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Mémoire présenté à
Madame Lucienne Robillard
Ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration
Par
la Fédération des femmes du Québec et
le Collectif des femmes immigrantes
Montréal, le 7 mars 1998
La Fédération des femmes du Québec a décidé de réagir au rapport Trempe sur l'immigration, considérant qu'il s'agit là d'une question de société. L'organisme compte 130 associations et 650 membres individuelles. Il regroupe des femmes de milieux diversifiés et vise à refléter de plus en plus la pluralité culturelle du Québec.
Le Collectif des femmes immigrantes existe depuis 1983 et regroupe 44 associations
au Québec. Sa nature même en fait un interlocuteur indispensable
dans le débat qui s'amorce et trouvera une expression plus achevée
dans un projet de loi.
Nos deux associations ont donc décidé de se présenter
conjointement à la consultation ministérielle sur la législation
de l'immigration. Nos commentaires porteront sur la philosophie générale
du document soumis à la consultation et sur quelques questions spécifiques
qui intéressent les femmes ou l'ensemble de la population immigrante.
1) Les valeurs fondamentales
Il serait difficile de contredire le document sur les valeurs qu'il défend comme étant chères au cur des Canadiennes et Canadiens. Cependant, le rapport Trempe fait un usage assez curieux de certaines d'entre elles. La langue, par exemple. Oui, les Canadiens-nes attachent de l'importance au fait de parler anglais ou français et les Québécois-es souhaitent que les personnes habitant la province parlent français. Cela doit-il nous conduire à exiger que les immigrants-es parlent l'une de ces deux langues avant d'arriver ici ?
L'autosuffisance est aussi mentionnée. Oui, certes, l'on vise à ce que les individus-es fassent un effort de prise en charge. Cependant, cela ne doit pas conduire notre société à exiger que l'ensemble de ses citoyennes et citoyens soient en mesure de s'assumer entièrement au plan financier sans égard à leurs capacités réelles et à ce que cette société est en mesure de leur offrir.
Par ailleurs, le principe de l'égalité entre les sexes doit être davantage qu'un vu pieux. Le rapport indique qu'il « doit imprégner la législation » (page 7). Fort bien, mais il eût fallu qu'il imprègne le rapport lui-même et que le comité exige de disposer du temps nécessaire pour effectuer une analyse différenciée selon le sexe.
Nous faisons donc nôtre la suggestion (ce n'est malheureusement pas
une recommandation) du comité à l'effet que :
« Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration
devrait entreprendre cette analyse avant d'arrêter sa politique, de
refondre la loi et ses règlements et d'établir ses programmes »
(page 126).
Nous rappelons au gouvernement fédéral qu'il s'est engagé à Beijing à procéder à une analyse différenciée selon le sexe de ses politiques et de ses législations.
Un exemple de la recherche qui devra être effectuée est l'impact sur les femmes des conditions auxquelles l'on veut soumettre les candidats et candidates à l'immigration en tant qu'indépendants. Ce que le rapport appelle des conditions minimales (!) peuvent s'avérer difficiles à remplir pour beaucoup de personnes désireuses de s'établir au Canada et particulièrement pour les femmes. Nous pensons entre autres à l'exigence d'avoir complété deux ans d'études post-secondaires et de connaître le français ou l'anglais dès l'arrivée au Canada. Ces exigences nous paraissent relever d'une conception plutôt mesquine de l'intégration et défavoriseront probablement de nombreuses femmes.
Il y a toujours eu au Canada une sélection des immigrants-es. Notre supposée générosité relève partiellement d'un mythe. En effet, nous avons accueilli en priorité des personnes dont nous avions besoin pour des tâches que nous avions définies. Le rapport Trempe ne modifie pas vraiment cette situation mais il actualise les critères de sélection en tenant compte du nouveau contexte économique. Il est d'ailleurs plus exigeant pour les nouveaux arrivants que pour les citoyennes et citoyens canadiens. Par exemple, la recommandation 31 fait état des conditions d'obtention de la citoyenneté parmi lesquelles la participation à la vie de la collectivité. La personne doit être une participante active en étant impliquée de deux façons parmi les suivantes : travailler, étudier, avoir charge de famille ou être bénévole dans un organisme communautaire. Bon nombre de Canadiens ou Canadiennes ne pourraient satisfaire à ces exigences. Et, encore une fois, une analyse différenciée selon le sexe, nous apprendrait sans doute que bien des femmes en ont déjà plein les bras avec la seule charge de famille.
La mondialisation et son cortège de règles économiques imposées par les marchés sont visiblement au cur du rapport Trempe lorsqu'il s'agit d'admettre au Canada des immigrants-es indépendants-es. Cela nous inquiète grandement. Les être humains ne sont pas riches que de diplômes ou d'argent. La prospérité d'un pays ne se mesure pas seulement en rapport avec son P.I.B.. Nous voulons surtout avoir au Canada des gens de cur et de créativité.
Recommandation 31
Comme nous l'avons dit précédemment, les conditions de participation
à la citoyenneté sont trop exigeantes, en particulier pour les
femmes. Nous recommandons qu'une seule condition soit exigée et que
l'on tienne compte des lourdes responsabilités familiales des femmes.
Recommandation 32
Nous voulons souligner notre accord avec cette recommandation qui reconnaît
enfin l'existence des unions de fait et plus encore, des unions entre conjoints-es
de même sexe. Il s'agit là d'un geste approprié et nous
espérons que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration
aura le courage politique d'adhérer à cette recommandation qui
sera soutenue, nous en sommes certaines, par la majorité des Canadiennes
et des Canadiens.
Recommandation 35
Nous sommes en désaccord avec cette recommandation qui risque de
pénaliser les futurs immigrants, particulièrement les femmes
et les enfants. Nous la trouvons mesquine alors que, pourtant, le rapport
Trempe dit accorder une grande importance à la réunification
des familles. Cela ne vaut-il que pour les familles riches ou alors que pour
celles qui proviennent de pays où le français ou l'anglais sont
des langues couramment parlées ? Le Canada a tout de même les
moyens d'offrir des cours de français ou d'anglais aux immigrants-es.
Il a les moyens aussi d'enseigner l'une de ces langues aux enfants quand on
sait à quel point ceux-ci ont de grandes capacités d'apprentissage
!
Recommandation 37
Nous sommes en désaccord aussi avec cette recommandation qui ne
tient pas compte de la précarité dans le domaine de l'emploi.
Beaucoup de Québécois-es et de Canadiens-nes n'arrivent pas
à occuper un emploi permanent parce que le marché du travail
ne leur offre pas cette opportunité. Nous devons aussi tenir compte
de la situation des femmes cheffes de famille qui doivent plus souvent qu'à
leur tout recourir à l'aide sociale et ne pas les priver de la présence
de leur conjoint. D'ailleurs, cette présence pourrait probablement
favoriser le relèvement du niveau de vie de la famille.
Recommandation 42
Nous appuyons cette recommandation qui reconnaît l'existence de
la violence conjugale et les possibilités de chantage liées
au parrainage. Cependant, la recommandation ne dit mot des femmes qui sont
en attente de parrainage et sont victimes de violence de la part du parrain.
Si ces femmes désirent mettre fin à une situation d'abus en
quittant leur conjoint, elles risquent la déportation. Le ministère
doit remédier à cette situation en leur permettant d'effectuer
une demande d'immigration en sol canadien sans avoir les mêmes exigences
que pour les immigrants indépendants.
Les immigrants indépendants-es (chapitre 6)
Nous avons beaucoup de difficulté à accepter les conditions
très rigides que le rapport propose. Le niveau d'éducation élevé
risque fort encore une fois de pénaliser les femmes ainsi que la connaissance
de la langue avant d'arriver au Canada. La limite d'âge à 45
ans nous paraît trop restrictive de même que l'interdiction de
recourir à l'aide sociale durant les premiers six mois. En fait nous
nous élevons contre une conception de l'immigration qui vise à
attirer uniquement les personnes qui performent selon le modèle économique
actuel : des investisseurs, de brillants diplômés universitaires,
jeunes et en bonne santé. On peut se demander avec de pareilles normes
de combien d'immigrants-es nous nous serions privés depuis un siècle
!
Seulement les frais exigés pour effectuer une demande d'immigration et obtenir un visa sont de nature à décourager bien des candidats et surtout des candidates potentiels. Ces frais devraient être sensiblement réduits si nous voulons être justes envers les femmes, généralement moins fortunées que les hommes, et envers les personnes provenant des pays du sud.
« Car c'est avec des millions d'immigrants indépendants « ordinaires » que le Canada a construit sa réputation enviable au cours des années. Avec des millions de gens qui offraient leurs bras, leurs rêves et leur courage et qui, en échange de notre accueil nous ont donné leur allégeance et leur attachement, si chers aux rédacteurs du rapport. » (Mémoire du Centre justice et foi, page 4).
Le programme des aides familiales
Nous désirons appuyer ici le mémoire soumis par l'Association
des aides familiales du Québec. Il est plus que temps de revoir en profondeur
les règles qui régissent leur admission au Canada. Nous souscrivons
à la revendication à l'effet que les aides familiales soient acceptées
chez nous comme immigrantes indépendantes, donc comme des travailleuses
jouissant des même droits que les autres et étant soumises aux
mêmes obligations. L'Association des aides familiales a amplement démontré,
exemples à l'appui, que de nombreuses immigrantes, acceptées ici
comme aides familiales, subissent des situations d'exploitation scandaleuses.
Cela ne doit pas continuer.
Nous sommes d'accord avec le document lorsqu'il affirme vouloir donner priorité aux personnes qui ont un urgent besoin de protection. Nous entérinons aussi la préoccupation d'assurer aux femmes et aux enfants des chances égales de parvenir jusqu'au Canada.
Là où le bât blesse, c'est lorsque l'on veut à tout prix prioriser les demandes effectuées dans le pays d'origine. Le document laisse entendre, mais sans le démontrer, que les revendicateurs-trices du statut de réfugié qui se présentent à nos portes ont moins besoin de protection que les autres. Il nous semblerait plus équitable de juger chaque demande au mérite, c'est à dire d'évaluer si la personne est bien en besoin de protection. Par ailleurs, la recommandation 92 précise que la décision rendue par un agent à l'étranger serait sans appel. Cela nous paraît trop rigide.
Statut provisoire
Nous sommes outrées par l'idée d'obliger les requérants-es
à être identifiés-es au moyen d'une fiche anthropométrique.
Aucune autre personne résidant au Canada n'est soumise à une pareille
obligation. Il est très désagréable de penser que notre
pays devient un territoire où des personnes doivent se sentir en liberté
surveillée, même si elles n'ont commis aucun acte illégal.
Nous recommandons vivement au gouvernement d'oublier cette idée fâcheuse
qui manque décidément de générosité.
Les délais
Il est tout à fait louable de vouloir accélérer le
processus conduisant à l'obtention ou non du statut de réfugié-e.
Nous nous interrogeons cependant sur la faisabilité de la chose étant
donné les ressources dont dispose le ministère de l'Immigration
et de la Citoyenneté. Une analyse différenciée selon le
sexe pourrait aussi nous permettre d'évaluer si ces délais tiennent
compte des possibilités réelles des hommes et des femmes de respecter
les délais prévus à diverses étapes du processus.
Encore une fois nous tenons à souligner combien cette analyse est importante.
Le rapport Trempe est intéressant en ce qu'il nous permet de réfléchir
aux finalités de l'immigration, à la société dans
laquelle nous nous reconnaissons, à un système de protection juste
et équitable. Nous demandons au ministère de l'Immigration et
de la Citoyenneté de ne pas procéder trop rapidement avec la refonte
de la loi, de consulter largement la population canadienne et de s'inspirer
d'abord et avant tout d'un modèle de société fondé
sur la générosité, l'entraide et l'accueil à la
diversité.
Françoise David, Fédération des femmes du Québec
Aoura Bizzarri, Collectif des femmes immigrantes du Québec
Conception © CDEACF
1999 |