Document de réflexion
Colloque organisé par l'Institut canadien d'éducation des adultes
Montréal, 12 et 13 novembre 1998
Recherche et rédaction:
Pierre Toussaint, Bernard Normand, Marie Leahey
Coordination du colloque :
Marie Leahey
Révision linguistique :
Andrée Savard
Graphisme :
Le point tactique
Impression :
L'Encrage imprimerie (1996) inc.
Nous voulons remercier les membres du comité aviseur du colloque :
Carmen Altamirano (CAMO-personnes immigrantes), Denis Bussière (CDEST), Nicole De Sève (Centrale de l'enseignement du Québec), Jean-Marc Fontan (Sociologie, Université du Québec à Montréal), JeanYves Desgagnés (Front commun des personnes assistées sociales du Québec), Nicole Galarneau (Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d'œuvre), Francine Jeannotte (Service d'orientation et de relance industrielle pour femmes), France Lemay (Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys), Louise Miller (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), Martin-Pierre Nombre (CDEC Plateau-Mont-Royal), Sylvie Paquerot (Syndicat de la fonction publique du Québec), Danielle Pavlovic (Emploi-Québec), France M. Picard (CAMO-personnes handicapées), Martine Roy (Réseau des carrefours jeunesse), Lorraine Séguin (Ministère de l'Emploi et de la Solidarité), Vincent Van Schendel (Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal).
La production de ce document et la tenue du colloque Où mènent les parcours? sont rendues possibles grâce à l'appui financier du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, du ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, et du ministère des Relations internationales.
Les opinions exprimées dans ce document ne sont pas nécessairement celles de l'ICÉA ou de ses membres.
Trois générations de mesures actives au Québec
Cette question, aujourd'hui au centre de nos débats, sera demain celle de dizaines de milliers de personnes qui participeront à ces parcours.
C'est en nous plaçant du point de vue de ces personnes, de leur potentiel au plan de la formation et de leur participation à la vie sociale et économique, que l'ICÉA a voulu lancer le débat sur le sens et la portée des parcours d'insertion dans la société québécoise d'aujourd'hui.
Au point de départ, cette approche signifie pour nous que les citoyennes et citoyens inscrits dans une démarche d'insertion ont le droit d'accéder à des ressources éducatives de qualité, de participer aux décisions sur les objectifs de leur parcours et d'être partie prenante de l'évaluation des résultats. Autrement dit, nous considérons les parcours d'insertion comme une des expressions possibles, sous certaines conditions, de l'exercice du droit des adultes à l'éducation.
Ce point de vue, aux antipodes des idées et des politiques dominantes, se retrouve au coeur du document de réflexion que nous avons produit et des enjeux que nous y avons dégagés. Nous espérons qu'un tel point de vue contribuera à alimenter et à stimuler les discussions durant et après ce colloque. C'est là justement l'objectif majeur que poursuit l'ICÉA en organisant cet événement : à savoir enrichir et faire avancer dans notre société le débat démocratique sur les conditions de réussite des parcours d'insertion, ceci en tenant compte du contexte d'aujourd'hui, de différents points de vue et des leçons issues de diverses expériences sur le terrain.
À la question «Où mènent les parcours?», ce colloque se veut donc une contribution à y voir plus clair et surtout à être partie prenante de réponses qui se conjugueront au pluriel plutôt qu'au singulier. Car, en fin de compte, si nous respectons réellement la diversité des potentiels et des besoins des personnes, les directions des parcours ne sont-elles pas appelées à être à la fois multiples et jamais fixées une fois pour toutes dans un moule?
Bernard Normand
Directeur général de l'ICÉA
Depuis plus de vingt-cinq ans, nous assistons à un grand chambardement du marché de l'emploi, provoqué principalement par la mondialisation des économies et des marchés, et le développement des nouvelles technologies, entre autres celles de l'information. La réduction de la quantité de travail nécessaire à la production constitue un élément important de cette réorganisation du travail et a une incidence directe sur l'offre d'emploi. Cette transformation dans la production des biens et des services, par l'utilisation croissante des formes atypiques de travail, crée une véritable crise de l'emploi caractérisée par la rupture du lien entre croissance économique et développement de l'emploi, l'allongement des périodes de chômage, des formes diversifiées de lien d'emploi (salarié, à contrat, travail autonome, temps partiel, etc.).
L'importance du travail salarié n'est plus à démontrer. Il constitue la voie privilégiée d'accès et de partage des richesses dans nos systèmes à économie de marché. Il représente, dans nos sociétés actuelles, la valeur première de l'intégration sociale en créant un espace central de socialisation et de développement du potentiel des personnes. Là réside d'ailleurs le principal drame de l'exclusion du travail : certes, il y a un appauvrissement monétaire, mais il y a surtout rupture avec les consoeurs et confrères de travail, amies et amis, voire la famille immédiate. C'est souvent la cause du peu d'estime et de confiance en soi et de l'isolement social dont sont victimes les personnes.
L'absence de lien d'emploi n'est pas sans conséquence : plus longtemps la personne sera inactive, plus difficile sera sa réintégration dans le marché du travail. Avec le temps, l'espoir se transformera en découragement pour la chercheure ou le chercheur d'emploi. Ce même découragement est vécu par les personnes qui veulent entrer, pour une première fois, sur le marché du travail. C'est le cas des jeunes, décrocheuses et décrocheurs, ou jeunes diplômées et diplômés, qui se retrouvent exclus du marché de l'emploi, sans rôle social valorisé.
Cette restructuration de l'emploi est également à l'origine de la remise en cause du système de protection sociale élaboré dans les années de l'après-guerre et de la Révolution tranquille. Depuis lors, les réformes successives des programmes de soutien du revenu ont eu pour effet très souvent de réduire le montant et la durée des prestations, ou de lier de nouvelles obligations à l'obtention de ces prestations. La notion de filet de sécurité pour toutes et tous s'est transformée en aide financière assortie de mesures actives d'incitation ou de contrainte à l'emploi.
Ces transformations du monde du travail s'accompagnent d'une disqualification d'un nombre grandissant de personnes de tous âges qui, il n'y a pas si longtemps, étaient considérées compétentes et formées pour l'emploi. Or, leur formation, leurs compétences, leurs connaissances et leurs habiletés ne leur permettent souvent plus de se maintenir en emploi. Cette hausse des exigences académiques et professionnelles, pour le marché de l'emploi, a également eu des impacts importants sur l'éducation des adultes.
Les adultes se sont tournés vers les services éducatifs, devenus plus nécessaires que jamais. Les nouvelles politiques concernant l'éducation ont servi à répondre aux besoins de main-d'œuvre des entreprises; cet objectif d'adaptation de la main-d'œuvre s'est développé au détriment de la formation de base et d'une vision éducative plus globale, pouvant répondre à la diversité des besoins des adultes et à leurs cheminements éducatifs.
L'accent mis sur l'insertion au travail comme instrument de socialisation a entraîné la déconsidération de toute autre forme d'activité non marchande, pourtant porteuse d'insertion sociale et vitale pour les communautés. Nous avons surévalué notre statut de travailleuse ou de travailleur au détriment de notre rôle de citoyenne ou citoyen, de parent, d'amie ou ami, de voisine ou voisin. Pourtant, la complexité grandissante de la vie en société exige des personnes qu'elles renouvellent leurs connaissances et habiletés sociales pour jouer efficacement ces rôles. La déclaration de Hambourg est éclairante à ce sujet : «L'éducation des adultes devient donc plus qu'un droit; elle est une clé pour le XXIe siècle. Elle est à la fois la conséquence d'une citoyenneté active et la condition d'une pleine et entière participation à la vie de la société.»1
Dans ce contexte, la notion de parcours individualisé peut être, sous certaines conditions, un des outils significatifs pour contrer l'exclusion et répondre aux besoins de développement des compétences de base et de formation des personnes, tout en permettant un arrimage avec les exigences du monde du travail et de la vie en société.
Notre compréhension actuelle des enjeux nous amène, d'entrée de jeu, à noter l'existence d'une forte tension entre, d'une part, l'expression collective et individuelle des besoins des personnes inscrites ou appelées à participer aux parcours d'insertion et, d'autre part, les orientations privilégiées par les décideurs politiques et économiques qui façonnent et mettent en œuvre les parcours d'insertion. Entre les deux, il y a les intervenantes et intervenants et les professionnelles et professionnels œuvrant dans les services d'aide à l'emploi.
Ce document de réflexion comporte trois parties. Une première partie rappelle le contexte historique des principales mesures actives d'emploi au Québec depuis les années 1960. Une deuxième expose brièvement les positions de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) en matière de politique active du marché du travail et mentionne à titre d'exemples deux expériences d'application nationale de ces politiques (ÉtatsUnis et France). Enfin, la dernière partie introduit, à la lumière des faits précédents, des questions et des enjeux portant sur les orientations et les pratiques des parcours actuels d'insertion ou Québec.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, on peut définir l'état du marché du travail comme étant une situation relative de plein-emploi pour une maind'œuvre essentiellement masculine. La culture d'alors divise les fonctions de travail selon le sexe : le salariat est réservé globalement aux hommes et le travail domestique, non rémunéré et non reconnu socialement, aux femmes. Au fil des ans, les femmes sont de plus en plus nombreuses à revendiquer l'accès à l'emploi rémunéré et à l'équité salariale. Parmi les autres groupes sociaux moins présents sur le marché du travail, on retrouve les personnes handicapées, immigrantes, les minorités visibles et les autochtones.
Au cours des années 1960 et 1970, les syndicats et les mouvements sociaux obtiennent, suite à des mobilisations et des luttes, un certain nombre de gains en matière d'amélioration des conditions de vie et de travail, dont un accès plus large à l'emploi. Des embûches subsistent, mais les situations s'améliorent, malgré la crise économique du début des années 1970 marquée par la chute du dollar américain et la forte hausse du prix du pétrole.2
Avec la récession du début des années 1980, les difficultés économiques s'accentuent. On assiste à une crise structurelle de l'emploi : la croissance économique ne rime plus avec la création d'emploi, comme ce fut le cas auparavant.
Au début des années 1990, contrairement aux prévisions les plus optimistes, on entre dans une phase de récession. Cette récession affecte une grande partie de la population. De plus, on assiste à l'augmentation tangible d'un phénomène auquel le Canada et le Québec ont réussi à échapper, contrairement à d'autres pays occidentaux : le chômage de longue durée.3 On réalise de plus en plus que le chômage est devenu structurel ou chronique.4
Bref, au cours des cinq dernières décennies, on assiste donc à une transformation importante du contexte socio-économique. On passe du plein-emploi pour les hommes au manque d'emploi pour toutes et tous. Dans cette foulée, des transformations politiques s'opèrent, notamment autour des rapports entre l'État, la citoyenne et le citoyen.
Au Canada, les relations difficiles entre Ottawa et Québec sur les politiques sociales ne datent pas d'hier.5 En 1940, les provinces s'entendent pour que le régime d'assurance-chômage soit administré par Ottawa. Le fédéral, il fout le souligner, se responsabilise vis-à-vis les personnes les plus démunies en payant alors 20 % des coûts du programme. L'État peut donc être considéré comme responsable du soutien aux personnes dans le besoin. La citoyenne et le citoyen n'est pas considéré comme seul responsable de son état s'il est démuni : l'État assume une part importante de responsabilité. C'est en 1966 6 qu'est mis sur pied le Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) par lequel «le financement [du] fédéral est conditionnel au respect de certaines normes par les provinces, dont la mise sur pied d'un mécanisme de détermination du montant de la prestation en fonction des seuls besoins de la personne». 7 C'est au cours de cette même période que se développent au Québec les idées relatives au droit à l'aide sociale.
En 1971, une réforme majeure du programme d'assurance-chômage assure une couverture plus large pour répondre aux besoins des personnes sans emploi. L'admissibilité est quasi universelle, les prestations sont offertes pour de plus longues périodes et majorées, les pénalités pour départ volontaire sont réduites et le gouvernement fédéral «s'engage à assumer la partie excédentaire des coûts du régime lorsque le taux de chômage dépasse 4 %».8
Par la suite, surtout à partir des années 1980, l'assurance-chômage devient de plus en plus restrictive, poussant par conséquent une partie des personnes vers l'aide sociale. En 1996, avec en toile de fond la réforme Axworthy, ce mouvement de recul s'accentue. Le gouvernement fédéral remplace le RAPC par le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Malgré les multiples débats et prises de positions contre cette nouvelle politique, le gouvernement va de l'avant. La réduction des sommes transférées aux provinces (de 19 à 12 milliards) est telle que plusieurs provinces se voient dans l'obligation de couper en matière de santé, d'aide sociale et d'éducation supérieure.
Bref, ces changements de politiques créent un nouveau rapport entre l'État et les citoyennes et citoyens. D'un certain équilibre de responsabilités entre les deux, acquis dans les années 1960, nous passons à une situation où l'essentiel de la responsabilité incombe aux citoyennes et citoyens. Dorénavant, les nouvelles politiques visent uniquement à responsabiliser les individus.
La Révolution tranquille est une époque de foisonnement d'idées et de grands chambardements. Au palmarès des débats politiques les plus enflammés, se retrouve celui de l'assistance publique. C'est à ce moment, en 1963 plus précisément, qu'est publié le rapport Boucher.9
Les rédacteurs du rapport constatent que l'augmentation du nombre de personnes sur l'aide sociale résulte avant tout de la faiblesse du développement économique du Québec et des politiques gouvernementales inadéquates. Ceux-ci jugent que la nouvelle législation doit s'articuler autour de trois conditions de base. La première implique la nécessité pour le gouvernement du Québec «[d'] intensifier l'application d'une politique économique et sociale d'ensemble orientée vers la solution des problèmes dont le ministère de la Famille et du Bien-être social a, en grande partie, à supporter les conséquences sans être pour autant en mesure d'en corriger les causes».10 Deuxièmement, étant donné l'interdépendance des problèmes économiques et sociaux, les pauvres ne doivent pas être considérés comme seuls responsables de leur situation, ce qui conduit à relativiser la distinction entre les aptes et les inaptes (dû notamment, selon le vocabulaire de l'époque, à l'invalidité, à la cécité, à la vieillesse ou au statut de mère nécessiteuse).11 Troisièmement, l'État québécois devrait jouer un rôle de plus en plus dynamique et créateur en matière de sécurité sociale. Ces trois conditions constituent le socle du droit à l'aide sociale12. De ce droit explicitement énoncé découlent des mesures de soutien telle l'aide au placement, à la formation professionnelle et au pré-emploi.13
Ces orientations majeures du rapport Boucher ont inspiré directement la nouvelle Loi de l'aide sociale de 1969, tout en s'en démarquant légèrement : on y retrouve le droit à l'aide sociale 14 avec, cependant, un certain nombre de limitations15. Par exemple, une personne qui travaille à temps partiel n'a pas droit à l'aide sociale. De plus, le gouvernement est obligé de fournir ce qu'il appelle un plan de relèvement socioéconomique aux bénéficiaires; ceux-ci, en échange, sont alors dans l'obligation de participer à ce plan.
Vers la même époque, les gouvernements, sous la pression des mouvements sociaux regroupant les personnes traditionnellement mises hors du marché du travail, mettent de l'avant des programmes et des mesures d'accès à l'égalité en emploi.
Inspiré par la même vision sociale, le ministère de l'Éducation est créé en 1964. Pour rehausser le niveau de scolarisation des jeunes, il faut démocratiser le système d'éducation et accroître l'accessibilité aux services. Parallèlement, les recommandations du rapport Ryan publié en 1964, puis reprises en 1965 dans le rapport Parent, permettent la mise en place d'un vaste service public d'éducation des adultes, avec la double mission de démocratisation et de rattrapage scolaire. L'éducation des adultes, pendant ces années, prend un envol considérable.
Des modifications importantes sont apportées à la Loi de l'aide sociale en 1984.16 L'objet principal de celles-ci est d'«établir à l'intention des bénéficiaires de l'aide sociale des programmes d'activité de travail ou de formation en vue de développer leur aptitude à occuper un emploi»17 . La nouvelle disposition de la loi prévoit un montant supplémentaire, en échange d'une participation à divers programmes. L'objectif sousjacent à cette politique est d'orienter, à partir de programmes d'employabilité (le rattrapage scolaire, les stages en entreprises et les travaux communautaires), les moins de trente ans vers le marché du travail.
Plusieurs reprochent à cette politique de réduire le droit à l'aide sociale. Ce droit est érodé puisqu'il y a conditionnalité (ou contrepartie) à l'obtention d'un bénéfice, notamment pour le groupe des moins de trente ans. Pour la personne participante, le revenu est d'environ 450 $ par mois alors que celle non participante doit se débrouiller avec 170 $ par mois.
Le caractère conditionnel de l'aide sociale est renforcé par la nouvelle Loi de la sécurité du revenu de 1988 18 dans laquelle la notion de besoin est remplacée par celle d'employabilité. Cette nouvelle loi est fondée sur un constat et deux grandes orientations. Le constat, c'est que le régime d'aide sociale est jugé inadapté aux nouvelles réalités. Nous nous référons ici, par exemple, à l'accord de libre-échange avec les États-Unis en négociation et ensuite entré en vigueur
le 1 er janvier 1989. La première orientation de cette nouvelle loi distingue les personnes inaptes de celles qui sont aptes. Elle a pour effet de multiplier les catégories de personnes assistées sociales. Par exemple, si les personnes jugées inaptes continuent de bénéficier d'un régime similaire à celui déjà en place, la situation se complique pour les personnes jugées aptes; elles seront dorénavant participantes ou non, disponibles ou non. La seconde orientation incite fortement les personnes aptes à se trouver un emploi, sinon une diminution des prestations est appliquée. On assiste alors à un élargissement des mesures d'employabilité offertes à toutes et tous les bénéficiaires aptes au travail et à un durcissement dans la gestion de la participation aux mesures puisqu'il y a obligation de travailler ou de participer aux programmes. Le gouvernement, par des politiques coercitives, incite les gens à travailler et compte inculquer une éthique du travai.19
Deux des sept20 mesures d'employabilité permettent essentiellement l'accès des adultes à l'éducation formelle. Il s'agit du Rattrapage scolaire (RS) et du Retour aux études postsecondaires (REPS) pour les cheffes et chefs de famille monoparentale. Ces deux mesures totalisent 50 % des budgets alloués au développement de l'employabilité en 1992-93. L'année suivante, représentant la seule voie d'accès à la formation de base pour les personnes assistées sociales, la mesure RS est fortement contingentée.
Le gouvernement évalue les mesures d'employabilité à leur capacité de «sortir de l'aide» les prestataires. Cette vision quantitative, qui mesure statistiquement les réussites, s'oppose à une vision davantage qualitative, portée par les groupes sociaux, qui met, au centre des préoccupations, le développement des aptitudes des personnes21 pour qu'elles puissent obtenir un emploi durable et de qualité.
Quels ont été les résultats de ces mesures d'employabilité? Après quelques années, le gouvernement est forcé de constater que, dans une large proportion, ces programmes ont échoué. Il affirme «que la seule logique de l'employabilité qui prévaut dans le régime actuel de la sécurité du revenu est improductive»22 et que «le régime actuel permet d'offrir des mesures d'employabilité à environ 15 % des prestataires aptes et disponibles».23
Des études indépendantes ont montré les aspects négatifs de ces programmes. Voyons-en quelquesuns. La vision que l'on a des prestataires est une barrière à la réussite des personnes engagées dans un programme : certaines études ont manifestement démontré le nombre élevé de préjugés à l'égard des personnes les plus démunies,24 générés par de telles mesures. L'approche gouvernementale, trop technicienne et pas assez personnalisée, s'avère le plus souvent un repoussoir à la réussite : ce n'est pas uniquement l'aspect bureaucratique qui est en cause, mais le fait que les agentes et agents d'aide sociale n'aient pas le temps de s'occuper des bénéficiaires (15 minutes par personne assistée sociale par mois). Toujours lié à ce manque de temps, on constate que les dossiers des bénéficiaires sont souvent incomplets25. La complexité du système illustrée par la multiplication des catégories de bénéficiaires, entraîne, de plus, l'arbitraire dons les décisions.
Associer la participation à un barème plus élevé de prestation a eu un effet non négligeable. Lorsque la prestation de base est insuffisante, on participe pour manger et non pour développer son employabilité. Par ailleurs, la multiplication des programmes de financement des activités en employabilité, tant fédéraux que provinciaux, a nui à l'accessibilité : pour accéder à une mesure, il faut se qualifier, recevoir un soutien du revenu provenant de la bonne source, détenir la bonne «étiquette».
Au-delà des contraintes et des obstacles imposés par les mesures d'employabilité, des critiques attaquent les orientations mêmes des mesures. À l'instar d'autres organismes, le Conseil permanent de la jeunesse26 signale la difficulté de faire l'évaluation réelle des mesures, tant celles d'intégration en emploi que d'évaluation des acquis personnels et sociaux des personnes participantes à ces mesures.
On note également l'absence de cohérence entre les programmes et l'absence de passerelles entre eux.
Ainsi la mesure permettant l'accès à la formation de base (RS) sera réduite alors que les mesures Extra et SMT, peu porteuses d'une formation qualifiante, favorisant le développement du travail au noir et ne respectant par les normes minimales du travail, seront reconduites sans modification, année après année.
Ces mesures et programmes ont donc été peu efficaces. Cependant, malgré les échecs, d'autres expériences, notamment les services offerts par un certain nombre d'organismes sans but lucratif (OSBL), se sont avérées plus positives27. Il y a donc des façons de faire différentes qui fonctionnent malgré tout. Ce qui nous amène à la génération suivante de mesures, les parcours d'insertion.
Au centre de la nouvelle Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale (projet de loi 186), adoptée en juin 1998, se trouve la notion de parcours. Cette notion et les fondements de la nouvelle loi ont été exposés dans un document de consultation déposé en décembre 1996, Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi.28
Ce livre vert pose d'abord un certain nombre de constats : les bénéficiaires de la sécurité du revenu sont davantage touchés par les mutations du marché du travail; certains groupes sont plus affectés, tels les cheffes et chefs de familles monoparentales, les jeunes, les personnes seules et celles immigrantes récemment arrivées au Québec.
La politique gouvernementale retient l'orientation suivante29 : «intégrer la main-d'œuvre prestataire de la sécurité du revenu à l'ensemble de la maind'œuvre québécoise»30, en privilégiant les mesures actives qui favorisent le passage vers le statut de travailleuse ou travailleur. De plus, dans cette optique, il faut «redéfinir les obligations de la collectivité au regard de la réinsertion à l'emploi des prestataires (...) [et] assurer une plus grande prise en charge des services au niveau local»31. Ces derniers éléments aboutissent à ce que le gouvernement appelle «le principe de réciprocité»32 qui donne lieu à une entente signée. «Il incombe au centre local d'emploi de veiller à ce que le choix des démarches offertes soit réel et réaliste. Par contre, le refus d'entreprendre un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi, lorsque celui-ci est offert, ou le refus de réaliser des actions identifiées obligatoires entraînent une pénalité financière.»33
En ce qui concerne l'aide à l'emploi, les collectivités locales sont considérées comme les acteurs privilégiés pour intégrer les personnes assistées sociales. On assiste actuellement à la mise en place des CLE (Centres locaux d'emploi) et des CLD (Centres locaux de développement). Les CLE sont responsables d'offrir des «services publics intégrés d'emploi» dans un même lieu, entre autres aux chômeuses et chômeurs, aux prestataires de la sécurité du revenu aptes au travail et aux personnes sans emploi et sans revenu.34 Les CLD, formés de représentantes et représentants de divers milieux (affaires, syndicaux, communautaires, institutionnels, etc.) auront à élaborer un Plan local d'action concerté pour l'économie et l'emploi (PLACÉE). Ce plan s'inscrira dans le cadre des politiques actives du marché du travail.
À l'intérieur de ce cadre, des parcours d'insertion individualisés seront mis en chantier avec l'aide d'une conseillère ou d'un conseiller en emploi. L'absence de participation au parcours entraînera une pénalité financière, à partir du mois de septembre de l'an 2000. Puisque les parcours seront mis en vigueur graduellement, un groupe particulier sera ciblé pour participer aux mesures : les jeunes de dix-huit à vingtquatre ans.
Ces positions gouvernementales sont fortement critiquées. Ce n'est pas tant le principe d'aide à l'insertion qui est l'objet de discussion, mais l'imposition de l'obligation et par conséquent l'aspect punitif. La Coalition nationale sur l'aide sociale, regroupant près de 50 organismes, a réaffirmé des principes partagés par tous ses membre 35 :
Ces principes contredisent la plupart des axiomes de la politique gouvernementale. Nous nous retrouvons ainsi dans une période de poursuite de débats autour des finalités et des contenus des parcours d'insertion. Autrement dit, nous sommes face à la question centrale : Où mènent les parcours d'insertion?
Les profondes transformations des principes et des mesures des politiques sociales québécoises et canadiennes et leur philosophie de base s'inscrivent au sein d'un mouvement mondial de repositionnement politique et économique. Pour comprendre la teneur et la portée de ces mutations, il importe d'étudier les orientations données par l'organisation internationale majeure qu'est l'OCDE.
L'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), organisme international regroupant les pays les plus riches de la planète, dont le Canada, adopte le virage néolibéral au début des années 1980. Cela se traduit, en pratique, par moins d'interventions de l'État dans le champ économique et davantage auprès des personnes qui ont recours aux prestations sociales.
Depuis 1995, l'OCDE propose entre outres aux États de supprimer toutes les contraintes à la création d'emplois, d'accroître la flexibilité du travail et des salaires, et d'éliminer les obstacles à la création d'entreprises 36. En matière de lutte à la pauvreté, elle constate que «l'exclusion du marché du travail peut aisément déboucher sur la pauvreté et la dépendance»37 En conséquence, les mesures gouvernementales doivent être actives, c'est-à-dire obliger les personnes sans emploi à travailler ou à rechercher un emploi. Les personnes sont les seules responsables de leur pauvreté et de leur exclusion.
Il faut, de plus, inciter les personnes à demeurer en emploi. Pour ce faire, les gouvernements instaurent une disparité significative entre les revenus de travail et les prestations sociales. Lors d'un retour au travail, les prestations ne seront pas interrompues automatiquement : elles diminueront progressivement avec l'augmentation des revenus d'emploi.
Cet organisme international encourage fortement les gouvernements à mettre en place des dispositifs «bien ciblés afin qu'ils s'adressent à une catégorie de chômeuses et de chômeurs relativement homogène» 38, c'est-à-dire des «personnes qui ont les mêmes difficultés d'emploi» 39. Les gouvernements doivent adapter les politiques aux différents risques que représente la chômeuse et le chômeur. À la chômeuse et au chômeur de courte durée, aucune aide ne sera fournie. Pour les personnes à faible risque de chômage prolongé, on offrira divers services (aide à la recherche d'emploi, rédaction de C.V., accès à un télécopieur, etc.). Pour les personnes à risque important de chômage prolongé, le gouvernement peut «envisager une orientation immédiate vers des programmes de formation et de création d'emplois».40
L'OCDE influence d'une manière très importante les politiques nationales, mais fous les pays ne suivent pas de la même façon ses conseils 41. Ainsi les politiques nationales américaine et française comportent, dans leur esprit ou leur cadre général même, des convergences et des divergences importantes. Un court portrait de leurs politiques permettra de situer cellesci (pour un portrait plus précis, voir l'annexe 1).
Ce qui caractérise avant tout le système de sécurité du revenu américain, c'est l'existence d'une multitude de programmes d'aide pour des personnes très ciblées (les critères d'admissibilité étant précis) 42
En 1988, le gouvernement américain intensifie les programmes d'insertion à travers JOBS (Job Opportunities and Basic Skills Training). Cette politique, comme plusieurs autres, s'applique uniquement aux personnes ayant des enfants. Plusieurs activités sont prévues (acquisition d'habitudes de travail, formation, recherche d'emploi et de placement, etc.). Ces mesures ont encouragé plusieurs États à mettre en pratique le workfare, c'est-à-dire l'obligation de travailler pour recevoir une prestation. Cette obligation rejette l'idée de contrat : «The employability plan shall not be considered a contract»43 (Les programmes d'employabilité ne doivent pas être considérés comme un contrat).
En 1996, le gouvernement modifie dans son ensemble le programme d'aide sociale, d'où l'expression de Bill Clinton, «ending welfare as we know it»44 (mettre fin à l'aide sociale telle qu'on la connaît). La nouvelle loi, Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act, prévoit la mise en place de «plans personnels d'employabilité» établis avec une agente ou un agent gouvernemental dès les premiers jours des prestations. Ces programmes sont offerts à une personne pour une durée maximale de vingt-quatre mois. Par la suite, des travaux communautaires seront obligatoires (programme WORK qui est rémunéré au salaire minimum). Une telle mesure n'ouvre-t-elle pas la porte au workfare? Des sanctions sont aussi prévues. À défaut de participer, la personne peut se voir retirer toute aide pendant six mois. De plus, «la garantie d'aide sociale aux familles pauvres est abolie».45
Du côté de la France, une des principales mesures d'aide aux sans-emploi est le revenu minimum d'insertion (RMI). Créée en 1988, dans un contexte de crise de l'emploi, cette politique a trois objectifs : «la garantie d'un revenu minimum, l'accès aux droits sociaux (santé, logement, assurance accident de travail pour les activités d'insertion) et l'insertion.» 46
L'extrait suivant de l'article 1 de la loi est révélateur de la philosophie de cette législation :
«Toute personne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation de l'économie et de l'emploi, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. L'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté constitue un impératif national.» 47
Cette reconnaissance du problème structurel de l'emploi implique que les causes du non-emploi ne sont pas nécessairement dues à des carences individuelles et que l'État partage une part importante des responsabilités.
La France reconnaît un lien de réciprocité entre l'État, d'une part, la citoyenne et le citoyen d'autre part. Ces derniers doivent «s'engager à participer aux actions ou activités définies [par l'État] avec [lui], nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle»48. La personne contribue donc à la définition des activités d'insertion sociale et professionnelle auxquelles elle devra participer. Cependant, dans la pratique de tous les jours, le RMI ne se traduit pas toujours par une réciprocité équitable.
Au moyen de ces deux exemples, nous constatons donc que les orientations de l'OCDE peuvent être modulées de manière fort différente dans des contextes nationaux donnés, allant du workfare (ÉtatsUnis) à une forme de réciprocité (France).
Après ce rapide survol du contexte présidant à l'implantation de parcours individualisés d'insertion sociale et professionnelle, il nous semble important d'identifier certains enjeux qui doivent faire l'objet de questionnement dans nos organisations et sur la place publique.
D'entrée de jeu, il nous semble primordial, avant même de discuter de la nature et des modalités des parcours, de réaffirmer certains droits sociaux qui sont menacés ou à tout le moins mis en veilleuse. La grande restructuration du marché de l'emploi et la remise en cause du système de protection sociale qui ont cours depuis plus de vingt ans mettent en péril certains droits sociaux acquis et reconnus dans les années de l'après-guerre et de la Révolution tranquille : le droit au travail, le droit à un revenu décent, le droit à l'éducation tout ou long de la vie.
Tout en reconnaissant la nécessité d'offrir des services d'orientation, de formation et de placement aux personnes sans emploi, il ne faut pas tomber dans le piège consistant à faire porter l'entière responsabilité de leur exclusion du marché du travail aux sansemploi. Le développement d'une politique active du marché du travail, assortie de parcours et d'autres mesures d'aide à l'emploi, ne doit pas remplacer une politique de l'emploi et de création d'emplois, où l'ensemble des actrices et des acteurs seront invités à s'impliquer activement. L'emploi est une responsabilité collective.
Depuis la seconde guerre mondiale, le marché du travail s'est profondément modifié. Les formes (travail à temps plein ou partiel, voire sur appel, travail salarié ou autonome, travail permanent, temporaire ou à contrat) et les conditions de travail sont maintenant très diversifiées 49. Cette diversité exige une redéfinition de ce qu'est une insertion professionnelle réussie et questionne la définition de «personne en emploi». L'image encore dominante du statut de travailleuse et de travailleur est celle de l'individu masculin qui travaille à temps plein toute sa vie. Cette image erronée guide encore la conception des systèmes de protection sociale et détermine les instruments qui mesurent l'efficacité des politiques d'aide à l'emploi.
Au cours des dernières années, on a assisté à une redéfinition des principes sous-jacents aux lois de soutien du revenu, tant au niveau fédéral que provincial : l'admissibilité aux prestations de soutien du revenu est de plus en plus restreinte et leur versement est lié à de nouvelles obligations pour les prestataires, tout en gardant des normes qui ne correspondent plus aux diverses situations de travail et de salaire. Ces modifications ont renforcé l'exclusion des sans-emploi et ont remis en question le droit à un revenu décent pour toutes et tous. 50
Les transformations, tant dans l'organisation du travail que dans l'organisation sociale, politique et économique, requièrent le développement de connaissances, d'aptitudes et de compétences nouvelles de la part des citoyennes et des citoyens. Le droit à l'éducation tout au long de la vie constitue plus que jamais une exigence de nos sociétés démocratiques d'aujourd'hui.51
C'est donc à condition de reconnaître ces trois droits fondamentaux (droit au travail, à un revenu décent et à l'éducation) que les parcours individualisés d'insertion sociale et professionnelle peuvent être porteurs de réussite. Cela nous place devant l'immense défi de mettre sur pied ces parcours. A partir de quelques enjeux, voici certaines questions à débattre.
Le parcours se distingue des mesures d'employabilité. Ces mesures avaient pour objectif l'adaptation de la main-d'œuvre au marché du travail alors que les parcours visent à répondre aux besoins des personnes en démarche d'insertion sociale et professionnelle.
Quels seront le rôle et la place des personnes dans la définition de leur parcours? Quels seront les instruments et moyens mis à leur disposition pour faire connaître leurs besoins et participer à l'évaluation des résultats?
Comment s'assurer que les personnes seront bien informées de leurs droits et des services existants permettant d'établir un parcours?
Pour rester «maître-d'œuvre» de leur parcours et être en mesure d'évoluer les services reçus, quels seront concrètement les droits de recours et de révision offerts aux personnes?
On retrouve, à la base de la création des CLE, la volonté de rendre accessibles les mesures et les services à toutes les personnes, assistées sociales, chômeuses ou sans-emploi.
Avec l'obligation faite aux jeunes prestataires de 'aide sociale de dix-huit à vingt-quatre ans, de participer aux parcours, sous peine de pénalité financière, le gouvernement ne traite-t-il pas différemment les bénéficiaires de l'aide sociale?
L'obligation de l'engagement n'aura-t-elle pas pour effet d'engorger artificiellement les services d'aide, d'orientation, de formation, de placement qui, débordés, ne pourront répondre aux besoins des personnes qui sont prêtes volontairement à entreprendre une démarche d'insertion?
La priorité donnée à certaines personnes tels les jeunes, ne se fait-elle pas aux dépens d'autres personnes ayant des besoins tout aussi réels et étant particulièrement discriminées, telles les personnes handicapées?
Les groupes communautaires, les services d'employabilité et de formation, les entreprises seront sollicités afin de réaliser certains des volets nécessaires à des parcours individualisés. Tout en respectant l'autonomie de chacun des partenaires, il faudra établir des pratiques communes.
Comment développer une culture commune de coopération et de travail?
Quels seront les mécanismes de concertation et de transmission des informations entre les différents partenaires associés à un parcours individualisé, en tenant compte de la confidentialité des informations personnelles sur les personnes participantes?
Comment arrivera-t-on à respecter les besoins des personnes en cheminement avec l'organisation des services existants?
Peut-on se donner des outils communs d'analyse des besoins et de diagnostic, de transmission des résultats? Si oui, comment développer ces outils?
Tout au long de la démarche, une professionnelle ou un professionnel accompagnera la personne participante à un parcours; elle aura comme tâche de la soutenir et de faciliter la réalisation des différents volets du parcours.
L'accompagnement sera-t-il principalement effectué par l'agente ou l'agent socio-économique du centre local d'emploi? Si oui, comment redéfinir son rôle? Comment différencier les fonctions d'accompagnement, de suivi administratif et de contrôle?
Si l'accompagnement est effectué par des professionnelles et professionnels d'autres organismes, comment assurer la permanence du soutien pour un parcours qui peut, dons certains cas, s'étaler sur plusieurs années? Quel sera le partage des responsabilités et la marge de manœuvre entre les services gouvernementaux et les organismes accompagnateurs?
Encore faut-il s'entendre sur les résultats attendus. Il faut déterminer des critères de réussite tant pour les parcours d'insertion sociale que professionnelle, répondant aux besoins des personnes.
Quels seront les indicateurs de résultats des parcours? Par qui seront-ils déterminés? Modulera-t-on les critères à partir des profils des personnes inscrites?
Comment différencier l'insertion sociale de l'insertion professionnelle? Comment évaluer qualitativement, de façon différenciée, l'atteinte des objectifs des deux voies de parcours?
Quelle sera la place de la formation dans les parcours? Sera-t-elle définie uniquement par rapport à l'adaptation de la main-d'œuvre au marché du travail? Y aura-t-il un accès réel, pour les prestataires de l'aide sociale, à une formation de base large et qualifiante, valorisante et transférable?
Comment assurer une répartition équitable des efforts, des énergies et des budgets des services entre des parcours pouvant viser des objectifs différents?
L'examen de politiques étrangères concernant les personnes sans emploi permet de jeter un éclairage différent sur notre propre situation et de questionner notre façon de faire. Pour dresser ce portrait, nous nous sommes inspirés du document de Ginette Dussault et Lise Poulin Simon [Recherche sur le concept des services intégrés d'aide à l'emploi) complété de celui de Jacques Defourny, Louis Favreau et JeanLouis Laville {Insertion et nouvelle économie sociale : Un bilan Internationa!) ainsi que des articles de Gérard Boismenu et Pascale Dufour (Nouveaux principes de référence et différenciation des arbitrages politiques : Le cas des politiques à l'égard des sansemploi) et de Patrick Villeneuve [la fin de l'aide sociale telle qu'on la connaît : Réforme de la sécurité du revenu aux États-Unis).
Les programmes allemands sont de type actif, à michemin entre ceux de la Suède et du Canada. De plus, ils privilégient les actions d'insertion professionnelle.1
Chaque collectivité territoriale est dans «l'obligation de créer des occasions d'emploi pour les individus, ce qui accroît la responsabilité publique à l'égard du chômage».2
Les prestations de chômage sont offertes pour un temps limité de douze mois. Après ce délai, une personne opte au travail devient «allocataire»et reçoit une prestation réduite. La personne inapte au travail devient assistée sociale et reçoit une pleine prestation.
Il existe aussi un certain nombre d'incitatifs à l'emploi pour les personnes qui sont affectées par le chômage de longue durée. Par exemple, une prime d'adaptation équivalente à un mois de salaire est remise à l'employeur ou employeuse qui engage une personne sans emploi pour plus de quatre mois.
Divers programmes d'aide aux sans-emploi existent :
Perfectionnement professionnel et recyclage : Programme qui s'adresse à des personnes ayant déjà une formation professionnelle et trois ans d'expériences dans un milieu de travail pertinent. Le programme dure de trois mois à deux ans. Il est offert soit à temps plein ou à temps partiel et est dispensé par des établissements scolaires.
Cours d'initiative à la vie professionnelle destinés aux jeunes : Programme offert pour une période maximale de douze mois. Dans les faits, il s'agit de cours de formation générale et professionnelle offerts en établissement d'enseignement.
Aides à la formation pour les jeunes sans emploi (1825 ans) : Programme offrant des cours de préparation à l'emploi, de formation générale de base, de mesures diverses d'amélioration, de préparation au milieu professionnel pour une période maximale de douze mois en établissement d'enseignement.
La Belgique propose aussi plusieurs programmes et mesures touchant les personnes en difficulté d'emploi.
Une particularité existe en Belgique : il n'y a pas de limite de temps pour recevoir des prestations d'assurance-chômage.
Les programmes sont variés :
Plan plus un : Programme qui a pour objectif d'encourager les travailleuses et travailleurs indépendants à engager une première employée ou un premier employé. Cette employeuse ou cet employeur se verra attribuer une exemption de cotisation salariale pendant deux ans.
Plan plus deux : Le programme précédent est maintenant étendu à deux employées ou employés. Applicable à l'embauche d'une chômeuse ou d'un chômeur, ce programme prévoit pour les entreprises ayant entre trois et cent employées et employés inclusivement, une subvention salariale de l'ordre de 50 % et une réduction de cotisation de sécurité sociale. Le programme est applicable pour une période maximale de deux ans.
Stage des jeunes : Programme qui s'applique aux administrations publiques et aux entreprises de plus de 50 employées ou employés. Ces entreprises peuvent recevoir une indemnité égale à 90 % du salaire pendant au plus douze mois. En échange, elles doivent recruter des stagiaires (moins de trente ans et moins de six mois d'expérience professionnelle} à raison de 3 % de l'effectif total.
Formation professionnelle des adultes : Programme offrant des cours de formation professionnelle en centre de formation, en centre d'enseignement technique ou en entreprise. Le programme est d'une durée de trois à douze mois. Une prime est offerte aux personnes suivant cette formation, de plus une indemnité de déplacement est prévue.
Apprentissage industriel : Programme spécial prévu pour les moins de dix-huit ans où l'employeur ou l'employeuse s'engage à donner une formation pratique, générale et théorique. La personne reçoit une indemnité et des prestations pour une durée maximale de deux ans.
Dans le système politique américain, la responsabilité des programmes sociaux est entre les mains des États, mais le fédéral se réserve le droit d'y participer. Les programmes américains sont très ciblés et nombreux 3 avec des critères d'admissibilité variés.
L'objectif des programmes Family Support Act et JOBS [Job Opportunities and Basic Skill) est de donner aux bénéficiaires les outils pour qu'ils deviennent employables (éducation, entraînement [training), employable). La personne doit obligatoirement participer à un minimum de vingt heures d'activités par semaine. Un remboursement des frais de garde, avec plafond, est prévu. Obligatoires pour les personnes bénéficiant de I'AFDC (Aid to Families with Dependent Children), ces programmes visent plus particulièrement les personnes qui au cours des soixante derniers mois ont bénéficié d'aide du gouvernement, les parents de moins de vingt-quatre ans, les personnes sans diplôme du secondaire, avec peu ou pas d'expérience de travail avec un ou des enfants de moins de deux ans et les personnes non disponibles à l'AFDC à cause de leur âge.
L'AFDC a été modifié depuis l'adoption du Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act. Le nouveau programme, le Temporary Assistance to Needy Families (TANF), remplace l'AFDC, le Emergency Assistance (EA) et le JOBS. Les prestations sont offertes pour une période maximale de cinq ans. Après deux ans d'aide, la personne sera dans 'obligation de travailler ou de participer à des travaux communautaires. Les immigrantes et immigrants légaux n'ayant pas la citoyenneté américaine n'ont plus accès aux Food Stamps ni au Supplemental Security Income. Les parents mineurs se verront obliger de demeurer à la même adresse qu'un adulte majeur. Pour les adultes considérés aptes, une limite sera imposée pour l'obtention des Food Stamps, soit trois mois par tranche de trente-six mois.
En plus de mesures d'aide à la recherche d'emploi, il existe de nombreux programmes de formation professionnelle qui incluent un ou plusieurs des éléments suivants : enseignement de rattrapage, amélioration du niveau de scolarité, alphabétisation, informatique, etc. Ces formations s'appliquent plus particulièrement aux travailleuses et aux travailleurs dont la formation ou la compétence est obsolète, en raison des changements technologiques et de la restructuration de l'économie. Elles n'ont qu'un seul objectif : augmenter l'employabilité de la personne.
Dans le système français, avec l'instauration du RMI (Revenu minimum d'insertion) en 1988, l'État reconnaît à chaque citoyenne et citoyen deux droits : un droit à une allocation et un droit à l'insertion. La collectivité a le devoir de venir en aide aux personnes les plus démunies en mettant en place des possibilités d'insertion. La ou le bénéficiaire, en contrepartie, doit signer un contrat dans lequel il accepte de participer aux mesures. Le droit à l'insertion prime sur l'obligation à l'insertion.
Outre le RMI, programme probablement le plus important, il existe une série d'autres actions mises en place pour aider les sans-emploi :
Stages 16-25 : Ces stages sont offerts aux personnes ayant des difficultés à intégrer le marché du travail.
Ils servent à améliorer la socialisation des jeunes et à assurer la remise à niveau des connaissances de base. Ils constituent une «formation susceptible de conduire à une qualification reconnue à l'emploi».4
Plusieurs programmes ont été regroupés sous la bannière d'Actions d'insertion et de formation (AIF). Le Contrat de qualification est offert aux personnes n'ayant pas ou peu de qualification. Le Contrat d'adaptation et les Stages d'initiation à la vie professionnelle sont offerts aux personnes les plus qualifiées, mais présentant des difficultés à intégrer le marché du travail. Les stages se font en entreprise et sont rémunérés sous le seuil du salaire minimum.
Plan d'embauché pour les jeunes : Programme qui offre aux employeuses et employeurs qui engagent des jeunes, une réduction des contributions aux programmes sociaux, soit 25 % pour les moins de vingtcinq ans, 50 % si la personne fait partie du TUC ( Travaux d'utilité collective) et 100 % s'il s'agit d'une ou d'un jeune en formation ou en apprentissage.
Malgré l'effritement qu'a connu le système suédois, trois normes guident les politiques de ce pays.5 Premièrement, le «système considère que c'est la société en général, plutôt que les ménages, qui doit assurer le bien-être».6 Deuxièmement, l'État reconnaît à l'ensemble de ces citoyennes et citoyens le droit à un revenu décent. Finalement, le droit au travail est au cœur du modèle suédois. De plus, le plein-emploi est en quelque sorte une norme sociétale et non pas une mesure pour enrayer le chômage. Ce qui fait dire à certains que «l'emploi est un de ces droits fondamentaux et que la population bénéficie d'une protection sociale tant qu'elle participe à l'emploi».7
Les politiques suédoises se caractérisent surtout par le fait qu'elles sont actives, c'est-à-dire qu'elles «ont pour finalité l'ajustement structurel de la main-d'œuvre au besoin du marché».8 Selon des chercheurs, «l'architecture globale des mesures actives d'emploi implique le retour direct en emploi par une intervention étatique sur la structure du marché du travail dans l'optique de l'atteinte du plein-emploi».9 Le gouvernement se donne comme obligation de trouver un emploi au bénéficiaire bien qu'il exige la participation des personnes.
Certaines mesures s'appliquent spécifiquement aux moins de vingt-cinq ans. Elles donnent «droit à une place de formation si les services de l'emploi ne leur ont pas trouvé de travail dans un délai de quatre mots».10 Certains programmes sont réservés aux femmes pour les métiers techniques et industriels.
Le programme Rekryteringsstod est une subvention salariale qui s'applique aux entreprises publiques et privées qui engagent des personnes sans emploi depuis plus de six mois (ou de quatre mois pour les moins de vingt-cinq ans). La compensation salariale est de 50 % pour une durée maximale de six mois. Un autre programme est le Ungdomsplatser. Il s'agit de stages d'initiation à la vie professionnelle destinés à combler les insuffisances de la préparation à la vie professionnelle des jeunes de seize et dix-sept ans sortant du système scolaire. D'une durée de six mois, en entreprise privée, communale ou d'intérêt public, la ou le stagiaire y reçoit une indemnité pour sa participation.
Cette courte bibliographie se veut un outil pour les gens qui désirent en savoir davantage sur les enjeux que posent les parcours dans une perspective très large. Elle ne se veut pas exhaustive, au contraire, elle vise à souligner quelques textes que nous jugeons importants.
BOURDIEU, Pierre (sous la direction) (1993). La misère du monde, Paris, éd. du Seuil, 1467 p.
Étude menée surtout en France, sur la situation des pauvres, des personnes exclues, des moins fortunées, etc. Plusieurs récits de vie et témoignages. Exprime une certaine réalité souvent cachée par les médias traditionnels.
CASTEL, Robert (1995). Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, éd. Fayard, 490 p.
L'ouvrage essaie de comprendre le lien qui existe entre le salaire etle travail depuis le I5ème siècle et la notion sous-jacente de contrai entre deux parties.
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉDUCATION (1997). L'insertion sociale et professionnelle : une responsabilité à partager, Conseil supérieur de l'éducation, Québec, 89 p.
Le document est constitué des plus récentes réflexions sur les services éducatifs au Québec. Brosse le portrait des enjeux importants actuellement, selon le Conseil, soit l'insertion sociale et professionnelle.
Droit de cité : Repenser la citoyenneté pour vivre la démocratie, numéro spécial d'Options, automne 1994, numéro 11, publié par la Centrale de l'enseignement du Québec, en collaboration avec l'Institut canadien des adultes, le Centre de formation populaire, la Ligue des droits et libertés et le Centre St-Pierre, 205 p.
Recueils des allocutions présentées au colloque organisé par l'ICÉA ayant comme objet la citoyenneté.
EWALD, François (1986). L'État providence, Paris, éd. Grasset, 608 p.
Ouvrage monumental pour qui veut bien comprendre la genèse de l'État providence. Il propose une conception rigoureuse de l'État providence permettant de se prononcer sur la réalité de sa crise.
GORZ, André (1988). Métamorphoses du travail. Quête du sens : Critique de la raison économique, Paris, éd. Galilée, 303 p.
Le principal objet de cet essai est de déterminer les limites du lien de l'être humain et de l'exercice du travail. L'auteur veut aussi «remettre la raison économique à sa place subalterne, au service d'une société poursuivant l'émancipation et le libre épanouissement des personnes ».
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES (1994). Apprendre à l'âge adulte : État de la situation et nouveaux défis, Montréal, ICÉA, 163 p.
Document qui, en premier lieu, replace le débat de l'éducation des adultes dans son contexte. Ensuite, il décrit les diverses politiques et programmes de formation gouvernementaux. Enfin, il ouvre sur des pistes d'avenir et de lieux différents ou s'exerce aujourd'hui l'éducation.
MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ DU REVENU (1996). Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi : Document de consultation Québec, Ministère de la Sécurité du revenu, 94 p.
Document officiel du gouvernement québécois qui présente sa vision des parcours, prélude à la loi 186.
RIFKIN, Jeremy (1997). La fin du travail, Montréal, éd. Boréal, 350 p. (traduction de The End of Work, New York, Putnam and Sons)
Ce livre traite des conséquences des nouvelles technologies sur l'organisation actuelle du travail. L'informatisation et la robotisation de certaines tâches traditionnellement occupées par des personnes créent le chômage technologique. L'auteur propose de repenser le travail (semaine de travail, contrat social, etc.) et, notamment de favoriser l'économie sociale.
SCHWARTZ, Bertrand (1981). L'insertion professionnelle et sociale des jeunes; Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 146 p.
SCHWARTZ, Bertrand (1994/1997). Moderniser sans exclure, Paris, éd. La Découverte, 251 p.
L'auteur présente une solution originale et novatrice pour contrer l'exclusion du marché du travail. L'approche tient compte des besoins des personnes et surtout les implique dans leur propre développement.
51 Voir Jacques Delors (1996). L'éducation : Un trésor est caché dedans. Rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unième siècle, présidée par Jacques Delors, Paris, éd. Odile Jacob.