, à la fois comme soutien important et comme source de conflits ou de problèmes. En ce qui concerne l'appui reçu par la famille, Dolorès15 a noté : «quand j'étais petite, je me sentais aimée par ma famille». Éric a écrit qu'il a été félicité lorsqu'il s'est investi au centre d'éducation populaire, «ma famille, mes sœurs et mes frères et ma mère ont dit bravo». Francine, qui a dû quitter l'école pour aider sa mère après la troisième année du primaire, a par contre appris à lire et à écrire avec elle, à la maison. Elle la considère «comme un professeur et une grande amie». Pour d'autres, le soutien ne venait pas que des parents, mais aussi des autres membres de la famille. Par exemple, pour Marc, ce sont les grands-parents qui ont été les modèles qui l'ont inspiré et appuyé tout au long de sa vie. Brigitte, quant à elle, a pris sa sœur comme modèle et c'est elle qui lui a fourni l'encadrement dont elle avait besoin. Elle a écrit à son propos : «elle m'a donné le courage de faire une bonne vie». Armand a affirmé que ses parents étaient toujours à l'écoute et que son beau-frère et sa sœur l'ont hébergé et aidé lorsqu'il a fait une crise cardiaque. Enfin, deux participantEs étaient aidés par leur mère à faire leurs devoirs et Jacques, par une amie de la sienne. On peut donc constater à travers ces récits que la famille, ou du moins certains de ses membres fut, pour la majorité des participantEs, un élément de soutien dans l'ensemble de la vie, et plus spécifiquement dans les études.
Toutefois si la famille a représenté un élément de soutien, elle a souvent été parallèlement source de problèmes. En effet, les familles perturbées (divorce et séparation des parents, alcoolisme de la mère, abus, déménagements, etc.) ont nui au développement de ces personnes. Par ces propos, Marc a induit des liens entre situation familiale et problèmes scolaires. Il écrit : «Mal aimé de mes parents, j'avais des problèmes familiaux et scolaires. [...] J'étais un enfant stressé et en colère contre mes parents, dû au divorce». Dans le même ordre d'idées, Lucie a décrit qu'au moment où elle vivait dans une famille adoptive où elle était bien, ses résultats scolaires étaient excellents. Par contre, lorsqu'elle était avec sa mère qui avait une vie instable et déménageait souvent, elle avait des problèmes à l'école. Il est facile d'imaginer que ces difficultés ont pu entraîner des problèmes de disponibilité à l'apprentissage comme nous l'a écrit Jacques : «Je me sentais pas capable de me concentrer à mes études». De plus, bien qu'aucunE n'ait établi de lien entre les relations familiales et les relations éducatives, on peut supposer que les rapports familiaux ont eu une incidence sur les rapports en milieu scolaire. De fait, dans trois récits il est fait mention que ces personnes se sentaient à part des autres, différentes. À cet effet, Armand a écrit : «J'étais pas comme les autres, j'avais pas beaucoup de mémoire». Sylvie l'a dit carrément : «Avec les professeurs j'étais timide. Je me sentais à part». Quant à Jacques, il a rapporté ceci : «Je me sentais différent des autres, plus sensible que les autres». Lucie, de son côté, en plus d'avoir eu de meilleurs résultats dans les périodes de stabilité familiale, vivait des relations plus harmonieuses avec ses camarades de classe. Brigitte, dont la mère était alcoolique et qui fut abusée par le conjoint de celle-ci, a écrit la phrase suivante : «Les personnes me respectent pas dans ma vie».
Pour terminer le thème familial, il est frappant de remarquer l'absence du père, comme l'avaient effectivement affirmé les participantEs lors de l'analyse. Tout d'abord, deux pères sont morts alors que les participantEs étaient enfants. Par ailleurs, lorsque les parents de certains participantEs se sont séparés ou ont divorcé, les enfants sont restés auprès de la mère et ont donc eu moins de contacts avec le père. À l'extrême de cette situation, Marc n'a pas vu son père pendant quelques années (il était à l'extérieur du pays) et Lucie ne l'a jamais connu. Enfin, Dolorès et Francine ont écrit que leur père était distant. Elles ont déclaré respectivement : «mon père était absent, il ne s'occupait pas de moi» et «J'aurais aimé avoir un père qui nous aime, ce n'était pas le cas : Papa, tu nous disais qu'on était pas tes enfants...». Seul Armand semble avoir eu un rapport non problématique avec son père.
Bien sûr, les rapports familiaux ne sont pas les seules causes de relations problématiques à l'école et des difficultés d'apprentissage, il y a une multitude d'autres aspects qui entrent en ligne de compte, comme les différences de culture, les structures et les programmes scolaires. Nous y percevons tout de même un élément dont il faut tenir compte dans l'analyse des relations éducatives.
En ce qui concerne le sujet-acteur, nous remarquons de plus que plusieurs (trois) participantEs affirment dans leur récit qu'ils sont timides ou repliéEs sur eux-mêmes. À ce sujet, Éric a écrit à propos du moment où il est arrivé au centre d'éducation populaire : «J'étais toujours dans mon coin». Francine l'a exprimé de cette façon : «Quand j'ai commencé d'aller au [centre d'éducation populaire], j'étais gênée. Je ne connaissais pas personne, ça m'a pris beaucoup de courage». Enfin, Sylvie a énoncé qu'elle était timide avec les enseignantEs quand elle était en institution scolaire. Jacques, quant à lui, a raconté qu'il était méfiant envers certains professionnelLes de l'intervention, tout comme Lucie d'ailleurs. Cette constatation du repli sur soi nous permet de supposer que le lien avec les enseignantEs et les formateurs ne s'est pas toujours établi avec aisance.
Comme les participantEs à cette expérimentation l'avaient soulevé, nous pouvons conclure qu'ils ont tous connu des vies difficiles qui les ont fragilisés. Nous pouvons remarquer la vulnérabilité de ces sujets-acteurs à travers les récits, vulnérabilité qui ne peut que teinter les rapports qui vont s'établir dans les relations éducatives et dans les apprentissages qui se feront. La capacité d'étudier est liée à ce qui se passe dans les autres domaines de la vie. S'il y a fragilité du sujet-acteur, il y a aussi fragilité des acquis cognitifs.
Dans les récits, il est peu fait mention des matières qu'ils ont étudiées, ce qui a certainement été induit par le fait que cette composante ne faisait pas partie du cadre théorique encore incomplet de la chercheure. Cela nous a permis de vérifier l'influence que peut avoir le matériel apporté par l'animatrice responsable d'une démarche biographique. On retrouve tout de même ce thème à quelques reprises dans les récits. Par exemple, Brigitte a écrit : «Mon écriture est importante pour moi». C'est d'ailleurs la première phrase de son récit, ce qui appuie notre position en ce qui a trait à l'importance de l'acquisition du langage et à toutes ses incidences comme nous le verrons au chapitre suivant.
Un lien est fait entre relation aux enseignantEs et matières par Jacques qui a décrit qu'un enseignant en éducation physique l'encourageait alors qu'il était bon au basket et qu'il était ridiculisé par celui de français, le français étant une matière dans laquelle il présentait des difficultés. Le fait d'avoir été dénigré par cet enseignant était démotivant. Par ailleurs, Sylvie nous racontait qu'au secondaire (classes spéciales), leurs activités se limitaient à remplir le temps : «j'ai pas pris de feuille ni de crayon de l'année. On faisait des contrats. On brochait des feuilles, on roulait des cordes d'abris tempo, on les mettait dans des sacs». Pourtant, malgré un retard mental léger, nous avons pu constater au cours de la démarche que, bien encadrée, Sylvie avait une bonne capacité d'apprentissage. Nous pouvons questionner le type de programme qui lui a été offert.
Enfin, en ce qui touche les matières étudiées, cinq participantEs ont fait référence aux activités récréatives qu'ils appréciaient. Francine a dit qu'au couvent elle faisait beaucoup de dessins et qu'elle y était heureuse. Lucie semble avoir vécu sensiblement la même chose au couvent où elle allait : «Elles nous faisaient faire beaucoup d'activités, les religieuses. Je ne faisais pas de devoir et leçon, seulement des jeux. J'ai passé de belles années au couvent». Éric a affirmé qu'il jouait en classe, Dolorès, qu'elle appréciait particulièrement les récréations et Jacques, qu'il avait préféré jouer plutôt que d'aller à l'école.
Nous avons trop peu de renseignements pour tirer des conclusions solides. Nous constatons toutefois l'importance du jeu et du plaisir dans l'expérience scolaire.
Lors de leur analyse, les participantEs ont nommé le fait qu'ils n'ont pas apprécié la polyvalente, entre autres parce qu'ils ne se sentaient pas assez encadrés. Lucie a écrit dans son récit «dès le premier mois, je me suis battue à l'école», alors qu'elle commençait son secondaire dans ce type d'institution. Jacques a raconté qu'un enseignant le laissait manquer la classe en notant sa présence sur les listes comme s'il avait suivi les cours. Sylvie aussi a décrit que dans son école, «il y avait une discipline très loose». Ce que nous soulevons ici n'est pas le problème spécifique de la discipline. Deux participantEs ont écrit d'ailleurs avoir vécu avec plaisir une certaine permissivité. C'est l'encadrement relâché qui apparaît ne pas avoir convenu à la majorité d'entre eux. Ces personnes, sujets-acteurs fragilisées par leur histoire, ne semblent pas avoir rencontré le soutien qui leur était nécessaire dans le cadre des «grosses écoles». Les rares commentaires positifs en lien avec l'école concernaient systématiquement de petites écoles et s'attardaient aux liens affectueux avec des enseignantEs et des pairEs. Dolorès a raconté qu'elle était bien dans sa petite école de village et Lucie, qu'elle aimait le couvent. Marc a mentionné qu'il aimait l'école au primaire où il a eu la même enseignante pendant les six années, alors qu'il a complètement décroché au secondaire dans une polyvalente.
Nous nous pencherons maintenant sur ce qui touche le centre d'éducation populaire. Dolorès s'est inscrite au centre d'éducation populaire grâce au soutien d'une travailleuse sociale de l'école d'un de ses enfants. Cependant, elle n'y est pas restée longtemps parce qu'elle s'est trouvé un emploi. Deux ans plus tard, alors qu'elle se retrouvait au chômage, elle voulait reprendre ses études, mais elle a écrit : «Je suis restée à la maison quelques mois, indécise. Un jour j'ai eu un appel, c'était D. qui m'appelait pour m'inviter à venir au [centre d'éducation populaire] à la journée d'information et c'est grâce à cette opportunité qu'aujourd'hui, je suis avec vous.» Elle a donc eu besoin d'un contact personnel pour se motiver à recommencer ses études. Éric affirme qu'en arrivant au centre, il était toujours dans son coin. C'est une employée qui l'a encouragé à s'ouvrir aux autres. Francine spécifie que ça lui a demandé beaucoup de courage à ses débuts au centre parce qu'elle ne connaissait personne. On peut donc dégager ici toute l'importance des liens qu'un contexte favorise. Lucie l'a confirmé lorsqu'elle a écrit : «J'ai été plusieurs années dans des écoles pour apprendre de quoi. Rien ne faisait mon affaire. [...] J'ai été au [centre d'éducation populaire], j'ai aimé ça [.].» Sylvie, qui n'a aimé aucune autre école et en parle plutôt négativement, écrit à propos de l'organisme : «J'apprends le français, je parle à tout le monde. [...] Je suis heureuse en classe.» Ils sont d'ailleurs plusieurs à mentionner les liens avec les autres et les amitiés qu'ils ont trouvées au centre, comme nous le verrons plus loin. Notons de plus que cinq d'entre eux ont fait des activités liées à d'autres secteurs que l'alphabétisation. Deux participantEs ont même, dans l'organisme, travaillé plusieurs années bénévolement et milité pour différentes causes avant de s'inscrire en alphabétisation. Le centre est presque devenu un milieu de vie pour au moins cinq participantEs, sinon un endroit où ils vivaient une part significative de leur vie sociale. Cet aspect est très probablement l'un des éléments qui a pu faire défaut dans les polyvalentes, l'encadrement pouvant y être trop impersonnel.
Nous considérons donc que cette composante du cadre et du contexte est majeure dans le système relation éducative, puisqu'elle permet ou non un terrain favorable aux rencontres signifiantes et à la confiance nécessaires pour l'entreprise d'études, tout particulièrement pour des sujets-acteurs fragiles.
Nous pouvons confirmer que le plaisir et le jeu ont été une stratégie pédagogique fructueuse lors de l'expérimentation. Par exemple, quand nous présentions des notions théoriques qui demandaient plus d'efforts intellectuels, les participantEs ont été réceptifs lorsque nous les avons théâtralisées. Dans les récits, outre les extraits que nous avons cités plus haut, nous retrouvons d'autres éléments à ce sujet. Éric a écrit : «Il y a 33 ans que je suis là pour faire mon tannant dans le monde». Bien que timide, il aimait rire et jouer des tours. Francine, quant à elle, a nommé à plusieurs reprises dans son texte combien elle aimait rire avec ses différentes animatrices, comme celle-ci : «[...] j'aime bien rigoler avec elle, je m'amuse vraiment comme une folle».
Nous supposons que la faible estime de soi à l'égard des capacités d'apprentissage cumulée à la vulnérabilité de ces sujets-acteurs ont freiné leur disponibilité et leur concentration à recevoir des informations nouvelles ou à faire une réflexion. Le fait de rire et de s'amuser peut être un moyen efficace d'alléger ces tensions, de détendre l'atmosphère et de rendre plus apte aux travaux intellectuels. De plus, l'aspect ludique peut encourager le développement de complicités et de liens de camaraderie. Le besoin de liens affectifs ressort d'ailleurs de façon frappante dans l'ensemble des récits.
Incontestablement, sept participantEs sur neuf ont décrit les liens qu'ils ont eus avec les enseignantes et les formateurs, en termes de relations affectives. Seul un participant a exposé l'aspect cognitif de la relation. Ils ont été plusieurs à mentionner combien ils les aimaient ou ne les aimaient pas. Nous avons remarqué que ce fut toujours sous cet angle (à l'exception d'Armand qui traite de l'aspect cognitif de certaines relations) que les rapports considérés favorables à leurs apprentissages ont été présentés. Par exemple, Marc a dit qu'il a eu une relation mère-fils avec son enseignante du primaire et Sylvie a écrit au sujet de deux éducatrices du primaire qu'elles étaient comme des amies. Armand a soutenu que le responsable des postulants était un guide, un confident, «c'était comme un vrai frère» et Jacques a écrit de l'infirmière qui le suivait qu'elle était sa confidente. Dans la même veine, Éric a dépeint ses relations avec les différents enseignantEs soit par des événements, soit en nommant comment il se sentait avec eux. En général, les enseignantEs et les formateurs ont été qualifiés en fonction de leurs attitudes ou de la relation qu'ils ont établie avec eux, et non en fonction de leurs compétences, de leurs connaissances ou de leurs stratégies pédagogiques. Revenons à Armand, qui est distinct sur ce point, en ce qu'il a relaté l'aspect cognitif de la relation. À différents endroits dans son récit, il a décrit la façon dont les enseignantEs et les formateurs lui donnaient des explications, présentaient la matière et l'incidence que cela a pu avoir sur ces aptitudes : «[...] j'étais très attentif [...]. Mon comportement était mieux parce que je comprenais plus facilement, parce que mon professeur expliquait plus clairement». Par contre, l'aspect affectif était aussi très présent dans son récit.
De plus, comme pour plusieurs d'entre eux, il était question pour lui de l'importance de l'attention que les enseignantEs lui ont porté. Si l'on tient compte de leur analyse, de ce qui est écrit dans les récits et de ce que nous avons pu observer lors de la démarche, cet élément était primordial pour chacunE des participantEs. Ils avaient grand besoin d'être considéréEs. Brigitte a mentionné à cet effet : «J'aimais pas l'école à cause de mon professeur qui me négligeait». Comme ils nous l'ont mentionné, ils se sont tous sentiEs délaisséEs par la majorité des enseigantEs qu'ils ont eus. Ce point fut confirmé dans les propos de Jacques : «Mon professeur de français, il faisait des ombres chinoises, et il disait que je ressemblais à un chien barbet, ce qui me décourageait». Parallèlement, deux d'entre eux ont présenté clairement de la méfiance envers les diversEs professionnelLEs de l'intervention ou de l'éducation qu'ils ont rencontrés et pour cause. S'ils se sont sentiEs délaisséEs, ridiculiséEs dans certains cas, il semblait compréhensible d'être méfiantEs envers ceux-ci, d'autant plus que la majorité d'entre eux étaient déjà fragiliséEs par l'histoire de leurs relations familiales. On peut donc déceler dans ces extraits ce que nous affirmions dans le premier chapitre, le regard que le formateur pose sur les personnes apprenantes a des répercussions sur celles-ci et sur leurs apprentissages.
Nous aborderons maintenant ce que révélaient les récits au sujet des relations avec les pairEs. Cinq participantEs ont fait référence aux autres étudiantEs au moment de leurs études primaires et secondaires. Trois d'entre eux ont nommé le plaisir qu'ils ont eu à jouer avec leurs amiEs tandis que deux ont décrit une connivence contre les enseignantEs. Une participante, alors qu'elle était au secondaire, a raconté qu'elle préférait «aller voir les garçons» plutôt que d'aller aux cours. Pour ce qui est du centre d'éducation populaire, six participantEs ont abordé les relations avec les pairEs en des termes positifs. Dans un même paragraphe, Sylvie a raconté qu'elle parlait à tout le monde et qu'elle aimait beaucoup son animatrice, à la suite de quoi elle écrit : «je me sens heureuse en classe». Dolorès est allée tout à fait dans le même sens : «Je suis contente d'être ici et de vous connaître», en faisant référence aux autres participantEs et à son animatrice. Deux participantEs ont rapporté l'importance des amitiés qui se sont créées dans ce lieu. En somme, dans l'ensemble des récits, seulement deux participantEs n'ont aucunement traité des relations avec les pairEs.
Enfin, pour terminer cette analyse, voyons un élément clé entre plusieurs composantes : la signifiance. Dans deux récits, on retrouve des données à ce propos. Dolorès a écrit qu'à son retour en troisième secondaire, elle avait «compris l'importance de finir [ses] études. Cette dernière année s'est passée tellement bien que j'étais parmi les trois meilleurs de la classe. Avant, j'étais presque toujours dans les moyens.» Jacques, qui n'accordait pas d'importance à l'école et préférait jouer, a écrit : «Et moi je me sentais sans but, sans chemin». De plus si l'on se réfère à l'analyse que l'ensemble des participantEs ont fait de leurs récits et à ce que nous avons décelé dans leurs textes, aucunE participantE ayant étudié dans une école secondaire polyvalente n'en a été satisfait, n'y trouvant de sens. Pourtant, il est confirmé qu'il est difficile de s'investir dans tout cheminement éducatif si l'on n'y trouve pas de sens (Caouette, 1997). À l'analyse de ces récits, ce qui paraît influencer le sens donné à ce type de démarche dépend de plusieurs facteurs. L'état dans lequel se trouve le sujet-acteur, comme l'a dépeint clairement Jacques, est le premier que nous voulons souligner. Dolorès qui a repris ses études en situation de perte et d'urgence (après que la guerre ait été déclarée dans son pays) confirme le deuxième facteur, celui lié au contexte social. Le troisième, celui tenant du cadre, fut apporté par plusieurs participantEs lorsqu'ils ont abordé leur passage dans une école polyvalente. Par le contenu d'une formation et surtout par la façon dont il est présenté, se présente le quatrième facteur. Enfin, les diverses relations vécues dans un cadre éducatif ont une incidence sur la signifiance si l'on se rapporte à l'importance des liens sociaux pour tout individu en processus d'apprentissage et plus particulièrement pour ces personnes peu alphabétisées, comme nous avons pu le voir.
L'analyse des récits nous révèle que de trouver du sens, et par là même de la motivation à s'investir dans un cheminement d'apprentissage, serait donc influencé par l'ensemble des composantes du système relation éducative, le sujet-acteur, le cadre et le contexte des formations, la matière et la dynamique des relations éducatives. Toutefois, par l'intensité, la manière et la fréquence avec laquelle les participantEs ont mentionné les diverses relations qui ont jalonné leur vie, il est possible de confirmer ce que nous affirmions dans le premier chapitre, soit que «les besoins les plus profonds de ces analphabètes ne sont pas d'ordre strictement pédagogique, ils sont plutôt d'ordre social» (Cartier et Houle in Audet et al, 2002, p16).
Nous débuterons ce chapitre par un résumé du bilan-analyse effectué par les participantEs en fin de démarche et nous poursuivrons par notre propre analyse de cette expérimentation. Notre analyse est organisée en fonction des composantes du système relation éducative, soit le contexte et le cadre, les sujets-acteurs, le contenu formatif et la dynamique des relations éducatives. Dans la dynamique des relations éducatives, nous retrouverons les axes du schéma de Pineau (Pineau, 1996), c'est-à-dire l'axe passé/futur, l'axe locuteur/interlocuteur, l'axe désappropriation/appropriation, l'axe distanciation/implication et enfin, l'axe langage/vie.
Voici le bilan-analyse de la démarche, réalisé par les participantEs, résumé et structuré en fonction des composantes du système relation éducative. Ce bilan compile des propos de participantEs recueillis à plusieurs moments. D'abord, il est issu de commentaires spontanés apportés par l'ensemble du groupe des participantEs lors d'un atelier vers la fin du processus. Nous y avons ajouté les propos énoncés au cours de l'avant-dernier atelier animé par la chercheure et prévu à cette fin. Pour terminer, nous avons inclus des éléments saisis lors des entrevues individuelles.
De l'avis des participantEs, l'ensemble de la démarche a été porteuse de nombreux changements pour eux. De fait, l'atelier Autobiographie leur a donné l'occasion d'exercer leur réflexivité, de s'exprimer et ainsi de mieux se connaître eux-mêmes. Plusieurs participantEs ont affirmé que ce dernier leur avait permis de faire plusieurs prises de conscience. Par exemple, un participant s'est aperçu qu'il avait tendance à envisager les choses négativement et désirait retrouver un regard plus positif. Par l'écriture du récit, une autre participante a regretté de ne pas s'être investie auprès des siens à la mesure de l'importance qu'elle accordait pourtant à ces relations affectives. Deux participantEs ont souligné que la démarche a fait émergé chez eux la force de s'affirmer davantage dans leurs relations. Une participante a découvert qu'elle était habitée de haine et qu'elle aurait à poursuivre sa réflexion sur ce thème.
Dans un autre ordre d'idées, six participantEs ont remarqué une amélioration de leurs capacités cognitives et plus spécifiquement, une meilleure concentration. Ils ont évoqué plusieurs raisons pour expliquer l'accroissement de cette capacité : une meilleure compréhension des étapes du processus d'écriture, une plus grande disponibilité d'esprit, l'atmosphère agréable des rencontres, le fait que les autres participantEs «étaient pas gênantEs», la possibilité de prendre le temps voulu dans l'accomplissement des tâches, une plus grande indulgence envers leur performance et enfin, une meilleure confiance en soi.
D'ailleurs, la confiance en soi a été rehaussée par l'entremise de cette démarche, pour la plupart des participantEs, confiance de «pouvoir aller plus loin», de «pouvoir réussir», de «toujours pouvoir faire mieux». Cette hausse de la confiance en soi fut légère pour certainEs, majeure pour d'autres. Une participante l'attribuait aux activités de réflexion tandis que pour deux autres participantEs, le fait de saisir leur potentiel d'apprentissage, leur savoir et leur force était marquant à cet égard. Pour d'autres encore, la démarche dans son ensemble soutenait ce changement. Toutefois, le simple fait d'avoir été en mesure d'écrire leur récit a été un élément déterminant à ce sujet, pour la majorité des participantEs.
Enfin, ils considéraient que l'atelier Autobiographie avait stimulé leur goût d'apprendre : «Je suis plus intéressé à apprendre», «ça m'a réveillée». Tous se sont sentiEs grandement stimuléEs par cette démarche qui a suscité leur envie d'agir et «de partager ce qu'on a reçu».
À propos des relations éducatives, lors des échanges de groupe, les participantEs ont abordé essentiellement les relations avec les pairEs de l'atelier. Plusieurs ont nommé que celui-ci les avait encouragÉs à s'ouvrir aux autres parce qu' «avec l'histoire de vie on a parlé de nous, on a eu des échanges profonds entre nous». De plus, le fait de mieux se connaître et d'avoir eu plus confiance en eux, comme nous l'avons souligné plus haut, leur permettait d'être plus à l'aise de s'exprimer devant le groupe et d'échanger. Ils ont eu la possibilité d'entendre les autres participantEs raconter leur vie difficile et ainsi de reconnaître des liens et des similitudes entre chacune des histoires. Cela a éveillé solidarité et empathie au sein du groupe. Qui plus est, ils souhaitaient même pouvoir soutenir les participantEs éventuelLEs qui entreprendraient une telle démarche. De plus, ils imaginaient pouvoir les rassurer, au besoin tous étant d'accord pour dire que la peur les avait souvent freinéEs à s'engager dans l'atelier.
Quant aux relations éducatives avec les animatrices ou avec les enseignantEs de leur passé, il n'en a été fait mention que lors des entrevues individuelles, alors que la question leur était posée directement. Cinq participantEs sur neuf ont mentionné des éléments de transformation dans les relations qu'ils établissaient avec les animatrices. Pour un participant, les méthodes, les explications et les façons de faire de l'animatrice rendaient les choses plus claires et plus simples. Il en résulta une plus grande confiance et une ouverture accrue envers elle et les animatrices en général. Pour une participante, il s'agissait d'une plus grande affirmation de soi envers les animatrices. Pour un autre, c'est le fait d'oser poser des questions qui a été une avancée dans ses relations éducatives. Auparavant, la peur l'empêchait de le faire alors que dans ce cas-ci, il se sentait plus à l'aise car d'après lui, il y avait «plus de compréhension des deux côtés». En cours d'atelier, un autre participant a senti qu'il pouvait apprendre quelque chose des formateurs en général, à la condition qu'il soit, lui, attentif à eux. Il déplorait par contre le fait que ceux-ci ont généralement peu de temps à consacrer à chacun des individus, puisqu'ils ont la responsabilité d'un groupe en entier. Enfin, une participante a pris conscience que la relation avec les formateurs est très importante, car elle représente «presque la moitié de l'apprentissage, ça rend tout plus facile».
De façon unanime, l'atelier Autobiographie a éveillé le désir, le besoin même, d'écrire. De plus, ils ont affirmé avoir fait de nombreux apprentissages en lien avec le code écrit : la capacité de rédiger des phrases compréhensibles, une meilleure utilisation des ouvrages de référence, une plus grande connaissance des règles de grammaire et de leurs applications, un vocabulaire plus précis et plus diversifié ainsi qu'une aisance à s'exprimer sur papier. Bien que plusieurs aient nommé que ce soit «plus facile avec cette méthode», c'est la pratique de l'écriture en elle-même qui a été, selon eux, la principale source de ces apprentissages.
Les participantEs du groupe ont apporté plusieurs suggestions quant à l'organisation de l'atelier Autobiographie. Un des éléments qu'il leur a posé problème concernait le manque de temps. En
effet, l'ensemble du groupe aurait souhaité avoir plus de temps pour profiter pleinement de la démarche ou, à tout le moins, que l'atelier se soit déroulé sur deux sessions plutôt que sur une seule. Il aurait été ainsi possible que chacun ait le temps de se familiariser avec ce type d'atelier et de s'ouvrir un peu plus aux autres membres du groupe. Par ailleurs, ils auraient apprécié que le camp d'écriture soit plus long pour permettre davantage de périodes de pause, d'échanges et d'écriture.
Ils ont aussi proposé que soit lu, dès le premier atelier, le récit d'un participantE ayant déjà vécu la démarche. Ils ont aussi suggéré qu'il y ait deux versions du récit. Une première faite très rapidement, pour motiver et saisir les effets de l'écriture d'un récit. De fait, ils avaient un grand besoin de résultats concrets et, selon eux, écrire un premier récit aurait été un moyen privilégié pour y arriver. Alors, pour faire suite au déroulement prévu dans le modèle de cet atelier, pourrait s'entreprendre la rédaction d'un deuxième récit, plus riche, plus satisfaisant. Cinq d'entre eux souhaitaient d'ailleurs reprendre la démarche afin de répondre au besoin de compléter ou de réécrire leur récit.
Du côté de la logistique, il leur semblait que la salle des rencontres aurait dû être aménagée de façon à favoriser les échanges en petits groupes. Il est intéressant de s'arrêter à ce détail puisqu'au départ, ils ne voulaient ni ne savaient travailler en équipes.
Avant d'entamer l'analyse de la démarche en fonction du système relation éducative, nous voudrions soulever un point en regard de la recherche elle-même. Dans l'expérimentation que nous avons effectuée, nous avons pu constater une nette opposition entre les intérêts de recherche pour la chercheure et de formation pour les participantEs. En effet, nous menions cette entreprise dans le but de produire des connaissances, entre autres, alors que les participantEs étaient préoccupéEs principalement par la poursuite de leur formation et par l'apprentissage de l'écrit. Ces intérêts divergents et les conséquences qu'ils ont eues sur la démarche révèlent la complexité de mener à bien une recherche-formation.
Revenons au système relation éducative. Après analyse et réflexion, il nous est apparu que les composantes de celui-ci devaient être organisées de la manière suivante :
[Voir l'image pleine grandeur]
D'abord, dans le but de simplifier le portrait, nous avons choisi de traiter dans un même ensemble le cadre et le contexte. Les sujets-acteurs et la matière forment les deux autres ensembles du schéma. À la croisée de ces trois ensembles, se dessine un sous-ensemble où s'inscrivent les différents axes de la dynamique de la relation éducative. Nous croyons effectivement que les composantes des sujets-acteurs, de la matière et du cadre et du contexte ont une réalité propre, tout comme elles partagent des espaces communs dans lesquels elles sont en interrelation. La relation éducative se situe au cœur du schéma, en ce qu'elle existe par ces trois autres composantes et par leur rencontre.
Comme nous l'avons décrit précédemment, le contexte de restriction financière des groupes d'éducation populaire a contraint les responsables du secteur alpha de cet organisme à priver certains individus de leurs services d'alphabétisation. Dans ce contexte où l'atelier Autobiographie mettait un terme à leurs efforts pour s'alphabétiser, il ne pouvait provoquer que fermeture et méfiance à son endroit tout autant qu'à notre égard. Il va sans dire que les mesures politiques à l'origine de ces choix organisationnels ont eu des incidences directes et marquées sur les relations éducatives entre tous les acteurs de la démarche.
Une fois que nous avons pleinement compris la teneur des contraintes, nous nous sommes questionnée à savoir si nous devions cesser la démarche pour enfin décider de la poursuivre, tel que décrit dans le chapitre 4.
Si l'on observe la situation d'un point de vue plus large, il semble que les conditions découlant d'une société à haute historicité ont fait en sorte que le désir d'écrire sa vie a surmonté les résistances liées aux limites imposées. Malgré toutes les réticences légitimes qu'ils ont manifestées, les participantEs (sujets-acteurs), soutenuEs par les animatrices, ont trouvé l'intérêt de s'engager dans ce projet. Ils ont fini par rédiger leur histoire antérieure et y porter un regard réflexif. Ils en ont soutiré une série de prises de conscience et de bienfaits transférables dans leur présent et pour leur futur, éléments que nous avons d'ailleurs énumérés dans le résumé de leur bilan. Nous avons donc pu valider, à l'analyse de l'expérimentation, la thèse de Postic selon laquelle la relation éducative ne peut être comprise qu'en considérant l'ensemble des éléments qui l'influencent.
Les participantEs
En ce qui a trait à leur engagement dans l'atelier, comme nous l'avons décrit dans le chapitre 4, si les participantEs s'investissaient par moments à la tâche avec enthousiasme, ils revenaient souvent à une attitude plus fermée. Par exemple, lorsque nous avons fait l'activité sur un apprentissage dont ils étaient fièrEs, ils ont été plus collaborateurs. Par contre, lorsqu'ils devaient collectiviser sur les enseignantEs qui ont jalonné leur enfance, ils ne voulaient pas en parler. Nous saisissons aujourd'hui que la confiance ou son absence était à la base de leurs réactions. Qui plus est, la peur d'être pris en défaut, de démontrer aux animatrices et aux autres participantEs leur «ignorance», de dévoiler qu'ils n'avaient pas su accéder à la réussite scolaire, de démolir leur unité syncrétique et de se retrouver avec une histoire qu'ils portent souvent avec honte, interférait avec leur désir d'engagement dans la démarche.
De plus, à ce que nous avons pu constater et selon leur dire, ils ont été habituéEs au cours de leurs formations antérieures à écrire dans un cadre d'exercices et non dans l'optique de l'expression de soi ou d'un message à transmettre. Au départ de l'expérimentation, la majorité des participantEs était plutôt réfractaire à toute autre forme de travail sur l'écrit. Nous nous permettons d'ajouter qu'ils étaient peu habituéEs à l'effort en ce qui concerne le travail sur l'écrit et que les animatrices précédentes ne les avaient pas amenéEs à trouver une façon d'éveiller assez fort le désir d'apprentissage pour accepter la rupture nécessaire pour en arriver à s'ouvrir à un certain inconnu. Le groupe de locuteurs, constitué des participantEs, était très diversifié quant aux compétences de scripteur. De plus, il était morcelé dans la mesure où il n'y régnait pas d'esprit de coopération. Par exemple, deux participantEs possédant un niveau d'alphabétisme plus élevé que les autres avaient tendance à être méprisantEs envers ceux-ci. Ils étaient ferméEs aux discussions avec le groupe. De même, une autre participante pouvait aller jusqu'à des comportements verbaux, non verbaux et physiques agressifs qui intimidaient certains participantEs. Il y a eu aussi, au cours de l'atelier, un conflit assez important entre deux participants au point que l'un craigne les gestes de l'autre. Ces participantEs au caractère fort avaient assez de poids sur l'ensemble du groupe pour alimenter un climat de méfiance et freiner les autres dans leur désir d'échanger.
Mais encore, si se dire est un moyen de production du sujet, comme nous l'avons affirmé dans le cadre théorique, en nous appuyant sur Pineau (1996), il ne peut l'être que si le sujet est libre de le faire. Dans un contexte où il y a obligation, l'acte n'est plus créateur de soi, mais devient oppression. L'atelier Autobiographie offrait une expérience en soi libératrice, mais dans ce contexte, les participantEs se trouvaient dans une situation de perte.
Malgré toutes les difficultés rencontrées, les participantEs ont su profiter de la démarche et en soutirer de nombreux apprentissages dans les sphères académique et interrelationnelle. À cet effet, il suffit de se remémorer les retombées positives énoncées par les participantEs eux-mêmes, retombées en lien avec l'acquisition des compétences en regard du code écrit et avec les relations aux autres. Ainsi, après la lecture collective des récits, nous avons pu constater une certaine solidarité entre eux. Le fait d'avoir terminé l'atelier en démontrant des signes d'empathie, d'intérêt et d'ouverture aux autres est une réussite en soi. À travers les échanges entre pairEs, un dialogue authentique s'est établi en cours de route. L'atelier Autobiographie leur a fourni une occasion de l'initier et de l'exercer. Ajoutons que le dialogue a permis «une circulation interactive du savoir entre les participantEs» (Labelle, 1996).
L'animatrice-chercheure
Nous avons travaillé avec ardeur pour tenter de comprendre les participantEs, de comprendre la dynamique qui se vivait entre nous, pour nous ajuster à leurs besoins et à leurs attentes, pour adapter les activités que nous allions leur proposer. Nous nous sommes investie avec les membres du groupe non seulement à l'intérieur de l'atelier, mais encore à l'extérieur du cadre formel. De plus, nous nous sommes questionnée à maintes reprises sur les stratégies pédagogiques à adopter, les moyens de les intéresser et sur nous-même. Nous avons interrogé les autres animatrices du centre, nous avons cherché dans des documents et auprès de personnes compétentes (directrice de mémoire, éducateurs et psychologues) des renseignements qui auraient pu nous outiller davantage pour intervenir plus efficacement. Dans un autre ordre d'idées, nous avons fait le choix de privilégier plus largement les objectifs de formation au détriment des objectifs de recherche. Nous continuions de prendre des notes et de rédiger un journal. Nous avons gardé le cap sur l'idée de les amener à écrire leur récit, mais nous y avons accordé moins d'importance à la présence de liens explicites avec les relations éducatives. Nous avons aussi assoupli les étapes. Par exemple, ils n'ont pas fait le récit de formation oral et nous avons accepté de modifier la durée prévue de certaines phases. En définitive, nous avons cherché à actualiser la proposition de Labelle selon laquelle toute énonciation éducative «ne peut que s'emboîter réciproquement sur l'énonciation de celui qui s'éduque» (Labelle, 1996, p. 186, 187).
Par contre, l'attitude des participantEs ainsi que les conditions défavorables et contraires à l'éthique d'une démarche autobiographique ont provoqué une perte d'assurance quant à la valeur de nos interventions. Cet état de fait nous a quelque peu déstabilisée. Préoccupée par notre propre malaise, notre écoute en a été affectée. Nous avons perçu que la peur habitait les participantEs, sans en mesurer toutefois l'ampleur. Nous pouvons le vérifier par le fait que nous avons plus abondamment noté et analysé les difficultés que les réussites rencontrées. Notre malaise tenait aussi au fait de ne recevoir que très peu de reconnaissance de leur part. Nous avions besoin d'une rétroaction positive pour nous motiver à poursuivre la démarche. Nous avons tout de même accepté de n'être reconnue que partiellement par les participantEs et par l'équipe de travail, parce que nous avions la prétention de pouvoir soutenir un cheminement pertinent auprès de ces participantEs et que nous étions reconnue par ailleurs, entre autres, socialement, par notre statut d'animatrice.
Lorsque nous avons abordé la question du pouvoir dans l'atelier, ils ont clairement identifié qu'ils savaient en avoir sur les animatrices. Était-ce un jeu de pouvoir que de nous démontrer si peu d'intérêt? Était-ce le moyen qu'ils privilégiaient pour recouvrir une certaine prise dans ce cadre où ils étaient autrement en perte? Quoi qu'il en soit, nous avons effectivement senti une certaine emprise de leur part sur nous. Nous percevons ici un aspect de la réciprocité de la relation éducative. S'il est nécessaire pour que soit bénéfique une démarche biographique que la personne qui écrit son récit soit accueillie et reconnue, il en va de même pour la personne qui anime cette démarche, tout du moins en ce qui nous concernait. Le fait d'observer l'impact de l'attitude des participantEs sur nous met en lumière l'importance d'adopter une pratique réflexive dans toute relation éducative. Il nous semble que la connaissance de soi-même ne peut que favoriser une plus grande compréhension de la réalité des autres. Le formateur est un individu construit socialement et il enseigne avec tout ce qu'il est. Pour lui aussi, la représentation de soi et donc la confiance en soi se construisent par l'intermédiaire du regard des autres. Il nous semble que trop souvent la réalité des apprenantEs est étudiée, mais rarement celle des enseignantEs. Pourtant, c'est peut-être là que nous trouverions des éléments de réponse aux problèmes qui se vivent dans les diverses institutions de formation.
Rappelons que la matière au programme était constituée des moments de la vie même des participantEs, vie dont ils devaient se distancier par son expression et sur laquelle ils devaient développer une réflexion par l'intermédiaire d'éléments théoriques. La matière était donc intimement liée à l'axe distanciation/implication, comme nous le verrons plus loin. Étant donné que nous nous retrouvions dans un contexte d'alphabétisation, le langage était lui-même objet d'étude. Les participantEs ont fait des apprentissages dans divers domaines, comme déjà cité. Toutefois, comme plusieurs n'ont pas trouvé de lieu pour poursuivre leur cheminement en alphabétisation, nous nous questionnons sur l'impact des changements advenus en ce qui concerne l'écrit. Il nous semble que pour certainEs, il aurait été nécessaire qu'il y ait une suite afin de permettre l'intégration de ces acquis.
Revenons sur les aspects du langage et de la vie qui ont été au cœur de l'atelier. Dans cet espace charnière entre la vie et le récit se revivent les médiations antérieures, comme le signale Pineau (Pineau, 1986). C'est un espace où s'affrontent les pratiques singularisantes de l'individu et les efforts universalisants d'un système social. Nous supposons que dans cet espace il y avait conflit pour les participantEs de l'atelier. En effet, d'une part, ils ne maîtrisaient pas entièrement le langage par lequel ils devaient s'exprimer. D'autre part, ils portaient tout un vécu d'échecs, de honte, de désirs inassouvis et de révolte, peut-être attribuables à l'obligation à posséder le code ou au fait de ne pas le maîtriser pleinement. On peut supposer que la situation dans laquelle l'atelier s'est inscrit les ramenait à des médiateurs antécédents, à des positions qu'ils ont connues dans le système scolaire. De plus, comme nous avons pu le voir dans le premier chapitre, être peu alphabétisé comporte de lourdes conséquences dans tous les domaines de la vie. La relation qu'ils établissent avec les formateurs est teintée de l'ensemble de cette réalité, d'autant plus que c'est, entre autres, à l'intérieur des relations éducatives que s'est construit leur rapport à l'écrit et la représentation de soi face à l'écrit. Cela nous amène à nous questionner sur le thème du récit. En effet, vu toutes les conditions dans lesquelles se vivaient l'atelier, il nous semble que le thème des relations éducatives a pu contribuer à installer un climat plutôt compétitif. Les participantEs n'étaient pas prêtEs à se l'approprier, étant donné l'état de crainte dans lequel ils se tenaient. Il aurait peut-être été préférable, pour une première expérience de démarche biographique, de travailler avec un thème qui les aurait heurtéEs moins directement.
Pour terminer, considérant l'importance de l'interrelation entre langage et vie dans l'atelier Autobiographie, nous traiterons ultérieurement plus à fond de ce thème dans l'axe langage/vie de la dynamique de la relation.
Alors qu'à la rédaction du cadre théorique cet axe nous semblait secondaire, il s'est révélé être majeur au courant de l'expérimentation et encore davantage au moment de l'analyse. Les participantEs avaient vécu, et vivaient encore, de grandes difficultés qui affectaient la mémoire de certains d'entre eux (maladies mentales, consommation de psychotropes, etc.). Cependant, si la majorité d'entre eux avait la capacité de se souvenir, ils ne souhaitaient pas retourner dans un passé qui leur semblait trop douloureux. Nous croyons que nous les avons rassurés partiellement quant aux buts de la démarche et quant à nos intentions véritables. Cependant, plutôt que de leur proposer de se replonger dans leur passé dès les premiers temps de la démarche, il aurait été préférable d'explorer d'abord les conditions favorisant leurs apprentissages. Une fois cette préparation faite, il aurait été plus aisé d'investiguer leurs relations éducatives présentes et d'en arriver ultérieurement à un retour en arrière sur ce thème. Ainsi, la relation de confiance entre nous et eux se serait bâtie avec plus de facilité. Nous croyons qu'un retour vers le passé, effectué d'entrée de jeu, a pu exacerber leur méfiance et leur attitude de repli.
Nous supposons aussi que le contexte dans lequel la démarche a été présentée pouvait difficilement soulever le désir de revisiter leur histoire. En effet, lorsque le futur semble bloqué, comment trouver l'élan de s'investir dans le présent et de fouiller le passé? Le droit de continuer à s'alphabétiser dans cet organisme leur était refusé et pour plusieurs, cela représentait une entrave importante à la réalisation de leur désir, à leur rêve d'être un jour alphabétiséEs. Cela a pu en décourager quelques-uns et figer leur motivation à apprendre. Parce que certainEs d'entre eux étaient déjà fragiles, ils ne pouvaient imaginer d'alternative, c'est-à-dire entreprendre des démarches dans d'autres centres d'alphabétisation. Leur droit à l'éducation se trouvait brimé dans cette situation. L'alphabétisation peut être vue comme une quête, une recherche de savoirs et de prise de pouvoir sur sa vie, mais aussi comme un moyen d'obtenir une reconnaissance sociale. Nous percevons que cet enjeu de l'alphabétisation est majeur, la possibilité de recouvrir une légitimité sociale passant par celle-ci. Les conditions dans lesquelles se trouvaient les personnes invitées à l'atelier Autobiographie ne pouvaient qu'engendrer fermeture et refus d'engagement : fermeture envers l'atelier Autobiographie qui a pu représenter une phase terminale, un requiem, fermeture envers notre personne, un bourreau qui mettait fin à leur ambition. À quoi pouvait alors leur servir de s'investir dans une telle démarche? Pourquoi aller déterrer les cadavres du passé, revivre ce qui fut déchirant, s'il n'y a pas de mieux-être possible à l'horizon?
Enfin, le dernier point ayant trait à l'axe temporel concerne la période sur laquelle s'est déroulé l'atelier. À l'instar des participantEs, nous soutenons que les conditions de réussite auraient été optimales si l'atelier s'était étalé sur deux sessions. Nous aurions ainsi eu le temps nécessaire pour nous apprivoiser et nous comprendre réciproquement; pour qu'un langage commun s'établisse entre tous avec ce qu'il aurait pu comporter de connivence et de sous-entendus. Notons à cet effet qu'à la Boîte à lettres, l'atelier Autobiographie se donne de septembre à mai et comporte de plus un camp d'accueil de deux jours. En outre, l'ensemble de l'organisme conçoit ses activités en cohérence et donne alors plus de place et de pertinence à l'atelier Autobiographie. Enfin, plusieurs participantEs de cet organisme ont suivi deux et même trois fois cet atelier pour en venir à soutirer tout le contenu et la compréhension nécessaires au déploiement ultérieur recherché.
La dynamique des relations éducatives dans cet atelier fut fort complexe. De surcroît, le fait d'être impliquée directement dans le tableau et de rester seul témoin ici de cette histoire nous rend ardue la tâche de comprendre la dynamique qui s'y est vécue. D'une part, les interrelations entre les participantEs n'allaient pas dans le sens de la collaboration propice aux apprentissages, comme nous l'avons déjà décrit. D'autre part, il y avait les divergences entre les deux animatrices qui teintaient l'ensemble des rapports. Toutefois, à travers ces multiples interactions, l'échange et le savoir ont circulé quand même et le mouvement entre locuteurs (les participantEs) et interlocuteurs (les animatrices) s'est bien effectué.
Nous avions initialement la croyance que la position sociale privilégiée des animatrices par rapport à celle des participantEs pesait sur la relation entre eux et pouvait engendrer une dynamique de domination. Nous souhaitions renverser cet état de fait et ainsi tenter d'apporter des changements dans les rapports sociaux.
Nous avons débuté l'atelier avec la conviction que la fonction de l'animatrice ne serait pas d'être seule transmetteur, mais collaboratrice, car les connaissances évoluent par des questions. Labelle considère les personnes apprenantEs partie intégrante de ce processus, entre autres, par les questions qu'elles posent et «la manière dont [elles] comprennent les théories» (Labelle, 1996, p. 87). Pour contrer les possibilités de domination, cet auteur suggère la relation de réciprocité, pour les avantages que ce type de rapport peut offrir. De plus, nous considérons que ce modèle répond aux principes et objectifs de l'alphabétisation populaire, car il permet une transformation sociale à la base de l'intervention.
Nous présenterons ici le tableau des modèles d'animation suggéré par Labelle dans le but d'approfondir notre réflexion sur le sujet.
(Tableau reproduit, Labelle, 1996, p. 227)
modèle | vassalité | émancipation | réciprocité | ||||
institution |
immuabilité | implication | |||||
choix éthique | exclusion des différences | abolition des différences | atténuation des différences | reconnaissances et jeu des différences | |||
logique | assujettissement | libertaire | affranchissement | autonomie | |||
stratégie | impérialiste | égalitariste | libérale | contractuelle | |||
acteurs | maitre | élèves | maitre | élèves | professeur- | étudiants | partenaires apprenants / enseignant |
Interaction didactique relationnelle | Imposition des devoirsrigidité distance |
Soumission ou rejetrésignation ou révolte |
Réduction des contraintesproximité symétrique |
Tyrannie ou indifférencealiénation ou retrait |
Fermeté active limitéesouplesse ambiguïté |
Stimulation ou inertiecomplaisance ou refus |
coïncidence sur un projet par engagement mutueldidactique exigence rigueurrelationnel : asymétrie des sujets dans la co-production du savoir |
dérive |
escalade de la violence ou reddition |
surenchère manipulatrice ou anarchie |
enchaînement des compromissions par séduction démagogique |
rupture du contrat reconnue et assumée |
Labelle résume les types d'animation à trois styles. Il spécifie que ces catégories sont à nuancer, puisqu'elles réduisent la réalité toujours plus complexe. Elles permettent toutefois de comprendre les incidences de ces types d'animation sur les relations éducatives et sur les apprentissages possibles. Le premier est celui de la vassalité, où la personne apprenante est assujettie aux décisions du formateur, lui-même sous les ordres de l'institution et des lois qui la régissent. Il s'agit dans ce cas d'un rapport hiérarchique descendant. Situé dans la même catégorie, la stratégie égalitariste, en réaction à la domination, tente d'abolir les différences. L'annulation des différences entre personnes apprenantes et formateur «ne fait que renforcer les différences individuelles» (Labelle, 1996, p. 233), car elle est imaginaire. Elle fausse la donne puisque ce sont en définitive les institutions qui ont le pouvoir. De plus, elle amène l'exclusion, ou encore, le combat des individus et des groupes pour ne pas se trouver dans cette exclusion. Cela tend à déboucher sur des conflits ou sur la tyrannie des personnes apprenantes sur le formateur, car celui-ci «s'emploie à réduire les contraintes en jouant la proximité et l'égalité symétrique» (Labelle, 1996, p. 234). Les personnes apprenantes «en profitent pour obtenir toujours plus d'avantages de la situation» (Labelle, 1996, p. 234). La possibilité d'apprentissage est donc limitée dans cette option. L'émancipation représente le deuxième type d'animation. Dans ce modèle, le but est «d'éviter les excès du modèle de vassalité et les impasses dans lesquelles il fourvoie l'éducation, [il convient alors] de les atténuer par des manœuvres de contournement réformistes» (Labelle, 1996, p. 233). Là encore, la force de l'institution pèse trop lourd et fait échouer les tentatives de changement réel. Le troisième et dernier modèle d'animation proposé par Labelle est celui de la réciprocité. Il aurait l'avantage de ne pas tomber dans l'impasse des deux premiers puisqu'il s'attaque au problème de la domination à la base. Pour ce faire, il donne l'initiative aux personnes apprenantes qui ne se situent plus au bout de la chaîne de l'apprentissage. «Leur parole induit la réponse de l'enseignant, dont la parole, à son tour, est inductrice des ruptures» (Labelle, 1996, p. 230). Dans ce dialogue, les règles du jeu ne sont pas prescrites, mais s'élaborent avec le consentement des deux parties, sous forme de contrat. Il est reconnu ainsi que le formateur a un pouvoir d'influence sur les personnes apprenantes et celles-ci, un pouvoir d'influence sur le formateur. Le pouvoir est donc ici exercé de manière collégiale. L'institution et ses exigences ne sont pas évacuées de ce modèle. En effet, elles participent à l'édification du projet d'apprendre, en collaboration avec tous les acteurs, en tenant compte de l'environnement social, professionnel et culturel.
Si l'on tente d'établir un rapport de ce type, il semble que le dialogue soit un ingrédient essentiel pour y arriver. Dans le même ordre d'idées, Freire (Freire, 1974) dit que le savoir, les réflexions et les actions doivent se construire AVEC les personnes auprès de qui l'on intervient, et pour lui, cela doit se faire dans le dialogue, afin d'éviter de tomber dans une éducation bancaire. Pour Freire (Freire, 1974) toujours, toute prescription est une domination. Labelle va dans le même sens (Labelle, 1996) : «Dans le dialogue, les partenaires, agents libres et responsables, s'assureraient, d'une part, de se respecter dans leur singularité et, d'autre part, de s'enrichir de la différence de l'autre.» (Labelle, 1996, p. 22) Pour Labelle encore, «on voit clairement que la prise de parole des apprenants modifie la manière d'envisager son action [celle du formateur] et de la réaliser : son initiative est suspendue à celle des adultes [apprenants], qui fait retour sur lui de façon réciproquante» (Labelle, 1996, p. 69). Par rapport à Freire, Labelle, tout comme Pineau, ajoute un élément qui précise la position du formateur. Tous nomment l'importance du dialogue et d'une coconstruction du savoir, mais Labelle et Pineau spécifient l'importance de garder les positions en lien avec les fonctions des acteurs d'une démarche formative. Ainsi, d'une part, il y a respect véritable de tous, et d'autre part, l'espace d'un mouvement qui assure les possibilités d'apprentissage des divers acteurs.
Les difficultés rencontrées ont complexifié la réalisation de cette option que nous tentions de tenir, mais il était d'autant plus nécessaire de la garder. C'était, à notre avis, un moyen de respecter les participantEs qui se trouvaient en position de perte. Un des éléments de réussite de cet atelier fut peut-être d'ailleurs d'avoir cherché sincèrement le dialogue et un rapport de collaboration, malgré la fermeture apparente des participantEs.
En début d'atelier, ils ne s'engageaient que très peu dans les échanges formels. Réactions défensive des participantEs, peut-être de combat qui exprimaient bien leur révolte, leur difficulté, mais aussi la force et la tentative de reprendre du pouvoir sur leur situation. Vu les conditions de l'exercice, nous n'avons pas su établir de contrat clair. Le dialogue ne s'est pas produit comme nous le prévoyions et comme nous étions habituée de le vivre. Toutefois, par des gestes et des réactions tout autant que par des mots, le dialogue s'est progressivement établi. Nous avons cherché à répondre en acte, et ce, en adaptant notre animation et les activités à ce que nous comprenions de leurs attentes, de leurs besoins et de leur culture. Nous avons cherché à leur offrir un espace de liberté qui leur manquait par ailleurs. Ils ont agi sur nous et notre action a été suspendue à la leur.
Le modèle de Labelle nous permet de voir combien les composantes des sujets-acteurs, des relations éducatives et du cadre et du contexte sont interreliées. Ce sont des enjeux organisationnels pour l'organisme et des enjeux de recherche pour l'animatrice-chercheure qui ont fait que cet atelier fut mis en place. Il aurait pu être acceptable qu'il en soit ainsi, à la condition cependant que les participantEs soient consultés honnêtement quant à leur intérêt pour ce type de projet. Ces sujets-acteurs déjà fragilisés par leur histoire, avec peu de pouvoir dans ce cadre, pouvaient difficilement nous percevoir avec confiance. La relation éducative vécue entre nous et eux dans l'atelier en fut touchée.
De plus, l'animation ayant été assumée par deux personnes, il ne s'agissait plus d'un simple face à face, d'autant que les deux animatrices n'avaient pas les mêmes visées. De surcroît, se jouait entre elles une compétition à propos de la reconnaissance des participantEs. Cela a été source de malaise tout au long de la démarche et même de tensions par moments. Nous voulons ajouter que certains des participantEs ont alimenté cette compétition. Ils savaient, consciemment ou pas, que ce jeu était présent. Par exemple, lorsque nous avions animé l'activité sur le formateur idéal, ils avaient fait des critiques sur les attitudes de l'une et de l'autre et, sans nommer de nom, avaient établi des comparaisons entre différents styles d'animation. Cette relation entre les coanimatrices a interféré dans la dynamique entre locuteurs et interlocuteurs, ainsi que la dynamique du groupe dans son ensemble.
Malgré les interférences et le manque d'harmonie, nous constatons que la dynamique provoquée par l'atelier Autobiographie et l'engagement de tous ont fait en sorte que le déplacement des locuteurs et des interlocuteurs, les uns vers la réalité des autres, bien que quelque peu chaotique, s'est effectué. Du côté des participantEs, les locuteurs, ils se sont distanciés de leur histoire pour la raconter à l'ensemble du groupe (dont font partie les deux animatrices). Ils se sont assez appropriés les notions théoriques présentées pour analyser leur récit et faire des prises de conscience et des apprentissages. Du côté des animatrices, elles se sont approchées de la réalité des participantEs et ont accueilli leur histoire. Elles se sont rapprochéEs d'eux pour soutenir leur expression, et leur analyse. Elles ont été touchées par leur vécu. Elles ont eu ainsi la possibilité de saisir la teneur des propos des participantEs et l'incidence de leur histoire sur leur réalité présente.
Pour profiter d'une démarche autobiographique, le locuteur doit d'abord sentir un certain manque qui appelle le désir de s'y attarder plus à fond et d'agir pour le combler. Par la suite, s'il décide de s'engager dans ce type de démarche, il doit accepter et avoir la capacité de se détacher de son histoire, de la déconstruire par l'analyse pour être en mesure de mieux se l'approprier ultérieurement. Pour que ce processus s'effectue, le locuteur doit trouver en lui et au sein du groupe les appuis nécessaires à cette entreprise.
Nous supposons que les participantEs sentaient peu de soutien en eux et autour d'eux au départ, pour toutes les raisons que nous avons déjà nommées. Tout de même, au fur et à mesure de l'avancée de l'expérimentation, ils ont dû développer et découvrir de nouvelles ressources puisqu'ils sont entréEs dans le jeu et ont osé se raconter, se détacher de leur histoire, et devenir ainsi ce que Pineau nomme objet auto-référenciel (Pineau, 1986), c'est-à-dire être eux-mêmes objets de connaissance. Qui plus est, si la majorité souhaitait refaire un récit, c'est que le désir d'apprentissage était suffisamment redynamisé pour pouvoir entreprendre une autre fois l'atelier en s'investissant pleinement. Nous croyons que c'est en fin de démarche qu'ils détenaient assez de soutien et d'assurance pour ressentir ce manque qui donne l'élan de se mettre en mouvement vers cet autre soi, cette autre vie appréhendée.
Pour qu'il y ait un lien signifiant entre l'énoncé et son interprétation, il est nécessaire qu'il y ait une dynamique de confrontation entre les pôles de tous les axes (voir chapitre 2). De plus, il est nécessaire pour chacun de se mouvoir sur l'axe distanciation théorique/implication pratique; tout en gardant leur position, le locuteur et l'interlocuteur s'avancent vers ce que l'autre peut lui apporter. Ainsi, l'un devient pour l'autre le moyen principal de ce déplacement et c'est ce déplacement qui permet la production de connaissance sociale et personnelle (Pineau, 1986).
Cela signifie concrètement que le groupe d'interlocuteurs, représenté par la coanimatrice et nous-même, devait s'approcher du vécu des participantEs, tout en apportant son savoir théorique. Quant aux locuteurs, les participantEs, afin de passer du senti au compris, ils devaient dévoiler leur histoire, tout en s'en détachant, avec entre autres, l'apport théorique amené par les d'animatrices.
Dans le but de créer ce rapprochement, nous avons d'abord tenté d'établir un terrain de confiance afin qu'ils acceptent de se raconter. Nous avons procédé par des activités qui mettaient en valeur leurs acquis, comme celle où ils avaient à décrire un apprentissage dont ils étaient fièrEs. Nous avons tenté de soutenir leur expression, de l'accueillir et de répondre à leurs attentes autant que faire se pouvait, dans des interventions individuelles et collectives. Par exemple, nous avons grandement travaillé le code écrit tel qu'ils le désiraient et avons ajusté les présentations des éléments théoriques de façon à ce qu'ils leur soient accessibles et significatifs. Nous avons respecté ce qui nous semblait être un besoin de maîtrise de l'environnement et du déroulement de l'atelier. De plus, nous nous sommes investie lors de fréquentes rencontres informelles.
Examinons maintenant le déplacement des participantEs. Le simple fait de s'engager à produire leur ligne de vie exigeait déjà de placer à l'extérieur d'eux-mêmes des éléments de leur vécu. De plus, progressivement, ils ont été réceptifs aux notions théoriques présentées et les ont intégrées à leur réflexion. Lors des échanges oraux en préparation à la production du récit, ils ont réfléchi sur leur histoire en général et sur les relations éducatives qu'ils ont vécues. Ils ont poursuivi cette réflexion lors de la rédaction de leur récit, au moment de la lecture des récits et enfin, au cours de l'analyse. Les échanges avec les autres participantEs, l'écoute de l'histoire des autres et l'apport des éléments théoriques leur a permis de mettre la leur en perspective et de se questionner sur elle.
Mais parce que notre cadre théorique n'était pas complété, les notions théoriques concernant les relations éducatives n'étaient pas assez construites. Ce flou a nui à la distanciation optimum des participantEs par rapport à leur vécu. Ils ne pouvaient pleinement s'approprier ces nouvelles notions, qu'on peut nommer les signifiants médiateurs. Les signifiants médiateurs sont les éléments qui permettent «l'articulation entre vécu énoncé et un système de symboles» pour que ce vécu passe du senti au compris (Pineau, 1986, p. 143). Ce système de symboles n'était donc pas clairement déterminé et devenait difficile à utiliser. Mais nous supposons qu'ils avaient tout de même assez d'informations nouvelles pour pouvoir réfléchir sur leur récit, puisqu'ils l'ont analysé et ont découvert des éléments de compréhension de leur rapport à leurs apprentissages, à l'histoire des relations éducatives qu'ils ont vécues.
Enfin, cet axe distanciation/implication recoupe l'axe langage/vie en cela que c'est par le langage que s'exprime la vie et par cette expression qu'il est possible de prendre distance par rapport elle. C'est par le langage aussi que l'on peut avoir accès aux notions théoriques. Le rapport difficile à l'écrit des participantEs compliquait la tâche de cette expression et leur réceptivité par rapport aux notions présentées. De plus, ils étaient peu habituéEs, pour la majorité, à la pratique de la réflexivité. Nous considérons, dans ces conditions, que le chemin qu'ils ont parcouru dans l'atelier Autobiographie devait leur demander beaucoup d'efforts.
Pour réfléchir sur soi, il faut passer par le langage, mettre des mots sur ce qui a été vécu. Le langage permet la réflexion sur son expérience et ainsi un passage entre le ressenti et le compris. De plus, dans l'atelier Autobiographie, cela signifie pour le locuteur de se raconter pour que les autres aient la possibilité de s'approcher de son histoire. Il doit aussi s'approprier les mots de la langue théorique pour se distancer un peu plus de son expérience. Quant à l'interlocuteur, il doit émettre dans une langue compréhensible son savoir théorique et comprendre la langue du locuteur pour s'approcher de son histoire. S'approcher de l'autre, c'est s'approcher de son langage.
De plus, si le langage est l'instrument principal de création de l'espace vital que l'on tente de créer dans une démarche autobiographique, encore faut-il avoir la confiance que l'on possède ce langage, que son langage sera entendu et légitimé, comme nous le verrons en détail plus tard. Pourtant, plusieurs participantEs nous ont dit qu'ils ne pensaient pas être capables d'écrire leur histoire.
Nous saisissons par ailleurs toute la signification de l'apprentissage du code. S'il est un support à la pensée, un moyen de se créer, une façon d'être en relation avec le monde, il est aussi un lieu de légitimation des individus. Nous percevons aujourd'hui toute l'ampleur du fait que l'écrit est un produit social, un acte social. L'écrit est un acte social, car il se construit en société, pour une société. De fait, nous apprenons à lire et à écrire à l'école, avec le soutien de la famille et des amiEs (espaces socioculturels) pour pouvoir fonctionner en société, avoir un emploi, s'informer, exprimer ses idées et opinions. Dans nos sociétés, on porte à l'écrit un caractère essentiel à la vie. De plus, la langue écrite est régie par des règles, des conventions qui sont déterminées par des experts, dont l'Office de la langue française au Québec et l'Académie française en France. Par ces conventions imposées, on discrimine la langue des participantEs. «Lorsqu'on propose aux analphabètes comme norme le «bon
français», c'est non seulement la langue du patron qu'on impose aux travailleurs, mais aussi sa vision de la société» (Laperrière et Wagner, 1980, p. 73).
La langue n'est pas neutre et l'écrit non plus. La représentation que nous en avons est issue de notre histoire personnelle et de la valeur qui lui est octroyée dans le monde dans lequel on vit.
Si l'écrit comporte une richesse merveilleuse pour l'expression et l'information, pour l'archivage des connaissances ou comme support à la pensée, il faut rester vigilantE au statut qui lui est donné. En tant que lettréE, il est facile de concevoir la langue écrite à partir de ses habiletés, de sa position. On peut penser qu'il n'y a qu'une bonne langue écrite ou encore que l'écrit est le moyen d'expression par excellence. Un des problèmes que rencontre l'alphabétisation est la façon dont elle est conçue. Au cours de la cinquième Conférence internationale sur l'éducation des adultes, il fut proposé de repenser le concept de l'alphabétisation. Il y est suggéré, entre autres, de tenir compte du savoir natif et informel des adultes en apprentissage, dont le langage fait partie car «l'une des raisons de l'échec de certaines campagnes [d'alphabétisation] est qu'elles sont menées sans considération pour la langue, les acquis antérieurs et les besoins éducatifs des personnes et des communautés concernés» (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999, p. 171). De plus, ne nommer que la langue écrite comme moyen de se créer comme sujet peut discréditer les autres formes de langage et les sociétés où les cultures et le savoir sont transmis oralement ou par d'autres médiums.
Il existe d'autres langages et, pour preuve, combien d'artistes ont la capacité de s'exprimer et de se mettre au monde par d'autres médiums que l'écrit ou la parole. Bien des artistes visuelLEs, des mimes, des danseurs, des musicienNEs ont su dire et se construire par leur art sans toutefois avoir le besoin ou même la capacité de mettre des mots sur ce qu'ils ont fait. Il existe une multitude de langages. Il nous semble qu'il est possible d'être ethnocentrique dans notre représentation de la langue écrite et alors, sans le vouloir, être discriminatoire envers les personnes qui ne la possèdent pas ou la possèdent partiellement. Il n'y a pas si longtemps, au 19e siècle, par exemple, Grundtvig (Labelle, 1996) considérait l'écriture comme la parole morte et la parole orale, plus vraie que l'écriture. L'écrit a pris une place prépondérante dans nos sociétés occidentales, au point d'en oublier que cette importance est relative à un contexte social ainsi qu'à une époque et de lui donner parfois une dimension presque sacrée. «Sans écrit, point de salut» (Dupont, 2004, p1). Si un individu ne maîtrise pas le code, non seulement il rencontre beaucoup de difficultés de fonctionnement, mais il perd toute crédibilité et sa parole n'a pas de poids. Que fait-on alors des personnes qui n'apprendront jamais à lire et à écrire? Comment les perçoit-on? Tout apprentissage reconnu s'acquiert lors de formations où l'écrit est essentiel. Pourtant, il est possible d'être un excellent artisan, un travailleur manuel ou d'assumer certains lieux d'intervention sans avoir recours à l'écrit. Dans les écoles, on peut imaginer que si l'accent n'était pas autant mis sur l'écrit, bien des enfants auraient la possibilité de s'épanouir, d'apprendre une multitude de choses et de développer leur estime de soi. Qui plus est, s'ils vivaient moins de pression quant à l'apprentissage de l'écriture, on peut supposer qu'il leur serait plus facile pour eux de l'acquérir : «Les instructions les plus efficaces sont celles que l'on va recevoir librement» (L'Abbé Grégoire, in Labelle, 1996). En conséquence, il y aurait peut-être moins de personnes analphabètes. On peut imaginer encore que les personnes peu alphabétisées auraient eu la chance de développer un peu plus leur potentiel afin de devenir plus à même d'être autonomes, d'être des citoyens responsables et ayant un certain pouvoir sur leur environnement.
Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas ici d'un plaidoyer pour l'ignorance ni contre l'écrit, mais «de remettre l'écrit à sa place», comme l'enjoint Martine Dupont (Dupont, 2004, p. 1), de questionner le statut qui est donné à l'écrit et toutes les conséquences désastreuses pour les personnes analphabètes. S'alphabétiser n'est pas que le désir de connaissance, le désir de s'approprier un moyen de devenir plus «employable» ou plus fonctionnel, mais la quête d'une légitimité sociale qui leur a fait défaut.
«L'appropriation des produits sociaux que sont la langue parlée et l'écriture a donc été et continue d'être un enjeu de luttes sociales» (Laperrière et Wagner, 1980, p. 83). Si l'acte d'écrire est un produit (Laperrière et Wagner, 1981), un acte social, il faut se questionner sur la place et le sens qu'on lui donne socialement et sur les lieux et personnes qui ont la crédibilité et le pouvoir de lui donner sa signification.
C'est d'abord par l'écoute du langage, verbal et non verbal, des participantEs à cet atelier, que nous avons pu comprendre un peu plus ce rôle de l'écrit. C'est ensuite par l'analyse de cet axe vie/langage, en interaction avec tous les autres axes du schéma de Pineau, liée à des réflexions menées par ailleurs et à l'influence de la recherche menée par la Boîte à lettres sur l'appropriation de la lecture et de l'écriture que nous avons perçu l'impact de ce langage et de la conception qu'on en a. Cette conception aussi teintera, à son tour, la relation éducative ainsi que les apprentissages des personnes analphabètes dans ce cadre de l'alphabétisation populaire.
Si les «mots ont le pouvoir de créer celui qui les prononce» (Pineau, 1986, p. 134), le silence, le refus de dire des mots, ou même d'apprendre le code écrit peut servir de protection à celui qui est en résistance. Wagner et Grenier (Legendre, 2005), ont été jusqu'à prétendre qu'il existait effectivement un analphabétisme de résistance16. Celui-ci est conçu en regard de minorités ethnolinguistiques, mais il est possible d'imaginer l'analphabétisme comme un moyen de résistance à l'acculturation de la culture populaire, si l'on se réfère à l'histoire de l'écriture. En effet, il semble qu'il fut volontairement choisi à une certaine époque de se servir de l'écrit comme moyen de créer un écart plus grand entre les personnes privilégiées et le «peuple».
«Si l'orature définissait une culture à laquelle tous les individus participaient puisque le médium était accessible à tous, la littérature prendrait ses distances et mettrait au point les paramètres qui la circonscriraient. Elle se réserverait à son usage exclusif le droit de juger ce qui était recevable dans cette nouvelle pratique, le sanctionnerait sans appel de son autorité. N'était désormais de culture que celle des élites éclairées, lettrées.» (Bergeron, 2004, p. XXXIII)
Au RGPAQ, la reconnaissance de la culture populaire est l'un des principes de base. Mais qu'en est-il donc de cette culture? Le RGPAQ n'en a pas proposé de définition. Par ailleurs, il semble que la culture ouvrière est en déclin, parce que, entre autres, dans les sociétés occidentales, il y a de moins en moins d'ouvriers organisés syndicalement et de moins en moins d'ouvriers tout court (Sommier, 2001). Cela engendre certainement une exclusion de la possibilité de participer à la vie en société et à sa culture.
Dans un autre ordre d'idées, Labelle affirme que : «nos vérités sont provisoires, car elles sont marquées du sceau de l'éphémère, plurielles, car elles portent la griffe des différenciations épistémologiques» (Labelle 1996, p. 209). La langue, ce savoir, n'est donc pas neutre. En temps que formateur, il est donc nécessaire de porter un regard critique sur la conception que l'on a des matières que l'on présente. Travailler à établir un rapport égalitaire pourrait se définir par une attitude d'humilité où l'on est conscient de sa non-neutralité, ce qui exige de se remettre en question dans la confrontation aux personnes à qui l'on s'adresse.
Confrontation qui peut parfois être conflictuelle, puisque laisser place à la parole des personnes comporte la possibilité de perceptions et de positions divergentes. Mais ces confrontations peuvent être fructueuses s'il y a le désir d'entendre et de respecter l'autre, avec sa réalité et sa compréhension des choses. Freire (1974) disait qu'il était important de construire sa réflexion et ses actions AVEC les personnes qu'il nommait opprimées. Ce n'est que dans un échange sincère, où l'on voit que l'autre aussi est voyant, comme le suggère Labelle (Labelle, 1996), que peuvent se réinventer des relations égalitaires, que peut se créer une communauté inclusive de chacunE.
Malgré tout ce que nous venons d'écrire, nous tenons à souligner que nous ne concevons pas l'alphabétisation comme la seule recherche symbolique et réelle de reconnaissance sociale. Nous n'oublions pas que les participantEs en alphabétisation sont réellement motivéEs par l'apprentissage de l'écrit parce que cela leur apporte un moyen d'avoir accès à eux-mêmes, à leur expression, à leur force, accès au monde qui les entoure, à une compréhension plus large de ce monde. Nous rappelons aussi que d'enrichir sa langue parlée et de mieux maîtriser la langue écrite est un moyen pour «faciliter le passage de la pensée immédiate, événementielle, à une compréhension plus large, plus générale de la réalité» (Laperrière et Wagner, 1980, p. 85) et nous ajoutons à un esprit critique.
Si les quatre composantes de l'appropriation de la lecture et de l'écriture, le sujet-acteur, les espaces sociaux culturels, les pratiques de lecture et d'écriture et la représentation de l'écrit (Desmarais et coll., 2003), sont à considérer dans l'apprentissage du code écrit, elles sont à considérer dans l'acte d'accompagner ces apprentissages. Cet exposé sur l'écrit, démontre finalement, toute l'importance de la représentation de l'écrit pour tous, que l'on soit lettréE ou non.
Pour clôturer l'analyse de ce point, nous ferons référence à la notion d'interpellation apportée par Labelle (1996). Nous avons vécu, lors de cette expérience, une remise en question de la conception de notre savoir et plus spécifiquement de l'écrit. Pour Labelle, lorsque le formateur tente de communiquer son savoir, il est arrêté par la réaction des étudiantEs. Il se questionne alors sur sa façon de faire et s'interroge sur ce savoir. Toutefois, toujours selon Labelle, ce travail réflexif le conduit à une remise en question non seulement de son savoir, mais de lui-même. On peut voir dans cette remise en question un élément de réciprocité dans la relation éducative.
L'analyse des diverses composantes du système relation éducative dans cette expérimentation révèle bien l'interaction entre chacune d'elles et l'impact de celle-ci dans la relation éducative. En effet, le cadre et le contexte ont eu une incidence sur les sujets-acteurs, participantEs et groupe des animatrices, le contenu de la formation sur chacun de ceux-ci et sur la dynamique des relations. Mais, ce qui nous apparaît essentiel de soulever ici, c'est l'importance pour le formateur qu'il ait une pratique réflexive et qu'il tienne compte justement de l'ensemble des facteurs qui influencent la démarche qu'il accompagne s'il souhaite offrir la possibilité d'apprentissages signifiants aux personnes apprenantes.
Sur une planète bousculée par la mondialisation des marchés, se produisent des changements importants dans toutes les sphères de la vie des habitants, tant sur les plans économique, social, technologique que culturel. Une situation de crise sociale sévit dans les sociétés occidentales à la modernité avancée, ne faisant qu'augmenter les inégalités entre bien nantis et personnes défavorisées. Dans ce contexte, la création de nouveaux appareils de construction de sens et de nouveaux paradigmes devient essentielle pour saisir plus profondément ces transformations. De plus, l'éducation apparaît dans ce contexte un outil fondamental pour créer une plus grande démocratie et un monde plus pacifiste. Enfin, l'alphabétisation doit être considérée «priorité urgente» (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999) si l'on cherche une plus grande équité entre tous.
Les politiques gouvernementales en lien avec l'éducation au Québec tiennent-elles compte de cette réalité et des constatations faites lors de la Conférence internationale sur l'éducation des adultes à Hambourg en 1997? Toujours est-il que les groupes d'alphabétisation populaire du Québec sont nettement sous-financés en regard de leurs besoins et de la nécessité de formation des personnes analphabètes qu'ils desservent. Pourtant, le taux d'analphabétisme est élevé au Québec et les conséquences sont lourdes pour tous. De surcroît, l'alphabétisation devrait être au cœur des préoccupations sociales et gouvernementales, lorsque l'on sait qu'elle amène des résultats probants pour les individus en démarche et pour les sociétés dans lesquelles ils vivent. Cependant, les groupes d'alphabétisation se retrouvent parfois devant des choix difficiles pour faire face au manque de financement qui ne permet pas de promouvoir le droit à l'éducation. Comme nous avons pu le constater dans notre expérimentation, l'ensemble du contexte et du cadre a des répercussions sur la bonne marche d'une activité d'apprentissage et sur les relations qui s'y vivent.
Les groupes d'alphabétisation populaire perçoivent l'analphabétisme comme un problème social dont la source tient des iniquités. En conséquence, ils se proposent d'orienter leurs actions vers une transformation sociale et ainsi de participer à la création d'une communauté d'inclusion de toute personne. Le modèle de réciprocité suggéré par Labelle semble celui qui peut le mieux répondre à ces intentions, car, par sa structure, il tient compte de tous les acteurs et cherche à les inclure. Si l'on se fie à ce modèle, les organismes d'alphabétisation populaire devraient alors placer les participantEs comme point de départ de toute intervention et concevoir leurs programmes comme des contrats qui se concluent entre tous les membres. Si l'on a le souci de placer les participantEs au cœur de toute intervention d'alphabétisation, il va de soi qu'il faut les connaître, connaître leur histoire et leur culture. Freire (1974) définit cette dernière par la façon dont les personnes s'acclimatent à leur réalité. S'approcher des participantEs en alphabétisation serait donc, entre autres, de s'arrêter aux incidences du positionnement social de ces acteurs. Dans notre expérimentation, à tout le moins, les participantEs ont vécu dans des conditions matérielles précaires et ont connu des perturbations, qui ont résulté en une tendance au repli sur eux-mêmes. AffaibliEs par ce vécu, leurs acquis cognitifs s'en sont trouvés fragilisés. Il semble que l'idée d'intégrer le plaisir et le jeu soit une stratégie pédagogique fructueuse. De plus, l'encadrement serré et, surtout, l'établissement de liens affectifs sont les besoins qui ressortent le plus vivement des récits des participantEs. Les relations avec les pairEs y sont aussi abondamment nommées et font foi de l'importance pour eux de se trouver dans un milieu qui favorise ces liens. Les organismes d'alphabétisation devraient donc tenter de mettre en place un climat d'entraide et de solidarité qui soit propice aux échanges à l'intérieur des groupes. Laisser place aux échanges entre participantEs à l'intérieur des ateliers est aussi un moyen de reconnaître le savoir des participantEs et de permettre à ce savoir de circuler entre tous. Cette reconnaissance de leur savoir comporte encore l'avantage de contribuer à la hausse de l'estime de soi.
Un autre point qui se dégage des récits ainsi que de l'ensemble de la démarche est le manque de confiance en soi des participantEs, tout particulièrement en ce qui concerne leurs capacités en écriture. La confiance est pourtant un élément essentiel à tout apprentissage et permet à l'animatrice de soulever les points de ruptures sans blesser les personnes à qui elle s'adresse. Lors de l'atelier Autobiographie présenté ici, les participantEs ont pu prendre conscience de leur potentiel en tant que scripteurs. Réussir à écrire leur récit a été un élément qui a haussé l'estime de soi des participantEs. Pour permettre ces résultats, nous considérons qu'il est essentiel de tenir compte de la réalité des personnes apprenantes, ce qui ne signifie pas de mettre au niveau le plus bas les exigences quant aux apprentissages du code écrit par exemple, mais de rendre possibles les apprentissages. Pour ce faire, il est essentiel de proposer des activités signifiantes et adaptées et de reconnaître le potentiel des participantEs, parfois au-delà de la perception qu'ils peuvent avoir de leur capacité. Les participantEs de l'atelier Autobiographie ne pensaient pas être en mesure d'écrire leur récit. Pourtant, avec le soutien des animatrices et le regard positif qui leur était renvoyé, ils ont mené à terme le projet. Ils ont donc été considéréEs comme sujets. N'accorder de l'importance qu'à l'aspect de l'acteur social de leur personne serait réducteur de leur réalité et de leur force. S'ils ont connu nombre de difficultés les affaiblissant, ils possèdent une force de vie et d'adaptation. Pour appuyer cette affirmation, on a qu'à penser aux réactions qu'ils ont eues relativement la situation de perte dans laquelle ils se trouvaient ainsi qu'aux apprentissages et aux prises de consciences, qu'ils ont faits lors de l'atelier que nous leur proposions. Ils se sont appropriés cette démarche, ont su en profiter et ont imposé dans la relation qu'ils ont établie avec nous leurs limites et le respect. Il est donc important de tenir compte de la vulnérabilité des participantEs tout autant qu'il est primordial de miser sur leur potentiel. Toute personne a la capacité d'être sujet de son histoire (Freire, 1974), d'être autonome et citoyen participant à la vie sociale.
Toutefois, si tout être humain a la possibilité d'être sujet, il a besoin de moyens pour se développer. L'alphabétisation peut être un terrain favorable à cet essor. De plus, si le sujet-acteur n'a pas reçu le soutien nécessaire lors de ses apprentissages antérieurs ou qu'il s'est senti «délaissé», le lien qu'il établira avec l'animatrice et avec ses pairEs revêtira une grande importance dans la possibilité de transformation. En outre, si l'on souhaite s'engager non seulement vers des transformations individuelles, mais participer également à des transformations sociales qui promeuvent la paix et une plus grande démocratie, et que l'on considère à l'instar de Giddens et Berger et Luckmann que la rencontre est le lieu des reproductions ou des transformations des rapports sociaux, il apparaît que la relation éducative en alphabétisation populaire demande d'être observée. Si l'on ne tient pas compte de la relation qui s'établit entre participantEs et animatrice, les transformations sociales sont impossibles. «Si le rapport autoritaire - le rapport d'aliénation - doit être détruit, il ne peut l'être qu'à la base, en l'occurrence sous la forme du rapport maître-élève» (Lobrot, in Labelle, 1996, p. 228). Si le rapport entre enfant et adulte doit être repensé pour détruire les rapports de domination, il l'est d'autant plus dans un rapport entre adultes. Le cadre de la rencontre qu'est la relation entre animatrice et participantEs a le pouvoir de soutenir ces transformations sociales. Pour ce faire, il faut d'abord reconnaître la valeur intrinsèque de tout individu. «La nette distinction entre analphabète et lettré doit être supprimée par la reconnaissance de la valeur inhérente à tout individu, qu'il sache lire ou non» (Institut de l'UNESCO pour l'Éducation, 1999, p. 139).
Labelle estime également qu'il est essentiel de saisir la réciprocité de la relation éducative, ce qui va dans le même sens que ce que Pineau propose dans son schéma Champ dialectique de l'utilisation des histoires de vie comme instrument de recherche et d'action que nous avons présenté dans le chapitre 2. En effet, l'un comme l'autre considèrent que l'acquisition de savoirs significatifs ne peut se faire que dans l'interaction avec les autres. De plus, pour Labelle, la construction identitaire s'établit par des allers-retours entre identification et différenciation à l'autre. Par ailleurs, si l'on admet la capacité de tous à participer à la construction du savoir, il faut mettre en place un dispositif qui le permet. Cela nécessite un dialogue authentique où les différences et les savoirs de tous sont reconnus, valorisés et confrontés les uns aux autres. Cela justifie aussi la fonction d'accompagner l'apprentissage et le partage avec les pairEs. Dans cette optique, tous, quelle que soit la fonction qu'ils tiennent, ont besoin des autres et la relation est éducatrice en elle-même, car c'est dans la confrontation aux autres que s'offre la possibilité d'apprendre. Le dialogue est donc un moyen d'élaborer une coconstruction des savoirs et de donner l'occasion de participer à l'histoire.
Si société, institutions et individus se construisent en dialectique, c'est aux animatrices de saisir l'occasion de cette rencontre pour offrir la possibilité aux participantEs d'avoir les moyens de devenir sujet et de saisir l'influence qu'ils peuvent, entre autres, avoir dans la relation éducative. Ainsi, par la pratique de la coconstruction des savoirs, les participantEs auront l'expérience de relations égalitaires ou réciproques. De plus, cette expérience, si l'organisme dans lequel les participantEs se trouvent le leur permet, donnera la chance d'exercer un pouvoir d'influence sur l'élaboration d'un projet en partenariat. Enfin, avec l'habitude de ce type de rapports et de structures vivantes, on peut imaginer qu'ils pourront ultérieurement ou parallèlement se déployer et agir plus largement sur leur environnement. La réciprocité dans la relation éducative pourrait répondre à la question que nous nous posions, à savoir : qu'est-ce qu'une relation égalitaire? Freire (1974) suggère d'établir des rapports égalitaires entre «éducateurs» et «opprimés». Par l'égalité dans les relations, nous savions qu'il souhaitait que soit changé le rapport de domination inscrit entre personnes qui possèdent le code et celles qui ne le possèdent pas, entre personnes ne possédant pas les mêmes capitaux ou des capitaux ne recevant pas la même légitimité. Par contre, il restait, à notre avis, un flou dans sa description. Devions-nous, par exemple, chercher une symétrie dans cette relation? Le modèle de réciprocité apporte un éclairage quant à cette question. L'égalité ne serait pas d'établir un rapport symétrique puisque, dans ce type de rapport, le potentiel de transformation que peut engendrer l'adoption de positions différentes est perdu. Les positions différentes permettent le mouvement des acteurs dans la relation et c'est ce mouvement qui apporte la possibilité des transformations. De plus, ce sont les différences de positionnements sociaux de départ qui comportent une différence de capitaux, donc de savoirs qui motivent la rencontre. En effet, les participantEs en alphabétisation cherchent à acquérir, entre autres, les connaissances relatives à la langue écrite que les animatrices possèdent et qu'eux ne maîtrisent que partiellement. Ce sont ces différences, entre autres, qui apportent l'intérêt de ce rapport et qui permettent que des apprentissages aient lieu. Taire ces différences n'est que démagogie ou négation de la réalité. Cela engendrerait l'exclusion des personnes qui sont moins habilités à l'écrit ou encore ferait perdre la possibilité d'apprentissage. Garder les positions est encore un moyen de ne pas permettre une relation de dépendance, mais plutôt d'interdépendance.
Chercher à adhérer au modèle de réciprocité a nécessité humilité et remise en question de la part de l'animatrice. Il ne faut pas oublier que toute connaissance est temporaire, qu'elle est liée à des perceptions réfléchies par des personnes et que les savoirs de l'animatrice sont «en-disciplinés», tout comme sa façon d'accompagner (Labelle, 1996, p. 228). En effet, les apprentissages de l'animatrice scolarisée ont été faits dans un cadre où il y avait, la plupart du temps, des rapports de domination et une conception bancaire du savoir.
Il est donc essentiel que ce savoir soit questionné et que les stratégies pédagogiques soient continuellement remises en question si l'on souhaite arriver à un type de rapport égalitaire. Cela doit se faire en confrontation avec les personnes apprenantes et leur savoir. Ce n'est que par le dialogue dans lequel l'animatrice est à l'écoute des participantEs et dans l'attente de leur réaction pour s'ajuster à leurs besoins et leur culture, que peuvent s'effectuer des apprentissages signifiants de part et d'autre. Par la tentative d'établir des rapports réciproques dans le cadre de notre expérimentation, nous avons grandement appris. Nous avons perçu l'impact de notre insécurité sur l'écoute que nous pouvions avoir; nous avons évolué dans notre façon d'accompagner des participantEs en alphabétisation en captant plus précisément le langage non verbal de ceux-ci. Nous avons fait de nombreux apprentissages théoriques et pratiques en regard de l'approche biographique. D'une part, en vulgarisant les notions que nous avions à présenter, nous avons eu à nous les approprier plus à fond. D'autre part, l'animation de chacune des rencontres nous a permis de mieux comprendre le sens de l'accompagnement dans une démarche de récit de formation. De plus, les conditions difficiles d'exercice pour tous ont exigé à la fois une grande souplesse et une détermination à poursuivre que nous n'avions pas eues jusque-là. Nous avons donc personnellement profité de cette expérience. Enfin, les avancées les plus grandes que nous avons faites sont celles qui concernent la langue et plus particulièrement la langue écrite.
En effet, l'observation de l'ensemble des réactions des participantEs en regard de l'écrit, puis l'analyse influencée, entre autres, par la conception de l'appropriation de la lecture et de l'écriture développée par la Boîte à lettres, nous ont permis de comprendre à quel point il s'agissait d'un acte social. Nous avons saisi comme jamais l'enjeu de pouvoir sous-tendu par l'apprentissage du code écrit et, par là, la nécessité absolue de questionner le statut épistémologique qui lui est donné socialement. Toute les découvertes que nous avons faites ne tiennent pas au seul fait que cet atelier soit partie prenante d'une recherche, bien que cela les aient favorisées, puisque tout au long de nos années d'expérience comme animatrice en alphabétisation, nous n'avons cessé de faire des apprentissages. Ceux-ci se sont réalisés par une attitude réflexive et par le contact avec les participantEs.
Dans le modèle de réciprocité, l'animatrice est invitée à se questionner sur son approche, ses méthodes, sa perception de la matière au programme, mais encore sur elle-même, en tant que sujet et acteur social, puisqu'elle aussi est façonnée par des espaces socio-culturels, tout comme les participantEs. Cette remise en question est d'ailleurs fondamentale pour Labelle, elle permet «une disponibilité réciproque» et des apprentissages signifiants pour tous (Labelle, 1996, p. 38).
Pour en venir à un rapport qui détruit la domination, il est donc essentiel pour les animatrices qu'elles se considèrent en apprentissage, en apprentissage de leur métier et de la culture des participantEs et qu'elles travaillent à l'élaboration de rapports égalitaires. On pourrait alors ajouter aux quatre figures anthropologiques de Josso (1998), qui sont l'Amateur, le Passeur, l'Animateur et l'Ancien, une cinquième figure, celle de l'Apprenti réflexif. Par cette dernière figure, on reconnaîtrait la position en continuelle mouvance, le besoin d'humilité nécessaire à accompagner une démarche en alphabétisation, tout au moins, en atelier Autobiographie. Comme nous pouvons le constater, la relation éducative se situe à la croisée des composantes du système relation éducative. Le contexte, le cadre, le contenu formatif, les sujets-acteurs et la dynamique relationnelle participent à la réalité de cette relation. Ce n'est que par la prise en compte de tous ces aspects qu'il est possible de la percevoir dans toutes ses dimensions et de lui donner les moyens de participer aux transformations sociales.
Comme dernier point, nous voudrions souligner la grande richesse de l'approche biographique qui, à notre avis, peut merveilleusement contribuer à enrichir l'alphabétisation populaire. D'abord, toutes deux ont nombre de points communs, comme nous l'avons déjà cité. De plus, le récit de formation peut être un moyen de créer un espace de liberté, d'expression et de construction de sens et de savoir. Le récit permet à tous de mieux se connaître et de mieux connaître les autres. Dans le cas de l'atelier Autobiographie que nous avons présenté, cette démarche a permis nombre d'apprentissage chez l'animatrice, comme déjà cité, et a soulevé le désir d'écrire chez les participantEs, le désir de s'ouvrir aux autres et de leur faire confiance. L'atelier a eu aussi pour résultat de hausser l'estime de soi chez ces participantEs. Leur avoir donné ainsi la parole leur a permis de donner du sens à leur vie, à leur projet d'apprendre. Cela pourra peut-être ultérieurement générer des apprentissages nouveaux, une plus grande appropriation et autonomie de l'ensemble de leurs apprentissages. Est-il nécessaire d'ajouter que l'atelier Autobiographie exige que toute participation se fasse sur une base volontaire, que soit reconnue la liberté de choix? Le droit à l'éducation ne sera que plus respecté si l'on accepte un refus de s'exprimer et même un refus de s'alphabétiser. Il serait intéressant de poursuivre cette réflexion à l'aide d'une démarche biographique avec des animatrices en alphabétisation dans le but de mieux les connaître, de mieux saisir les rapports qu'elles entretiennent avec les participantEs et qu'elles se connaissent mieux elles-mêmes. Elles seraient ainsi en mesure de percevoir combien leur savoir et leur manière d'accompagner peuvent parfois être «en-disciplinés». On peut souhaiter qu'à la suite de cet exercice, elles seraient en mesure de redynamiser leur façon de faire en étant plus libres d'apprendre et d'accompagner.
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Ouvrages consultés :
Legendre, Rénald. 2005. Dictionnaire actuel de l'éducation. Coll. «Le défi éducatif». Montréal : Guérin, éditeur limité, 1554 p.
Site Internet :
CDEACF, page Espace alpha, «http ://espacealpha.cdeacf.ca/situation.html»
Bloc -1- Familiarisation avec la démarche (7 rencontres de 2h30, pour une durée de 17h30)
Objectifs : 1- Établir un climat de confiance 2- Présenter la démarche 3- Stimuler la mémoire 4- Commencer à recueillir des données sur les relations éducatives
Ateliers | Dates | Activités | Thèmes | Commentaires | Animation |
1 |
28/01/03 |
- Activité brise-glace (au début de chaque atelier) |
- Intérêt des part. pour la démarche |
- Peu d'attention lors des présentations |
En coanimation |
2 |
30/01/03 |
- Code écrit (avec langage intégré) |
- Travail sur le code écrit |
- Ils disent apprécier travailler sur le code |
En coanimation |
3 |
04/01/03 |
- Animation avec le thème un apprentissage dont ils sont fiers |
- Un apprentissage réussi |
- Les part. restent peu loquaces - Ils refusent de travailler en équipes - Constatation du peu d'autonomie à l'expression écrite |
En coanimation |
4 |
11/02/03 |
- Discussion à propos des lectures autonomes |
- Travail sur le code écrit |
- La majorité d'entre eux dit lire régulièrement, surtout le journal |
En coanimation |
5 |
14/02/03 |
- Collectivisation des contextualisations précédentes |
- Notion de collectivisation |
- Ils ont participé avec plus d'enthousiasme à cet échange |
La coanimatrice prend beaucoup de temps pour les explications en rapport avec le code |
6 |
18/02/03 |
- Mise en situation sur le travail d'équipe |
- Le travail d'équipe |
- Ils se sont amuséEs à la mise en situation |
En coanimation |
Bloc -1- Familiarisation avec la démarche (7 rencontres de 2h30, pour une durée de 17h30)
Objectifs : 1- Établir un climat de confiance 2- Présenter la démarche 3- Stimuler la mémoire 4- Commencer à recueillir des données sur les relations éducatives
Ateliers | Dates | Activités | Thèmes | Commentaires | Animation |
7 |
25/02/03 |
- Modélisation ligne de vie |
- La ligne de vie |
- Constatation du peu d'habitude de l'expression écrite |
En coanimation |
Bloc -2- Construction méthodologique et théorique (9 rencontres de 2 h 30, pour une durée de 22 h 30)
Objectifs : 1- Comprendre ce qu'est un récit de formation 2- Comprendre comment se produit un récit de formation 3- Entamer une réflexion sur les relations éducatives à l'aide d'éléments théoriques
Ateliers | Dates | Activités | Thèmes | Commentaires | Coanimation |
8 |
27/02/03 |
-Court échange à propos de l'image sociale des formateurs |
-Image sociale des formateurs |
-Début de transformation du rapport à l'écrit |
En coanimation |
9 |
12/03/03 |
- Ligne de vie à l'adolescence |
- Relations éducatives à l'adolescence |
- Ils osent peu parler négativement de leurs formateurs et encore moins l'écrire |
En coanimation |
10 |
14/03/03 |
- Appropriation d'un outil de référence |
- Outil de référence - Notions théoriques de sujet et de réflexivité |
-Ils lisent avec aisance et comprennent bien ce qu'ils lisent mais n'ont pas été réceptifs au contenu |
Animatrice principale seule |
Bloc -2- Construction méthodologique et théorique (9 rencontres de 2 h 30, pour une durée de 22 h 30)
Objectifs : 1- Comprendre ce qu'est un récit de formation 2- Comprendre comment se produit un récit de formation 3- Entamer une réflexion sur les relations éducatives à l'aide d'éléments théoriques
Ateliers | Dates | Activités | Thèmes | Commentaires | Coanimation |
11 |
18/03/03 |
- Retour sur les notions de réflexivité et de sujet - Animation sur le thème d'un formateur idéal - Travail sur le code |
- Notions de réflexivité et de sujet - Perception de la fonction des formateurs |
- Ils ont donné beaucoup d'information sur ce qu'ils attendent d'un formateur- Ils ont profité de l'occasion pour critiquer les animatrices et l'atelier |
En coanimation |
12 |
20/03/03 |
- Discussion à propos de leur obligation à terminer l'alphabétisation - Travail avec outil de référence - Lecture d'un texte à propos du fonctionnement du récit de formation - Travail sur le code à partir des contextualisations précédentes |
- Leur situation au centre |
- Ils sont en désaccord avec le fait de quitter l'alpha. |
En coanimation |
13 |
25/03/03 |
- Ligne de vie à l'âge adulte |
- Relations éducatives à l'âge adulte- Le fait d'apprendre- Le code écrit |
- Ils ont porté un intérêt mitigé au texte |
En coanimation |
14 |
27/03/03 |
- Une ancienne participante de la Boîte à lettres est venue présenter son cheminement dans le cadre d'un atelier Autobiographie |
- Un cheminement de récit présenté - Le fait d'apprendre - Les relations éducatives à l'adolescence et à l'âge adulte |
- Ont semblé partiellement intéresséEs par la présentation de l'ancienne participante de la B.à.l. |
En coanimation |
15 |
01/04/03 |
- Extraits du débat des chefs visionnés |
- Réflexion sur le pouvoir, le leur, la politique, la société |
- Ils ont grandement participé à cet échange - Ils sont conscientEs de leur positionnement social - Ils ont beaucoup parlé de pauvreté - Certains perçoivent les formateurs dans une position sociale favorisée |
En coanimation la 1re partie de la rencontre 2e partie, l'animatrice seule |
16 |
03/04/03 |
- Animation sur le thème de la pauvreté et des positionnements sociaux. Liens avec les apprentissages et les relations éducatives |
- Réflexion sur la pauvreté, les positionnements sociaux, les apprentissages, les relations éducatives |
- Participation aux échanges, écoute et intérêt démontrés -Plusieurs dévoilent leur culpabilité de ne pas avoir mieux appris - Ils sont conscientEs d'eux et de leurs attitudes envers les animatrices |
Animatrice principale seule |
Bloc -3- Production écrite du récit (5 rencontres de 2 h 30, plus deux jours de camp d'écriture, environ 26 h)
Objectifs : 1- Rédiger son récit de formation 2- Intégrer à son récit une réflexion écrite sur ses relations éducatives
Ateliers | Dates | Activités | Thèmes | Commentaires | Coanimation |
Camp D'écriture |
07, 08 04/03 |
- Écriture individuelle du récit |
- Rédaction du récit de formation sur le thème des relations éducatives |
- Ils n'ont pas fait de récit oral |
En coanimation |
17 |
15/04/03 |
- Retour sur le camp d'écriture |
- Rédaction du récit |
- Ils sont satisfaitEs et très fiers de leur production |
Animatrice principale seule |
18 à 21 |
17, 23, 25, 29/04/03 |
- Rédaction du récit |
- Rédaction du récit |
- Sous peine de perdre l'accès au parc informatique, ils doivent l'utiliser. Ils ont donc pris le temps de mettre eux-mêmes leur récit sur support informatique |
En coanimation |
Bloc -4- Analyse (3 rencontres de 2 h 30, soit une durée de 7 h 30)
Objectifs : 1- partager les récits de formation 2- Effectuer l'analyse individuelle de son récit 3- Effectuer l'analyse collective de l'ensemble des récits 4- Approfondir sa compréhension des relations éducatives vécues
Ateliers |
Dates |
Activités |
Thèmes |
Commentaires |
Coanimation |
22 |
02/05/03 |
- Lecture des récits de formation par une comédienne |
- Échanges sur les récits |
- Ils sont très à l'écoute de tous les récits |
En coanimation |
23 |
06/05/03 |
- Analyse individuelle des récits |
- Analyse des récits |
- Ils sont actifs dans l'analyse |
En coanimation |
24 |
08/05/03 |
- Fin analyse individuelle des récits |
- Analyse des récits |
- Ils s'engagent dans le travail |
En coanimation |
Bloc -5- Synthèse (3 rencontres de 2 h 30, soit une durée de 7 h 30)
Objectifs : 1- Déterminer ses acquis 2- Nommer ses prises de conscience 3- Dégager des pistes d'action et de projets futurs
Ateliers |
Dates |
Activités |
Thèmes |
Commentaires |
Coanimation |
25 |
13/05/03 |
- Catégorisation suite et fin |
-Analyse des récits |
- Leur bilan par rapport aux apprentissages : plus grande confiance en soi, ouverture aux autres, meilleure concentration, plus d'aisance à s'exprimer par écrit, meilleure connaissance du code écrit |
Animatrice principale seule |
26 |
15/05/03 |
- Collectivisation des catégorisations |
- Réflexion sur les relations éducatives - Bilan de la démarche - Pistes de projets |
- Approfondissement de leur conscience des liens entre positionnement social, relation éducative et apprentissage |
Animatrice principale seule |
27 |
20/05/03 |
- Collage collectif pour illustrer les prises de conscience, ce qu'ils ont vécu, appris et sur les projets futurs |
Synthèse de la démarche |
- Ils se sont engagés avec enthousiasme et plaisir |
Animatrice principale seule |
28 |
22/05/03 |
- Party |
Questions pour aider à réfléchir et à écrire :
En introduction
Dans quel genre de famille j'ai vécu?
Dans quel genre d'école j'ai été : petite, grosse, classes spéciales, discipline sévère ou au contraire très lâche, avec un style d'enseignement traditionnel ou nouveau, etc.?
Quels ont été les personnes accompagnatrices qui m'ont marquéE durant cette période?
Date de l'entrevue : _______________
Nom : _______________
Adresse : _______________
Code postal : _______________
Date de naissance : _______________
Âge : _______________
Sexe : _______________
1- Quelle est ton origine ethnique? _______________
2- Quelle est ta langue maternelle? _______________
Situation actuelle :
3- Quelles sont tes sources de revenu? _______________
4- Quel est ton revenu brut annuel?
5- Avec qui habites-tu actuellement? _______________
Enfance :
6- Quand tu étais enfant, avais-tu hâte d'aller à l'école, pourquoi? _______________
7- Combien d'école primaire as-tu fréquentées? _______________
8- Quand tu étais enfant, est-ce que tu faisais tes devoirs? _______________
9- Est-ce que tes parents t'aidaient à faire tes devoirs? _______________
- Est-ce que tu lisais quand tu étais enfant? _______________
La famille :
10- Combien as-tu de frères et de sœurs? _______________
11- Tes parents sont ensemble ou séparés?Inspiré de l'entrevue d'accueil de la Boîte à lettres de Longueuil. _______________
12- Si tes parents sont séparés, quel âge avais-tu quand ils se sont séparés?Inspiré de l'entrevue d'accueil de la Boîte à lettres de Longueuil. _______________
13- Si un de tes parents est mort (ou les deux), quel âge avais-tu lorsque chacun est mort?Inspiré de l'entrevue d'accueil de la Boîte à lettres de Longueuil. _______________
14- Quelle est la scolarité de ta mère?
15- Quelle est la scolarité de ton père?
16-As-tu des enfants? _______________
17- Si oui, combien et quel âge ont-ils? _______________
18- Avec qui vivent tes enfants? _______________
19- Quelle est la scolarité de ton enfant 1?
20- Quelle est la scolarité de ton enfant 2?
21- Quelle est la scolarité de ton enfant 3?
22- Comment se passe ou comment s'est passée la scolarité de ton ou tes enfants?
[Voir l'image pleine grandeur]
Activités :
23-Quelles sont tes activités actuellement? (travail, bénévolat, cours, et combien d'heures pour chaque activité)
[Voir l'image pleine grandeur]
24- Quels sont tes loisirs actuellement? _______________
25- Si tu as des loisirs, avec qui les pratiques-tu? _______________
26- As-tu occupé un emploi dans les 5 dernières années? _______________
27- Quels étaient tes emplois? _______________
28- Quel emploi occupe ton conjoint actuel ou ton dernier conjoint? _______________
Évaluation :
29- Qu'as-tu appris de plus précieux dans la session?
[Voir l'image pleine grandeur]
30- Est-ce que quelque chose a changé dans ta façon d'apprendre depuis le début de la session? Si oui, quoi et pourquoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
31- Est-ce que tu lis? _______________
32- Si oui, à quelle fréquence? _______________
33- Tes habitudes de lecture ont-elles changé depuis le début de la session? _______________
34- Si oui, en quoi, de quelle façon?
[Voir l'image pleine grandeur]
35- Qu'est-ce que tu penses de tes capacités en écriture?
[Voir l'image pleine grandeur]
36-Est-ce que quelque chose a changé dans tes capacités d'écriture depuis le début de la session, si oui, quoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
37-Est-ce que quelque chose a changé dans tes habitudes d'écriture depuis le début de la session, si oui, quoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
38-Est-ce que quelque chose a changé dans tes attitudes et tes comportements au Centre ou ailleurs depuis le début de la session? Si oui, quoi et pourquoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
39-Est-ce que quelque chose a changé dans tes relations avec les autres participantEs depuis le début de la session? Si oui, quoi et pourquoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
40- Depuis que tu es adulte, est-ce que tu fais tes travaux lorsque la personne qui
enseigne ou anime le demande?
[Voir l'image pleine grandeur]
41-Reçois-tu de l'aide pour faire tes travaux? _______________
42- De la part de qui? _______________
43- D'après toi, les éléments suivants ont-ils changé durant la session, si oui, à cause de quoi? :
[Voir l'image pleine grandeur]
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44- Au cours de la session, nous avons regardé beaucoup tes relations avec les professeurEs, surtout dans l'enfance et l'adolescence. Aujourd'hui, d'après toi, à quoi ressemblent tes relations avec les différentEs professeurEs?
[Voir l'image pleine grandeur]
45- Comment les professeurEs se comportent avec toi?
[Voir l'image pleine grandeur]
46- Comment te comportes-tu avec les professeurEs?
[Voir l'image pleine grandeur]
47- Est-ce que quelque chose a changé dans tes relations avec les enseignantEs en général depuis le début de la session? Si oui, quoi et pourquoi?
[Voir l'image pleine grandeur]
Projet, avenir :
48- Quels sont tes projets d'avenir? _______________
49- Comment vois-tu les étapes pour te rendre à la réalisation de tes projets?
[Voir l'image pleine grandeur]
50- Qu'est-ce qui pourrait t'aider à les réaliser?
[Voir l'image pleine grandeur]
51- De quel appui aurais-tu besoin pour continuer tes apprentissages?
[Voir l'image pleine grandeur]
52- Qui pourrait te donner cet appui? _______________
53- Pour t'aider dans la suite de tes apprentissages, qu'est-ce que les prochains professeurEs devraient te donner? _______________
54- Qu'est-ce que tu pourrais te donner toi-même pour t'aider à réaliser tes projets?
[Voir l'image pleine grandeur]
Je tiens tout d'abord à remercier toutes les personnes en démarche d'alphabétisation que j'ai côtoyées et avec qui j'ai eu la chance d'apprendre mon métier, de transformer ma vision du monde et de moi-même. Merci pour toutes ces années d'échanges, de plaisir et d'apprentissage. Plus spécifiquement, je veux saluer le travail des personnes qui ont accepté de participer à l'expérimentation menée dans le cadre de la maîtrise.
Merci aux personnes rencontrées en alphabétisation populaire qui ont alimenté mes réflexions, notamment au Regroupement des groupes populaires en alphabétisation ainsi qu'à la Boîte à lettres de Longueuil, équipe dynamique et d'avant-garde. Merci à Lona pour son passage déclencheur dans ma vie.
Merci particulier à Suzanne Daneau pour son grand soutien et à Évelyne Le Calvez, toutes deux sources d'inspiration, qui m'ont, entre autres, encouragée à m'inscrire à la maîtrise. Merci aux étudiants rencontrés pour les discussions enrichissantes et principalement à Charles Plamondon, engagé et stimulant coéquipier dans les premiers travaux de maîtrise. Merci aux personnes enseignantes du département de la Maîtrise en intervention sociale qui sont en majorité dévouées et passionnées d'un savoir qu'elles transmettent si bien. Merci aux auteurs lus, merci pour ces rencontres intellectuelles fort enrichissantes. Merci à tous mes proches qui ont eu à accepter mon manque de disponibilité, tout spécialement Justine, David et Camille.
Merci à mes parents et autres membres de ma famille pour leur grande générosité.
Merci à Anne-Marie, Diane, Nicole, Liette et Stéphane pour leurs nombreux encouragements, ainsi qu'à Jean pour son soutien technique.
Merci à Julie Théoret ainsi qu'à Louise-Andrée Lauzière pour leur appui dans le sprint final.
Merci à La Rue des femmes, mon employeur actuel, pour sa souplesse à adapter mes horaires en fonction de mes besoins.
Merci chaleureux à Sylvain Tremblay qui, avec amour et humour, a supporté mes hauts et mes bas au quotidien.
Merci à Thérèse Desbiens Gosselin et Shulamit Lechman, femmes exceptionnelles, qui m'ont éclairée dans mes démarches.
Finalement, merci à Danielle Desmarais, ma directrice de mémoire, pour ses connaissances et son expertise, sans qui je n'aurais pu mener à bien mes travaux.