Front d'action populaire en réaménagement urbain (janvier 1988)
Le FRAPRU a produit ce document pour permettre à tous les groupes avec lesquels nous sommes en contact de prendre connaissance du programme de supplément au loyer sur le marché privé. Mais il vise surtout à permettre aux groupes de s'outiller pour enquêter localement sur l'application de ce programme.
Nous avons jusqu'ici dénoncé ce programme à partir des exemples qui nous viennent d'Ontario et d'ailleurs ainsi que parce qu'il détourne des prévus pour du vrai logement social. Il est important maintenant de pouvoir ramasser des cas concrets pour démontrer qu'au Québec aussi, ce programme sert à enrichir les propriétaires en fournissant du logement temporaire et de moins bonne qualité.
Vous trouverez donc ci après:
Le programme de supplément au loyer permet aux Offices municipaux d'habitation de louer des logements vacants sur le marché privé pour y loger des ménages inscrits sur les listes d'attente pour un HLM. Ce programme fait partie de l'entente cadre Canada-Québec sur l'habitation sociale. Il est donc considéré par les gouvernements comme étant un programme de logement social.
Le gouvernement québécois jonglait avec l'idée du supplément au loyer sur le marché privé depuis plusieurs années. Déjà en 1984, le Livre vert sur l'habitation publié par le gouvernement péquiste envisageait un tel programme. Mais c'est en mai 1987 que les gouvernements annonçaient un premier projet expérimental de 400 unités. En effet, l'annonce faite à ce moment par les ministres responsables de l'habitation, Stewart Mclnnes au fédéral et André Bourbeau au provincial prévoyait une expérience de 400 unités à un coût de $1 million pour 1987.
Le 24 septembre dernier, le ministre Bourbeau annonçait que 600 unités étaient ajoutées au programme. Avant même que l'«expérience» se concrétise, on passait à un total de 1000 unités. A l'automne, les municipalités effectuèrent les appels d'offre pour les logements. Après un début lent, difficile même à Québec, le programme semble connaître un bon succès. Le 7 janvier 1988, la Ville de Montréal annonçait qu'une centaine de propriétaires avaient offert plus de 500 logements pour les 260 unités de supplément au loyer que la ville s'est fait attribuer.
Rappelons que le 29 janvier 1987, le ministre Bourbeau déclarait que les suppléments au loyer pourraient àmoyen terme remplacer la construction de HLM pour familles. Il est donc important de faire cesser cette «expérience»qui détourne l'argent prévu pour du logement social.
Aylmer |
10 |
Baie-Comeau |
5 |
Charlesbourg |
30 |
Chicoutimi |
35 |
Drummondville |
30 |
Gaspé |
10 |
Granby |
20 |
Hull |
40 |
Jonquière |
35 |
Laval |
50 |
Loretteville |
20 |
Montréal |
260 |
Montréal-Nord |
75 |
Québec |
125 |
Rimouski |
35 |
Rouyn |
10 |
Sept-Iles |
30 |
Saint-Hubert |
10 |
Saint-Hyacinthe |
30 |
Sherbrooke |
10 |
Terrebonne |
10 |
Trois-Rivières |
35 |
Val d'Or |
5 |
Valleyfield |
10 |
Vanier |
10 |
Verdun |
50 |
Le programme de supplément au loyer sera géré par les Offices municipaux d'habitation. Le financement sera assuré de la même façon que les HLM: 62% par le gouvernement fédéral, 28% par le gouvernement provincial et 10% par la municipalité, en 1987. (En 1988, ce sera 59% par le fédéral; 31% par le provincial et 10% par la ville).
Les suppléments au loyer seront attribués à des unités de logement à partir d'appels d'offre des OMH. Les logements sélectionnés devront être de qualité standard à un coût équivalent à la moyenne du marché, tel que déterminé par la SHQ. Si l'OMH ne réussit pas à trouver des logements au prix du marché elle pourra signer des ententes à un prix supérieur. Un maximum de 25% des logements d'un immeuble pourront être désignés pour recevoir des suppléments au loyer.
L'OMH versera au propriétaire une subvention couvrant la différence entre le loyer payépar le locataire et le montant du loyer tel que fixé dans l'entente entre l'OMH et le propriétaire. Dans le cas où ce loyer sera supérieur au loyer du marché, le locataire sera appelé à combler une partie de cette différence.
Les ententes entre l'OMH et les propriétaires seront d'une durée de 5 ans et renouvelables avec l'accord des deux parties jusqu'à une durée maximale de 35 ans. Si après 5 ans, le propriétaire veut mettre un terme à l'entente, il pourra le faire. Les locataires auront alors le droit de demeurer dans leur logement et les propriétaires continueront à recevoir le supplément au loyer tant que les locataires occuperont le dit logement. Si l'OMH veut mettre un terme à une entente avec un propriétaire en cours de contrat de 5 ans, il pourra le faire moyennant un avis de 6 mois au propriétaire.
La sélection des locataires se fera par les OMH selon les mêmes règles que pour les HLM. Les locataires devront être admissibles au HLM et être inscrits sur la liste d'attente.
Le loyer est le même que dans les HLM, c'est-à-dire 25% du revenu du ménage.
Dans les cas où un OMH ne réussira pas à trouver des logements au prix du marché, les locataires qui occuperont de tels logements assumeront la différence jusqu'à un maximum de 30% de leur revenu.
Les logements sélectionnés par les OMH devront faire l'objet d'une inspection avant la signature de l'entente avec les propriétaires. Les logements désignés pour le supplément au loyer devront être livrés dans un état conforme au code civil (au code du logement municipal quand il y en a). Les OMH seront également responsables de voir à ce que les logements soient maintenus dans un bon état.
Les locataires seront liés par un bail avec le propriétaire et les mêmes clauses que pour un HLM s'appliqueront. Le montant du loyer sera fixé par l'OMH.
Pour l'entretien de leur logement, les locataires devront s'adresser au propriétaire. Si celui-ci n'effectue pas les réparations nécessaires, les locataires pourront s'adresser à l'OMH qui devra alors s'assurer que le propriétaire effectue les réparations.
Les unités de supplément au loyer seront accordés pour des logements, donc à des propriétaires. Le prix moyen du loyer du marché, tel que défini par la SHQ risque d'être la règle à partir de laquelle OMH et propriétaires signeront des ententes. Les gouvernements paieront donc très cher pour des logements temporaires.
Le gros argument des gouvernements est en effet que le supplément au loyer permet de loger plus de locataires à moindre coût. «Les HLM nous coûtent $500 par mois. La formule de location avec supplément au loyer coûtera entre $200 et $250 par mois au gouvernement»? déclarait André Bourbeau. 1 En affirmant cela, le gouvernement fait un calcul malhonnête et à très court terme, car il oublie que le coût de construction d'un HLM s'amortit au fil des années, de sorte qu'un HLM construit"en 1973 est désormais presque entièrement payé et que son déficit d'exploitation est complètement couvert par le loyer payé par les locataires. C'est d'ailleurs ce qu'avoue l'Association des offices municipaux d'habitation dans une étude sur les coûts du logement public 2:
Autrement dit ce que l'état avance maintenant pour défrayer le coût de ce logement, elle le récupérera plus tard au moment où le loyer payé par le locataire dépassera les coûts reliés à ce logement. Il importe donc d'analyser ces déficits d'exploitation en fonction de la vie utile du logement et non dans le court terme.
Dans les cas où les OMH signeront des ententes avec des propriétaires avec des loyers supérieurs au prix du marché, ce seront les locataires qui paieront la différence jusqu'à un maximum de 30%. Ce qui constitue un précédent dangereux pour les programmes de logements sociaux. De plus, quand les revenus du ménage locataire dépasseront le seuil d'admissibilité au HLM, celui-ci devra payer le plein loyer du marché, ce qui équivaudra à des évictions.
Les logements loués par les OMH seront possiblement de moins bonne qualité. Ils n'auront pas été construits avec les critères de logement public. Ce seront des logements qui étaient vacants; ceux-ci sont souvent des logements de moins bonne qualité, en mauvais état, mal situés, loin des services. Les locataires n'auront pas accès à des services comme des salles communautaires et des buanderies comme dans les HLM.
Théoriquement, les logements devront être en bon état, tant au moment de l'entrée des locataires que durant les 5 années. Mais déjà, à Montréal-Nord et à Québec, nous avons des cas où les requérant-e-s de HLM ont refusé les logements que l'OMH leur offrait sur le marché privé parce que ceux-ci étaient dans un état pitoyable. De plus, le programme de supplément au loyer prévoit que les OMH devront s'assurer que les logements seront entretenus par les propriétaires, mais rien de précis n'est prévu. A quelle fréquence les logements seront-ils inspectés?
C'est le taux d'inoccupation des logements vacants sur le marché privé qui amènera les propriétaires à s'intéresser au programme de supplément au loyer. Lorsque le taux de vacance deviendra plus bas, les propriétaires pourront assez facilement se débarrasser de leurs locataires subventionnés pour remettre leur logement en location à un loyer élevé sur le libre marché. Pour ce faire, ils pourront ne pas respecter l'entente avec l'OMH et ainsi forcer celle-ci à résilier l'entente, le locataire se retrouvant ainsi évincé. Ou encore les propriétaires pourront au bout de l'entente de 5 ans décider de ne pas renouveler celle-ci. Mais l'entente continuera à s'appliquer aussi longtemps que le locataire demeurera dans le logement pour un maximum de 3 5 ans. Connaissant l'expertise des propriétaires pour évincer des locataires, il y a fort à parier qu'ils trouveront moyen de se débarrasser de leurs locataires pour pouvoir louer de nouveau à qui ils veulent et à un fort prix.
Ces affirmations nous les tirons de l'expérience des suppléments au loyer en Ontario. Le nombre de suppléments au loyer a chuté de 10 816 à 9 059 pour une perte de 1757 logements entre 1978 et 1980. Quand le ministre Bourbeau affirme que les suppléments au loyer permettent de loger plus de monde, il aurait peut-être avantage à regarder dans sa province voisine les résultats d'un programme identique.
Les expériences de supplément au loyer en Ontario ont démontré certains problèmes dans l'intégration des locataires àl'intérieur de l'immeuble. Pour éviter ce problème, le programme prévoit qu'un maximum de 25% des logements d'un immeuble pourront recevoir un supplément au loyer. De plus, officiellement, les locataires ne seront pas identifiés comme subventionnés. Mais il est loin d'être évident que ces mesures éviteront tous les problèmes.
Les expériences des autres provinces le démontrent, et un comité du gouvernement ontarien le concluait même, « Le complément au loyer représente la façon la moins souhaitable de fournir des logements aux personnes à faible revenu.» 3 Si le gouvernement du Québec va aujourd'hui de l'avant avec un tel programme c'est bien sûr pour aider les propriétaires qui sont au prise dans bien des villes avec un taux élevé de logements inoccupés. Mais c'est aussi parce qu'en même temps qu'il met en place le supplément au loyer privé, il assassine le logement social, à peine 2 000 HLM se réalisent par année et seulement 800 unités de logement coop. Le programme de supplément au loyer est donc une mesure temporaire qui donne l'illusion qu'autant de logements sociaux se réalisent, mais avec le retrait probable de certains propriétaires du programme au bout de 5 ans, on se retrouvera avec une diminution du nombre de logements subventionnés.
1 Journal de Montréal, 29 janvier 1987
2 L'Association des Offices municipaux d'habitation du Québec et le Laboratoire de recherche en Sciences immobilières de l'UQAM,Les coûts du logement public, février 1986
3 Rapport sur la Société d'habitation de l'Ontario et les commissions locales de logement» Comité permanent sur l'administration de la justice, 1981, Toronto, p.4.