Légende: (E) = English (F) = Français (E/F) = Bilingue Pour la France, je me suis fiée à l'évaluation donnée par Chantai Bertrand-Jennings62 et à celle donnée parfois par les journaux eux-mêmes. En fait, aucune de ces publications n'a été contrôlée par l'O.J.D. (Office des journaux et de la diffusion), ce qui explique que quelquefois je n'ai pas pu disposer de chiffre. Pour le Canada et le Québec, la situation est encore pire. Ni The Canadian Periodical Publisher's Association, ni l'Alternative Press Index (équivalent de l'Annuaire de la presse et de la publicité française), où ces revues ont pu être répertoriées, ne donnent de tirage. Ces chiffres, obtenus parfois par des contacts personnels ou par téléphone doivent donc être relativisés. Mais cela fait aussi partie de leur refus de classification et de codage, de cette mouvance si chèrement revendiquée. Des journaux par et pour des femmesPour ce qui est de leur spécificité, on retrouve, aussi bien pour la France que pour le Québec, les trois rangées de la trirème évoquée en introduction. La presse féministe canadienne n'échappe pas au navire, mais son étude comme telle demanderait un autre livre, je m'y référerais seulement de temps en temps. C'est sans aucun doute la première rangée de la trirème, la presse d'expression féministe, qui occupe la place la plus importante: F: 118 publications; Q: 45 et C: 188. Je l'ai décomposée en trois autres rangées de rames : tout d'abord les publications qui parlent des actions et des initiatives de femmes, en liaison avec le mouvement de libération des femmes. Elles oscillent entre le journal, le bulletin, la revue ou le magazine. Pour la France, on retrouve évidemment les trois grandes tendances du M.L.F., mais aussi des publications dont la spécificité se définit autrement: liaison entre les différents groupes de femmes {Le Temps des femmes), femmes latinoaméricaines (Nosotras), femmes prostituées {L'écho du macadam), l'Association contre les violences faites aux femmes au travail {Bulletin de l'A.V.F.T.) et des revues plus littéraires comme Sorcières ou thématiques comme Les Cahiers du GRIF (au départ cette revue était publiée à Bruxelles mais a eu une certaine influence en France. Depuis 1985, elle est publiée par les Éditions Tierce à Paris). Pour le Québec, il y a bien sûr la différence entre le féminisme radical {Les Têtes de Pioche) et le féminisme réformiste {R.A.I.F.), mais aussi la liaison entre les groupes autonomes de femmes {Pluri-Elles ou Communiqu'Elles), des associations de femmes féminines/féministes {Femmes d'ici ou Le féminisme en revue) et des revues littéraires comme Arcade. Ensuite viennent celles qui sont le reflet d'associations et de centres spécifiques, en relation avec les revendications des femmes, comme L'Une à l'Autre (Q, Mouvement Naissance-Renaissance), UniversElles (Q; Solidarité internationale, le 5e monde), les publications du MLAC et du MFPF (F), Choisir (F, groupe animé par Gisèle Halimi), Paris-féministe (F, Maison des femmes de Paris). Interviennent aussi les publications qui couvrent un champ spécifique d'information et de réflexion, comme L'Autre Parole (Q, féministes et chrétiennes) et Esclavage (F, document social sur la traite des femmes et des enfants). Enfin, la troisième rame de cette presse d'expression féministe est formée par les revues lesbiennes, y compris celles qui parlent de l'homosexualité en général comme Masques (F), bien que parfois certaines refusent le label féministe comme Vlasta (F) et Treize (Q). La deuxième rangée de la trirème, qui, en importance pour la France, suit la première (F: 14; Q: 1 et C: 26), constitue ce que j'avais désigné comme la presse du féminisme institutionnel. II s'agit d'abord des bulletins et revues des deux ministères français et québécois relatifs à la condition féminine. En France, son évolution est particulièrement significative: de juillet 1974 à août 1976, il s'agit d'un Secrétariat d'État auprès du premier ministre, chargé de la condition féminine (Françoise Giroud); de septembre 1976 à juin 1978, de la Délégation à la condition féminine auprès du premier ministre (Nicole Pasquier jusqu'en février 1978, puis Jacqueline Nonon); de septembre 1978 au début 1981, du Ministère délégué auprès du premier ministre, chargé de la condition féminine et de la famille (Monique Pelletier); de mai 1981 à mars 1986, du ministère des Droits de la femme, délégué auprès du premier ministre (Yvette Roudy); d'avril 1986 à avril 1988, de la Délégation à la condition féminine auprès du ministère des Affaires sociales (Hélène Gisserot); d'avril 1988 à 1989, du Secrétariat d'État, chargé des droits de la femme (Michelle André). Au Québec, la situation est beaucoup plus simple, il y a le Conseil consultatif sur le statut de la femme (actuellement Diane Lemieux) et le ministère délégué à la Condition féminine (actuellement Louise Harel), qui un temps fut Ministère d'État, chargé de la condition féminine (Lise Payette). On trouve ici les deux grandes publications: Citoyennes à part entière (F) et La Gazette des femmes (Q). Sont aussi intégrées dans cette rangée les publications issues de femmes syndicalistes ou dissidentes d'un parti politique, comme Elles voient rouge (F), même si ces dernières ne disposent pas de moyens aussi importants que celles issues des ministères. La troisième rangée de la trirème comporte la presse de réflexion féministe, c'est-à-dire des revues plus universitaires apportant une réflexion idéologique et théorique sur le mouvement de libération des femmes, leurs oppressions, etc., (F: 10; Q: 3; C: 8). Pour le Québec, il s'agit de la deuxième rangée en importance de la trirème. Citons par exemple Pénélope (F), qui se voulait un organe de liaison entre universitaires s'intéressant à l'histoire et à la condition des femmes); Questions féministes, puis Nouvelles Questions féministes (F); La Revue d'en Face (F); Le GIERF-Info (Q) et Recherches féministes (Q). On peut à ce titre intégrer plusieurs revues canadiennes qui ont une certaine influence au Québec: Atlantis; Canadian Journal of Women and the Law/Revue juridique la femme et le droit; Canadian Woman Studies/Les Cahiers de la femme; Documentation sur la Recherche Féministes/Resources for Feminist Research. Voici donc à quoi ressemblent les presses féministes en France et au Canada. Elles se positionnent différemment des autres médias majoritaires dans le champ de la presse. Mais de quoi parlent-elles? Comment en parlent-elles? C'est qu'on va découvrir dans le prochain chapitre.
4. Le discours subversif des féministesRentrons maintenant un peu plus dans l'intimité de ces presses féministes françaises et québécoises. Comme je l'ai précisé en introduction, les différents niveaux d'analyse proposés pour saisir la portée et la fonction politique et critique de ces journaux et revues ne peuvent pas se mettre en place pour l'ensemble de la rétrospective historique. J'ai préféré étudier six publications correspondant à la presse d'expression féministe et couvrant une période importante pour les femmes: la décennie des femmes (19751985). Pour la France, je devais garder l'inévitable «tendancisation» du M.L.F. J'ai donc pris trois revues qui me semblaient être pertinentes de ce point de vue. J'aurais pu seulement analyser le mensuel Des Femmes en Mouvements, dont l'hebdomadaire Des Femmes en mouvements Hebdo est la suite, mais la période d'étude n'aurait pas été assez couverte, puisque cette «mensuelle», FM, s'est éteinte en janvier 1979. Pour le Québec, j'ai voulu favoriser une certaine évolution du féminisme québécois dans le temps, même si j'ai rejeté le féminisme réformiste, dont le R.A.I.F. semblait être le représentant. Il est à noter que ce n'est pas l'ensemble de la presse d'expression féministe qui est couverte par le choix de ces publications, puisque j'ai évincé la presse d'expression féministe liée à des associations ou des centres de femmes spécifiques, et celle couvrant un champ spécifique d'information et de réflexion. Mais ce corpus représente un échantillon important de journaux (pour la France: 132 numéros et pour le Québec: 88 numéros) sur une période de temps assez longue (1974-1987). Il s'agit de tous les numéros de ces six journaux, du début à la fin de leur diffusion. Puisque la parole des femmes a été longtemps décriée par les médias en général, laissons-leur donc le soin de dire elles-mêmes ce qu'elles voulaient faire avec leurs journaux féministes. Voici donc les caractéristiques63 et les intentions des six journaux choisis:
Les Pétroleuses appartiennent à la tendance «luttes de classe» et sortiront de façon irrégulière de 1974 à décembre 1976 (8 numéros). Pour ce journal64, il s'agit de «commencer à lutter ensemble pour construire un autre monde où nous existerons. (...)Le but de ce journal: faire connaître, répercuter la lutte quotidienne des femmes contre leur oppression et contribuer à construire un grand Mouvement des Femmes qui se battent pour leur libération.»
Histoires d'Elles se veut un mensuel «politique et imaginaire», qui durera le temps de 23 numéros, de mars 1977 à avril 1980. Ce journal appartiendrait à la tendance définie comme «les luttes féministes ». Elles65 constatent que «nulle part dans la presse nous n'avons l'initiative. Histoires d'Elles est né d'une volonté de construire un lieu où les femmes puissent faire entendre une parole autonome. (...)Nous avons à créer une autre actualité, qui nous soit propre, à partir des histoires individuelles et collectives des femmes. Des histoires qui sont toutes des morceaux d'une lutte unique de subversion de l'ordre patriarcal. (...)Mais toutes ces histoires éparpillées ne prennent leur véritable sens et toute leur force qu'en apparaissant dans leur addition et leur unité essentielle. Nous voudrions que ce journal serve à cette addition.»
Des femmes en Mouvements Hebdo (FMH) est l'hebdomadaire de la tendance «psychanalyse et politique», communément appelée «Psychépo» et il paraîtra de novembre 1979 à l'été 1982 (101 numéros). Ce magazine66 veut créer un «lieu pour s'informer sans les vitres et les filtres de tous les ismes. Un Hebdo geste pour arracher nos corps à l'emprise patriarcale, notre information aux professionnels de la falsification journalistique, l'écriture aux professionnels de la plume, l'inconscient aux professionnels du fauteuil, le pouvoir-faire aux professionnels de l'émancipationintégration. Un hebdo guérilla, un hebdo résistance pour repérer l'ennemi principal et sa cohorte d'ennemis secondaires et pour établir de justes alliances, etc..»
Les Têtes de Pioche se définissait comme le journal des féministes radicales et paraîtra mensuellement de mars 1976 à juin 1979 (23 numéros). Elles67 se veulent un journal «pour parler des actions de femmes, de leurs regroupements. Nous avons besoin d'un journal pour parler de nos démarches, longues et pénibles. (...)Nous ne voulons pas produire pour produire, mais partir de notre vécu quotidien et des questions et sujets qui nous touchent profondément. Nous ne voulions pas ignorer notre besoin d'être bien entre femmes. Nous ne voulions pas ignorer encore une fois notre subjectivité, mais l'intégrer à notre action, à notre langage. »
Des Luttes et des Rires de Femmes (LRF) représentent plus ou moins les groupes de femmes autonomes (MAF) et sortira irrégulièrement le temps de 15 numéros (d'octobre/novembre 1978 à juin/juillet/août 1981). Ce journal68 désire poser «un regard sur nous et sur les autres, action/réaction/interaction, remises en question personnelles et collectives, tribune à inquiétudes, échanges d'incertitudes, outil de lutte et de recherche, collection d'interrogations, baromètre à frictions, balance à certitude. (...)À l'origine Des Luttes et des Rires se voulait un bulletin des Groupes Autonomes de Femmes. De fil en aiguille, le bulletin est devenu une TRIBUNE D'ÉCHANGE ET DE LIAISON DES FEMMES. »
La Vie en Rose se définissait comme le magazine féministe d'actualité. De mars 1980 à novembre 1980, ce journal sera inséré dans Le Temps fou (4 numéros), puis de mars/avril/mai 1981 à juillet/août 1984, il sera d'abord trimestriel et ensuite bimestriel, et enfin, de septembre 1984 à mai 1987, il sera mensuel. En tout il y aura 50 numéros. La Vie en Rose69, qui se considère comme «un projet dérisoire, un misérable 24 pages dans une revue qui tire à 6 000 exemplaires et rejoint à peu près un millième de la population du Québec. (...)Nous tâcherons de faire, à contre-courant dans un monde où les communications sont de plus en plus centralisées et uniformisées, une presse subjective, une presse d'opinion. Nous ne prétendons pas cerner la réalité ou lui faire suivre une ligne; nous nous contenterons de regarder et de commenter le monde qui nous entoure sans chercher refuge derrière les paravents sacrés de l'objectivité et de la représentativité ». A) De quoi parlent-elles?En quoi les presses féministes françaises et québécoises sont-elles différentes de la presse féminine? Comment se démarquent-elles des autres médias? Bref, comment se rendent-elles visibles aux lectrices et comment leurs contenus en font-ils des presses d'opinion? Pour apporter une réponse à ces questions, j'ai établi une fiche pour chaque numéro de publication privilégiée et confronté l'ensemble des thèmes abordés par chacune, afin de présenter une grille d'analyse qui puisse s'appliquer aux publications aussi bien françaises que québécoises. Avant de voir comment ces publications féministes informent les femmes, j'aimerai formuler quelques remarques, qui permettent de rendre compte de la richesse de ces journaux et des biais que j'ai rencontrés pour faire cette analyse thématique. Tout d'abord, il y a deux types de publications. Des journaux de format plus ou moins tabloïd: Les Pétroleuses, Histoires d'Elles (sera plié en deux à partir du numéro 7), Les Têtes de Pioche; des revues ou magazines: Des Luttes et des Rires de Femmes, La Vie en Rose, Des Femmes en Mouvements Hebdo. À part les Pétroleuses qui utiliseront comme logo le symbole des femmes avec le slogan (elles ont fait de leur jupon un drapeau rouge), les deux autres publications françaises n'auront que leur titre pour se démarquer. Par contre les publications québécoises auront chacune une mention particulière: Journal des femmes pour Les Têtes de Pioche; Bulletin de liaison des groupes autonomes de femmes qui deviendra Tribune d'échange et de liaison des femmes pour Des Luttes et des Rires de Femmes; Le magazine féministe d'actualité à partir du numéro 10 pour La Vie en Rose. Comme ces publications n'ont pas la même périodicité, la fréquence des thèmes abordés doit donc être modulée, surtout pour Des Femmes en Mouvements Hebdo. Un premier problème à résoudre est qu'il n'existe pas comme dans la presse traditionnelle d'en-têtes de rubriques. Ici, point de «vie économique», «société» ou «arts et spectacles». Au contraire, la mise en forme de l'information que dans le jargon journalistique on appelle la mise en page est aussi éclatée et mouvante que les structures de ces publications. Le plus souvent, ce sont les titres des articles qui serviront de rubriques comme telles. Bien sûr, il existe des rubriques comme «le féminaire», sorte d'agenda politico-culturel de FMH, ou «journal intime et politique» qui servira de chronologie des événements vus par une femme dans Histoires d'Elles, mais qui pour La Vie en Rose sera la page réservée à la fiction, aux poèmes, à la création. On notera que plus la publication sera structurée à la manière d'un média «traditionnel», plus le découpage en rubriques sera évident, même si l'intitulé exige de lire l'article pour en définir le contenu. Ce sera surtout le cas pour La Vie en Rose et FMH. Il est à ce point-ci intéressant de noter que FMH a une manière très particulière de mettre en page ses informations. Elle distribue des étiquettes «à proximité» à ce qui lui ressemble, à un ensemble de luttes, solidarités, mouvements qui vont dans le sens du courant Psychanalyse et politique. Par contre la rubrique «de l'étranger» constitue ce contre quoi elle s'érige, c'est-à-dire les autres tendances du M.L.F. et non pas forcément des articles relevant de situations de femmes de l'étranger. On retrouve dans cette dernière rubrique de manière générale tout ce qui a trait au pouvoir institutionnel (gouvernement, parlement, ce qu'elle appelle les associations «droitières», etc.). On verra d'ailleurs que ce découpage correspond à l'appropriation du mouvement des femmes à son seul courant de pensée. Autre exemple qui montre à quel point ces publications refusent la classification et le découpage classiques des autres médias, c'est l'absence d'éditorial comme rubrique pour ces journaux, à l'exception des Têtes de Pioche (17 sur 23 numéros) et de La Vie en Rose (un pour chaque numéro). Comme on le sait, les éditoriaux ont une fonction très particulière pour un journal, ils servent en général de ligne directrice du journal et d'auto-information pour les journalistes qui doivent tenir compte de cet encadrement de la pensée. Cela ne veut pas dire que les autres publications n'écrivent pas d'éditoriaux, mais elles ne les répertorient pas comme tels. Pour Des Luttes et des Rires de Femmes, cette forme d'éditorial est située dans la rubrique «dans ce numéro», qui présente le numéro et prend des positions sur le dossier privilégié; pour Les Pétroleuses, il s'agira de diverses brèves selon les sujets; pour Histoires d'Elles, d'un article plus long sur le journal ou le thème, ainsi que pour FMH qui souvent l'intitulera «chronique de ...»
La cuisine aigre-douce des féministesJ'ai donc retenu une quinzaine de thèmes (voir tableau de la page suivante), qui bien sûr ne sont pas toujours aussi marqués que leurs intitulés et qui souvent se recoupent. Je me suis efforcée de retenir le thème principal de l'article pour le classement. Ici pas de recettes de cuisine, de modes d'emploi pour des produits de beauté, de psychologie pour assurer sa vie de couple ou pour trouver un mari, de mode pour séduire et plaire à nos alter ego, etc. Au contraire, l'ensemble de ces publications féministes parlent des droits physiques, moraux, politiques, sociaux et culturels des femmes. On y analyse la condition des femmes à l'intérieur de chaque société et ailleurs dans le monde. On met en lumière les actions de certaines femmes pour transformer la structure patriarcale des sociétés. On situe le mouvement de libération des femmes dans son contexte historique, social et philosophique. On donne des analyses et des interprétations de l'aliénation et de l'oppression des femmes sur le plan professionnel, affectif et économique. On parle d'avortement, de contraception, de procès contre le viol, de la maternité, des relations entre les femmes et les hommes. Bref, on utilise la presse comme un moyen entre autres de combattre l'oppression des femmes et de divulguer des idées féministes. Ce qui fait la force et la richesse de ces presses féministes, ce sont à la fois leurs dossiers (ensemble de reportages, témoignages, entrevues, brèves, critiques, etc.) et la manière dont elles les abordent. Les Pétroleuses vont s'attacher à développer le thème du travail, en y englobant le travail domestique ou ménager des femmes, ce qui fut d'ailleurs le premier dossier de La Vie en Rose autonome (mars-avrilmai 1981). Un peu plus tard, ce magazine féministe se risque dans un dossier sur l'érotisme (n° 28), tandis que Des Luttes et des Rires de Femmes abordent également le thème de la sexualité dans un dossier (vol. 2, n° 5) et celui de la famille (vol. 4, n° 3). Du côté des Têtes de Pioche, on retrouve trois dossiers sur le mouvement de libération des femmes (n°s 1, 3, vol. 2, n° 2) et un dossier sur la médecine et l'autosanté (vol. 3, n° 3); Histoires d'Elles consacre quatre dossiers au politique (élections municipales, n° 0, Mai 68, n° 6, la nouvelle droite, n° 18 et la guerre et le pacifisme des femmes, n° 20), mais c'est surtout l'international, tout comme FMH (29 dossiers), qui les intéresse (5 dossiers dont deux sur les femmes iraniennes). Histoires d'Elles propose également un ensemble de reportages sur la violence et le terrorisme en Allemagne (n° 2) et La Vie en Rose un dossier sur le terrorisme: des sorcières comme les autres (n° 30).
Source: Tableau établi à partir de ma recherche. Le premier chiffre indique le rang qu'occupe le thème pour l'ensemble des numéros de la publication considérée. Le chiffre entre parenthèses indique le nombre d'articles qui traitent du thème considéré.
Le problème des autres médias, encore et toujoursOn peut remarquer que le thème médias l'emporte sur tous les autres thèmes, sauf pour Les Pétroleuses, ce qui n'est guère étonnant, puisque ce journal place au centre de son combat l'exploitation des femmes dans le travail à l'extérieur et au foyer. Il reste tout de même en quatrième position. Pour La Vie en Rose (3ième rang), il faut relativiser la place accordée à la publicité commerciale (1er rang), car j'ai relevé à chaque fois une publicité, même si elle n'occupait qu'un huitième ou un seizième de place dans la mise en page. C'est pourquoi ce chiffre est anormalement gonflé. Les féministes ne seraient-elles que «ces bavardes , dont les paroles s'envolent aussitôt prononcées et qui, chaque fois, reprennent à zéro (à l'année zéro comme Partisans,) les mêmes colères, les mêmes révoltes, les mêmes mouvements et peutêtre les mêmes journaux?»70 Ou peut-on y voir la confirmation du difficile et douloureux rapport des presses féministes avec les autres médias? En fait, dans ce thème, ce que j'ai appelé l'auto-publicité, c'est-à-dire les brèves relatives à l'organisation comme telle (sommaire + ours71), appels aux collaboratrices, annonces pour les prochains dossiers et autres informations sur le journal, son fonctionnement, ses finances, etc., occupe une place privilégiée dans ces journaux. Ceci est surtout vrai pour FMH qui profitera de son espace pour parler des éditions des femmes qu'elles ont créées et de toutes les initiatives directement liées au M.L.F. «déposé». Mais ce n'est rien face au courrier des lectrices: sur un ensemble de 239 lettres concernant seulement ce thème, on retrouve 221 lettres de louanges pour cette publication contre 8 seulement qui oseront exprimer une légère critique. Il est d'ailleurs tout à fait significatif de voir que FMH parle beaucoup des autres médias français mais ne souffle mot des autres journaux féministes français, symptôme de la stratégie qu'adopte ce journal. Pourtant Histoires d'Elles fonctionne à l'inverse, car parler des autres journaux féministes passe même avant le fait de parler d'elle-même (dossier, n° 14), tout comme Des Luttes et des Rires de Femmes ( dossier, vol. 3, n° 1) et La Vie en Rose (dossier, n° 36). Une autre constante que l'on retrouve aussi bien en France qu'au Québec reste l'appel pour les souscriptions et les campagnes d'abonnement, une des caractéristiques de la presse militante et alternative en général.72 Autres thèmes qui semblent être privilégiés par ces publications, ce sont ceux que j'ai intitulés M.L.F. et culture. Le mouvement de libération des femmes et le féminisme correspondent sans aucun doute à leur vocation première, puisqu'il s'agit de parler des actions et initiatives de femmes. Là encore FMH se démarque des autres, puisqu'elle rend compte surtout de ce que les femmes de leur M.L.F. «déposé» font et elle en appelle beaucoup à la solidarité de toutes, aussi bien pour défendre les droits ou la vie de Jiang Quing que pour se révolter contre un attentat commis contre ... les éditions des Femmes. Par contre, Histoires d'Elles, Les Pétroleuses, Les Têtes de Pioche et Des Luttes et des Rires de femmes montrent toutes les facettes du mouvement dans son ensemble. Les témoignages de féministes sont surtout à remarquer dans La Vie en Rose, notamment des interviews de Kate Millet, Benoîte Groult, Simone De Beauvoir, Lise Payette, Pauline Marois, etc., même si ce thème arrive en quatrième position. Ce que j'ai appelé théorie correspond à la fois aux théories développées sur le féminisme et à celles qui sont en rapport avec cette conception du monde. Par exemple, ces journaux traitent de la religion, du pacifisme, du socialisme, avec comme ligne directrice le féminisme. La culture est à prendre au sens large et ce sera le deuxième en importance pour La Vie en Rose. Il s'agit en fait des initiatives de femmes qui seront relatées et critiquées dans le domaine du cinéma, de la danse, de la littérature, des arts visuels, de la musique, etc., d'un point de vue national et international, mais aussi des questionnements vis-à-vis des stéréotypes véhiculés dans ces domaines. Notons par exemple pour cette publication des reportages sur l'humour féministe (n° 4, dans Le Temps fou), les romans policiers (n° 10), ou la bande dessinée (n°s 22 et 23). Notons que Les Têtes de Pioche consacrent un dossier aux Éditions du Remue-Ménage et à la pièce de théâtre «Môman travaille pas, a trop d'ouvrage». Faut-il souligner que FMH parle d'abord et avant tout des initiatives de femmes qui lui sont proches? Les expositions faites à la galerie des femmes, appartenant à la librairie des femmes, sorte de succursale du journal, sont largement décrites et peu critiquées. De plus, dans leur agenda, les titres-litanies comme «elles dansent, elles lisent, elles écoutent, elles voient, elles chantent, elles éditent, elles exposent, elles écrivent, etc.», ne font que renforcer ce penchant pour l'autosatisfaction. Comme le note Liliane Kandel:73 «Ces deux magazines proposent aux femmes une image d'ellesmêmes homogène, rassurante et sans contradiction, même si les contenus ont changé par rapport à la presse traditionnelle, le processus identificatoire continue d'opérer, produisant de gré ou de force à travers les pages le schéma d'une néo-féminité rassurante... Le triomphalisme, discret à F et tonitruant à FM, est sans doute le trait le plus caractéristique de ces deux magazines. Les luttes sont toujours glorieuses et il n'y a pas de place non plus pour l'interrogation, le questionnement, la critique.»
L'international est un thème que les presses féministes françaises vont particulièrement avantager, puisqu'il intervient en deuxième position pour nos trois publications françaises. Les articles consacrés à ce domaine concernent avant tout la condition des femmes dans les pays étrangers, en suivant la loi de la proximité, propre à tout média. On y parlera d'abord des Europes, de l'Est et de l'Ouest, ensuite viendra pour FMH l'Amérique latine, en particulier la situation des Chiliennes, Salvadoriennes, Boliviennes, etc., puis les pays arabes et Israël. On y parle beaucoup de la révolution iranienne de 1979, mais aussi des Palestiniennes, des Algériennes, des Kurdes, etc. Quant à La Vie en Rose (7ième position), il est intéressant de noter que l'Europe, l'Asie, l'Amérique latine passent avant les U.S.A. Le ou la politique intéresse également beaucoup ces publications, aussi bien en France qu'au Québec. Les Pétroleuses, Les Têtes de Pioche et La Vie en Rose privilégient davantage la politique institutionnelle, celle qui fait référence aux partis, aux mouvements politiques, aux élections, au gouvernement, etc., tandis que Histoires d'Elles et Des Luttes et des Rires de Femmes vont parler prioritairement de la condition des femmes d'un point de vue politique, c'est-à-dire de l'ensemble des mesures et des lois en faveur des femmes. La justice fait ici référence aux procès et aux problèmes liés aux prisons, et les mouvements politiques intègrent les manifestations politiques contre le nucléaire, l'armée, le racisme, etc. De même pour le monde du travail, l'ensemble de ces publications s'intéresse davantage au travail domestique et aux conditions de travail, notamment les formes de discrimination, faites aux femmes.
Hygiène du corps et de l'espritL'angle d'approche du thème de la santé est tout à fait différent de celui de la presse féminine en général. Il ne s'agit pas de donner ici des recettes contre l'obésité, la cellulite ou pour une bonne chirurgie esthétique. Au contraire, ces publications vont parler des problèmes d'hygiène du corps. Des Luttes et des Rires de Femmes vont consacrer un dossier aux menstruations (vol. 4, n° 4), La Vie en Rose un dossier aux MTS (Maladies sexuellement transmises), n° 40, un autre au cancer (n° 35). En général, lorsque ces publications abordent le thème de la médecine, c'est surtout dans le rapport des femmes aux médecins et aux professions médicales. Cela n'a bien sûr rien à voir avec les conseils de tel ou tel expert sur un problème médical, comme c'est souvent le cas dans la presse féminine. Enfin, le rôle des sagesfemmes tient une place relativement importante, puisqu'aussi bien en France qu'au Québec, leurs pratiques ont du mal à être reconnues intégralement. La question sexuelle, que j'ai intitulée sexualité/corps, qui a bien souvent été considérée comme la question-clé et significative du mouvement de libération des femmes occupe une place privilégiée, surtout pour Les Pétroleuses et Les Têtes de Pioche (3ième position). Il faut dire qu'à l'époque où paraissent ces deux journaux (respectivement 1974-76 et 1976-79), les grands débats des féministes concernent avant tout l'avortement, la contraception, le problème des femmes battues, le viol. Unanimement74, l'ensemble de ces six publications va se prononcer en faveur d'un avortement libre et gratuit, sur les mots d'ordre: «Nos corps nous appartiennent et nous aurons les enfants que nous voulons». En ce qui concerne le viol, elles vont exiger que cet abus sexuel soit considéré comme un crime et pénalisé lourdement. Mais, globalement, ces femmes parlent peu des relations hétérosexuelles, La Vie en Rose, en plus de son dossier sur l'érotisme, consacre un dossier particulier à l'amour (n° 33), où elle parle aussi des relations sexuelles. Par contre, le lesbianisme pose de sérieux problèmes à ces publications: à part FMH qui consacre un dossier aux rapports femmes-femmes (n° 42-43). Ces publications sont relativement complaisantes vis-à-vis de l'homosexualité féminine, sans pour autant prendre parti pour les lesbiennes, mais en réclamant le droit pour les femmes de choisir leur sexualité. Cette ambiguïté leur attire des critiques acerbes de la part des lesbiennes qui ne les trouvent pas assez radicales. Enfin, c'est surtout au Québec que les sous-thèmes de la pornographie et de l'image sexiste de la femme dans la société sont traités plus systématiquement. Seule La Vie en Rose propose un dossier sur la prostitution (no 42). La maternité vue sous l'angle de l'accouchement ou des nouvelles technologies de reproduction est également un sous-thème peu traité par ces publications, même si dans l'ensemble elles récusent la notion d'instinct maternel, notion que privilégie particulièrement la presse féminine en renforçant le mythe de la mère, comblée par ses enfants. En ce qui concerne la famille, Des Luttes et des Rires de Femmes en fera un dossier (vol. 2, n° 2) et les questions sont plutôt posées en termes de relations de la mère à l'enfant, du rôle de mère et de femme, des politiques natalistes, des garderies qui se font attendre, etc. Deux autres thèmes viennent à point pour montrer que ces publications ne manquent pas d'originalité: la création et les modes de vie. On a plusieurs dossiers sur la vieillesse des femmes {Des Luttes et des Rires de Femmes, vol. 3, n° 2 et La Vie en Rose, n° 9), un sur les handicapées (La Vie en Rose, n° 23), un sur la bouffe (La Vie en Rose, n° 11), un sur l'informatique (La Vie en rose, n° 13), etc. De même, l'ensemble de ces publications réserve une place relativement importante à la création, c'est-à-dire à la fois des textes et poèmes, fruit d'une auteure ou d'une lectrice, des dessins originaux, des photomontages spécialement bien soignés, des caricatures, des bandes dessinées, etc. C'est surtout Histoires d'Elles qui se montre le plus imaginative dans ce domaine. Visuellement, la mise en page est particulièrement mouvante et originale, les illustrations servant soit à dénoncer un des aspects de la condition des femmes (caricatures), soit à exprimer ce langage des femmes (photomontages et dessins), avec des traits caractéristiques de la presse alternative en générale, comme par exemple, des photos en tramé pour un texte, des sortes de graffiti ou pincettes pour démarquer un article, etc. Par contre, l'humour fait cruellement défaut. C'est sur les questions de mode que le ton est le plus sarcastique. Histoires d'Elles lance son numéro zéro avec un très beau reportage sur le chapeau. D'autres nous expliquent le bien-fondé de l'épilation ou des petits gâteaux à la crème, mais en général il y a peu de place pour l'amusement ou la distraction. Quelques jeuxdevinettes, relatifs à un thème particulier, dans Des Luttes et des Rires de Femmes, et des mots croisés dans La Vie en Rose. Au terme de cette première analyse thématique, on peut donc affirmer que les presses féministes françaises et québécoises sont plutôt des presses de combat et d'opinion, qui prennent des positions marquées et émancipatrices pour la situation des femmes, car les thèmes qu'elles abordent seront traités de façon à permettre aux femmes de prendre conscience de leur oppression et de leur aliénation. Bien sûr, il y a des nuances à apporter pour chacune des publications étudiées, car le ton utilisé n'est pas seulement revanchard ou colérique, il est aussi créatif et incite à la prise de conscience, tout en touchant un certain nombre de tabous jusqu'ici peu explicités dans les médias traditionnels. Parler d'avortement, de femmes battues, d'auto-santé n'était sûrement pas chose courante de 1970 à 1980. Si l'avenir de l'homme n'est plus ce qu'il était, c'est en partie grâce à ce type de presse qui a osé prendre l'offensive. Les acquis des femmes sont le fruit de leurs luttes et peuvent sans cesse être remis en question. Comme le souligne Christine Delphy:75
«Il ne suffisait pas de supprimer leurs analyses (celles des féministes), de déformer leurs propos, de salir leurs caractères, de défigurer leurs idéaux; il fallait encore présenter leur entreprise comme non seulement ridicule parce que vaine (puisque que le Progrès marche tout seul), mais aussi divisive (de la classe ouvrière, de l'unité nationale, de l'entente familiale, des chiens et des chats, des femmes elles-mêmes), mais encore pernicieuse parce que finalement contraire à son objet même: la libération des femmes, qui s'obtient comme on le sait en cajolant les oppresseurs, pas en leur tapant sur les nerfs. (...)L'appropriation du terme M.L.F. nous a fait comprendre que (...)notre histoire n'est pas seulement la photo de nos luttes mais un de leurs terrains, parce qu'elle est la seule condition de leur continuation. Il faut espérer que nous comprendrons que nous ne sommes pas seulement vulnérables à l'histoire, mais responsables de l'histoire.» En voulant à tout prix marquer l'unité du mouvement et parler au nom de toutes les femmes, en masquant les idéologies sous-jacentes, les presses féministes françaises auront fini par établir deux types de discours: un pour l'intérieur et un pour l'extérieur. À cet égard, FMH adopte une politique discriminante plutôt qu'englobante par rapport aux autres journaux féministes, comme on l'a vu pour certains thèmes évoqués. De même pour La Vie en Rose, qui se réclame comme le seul magazine féministe d'actualité au Québec, l'ambiguïté qui règne entre faire avancer la «cause» des femmes et refuser de parler au nom de tous les courants féministes finira par avoir raison de son existence. Qui plus est, le type de discours écrit et visuel, employé par ces publications, accentue ces différences mais participe également de relations de domination où le langage dominé finit par être absorbé par le langage dominant, en particulier dans les médias. Les presses féministes veulent non seulement trouver un autre langage (pas seulement la langue-femme) mais encore provoquer une identité des femmes face à leur oppression. Écrire autrement sans tomber dans le langage ghetto des femmes. Démarche difficile, car, comme le souligne Marina Yaguello:76 «L'image de la culture féminine est encore bien fragile. Il faudrait bâtir des modèles culturels qui aient valeur universelle dans un monde où universel = masculin. Autrement dit, cultiver la marginalité jusqu'à ce que la marge occupe la moitié de la page. On en est loin». C'est ce qu'on va voir maintenant, en offrant une analyse du discours féministe sur l'avortement, un des thèmes que ces publications auront privilégié. B) Les pamphlets subversifs des féministesL'avortement apparaît comme un thème majeur, unificateur des mouvements de libération des femmes, aussi bien en France qu'au Québec, non pas seulement parce qu'il symbolise l'oppression spécifique des femmes -l'absence de choix d'assumer une maternitémais aussi parce que ce droit fondamental de la libre disposition de son corps posait des interrogations plus larges sur la sexualité, dissociée de la procréation. Rentrait alors en ligne de compte tout un questionnement sur le rapport sexuel en lui-même, le pouvoir en général et en particulier celui des médecins, des Églises, de l'État et de la norme hétérosexuelle. C'est un thème qui aura suscité des manifestations spectaculaires, des tracts et des actions originales. Avant d'analyser la manière dont nos six publications vont en parler, il serait utile de rappeler quelles ont été les luttes des femmes pour l'obtention d'un avortement libre et gratuit pour toutes et comment ont évolué les lois sur ce sujet. Je vais commencer par dresser l'état de la question en France. Ensuite, pour le Québec, je vais intégrer certains jugements et manifestations au Canada, puisque la loi sur l'avortement est une loi fédérale (article 251 du code criminel).
Petite histoire des luttes et des lois sur l'IVG en FranceLe premier tract sur l'avortement date de 1970. Quelques affiches, comme «boulot, dodo, marmot: y'en a marre», signées par le M.L.F. et deux textes de réflexion sur ce sujet, parus dans Partisans, permettront de lancer le mouvement de protestation. Une première manifestation aura lieu à l'École des Beaux-Arts à Paris, siège des premières assemblées générales du M.L.F. Une organisation mixte, le MLA (Mouvement pour la liberté de l'avortement) se constitue en mars 1971, et, le 5 avril, le «manifeste des 343» femmes qui déclarent avoir avorté est publié dans Le Nouvel Observateur et Le Monde. En juin 1971, se crée l'association Choisir, avec Gisèle Halimi, pour la défense des personnes accusées d'avortement ou de complicité d'avortement. Le 20 novembre aura lieu la première marche internationale pour l'abolition des lois contre l'avortement (4 000 femmes à Paris). 1972 sera l'année des occupations et des dénonciations: les 13 et 14 mai, les femmes manifestent à la Mutualité, le 22 novembre, elles occupent le Conseil de l'Ordre des médecins. Puis, le célèbre procès de Bobigny commence en novembre. Il s'agit d'une mineure qui avait avorté à la suite d'un viol. Elle est inculpée avec sa mère qui l'a aidée. Ce procès deviendra la première tribune de Choisir. En décembre, les femmes continuent à protester et vont perturber l'Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi sur l'avortement. C'est en avril 1973 que se crée le MLAC (Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception), qui regroupe une centaine de comités mixtes à travers la France. Lors du congrès du MFPF (Mouvement français pour le planning familial), il est décidé de faire des avortements illégaux dans les centres d'orthogénie. Ce mouvement, créé en 1956, se rattache en 1959 à l'IFPP (International Planned Parenthood Federation), organisme consultatif de l'ONU, membre depuis 1966 de l'OMS. En 1961, le planning familial ouvre son premier centre à Grenoble. Au printemps de 1973, les Éditions des femmes publie un texte sur la sexualité et le politique: «l'alternative: libérer nos corps ou libérer l'avortement». En 1974, des milliers de femmes se mobilisent un peu partout en Europe. Des voyages collectifs sont organisés par le MLAC en Hollande et en Angleterre. Le film «Histoire d'A» sur l'avortement est interdit. Pourtant, le 26 novembre 1974 s'ouvre à l'Assemblée nationale le débat sur l'IVG (Interruption volontaire de grossesse). Le 17 janvier 1975 est une date importante pour la libéralisation de l'avortement en France. La loi Veil, du nom de la ministre de la Santé de l'époque, est promulguée. Elle suspend pour cinq ans l'application de l'article 317 du code pénal qui considérait l'avortement comme un crime. Un délai de dix semaines après la conception est fixé pour l'IVG, mais elle ne doit pas constituer un moyen de régulation des naissances. L'IVG ne peut être pratiquée que par un médecin et ne peut avoir lieu que dans un établissement d'hospitalisation publique ou un établissement privé agréé. Mais l'IVG n'est pas remboursée par la sécurité sociale et est interdite aux mineures et femmes immigrées. En mars 1975, des militantes du MLAC occupent le service du professeur Léger à l'hôpital Cochin avec des femmes enceintes qui ont choisi d'avorter dans le cadre de la loi Veil. D'autres luttes locales se développent en province et à Paris pour protester contre les insuffisances de la loi et pour obtenir l'ouverture de centres d'IVG dans les hôpitaux. Malgré la promulgation de la loi, l'avortement libre et gratuit pour toutes ne fait pas l'unanimité. Un procès a eu lieu à Aix-en-Provence en 1977 contre les militantes du MLAC, accusées d'exercice illégal de la médecine. Leurs locaux ont été plastifiés à plusieurs reprises. Le 1er mai 1979, la librairie des femmes à Paris est couverte de bombages et d'autocollants de «laissez-les vivre». En septembre, six médecins de la clinique La Pergola sont inculpés pour avortement illégaux et pour infanticides. Mais les féministes ne lâchent pas pour autant. 50 000 femmes manifestent le 6 octobre 1979 pour la reconduction de la loi Veil et le 26 octobre d'autres manifestent leur solidarité envers onze femmes inculpées pour avortement et jugées à huis clos à Bilbao. Finalement, le 30 novembre 1979, l'Assemblée nationale vote la reconduction de la loi Veil à titre définitif. L'IVG devient légale, avec les restrictions susmentionnées. On parle alors de la loi Pelletier, du nom de la ministre déléguée auprès du Premier ministre et chargée de la Condition féminine et de la Famille. Ce n'est que trois ans plus tard, en décembre 1982 que l'IVG sera remboursée par la sécurité sociale. Mais les adolescentes et les femmes immigrées ne peuvent toujours pas avorter, les premières sans autorisation des parents, les autres à cause de leur statut dans la société française. En 1984, il y a eu une nouvelle tentative pour revenir sur les applications actuelles de la loi sur l'avortement. Jacques Chirac, alors premier ministre français, veut éviter la soi-disant banalisation de l'avortement qui nuit au redressement de la natalité. Pourtant deux Français sur trois (y compris bien sûr les Françaises) sont favorables au maintien de la législation de l'IVG. Petite histoire des luttes et des lois sur l'IVG au Québec et au CanadaDès 1969, le Canada va adopter une loi (Bill omnibus) permettant aux hôpitaux qui le désirent de pratiquer des avortements thérapeutiques, c'est-à-dire dans le cas où la vie de la mère ou de l'enfant est en danger. En 1970, le médecin Henri Morgentaler commence sa pratique d'avortements au Québec et le FLF (Front de libération des femmes), associé au MWLM (Montreal Women's Libération Movement), va offrir un service de référence aux femmes. Le 6 mai 1970, une caravane nationale pour l'avortement, organisée par les FCALA et ACALA (respectivement Fédération et Association canadiennes pour l'abrogation de la loi sur l'avortement) va se rendre à Ottawa. Le FLF refuse d'y participer à cause du caractère légaliste et fédéral de cette manifestation et organise sa propre manifestation à Montréal à l'occasion de la fête des mères. En juin 1971, Morgentaler est arrêté pour la première fois, car sa pratique d'avortement est considérée comme illégale. Pourtant, en janvier 1972, le Centre des femmes de Montréal met sur pied une clinique d'avortement et devient en septembre membre de la FQPN (Fédération du Québec pour le planning des naissances). Un premier « manifeste pour une politique de planification des naissances » sera publié au même moment et le Centre de planning familial du Québec sort son « 100 femmes devant l'avortement », comme en France. C'est en 1973 que commence le harcèlement de la police et de la justice vis-à-vis des centres de femmes et des médecins. Le 21 janvier, le Centre des femmes de Montréal est perquisitionné par la Sûreté du Québec et le local est vidé de tous ses dossiers. En juillet, on arrête le médecin Yvan Macchabée pour pratique illégale d'avortements. Début août débute le premier procès de Morgentaler. Il déclare avoir pratiqué plus de 5 000 avortements mais plaide non coupable. C'est alors que se crée le premier Comité de défense Morgentaler à l'appel de la FCALA. Le 15 décembre, ce comité se scinde pour former le Comité de lutte pour l'avortement libre et gratuit. D'autres médecins sont arrêtés en 1974 et Morgentaler finit par être acquitté à plusieurs reprises, même si en avril 1974, la Cour d'appel du Québec le condamne. Plus dramatique encore, la Cour suprême du Canada le déclare coupable le 25 mars 1975. Tout de suite après, l'ACALA organise une manifestation (500 personnes) pour exiger la libération de Morgentaler. Le 25 juin 1975, le local du Comité de lutte est perquisitionné et cinq militantes sont détenues pour fin d'interrogatoire. En novembre 1976, avec le Parti Québécois au pouvoir, les procédures judiciaires contre Morgentaler sont arrêtées. Les trois acquittements par jury font jurisprudence pour le reste du Canada. Pourtant, le 2 avril 1977, 3 000 personnes sortent dans la rue, suite au manifeste: «Nous aurons les enfants que nous voulons», signé par 25 groupes de femmes. En mai, le Congrès du Parti Québécois se prononce en faveur du droit à l'avortement, mais René Lévesque, chef du Parti Québécois et à ce moment là Premier ministre du Québec, oppose son droit de veto. Le cabinet ministériel désavoue la proposition du Congrès. Cependant, en novembre 1977, les cliniques Lazure, du nom du ministre des Affaires sociales de l'époque, se mettent en place dans les centres hospitaliers du Québec. Vingt d'entre eux offriront des services d'IVG avec CAT (Comité d'avortement thérapeutique). Les CLSC (Centres locaux de services communautaires) ne donnent que des programmes de planning. Mais des intervenantes de CLSC et des militantes du Centre de santé des femmes décident de passer à l'offensive, en pratiquant elles-mêmes des F/G. C'est à la fin janvier 1978 qu'ont lieu les premières assises nationales sur l'avortement. La CNALG (Coordination nationale pour l'avortement libre et gratuit), regroupant 26 groupes et organismes, voit le jour. Du 17 au 22 avril, les femmes décrètent une semaine d'action nationale sur l'avortement et la contraception. Un dossier «c'est à nous de décider» est publié. 1 000 personnes manifestent à Québec. Les 30 septembre et 1er octobre, la CNALG organise un colloque avec 18 groupes pour décider de la position à prendre face aux cliniques Lazure. Une plate-forme est adoptée. Le 31 mars 1979 à Montréal, 2 500 femmes participeront à la première journée internationale pour l'avortement, à laquelle se sont affiliés 37 pays. En mai, la CNALG amorce un travail d'enquête sur l'implantation des cliniques Lazure au Québec (27 hôpitaux dans huit régions du Québec. Les conclusions de cette enquête sont données lors d'un colloque en octobre 1979 et démontrent qu'il y a obstruction systématique de la part des conseils d'administration et des conseils de médecins des hôpitaux pour la pratique d'avortements. Les résultats sont publiés aux Éditions du Remue-Ménage au printemps 1980, sous le titre: «l'avortement: une résistance tranquille du pouvoir hospitalier». Le Comité de lutte pour l'avortement libre et gratuit se dissout le 5 novembre 1979, alors que la pratique d'IVG en dehors des centres hospitaliers et des cabinets privés se développe. Au printemps 1980 quatre Centres de santé des femmes et dix CLSC continuent de faire des avortements. En mai 1981, le RAIF (Réseau d'action et d'information pour les femmes) dénonce les positions du pape sur l'avortement. Le 16 mai, une autre journée internationale pour l'avortement est organisée et la clinique d'avortement au Centre de santé des femmes du quartier ouvre ses portes. Le 9 décembre, quatre groupes de femmes et la FQPN réagissent à la conférence de presse des évêques catholiques contre l'avortement. Déjà, des contreréactions de la CNALG avaient eu lieu en juin 1979 pour lutter contre le groupe Pro-Vie (Front commun pour le respect de la vie: FCRVPro-Vie). La CNALG se dissout en 1983 et fait place à un Comité de vigilance, regroupant des intervenantes de CLSC, du Centre de santé des femmes et de la FQPN. Ce même comité profite de la journée nationale du droit à l'avortement du 1er octobre 1983 pour faire de la publicité dans les journaux et 1 400 personnes appuient ce geste. Morgentaler est de nouveau accusé d'avoir pratiqué des avortements illégaux en Ontario et en Alberta. Alors qu'en octobre 1983 l'Association canadienne des libertés civiles demande au ministre fédéral de la Justice, Mark MacGuigan, de soumettre la législation de l'avortement à la Cour suprême du Canada, Jo Borowski, président du FCRVPro-Vie perd sa cause devant la cour de la Saskatchewan. Les médecins Morgentaler, Scott et Smoling de leur côté sont acquittés par la Cour de l'Ontario le 8 novembre 1984. Pourtant, cette revendication d'un droit à l'avortement libre et gratuit pour toutes semble reculer de plus en plus. Quatre partisans de Pro-Vie se font élire en mai 1985 au Conseil d'administration du CLSC Sainte-Thérèse, au nord de Montréal, ce qui aboutit à la fermeture du service d'avortement de ce CLSC le 22 octobre. S'en suit une invitation des groupes de femmes et des comités de la condition féminine au sein des syndicats à créer une Coalition québécoise pour l'avortement. Actuellement, l'Association des médecins pour la vie, farouchement anti-avortement, regroupe le quart des médecins du Québec. Depuis 1986, ce n'est plus l'État, mais des individus appartenant à des groupes anti-avortement comme Pro-Vie qui continuent les batailles juridiques. Une poursuite a été ainsi intentée contre Macchabée à Montréal, et contre un médecin et deux CLSC au Saguenay. La Coalition québécoise pour le droit à l'avortement libre et gratuit (CQDALG) avec le regroupement des centres de santé des femmes et la FQPN dépose une pétition à l'Assemblée nationale pour le retrait des poursuites au Saguenay. En septembre 1986, paraissent dans les journaux des encarts publicitaires pour l'avortement et 2 700 personnes participent à cette campagne pour appuyer « Le droit de choisir ». A l'automne, Herbert Marx, ministre libéral de la Justice arrête les poursuites contre Macchabée, mais la décision est renversée par la Cour supérieure du Québec, le ministre outrepassant ses compétences. En Août 1987, Reggie Chartrand qui avait entamé des poursuites contre Macchabée est débouté devant la Cour d'appel du Québec. À la mi-septembre, la diffusion du film «Le cri muet» à Sillery, organisée par la Coalition pour la Vie-Québec suscitera une grande controverse. Le planning des naissances exigera une évaluation du film par le ministère de l'Education et préparera un autre film: «Réponse au cri muet». Le bilan pour la Coalition est faible. En 1987, trois Centres de santé et seulement douze CLSC sur les 168 que compte le Québec offrent des services d'IVG. 35 hôpitaux ont officiellement des comités d'avortement thérapeutiques. La Coalition organise une dernière manifestation le 18 octobre pour continuer à sensibiliser les Québécois à ce droit qui n'est toujours pas accordé pleinement. Pourtant, quelques mois plus tard, elle finira par obtenir gain de cause, puisque le 28 janvier 1988, la Cour suprême du Canada decriminalise l'IVG, invalidant ainsi la loi de 1969. Puis survient à l'été 1989 ce que les médias ont appelé «l'affaire Chantal Daigle». Jean-Guy Tremblay somme par injonction son ex-fiancée de ne pas se faire avorter. Une première mondiale! La décision est entérinée par la Cour supérieure du Québec le 17 juillet et par la Cour d'appel le 26 juillet. Le 8 août, la Cour suprême du Canada annule les deux jugements à l'unanimité et le 9 août, 10 000 personnes manifestent à Montréal, encore une fois pour une avortement libre et gratuit. En 1990, alors qu'il existait un vide juridique face à cette question, le projet de loi C-43, recriminalisant l'avortement, est voté à la Chambre des communes d'Ottawa. Mais la deuxième lecture est annulée suite aux interventions des partisans de Pro-Choix. «Est coupable de deux ans de prison maximum quiconque, sauf un médecin, provoque ou aide à provoquer un avortement pour une personne de sexe féminin», voici les termes du projet de loi, qu'en 1991, le Sénat refusera d'adopter. Ce bref historique permet de rappeler que, si en France l'avortement est maintenant légalisé, avec quelques restrictions importantes depuis 1975/79 (problèmes des adolescentes, des immigrées qui n'ont pas de statut fixe, date limite de 10 semaines après la conception, au-delà de laquelle l'avortement redevient illégal) et qu'il est remboursé par la Sécurité Sociale depuis 1982, c'est au prix de longues luttes acharnées que les femmes auront obtenu gain de cause. Par contre, l'IVG au Québec, comme au Canada, n'est toujours pas légalisée, même si la Cour suprême l'a décriminalisée en 1988. L'IVG reste donc un acte médical comme un autre, mais dépend, à ce titre, de la juridiction de chaque province. Comme les femmes l'ont maintes fois expliqué, la légalisation de l'avortement est indépendante du problème de la dénatalité. Et, surtout, se faire avorter est un choix difficile, parfois drastique, car il remet en cause bon nombre de nos convictions affectives, morales, religieuses et engendre un doute parfois insurmontable, que les femmes aimeraient pouvoir partager et exprimer autrement que par la honte ou l'humiliation. La colère des femmes envers le pouvoir des hommesRegardons maintenant la façon dont nos six publications vont parler de l'avortement, c'est-à-dire à quel niveau elles placent le débat, quelles différences on peut déceler entre elles, et surtout en quoi elles utilisent un code, dit féministe, pour appuyer cette lutte. Globalement, nos six publications, à l'exception de FMH, adopteront un discours similaire face à la question de l'avortement, c'est-à-dire qu'elles vont revendiquer ce droit à partir du slogan-clé: «Nous aurons les enfants que nous voulons». Alors que toutes exigent un avortement libre et gratuit, sans condition, un avortement sur demande des femmes en quelque sorte, FMH non seulement s'oppose à la loi sur l'IVG, en arguant que «l'utérus est aux femmes, que la production du vivant nous appartient», mais en plus, les femmes de cette tendance (Psychépo) considère que l'avortement s'apparente au viol.
«L'avortement n'est pas pour nous un objectif. C'est un moment de résistance et un moyen pour les femmes de refuser la contrainte de la reproduction aliénée. Nous savons pour l'avoir dit, et pour avoir entendu des femmes le dire, que l'avortement est nécessaire le plus souvent pour signifier qu'il y a eu, réellement ou symboliquement, violence sexuelle -effraction, viol-, pour en interrompre certaines de ses conséquences, et pour exprimer et agir une résistance à une occupation machiste de tout leur corps jusque dans l'utérus. (...) L'avortement dit non à une économie politique et libidinale répressive. (...)La loi répressive ou permissive (loi 1920 loi 1975) sur l'avortement reste la seule loi sur le corps. Et c'est une loi sur le corps des femmes, une loi qui leur assure un droit sur nos richesses, une loi qui les fait pères au travers des femmes.».77 À part un bref historique sur les luttes pour l'avortement (n° 4, pp. 15-16), des commentaires sur la loi (n° 2, p.5; n° 3, p.5; n° 5, p.17), et un témoignage d'une femme qui s'est fait avorter (n° 15, pp. 18-20), voilà la couverture qu'offrira FMH. Il est important de noter que cette ambiguïté face à la violence de l'avortement pratiquée par les médecins surtout, sera aussi mentionnée dans d'autres revues sous forme de témoignages.78 Pour l'ensemble des cinq autres publications, ce sous-thème de l'avortement, que j'avais classé dans le thème Sexualité/corps, est celui qui sera le plus important. C'est donc sous la forme de reportages surtout, de brèves, de témoignages, mais aussi d'illustrations bien particulières que ces publications vont nous sensibiliser à cette question. Car il s'agit bien d'une sensibilisation, d'une prise de conscience des femmes vis-à-vis de leur corps et surtout de cette liberté d'avorter qui est indissociable de la liberté et du désir d'enfanter ou non. La lecture de l'ensemble des articles sur ce thème révèle les préoccupations, voire la colère des femmes, sur cette question. Désirs d'enfants, mais aussi le droit des femmes à un territoire qui leur soit propre, à une autonomie politique en dehors de la mixité (Histoires d'Elles, n°s 15 et 17), ou encore la réalité de l'avortement selon l'appartenance de classe: «La morale des réactionnaires sert à défendre les privilèges de la bourgeoisie", Les Pétroleuses, n° 0; "Nous savons que comme toutes les lois répressives de l'État bourgeois, l'article 251 du Code criminel vise principalement les femmes des classes laborieuses qui ne peuvent, faute d'argent et de contacts, se procurer comme les bourgeoises des avortements rapidement et dans les conditions médicales les plus sûres», extrait du communiqué du Comité de lutte, Les Têtes de Pioche, n° 7. On trouve également de véritables catilinaires contre la morale des hommes, de l'Église, des groupes de droite: «II va nous falloir pour longtemps encore, demander, réclamer et redemander et réclamer nos propres droits que les hommes par haine, jalousie, ignorance ou autorité nous ont enlevés. (...)Il est fort probable comme disait une femme que 'si les hommes enfantaient, l'avortement serait un sacrement", Les Têtes de Pioche, n° 7; "Quand ils parlent de crime, nous parlons de vie, pour éviter de parler de mort. (...)Dès le début de notre lutte pour exiger l'accessibilité à l'avortement pour toutes les femmes, sans distinction d'âge, de région, de religion, nous avons soigneusement contourné le débat moral où la droite voulait nous confiner. (...)Nous répugnions sans doute à ajouter notre voix à cette chorale de bien-pensants. Mais surtout nous n'avions pas le temps à l'époque de parler de morale: il y avait situation d'urgence. Chaque année, des milliers de Québécoises payaient de leur santé, de leur vie et de leur poche des avortements qu'elles obtenaient tant bien que mal. (...)Vu d'un autre angle, notre silence nous a coûté cher; nous avons tu la question même entre nous et c'est donc individuellement que nous avons dû la débattre. Est-ce une vie et commettons-nous un meurtre? Aucune femme qui avorte ne l'évite. (...)Toute femme qui décide d'avorter décide de se choisir elle-même et de sacrifier l'autre. Pour nous, dressées au sacrifice personnel, c'est une rupture fondamentale avec tout ce qui nous a été inculqué. Nous prenons le droit de le faire. Nous appuyons toute femme qui a besoin d'être appuyée», La Vie en Rose, n° 5.
La contestation par des images et des discours provocantsQue ce soit au niveau des titres ou des articles, on retrouve les mêmes caractéristiques lexicales et sémantiques. On parle de dynamique du féminisme, de contradictions (assumer, vivre, surmonter), d'exploitation du corps des femmes par l'homme, l'État, l'Église, de structures, de groupes de femmes, de cliniques féministes par opposition aux hôpitaux d'hommes. Les termes employés ne font pas seulement référence aux sciences sociales en général, ils s'apparentent surtout à un registre militant, inspiré des mouvements contestataires des années 70. Dans les six publications choisies, on discute à partir de ce thème de condition féminine, on clame la libération de la femme et on lutte contre l'oppression globale (femmes en lutte, luttes de femmes, combat à mener, lutte pour imposer notre volonté, etc.). On y parle bien sûr de discrimination faite aux femmes, d'injustices, mais on exige aussi un droit (le choix d'être mère ou pas), qui devient un droit au plaisir, on demande l'abolition de toute loi restrictive, en un mot on veut encourager l'émancipation des femmes et leur offrir la possibilité de procréer sans contraintes légales. On favorise les collectifs de femmes, on mentionne les liaisons, les échanges, les partages à établir, et ce tant sur le plan national qu'international, car ce thème de l'avortement sera largement traité selon différents pays, surtout européens. On retrouve également un usage récurrent de termes que l'on peut identifier au jargon politico-syndical, comme coordination, mobilisation, marche, manifestation, enjeu, intégration, mot d'ordre, slogan, ligne, revendication, droit, diffuser des tracts, autogestion, etc. Mais plus généralement on a un ensemble de mots faisant directement référence à l'oppression des femmes. On dénonce la société patriarcale, on s'insurge contre le sexisme, le pouvoir des mâles, les phallocrates, les institutions réactionnaires, on rejette la femme-alibi, le corps-objet, on parle de mensuelle, de menstruation, on cherche les bons tuyaux, les bonnes adresses, les bonnes méthodes, on veut briser les chaînes d'écrans, d'occultation, de passivité, de silence qui entourent l'avortement, on refuse d'être des criminelles, des hypocrites, des humiliées, on récuse la chasse aux sorcières, les brutes civilisées, on ne veut plus des pieds coincés dans l'étrier, sans mots dire, etc. Si l'ensemble de ces publications utilise un même langage pour dénoncer une réalité des femmes (les avortements clandestins, leurs conséquences), avec un ton plus ou moins doctrinaire, selon l'appartenance à une tendance ou une autre du M.L.F. pour la France, et l'avancement des luttes pour le Québec, elles adoptent aussi des techniques similaires, avec des variantes, pour lutter contre l'oppression des femmes. Par exemple, une des techniques consiste à répondre au mépris par le mépris, notamment par l'inversion des connotations. Ainsi le mot femme, souvent chargé de connotations méprisantes par les hommes (nana, dame, bonne femme, mémère, nénette, etc.) deviendra dans la bouche des féministes tout à fait autre chose. «Les féministes cherchent à redonner au mot femme son vrai sens, processus inséparable de l'élaboration de l'identité sociale et linguistique de la femme».79 Par contre les hommes, par cette technique d'inversion, seront affublés de termes tout aussi méprisants (mâle, phallocrate, bourgeois réactionnaire, patriarcal, mégalomane, mandarins du pouvoir, etc.). De même, l'emploi de néologismes comme testerie, phallustin, hommeobjet, sont là pour provoquer la classe des hommes. Le mépris n'est peut-être pas aussi fort, mais il est intéressant de noter qu'il y a dans ce discours féministe la production d'une valeur référentielle «femme». Le plus souvent, on parle des femmes et non de La femme, on emploie un terme indéterminé, comme on, pour englober les femmes, on inscrit la marque du féminin, comme par exemple individue. Il y a absence de terme de valeur générique, comme homme pour les hommes et les femmes, on inverse le poids de la détermination, en parlant par exemple de médecin-femme. L'identification à la locutrice femme est rendue explicite par le nous (je + vous, les femmes; je + elles), et globalement on peut dire que ces publications soulignent la construction des femmes comme représentatives, de manière autonome, de l'espèce humaine. Une autre technique est celle du détournement. Par exemple, le sigle des féministes (un poing serré avec le symbole féminin) est une référence explicite au sigle du mouvement ouvrier et révolutionnaire, que d'autres reprendront, comme les Black Panthers. Mais aussi, on utilise les slogans du groupe adverse pour les tourner en dérision: «laissez les vivre» devient «laissez-nous vivre». C'est peut-être le discours visuel qui rend le mieux compte de ces techniques. Voir à ce propos le photomontage sur l'avortement fait à partir des publications choisies et reproduit à la page suivante. Provocation, ironie, détournement des situations, ces publications vont utiliser deux sortes d'illustrations pour leurs propos: la caricature et les photos de manifestations. En fait, ces illustrations ont, à mon avis, des fonctions sociales bien précises: d'un côté, les photos de femmes, défilant dans les rues pour exiger un avortement libre et gratuit, permettent de renforcer une appartenance de groupe (nous ne sommes pas seules à avorter), de montrer la cohésion du groupe (complicité entre femmes). On retrouve à ce niveau les trois actants du discours polémiste: un locuteur polémiste (sujet qui combat à visage découvert: les femmes et les féministes), qui discrédite une cible (les hommes, la société patriarcale et ses institutions) pour un destinataire complice (les autres femmes). D'un autre côté, les caricatures servent à accentuer ce discours polémiste, en posant un doigt accusateur sur les hommes et système patriarcal. Avec un discours, socialement marqué, faisant référence au jargon militant, de gauche, politico-syndical, le discours féministe est idéologique et s'apparente à ce que Marc Angenot appelle la parole pamphlétaire80. Bien sûr, il faut apporter toutes sortes de nuances à cette définition, d'une part parce que les six publications choisies adoptent un ton différent pour traduire une des revendications principales des femmes, au cours des deux dernières décennies. Mais ce ton différent/spécifique, propre au code féministe, qui peut devenir tout aussi cryptique que n'importe quel discours idéologique, dès lors qu'on n'est pas initié, est difficile à décoder. Néanmoins, après lecture des articles sur le thème de l'avortement, on trouve quelques-unes des caractéristiques du pamphlet, défini par cet auteur. Discours agonique, supposant un contre-discours antagoniste, oscillant entre les discours polémistes et satiriques, le discours féministe employé dans ces publications me paraît avoir recours aux techniques du pamphlétaire. Le discours subversif des féministes«Le pamphlétaire n'a reçu aucun mandat de personne pour parler et s'oppose à une parole institutionnelle, authentifiée par un ensemble de pratiques et articulée sur les principes mêmes dont il tire sa vérité et dont l'adversaire tire une vérité toute contraire. »81 Lieu d'une parole impossible, sans mandat et sans statut, le pamphlet joue sur la dichotomie vérité/imposture, dans un refus englobant un adversaire, dont le mensonge est maximisé, sans nuance. Contrairement à la polémique, dont le discours adverse doit être réfuté dans un champ clos où s'affrontent héros et imposteur, ou à la satire, qui représente la rhétorique du mépris, où l'énonciateur détient la vérité et le monopole du bon sens, le pamphlet, lui, nous donne l'image d'une conscience solitaire, courageuse et téméraire face à un groupe qui lui a volé ses mots. Dans le type de discours féministe, il y a un peu de la polémique (les femmes revendiquent un droit que les hommes ne veulent pas leur accorder), un peu de la satire (le mépris des hommes en général et le bon sens des cliniques d'orthogénie par exemple, où les femmes pratiquent des avortements autrement), et un peu du pamphlet (elles se battent seules contre les institutions). Les mots qu'on a volés au pamphlétaire sont justice, liberté, vérité et le langage que celui-ci utilisera sera hyperbolique. Louange (la sororité des femmes) ou injure (mise en tutelle de nos corps, pouvoir et arbitraire médical proche du despotisme), le pamphlet présuppose un affrontement des idées, avec une rhétorique de l'argumentation et de la persuasion, dans un sens très théâtral de spectacle, où c'est le monde qui entoure le pamphlétaire qui est à l'envers. La contre-violence du discours féministeUne dernière caractéristiques du pamphlet, selon Marc Angenot, reste la violence verbale, qui devient garante de la liberté et du courage, celle qu'il faut choisir dans un monde où tout le monde chuchote. Voici ce qu'il souligne:82 «On trouve ici tous les alibis du mode d'action terroriste, découlant de cette opposition entre violence d'appareil et contreviolence. Ici s'inscrit toute la complaisance de la démarche pamphlétaire et surtout son caractère spectaculaire. L'action terroriste doit être spectacle et le pamphlétaire, qui se prétend seul face au mensonge, doit vociférer, ameuter les badauds. On ne s'étonnera pas de voir le pamphlétaire se laisser séduire à diverses époques par une autre forme de contre-violence, celle du terrorisme de la 'bombe', de Ravachol (pour Laurent Tailhade) aux Brigades Rouges. Admirateur ambigu du terrorisme artisanal et plus tard du terrorisme d'État, le pamphlétaire fait du terrorisme la texture de son discours.» De là à affirmer que le discours féministe est terroriste, il n'y a qu'un pas, que je ne franchirai pas, car je ne suis pas en mesure de trouver les propos linguistiques et iconiques qui pourraient le justifier. Néanmoins, la question reste posée et elle garde toute sa pertinence, en regard d'un très beau texte de Françoise D'Eaubonne83, qui fait le lien entre la contre-violence et les luttes des femmes pour leur libération, en prenant l'exemple de l'action des femmes de la «bande à Baader»: «(...)La Fraction Armée Rouge a ouvert, et elle seule, un chemin de la résistance plus réaliste que celui, rêvé si longtemps, de la révolution. Chemin qui nous concerne tout particulièrement en tant que femmes, non pas tant par la qualité exceptionnelle de celles qui y ont perdu la vie qu'en raison d'une prise de conscience totalisante, englobant pour la première fois la guerre contre la violence individuelle que chacune expérimente dans son quotidien, et la violence au plus haut niveau qui institutionnalise et reconduit celle-ci depuis des millénaires. (...)Quand le M.L.F. répand dans les rues des métropoles et dans les campagnes écartées des flots de femmes déguisées, bariolées, criantes, agressives, chantantes, et à chaque fois qu'on nous traite d'hystériques, de mégères, de revanchardes, de lesbiennes, de meurtrières avorteuses, d'asociales, d'anormales, que l'index nous désigne, que la police nous charge, que l'Intérieur nous fiche, ou que tout simplement nous crions et pleurons très fort et que les voisins vont entendre, c'est Pandora, la mère de toutes les bacchantes, qui revit en nous.»84 Cette analyse du discours féministe à partir du thème privilégié de l'avortement, ainsi que l'analyse thématique des publications, a permis de voir que les presses d'expression féministe dans ces deux sociétés sont des presses militantes et alternatives, divulguant un discours idéologique, de gauche, parfois de l'ordre du pamphlet, qui permet aux femmes d'être conscientes et conscientisées sur leur condition, c'est-à-dire d'appréhender leur position d'opprimées dans le rapport social de sexe. Estce à dire qu'une fois que ce discours a été entendu, il n'a pas plus de raison d'être, et que donc ce type de presse est voué à disparaître? Il semble que d'autres facteurs entrent en ligne de compte pour saisir pourquoi ce type de presse est politique et ne peut pas survivre. C'est ce qu'on va voir maintenant en étudiant tout d'abord la manière dont les presses féministes françaises et québécoises se donnent à regarder et à apprécier, ensuite leur fonctionnement interne et organisationnel et enfin leur rapport au marché économique médiatique.
5. Presse alternative, presse «glamour»La «Une» qui est la page de couverture d'un journal représente le point modal qui définit en général la visibilité des journaux sur le marché médiatique. Y a-t-il justement une stratégie définie de la part des presses féministes ou une absence de stratégie? Comment certaines se démarquent-elles du marché traditionnel des médias, en particulier de la presse féminine, et comment d'autres tentent-elles de s'en rapprocher, tout en essayant de rester féministes. J'ai donc sélectionné deux «Unes» pour chaque publication (les premiers et les derniers numéros), ce qui permet de souligner l'évolution de l'image de la publication dans le temps. Plutôt qu'une véritable analyse sémiologique du discours des femmes à travers leurs presses, je désirais seulement faire un premier repérage des constructions énonciatives produites par les féministes et souligner quel type de représentations idéologiques elles produisent. Il s'agit en effet de rechercher les marques féministes dans renonciation à travers l'image que ces publications nous donnent à voir à la fois des femmes, comme objets de discours, et des rapports sociaux de sexe. À ce titre, j'ai repris quelques éléments de la grille d'analyse développée par Enrico Carontini85. Il souligne notamment que ce n'est qu'à partir de la présence et même de l'absence de certaines traces dans l'énoncé (marques de personne, de temps, de mode) que les conditions et le processus d'énonciation peuvent être inférés. Il m'a alors semblé possible de souligner quelques visées communicationnelles développées par nos publications, en essayant de retracer les attitudes et les perspectives de communication élaborées. Il ne s'agit pas de dresser l'image type des femmes dans ces publications, bien que cela aurait pu être très significatif pour définir les images produites par des énonciatrices. Jusqu'à présent, certaines études ont donné les stéréotypes féminins, transmis par les médias traditionnels (télévision, publicité, journaux), mais peu de recherches, à ma connaissance, se sont attardées à donner ce regard des femmes sur elles-mêmes. Je voudrais plus modestement vérifier si l'image des femmes divulguée par ces presses féministes est autre que celle diffusée notamment par les presses féminines (femmeobjet; femme-alibi) et de quelle manière elle est présentée. J'ai donc regroupé les «Unes» de nos publications selon qu'elles s'apparentaient à ce que j'ai appelé la presse alternative ou à ce que j'ai dénommé la presse «glamour». En tout 19 «Unes», car j'ai pris les deux premiers numéros de La Vie en Rose (celui inséré dans le Temps fou et l'autre indépendant). L'absence quasi-totale de l'adversaire: les hommesUne première lecture de ces images permet de constater que les femmes sont très présentes sur cette page couverture. Lorsqu'elles sont représentées en groupe, l'accent est mis sur les manifestations ou réunions de femmes (Les Pétroleuses et FMH). Si elles sont seules, ces publications ont utilisé le portrait des femmes, le plus souvent de face et selon un plan rapproché ou un gros plan (Les Têtes de Pioche, Histoires d'Elles et La Vie en Rose). Des Luttes et des Rires de Femmes n'utilisent pas le concept de femmes, à quelques exceptions près dans d'autres numéros. On peut également souligner l'absence très marquante d'énoncés visuels «homme» dans ces publications. Voir tout de même quelques exemples intéressants à la suite des «Unes» de nos publications féministes.
dossier : femmes immigrantesbulletin de liaison des groupes autonomes de femmesvol. 2 no.1 , octobre-novembre 1978 $1.00
Comment peut-on interpréter cette exclusion quasi-totale de la classe des «dominants» dans le discours visuel de ces publications féministes, si ce n'est par la nécessité de renforcer la présence des «dominées», en lui donnant la place essentielle? Il me semble que cette non-référence à la classe des hommes, d'un point de vue visuel, vient appuyer la forme du discours écrit qui a été analysé à propos de l'avortement. En effet, le propre du pamphlet est, comme le souligne Marc Angenot:86 «De se refuser à la nuance: le groupe adverse est maximalisé. On n'affronte pas une poignée d'imposteurs, mais une vaste conspiration, une cabale aux limites floues qui s'appuient sur la lâcheté et la duperie générales. Le pamphlétaire, solitaire, affronte une hydre, un monstre protéiforme; son refus devient englobant, sa malédiction entraîne la société toute entière dans le déluge.» Cet ennemi numéro un, qui pour nos publications féministes serait le patriarcat, voire la classe des hommes, est invisible dans leur discours visuel, du moins pour la «Une». Pourtant, au niveau du discours écrit, il est omniprésent. Le fait de n'accorder pratiquement aucun statut à l'adversaire, à part les exceptions susmentionnées, me semble être un signe de ce type de discours pamphlétaire. C'est en tout cas une démarche très politique. Avant de passer à l'étude proprement dite de chaque «Une» et de les comparer, j'aimerais souligner une autre constante de ce type de presse, à savoir le fait d'annoncer la fin de la publication. Les Têtes de Pioche reprendront exactement la même photo que pour leur premier numéro en précisant que «c'est au passé» . Histoires d'Elles souligneront leur rapport difficile aux médias traditionnels par un photomontage de titres de journaux français, en précisant le fait qu'elles étaient «un journal comme on n'en fait plus». Cette démarche ou stratégie m'apparaît très symptomatique d'une presse alternative, qui refuse les compromis et qui se positionne, politiquement, dans le champ concurrentiel de la presse. Les autres médias, en général, n'annoncent pas leur mort, surtout pas à la «Une». Et, ce sera aussi le cas des quatre autres publications choisies, FMH annonçant même un prochain numéro en septembre, comme si de rien n'était. Les femmes d'abord et avant tout des sujets plurielsGlobalement, il semble que Les Têtes de Pioche, Les Pétroleuses, Des Luttes et des Rires de femmes et Histoires d'Elles resteront par leurs «Unes» des presses alternatives, à divers degrés, tandis que La Vie en Rose et FMH oscilleront entre la forme alternative et la forme plus «glamour», dans le style des presses féminines, sans pour autant s'en réclamer tout à fait. Tout d'abord, la posture de la grand-mère tenant ces deux bébés dans Les Têtes de Pioche suppose un discours direct d'interpellation, avec un regard (quart de face) dirigé vers les destinataires. On a ici une identité plurielle de femmes de plusieurs générations (la grand-mère et la jeune fille), comme pour souligner «ce matriarcat qui analyse les reines du foyer». La mise en page reste relativement classique, avec le titre du journal en haut, le sigle des femmes dans le titre, la photo qui accompagne le texte. C'est plutôt dans le texte qu'on peut réellement saisir la nature de presse de combat que suppose cette publication. Par contre, dans Des Luttes et des Rires de femmes, on n'a pas à proprement parler d'éléments visuels «femmes», si ce n'est le sigle des femmes. Le côté alternatif de cette publication est plus présent dans la dernière «Une» avec un agencement un peu particulier du mot argent. C'est comme si cette publication cherchait plus à vendre des idées que des images. Enfin, dans Les Pétroleuses on trouve quelques signes de ce que j'appelle la presse alternative. Tout d'abord, le titre et les sous-titres écrits à la main, qui viennent renforcer le côté militant de cette publication, ensuite le «nous» des femmes qui manifestent dans les rues. Il s'agit ici, à mon avis, de la forme inclusive du nous, qui se dit pour moi + vous. Ce «nous inclusif» est une amplification du «Je», qui englobe les destinataires, lesquelles deviennent partie intégrante de l'instance destinatrice. L'image des femmes que cette publication féministe donne à voir est une image de femmes qui luttent et manifestent. La dernière «Une» des Pétroleuses conserve cet aspect de presse militante avec l'opposition de deux images de femmes les femmes au travail et la mère dans le titre-, qui, toutes deux, renvoient à la double exploitation des femmes, telle qu'indiquée en amorce du journal. Par opposition, le journal Histoires d'Elles, tout en restant alternatif, propose des images beaucoup plus sophistiquées des femmes. Il semble y avoir une réelle démarche de stratégie médiatique, dans la mesure où cette publication désirent à la fois provoquer les lectrices potentielles et appuyer la création des femmes. On retrouve dans la première «Une» ce «nous inclusif» des femmes, à la fois par le choix des différents visages de femmes choisies (les diverses générations) et par l'appropriation du corps nu de la femme avec l'écriture. «Notre histoire à nous commence comme ça» , telle sera la phrase clé de ces femmes productrices d'information, féministes, mais qui «nous» interpellent dans le corps et les images. On entre, de par l'image de ce corps de trois quarts de profil, à la fois dans une communication intime et publique, alors que les photos de face supposent une distance plus personnelle. La dernière «Une» d'Histoires d'Elles me semble plus symptomatique du rapport que ce type de presse entretient avec les autres médias. La concurrence médiatique, avec des gros titres comme Le Monde, Le Figaro et l'Express, presque invisibles, mais relativement explicites, auront eu raison de leur histoire. L'évolution des «Unes» de La Vie en Rose paraît donner sens à cette oscillation entre une presse alternative et une presse plus «glamour». La symbolique représentée dans ces trois «Unes» est très forte et vient chercher les lectrices directement, avec beaucoup d'humour. Dans la première «Une», c'est non seulement le divorce Québec/Canada qui est souligné, mais aussi celui entre deux images de femmes, l'une traditionnelle avec la Reine d'Angleterre et l'autre plus moderne qui lui fait un pied de nez. Il est intéressant de noter que c'est justement l'image de la Reine qui sera de profil (communication plus sociale), alors que la jeune femme grimaçante sera de face (communication personnelle). La deuxième «Une», qui sera en fait la première «Une» de La Vie en Rose indépendante, représente Donalda, héroïne du télé-roman «Les belles histoires des pays d'en haut» , tiré du roman de Claude Henri Grignon, «Un homme et son péché». Ce téléroman qui a été diffusé durant les années 60-70 raconte l'histoire de Séraphin, vieux garçon riche et avare, qui demandera Donalda en mariage pour permettre au père de celle-ci de s'acquitter de sa dette. C'est toute l'histoire et la symbolique de la femme québécoise au foyer des années 30, soumise à son mari et à son destin, qui sont ici montées en épingle. D'autant plus que le dossier porte sur le travail ménager et que Donalda est auréolée comme une sainte, qualificatif qu'on lui a souvent donné. Ici, l'identification à cette femme est bien ciblée, car ce télé-roman et l'émission radiophonique qui l'a précédé ont été largement écoutés au Québec. Il permet ainsi à cette publication d'aller chercher des femmes différentes, celles qui reconnaissent Donalda et celles qui veulent en savoir plus long sur ce dossier, relativement provocant en 1981. L'ensemble de la dernière «Une» pourrait s'apparenter à la Une d'un magazine féminin, ne serait-ce que par le papier glacé et les titres-clés accrocheurs. Mais le photomontage de la sucette de bébé qui doit apporter la lumière ou l'électrochoc donne le ton, encore provocateur de cette publication, qui de ce fait demeure alternative dans le champ médiatique. Pour ce qui est de Des femmes en Mouvements Hebdo, il y a peu de changement du premier au dernier numéro. La couverture sur papier glacé, le sigle des femmes, les montages-photos de la trace des femmes pour la première «Une» et de la lune-mère pour la dernière «Une», marquent, à mon avis, cette oscillation entre presse alternative et presse «glamour». Néanmoins, ici le «nous des femmes» paraît être un «nous exclusif». Il est à la fois implicite (femmes, toutes) et surtout il représente ce «moi + elles», c'est-à-dire ce «moi + les femmes du M.LF., tendance Psychépo», qui revient à une amplification du «Je» sans englober les destinataires. Il semble donc que les presses féministes françaises et québécoises adoptent soit une forme de lisibilité alternative, soit une autre, plus traditionnelle, style «glamour» de la presse féminine, tout en offrant des images de femmes différentes. On ne retrouve plus des femmes-objets (mode, produits de beauté) ou des femmes-alibis («superwomen» professionnelles, mères et attrayantes). Au contraire l'image qu'elles proposent me semble être justement celle de «femmes en mouvement», c'est-à-dire de femmes qui s'insurgent contre leur oppression et luttent pour améliorer leur situation. Puisque la «Une» d'un magazine ou d'un journal représente la façade de son contenu, il semblerait que ce type de presse, à fonction politique, a du mal à se positionner par rapport à la concurrence des autres médias. Certaines cherchent à affirmer leur contenu politique et se veulent subversives, en détournant les stéréotypes ou les mythes sur les femmes. D'autres veulent aussi devenir un média à part entière, en donnant la parole aux femmes et en proposant une alternative aux discours dominants sur les femmes. Un dernier problème auquel sont confrontées les presses féministes françaises et québécoises, et non des moindres, reste le rapport qu'elles entretiennent avec le marché économique médiatique et leur type d'organisation, ce qui va rencontre des « mâles » médias, comme nous allons le voir maintenant. Groupes de femmes et presses de groupeCet étage de fonctionnement du journal, qui se situe au niveau du journal comme entreprise de presse, est particulièrement difficile à exploiter pour les publications que j'ai choisies. Puisqu'elles ont toutes disparu, il m'a été impossible de vérifier certaines données, notamment le salaire des rédactrices, le bénévolat des correspondantes, etc. Mais, ayant eu l'occasion d'être correspondante au Nouveau-Brunswick pour La Vie en Rose et ayant collaboré à Femmes d'action, autre revue féministe canadienne s'adressant aux femmes francophones vivant en milieu minoritaire, je suis en mesure de fournir quelques interprétations des données recueillies dans les six publications choisies.87 La hiérarchie dans la convivialitéEn général, ces publications ont des structures organisationnelles assez mouvantes. Le collectif de femmes est le mode d'organisation le plus répandu, mais il ne sera pas toujours mentionné comme tel. Les Pétroleuses n'en font pas mention, même si l'ensemble de leurs articles sont signés par des femmes, avec seulement le prénom ou le nom d'un groupe de femmes d'un arrondissement parisien. Par contre, Les Têtes de Pioche vont le souligner et j'ai remarqué que leur collectif s'est peu transformé dans le temps. On retrouve à peu près les mêmes rédactrices du premier au dernier numéro. Histoires d'Elles va parler d'une équipe, dont la liste se modifiera au cours des années et aura une directrice de publication, «tirée au sort pour l'année 79», jusqu'à la fin.
Des Luttes et des Rires de Femmes aura un collectif de production, qui se veut un lieu d'échanges et un outil d'expression disponibles pour les femmes. Cette publication pose d'ailleurs un certain nombre de conditions pour que l'on puisse participer à sa production. «Les conditions minimales de participation sont 1. pour un mouvement autonome des femmes, c-à-d non mixte et non lié à un organisme mixte; 2. pour l'avortement et la contraception libres et gratuits; 3. pour l'abolition des inégalités dans le travail, salarié ou non; 4. pour la liberté d'orientation sexuelle; 5. pour une prise en charge plus collective de la responsabilité des enfants.» C'est le collectif de production qui choisit les thèmes du dossier et organise les tables rondes, matières entre autres aux dossiers. Cette publication donne aussi d'autres critères pour entrer dans le collectif, au fur et à mesure de l'évolution des numéros, comme le fait d'avoir participé à la production d'un numéro et à un comité technique. Périodiquement, elle fait des bilans de cette organisation particulière qu'est le collectif, qui doit à la fois servir de construction pour le mouvement autonome des femmes et d'une volonté de ne pas reproduire les schémas masculins d'organisation. Ce qui caractérise avant tout ce genre de collectif, que Les Têtes de Pioche appelleront d'ailleurs collective, c'est une absence plus ou moins marquée de hiérarchie dans la production. Mais comme le notent Suzanne De Rosa et Jeanne Maranda:88 «Les féministes ont à faire face à plus d'un problème. Par exemple, la question de la responsabilité, du contrôle, des décisions à prendre vis-à-vis du contenu et du financement, etc. Du fait que nous soyons impliquées plus avec notre coeur qu'avec le désir de profit, il nous faut chercher et appliquer des techniques d'administration qui vont rendre compte de la réalité du monde des femmes. Tout est à inventer! (...)Le collectif permet une approche qui tend à éviter les conflits inhérents à la structure hiérarchique et donne aux travailleuses un sentiment d'appartenance. Étant responsables du contenu de la revue, du journal, elles ont intérêt à en respecter la suite logique pour le fond si elles veulent garder l'intérêt des lectrices à long terme». En pratique, c'est l'idée d'un certain consensus et d'une solidarité des femmes autour de la production de la publication qui est mise de l'avant. Un peu comme donner son accord pour défendre «la cause des femmes», comme elles disent, et tenter d'instaurer une autre forme d'organisation d'une entreprise de presse, si tant est qu'elles considèrent leur publication comme une entreprise. FMH par contre va se situer dans la mouvance traditionnelle de l'organisation des médias, avec au départ une équipe de production et de réalisation de l'hebdomadaire (liste de permanentes) et une série de correspondantes en province. À partir du numéro 45, cette publication va se doter d'une fondatricedirectrice, d'une rédactrice en chef, d'une équipe de rédaction et à partir du numéro 61, il y aura en plus des rédactrices responsables de chroniques et un réseau de correspondantes à l'étranger. À l'inverse, l'évolution de La Vie en Rose me paraît symptomatique de cette «hiérarchie dans la convivialité», plus ou moins recherchée. Au départ, il y a juste une équipe de production et une liste de collaboratrices. Mais, au fur et à mesure de son évolution, la transcription dans l'Ours ou le cartouche de ce magazine montrera une organisation de plus en plus en plus sophistiquée. À partir du numéro 7 (septembre/octobre 1982), on trouve en plus de l'équipe de rédaction, un comité de lecture et un comité de permanentes. À partir du numéro 24 (mars 1985), il y a des responsables pour l'administration, la promotion, le secrétariat, la direction artistique et ce n'est qu'au numéro 40 (novembre 1986) qu'apparaîtra la structure traditionnelle d'un média avec un conseil d'administration, une direction générale, une équipe de rédaction, un comité de rédaction, et les autres responsables pour l'administration et la promotion. Intitulé La Vie en Rose renouvelée, avec changement de logo à la «Une», ce second début de La Vie en Rose ne sera en fait que l'amorce de sa disparition, puisqu'il ne durera que le temps de sept numéros. Seule la mention «le magazine féministe d'actualité» permet de différencier cette publication féministe des autres publications féminines, style «glamour». On retrouve alors le papier glacé, une présentation soignée, bien léchée. Il y aura bien sûr la photo de la «Une», qui représente une couche-culotte pour parler des maladies transmises sexuellement, ce qui fera dire à bon nombre d'observateurs et observatrices que La Vie en Rose est un magazine «culotté». Mais globalement l'évolution de cette publication montre bien comment les presses féministes françaises et québécoises oscillent entre une forme d'organisation alternative, la collective, et une autre plus traditionnelle, structure hiérarchique des médias. De plus, la structure de leur comité de rédaction, quand il existe, est relativement mouvante, les noms des collaboratrices apparaissent et disparaissent au gré de l'implication dans le mouvement de libération des femmes. Des six publications, comme on le verra plus tard avec l'étude de la «Une», ce sont Les Têtes de Pioche, Des Luttes et des Rires de Femmes pour le Québec et Les Pétroleuses et Histoires d'Elles pour la France qui resteront le plus alternatives en comparaison avec les deux autres, FMH et La Vie en Rose. Le bénévolat: couteau à double tranchantIl me semble que ce balancement entre deux formes d'organisation relativement opposées, sinon contradictoires, finissent par avoir raison de la survie de ces publications. Un autre élément important dans leur organisation, qui vient corroborer cette hypothèse est le bénévolat des productrices. L'ensemble de ces publications font appel au militantisme des femmes pour faire avancer leur situation. Exception faite de La Vie en Rose qui rémunérait ses permanentes, même avec des salaires bien endessous de la moyenne des autres médias ($16 000 par an en moyenne, $14 000 par an en 1986), et ses collaboratrices, de façon symbolique plus qu'autre chose. Le rapport à l'argent est difficile, ce qui explique en partie l'essoufflement des productrices, à force de tenir à bout de bras une publication, qui, comme on va le souligner à propos du marché économique de l'information, doit suivre les mêmes lois de marketing que les autres médias. Mais ce bénévolat est aussi une pratique ambiguë pour les presses féministes françaises et québécoises, car il pose plus globalement le rapport au travail. Alors que les féministes dénoncent dans leurs publications les discriminations salariales, l'exploitation du travail rémunéré, elles se retrouvent à utiliser ce travail gratuit pour leur propre organisation. Ce dilemme devient à mon avis insurmontable, car le bénévolat est un couteau à double tranchant. D'un côté, il encourage toutes sortes de créativité, permet de découvrir des talents insoupçonnés d'organisatrices, des ardeurs, des plaisirs, en donnant aux bénévoles l'impression d'apporter leurs compétences et leur savoir-faire à cette parole de femmes. Il permet aussi de sortir de l'isolement face aux situations d'oppression que subissent les femmes, d'acquérir ou de confirmer un sentiment d'appartenance à un groupe social, une communauté d'idées. Mais, d'un autre côté, il peut être considéré comme une perversion de notre système, entre autres capitaliste, qui utilise en quelque sorte cette main-d'oeuvre bon marché, tout en lui donnant la satisfaction de participer à l'émancipation des femmes. On se retrouve alors dans cette situation paradoxale, où la bénévole est gênée de demander un petit acompte pour ces milliers d'heures investies et où ce que j'appelle les bénévolantes, c'est-à-dire celles qui travaillent avec les bénévoles, sont gênées d'exiger un beau travail bien fini, tout en justifiant les limites de l'imparfait par des «ce sont des bénévoles», ou «on ne peut exiger plus», etc. Comme l'explique Lise Moisan à propos de la mort de La Vie en Rose:
«La Vie en Rose est morte d'avoir trop longtemps voulu vivre d'amour et d'eau fraîche plutôt que d'argent, bref d'avoir négligé l'aspect entreprise de son projet. Nous avons omis de mettre en branle des stratégies de vente et de financement, en les adaptant bien sûr à nos moyens et aux valeurs des lectrices. En partie par manque de conscience et parce que nous étions perpétuellement débordées, et en partie à cause d'une répugnance, bien 'de gauche', face aux règles du jeu commerciales. »89 Mais, somme toute, si le bénévolat a fait son temps chez les femmes, il montre bien les limites auxquelles sont confrontées ces presses féministes du point de vue de leur organisation. Comment passer outre au besoin fondamental des femmes et des féministes de se faire entendre, de parler aux autres femmes, et de le faire autrement que comme la presse féminine, sans y laisser la santé et la sérénité? Le militantisme et le bénévolat des productrices de publications féministes semblent être une barrière de plus qui les conduisent à disparaître. Un marché médiatique saturéSi l'on regarde maintenant le marché économique de l'information existant en France et au Québec, on se rend compte que les contraintes auxquelles ces presses féministes sont confrontées sont énormes. Les deux tableaux aux pages suivantes regroupent un ensemble de données inscrites dans les publications françaises et québécoises. Tout d'abord la périodicité irrégulière (mensuel, bimestriel, trimestriel) et la variation du nombre de pages qui n'assurent pas une très bonne visibilité de ces publications en kiosque, ensuite le tirage en moyenne assez faible, et enfin la publicité commerciale inexistante pour ces publications, sauf pour La Vie en Rose et FMH, l'ensemble de ces caractéristiques les positionne de façon plus ou moins marginale sur le marché médiatique. Par exemple, la publicité commerciale, même si l'on voit qu'elle était assez importante pour certaines publications comme La Vie en Rose, ne représente pas une source de revenus suffisante pour survivre, d'autant plus que ces publications refusent la publicité sexiste. Le budget de fonctionnement de ces publications est faible: les subventions ne donnent qu'un tiers des revenus au maximum, quand elle existent et les ventes en kiosque ne sont pas assez importantes. Restent les abonnements, qui sont leur principale source de revenus. Même si les salaires sont faibles, les dépenses pour une entreprise de presse, comme les coûts de production, d'administration, d'impression, de distribution, de promotion, etc., sont élevées et ne peuvent pas être réduites. Il aurait été important d'approfondir ce rapport au marché économique de l'information, pour comprendre comment la concurrence médiatique laisse peu ou pas de place à une presse politique, mais je ne disposais que de quelques données pour La Vie en Rose, ce qui insuffisant pour conclure pour l'ensemble de presses féministes françaises et québécoises. Marché économique de l'information des publications françaises choisies
Source: Tableau établi à partir des données inscrites dans les publications. 'Le tirage de FMH a beaucoup varié pendant sa parution. Le chiffre entre parenthèses est celui que le journal donne pour ses derniers numéros. Néanmoins, selon d'autres sources, FMH aurait été vendu a la fin aux alentours de 20 000 exemplaires. Marché économique de l'information des publications québécoises choisies
Source: Tableau établi à partir des données inscrites dans les publications, des contacts personnels avec les responsables des publications et des documents de synthèse suivants: Collectif. Sans fleurs ni couronnnes. Bilan des luttes et des Rires de Femmes, Éd. Des luttes et des Rires de Femmes, Montréal, 1982, 171 pages. GICAM, la Vie en Rose: Plan de marketing. GICAMInc. (Conseillers en gestion), Montréal, octobre 1985, 17 pages. GICAM, La Vie en Rose. Scénario «Objectif'87». documents dactylographiés, Montréal, début 1987, 16 pages. Néanmoins, cela a permis de voir que ces publications ont en général un rapport difficile au marché économique de l'information, oscillant entre une forme de presse alternative et une autre de forme «glamour», ne serait-ce qu'au niveau de l'utilisation de la quadrichromie, qui qualifie leur «look» et qui permet d'accrocher les lectrices potentielles. C'est en se donnant à voir, notamment à travers leurs premières pages, que ces publications restent résolument politiques et militantes. Leur style provocant et subversif vient à rencontre de ce que les médias dominants en général diffusent. Pourtant l'impasse ou absence stratégique des presses féministes françaises et québécoises ne découle pas seulement du miroir qu'elles tendent aux femmes. On a vu, à partir des autres étages de fonctionnement du journal, que ces presses doivent affronter bon nombre de problèmes pour survivre. Si leur marge de manoeuvre est très limitée, c'est sans doute parce qu'elles veulent conquérir leur droit à l'expression et à la communication dans un champ médiatique, où les autres médias dominants diffusent une information qui les excluent. Ou bien peut-être ne sont-elles que la face médiatique d'un mouvement social (le mouvement de libération des femmes), qui s'est amoindri? Comment a-t-il évolué depuis son émergence en 1970? Y a-t-il des similitudes et des différences entre la France et le Québec? Que sont les féministes devenues? De quelles féministes parle-t-on? Le prochain chapitre va s'attacher à clarifier ce concept de féminisme, qui devrait s'écrire au pluriel, tellement il recouvre toutes sortes de positions théoriques, d'actions plurielles et de modèles d'interprétation des rapports de sexe. Mais plus encore, il permet, à mon avis, de s'interroger sur les liens étroits entre l'évolution des presses féministes et le mouvement social de libération des femmes. La multiplicité, la mouvance, la précarité et l'éphémérité de ces journaux en France et au Québec s'expliquent-elles par la complexité des féminismes qu'elles médiatisent? Ne doit-on voir dans l'émergence et la disparition de ces presses qu'une analogie avec l'émergence et l'effritement de ce mouvement social particulier? 6. Le féminisme: prise de conscience d'une identité minoritaireAfin de mieux saisir la nature et le sens des débats qui ont alimenté le mouvement international de libération des femmes en France et au Québec/Canada, il faut affiner ce concept de féminisme, qui existe officiellement depuis 1837 dans le dictionnaire français. Il me semble en effet important de retracer les grandes étapes de la pensée féministe et de les situer dans leur environnement théorique, idéologique et stratégique, même si toute typologie engendre des exagérations ou des manques. Pour ce faire, je vais brosser un tableau des grandes étapes de la pensée féministe de 1960 à nos jours, puis donner les grandes lignes de la problématique de la division sociale des sexes selon les courants de pensée répertoriés et expliciter les perspectives de lutte et d'action que sous-tendent ces théories féministes. Ensuite, j'esquisserai un portrait succinct des féminismes français et québécois, qui, bien qu'ils s'apparentent à cette vision spécifique du monde qu'est le féminisme, n'en détiennent pas moins des particularités significatives dans leurs sociétés respectives. Enfin, je proposerai des éléments d'explication pour comprendre l'évolution des presses féministes françaises et québécoises, tout en me référant à la fonction politique qu'elles semblent avoir voulu assumer. Les grands courants de la pensée féministePlusieurs ouvrages89 ont analysé l'évolution de la pensée féministe en France et aux États-Unis, en se basant sur les courants de la pensée politique occidentale ou sur les grandes écoles de pensée comme le marxisme, l'existentialisme, le structuralisme et le freudisme. Pour ma part, j'ai décidé de reprendre la classification offerte par deux sociologues québécoises, Francine DescarriesBélanger et Shirley Roy90, parce qu'elle intègre les problématiques du féminisme occidental en général, qu'elle propose une démarche comparative des divers courants de la pensée féministe, ce qui est fondamental pour l'analyse du corpus, et enfin parce qu'elle suggère une lecture intrinsèque et non réactionnelle de l'évolution de cette pensée, ce qui correspond à l'effort de cette recherche de partir du point de vue des femmes. À cette classification synthétisée, j'ai apporté quelques modifications à la suite d'une lecture plus approfondie de certains courants, notamment le schéma de Danielle Juteau et Nicole Laurin91 qui porte sur les féminismes matérialiste, marxiste et radical. Le féminisme au plurielComme le montre le tableau de la page suivante, on peut identifier quatre grands courants de la pensée féministe, soit le féminisme égalitaire, le marxisme féministe, le féminisme radical et le féminisme de la différence. Alors que Francine DescarriesBélanger et Shirley Roy92 situent le marxisme féministe à la périphérie du mouvement des femmes, je l'ai réintégré dans ce tableau pour plusieurs raisons. Ce courant a été relativement important, surtout en France, où il donnera naissance à ce qu'on appelle la tendance Luttes des classes à l'intérieur du M.L.F.. Au Québec également, l'idéologie marxiste-léniniste aura influencé bon de nombre de féministes qui tenteront d'appliquer un marxisme transformé. De plus, les débats théoriques engagés au sein de ce courant93 et la polémique, opposant Michèle Barrett, Mary Mclntosh94 et Christine Delphy95 sur les concepts de mode de production domestique et de patriarcat, furent assez profonds pour qu'on réintègre ce courant dans l'ensemble de la pensée féministe. De même, j'ai gardé le séparatisme lesbien, issu du féminisme radical lesbien, que les deux sociologues québécoises situent également à la périphérie du mouvement des femmes. Même si les lesbiennes séparatistes vont forcer la division au sein du groupe des lesbiennes, en se retirant du mouvement des femmes et en préconisant la disparition du concept de femme au profit de celui de lesbienne, les clivages entre hétérosexuelles et lesbiennes seront assez marqués pour garder ce courant au coeur de la pensée féministe. Par contre, j'ai retiré de la classification le courant que Francine Descarries-Bélanger et Shirley Roy appellent le néoconservatisme féminin, d'une part parce qu'il développe un discours anti-féministe à rencontre des théories et des revendications du mouvement des femmes, et d'autre part parce qu'il offre une interprétation naturaliste du rôle de la femme, lié à son destin biologique et social. Même si beaucoup de textes féministes sont des réponses à ces prises de position anti-féministes, ce courant représente, à mon avis, un sujet en soi qui se situe en dehors de ma recherche. Enfin, si le courant du féminisme de la différence n'est pas comme tel répertorié par nos auteures, il me paraît important de le mentionner, ne serait-ce que parce qu'il représente actuellement le courant majoritaire dans la pensée féministe, dont le féminisme de la fémelléité96 serait en quelque sorte le prolongement. les courants de la pensée féministe (les grandes étapes de 1960 à nos jours)Théories et analyses de la division sociale des sexesLes différentes étapes de la pensée féministe susmentionnées permettent déjà de souligner les ramifications théoriques et pratiques du féminisme. Mais plus qu'un ordre chronologique d'apparition des courants et des tendances de la pensée féministe, c'est l'interdépendance et la continuité de ces courants qui m'intéressent. De plus, les frontières entre ces différents courants sont loin d'être limpides, mais il me semble essentiel de clarifier ces idées féministes que, bien souvent dans le discours dit scientifique, on récuse ou on dénigre. J'ai donc regroupé dans un autre tableau (voir les pages suivantes) les éléments qui permettent de mieux comprendre ce qu'est et ce que représente le féminisme dans nos sociétés occidentales. On remarque que le féminisme, s'il préconise l'extension des droits et du rôle des femmes dans nos sociétés, propose des fondements et des enjeux théoriques distincts. Il constitue une façon bien particulière d'interroger la réalité sociale et l'ordre établi, car la réalité vécue, quotidienne, et l'expérience des femmes sous ses multiples facettes, servent de point de départ à toute analyse et ne sont plus des abstractions. Il part ainsi de la prise de conscience des femmes de leur condition d'aliénation, d'exploitation, d'oppression et relie ces expériences personnelles à la structure sociale qui les détermine. De plus, il conteste la division de la réalité sociale en sphères publique et privée et l'organisation du savoir selon les dichotomies objectivité/subjectivité et scientifique/non scientifique. II fait partie intégrante de notre connaissance et de notre savoir de femmes. En ce sens, le féminisme, plus qu'une idéologie, est une vision particulière du monde, donnée à partir des rapports de sexe. Mais ses particularités, si elles suggèrent que le discours n'est pas homogène et univoque, sont aussi très dépendantes de l'action. Aux réalités d'inégalité, de différence ou d'oppression que ces courants de la pensée féministe évoquent vont correspondre des interprétations diverses de la libération des femmes. C'est ce que j'ai synthétisé dans un autre tableau à la suite de celui sur la problématique de la division sociale des sexes. La problématique de l'action féministeSi les objectifs sont différents, les revendications et surtout les stratégies le sont encore plus. En fait le mouvement de libération des femmes, qui déclare d'ailleurs l'année 1970 l'année zéro97 en France, est tout aussi entremêlé de diverses tendances, comme le sont les théories. Si les féminismes français et québécois s'inscrivent, comme on le verra un peu plus tard, dans une continuité historique nationale, le contexte international est fondamental pour comprendre l'émergence de ce mouvement social. 1970 va marquer le renouveau de l'action collective féministe, aussi bien en France qu'au Québec, car c'est à partir de ce moment que les positions et les actions vont se radicaliser, les écrits se multiplier, la réflexion théorique s'enrichir. Plus ou moins organisé, ce mouvement social international va exiger la transformation de l'ordre social, des rapports hommes/femmes, de la structure sociale patriarcale. Ce seront jusqu'aux alentours de 1980 les grandes années de sororité, qui ensuite laisseront transparaître un certain essoufflement (et non une mort), sensible dans l'action comme dans la production. Mais, il ne faut pas oublier que les revendications du M.L.F. français et du mouvement des femmes québécois sont partie intégrante de l'histoire du féminisme.
Problématique de la division sociale des sexes
Source;synthèse établie à partir de ma propre recherche et des deux ouvrages mentionnés pour le tableau précédent sur les courants de la pensée féministe (p. 83). Problématique de l'action
Source: synthèse établie à partir de F. DESCARR1ES-BÉLANGER et S. ROY. «Le mouvement des femmes et ses courants de pensée: essai de typologie», ICREF/CRIAW (documents), no 19, tableaux 1, 2, 3 et 4, 1988. Comme le note Nicole LAURIN:98 «Les femmes ont lutté pour et contre leur intégration dans la société dite mâle. Pour, au sens où elles réclament et occupent déjà dans une certaine mesure, des places nouvelles dans cette société, refusent pour la plupart de s'en tenir aux anciennes fonctions de mère, épouse, maîtresse, servante, égérie, etc. Contre, au sens où elles répugnent bien souvent à endosser l'uniforme de leurs nouvelles fonctions: le pouvoir, l'autorité, l'ambition, la performance, la compétition, l'impassibilité, l'impersonnalité... et continuent à tricoter en rêve pour des enfants incertains. De même, les féministes se sont beaucoup préoccupées des ménagères, archétype à divers égards de la femme opprimée. Toutefois, on ne sait plus si le féminisme veut valoriser les ménagères et empêcher leur disqualification ou s'il veut leur disparition, leur exode massif hors des banlieues ghettos. Les ménagères quant à elles, le savent encore moins.» Le mouvement des femmes, en France et au Québec, n'est ni un parti, ni une association. Personne ne représente personne, les structures de ce mouvement social sont floues et de cette nébuleuse complexe, éparpillée, mouvante, insaisissable, tout discours qui essaie de le définir et de le cerner sera banni pendant de longues années par les féministes. Le M.L.F. français et le mouvement des femmes québécois, ce sont toutes les femmes, mais la participation au mouvement des femmes restera longtemps une condition nécessaire à sa connaissance et aux prises de parole. Le sempiternel «d'où tu parles?», caricaturé à l'extrême dans toutes les réunions et manifestations publiques, finira par écœurer bon de nombre de femmes, qui ne savent plus se reconnaître dans cette multiplicité de discours et de tendances, surtout en France. C'est sans doute ce qui fait que la relève, tant recherchée, aura du mal à se faire reconnaître, car, si le féminisme suppose une prise de conscience individuelle et collective de notre condition de femmes, il n'est peut-être pas nécessaire d'exiger de chacune une connaissance approfondie de toutes les théories et actions liées au mouvement des femmes. Le tiraillement de cette relève, entre les discours des féministes, structurés mais fort complexes, et ceux des anti-féministes, individualistes mais fort prisés actuellement, est très compréhensible. Le mouvement de libération des femmes: émancipation, institutionnalisation et radicalismeNéanmoins, il est important de comprendre les relations que tisse ce mouvement international de libération des femmes avec l'évolution plus globale de la société et d'en dégager les grandes caractéristiques pour nos deux sociétés particulières. Plusieurs courants semblent traverser ce mouvement social. Tout d'abord, le courant émancipateur, de loin le plus important, fait de l'obtention de l'égalité de droit et de fait des femmes, l'axe essentiel de ses pratiques. Au Québec, on parlera aussi du courant réformiste. Il englobe des organisations de femmes, mixtes, proches des organisations de gauche, qui relient la problématique de l'égalité des femmes à celle de l'accession au pouvoir politique et économique, mais aussi toutes les femmes, qui, à la maison, tentent d'instaurer un nouveau rapport entre les sexes. Ensuite, le courant institutionnel instrumentalise l'action du courant émancipateur et formalise son action dans une pratique de groupes de pression auprès du pouvoir. Il sert en quelque sorte de médiateur entre l'appareil d'État et la révolte des femmes. Enfin, le courant radical part du postulat que l'antagonisme premier se situant entre les hommes et les femmes, il ne s'agit pas seulement de conquérir des droits mais plutôt de définir un nouveau type de socialite. Les hommes sont ici placés socialement en position d'oppresseurs, «l'ennemi principal», et la non-mixité deviendra un des principes fondateurs des mouvements de femmes français et québécois. Rapidement exprimée, cette caractérisation du mouvement social des femmes permet cependant de saisir pourquoi le féminisme est tant décrié actuellement, puisque ce sont surtout les actions des femmes du courant radical qui seront le plus rendues visibles par les médias. D'autres points communs apparaissent pour la France et le Québec. Issu de la gauche radicale, le mouvement des femmes va utiliser certains des principes subversifs de la révolte de Mai 68 et de la révolution tranquille. Redéfinition du politique, critique du gauchisme et du nationalisme, rupture avec le militantisme de l'extrême-gauche pour la France et des ML (Marxistes-Léninistes) pour le Québec, construction de ce que Françoise Picq99 appelle «l'utopie féministe», c'est-à-dire le refus de la théorie et des spécialistes, le refus de l'organisation «organisée» et l'utopie d'un monde sans pouvoir. Si donc le mouvement social des femmes, apparu au tournant des années 70, est un phénomène qui a bouleversé l'ensemble des sociétés occidentales, les formes qu'il a prises varient d'un pays à l'autre, selon l'histoire et la situation sociopolitique. C'est ce qu'on va souligner maintenant pour la France et le Québec. Le féminisme français: déchirure et hégémonie d'une tendance du M.L.F.1970-1979: deux dates clés pour comprendre l'émergence, les déchirures profondes et l'anéantissement du mouvement français de libération des femmes, avec le dépôt légal du sigle M.L.F. par la tendance Psychépo (Psychanalyse et Politique). À partir de 1980 et jusqu'au début des années'90, le M.L.F. sera moins cernable. Je n'insisterai pas vraiment sur cette période100, car l'histoire du M.L.F. dans son ensemble n'est pas le propos de ce livre. Comme le remarque Françoise Picq:101 «La France est le seul pays où les conflits ont eu cette violence, alors même que le Mouvement y avait d'abord été unitaire. Nulle part ailleurs les contradictions du féminisme -contradictions politiques entre féminisme radical et féminisme socialiste, contradictions idéologiques entre féminisme et néoféminituden'ont abouti à des déchirements aussi dramatiques. Dans ces particularités du Mouvement français, on a l'impression d'apercevoir les problèmes habituels de la vie politique de ce pays, les divisions idéologiques profondes, l'affrontement dramatisé, l'incapacité à se satisfaire longtemps de l'imperfection du réel.»102 C'est donc en 1970 que le M.L.F. français fera publiquement son apparition, par un article-manifeste 103, publié dans L'idiot international. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard de voir l'émergence de ce mouvement des femmes dans la presse, car le développement du M.L.F. sera très largement marqué par des relations difficiles avec les médias traditionnels. C'est aussi par des actions ponctuelles et radicales que le M.L.F. se manifestera même si un travail souterrain effectué par d'autres groupes, dont le FMA (Féminin, Masculin, Avenir), qui se réunissait depuis 1967, sous l'impulsion d'Anne Zelinski, et qui deviendra plus tard Féminisme, Marxisme, Action, et le groupe femmes de VLR (Vive la révolution), aura sans doute donné les prémisses du M.L.F.. F. Picq104 souligne par exemple l'action d'un petit groupe politique qui allie réflexion théorique et pratique militante (février 1970, débat à la MJC de Villiers-Le-Bel, participation à la conférence d'Oxford, voyage en Hollande en mai 1970, contacts avec les Dolle Mina). Ce groupe rencontre FMA, qui deviendra non mixte, et auquel s'adjoint un autre groupe éphémère, Les oreilles vertes. Parmi les actions les plus marquantes, on peut mentionner, entre autres, le meeting mouvementé de Vincennes; la manifestation à l'Arc de Triomphe, où une dizaine de femmes déposèrent, en signe de solidarité avec les Américaines en grève, une gerbe pour la femme inconnue du soldat (26 août 1970); l'action devant la prison de la Petite Roquette, où des femmes s'enchaînèrent symboliquement pour signifier leur inscription en tant que femmes dans la lutte contre la répression et leur solidarité avec les prisonniers, le 20 octobre 1970, à la veille du procès Geismar; la perturbation des États généraux de la femme, organisé par le magazine Elle, en novembre 1970, où quelques dizaines de femmes en colère dénoncèrent «l'escroquerie politique que constituait cette entreprise» et distribuèrent un contre-questionnaire ironique. Des marguerites à la guerre larvée des tendancesEn fait, de 1970 à 1979, on peut distinguer trois périodes distinctes qui montrent les changements de dynamiques et d'action au sein du M.L.F.. Il naît et évolue au début des années 70 dans un vaste mouvement de contestation sociale et permet la rencontre de deux démarches, celle du féminisme qui, dans les années 60, connaît un renouveau, et celle, issue de Mai 68, qui pose la question des femmes en termes de mouvements sociaux et de luttes collectives. Ce sera l'effervescence des actions spontanées et subversives, ce que Françoise Picq105 appelle «les petites marguerites», qui deviendront les féministes révolutionnaires. Le milieu de la décennie, aux alentours de 1973-1975, alors que le président Valéry Giscard D'Estaing instaure un Secrétariat d'État à la condition féminine (1974), nomme quatre femmes ministres, que la loi Veil sur l'avortement sera votée (1975), que sévira le premier choc pétrolier (1973) et les débuts de la crise économique, est une période très difficile pour le M.L.F. Les tendances s'entre-déchirent et l'unité du mouvement de libération des femmes est sérieusement menacée. Si dans le M.L.F. du début, on retrouve les idées et pratiques du marxisme, de l'extrêmegauche, surtout les Trotskistes et les Maoïstes, le tiers-mondisme, etc., les contradictions vont alors s'afficher, se crisper et devenir de véritables tendances du M.L.F., qui n'arriveront plus à s'unifier. On peut distinguer trois grandes tendances: Lutte des classes, Féministes révolutionnaires et Psychanalyse et politique (Psychépo). La tendance Lutte des classes essaie de lier l'oppression des femmes et le capitalisme, de construire un mouvement autonome, axé sur les ouvrières et les employées, et se constituera en juin 1975 lors d'une rencontre nationale. Dans cette tendance, on retrouve les premiers groupes de quartier du M.L.F., qui se réunissent depuis 1971, le Cercle Elisabeth Dimitriev, où se regroupent depuis 1973 des militantes de l'AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire), et plus tard le Cercle Flora Tristan, qui propose de «sortir de l'ombre du féminisme bourgeois» . En mars 1974, il y aura un clivage entre les femmes qui éditent Les Pétroleuses, plus proche de la Ligue communiste révolutionnaire et d'autres militantes de Révolution (groupe issu de la scission de la LCR en 1971), qui publieront Femmes en lutte et ensuite Femmes travailleuses en lutte, plus proche de la gauche révolutionnaire. Les débuts de 1976 verront émerger le MAF (Mouvement Autonome des Femmes) qui regroupe la Coordination des Groupes Femmes Paris et la Coordination des Groupes Femmes Entreprises. La tendance Féministes Révolutionnaires, que d'autres auteures106 appellent aussi Luttes Féministes, se constitue en octobre 1970 et se dissout en janvier 1971. Mais elle continuera d'exister, en s'affirmant féministe, et finira par se fondre dans l'ensemble du Mouvement, exception faite de la tendance Psychépo, qu'elle rejettera farouchement. On retrouvera dans cette tendance un ensemble de groupes de femmes qui ont surtout entrepris des actions d'éclat107 et qui s'opposera par la suite à la Ligue du droit des femmes, marrainée par Simone De Beauvoir, qui éditera son propre journal, Les Nouvelles féministes, en mars 1974. Les féministes révolutionnaires refuseront les principes légalistes de la Ligue du droit des femmes, qui entend lutter contre toute forme de discrimination faite aux femmes, notamment par des moyens juridiques et des pétitions. Ce sont des femmes de la Ligue qui créeront SOS-femmes-Alternatives, qui permettra d'obtenir en février 1978 un refuge pour femmes battues, subventionné par le ministère de la Santé et du Travail. En 1974, un centre de coordination, le GLIFE (Groupe de Liaison et d'Information Femmes et Enfants) est mis sur pied et plus tard, en mai 1977, un collectif contre le viol, SOS Femmes violées. L'anti-féminisme de PsychépoLa tendance Psychanalyse et Politique (Psychépo), sous la houlette du «seigneur charismatique»108, Antoinette Fouque, finira par détruire le M.L.F. français. Dès 1968, des femmes suivent un enseignement de psychanalyse à l'Université de Vincennes, veulent articuler une psychanalyse lacanienne «rectifiée» avec le discours politique du matérialisme historique, en rejetant toutes les «déviances», du trotskisme au féminisme. En fait, cette tendance refuse de reconnaître la pluralité de leurs opposantes et s'instaure en véritable multinationale des femmes: fondation de la maison d'édition Des femmes en 1973, d'une librairie Des femmes en 1974, édition du mensuel Des femmes en mouvements en janvier 1978, qui deviendra hebdomadaire en octobre 1979, rencontres de femmes en province en 1972 et 1973. Puis, à partir de 1977, viendra le temps des procès entre cette tendance et ce qui reste du M.L.F., pour en arriver au coup d'éclat final, avec le dépôt légal de l'association Mouvement de libération des femmes (M.L.F.) par cette tendance. Le M.L.F. français est parcouru de ces contradictions, qui tiennent à la fois aux stratégies du mouvement dev libération des femmes et aux définitions de l'identité féminine. À la fin de la décennie, marquée par la dégradation du climat social français, avec la montée et la rupture de l'Union de la gauche, le M.L.F. connaîtra une rupture définitive entre la tendance Psychépo et le reste du Mouvement. Cet événement contribue à la démobilisation des militantes, même si l'effet premier est un réveil pour dénoncer cette imposture. Mais globalement, cette tendance a fini, par l'excès de ses positions et par son opposition irréductible au féminisme par invalider toutes les actions et les théories avancées par le mouvement de libération des femmes. En mai 1980 paraîtra le premier numéro de Madame Figaro, où l'article d'Hélène De Turckeim, intitulé: «Féminisme? Il n'y a plus que les hommes pour y croire!» marque bien la fin de cette contestation collective, du féminisme comme mouvement social, même si la troisième période de 1977 à 1979 voit un renouveau de l'expression et de la réflexion théorique. Le changement de gouvernement en mai 1981, avec l'arrivée des socialistes au pouvoir, modifie quelque peu les données de l'action féministe. On rentre dans une phase institutionnelle, avec un ministère des Droits de la femme sous la direction d'Yvette Roudy et l'attitude des féministes oscille entre les critiques et l'approbation. Peu de groupes survivent et la Décennie Internationale de la Femme, tant décriée par le M.L.F. au moment de son envoi en 1975, sera accueillie avec intérêt lors de sa conclusion à Nairobi. Le M.L.F. français aura été particulièrement déchiré et l'hégémonie d'une tendance (Psychépo) aura eu raison de sa survie. Le contexte sociopolitique national -goût pour la radicalité et le discours emphatique, phobie du réformisme et du compromis, surévaluation du politique et résistance à l'Étatet la particularité des rapports de sexe, une certaine représentation de l'amour, de la séductionauront certainement influencé l'évolution de ce mouvement. Cette simple comparaison permet de comprendre la place particulière que va prendre le féminisme québécois, qui, à mon avis, représente une symbiose fort intéressante entre le féminisme français, très théorisant et en compétition féroce avec une tradition idéologique de gauche marquée, et le féminisme américain, beaucoup plus pratique mais aussi très virulent dans son radicalisme. Le féminisme québécois: ni théorique, ni mouvementé?J'ai repris cette qualification du féminisme québécois de l'écrivaine Nicole Brossard109, qui explique: «Le féminisme doit travailler en des lieux multiples et élaborer des stratégies selon qu'on s'attaque à l'imaginaire patriarcal (féminisme radical et lesbien), au pouvoir des hommes (féminisme radical politique) et à l'injustice (féminisme réformiste et marxiste). On peut dire que le féminisme québécois a oeuvré dans chacun de ces domaines. Mais, phénomène étrange, alors que le mouvement féministe compte plusieurs féministes radicales et lesbiennes, le féminisme québécois est d'apparence certaine un féminisme straight. C'est, en 1985, un féminisme 'droit', 'd'aplomb', efficace et tolérant à l'égard des différences qui l'animent. C'est un féminisme sans excès de paroles, sans frasques, dévoué et compétent. (...) Le féminisme québécois est straight parce qu'il n'est ni théorique, ni mouvementé.» 110 Sans masquer les divergences et les contradictions existantes à l'intérieur du mouvement des femmes au Québec, notamment les tensions entre les féministes radicales, les féministes marxistes et les lesbiennes radicales, on retrouve les trois courants susmentionnés et leur influence sera plus ou moins marquée à des moments différents de l'histoire depuis 1970. Empreint d'un pragmatisme anglo-saxon à l'américaine, mais aussi influencé par les théories françaises, le mouvement des femmes québécois a ébranlé, tranquillement et obstinément, les rapports entre les hommes et les femmes. Les progrès, limités mais incontestables, opérés en un laps de temps très court, restent tangibles pour les Québécoises. Ici, non seulement l'oppression des femmes et la nécessité de leur libération sont reconnues par les autorités comme un fait social, mais encore la lutte autonome des femmes l'est aussi. Le danger d'aller vers un féminisme d'État, qui dirige et contrôle les revendications des femmes, n'est pas absent, mais celui d'une démission du mouvement des femmes face à des institutions qui protègent et défendent leurs droits, sans remettre en cause les fondements de la société, l'est plus encore à mon avis. Allier la libération nationale à celle des femmesPourtant, l'histoire du mouvement des femmes au Québec aura surtout été marquée par la difficulté d'articuler trois objectifs: libération des femmes, libération nationale et libération sociale. On a distingué pour expliciter ce dilemme, qui en fait une des caractéristiques essentielles, quatre périodes: l'émergence et l'implantation du mouvement (1969-1972); l'élargissement des revendications et la multiplication des groupes de femmes ou le féminisme apprivoisé (1972-1975); l'enracinement et la récupération étatique des luttes des femmes (1975-1980); l'aprèsréférendum des féministes (1980 à nos jours).111 1969: c'est l'heure de la contestation sociale au Québec, comme partout ailleurs. Aux États-Unis, les yeux sont rivés sur le mouvement des droits civils des Noirs, après l'assassinat de Martin Luther King en 1968, et la contestation contre la guerre du Vietnam qui s'enlise. Au Canada, le rapport de la Commission Bird va avoir un impact considérable au Québec, même si au départ cette annonce d'enquête est plus ou moins bien accueillie dans la belle province, suite aux éternels conflits de juridiction entre le Québec et le Canada. En février 1967, le gouvernement du Canada institue une Commission royale d'enquête sur la situation de la femme et la question des femmes devient alors une affaire publique: 469 mémoires, plus de 1 000 lettres, des audiences publiques durant 37 jours dans 14 villes où plus de 890 personnes viennent exposer leurs griefs, 34 études sur des points particuliers. Le 28 septembre 1970, un rapport de 540 pages, assortis de 167 recommandations, est publié. Cette commission recommande avant tout que l'égalité la plus complète soit établie entre les hommes et les femmes dans les faits et dans les institutions. Le rapport Bird va être considéré comme une véritable bombe, moins à cause de ces recommandations, même si certaines sont particulièrement audacieuses pour l'époque que par le fait que toutes les associations féminines de l'époque vont se mettre en branle pour y répondre. C'est la naissance d'un nouveau féminisme réformiste, qui, après les longues années pour l'obtention du droit de vote112, va connaître un regain d'intensité surtout à partir de 1972 et jusqu'au début des années 80. Mais durant les trois années suivantes, c'est surtout le féminisme radical, du fait de l'influence prépondérante des Américaines, comme Kate Millett, qui va être sur le devant de la scène publique, faisant éclater la révolte des femmes. Le 28 novembre 1969, 200 femmes s'enchaînent et défilent la nuit pour protester contre le règlement anti-manifestation, voté par l'administration Drapeau, dans le but de contrer le mouvement de contestation à Montréal. 165 femmes seront incarcérées. 30 d'entre elles se regroupent ensuite et fondent le FLF (Front de libération des femmes) en janvier 1970. Ces femmes sont issues de la gauche québécoise. Elles ont milité au RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale), au PSQ (Parti socialiste du Québec), au FLP (Front de libération populaire), à des comités de citoyens ou à des syndicats. D'ailleurs le sigle FLF n'est pas sans rappeler le FLQ (Front de libération du Québec), qui va subir la dure répression policière de la crise d'octobre. En 1970, le parti libéral reprend le pouvoir au Québec, en promettant 100 000 emplois, promesse qu'il ne pourra tenir et qui marquera une aggravation du climat social et économique, avec son point culminant dans la crise d'octobre. Cette période de l'histoire du Québec (du 6 au 25 octobre 1970) va secouer très brutalement la société québécoise, d'apparence si tranquille. Voici très brièvement quelques faits: le 5 octobre, un attaché commercial britannique, James Richard Cross, est enlevé par des membres du FLQ, qui «veut l'indépendance totale des Québécois réunis dans une société libre purgée à jamais de sa clique de requins voraces, les big boss patronneux et leurs valets qui ont fait du Québec leur chasse gardée du cheap labour et de l'exploitation sans scrupule» (extrait du Manifeste du FLQ, diffusé à Radio-Canada le 8 octobre). Peu après, le ministre du Travail Pierre Laporte est enlevé et sera exécuté le 17 octobre par les membres de la Cellule Chénier. Le 1er décembre, James Cross sera libéré et les membres de la Cellule libération qui l'avaient enlevé obtiendront un sauf-conduit pour Cuba. Entre temps, le 16 octobre, l'armée canadienne entre à Montréal, c'est la promulgation de la Loi des mesures de guerre et des centaines de Québécois et de Québécoises seront arrêtés pour complicité ou sympathie avec le FLQ. Le 4 janvier 1971, Lise Balcer refuse de témoigner lors du procès de Paul Rose, un des membres de la Cellule Chénier, arrêté le 26 décembre 1970. Elle voulait sensibiliser le public au fait que les femmes n'avaient pas le droit d'être jurés. Elle sera condamnée pour outrage au tribunal, avec sept autres personnes du FLF qui avaient envahi le banc des jurés. La loi permettant aux femmes d'être juré lors de procès sera alors modifiée, quelques mois plus tard. Cette crise d'octobre et ses conséquences sociopolitiques entraînera l'élection du Parti Québécois en 1976, avec René Lévesque. Mais ironie de l'histoire, c'est le même premier ministre Robert Bourassa, qui avait fait appel à l'armée canadienne pour réprimer les aspirations à l'indépendance des Québécois en 1970, et qui l'appellera de nouveau à l'été 1990 pour riposter aux revendications d'autonomie des Mohawks à OKA, dans la banlieue de Montréal. La question nationale au Québec, à partir de la fin des années 60, fera partie des mouvements plus larges de décolonisation ailleurs dans le monde. Comme en témoigne le Manifeste des Québécoises, publié au printemps 1971, dont le slogan sera: «Pas de Québec libre sans libération des femmes! Pas de femmes libres sans libération du Québec!», il s'agit pour les Québécoises de refuser l'exploitation culturelle dans leur pays. Alors que ce sont les anglophones, proches des milieux radicaux des universités Concordia et McGill, qui ont mis sur pied le premier mouvement de libération des femmes (Montréal Women's Liberation Movement) à l'automne 1969, et qui publieront une brochure sur le contrôle des naissances vendue à plus de deux millions d'exemplaires, elles seront exclues du FLF à la fin 70, pas seulement à cause de divergences idéologiques mais surtout à cause du nationalisme intransigeant des Québécoises. Mais le FLF se dissoudra en décembre 1971, après de longs débats entre les femmes qui donnent priorité à la lutte des classes et les féministes radicales, qui considèrent les rapports d'oppression hommes/femmes comme une contradiction principale et non pas secondaire à la lutte sociale et nationale. C'est surtout à partir de 1975 et jusqu'au début des années 80 que les femmes vont s'insurger contre le sexisme qui prévaut dans les organisations syndicales, en grande partie contrôlée par les hommes. Lors du congrès de 1975, la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) présentera un document important: «le combat syndical et les femmes». Le comité Laure Gaudreault à la CEQ (Centrale de l'enseignement du Québec) publiera «les stéréotypes sexistes dans l'éducation». À la CSN (Confédération des syndicats nationaux) sortira en juin 1978 le rapport sur «la lutte des femmes: pour le droit au travail social». Les actions conjointes de ces femmes mèneront aux États généraux des travailleuses salariées en mars et novembre 1979, avec le slogan: «toutes les femmes sont d'abord des ménagères». Le féminisme s'apprivoiseÀ partir de 1972, le mouvement des femmes prend son essor. D'un côté, les féministes radicales vont chercher à devenir plus autonomes par rapport à la gauche québécoise, qui, au début de 1970 s'était notamment organisée autour du FRAP (Front d'action politique). Cette prise de distance à l'égard de la gauche devait permettre de faire reconnaître la légitimité du mouvement des femmes, qui deviendra par la suite le Mouvement Autonome des Femmes. Le Centre des femmes (1972-1975), le CLACLG (Comité de lutte pour l'avortement et la contraception libres et gratuits, 1974-1981), la revue Québécoises Deboutte! (1971-1974), le Théâtre des cuisines (1973-1976), dont la pièce «Môman travaille pas, a trop d'ouvrage» va être systématiquement boycottée par les groupes populaires et les groupes politiques, seront au centre de ce mouvement d'autonomie. D'un autre côté, les grandes organisations féminines113 vont graduellement se radicaliser, tout en restant dans le courant féministe réformiste. Les pressions notamment de la FFQ (Fédération des Femmes du Québec) et d'autres groupes aboutissent le 6 juillet 1973 à la création du CSF (Conseil du Statut de la femme), organisme d'étude et de consultation qui va encourager de nombreuses études sur la condition des femmes et qui sert à conseiller le gouvernement du Québec sur cette question. Le CSF va mettre sur pied des services aux femmes,114 publier une revue trimestrielle gratuite, La Gazette des femmes, sortira en 1978 son «manifeste»: «Pour les Québécoises: égalité et indépendance», va mener une large campagne contre le sexisme en 1979-80, etc. C'est durant cette période d'élargissement des revendications des femmes que la Ligue des femmes du Québec met sa priorité d'action sur la syndicalisation des femmes, que le R.A.I.F. (Réseau d'action et d'information des femmes), qui se donne comme tâche de combattre le patriarcat notamment sur le plan législatif, se crée en 1973, que le CIRF (Centre d'information et de référence pour femmes) offre des services d'information sur toutes sortes de sujets (garderies, services médicaux, logement, etc.), que se met en place le Front commun contre la pornographie. Il est intéressant de noter que contrairement au M.L.F. français qui s'entre-déchire, le mouvement des femmes au Québec semble s'accommoder de ses différents courants -réformiste, institutionnel, radical, marxistesans trop de heurts, du moins en apparence. On dirait qu'il s'apprivoise. L'année internationale de la femme, décrétée par l'O.N.U. en 1975, va servir de coup de pouce pour un féminisme pluraliste, qui penche de plus en plus vers un féminisme autonome, dégagé de l'emprise du marxisme et du nationalisme, même si les rapports du mouvement des femmes avec le Parti Québécois au pouvoir en 1976 et les mouvements socialistes ne sont pas dénués de conflits et de contradictions. 1975 marquera une étape fondamentale pour le mouvement des femmes au Québec. Il va s'amplifier et se diversifier. Le féminisme est-il devenu un thème à la mode? En tout cas, la libération des femmes au Québec va passer au premier plan sur l'agenda politique. Le mouvement des femmes semble trouver sa force et sa cohésion dans l'organisation de regroupements de projets concrets. Signalons, sans chercher à être exhaustive, la formation de l'Intergroupe (1975-1977) dans la lutte pour l'avortement libre et gratuit; la reconstitution du Collectif d'AutoSanté des femmes en 1978; la création de Groupes de thérapie féministe; la mise sur pied du CAVV (Centre d'aide aux victimes de viol) en 1975; la création de refuges pour les femmes battues au cours de 1977; la création d'un centre d'accueil pour les jeunes femmes enceintes (Elisabeth House) en 1978; la constitution d'un Regroupement des maisons d'hébergement pour femmes en difficulté fin 1978; la formation de la Collective de Montréal du Mouvement contre le viol (MCV) en juin 1979, d'où sortira le projet du Théâtre expérimental des femmes; la création de deux maisons d'édition féministes (les Éditions de la pleine lune en 1975 et les Éditions du Remue-Ménage en 1976); la mise sur pied de centres de documentation (Centre de documentation féministe en 1975, le CRI des femmes en 1978 et Relais-Femmes en 1980); la mise sur pied de cours à l'université sur la condition féminine (UQAM, 1972; U. de M., 1980; Institut Simone De Beauvoir à Concordia, 1978); l'ouverture de la Maison des femmes de Montréal en 1977, lieu de rencontre et d'échanges qui fermera en juin 1978; la librairie des femmes d'ici en 1975 qui deviendra par la suite l'Aube-Épine, puis l'Essentielle; la mise sur pied du Réseau Vidéo de Femmes en 1978 et de la galerie Powerhouse en 1973; etc. L'entrée du Parti Québécois au pouvoir en 1976 marque également une avancée dans le champ des réformes (congés de maternité, normes du travail, services de garde, réforme du code civil) et en septembre 1979, le gouvernement nommait une ministre d'État à la Condition féminine, Lise Payette, et formait un comité ministériel permanent de la condition féminine. L'affaire des YvettesPourtant, les femmes vont vite devenir un enjeu dans le débat politique entourant le référendum de mai 1980 sur l'indépendance du Québec (la souveraineté-association de René Lévesque qui se soldera par un non à 60%). Certaines militantes féministes, déçues par l'ambiguïté du discours des Péquistes sur les femmes et notamment sur le fait que le premier ministre avait refusé d'endosser la résolution en faveur de l'avortement au congrès du Parti Québécois en 1977, quitteront le Parti pour former en 1978 le Regroupement des femmes québécoises. Il s'agissait de profiter du référendum pour monnayer l'appui des femmes en échange de réalisations gouvernementales, en quelque sorte de doubler le Parti Québécois sur l'aspect de la modernisation de la société québécoise. Pourtant, en choisissant Lise Payette comme porte-parole sur la question des femmes, le gouvernement péquiste semble valoriser la femme qui a un emploi, est scolarisée et s'affirme comme individue et non pas seulement comme mère ou épouse, et tente par cette initiative de répondre au Regroupement. Mais le P.Q. ne saura pas répondre au Mouvement des Yvettes que le Parti Libéral a pu exploiter à son seul profit. Ce mouvement est né à la suite au discours référendaire, le 9 mars 1980, de Lise Payette, où elle associe l'épouse de Claude Ryan à l'Yvette des manuels scolaires. Superbe gaffe de la ministre d'État, qui en multipliera d'autres plus tard, comme son documentaire Disparaître sur les problèmes de la natalité et de la disparition du peuple québécois, aux propos xénophobes et racistes, surtout à l'égard des immigrants, qui prennent la place des Québécois dits de souche. Sans insister davantage, ce documentaire témoigne d'ailleurs tout à fait de l'ambiguïté du discours nationaliste québécois, à la fois émancipateur et quelque peu fascisant, avec un retour sur des valeurs traditionnelles et une envie de se moderniser. À la suite de ce discours qui témoigne du mépris envers les ménagères au nom de la modernité, 14 à 15 000 femmes, les Yvettes, se rassemblent au forum de Montréal le 25 avril 1980, et décident d'encourager le non au référendum. Le même jour, 15 000 personnes du Comité des Québécoises pour le oui se rassemblent Place Desjardins et viennent fêter le 40e anniversaire du droit de vote des Québécoises. Quelques groupes autonomes réagiront à l'opération de charme et participeront à la campagne du «oui critique». L'échec du référendum marquera sans aucun doute la fin des relations entre le mouvement des femmes et les mouvements indépendantistes. Comme le souligne Diane Lamoureux:115 «À plusieurs égards, le mouvement féministe contemporain partage cette ambivalence idéologique (avec le Parti Québécois). De ce mouvement, au cours des dernières années, on pourrait dire qu'il est constamment situé sur une ligne de tension entre modernisation et autonomie. Certaines de ces actions visaient une égalité de statut par rapport aux hommes alors que d'autres témoignaient d'une volonté d'articuler une spécificité des femmes dans l'univers personnel, social et politique et de faire éclater les paramètres de cet univers. » À partir de 1980 et jusqu'à nos jours, on assiste au Québec à un certain «backlash» anti-féministe. Le mouvement des femmes se disperse et se fragmente. Après le rendez-vous manqué avec l'histoire, c'est l'heure aussi pour les femmes des bilans, remises en question et recherches plus individuelles. C'est peut-être dans le domaine culturel que les féministes québécoises s'affirment le plus, même si Le Centre des femmes de Montréal existe encore, après dix ans de travail. Près de 10 000 femmes par année viennent chercher des services de toutes sortes à ce centre et c'est le plus important au Canada. Le CSF et le RAIF poursuivent leur travail d'information et d'études sur la condition des femmes. En fait, contrairement au M.L.F. français, il semble que le mouvement des femmes québécois se permet d'accepter les divergences et les contradictions inhérentes à tout mouvement social, en cherchant à atteindre ses buts (égalité et autonomie des femmes), peu importe la voie des actions choisies.116 Si les revendications et les luttes des femmes sont les mêmes en France et au Québec, les Québécoises ont beaucoup plus avancé, notamment en ce qui concerne le harcèlement sexuel sur les lieux du travail et la santé physique et mentale des femmes. Elles sont en quelque sorte très «pratiques», laissant parfois le non-dit l'emporter sur les harangues idéologiques des Françaises. Mais, la notion de radicalisme a fait bien souvent l'objet de tensions entre les féministes, notamment en ce qui concerne le rapport hétérosexuelles/lesbiennes. Le séparatisme lesbien, qui veut rompre tout contact avec «la classe oppressive» et sa logique, donc avec les hommes mais aussi les femmes-féministes, jugées «collabos», est relativement fort au Québec. D'autre part, les relations entre militantes féministes et chercheures universitaires ne sont pas des plus roses, comme en témoignent les résultats du Colloque sur les femmes et la recherche en mai 1979. Malgré des différences fondamentales entre le M.L.F. français et le mouvement des femmes au Québec, le droit de dire son mot sur les choses et le monde, la volonté de s'immiscer dans les affaires publiques de la cité, la nécessité de contrecarrer les orientations sociales et politiques de toute société, bref, le droit d'être «informée» pour comprendre la société actuelle, y prendre sa place et agir en véritable sujet social, restent leurs points communs. Même si le féminisme a eu pendant un certain temps droit de cité dans la presse féminine par exemple,117 actuellement les problèmes de la condition des femmes dans ces sociétés sont de moins en moins évoqués, à l'exception d'événements dits marquants, c'est-à-dire que les médias jugent bon de couvrir. Alors que la presse féminine s'intéresse aux femmes et les confine dans des images de «femme libérée» ou de «Superwoman», les presses féministes semblent refuser ce système d'images. Elles tentent plutôt de faire émerger dans leur société un nouveau système de représentation sociale, en collaborant activement à l'exécution des revendications des femmes, à travers une participation directe aux décisions politiques et une certaine forme de démocratisation de l'information. L'évolution en dents de scie de la presse féministe françaiseEn fait, d'un pays à l'autre, on peut percevoir les mêmes problèmes de périodicité plus ou moins régulière, de tirage quasiconfidentiel et d'une multiplicité du contenu de ces publications. Par contre, l'évolution dans le temps de ces presses est nettement différente. La presse féministe française évolue en dents de scie et suit les déchirements entre les différentes tendances du M.L.F.; par contre la presse féministe québécoise a une ascension beaucoup plus régulière, «ni théorique ni mouvementé», comme son mouvement des femmes. Comme le montre le tableau de la page suivante, il y a un accroissement progressif du nombre des périodiques féministes jusqu'en 1979, puis l'amorce d'une chute drastique à partir de 1980, au point que certaines et certains ont parlé d'ère post-féministe. On y retrouve tout d'abord la période de «mise à nu, spectaculaire, minoritaire, intellectuelle»118 de 1970 à 1977. Les luttes et manifestations des femmes s'intensifient et tentent de dévoiler l'oppression des femmes sous tous ses aspects. Les thèses du féminisme semblent avoir plus de crédit auprès des femmes et de l'opinion publique, surtout à partir 1974. L'entrée au pouvoir de certaines femmes à ce moment là semble apporte un certain dynamisme au M.L.F., en permettant aux femmes d'affiner leurs analyses sur la situation des femmes, même si les différentes tendances du M.L.F. jettent un regard critique sur les actions posées et commencent à s'entre-déchirer. Évolution temporelle de la presse féministe françaiseLe nombre de périodiques qui apparaissent et disparaissent de 1975 à 1977 s'équilibre (respectivement 5-4; 6-4; 3-5). L'année internationale de la femme et les années qui suivent auront permis au féminisme de sortir de l'ombre. Il était sans cesse évoqué, discuté, même s'il «devenait un bon produit qui faisait vendre»119. Et puis, un certain nombre de lois, même imparfaites, auront été votées en faveur des femmes.120 Ensuite vient la période de la grande effervescence (19771979), où la multiplication des périodiques est spectaculaire: 17 nouvelles publications voient le jour en 1978, 14 en 1979. Le féminisme se consolide, malgré les tiraillements des tendances, jusqu'à la marche nationale du 6 octobre 1979 pour la reconduction de la loi Veil sur l'interruption de grossesse. 50 000 femmes, venues de tous les coins de France, s'emparent des rues de Paris. Ce sera un des plus grands rassemblements du mouvement de libération des femmes, et le dernier de cette ampleur, toutes tendances du M.L.F. ou organisations et groupes de femmes confondus. Mais c'est aussi en octobre 1979 que la tendance Psychépo dépose une association loi de 1901 nommée: Mouvement de Libération des Femmes. Là s'amorce la fin du M.L.F., tel qu'on l'avait connu en 1970, puis sa stagnation jusqu'en 1981. 10 publications sombreront en 1980, 8 autres en 1981. Il y a bien sûr l'épuisement des militantes, des ressources, des énergies, des thèmes revendicateurs. Enfin, l'arrivée de la gauche au pouvoir minera aussi ce militantisme, qui n'est plus guère de mise. Comme on a pu le voir à propos de la loi anti-sexiste, celle-ci n'a suscité que de brefs débats (1980) et n'est pas prête à entrer dans les annales juridiques de l'évolution de la condition des Françaises. La remontée à partir de 1981, jusqu'au point culminant de 1985, viendrait contredire ceux et celles qui parlent tant de la mort du féminisme. En fait, la presse féministe continuera de progresser, mais très lentement. Le nombre des publications diminuera de moitié en 1983 (7), 1984 (9) et 1985 (7), pour se stabiliser à 2 (1986 et 1988) ou 4 (1987). À partir de 1983 et jusqu'à maintenant, c'est donc une autre expression du mouvement des femmes qui se dessine. Cela ne se passe plus vraiment dans la rue, mais plutôt dans les institutions, les universités. C'est plus une période de réflexion et d'approfondissement sur les luttes des femmes, le féminisme, les théories. Même si la situation des Françaises a réellement changé, avec la maîtrise de la fécondité et une nouvelle conception du rôle des femmes dans leur vie personnelle et professionnelle, celles qui ont fait surgir ce Mouvement dans la révolte et la provocation se sentent désappropriées, parlent de ressac, ont du mal à voir le fruit de leurs luttes digéré, assimilé, refoulé aussi. Crise de l'espoir révolutionnaire, conflit sur le rapport au futur, comme dirait Françoise Picq, il n'empêche que la presse féministe française continue d'exister, même si ce n'est pas les mêmes rangées de la trirème qui voguent. En effet, en 1990, on remarque qu'à part quelques dinosaures (Paris-féministe, Les Cahiers du féminisme, L'A.F.I.)121, seule émerge de la première rangée de la trirème la revue thématique, Les Cahiers du GRIF, les autres publications étant plutôt des bulletins d'associations et des revues lesbiennes. Les autres rangées de la trirème sont aussi présentes, mais en plus faible proportion: quelques bulletins du ministère et l'éternelle Antoinette. Les revues universitaires sont maigres aussi, seules existaient encore en 1990 Nouvelles Questions féministes. Globalement, cette évolution de la presse féministe parisienne montre que les journaux ont plus ou moins suivi les déchirements du mouvement social de libération des femmes. Qu'en est-il maintenant de la presse québécoise? L'évolution «tranquille» de la presse féministe québécoiseComme le montre le tableau à la page suivante, il semble que la presse féministe québécoise subit également ces phases de flux et de reflux, mais à des temps différents. Il n'y aura pas comme pour la presse féministe française deux grandes périodes -le avant et après 1979, dépôt du M.L.F.mais plutôt plusieurs petites périodes. Évolution temporelle de la presse féministe québécoiseLa première (1970-1972), c'est à la fois l'émergence de la révolte et du mouvement des femmes et d'une presse, qui en est en quelque sorte le reflet. Avec Québécoises Deboutte!, un nouveau féminisme apparaît, dans un contexte social de lutte plus général. Ce premier journal (1971-1974) traduira d'ailleurs les divergences idéologiques entre les marxistes et les autonomes, comme on pouvait retrouver les tendances dans le premier journal français, Le torchon brûle, (1970-1971). La presse issue des courants plus réformistes, les grandes associations féminines, existait déjà auparavant (les bulletins de l'A.F.E.A.S., 1967, et de la F.F.Q., 1968). Mais cette période est aussi la radicalisation de ce qu'on appelle ici au Québec «la révolution tranquille.» En fait, en 30 ans, de 1960 à 1990, la société québécoise est passée d'une société traditionnelle, avec notamment un système de santé et d'éducation géré par l'Église, à une société moderne, plus laïque et plus instruite. Après «la grande noirceur»122 un certain nombre de réformes vont toucher à la fois les bases économiques de la société québécoise et les institutions d'État, la santé, l'éducation, etc. La vente de la pilule est légalisée et le divorce reconnu en 1969. Il y aura bien sûr l'impact du rapport de la Commission BIRD, mentionné plus haut, mais aussi l'égalité reconnue de la mère et du père pour le mariage de leurs enfants mineurs. La journée du 8 mars sera fêtée pour la première fois au Québec en 1972. De 1972 à 1974, le mouvement s'implante et la presse féministe commence à s'installer, avec l'apparition de quatre nouveaux périodiques en 1973, qui correspondent bien aux deux tendances qui se dessinent: le féminisme réformiste (Le R.A.I.F. et La partenaire) et le féminisme plus radical (Long time coming, lesbiennes, et le bulletin de la galerie des femmes, Powerhouse). Avec les libéraux au pouvoir en 1973, se crée le CSF (Conseil du Statut de la Femme). Le régime des allocations familiales est modifié et concerne tous les enfants, légitimes, adoptifs ou naturels. L'éclatement de la famille nucléaire continue de s'opérer. Du point de vue de la gauche, les tensions s'accentuent entre les différents groupes politiques, qui donneront En Lutte! en 1973 et la Ligue communiste (LCMLC) en 1975 et qui marqueront aussi des scissions à l'intérieur du mouvement des femmes. La troisième période, assez longue (1975-1980), est celle de la floraison des périodiques, de l'enracinement et de la radicalisation du mouvement des femmes (Les Têtes de Pioche en 1976, pour le courant radical et Des Luttes et des Rires de femmes en 1978 pour le mouvement autonome des femmes), mais aussi d'une certaine institutionnalisation (La Gazette des Femmes en 1979). 1975 sera une date clé pour le féminisme québécois, en raison notamment du démarrage de la décennie des femmes mais aussi de l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, où la discrimination faite quant au sexe et à l'état civil sera interdite. En 1976, le Parti Québécois entre au pouvoir, et, un peu à l'image de l'union de la gauche française, sera porteur de nombreux espoirs pour les féministes et les nationalistes. L'orientation sexuelle comme motif de discrimination a été incluse lors de la promulgation de la Charte et l'autorité parentale remplace la notion de chef de famille en 1977. Le concubinage est reconnu pour les indemnités de décès en 1978, la femme enceinte est protégée contre la discrimination à l'emploi, la sécurité et la santé au travail en 1979. En 1980123, l'année du référendum, paraîtront cinq nouveaux périodiques, dont le bulletin de L'Institut Simone De Beauvoir, qui a d'ailleurs organisé, sous l'égide de Maïr Verthuy, le premier colloque mondial, avec 80 pays représentés, sur la recherche et l'enseignement relatifs aux femmes. Quatre autres publications disparaissent, dont le bulletin du CIRF. La remontée importante en 1981 paraît difficile à interpréter. On aurait pu penser que l'échec du référendum aurait apporté un certain ressac, mais c'est sans doute là qu'intervient le pragmatisme des Québécoises, somme toutes aussi nord-américaines. C'est aussi à partir de ce moment là qu'intervient le débat sur la constitution canadienne, qui sera rapatriée au pays en 1982 et même si le Parti québécois reste au pouvoir, les femmes consacrent à nouveau leur énergie au féminisme. Une réforme du droit de la famille sera adoptée par la loi 89 de 1980, qui consacrera l'égalité des époux, entre autres, dans la gestion des biens de la famille et de l'éducation des enfants De plus, cette loi permet la transmission du nom de la mère, du père ou des deux aux enfants. La quatrième période (1981-1987), la plus longue, avec une remontée importante en 1984, marque donc un nouvel élan pour la presse féministe québécoise. Quatre nouveaux périodiques voient le jour en 1981, dont La Vie en Rose, qui aura profondément marqué le panorama de la presse féministe québécoise. Les féminismes réformiste et institutionnel poursuivent leurs actions et en 1981, l'égalité entre les sexes en emploi sera reconnue dans la fonction publique, avec des programmes de redressement d'emploi pour les femmes. En 1983, la loi sur le cinéma interdit la projection en public de tout film pornographique de type Hard ou Hot Core, c'est-à-dire encourageant la violence sexuelle et, en 1984, une loi modifiant la Charte de la ville de Montréal prévoit de réglementer l'étalage d'imprimés et d'objets érotiques, notamment aux fins de la protection de la jeunesse. Il est intéressant aussi de noter que les quatre revues qui émergeront en 1984 font référence aux diverses préoccupations des Québécoises et surtout montrent comment les différences d'interprétation du féminisme arrivent à cohabiter. Une véritable amie s'adresse aux femmes d'un certain âge, sous forme de bulletin ronéotypé, Marie Géographie de la ville de Québec veut interroger le féminisme et le socialisme, Treize s'adressent aux lesbiennes radicales et l'Une à l'Autre propose une réflexion sur la santé et la maternité alternative, le mouvement naissance-renaissance. À partir de 1987, on voit s'amorcer un léger déclin. Pourtant, c'est à ce moment là que choisit La Parole métèque pour démarrer. Mais peut-être cette publication correspond-elle au nouveau visage du Québec actuel, en tout cas aux problèmes qui y surgissent, car ce magazine féministe veut «intégrer la parole des femmes immigrantes dans le mouvement féministe québécois, intégrer des voix universitaires féministes et se veut multidimensionnel et multidisciplinaire.» En 1988, la Cour suprême du Canada déclare inconstitutionnel l'article sur l'avortement illégal. En 1989, les lois très controversées sur le partage matrimonial et sur les garderies seront adoptées, tandis que le 6 décembre de la même année, 14 femmes seront assassinées de sang-froid, parce qu'elles représentaient pour le meurtrier tout ce que le féminisme avait apporté depuis vingt ans. Signalons enfin une dernière caractéristique de la presse féministe québécoise, c'est la longévité incroyable de certaines publications (les différents bulletins de la F.F.Q. depuis 1968; R.A.I.F depuis 1973; Communiqu'Elles depuis 1974; L'Autre Parole depuis 1976; La Gazette des Femmes depuis 1979). C'est sans doute ce qui renforce sa stabilité, même si actuellement on a l'impression de retrouver, comme en France, une autre forme d'expression et de réflexion du féminisme que par la presse. Donc ces journaux et ces revues de la presse d'expression féministe n'existent plus. N'étaient-ils que le porteur du mouvement de libération des femmes? Il est clair que l'évolution des presses féministes françaises et québécoises suit plus ou moins l'évolution de ce mouvement social. Mais il me semble qu'une des raisons qui expliquerait leurs disparition du marché médiatique est que justement elles n'ont pas réussi, comme minoritaires, à conquérir ce droit à l'information et à la communication, évoqué plus haut, indépendamment des problèmes d'organisation, de finances et du type de discours que nous avons souligné dans nos analyses. Il ne suffit pas à mon avis d'expliquer l'absence de ces presses seulement par le fait qu'elles n'ont pas réussi à assumer leur fonction politique. Il faut être en mesure de montrer que les minoritaires n'ont pratiquement pas accès aux médias dominants. Quand ils y accèdent, comme ce sera le cas des féministes dans une certaine mesure, leur parole n'est pas légitimée, elle est plutôt bafouée et dénigrée. J'aimerais dans les chapitres subséquents apporter un éclairage sur le travail particulier des médias, en définissant le statut de l'information médiatique dans ces deux sociétés et en proposant une analyse critique de la presse écrite. Cette analyse sociologique devrait permettre de rendre visible et lisible le rapport de domination dans lequel les femmes sont enfermées. Comment les médias « mainstream » réussissent-ils à évacuer les enjeux sociaux et politiques d'un événement, surtout quand celui-ci touche des minoritaires? Comment et pourquoi n'assument-ils pas leur fonction sociale et politique qui est d'informer plutôt que réitérer le discours des dominants sur les réalités à saisir. Les «mâles médias», comme les désignaient les féministes dans leurs journaux, sont-ils devenus des «moulins à parole» du discours majoritaire, où les minoritaires, et les femmes en particulier, n'ont qu'une parole limitée? À moins qu'ils ne les considèrent que comme les moulins... sans paroles!
7. L'information-fiction des médiasNon seulement les médias d'aujourd'hui fabriquent des semblants de réel avec les récits des événements (fonction de simulation), mais encore ils mettent en place des modèles (fonction de mise en scène) qui finissent par s'imprimer dans les représentations et les conduites des acteurs sociaux. Cette double fonction des médias renvoie à une définition particulière de l'information médiatique, que j'appelle l'information-fiction. Pour expliciter ce concept, je vais présenter le statut de l'information et la pratique journalistique qui en découle, en m'attardant aux mutations de l'espace public de communication et au travail idéologique des journalistes. De la critique à l'intégration: les mutations de l'espace public de communicationBien souvent on considère dans nos sociétés occidentales que la presse est un quatrième pouvoir124 pouvant faire contrepoids aux autres pouvoirs: législatif, exécutif et judiciaire. Mais de quel pouvoir s'agit-il en fait: celui de la presse, de l'information, des journalistes? Tantôt il fait référence au savoir, à la capacité d'influencer des publics, à la culture, tantôt il s'apparente à l'argent, au monopole, au pouvoir politique. Plutôt que de souligner le pouvoir de l'information, il serait plus juste de parler de 'information du pouvoir, c'est-à-dire d'une information aux mains de quelques magnats de presse et des cinq grandes agences internationales de presse, concentrées dans les pays du Nord. En fait, cette information médiatique consolide l'autorité des autres pouvoirs, en propageant leurs savoirs et en les alimentant. Elle légitime en quelque sorte leurs sphères d'influence. Si les médias détiennent un pouvoir quelconque, c'est bien celui d'informer. Or, on va voir qu'ils n'informent pas ou si peu. En effet, en donnant à la presse le sceau de l'innocence face à certains enjeux sociopolitiques de notre société, on masque en définitive le travail idéologique de l'information et surtout on ne voit plus que les médias contribuent au maintien des rapports sociaux dominants. Car la profusion actuelle de l'information n'a d'égale que sa rétention. J'avais souligné dans le chapitre sur la fin de la communication comment notre société actuelle est rendue à un tel point de noncommunication que tout peut s'exprimer sans être susceptible d'être entendu ou que tout peut s'écouter sans être en mesure d'être compris. En se déclarant quatrième pouvoir, les médias ont la prétention de vouloir exercer un contre-pouvoir susceptible de pallier à l'excès d'autorité des autres pouvoirs. Mais en fait, cette prétention est tout aussi abusive, car elle entretient l'illusion que les médias peuvent tout se permettre, alors que leur réalité n'est que de «permettre» tous les pouvoirs. Pourtant les médias, et la presse en particulier, n'ont pas toujours été ces porte-voix ronflants de ceux et celles qui cherchent à les utiliser pour rejoindre le public. Il ne faut pas oublier, selon la thèse de Jürgen Habermas125, le rôle de la presse dans la constitution de la société et de l'État capitalistes. Une presse libérale, politisée et critique, et un parlement élu ont été les principaux constituants d'un nouvel espace public de communication. Même si ce concept d'espace public est aujourd'hui contesté, ou du moins a été réactivé, par plusieurs chercheurs126, il m'apparaît incontournable, dans la mesure où il représente un des éléments essentiels pour comprendre la fonction politique des presses féministes françaises et québécoises. Dans son archéologie du principe de publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Jürgen Habermas s'est précisément efforcé de mener à bien l'étude de la presse d'opinion et d'en dévoiler toutes les richesses. C'est donc une des raisons qui a motivé mon choix de garder ce concept. Médiation entre la société civile et l'État: la presse d'opinionConformément à la thèse du philosophe allemand, le principe de publicité (die Publizität), dans le sens de «mise en public», est opposé historiquement par les Bourgeois, cultivés et capables de raisonner, à la pratique du secret de l'État monarchique. Actuellement, la notion de publicité que l'on connaît renvoie à une logique commerciale, celle de constituer un public consommateur et de l'intégrer à un marché de biens et de services. Bien que ce principe soit profondément implanté dans notre mode de production social et économique, Jürgen Habermas montre que la publicité, au départ principe de la critique du politique, a été subvertie en un principe d'intégration. En effet, à l'époque du capitalisme naissant, un espace public se crée en marge de la sphère étatique, où sont portées à la connaissance et surtout à la discussion de tous, les orientations et les décisions du pouvoir politique. Ce nouvel espace constitue en quelque sorte une sphère de médiation entre la société civile et l'Etat, la possibilité pour le public de remettre en cause pour la première fois l'Autorité absolue de droit divin. Cette sphère publique bourgeoise est organisée pour légitimer, par la raison, la domination politique et l'exercice du pouvoir. Et il ne faut pas oublier qu'au siècle des lumières, la raison ne désignait pas seulement la faculté de bien juger et de distinguer le vrai du faux, elle impliquait aussi une volonté d'éclairer les esprits pour les émanciper. Cet espace public de communication devient donc un lieu où se reconstruisent rationnellement et systématiquement les médiations symboliques de l'identité et de l'action sociale. C'est aussi un lieu où le pouvoir s'exerce, en mettant en oeuvre des moyens institutionnels pour contrôler le fonctionnement de l'organisation sociale. Dans cet espace va s'insérer une presse d'opinion, dont la fonction essentielle sera de lever les secrets, de veiller à l'arbitraire, de rationaliser la domination politique, bref de critiquer le politique. L'usage d'instrument comme la presse d'opinion et les différentes formes de la représentation politique comme les associations ou les partis vont donner naissance à une «opinion publique», qui opère une sorte d'arbitrage entre opinions et intérêts particuliers. Elle semble s'inscrire comme une nouvelle forme de démocratisation de la vie politique, en devenant un contrepoids au pouvoir politique. L'activité communicationnelle publique et une large discussion critique sur le mode de gestion politique donnent à la société civile un droit d'entrée dans le jeu politique. C'est ainsi que la Révolution française institutionnalisa le rôle de l'opinion publique et fit passer l'espace public, né de la société civile, dans la structure de l'Etat. C'est à ce moment que l'opinion publique, au départ perçue comme un moyen de combattre l'exercice du pouvoir, se dépolitise et le rôle critique de ce nouvel espace public de communication se transforme au détriment d'un rôle d'intégration. Le principe de publicité, élaboré par Jürgen Habermas, a joué un rôle essentiel pour la presse, même s'il n'a pas pesé dans les formes du journalisme moderne. Il s'agit plutôt d'une influence intellectuelle. Il ne faut pas oublier que la presse française aux dixhuitième et dix-neuvième siècles a pris son essor en intégrant dans son écriture ce principe. Tous les moyens étaient bons pour parvenir à capter l'attention du public et la publicité a joué un rôle central dans l'histoire des engrenages qui ont amené la presse à son stade moderne et industriel. Motivée par ce principe premier de la critique exercée par un public cultivé et éclairé, la presse se transforme en une presse apolitique, instrument de manipulation et de dissimulation. Plusieurs raisons interviennent dans ces mutations de l'espace public de communication. D'une part, les classes populaires étaient exclues de cette sphère de médiation, l'échange d'opinions ne pouvant intervenir qu'entre propriétaires privés, aspirant à une discussion rationnelle. D'autre part, l'avènement de l'Etat-providence, le développement de la culture de masse et le recours aux sondages dans la vie économique et politique ont complètement subverti ce principe de publicité. Elle devient démonstrative, administrée et manipulée par diverses instances (notamment l'administration, les associations et les partis)127 et ne peut plus permettre l'élaboration libre et rationnelle de l'opinion publique. La publicité tend au contraire à produire du consensus fabriqué, au détriment de la discussion publique des opinions privées. Et la presse suit la même évolution. Alors qu'elle était au départ le support de l'espace public critique de communication, elle suit maintenant une logique marchande face à un public acritique.128 Ce qui m'intéresse dans cette notion d'espace public de communication, c'est qu'elle reflète l'état d'un rapport de forces sociales, une négociation, si limitée soit-elle. La communication dont parle Jürgen Habermas reste bien inscrite dans le jeu politique et permet de circonscrire et de définir les situations relevant du social. Surtout, dans cet espace, le rôle des presses féministes françaises et québécoises ne me semble pas éloigné de celui de critique du politique, tel que démontré dans la deuxième partie de ce livre. Car, le désir d'être informé, dans le sens d'une volonté de connaissance du monde pour mieux le comprendre, et parfois pour mieux le dominer, amène les individus, à des moments historiques précis, à prendre position ouvertement pour participer aux enjeux sociopolitiques de la sphère publique, à se publier pour se faire entendre. L'information-fictionPeut-on affirmer que l'information des médias est une fiction, en raison de la logique de simulation et de falsification qui la détermine dans nos sociétés? Louis Quéré129 n'hésite pas à qualifier l'information médiatique de science-fiction puisque ses deux composantes sont: «science et fiction, constat et simulation, relevé de faits et récits»130. C'est en effet sous couvert d'objectivité scientifique que les médias produisent, à mon avis, une fiction à partir de fragments empiriques du réel, mais qui est censée leur être conforme. En plus, cette production d'information ressemble de plus en plus à une mascarade, au sens propre et figuré. C'est ce que je vais m'efforcer de démontrer maintenant et dans les chapitres subséquents. Le marché de dupes des médiasL'information médiatique a-t-elle encore de nos jours un statut, alors que les médias semblent rendre ce produit de plus en plus fuyant pour qu'il ne puisse plus être véritablement saisi? Lorsque nous parcourons les journaux le matin ou regardons le journal télévisé le soir, n'avons-nous pas l'impression qu'une «information» vient en chasser une autre et au besoin en occulter d'autres, comme pour ne pas nous laisser le temps de comprendre, de réfléchir à ce que nous croyons être une information, qui dans le jargon journalistique deviendra une nouvelle ou un événement? On se retrouve devant un paysage, de préférence sombre et violent, mais continuellement balayé et nettoyé de ses scories. Les médias rendent-ils compte de la réalité des choses et du monde? Peuvent-ils ou veulent-ils le faire, que nous ne les croyons plus, car le découpage de la réalité qu'ils nous offrent en est un de l'ordre de l'hypocrisie et du mensonge, un véritable marché de dupes. L'actualité devient une course au spectacle, l'information une suite, de préférence ingouvernable, de récits, l'événement une construction. Eliseo Veron131 a montré dans son étude sur l'accident de la centrale nucléaire Three Mile Island aux États-Unis comment les médias ont créé et façonné un événement, à partir d'une donnée réelle en soi (la panne d'un réacteur le 28 mars 1979), mais qui est devenu le prétexte à une surenchère de contradictions, ambiguïtés, confusions et à une dramatisation excessive, sans pour autant nous informer sur ce que ce genre d'accident peut avoir comme conséquences à long terme sur l'environnement ou sur le rôle de l'énergie nucléaire, etc. Quels furent les résultats de la commission d'enquête, que le gouvernement américain, acculé, a été obligé de mettre en place? Comment les normes de sécurité dans les centrales nucléaires ont-elles été renforcées? Quelles mesures ont été prises pour que cela ne se reproduise plus? Autant de questions que les médias, plus préoccupés à exagérer le danger, à créer artificiellement la peur, à jouer dans le sensationnalisme, vont diluer dans le temps pour recommencer huit ans plus tard avec Tchernobyl. En fait, les événements sociaux ne sont pas des objets, qu'on peut trouver tout faits quelque part dans la réalité, mais ils existent dans la mesure où les médias les façonnent quelque peu. En définitif, les médias qu'on appelle à tort informatifs sont plutôt le lieu où les sociétés industrielles produisent le réel sous couvert d'objectivité. La couverture de la guerre du Golfe est un des multiples exemples de leur travail.
«Machines à produire un semblant de sérénité, (...)attentifs à la portée qui règle leur travail de découpage plus qu'à la mélodie jouée» 132 ou bien «énorme machine à fabriquer du vent»133, les définitions des médias ne manquent pas pour appuyer la thèse que leur information a complètement perdu sa valeur heuristique. En fait, l'information médiatique ne se situe pas dans le domaine du vrai, mais dans celui du vraisemblable, c'est-à-dire d'une supposition de vérités, d'un semblant de propositions, qui ne peuvent jamais être vérifiées ou contrôlées par les destinataires que nous sommes. Ce réel qu'elle institue est le produit d'un montage. C'est un simulacre, non pas seulement parce qu'il est fabriqué de toutes pièces mais aussi parce qu'il feint d'avoir ce qu'il n'a pas, à savoir un indice de vérité et de réalité. La réalité totalitaire des médiasLes médias ne pouvant embrasser l'ensemble de la réalité qui nous entoure, ils vont donc en choisir quelques éléments qu'ils mettront en scène, comme au théâtre, en produisant une fiction. Mais le problème avec l'information médiatique, c'est que cette fiction prétend être fidèle à LA RÉALITÉ et se légitime grâce au traitement «scientifique» (le travail journalistique) dont elle est le produit. En effet, cette information-fiction, transmise par les médias, se veut exhaustive, objective et autosuffisante. Il s'agit pour les médias, non seulement de mettre en perspective la société dans laquelle vivent les sujets sociaux afin qu'ils puissent la saisir et la connaître, mais encore d'organiser le monde comme une totalité cohérente, parfaitement maîtrisée et harmonisée. La fiction ainsi produite ne se veut pas une partie de la réalité, une voie rationnelle d'organisation du réel ou le résultat normalisé d'une construction négociée, mais le RÉEL-TOTAL. Pourtant le caractère fictif de l'information n'est pas gratuit, il est signifiant. Il produit un sens, non pas en nous renseignant sur ce que sont les réalités du monde mais en permettant de placer celles-ci dans un schéma idéologique pré-construit, comme un patron de vêtement. De plus, la simulation des médias ne s'applique pas seulement à la fabrication de l'information, elle détermine et définit aussi les places des destinateurs et destinataires et surtout le rôle du narrateur (les journalistes). Il y a des stratégies particulières à l'écriture de presse, qui finissent par enfermer référents et destinataires dans un système dominant de représentations, que Louis QUÉRÉ134 appelle «l'espace perspectif». Pour lui, cet espace perspectif, produit d'un rapport de forces sociales, est devenu une fiction totalisante, se traduisant par un savoir total et une culture programmée, extériorisée par rapport à la société et convertie en technologies. Et, l'information se confond, d'après cet auteur, avec la culture programmée: «Le terme information ne désigne rien d'autre que le substitut objectivé, formalisé et fonctionnalisé du savoir, des compétences et des motivations qui constituaient jusqu'ici la culture»135. Ce substitut est le résultat d'une production qui transforme la culture en un fait d'organisation. Et l'information finit par se détacher de la communication, n'organisant plus des manières de penser mais des manières de faire, de savoir-faire. C'est du moins ce à quoi ressemble le travail des journalistes. Journalistes: médiateurs ambigusLoin d'être neutres, autonomes ou libérateurs, il me semble que les journalistes sont devenus des «fonctionnaires de l'idéologie dominante». Agents de l'information, conçue comme culture programmée, ils procèdent comme des informaticiens, en codant le réel-fictif qu'ils transmettent par leurs médias. Si, par leur travail social, les journalistes paraissent être employés par le pouvoir (ici pouvoir signifie rapport de forces investissant le tiers symbolisant), ils n'en conservent pas moins leur figure distincte du pouvoir. La notion de médiateur reflète bien cette ambiguïté: il est le lien entre le réel et les sujets sociaux qui veulent connaître ce réel. Cependant, comme on vient de le voir à propos du statut de l'information médiatique, le réel n'est pas reproduit comme un miroir mais il est produit selon un système de références dominant (l'espace perspectif). La fiction, qui va être ainsi fabriquée, doit alors être énoncée par un narrateur, formellement distinct du pouvoir, pour qu'elle soit productrice de vérité et d'universalité. Le travail de journaliste s'inscrit donc dans une visée de reproduction idéologique, non pas de production idéologique, ce qui supposerait une certaine autonomie de production du journal-appareil mais bien de reproduction, dans le sens de réitérer l'idéologie dominante de l'espace perspectif. Les salariés du mensongePlusieurs auteurs ont souligné fort judicieusement ce rôle idéologique des journalistes, notamment Mezioud Ouldamer et Rémy Ricordeau136 qui les qualifient de salariés du mensonge:
«Le journalisme, comme activité décomposée de l'esprit humain, après avoir été mensonge par intérêt ou par réflexe, le devient par 'nature'; jusqu'à oublier tout lien conflictuel avec la vérité, jusqu'à se mentir à lui-même: produit suivant des techniques et par des moyens industriels, il se manifeste alors comme activité de l'esprit humain décomposé, délire schizophrénique d'une société qui a perdu tout sens de la réalité. Non seulement il préside aux événements en leur accordant l'importance qui lui convient (et là l'idéologie se conjugue parfaitement à la nécessité de vendre toujours plus) mais il croit très fermement qu'il fait l'actualité au point de prétendre que sans lui tout retournerait aux ténèbres et à l'obscurantisme d'avant la genèse.» En fait, les journalistes vont pouvoir assumer ce rôle grâce à leur propre idéologie professionnaliste, qui masque leur travail de codage et de mise en spectacle du réel. Composée de catégories telles que l'objectivité, la neutralité, l'impartialité, l'équilibre, etc., cette idéologie leur sert de paravent pour nier leur responsabilité sociale. Au lieu de dévoiler et de déchiffrer des faits pour mieux les faire comprendre, ils traduisent ou ajustent dans un langage adéquat, plus ou moins consciemment d'ailleurs, les informations que les institutions doivent extérioriser dans la sphère publique. Qui plus est, la profession de journaliste est tout à fait ambiguë. Non seulement ce vocable regroupe des fonctions aussi diverses que le pigiste, l'éditorialiste, le secrétaire de rédaction ou l'agencier de presse, mais encore le journalisme est une des rares professions où aucun verbe ne permet de cerner avec un vocable suffisamment précis cette activité. Écrire, transmettre, mettre en forme, présenter, commenter, critiquer, etc., aucune de ces actions ne peut être considérée comme dominante par tous les journalistes. Autant dire considérée comme dominante par tous les journalistes. Autant dire que le mythe du journaliste, grand reporter en mission spéciale ou éducateur du public, n'a plus sa place actuellement, même si toutes les conditions semblent réunies pour faire du journalisme non pas un métier mais une vocation, une destinée. Pourtant, les journalistes prétendent et croient participer au processus d'information dans notre société en toute objectivité, ou du moins s'ils récusent cette notion d'objectivité, se replient-ils sur celle d'honnêteté professionnelle. L'objectivité comme telle n'existe pas, mais dans leur jargon professionnaliste, ils y substituent une objectivité relative, du style: «il y a des informations plus objectives, plus neutres que d'autres». Cette objectivité relative est d'ailleurs intéressante pour cette profession, puisqu'elle permet non seulement aux organes d'information de se comparer entre eux mais aussi aux journalistes eux-mêmes dans l'échelle hiérarchique. Un éditorialiste par exemple a la possibilité d'être moins objectif qu'un pigiste puisqu'il a enfin acquis le droit d'écrire avec une relative autonomie et surtout a démontré sa capacité à rester dans les limites à ne pas franchir. Pourtant, cette objectivité, relative ou non, est un autre leurre dans la mesure où elle ne reste qu'une catégorie du discours des informateurs et leur permet de légitimer leur travail. Elle devient synonyme de prudence mais aussi de morale, de rectitude politique (la «political correctness»), car elle est assurément signifiée par la déontologie. Un code déontologique sévère mais inapplicableOr, le code déontologique des journalistes, pourtant très sévère, est le plus souvent impossible à appliquer en raison de l'organisation même du travail de l'information. Chacun à son niveau est strictement inséré dans une hiérarchie qui s'occupe implicitement de la censure. Cette censure implicite, c'est l'autocensure dirigée, c'est-à-dire un cadrage de références, propre à chaque journal, qui détermine ce à partir de quoi on choisit d'ignorer ou de privilégier, de mettre en valeur ou de mettre en sommeil. Le mode de jugement intermédiaire entre ces actes de sélection et les actes de discours est imprégné de cette autocensure dirigée, car il est faux de croire en l'innocence des journalistes, qui s'effacent devant les faits et les portent simplement à la connaissance d'autrui. Par exemple, les journalistes invoquent souvent des contraintes techniques et temporelles pour éviter de vérifier leurs sources d'information. Mais leur première responsabilité est justement de mettre en doute ce qu'on leur rapporte, surtout lorsqu'il s'agit d'informations émanant des institutions, et de ne pas répéter, sans le comprendre, le jargon des spécialistes ou experts. Plutôt que de faire du «patchage» de phrases et les sortir de leur contexte pour rendre l'article ou l'entrevue plus alléchante, les journalistes devraient être en mesure de respecter ce qu'on leur a dit, tout en ne déniant pas leurs propres convictions, jugements et parfois préjugés. Malheureusement ces formes de respect et de mise en confiance, qui idéalement prévaudraient dans les rapports entre les sources d'information et les narrateurs, aussi bien au moment de la collecte d'informations que de sa mise en forme, ne sont plus que des jeux d'influences et de contre-influences, qui n'ont rien à voir avec la déontologie. C'est ainsi que le concept de liberté d'information a été lentement recouvert par celui d'objectivité de l'information et d'honnêteté professionnelle. Ces quelques précisions permettent de souligner comment le travail social des journalistes, encadré par une idéologie professionnaliste, s'inscrit, non pas dans le domaine de l'éducation et de la sensibilisation du public par une information porteuse de contenus et de sens, mais plutôt dans celui d'une canalisation de l'idéologie dominante, où la réalité est dépouillée de ses aspects contradictoires, où les faits critiques sont transformés en une pâte lisse et univoque. On va voir maintenant en pratique, c'est-à-dire sur fond de papier journal, comment ils opèrent. Il s'agit de comprendre comment le code des écritures de presse réglemente les événements d'actualité.
8. La mascarade institutionnaliséeApartir de la tragédie du 6 décembre 1989, où quatorze femmes à Montréal (treize étudiantes de l'École Polytechnique et une employée de la Faculté des Sciences infirmières) sont mortes sous les balles d'un seul homme, on va souligner comment la presse écrite137 a «couvert l'événement». Il ne s'agit pas d'établir un catalogue des techniques journalistiques qui permettent aux médias de nier les évidences et de détourner l'attention publique des véritables enjeux sociaux et politiques sous-jacents à un événement, quel qu'il soit. Je désire plutôt comprendre pourquoi les médias, par leur mise en scène, n'ont pas répondu aux questions, qu'au fond tout le monde s'est posées: pourquoi le tueur en avait-il tant contre les femmes, et les féministes en particulier, et pourquoi cet acte terroriste a-t-il eu lieu ici, au Québec ? Même si je reste persuadée que l'ensemble des procédés que je vais maintenant expliciter peuvent s'appliquer à n'importe quel événement médiatique, mon choix d'analyser la tragédie du 6 décembre 1989 à l'École Polytechnique de Montréal a été motivé par plusieurs raisons: tout d'abord, en tant que journaliste depuis plus de quinze ans, j'étais en mesure de déceler les pratiques sous-jacentes à la couverture de cet événement et ainsi de faire ressortir quelques contradictions, ambiguïtés et camouflages à l'intérieur de la machinerie médiatique. Ensuite, il me semblait primordial de continuer à montrer les rapports de domination, qui régissent les rapports de sexe, car ce massacre, s'il témoigne de la violence permanente exercée contre les femmes, n'en est pas moins l'expression paroxysmale de l'oppression des femmes dans nos sociétés. La couverture médiatique de la tragédie à l'École Polytechnique de MontréalC'est par la télévision et la radio que le spectacle de l'horreur a commencé et va s'amplifier. Quelques heures après «l'événement», notre mémoire va être envahie d'images sanglantes, d'interviews chocs («Comment vous sentez-vous?; qu'avez-vous vu?; vos copains sont-ils sains et saufs?»), d'un chapelet de «nouvelles» entièrement erronées («Un deuxième suspect serait barricadé à l'intérieur de l'université; un professeur de physique a été appréhendé, puis relâché»). Le lendemain commenceront les lignes ouvertes au public («L'assassin a bien fait, j'aurais fait la même chose», dira un homme, sous couvert d'anonymat) et les interviews d'experts. L'événementC'est par le traitement et l'importance que les médias accordent à un incident, à un épisode socioculturel (ce qu'ils appellent le fait brut ou l'information pure) que va se créer l'événement. Pour acquérir ce statut, le fait brut (ce fragment du réel qu'ils extirpent) va d'abord devenir «nouvelle», non pas dans le sens de nouvel élément de connaissance, mais plutôt dans le sens d'une rupture, d'une exception. Les faits divers ne sont-ils pas justement de l'exceptionnel, paradoxalement stéréotypé? Alors que nous vivons dans un monde où les faits se propagent de plus en plus vite en tout point de la planète, le journal télévisé de 20 heures sur Antenne 2138 ne soufflera mot de «l'événement» de Montréal, ni le 6 ou le 7 décembre, seulement à partir du 8 décembre 1989. Pour qu'une nouvelle devienne un événement et qu'elle mérite d'être couverte, il faut qu'elle soit importante. Or, la notion d'importance, dans la pratique journalistique, suit des lois bien précises, qui n'ont plus grand chose à voir avec l'éthique professionnelle des journalistes. La loi de la proximité d'abord (plus le fait à couvrir est proche de nous géographiquement, plus on va en parler), la loi du mort/km ensuite (près de 40 morts et 400 blessés à Bogota le même jour valent plus cher que 14 mortes et 13 blessées à Montréal). Ces deux facteurs vont sans doute faire en sorte que la tragédie à l'École Polytechnique ne se verra pas accorder à Paris le statut d'événement aussi rapidement qu'à Montréal. On verra d'ailleurs qu'elle restera au stade de nouvelle de l'autre côté de l'Océan. Couvrir l'événement. C'est l'acte journalistique par excellence, qui signifie assister à l'événement et en faire un compte rendu. Mais ce compte rendu ne se fait pas n'importe comment. Les journalistes doivent raconter une histoire en suivant scrupuleusement la règle des 5 W139. Pourtant le cinquième W -le pourquoirestera longtemps en suspens, quand il n'est tout simplement pas camouflé, protégé, orné, bref «couvert». En fait, pour reprendre la métaphore de Yves De La Haye140, l'écriture de presse ou plus précisément le langage de l'information est à comprendre à travers «le procès d'une double cuisson». La réalité médiatique ne se présente jamais nue, toute crue, mais bien sous l'aspect d'une première cuisson, que sont les discours construits, recevables, et sous celui d'une deuxième cuisson qui met en forme ces discours dans des moules très particuliers. Et la deuxième cuisson n'est pas une simple retouche, elle est une refonte de la matière première (fait brut) en discours dominants. Dans notre cas c'est surtout le recuit (la mise en forme) qui est intéressant. Je n'insisterais pas sur le procédé de dissertation décrit par l'auteur, même si cette figure de discours n'est pas un simple mode d'agencement des idées mais bien plus une forme qui exclut des contenus sans s'en rendre compte et surtout sans en rendre compte. Il s'agit plutôt de préciser les modalités d'expression de la narration, discours dominant de la pratique journalistique et les principes de construction du monde qui la sous-tendent ainsi que les effets qu'elle engendre. L'encodage du fait: l'occultationLa transformation d'éléments empiriques du réel en information, ou ce que Yves De La Haye appelle les actes de sélection à la source, est le premier travail des journalistes. Cet encodage a pour objet de filtrer les éléments de la réalité, qui vont devenir la réalité journalistique. Or, il s'agit le plus souvent de pondérer, voire de masquer, dans le traitement informatif, certaines dimensions de l'actualité qui remettraient trop profondément en cause l'ordre dominant et plus particulièrement son mode de connaissance. Bien sûr, ce premier travail de codification n'est jamais perceptible dans une analyse de presse, puisqu'il est effectué avant la mise en forme dans le journal. Néanmoins, dans la couverture de presse de la tragédie du 6 décembre 1989, survenue à l'École Polytechnique de Montréal, j'ai pu déceler deux fragments du réel qui ont participé de ce procédé d'occultation ou d'omission de la part des médias. Le premier concerne la justification de l'acte du tueur, le deuxième la volonté de savoir des sujets sociaux, en particulier celle des femmes. On saura le surlendemain de cette tragédie (le 8 décembre 1989) que ce jeune homme de 25 ans avait soigneusement projeté, médité et planifié son geste de tuer des femmes, qui n'étaient pas, pour lui, à leur place dans la société. Tous les journaux étudiés rapporteront, via les dires de la police, les justifications qu'il donnait à son geste. Dans une lettre manuscrite de deux pages, retrouvée sur lui, datée du 6 décembre 1989 et signée Marc (le tueur s'appelait Marc Lépine), il explique qu'il va mener son raid meurtrier pour «des raisons politiques»141, qu'il «en voulait particulièrement aux féministes, qui avaient gâché sa vie/son existence», que cette même vie «ne lui apportait rien depuis sept ans/qu'elle était insupportable depuis plusieurs années», qu'il «n'avait jamais accepté d'avoir été refusé dans l'armée/les forces armées canadiennes avaient refusé sa candidature, parce qu'il était considéré comme asocial». Il a également rappelé l'action du caporal Lortie142, à laquelle il s'identifiait, et en dernière page de son manuscrit se trouvait «une liste rouge de 19 noms de femmes, du monde politique, policier, syndical et journalistique du Québec, qu'il désigne comme des cibles». On se trouve devant un meurtre collectif, parfaitement ciblé, prémédité, orchestré, que les médias tarderont à qualifier d'attentat, ce que pourtant il est. Ils ne parleront pas non plus d'acte terroriste, alors que ce geste se voulait politique, puisque l'auteur luimême l'a ainsi qualifié: «Veuillez noter que si je me suicide aujourd'hui 89/12/06 ce n'est pas pour des raisons économiques (...) mais bien pour des raisons politiques. Car j'ai décidé d'envoyer Ad Patres les féministes qui m'ont toujours gâché la vie». Mais surtout, cette lettre, qui constituait la justification détaillée des intentions du tueur, ne sera pas publiée dans l'immédiat. Il s'agit pourtant d'une première dans le registre de ce genre de crime. Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant le meurtre de femmes ou l'attentat comme forme d'action politique, mais le fait qu'il soit justifié par écrit et voulu public. Pourquoi les médias, dans ce cas précis, n'ont-ils pas jugé nécessaire de nous «informer» de ce fait nouveau, alors qu'ils ont publié les noms et les réactions des femmes de la liste établie par le tueur? Pourquoi nous ont-ils privés de notre droit de savoir dans quels termes et de quelles façons le tueur justifiait son acte, alors qu'un porte-parole de la police déclarera que «l'enquête se poursuit pour tracer un portrait complet du tueur fou et peut-être mieux comprendre les motifs qui l'ont incité à faire un tel geste. La lettre est scrutée à la loupe par des experts de toutes sortes, graphologues et psychiatres» (La Presse, 8 décembre, p. A-2). On n'aura d'ailleurs jamais connaissance des résultats de cette analyse. Pourquoi les médias n'ontils pas publié cette lettre sur le champ, alors qu'ils ont pris soin de nous préciser par la bouche d'un autre porte-parole de la police qu'il n'y avait dans cette lettre «aucun terme ordurier, ni injure pornographique» (Libération, 8 décembre, p. 28). Comme le fait remarquer Colette Guillaumin:143 «la grossièreté et la pornographie invalideraient-elles l'intention de l'auteur? Le rendraient-elles "disqualifié"? Bien évidemment non, ce serait une lettre grossière, mais ce serait la même lettre. Ou bien voudrait-on dire par là que la grossièreté ou la pornographie entreraient au contraire dans le "normal" des rapports entre les hommes et les femmes, et, plus justement, du rapport des hommes aux femmes? La question reste ouverte.» Ce n'est pas seulement une lettre que les médias ont omis de publier, c'est aussi la volonté de savoir des sujets sociaux qu'ils ont niée, en occultant certains faits. Le 13 décembre 1989, soit une semaine après la tragédie, une soixantaine de femmes s'étaient réunies à l'Alliance française de Montréal pour organiser un comité de riposte aux crimes contre les femmes et surtout pour exiger une enquête publique sur la tragédie, suite à la décision du Coroner en chef du Québec, qui n'en envisageait pas la tenue. Alors que, la veille, on saura exactement quelles manifestations de solidarité et de soutien à la mémoire des disparues ont eu lieu, aussi bien au Québec, au Canada, aux États-Unis et en France144, aucun des journaux étudiés ne fera mention de cette manifestation de femmes. Qui plus est, cette demande d'enquête publique, formulée par Monique Bosco, professeure au département d'Études françaises de l'Université de Montréal, et accompagnée d'une pétition, signée par une centaine de femmes, ne sera jamais publiée dans les journaux. Curieusement, il faudra attendre plus d'un mois avant que cette demande d'enquête publique refasse surface, sans plus de résultats d'ailleurs, même si cette fois-ci c'est un homme, Jean Larose, professeur à l'Université de Montréal, qui pourra se faire valoir de ce droit et de cette volonté de savoir. Il y a sûrement d'autres faits qui sont passés par l'entonnoir de l'encodage journalistique, mais le bénéfice du doute, en ce qui concerne le travail «objectif» des journalistes, ne peut plus être accordé aux médias. Voyons maintenant comment leur «mascarade» va être orchestrée. Les manchettes: pathos et dysfonctionnalisationTout ce qui n'est pas dans la lignée de la culture référentielle dominante n'est pas occulté d'entrée de jeu. Il y a également les «diagnostics pathologiques » que rend la presse sur les dimensions non concordantes de la réalité, et c'est ici que joue notamment la scientificité du travail journalistique. Conflits sociaux, mouvements sociaux, remises en cause de l'ordre existant, attentats politiques, etc., sont classés dans la rubrique du dysfonctionnel, du pathologique social, du dangereux pour la sécurité publique, pour nos valeurs, notre identité, notre cohésion sociale. L'avantage de ce procédé de dysfonctionnalisation est d'intégrer au système de représentations dominantes les valeurs marginales et contestataires. Pour le fait divers, ces procédés seront simplement exagérés, amplifiés. Examinons les manchettes de nos quotidiens, le lendemain de la tragédie. 7 décembre 1989 à la Une:145
La Presse: «Un tireur fou abat quatorze femmes» Le Devoir. «Un forcené tue 14 femmes à Polytechnique et se suicide» The Gazette: «Campus massacre. Gunman kills 14 women before shooting himself» The Globe and Mail: «Man in Montreal kills 14 women» Libération: «Canada. Massacre mysogine à Montréal» Le Monde: «Canada: dénonçant les féministes, un forcené tue quatorze étudiantes à l'université de Montréal" Et, en prime, on aura droit en première page du quotidien The Gazette à la photo du cadavre d'une étudiante, affalée à une table de la cafétéria. Sensationnalisme et surtout «scoop»146 oblige! Mais revenons à ces premières manchettes qui sont symptomatiques de ce procédé de dysfonctionnalisation. Dans le travail journalistique, les titres ont une importance capitale, car ils permettent à la fois de formuler des jugements sur les nouvelles, tout en neutralisant l'engagement des journalistes, et surtout ils hypothèquent la lecture en balisant la voie à suivre. Ce sont des éléments de hiérarchisation des nouvelles, qui par leur formulation et leur grosseur147 traduisent des choix rédactionnels, en donnant plus ou moins d'importance à un sujet, le mettant en vedette ou minimisant son impact. En général, les titres ne rendent pas compte de la totalité du sens de l'article, car ils doivent surtout accrocher l'attention des lecteurs et les encourager à continuer la lecture. Les premiers titres de l'événement seront tous placés en haut de page et sur le plus grand nombre de colonnes possible, selon le format du journal. Dans leur première formulation du titre, les deux quotidiens francophones montréalais vont orienter le sens de la nouvelle et lui donner sa première charge idéologique. Les deux quotidiens français feront la même chose, en reprenant sans doute les propos d'une agence de presse, avec en plus une superbe faute d'orthographe sur le mot misogyne pour Libération. Le tueur n'est pas seulement un homme, il devient «un tireur fou» (La Presse), «un forcené» (Le Devoir). La monstruosité de cet acte ne peut référer qu'au cas pathologique, qu'à l'anormal. C'est ce que reprendra The Gazette, en titrant sur le terme de «massacre». Le tueur devient ici «un gunman», ce qui, dans la langue anglaise, fait référence au crime (gangsters de Chicago par exemple) ou au terrorisme. Seul The Globe and Mail restera un peu plus laconique dans son titre, en parlant seulement d'un homme. Il n'est sans doute pas possible pour l'ordre social dominant qu'il en soit autrement. Il s'agit donc pour les médias d'intégrer au sein de leur information-fiction cette marginalité, même si elle peut paraître paradoxale. Par exemple, le 8 décembre, on apprendra que ce tueur fou, ce forcené était «un garçon très intelligent, sans antécédents judiciaires ni psychiatriques, dont la vie est cependant marquée par la difficulté de trouver une amie de coeur» (Le Devoir, portrait réalisé par le responsable des affaires criminelles). En fait, ce concept de folie, voire de folie furieuse, deviendra tout au long de cette couverture de presse le vacuum, qui permettra d'une part de circonscrire le meurtrier dans le hors du commun et de l'exclure de la communauté dite normale, et, d'autre part d'isoler son geste, de le désigner comme exceptionnel et par là de nous rassurer. C'est ce que Marie-Andrée Bertrand148 souligne, en qualifiant les explications données de: «criminologie positiviste, opérant autour du paradigme de la personnalité criminelle et de la dangerosité sociale. Les protagonistes de ce genre de discours placent dans LE CRIMINEL et lui seul, pris individuellement, la source des crimes.»
La narration: décoration et cloisonnement du faitLa narration est le style journalistique par excellence. Elle donne au discours médiatique son allure «scientifique», pouvant se suffire à elle-même et faisant ainsi l'économie d'un raisonnement véritablement logique. Elle devient un cadre de compréhension plus qu'un genre littéraire, même si elle en emprunte les modes de fonctionnement stylistiques. On entre ici au coeur de l'événement. Les médias vont commencer par nous raconter l'histoire, c'est-à-dire par remplir les cases des cinq W, surtout des quatre premiers. On saura tout sur le tueur. En voici quelques exemples: «Le tueur, Marc Lépine, avait rêvé d'étudier à Polytechnique», «Il avait les yeux rouges, son regard avait quelque chose de surprenant, dira un de ses professeurs au Cégep Saint-Laurent» (Le Devoir, 8 décembre, p. l et 9 décembre p. A-3); «Le tueur avait trois obsessions: les femmes, la guerre et l'électronique» (La Presse, 8 décembre, p.l); «Killer's father beat him as a child» (The Gazette, 9 décembre, p.l); «His problem with women was that he had difficulty establishing relationships, police said. He was not known to have a girl friend, and lived with another man» (The Globe and Mail, 8 décembre, p.l), etc. Bien sûr, l'identité des victimes, avec photos, sera déclinée, avec en surplus les réactions à chaud de leurs proches, du genre «C'était notre bébé», «Je ferais ses examens, j'aurais son diplôme... » (La Presse, 8 décembre, p. A-2 et 9 décembre, p. A-Il), etc. Les quotidiens montréalais insisteront évidemment sur le où, quand et comment le tueur s'y est pris pour accomplir son geste, avec même le nombre de balles qui sont sorties de son semi-automatique. The Gazette n'hésitera pas à accentuer ce goût particulier des médias pour les détails les plus scabreux: le 8 décembre, ce journal publiera non seulement une photo de l'intérieur de l'appartement du tueur (p. A-4), mais aussi les plans détaillés du lieu du drame et le parcours de la mort effectué par le meurtrier, dans le style d'un parcours fléché (p. A-5). Après avoir séparé les hommes des femmes, il a fait sortir les hommes, harangué les femmes en les traitant de féministes, a tiré dans le «tas», a continué sa fusillade en descendant à la cafétéria, puis est remonté au deuxième étage pour finalement se suicider. Fin de la tragédie. Bilan: 14 mortes et 13 blessées. Une fois que les médias ont raconté cela, qu'ont-ils dit? Rien ou si peu, car la narration est un procédé particulièrement efficace en matière d'information médiatique. Elle permet de décrire sans avoir à expliquer, de créer une histoire, en occultant par exemple le contexte sociohistorique et politique dans lequel l'événement s'est produit. Les seuls éléments de contextualisation que les quotidiens considérés reproduiront seront une dépêche d'agence de presse, faisant une rétrospective, dans le temps et dans le monde, de ce type de forfaits sanglants («Aucun pays n'est épargné par ce genre de tuerie») et un semblant d'analogie avec l'action du caporal Lortie. En fait, il s'agit plus d'effets de style concourant à la dramatisation de l'événement, sorte de rétrospective pour notre mémoire, que d'éléments de contextualisation comme tels. Car la question de savoir pourquoi ce meurtre exclusif de femmes s'est passé ici au Québec et non pas ailleurs, ne sera pas évoquée par nos médias149. Elle sera même niée, refoulée, reléguée à un silence devenu intolérable. Pourtant, même si les réponses sont complexes et terrifiantes, la question reste cruellement ouverte, car cet événement n'a pas été juste le reflet de la guerre froide, larvée, entre les sexes. Il est aussi le constat d'une impossibilité de dire et d'organiser de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, autres que ceux de domination et de violence, même si la société québécoise se targue depuis la révolution tranquille, ou du moins certains groupes sociaux, d'avoir établi des rapports égalitaires, pacifistes et somme toute harmonieux entre les deux sexes. Cette question essentielle restera en suspens, car elle remettrait trop en cause l'ordre social dominant, les rapports de domination entre les sexes, ceux des sujets sociaux au politique, à la culture politique, etc. Le psychologisme anesthésiant des médiasLes médias vont, au contraire, continuer à narrer l'histoire, en accentuant leur stratégie de psychologisme intensif, que nous qualifions d'anesthésiant. Non satisfaits d'avoir personnifié l'événement par une foule de détails sur la vie et la personnalité du tueur, ils vont multiplier les facteurs du tragique de la situation, tout en tentant de nous rassurer sur la «folie» de ce geste, qui ne se reproduira plus. C'est à ce moment qu'entrent en scène les experts de tout acabit, car la scientificité du discours journalistique se doit de reposer, non pas seulement sur la parole des journalistes, mais aussi sur celle des représentants de nos différentes institutions sociales pour avoir plus de poids et surtout pour montrer comment notre société est cohérente, organisable de part en part. Une large place sera faite tout d'abord aux psychologues, psychiatres et médecins, puisque nous sommes dans l'ordre du pathologique. Tous vont être d'accord pour nous expliquer qu'il s'agit d'un geste isolé, que les hommes ne doivent pas se sentir coupables, mais que les femmes ont raison d'avoir peur. Par exemple: «Ce n'est pas un phénomène social, mais un geste individuel accompli par une personne malade, soutient le directeur du Centre de recherche en psychiatrie de l'hôpital Louis Hippolyte Lafontaine», «Paradoxalement, le drame de l'École Polytechnique démontre dans une certaine mesure, que nous vivons, ici au Québec, dans une société non violente. (...)Chez nous, la violence brute fait partie du cinéma. Quand on y fait face, on ne réagit pas parce qu'on ne peut y croire, parce que cela ne fait pas partie de nos moeurs. (...)I1 serait malheureux et tout à fait injustifié qu'on accuse les survivants, les garçons notamment, de n'avoir pas fait preuve de courage en s'en prenant directement à l'assassin» (La Presse, 8 décembre, p. A-4); «Le goût de la violence, l'agressivité ont des fondements biologiques. N'aime pas la violence qui veut. De nombreux travaux scientifiques150 ont montré l'importance de la génétique, donc de la biochimie de nos cellules cérébrales et secondairement celles de nos glandes endocrines dans nos comportements. C'est indiscutable.» (Le Devoir, 12 décembre, p. 9, propos d'une pédiatre); «It's important to exorcise the fear. I would be worried if someone who saw what happened had no reaction at all, a psychology professor at the University of Montreal said. She predicted that many students, especially young women, will suffer from insomnia, nightmares and depression» (The Globe and Mail, 8 décembre, p. A-5); «L'expérience américaine enseigne que les victimes et témoins d'actes meurtriers doivent tenter le plus possible de retourner rapidement à leurs activités normales, 'dans la mesure où ils peuvent fonctionner (Le Devoir, 11 décembre, p. 3, propos de trois experts américains à partir de leur expérience de traitement de victimes d'actes irrationnels, commis par des tueurs). Viendra ensuite une panoplie de scientifiques tels des anthropologues, qui expliqueront que les meurtres de masse (mass murders) n'ont pas augmenté: «Mass murders not increasing. (...)Mass killers typically kill more men than women, but they usually kill without regard to gender» (The Globe and Mail, 8 décembre, p. A-4); des criminologues, qui s'attacheront à nous démontrer que le meurtre de l'École Polytechnique ne correspond pas à la tendance des crimes violents contre les femmes au Québec: «Slayings not part of trend, analysts say. (...)Women are no more victims today than in 1985» (The Gazette, 9 décembre, p. A-3); des juristes, qui demanderont des modifications du code criminel pour le contrôle des armes à feu: «L'accès aux armes sera plus difficile, le solliciteur général promet de modifier la loi fédérale dès le printemps 90», «La loi devra mieux assurer la protection du public, affirme le ministre fédéral de la justice.» (La Presse, 9 décembre, p. A-11). La liste de tous ces spécialistes en istes ou logues serait trop longue à énumérer, elle ira même jusqu'aux prêtres: «Les évêques espèrent une prise de conscience sur le phénomène de la violence» (Le Devoir, 9 décembre, p. A-3). Il est intéressant de noter que certaines femmes, choisies avec le label féministe, auront droit de parole, surtout parce qu'elles agissent à titre d'expertes. Par exemple, la ministre déléguée à la Condition féminine «refusait d'associer ce geste à une réaction plus généralisée au mouvement féministe au Québec»; la présidente du Conseil du statut de la femme déclarera que «c'est un geste de fou. La psychologie d'un tueur isolé ne reflétera jamais la psychologie de toute une collectivité. (Elle admettait toutefois que) ce geste est le fruit d'une société où on apprend aux gens à réagir par la violence à leurs frustrations», la présidente du Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale dira que «ce geste dément est symptomatique d'un courant antiféministe de notre société», etc. (La Presse, 8 décembre, p. A-7). Mais les médias iront plus chercher leurs réactions à chaud face à l'événement qu'une véritable analyse féministe de la situation, car la parole des experts, tout comme celle des journalistes, doit rester dans le cadre du descriptif, du narratif et non de l'explicatif. Après que l'ensemble de ces experts nous aura signifié la façon de comprendre ce qui s'est passé, sans laisser de place à la discordance ou à la remise en cause, les médias iront justement chercher l'interview choc, qui confirmera ces discours. Le 9 décembre, à la Une des quatre quotidiens montréalais, on saura qu'une des victimes a tenté de raisonner le tueur, en s'écriant: «nous ne sommes pas des féministes, seulement des femmes qui veulent gagner leur vie en génie». Elle a survécu à la tragédie et c'est sur son lit d'hôpital qu'elle dira aux jeunes hommes de ne pas avoir de sentiment de culpabilité. Elle lancera aussi un message d'encouragement aux jeunes femmes désireuses de poursuivre leurs études en génie. «Il ne faut pas se sentir coupable! Il y a un seul coupable et il est mort» (La Pressé); «Don't have feelings of guilt, woman hurt in massacre urges her fellow students» (The Globe and Mail). Pourtant, il y a eu parfois interversion des rôles dans ce faisceau de discours. Comme le note fort judicieusement MarieAndrée Bertrand151:
«Les représentants de la sécurité publique -et les autorités universitaires à certains égardsont choisi de ne pas faire part à la population des constatations relevant vraiment de leur expertise: les premiers ont choisi de ne pas transmettre les informations découlant des analyses balistiques et criminalistes auxquelles la population avait droit; les seconds n 'ont pas décrit les faits 'institutionnels' -les mesures habituelles de protection, la présence ou non de systèmes d'alarme, le nombre et la compétence de la 'sécurité interne' qu'il serait utile de connaître. (...)Les journalistes se transformaient en travailleurs sociaux, mal avisés croyons-nous, sans se soucier non plus, sauf exception, de communiquer clairement et complètement les faits en cause relevant de leur compétence: qui est décédé, où, instantanément? Combien de victimes sont mortes à l'hôpital? Combien sont mortes sur les lieux faute d'avoir été secourues, leurs blessures n'étant pas mortelles? (...) Au lieu de cela, les médias écrivent des 'histoires sociales' destinées à nous convaincre que plus jamais les faits se répéteront.» Les parfaites pleureusesCette stratégie de psychologisme intensif de la part de nos médias réduit l'indétermination du social et renforce une conception de la société cohérente. Le luxe de détails qui touchent au déroulement de l'action, à sa mise en scène, aux colorations morbides des personnages, n'est en fait que le paravent du silence qui couvre la raison sociale de ce geste tueur. Les médias vont alors entrer dans la deuxième phase de leur narration-fiction. Le scénario se poursuit, les nouvelles gonflent, s'étirent et se ressemblent. Après le choc, la colère, le pessimisme, vient le temps des pleurs, de la douleur, de la tristesse, de la fausse contrition de nos personnages politiques, de ces visages éplorés, meurtris, etc. À partir du 10 décembre et pendant quelques jours encore, une semaine pour certains, les quatre quotidiens canadiens vont offrir une surenchère dans leur rôle de pleureuses. Qui n'aura pas été bouleversé par la prise de vue du père d'une des victimes, éclatant en sanglots devant le cercueil de sa fille, (11 décembre, La Presse, p.l, Le Devoir, p.3, The Globe and Mail, p.l), ou la photo du maire de Montréal, essuyant une larme au coin de l'oeil (8 décembre, La Presse, p. A-3 et The Gazette, p. A-3)? Personnalisation à outrance qui frise de très près le voyeurisme et le manque de respect face à la douleur et au deuil. La gent politique québécoise et canadienne sera alors largement sollicitée, non pas pour réfléchir aux mesures à prendre pour contrer les différentes formes de violence que subissent les femmes dans nos sociétés, mais plutôt pour accentuer le dramatique de la situation. Les manchettes seront à l'image de cette surdramatisation de l'événement, avec des envolées particulièrement lyriques à partir de l'enterrement des victimes. «Ultime adieu en silence», «Engelure d'âme» (Le Devoir, 12 décembre, p. 1); «Des adieux émouvants et grandioses», «Une cérémonie empreinte de foi et de sympathie» (La Presse, 12 décembre, p. 1 et A-3); «Thousands of mourners wait in silence to pay final respects to slain women», «3, 500 friends, relatives bid a tearful farewell to murdered students» (The Globe and Mail, 11 décembre, p. 1 et 10, 12 décembre, p. 1 et A-2); «Some bring flowers while others bring only their sorrow» (The Gazette, 11 décembre, p. 1 et A-2). Ensuite, le silence. Les médias ont terminé leur travail de couverture, il n'y a plus rien de spectaculaire à montrer. L'histoire se termine comme elle a commencé, par un emballage vide de sens. Luxe de détails, multiplication des facteurs de dramatisation, psychologisme intensif, non intervention explicite des journalistes sur les raisons sociales et politiques d'un tel geste, voilà comment a fonctionné la narration journalistique. Mais ce mode de fonctionnement stylistique n'a plus rien à voir avec la fonction d'informer des médias. Car, premièrement, le fait n'est pas relaté et mis en connexion pour produire du sens, il est décoré. Le langage est alors utilisé comme un isoloir qui enferme le fait sur lui-même. Deuxièmement, les journalistes doivent faire des événements comme une peinture, de préférence statique. Seule l'apparence ou l'habillage compte, car ces médiateurs doivent décrire d'une certaine manière, rassembler les choses et les êtres pour les ordonner selon des modèles de visibilité et non pas selon des systèmes d'explication. Par leurs découpages descriptifs, les médias finissent par conditionner nos réflexes pour l'explication du fait et reproduisent ainsi l'idéologie dominante, dans la mesure où leur peinture ne reste qu'un écran, empêchant toute production de connaissance et donc de remise en cause. Pour ce faire, il me paraît important de souligner quelques autres procédés mis en oeuvre par nos journaux, qui confirment ce travail idéologique des médias. La citation: pincette et camouflageDans l'écriture de presse, la citation est un instrument capital de signification, parce qu'elle permet de donner la parole, de la camoufler, de la tenir à distance. Surtout, cette technique journalistique déjoue constamment les tentatives d'assignation claire des énoncés et déresponsabilise, à mon avis, les journalistes. Yves De La Haye152, dans son franc-parler habituel, nous suggère quatre usages sociaux de la citation: La citation reprise. C'est celle qui se présente sans guillemets, qui fonctionne plus aux dires qu'aux faits, aux discours plus qu'à l'enquête. C'est le cas des milliers de petites informations insérées dans notre histoire qui permettent aux journalistes de reprendre à leur compte les opinions d'autrui, comme par exemple: «The author of the Montreal massacre used a semi-automatic rifle, but that is only one deadly part of the arsenal turned daily against women» (The Globe and Mail, 8 décembre, p. A-6). La citation pincette. Par opposition à la précédente, celle-ci définit les plus grands décalages entre l'émetteur citant et l'émetteur cité. Elle correspond en fait aux communiqués de presse, qui construit entre les deux émetteurs un écran de protection et délimite sans équivoque l'en-dehors. C'est en général ce genre de citation qu'on retrouve dans les chroniques «en bref» des journaux. Dans cette couverture de presse, ce sont surtout les journaux francophones qui vont l'utiliser. Par exemple: «Quelques places pour le public? Il n'y aura peut-être que très peu de places pour le grand public ce matin lors des funérailles, à l'église Notre-Dame. Sans compter les membres des familles, les étudiants de Polytechnique et d'autres universitaires, il y aura afflux de représentants des médias lors de la messe célébrée par l'archevêque de Montréal, le cardinal Paul Grégoire» (La Presse, 11 décembre, p. B-l). La citation camouflage. C'est la citation par excellence, entre guillemets, la plus courante. Elle sert en réalité, par personnes et institutions interposées, à garantir l'idéologie de l'objectivité par la distance prise avec les opinions diverses. Elle permet aussi de mettre en valeur l'opinion d'autrui, tout en laissant aux journalistes la possibilité de se rétracter. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est vous! Par exemple: «La réaction du public est plus forte que ce à quoi l'on s'attendait. Cela a un impact sur les relations de couple, dans la famille. C'est un événement qui marque profondément notre société» (Le Devoir, 12 décembre, p. 10, propos du porte-parole des CLSC, Centres locaux de santé communautaire). La citation tronquée. Cette forme de citation est particulièrement répandue. Toute citation peut être tronquée, dans la mesure elle constitue une partie d'un tout qui n'est pas intégralement retransmis. Mais dans la pratique journalistique, elle consiste le plus souvent à extraire une partie d'un texte sans faire état des conditions de sa production. Ce sont surtout les experts qui en feront les frais, car les journalistes prennent rarement le temps de se faire expliquer certains concepts, qui dans un autre contexte pourraient signifier autre chose. Cet extrait d'énoncés permet de faire dire n'importe quoi à n'importe qui ou d'accentuer les contradictions et ambiguïtés d'un énoncé. La réaction de la présidente du Conseil du statut de la femme, qui explique d'un côté que c'est un geste de fou mais de l'autre que c'est la société qui encourage ce genre de drame, car «la conquête de l'autonomie pour la femme est trop difficile pour qu'on se permette d'être autonomes et d'être femmes» {La Presse, 8 décembre, p. A-7), en est un bon exemple. Le fait romancéIl ne s'agit ni plus ni moins que de romancer la vie sociale et politique, pour en réduire encore une fois les enjeux. L'activité journalistique consiste à déplacer certaines expériences sociales en dehors de leur contexte véritablement politique et social, soit dans le domaine de la fable, du conte ou de la fantasmagorie. On pourrait citer tous les journaux «d'actualité en images», comme Paris-Match, mais les journaux dits sérieux ne sont pas exempts de l'emploi de ce procédé. Dans notre événement, c'est toute la façon dont les journaux étudiés ont raconté ce drame. Ils y ont campé les personnages (le tueur, les victimes, leurs proches), ont photographié sous toutes les coutures les lieux du drame (l'École Polytechnique et l'Université de Montréal), de l'après-drame (la basilique Notre-Dame), les personnages connexes (les politiciens, les experts, etc.) pour finalement nous donner une mauvaise interprétation d'un conte pour enfants, de préférence sanguinaire et horrible. Dans ce processus, interviennent aussi les fausses nouvelles, comme cette dépêche de la Presse Canadienne: «la tragédie de l'École Polytechnique a soulevé beaucoup d'émotions en France où les médias ont largement rapporté et commenté le drame» {Le Devoir, 9 décembre, p. A-3). Bilan provisoire dans deux journaux français: un article avec photo dans Libération et deux petites capsules, avec signature de correspondante tout de même, dans Le Monde. Pour ces deux quotidiens, le fait ne se rendra jamais au stade d'événement, encore moins d'analyse, mais l'importance de la couverture que d'autres médias rendent du fait permet d'auto-justifier la mascarade au Québec et au Canada. On pourrait insérer dans cette affabulation une fonction particulière de l'écriture de presse, qui se rapporte à la dissertation et qui permet de mettre en valeur les ressources linguistiques du disserteur, sans pour autant nous informer davantage. C'est ce que Yves De La Haye153 appelle la fonction paonique. Par exemple: «En moins de dix minutes, un bras armé au bout d'un cerveau détraqué a mis un absurde point final à quatorze vies humaines» (Le Devoir, 8 décembre, p. 8). C'était le début d'un éditorial qui nous demandait de «partager la douleur et la détresse des parents et amis des victimes, dans le silence et dans le plus grand respect». Mais cet éditorialiste conserve tout de même le droit de parler... La répétition: banalisation du faitC'est un procédé très efficace pour maintenir l'ordre social dominant et surtout pour faire croire que nous avons été informés. Directement liée à la dimension temporelle et à la fonction phatique des médias -fonction qui consiste à lier les individus entre eux, ou du moins à leur donner le sentiment d'être liésla répétition apporte aux lecteurs le connu, le déjà vu, le coutumier. Elle crée l'identité et le lien social des individus par rapport à leur société. En fait, elle répète des simulacres à longueur de pages, tout en donnant l'impression que nous savons tous et toutes les mêmes choses. La tragédie de l'École Polytechnique de Montréal, si elle s'est vu accorder le statut d'événement par les quatre quotidiens canadiens, n'aura pas droit à la même couverture dans le temps. La Presse y consacrera deux semaines du 7 au 21 décembre 1989 et un rappel le 24 janvier 1990 avec la lettre sur l'enquête publique; Le Devoir en parlera du 7 au 20 décembre 1989 et se fera un plaisir de commémorer l'événement avec une pseudo-enquête à la Une le 6 janvier 1990: «Un mois après le drame de Poly, les clubs vidéo ne louent pas moins de films violents» (pp. 1 et 8); The Gazette décrira la tragédie du 7 au 11 décembre 1989 mais n'en sera pas moins loquace, comme on va le voir; enfin The Globe and Mail restera dans les limites d'une couverture normale, soit du 7 au 12 décembre 1989. Durant ces cinq jours et plus, on aura droit aux mêmes reportages, aux mêmes photos, aux mêmes interviews d'experts ou de parents proches des victimes, au même crescendo dans la description de l'acte criminel154 et aux mêmes non-réponses en ce qui concerne notre question de départ. La contamination de la mise en pageDe plus, ce travail idéologique ne se fait pas seulement au niveau du contenu, mais aussi au niveau de la mise en scène de ce contenu, ce qu'on appelle habituellement la mise en page proprement dite. Celle-ci n'est sûrement pas neutre, au contraire elle utilise bien souvent le procédé de la contamination. On dispose sur une même page des unités informatives différentes mais qui permettent l'amalgame. L'éclatement de l'événement en plusieurs rubriques indique la position du journal par rapport à ce découpage. Comment par exemple pourrait-on expliquer les messages de condoléances des universités du Québec, Lavalin, Hydro-Québec, Gaz métropolitain, qui sont en fait des publicités, très payantes d'ailleurs?155 La couverture de presse dans son ensemble: la sur-information sous-informanteCette antinomie résume bien le travail idéologique des médias. Ce procédé consiste à noyer l'information qui pourrait être significative dans un raz-de-marée d'informations plus banales et somme toute insignifiantes. Des 318 articles recensés pour cette couverture de presse, un nombre infime (à peine 6%) sera consacré à l'analyse de l'événement ou à des tentatives de réponses au pourquoi d'un tel drame sociopolitique, comme le montre la compilation des articles par journaux et par genre journalistique (voir tableau page suivante). Et, ce n'est pas vraiment dans les éditoriaux ou les chroniques régulières de ces journaux (à peu près 12% des articles), où les journalistes ont démontré leur capacité à rester à l'intérieur de la ligne du journal, qu'on trouvera ces analyses. Les esquisses d'explications ou d'interrogations sur la misogynie de notre société patriarcale, les rapports de domination entre les sexes, la violence quotidienne à l'égard des femmes, seront à découvrir dans les tribunes «libres». Les tribunes «libres»: lieu d'un débat d'information critiqueIl s'agit des pages «Des idées, des événements» (Le Devoir), «Plus», La Presse du samedi), «Entre nous»(The Gazette) et «Focus» (The Globe and Mail). En fait, ces pages ont une fonction bien particulière pour les médias. Elles sont en général réservées aux commentaires et analyses sur un fait ou une situation. Elles restent sous la responsabilité de la rédaction, le plus souvent de certains éditorialistes, qui effectuent bien sûr une première sélection à la source (l'encodage). Couverture de presse de la tragédie à l'École Polytechnique de Montréal 6 décembre 1989
Source: Tableau établi à partir de la lecture des journaux. 1 Types d'articles: R = reportage, compte-rendus, dépêches d'agence, documents E = éditorial B/C = billet ou chronique régulière B = Brèves, communiqués de presse, renseignements pratiques L = lettres (courrier du lecteur), témoignages O = opinions, commentaires, analyses, critiques 2 Types d'illustrations: P = photos CA = caricatures D = dessins, croquis, plans Parfois, elles sont le fruit des réflexions d'une même personne, qui de semaine en semaine commente certains faits, dits d'actualité. Mais cette personne, en général journaliste, n'a pas acquis le statut de chroniqueur régulier, même si elle en a l'apparence. Son statut est encore celui de pigiste régulier, c'est-à-dire faisant partie du système hiérarchique du média, mais n'ayant pas les avantages d'un chroniqueur régulier. Sa marge de manoeuvre quant aux prises de position marquées est limitée, son statut précaire, même si la censure (coupure d'un texte, mesures d'intimidation de la part de la direction, etc.) est assez exceptionnelle. Elle ne fait que planer au-dessus de sa tête et inconsciemment sans doute dans la production de textes. Mais ce genre de pigistes réguliers est un peu le cas d'exception qui confirme la règle. En général, quelles sont les personnes qui écrivent dans ces pages? Le plus souvent des journalistes indépendants, non réguliers cette fois et une nouvelle série d'experts (professeurs d'universités, écrivains, spécialistes de certaines questions, représentants de certains groupes sociaux, qui autrement ont du mal à susciter des reportages des journalistes, comme les groupes écologiques, féministes, de solidarité, etc.). L'ensemble de ces collaborateurs pourrait appartenir à ce que Paul Beaud156 appelle avec Sartre les «techniciens du savoir pratique» ou la «New Class». Une fois qu'on sait qui peut écrire dans ces pages, il n'est pas difficile de voir quelle fonction cette tribune libre assure. Elle sert en fait de paravent et de justification à la rédaction, en lui permettant de se dégager de sa responsabilité vis-à-vis du contenu, et surtout des controverses ou ambiguïtés qu'il pourrait contenir. Pourtant, c'est dans ces pages qu'on essaiera de comprendre ce qui s'est passé, de s'interroger sur la portée sociale et politique d'un tel drame, d'exiger un véritable débat public. «Nous vivons dans une société malade, nous n'avons plus de tripes qui se nouent devant l'horreur», «Les femmes aux têtes amputées», «Les 'hommes' sont tous coupables» (Le Devoir, 12 décembre, p. 9), «Comportements et biologie. Non, la violence n'est pas innée! Elle a des causes sociales» (Le Devoir, 16 décembre, p. 9), «L'éloge de la violence. L'incitation vient d'en haut» (Le Devoir, 20 décembre, p. 9); «Crime masculin isolé?» {La Presse, 8 décembre, p. B-3), «On achève bien les chevaux, n'est-ce-pas?» {La Presse, 9 décembre, p. B-3), «Le respect dû aux femmes», «Post-mortem» {La Presse, 16 décembre, p. B-3), «Pour une enquête publique sur Polytechnique» {La Presse, 24 janvier, p. B-3); «Why?» {The Gazette, 10 décembre, pp. D et D-2, cet article reprend une table ronde qui a eu lieu au programme Morningside de CBC Radio), «The system let me down when I said 'no more' to violence» {The Gazette, p. D-2), «Hunting Humans» {The Gazette, 10 décembre, p. D-3); «Speaking about the unspeakable», «A time for grief and pain» {The Globe and Mail, 8 décembre, p. A-7), «Our daughters, ourselves» (The Globe and Mail, 9 décembre, pp. D-1 et D-8), «Men cannot know the feelings of fear» {The Globe and Mail, 12 décembre, p. A-7). Isolés comme tels, ces articles ont de l'importance, mais dans le flot des reportages et comptes-rendus des médias, ils ont fini par être dilués. La pertinence de ces réflexions sur la violence de nos sociétés, les rapports de sexe, la haine envers les femmes qui osent être fières, a été anéantie par cette sur-information sous-informante des médias. Qui se souviendra, par exemple, dans ce flot de reportages de cette petite phrase: «Le gouvernement Mulroney a réduit de 15% les sommes prévues pour les programmes destinés à contrer la violence faite aux femmes et il dépense actuellement en moyenne 10$ par femme battue» (Le Devoir, 9 décembre, p. A-3)? Sur-information sous-information, voilà comment on peut définir le travail social des médias dominants, majoritaires. Peuvent-ils ou veulent-ils faire autre chose que nous ne les croyons plus. D'autant que la parole des minoritaires, que, parfois, ils utilisent, ils vont la détourner de telle manière qu'elle sera discréditée et pratiquement délégitimée. C'est que nous allons voir dans le chapitre suivant.
9. L'art de la récupération des médiasFace à un drame social et politique, les médias refusent, comme on vient de le voir, d'engager le débat public et critique auquel nous aurions dû avoir droit, c'est-à-dire d'assumer leur responsabilité sociale. Ils ne font que «couvrir» l'événement. Mais, s'ils camouflent, ornent ou manipulent ces fragments de réel qu'ils sont censés dévoiler, ils vont encore plus loin. Ils agissent, à mon avis, comme instruments de dénigrement du féminisme, en récupérant pour l'annuler la parole autonome des femmes. Si ce dernier point est particulièrement difficile à prouver, parce que le concept de récupération ne veut pas dire la même chose dans la bouche de ceux qui informent et de celles qui sont informées, il n'en reste pas moins essentiel, car c'est à partir de cette constatation qu'on peut mieux comprendre la nécessité d'avoir des presses féministes. Il est d'autant plus important de comprendre pourquoi s'effectue cette récupération d'une parole autonome et indépendante des milieux bien-pensants que ce procédé médiatique qu'on va décrire dans ce chapitre pourrait s'appliquer à tous les minoritaires. La force des médias majoritaires est justement de ne pas dire ce que d'autres aimeraient entendre. Bien souvent, dans les salles de nouvelles, on entend le rédacteur en chef souligner que «ce reportage est peut-être d'actualité, mais il n'intéresse pas les lecteurs ». Même si aucun journaliste ne sait vraiment à quel lecteur il se réfère. Ne sont-ils pas eux-mêmes et d'abord des lecteurs? Ou bien on entend aussi des phrases comme celles-ci: «la vérification de ce que vous avancez demande beaucoup trop de temps... et moi, je dois publier tout de suite». Ces remarques anodines sont en fait très significatives du procédé particulier qu'utilisent les médias dominants, à savoir le fait de rejeter la faute sur vous, minoritaire, femme de surcroît. Vouloir dénoncer des dysfonctionnements dans la société et mettre à nu les rapports sociaux de domination dans lesquels les minoritaires se retrouvent n'entrent pas, tout simplement, dans la pratique journalistique. Il ne paraît pas utile de s'appesantir sur les images fondamentales utilisées par les médias pour dépeindre les femmes. Elles sont suffisamment connues. La sous-représentation des femmes, leur portrait comme mère, épouse, objet sexuel, belle fille séduisante, qui a depuis la dernière décennie évolué en la Superwoman, libérée, mais néanmoins très féminine, sont autant de phénomènes sur lesquels on dispose maintenant assez de données157 Ce qui m'intéresse plutôt, c'est de voir comment les médias joue un rôle capital du point de vue idéologique, dans la mesure où leurs pratiques et leurs produits contribuent à engendrer l'inégalité structurelle des femmes dans nos sociétés en même temps qu'ils la confirment. C'est donc l'utilisation de l'imagerie culturelle des femmes en tant que groupe social à des fins idéologiques et aussi économiques qui me préoccupe. Il ne suffit pas de dire que certaines images de femmes médiatisées peuvent infléchir les perceptions et les comportements des hommes et des femmes dans leurs rapports mutuels, il faut aussi voir que ces images, en tant que constructions sociales et culturelles, peuvent être utilisées dans l'élaboration d'images sociales plus générales, et en particulier de celles des féministes. Les données que Margaret Gallagher158 a recueillies et analysées tendent à prouver que les médias jouent plutôt un rôle conservateur dans la socialisation, en renforçant les valeurs et les croyances traditionnelles, qu'ils ignorent les tendances nouvelles tant qu'elles ne sont pas solidement établies et surtout qu'ils remplissent ainsi une fonction de consolidation plutôt que de transformation dans la culture. Elle ajoute même que: «Les médias n'auraient pas seulement un rôle neutre, voire conservateur, ils constitueraient une force réactionnaire entravant les progrès de l'égalité des sexes» .159 Ce n'est donc pas seulement ce que disent les médias, ou leur façon de le dire, qui favorise une perception stéréotypée, limitée et faussée des femmes, c'est aussi ce qu'ils ne disent pas. Des études effectuées dans l'ensemble des régions du monde ont depuis longtemps montré la sous-représentation de femmes en tant que responsables du choix des informations diffusées et en tant qu'objets de l'actualité, comme par exemple l'étude de Tina Penolidis160 dans dix pays d'Europe. De l'Inde aux Caraïbes, en passant par les Pays-Bas, et même la Suède, la Norvège et la Finlande161, pays souvent considérés comme d'avant-garde en matière d'égalité entre les sexes, l'exclusion des femmes du monde de «l'actualité» est un phénomène universel. Au Canada, une étude162, menée sur les stéréotypes sexuels dans les médias de radiodiffusion pour le compte du CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), révèle que les femmes ne font partie que de 21% des personnes interviewées aux nouvelles télévisées et qu'elles le sont à titre de non-spécialistes. Comme le précise Lise Noël163 à propos des médias aux États-Unis:
«L'information est contrôlée par des hommes blancs, anglosaxons et protestants, issus des classes moyennes et supérieures. (...)La majeure partie de l'attention des médias écrits et audiovisuels va d'ailleurs aux personnes connues, les dominés n'en recevant une fraction que lorsqu'ils se font remarquer par un comportement 'négatif tel que grèves, manifestations, émeutes ou crimes. (...)À travers le contenu du savoir et la transmission de l'information, le dominant impose donc une image privilégiée de lui-même. Privilégiée parce qu'elle est présentée comme supérieure, mais aussi parce qu'elle est celle qu'on invoque le plus souvent. Ainsi l'opprimé fait-il le plus souvent figure de 'problème', sur lequel se pencheront les disciplines scientifiques spécialistes de l'Homme et dont les médias révéleront à l'occasion les manifestations négatives. (...)À plus forte raison, toute prétention de sa part (le dominé) d'étudier le dominant en l'appréhendant dans sa 'condition' d'oppresseur sera contestée comme peu objective.» Boycott par les médias d'une vision féministeCes remarques fort pertinentes sur les relations entre dominants et dominés me semblent être une des caractéristiques des rapports entre les médias et les femmes, en particulier avec les féministes. Mais il est particulièrement difficile de trouver dans les faits une preuve irréfutable que les médias offrent des images différentes des femmes, quand celles-ci sont produites par des femmes164. Il ne suffit donc pas de faciliter l'accès des femmes à l'emploi dans les médias, il faut aussi essayer de faire évoluer l'idée que la femme a d'elle-même et surtout de mettre au point des mesures et des stratégies pour lutter contre un système de valeurs culturelles qui maintiennent les femmes en position d'infériorité, de domination et qui souvent les empêchent de prendre conscience de leur condition. C'est ce à quoi va s'engager le féminisme de par le monde et ce en quoi il sera boycotté par les médias. Car, les initiatives positives ou compensatoires, adoptées par certains organes de communication, comme la CBC (radio et télévision) au Canada, n'aura pas donné les résultats escomptés.165 Il y a beaucoup de données d'observation qui prouvent que, dans toutes les parties du monde, les médias sous-estiment l'importance numérique des femmes en proportion de la population totale et de ses activités. En revanche, il n'est pas facile d'établir que les médias représentent mal ou faussement la majorité d'entre elles. En 1979, Mieke Ceulemans et Guido Fauconnier166 ont montré, à propos de la couverture par la presse du mouvement de libération des femmes, la première en 1970 aux États-Unis et en Angleterre, la deuxième en Angleterre en 1977, que: «Les articles de la presse sur le mouvement de libération de la femme reflètent une vision peu flatteuse et stéréotypée qu'en a une opinion mal informée. La description de groupes féministes et de leurs activités est partiale. Par exemple, les photos de femmes opposées au mouvement de libération sont généralement flatteuses, alors que les dirigeantes féministes ont généralement l'air désagréables et agressives. Ce type de manipulation renforce le stéréotype par la presse quotidienne: la femme est jugée sur son aspect extérieur et non sur ses actions.» D'autres études, comme celles de Colette Beauchamp167 ou du Women's Studies Program and Policy Centre de l'Université George Washington aux États-Unis168, appuient, de façon remarquable, cette hypothèse que les médias dénigrent, méprisent et en fin de compte boycottent les idées féministes dans notre société et surtout donnent une image négative et stéréotypée des féministes. Est-ce parce que la pensée féministe est dérangeante? Est-ce parce qu'elle refuse d'occulter les rapports sociaux de sexe dans son analyse de l'actualité journalistique? Est-ce parce qu'elle désire lever les tabous d'événements traumatisants pour la société, en commençant par le rendre visible et lisible? La lecture de la tragédie de l'École Polytechnique faite par les médias dominants offre, à mon avis, une démonstration à contrario de l'impasse stratégique dans laquelle sont conduites les presses minoritaires, alternatives, comme les presses féministes françaises et québécoises. Il semble exister une grande cohésion entre un système médiatique et un système societal qui masque les analyses féministes des rapports de domination entre les sexes dans notre société. Le travail social des médias devient un travail de reproduction idéologique qui non seulement n'informe pas mais encore nie aux contestataires l'accès à une information «avec» la communication. Le dénigrement d'une parole autonome de femmesJ'aimerais, pour conclure, voir ce qui s'est passé plus précisément avec la tragédie de l'École Polytechnique du 6 décembre 1989. Les médias ont-ils fait preuve, une fois de plus, d'anti-féminisme? Quelques indices dans leur traitement de l'événement semblent aller dans ce sens, même si le langage des médias à l'égard des féministes se veut plus subtil et moins dénigrant qu'il pouvait l'être au début des années 70 et 80. On a vu comment ils ont orchestré leur «mascarade», en donnant une place anormalement élevée au discours psychologique, ce qui leur permettait d'occulter la signification sociale et politique d'un tel geste. Mais ils ont fait plus: ils ont réussi à évacuer de leur mise en scène l'expertise féministe en matière de violence masculine, tout en accusant les féministes de récupérer l'événement. Voilà par exemple les propos d'une chroniqueure régulière du Devoir sur ce que les médias entendent par récupération: «Je me demande aujourd'hui, alors que les regroupements de femmes enfoncent le clou à coups de communiqués sur la violence faite aux femmes, alors que les journalistes du sexe fort haussent les épaules en n'y voyant que le geste isolé d'un détraqué, je me demande si effectivement il n'y a pas la guerre, une guerre larvée» (9 décembre, p. C-12) et «Je pense à Marc Lépine pour ne pas entendre le concert récupérateur des discours qui mêlent tout: Rambo, la télévision, la violence faite aux femmes, la pornographie, l'avortement et l'étalage des armes à feu dans les vitrines» (16 décembre, p. C-12). En fait, les médias ont reproché aux féministes d'avoir pris la parole, en tenant un discours discordant à celui qu'ils ont tenu pendant cette couverture. Mais qu'entend-on par récupération? Dans l'argumentation politique, il s'agit de détourner de son sens et d'annexer quelque chose (une action ou un mouvement d'opinion) ou quelqu'un (groupe ou individu) autonome à l'origine. Résumons brièvement ce qui s'est passé: un individu (un homme de 25 ans) a tué de sangfroid (les balles de son semi-automatique étaient dirigées vers la tête des étudiantes, point du corps difficile à atteindre, ce qui suppose un tir sûr et précis) 14 étudiantes de l'École Polytechnique de l'Université de Montréal (école d'ingénieurs qui reste encore un fief masculin, comme le diront les médias), en a blessé 13 (en changeant systématiquement d'étages) et s'est suicidé. Son acte était non seulement prémédité (choix des victimes, lieu de l'intervention, lettre explicative en date du jour du crime), mais aussi revendiqué («Je hais les féministes, vous êtes toutes une gang de féministes», s'est-il écrié avant de tuer, et il y avait aussi dans sa lettre une liste de 19 femmes à tuer, qu'il considérait comme des féministes). Qu'en ont dit les médias? Ils ont commencé par déresponsabiliser le tueur en le qualifiant de fou et de forcené (annexer un individu, à l'origine autonome, à un concept d'anomalie mentale) pour ensuite déresponsabiliser la société dans son ensemble, en particulier les hommes (éviter tout sentiment de culpabilité) et enfin qualifier ce meurtre de geste isolé et ponctuel (détourner le sens d'un attentat politique). Qu'en ont dit certaines féministes? Elles ont rappelé que ce geste était explicitement revendiqué (lettre et choix sélectif des victimes) contre elles (les féministes et non pas les femmes en général) et ont dénoncé ce que ce geste dévoilait (la violence quotidienne, psychologique et physique, que subissent les femmes dans notre société et dans le monde, sous diverses formes -violence conjugale, harcèlement sexuel au travail, pornographie, inceste, viol, etc.qui peut aller jusqu'au meurtre).169 Bien sûr, les médias ne vont pas ouvertement accuser les féministes, mais ils vont faire en sorte qu'elles se taisent ou qu'elles soient discréditées. Comme le soulignent Danielle Juteau et Nicole Laurin-Frenette170 sur ce silence imposé aux féministes: «Pourquoi nous faire taire? Parce que le geste de Lépine dévoile l'existence du système de domination entre les hommes et les femmes et parce que nos analyses en rendent visible l'horreur. Il ne faut pas que la réalité remonte à la surface du discours. Parce qu'il est difficile aux femmes de contester et d'abolir un système qu'elles ne voient pas; en maintenant l'obscurité et la conscience dominée, en récompensant celles qui sont raisonnables et qui restent à leur place, on peut assurer la reproduction du système de domination et tous les privilèges qui y sont rattachés. » Et un des procédés de la récupération des médias consiste à retourner à l'envers les termes féministes, comme par exemple faire passer l'oppresseur pour une victime (Le tueur devient un pauvre malade, un déséquilibré). Ensuite, ils vont inverser les rôles d'oppresseur et d'opprimé que sous-tend l'ensemble des rapports de domination dans notre société, en faisant en sorte que la responsabilité de l'action (l'attentat) soit reporté sur les épaules des victimes (les féministes). J'ai trouvé plusieurs exemples de ce procédé dans nos quotidiens. «Les femmes prennent de plus en plus de place. Trop pensent certains hommes. Ce n'est pas un hasard si le meurtrier s'est retrouvé à Polytechnique. Il s'est dit: les femmes sont même rendues jusque là, elles viennent de franchir une autre barrière, une de trop. Les rapports de pouvoir changent, les femmes s'émancipent et beaucoup d'hommes se sentent menacés» (propos du directeur de l'Ecole de criminologie de l'Université de Montréal); «C'est au Québec que la révolution féministe a été la plus agissante. Une majorité d'hommes n'ont pas suivi et subissent cette révolution avec plus ou moins de rancoeur. Des gens enragés, malheureux» (propos d'un humaniste). L'ensemble de ces affirmations se retrouvent dans un articlereportage publié par La Presse, 9 décembre, p. B-l. Et encore: «La plupart des hommes ont pu éprouver du ressentiment envers le mouvement féministe. (...)I1 y a, sans aucun doute, une hausse de l'insécurité masculine associée à la progression du mouvement féministe» (propos d'un psychologue américain, Le Devoir, 9 décembre, p. A-3 et La Presse, 11 décembre, p. B-l). Enfin, sous couvert de la stratégie des deux côtés de la médaille, les médias vont publier des propos carrément antiféministes, mais en faisant bien attention que ce ne soit pas la rédaction qui en endosse la responsabilité. «Les dirigeantes féministes sont responsables d'une certaine projection du féminisme comme violence faite ou à faire à l'homme, une sorte de 'catharsis' à l'injustice faite aux femmes durant des siècles. (...)À la femme qui rend l'homme responsable de sa non-réalisation correspond l'homme qui rend la femme responsable de son échec. (...)Dans le débat mené si bruyamment par les féministes, on omet d'ajouter que leurs instances idéologiques font tout simplement le jeu du système. Dans la propagande outrancière des féministes, la femme doit percevoir l'homme comme l'ennemi historique mais aussi actuel, avec oblitération de la composante sociologique qui se lit dans le sens de l'opposition exploitant/exploité. (...)Que les femmes disent à haute voix d'en avoir assez de ce féminisme criard, de ce féminisme bonne-femme à la Jeannette, qui n'est qu'une diversion déguisée en prise de conscience. Les vrais termes du débat sont ou escamotés ou occultés. L'ennemi de la femme n'est pas l'homme, mais l'ignorance savamment entretenue et la misère aussi bien matérielle que morale» (propos d'une femme, professeure, publié dans la page Des idées, des événements sous le titre Réflexion sur le féminisme, Le Devoir, 15 décembre, p. 7). Mais, en plus, dans leur mise en scène, les médias vont accentuer ce travail de sape à l'égard des féministes. Qui aura droit de parole? La ministre déléguée à la Condition féminine, la présidente du Conseil du statut de la femme, l'Association des femmes diplômées des universités, la Fédération des femmes du Québec, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, La Centrale de l'enseignement du Québec, La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, l'Association nationale des étudiants et étudiantes du Québec, etc. et même le Collectif masculin contre le sexisme. J'en oublie sûrement, mais ce choix n'est pas fortuit de la part des médias. Ainsi, les associations de femmes qui travaillent quotidiennement avec la violence des hommes, comme le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, ou le Regroupement provincial des maisons d'hébergement ne se verront accorder pratiquement aucun interview. Seule la teneur de leurs communiqués communs sera reproduite ou bien quelques pages seront offertes pour des opinions, surtout des lettres. Le masquage de la récupérationLa signature des articles est un acte d'appropriation de ce qui est énoncé et cette forme de marquage permet aussi toutes sortes de masquage. Le tableau ci-dessous montre bien que les femmes et les féministes ont encore du chemin à faire pour avoir le droit de signer dans nos médias. La signature des agences de presse sousentend, par exemple, que l'opération de synthèse a été prise en charge par l'institution mais elle feint de considérer ce travail sous le seul angle technique, en excluant l'opérateur de synthèse. De même, le texte sans signature, anonyme, se rattache le plus souvent à une institution, mais participe de cette logique médiatique du voilement et du dévoilement. Signatures des articles pour la couverture de presse de la tragédie à l'Ecole Polytechnique de Montréal 6 décembre 1989
Source: Tableau établi à partir de la lecture des journaux.
1. Il s'agit pour la plupart de dépêches venant de l'agence PC (Presse Canadienne), à quelques rares exceptions de l'A.F.P. (France) et l'A. P. (U.S.A.). 2. Le nombre de signatures (366) est plus important que le nombre d'articles (318) car, parfois, les articles étaient signés par plusieurs personnes et, le plus souvent, par des personnes de sexe différent. Lorsque le texte est signé par un regroupement, cela permet aux médias d'amoindrir l'importance en nombre de ce groupe d'appartenance tout en laissant le champ libre à toutes sortes d'interprétations de la part des lectrices et lecteurs. Ce problème de la signature, souvent négligé dans les analyses de presse, ajoute ainsi à l'effet de «mascarade» des médias, en permettant de tracer une frontière entre ceux et celles qui savent ou feignent de savoir et ceux et celles qui ne savent pas ou feignent de ne pas savoir. L'art de la récupération des médias passe donc non seulement par une sélection très particulière de celles et de ceux qui sont censé-e-s nous informer mais aussi par une hiérarchisation de la parole des femmes. Plus celles-ci seront près d'institutions sociales et politiques reconnues, plus elles pourront s'exprimer. L'ensemble de ces indices et l'analyse de la couverture de presse de la tragédie du 6 décembre 1989 m'autorisent donc à conclure que les médias dénigrent et discréditent la parole des féministes, qu'ils nient les enjeux sociaux et politiques de certains événements. Mais plus généralement, ce sont tous les minoritaires qui sont exclus de la soi-disant information journalistique. Pas seulement les femmes, mais aussi les minorités ethniques par exemple qui obtiennent le même traitement médiatique de noninformation, de dénigrement, de folklorisation, de dramatisation outrancière. Mais quelquefois les minoritaires se révoltent. Ils prennent la parole, fondent des journaux, décident de passer à l'offensive devant cette masse d'information insignifiante. Pour un certain temps. Car le système médiatique est organisé de telle façon que leur prise de parole ne peut survivre. C'est pourquoi, à mon avis, ont émergé des presses féministes. Pour exprimer et traduire le point de vue des théories et actions féministes. Le choix et le traitement de l'information journalistique qu'elles ont essayé d'offrir viennent contredire le prêt-à-penser des médias, bousculer les idées toute faites, dévoiler une oppression qui existe encore. Et, si cette voix des femmes représentait l'autre côté de la médaille, tant recherchée par les médias, pourquoi ne pas l'utiliser? Plus de la moitié de l'humanité aurait peut-être ainsi l'impression d'être informée.
ConclusionEn guise de conclusion, j'aimerai vous parler un peu de Pénélope, qui pendant vingt ans a attendu son bel Ulysse, en tissant le linceul de son beau-père, Laërte, roi d'Ithaque, et le défaisant la nuit. C'était le moyen qu'elle avait trouvé pour repousser les demandes pressantes des prétendants qui s'étaient installés dans le palais du roi et qui la tannaient, jour après jour, pour qu'elle se décide à choisir l'heureux élu. L'Odyssée d'Homère en a fait un symbole de la fidélité conjugale. Mais selon une autre version posthomérique, Pénélope aurait fini par prendre conscience de sa condition de femme. Ces symboles de patience et de fidélité ne sont-ils pas autre chose qu'une manière déguisée de la maintenir dans le carcan de l'oppression? Un beau jour, ni tenant plus, elle se révolte et elle cède successivement aux cent vingt-neuf prétendants. Quand céder ne veut pas dire consentir, dira Nicole Claude Mathieu. Mais Pénélope finira par être bannie par son cher et tendre, de retour sur l'île. En faisant cette recherche sur les presses féministes françaises et québécoises et en vous livrant le fruit de ces réflexions, j'ai eu l'impression que mon travail ressemblait à la toile de Pénélope. Au fur et à mesure que la recherche avançait, des idées nouvelles apparaissaient, des contradictions surgissaient. Les femmes qui ont publié ces journaux multiples et mouvants, tissant tout au long de ces vingt ans un réseau de solidarité avec d'autres femmes, refaisant la face du monde et luttant pour améliorer cette moitié de ciel, si souvent assombrie par tant de maux, sont, elles aussi, autant de Pénélopes passées et futures. C'est grâce à ces féministes, qui n'ont pas hésité à crier haut et fort leurs aspirations, leurs douleurs, et parfois aussi leur joie de vivre, que l'information médiatique ne sera plus jamais ce qu'elle est. Bien sûr, ces presses féministes n'auront pas réussi à survivre, mais peut-être auront-elles subrepticement jeté le trouble dans nos têtes si mal «informées». Peut-être auront-elles réussi à innover dans la communication sociale, en conquérant pendant un certain temps le droit à l'information avec, et non sans la communication. Car, ce qu'elles voulaient faire, c'était assumer la fonction politique des médias. Le pari était risqué, mais certaines s'y sont lancées, corps et âme parfois. Comme on l'a vu dans les chapitres trois, quatre, cinq et six, les embûches étaient nombreuses. Tout d'abord, les thèmes abordés par ces presses féministes les positionnent dans le champ médiatique comme des presses d'opinion. Mais, dans leurs journaux, on ne retrouve pas les S (sang, sexe et sport) des médias dominants. On y parle plutôt des révoltes contre le viol et les femmes battues, des prises de position pour un avortement libre et gratuit, une santé plus humaine, des initiatives de femmes dans tous les domaines de la culture, une solidarité internationale et des luttes pour une politique qui reconnaît l'égalité des hommes et des femmes, tant professionnelle que personnelle. Néanmoins, leur discours écrit et visuel est virulent, provocant, de l'ordre du pamphlet. Car, il ne faut pas l'oublier, les presses féministes françaises et québécoises, du moins les six publications que j'ai analysées, sont la source même d'un féminisme pluriel. Au fur et à mesure qu'elles prospèrent, le féminisme se constitue, et au fur et à mesure qu'elles disparaissent, le féminisme se destitue. C'est aussi la conclusion à laquelle arrive Laure Adler, en parlant des journaux féministes français de 1830 à la révolution de 1848:171 «Pendant vingt ans, continûment, inlassablement, des dizaines de femmes, bourgeoises et prolétaires, vont se battre en écrivant en tant que femmes et pour les femmes. (...)Il n'y avait plus des femmes qui, individuellement, se battaient , mais les femmes qui, en tant que catégorie, en tant que sexe, commençaient à exister. Frondeur, provoquant à ses débuts, le féminisme s'était progressivement alourdi de dignité, de vertu et de moralité. En devenant une idéologie, il perdra de sa vigueur et de sa liberté.» Vingt ans encore, de 1970 à 1990. Date fatidique qui condamne les presses féministes à la perte de mémoire, jusqu'au prochain sursaut. Pourtant, d'Histoires d'Elles à La Vie en Rose, en passant par Les Pétroleuses, les Têtes de Pioche, Des Luttes et des Rires de Femmes et Des Femmes en Mouvement Hebdo, j'ai eu la chance et le plaisir de lire et de relire, page après page, photo après photo, cette histoire oubliée du mouvement de libération des femmes, ces tensions et déchirements, ces remises en question des femmes de tous les pays face à leur émancipation. Comme le souligne Paul Auster:172 «On ne peut écrire un seul mot, sans l'avoir d'abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d'abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit de la même façon qu'on vit avec son coeur, son estomac et son cerveau. La mémoire, donc, non tant comme le passé contenu en nous, mais comme la preuve de notre vie dans le présent. » Puisse ce livre participer un peu à cette mémoire collective des femmes, qui fait si souvent défaut en matière d'information journalistique! Mais, est-ce à dire que les presses féministes françaises et québécoises, parce qu'elles sont politiques, ne peuvent être qu'éphémères? Ou bien, leur positionnement dans le champ de la presse et leur discours finissent-ils par les enfermer dans un «ghetto» féministe? Ont-elles la possibilité de continuer à satisfaire des femmes, déjà conscientisées sur certains problèmes? Comme le remarque Martine D'Amours173, à propos d'une de nos publications: «En sept ans, l'étoile des luttes collectives a pâli, redonnant à l'individualisme ses lettres de noblesse. Le féminisme aussi a évolué: dépassant les groupes de femmes, il a semé des idées qu'ont reprises une foule de Québécoises... et un nombre significatif d'institutions. (...)La conjoncture changeant, le magazine a dû satisfaire deux clientèles très différentes. D'une part, les fidèles abonnées du début, féministes plus radicales et organisées, peu enclines à voir leurs principes remis en question et qui, de fait, critiquaient de plus en plus les positions parfois peu orthodoxes de La Vie en Rose. D'autre part, une nouvelle clientèle, formée de femmes qui endossent les valeurs féministes, bien qu'elles en récusent l'étiquette, féministes individuelles, non militantes et non organisées. Le malheur c'est qu'auprès de cette nouvelle clientèle, La Vie en Rose, naguère d'avant-garde, faisait figure de rétro.» Dilemme et paradoxe qu'on retrouve également au niveau de l'organisation interne de ces publications -collectives surtout si elles restent alternatives, plus traditionnelles si elles s'échappent vers le style «glamour»et de l'image qu'elles diffusent vers l'extérieur. Mais c'est surtout le rapport au marché économique qui finit par avoir raison de leur survie. Car les lois de marketing sont les mêmes pour tous et toutes. Écart entre les dépenses et les recettes trop important, problème de la vente autre que par abonnement, concurrence énorme, l'ensemble des difficultés financières qu'encourt ce type de presse, allié à l'essoufflement des fondatrices, le manque de relève, l'inexpérience ou le choix plus ou moins conscient de ne pas savoir conduire une entreprise, les solidarités qui manquent, le climat social et politique qui se modifie, etc., tous ces facteurs ont conduit les presses féministes françaises et québécoises que vous avez pu découvrir à se saborder. Les messages politiques d'Iris, comme on pourrait qualifier les discours de ces presses féministes, ne se sont pas envolés jusqu'aux dieux de l'Olympe. Ses ailes sont-elles trop courtes ou son bâton d'héraut pas assez affûté? Ou encore, ses messages sont-ils trop dangereux, subjectifs, passionnés, dérisoires pour dépasser la masse de sur-information sous-informante de ceux d'Hermès? À la révolte et au désir de vivre pleinement des femmes, ce dieu préfère-t-il les mêmes ritournelles sur les guerres, les catastrophes, l'ordre social à ne pas déséquilibrer, les parties de hockey ou de football, la bonne conscience envers les pauvres, les sans-abri? Il semble que oui, si l'on se fie par exemple à la couverture qu'a donnée la presse écrite de la tragédie survenue à l'École Polytechnique de Montréal, telle qu'explicitée plus haut. Mais peut-être qu'Iris, à l'aube du XXIe siècle, deviendra la déesse des minoritaires et recommencera à envoyer ses messages politiques. Cette fois-ci, l'Internet sera sans doute plus efficace que les simples gazettes. Car, si les minoritaires, et les femmes particulier, n'arrivent toujours pas à rendre public leurs aspirations et leurs désirs par des presses, ils trouveront sûrement une autre manière de se faire entendre. Les médias majoritaires n'ont qu'à bien se tenir. La révolte des minoritaires est toujours inattendue, même si, parfois, elle prend des aspects provocateurs, subversifs, résistants. L'Iliade nous rappelle les bienfaits et méfaits de ce fils de Zeus et de Maia, guide des voyageurs, mais aussi dieu du vol et du mensonge (cela vous rappelle-t-il quelque chose?), patron des orateurs mais aussi dieu des bergers. Si les messages d'Hermès semblent encore se rendre jusqu'au palais des dieux, les mortels que nous sommes ont de plus en plus de mal à les décoder et à les comprendre. Car, nos médias oublient encore que décrire n'est pas informer, que la réalité ne se fabrique pas seulement à partir de schémas préconstruits, que les projets des minoritaires font aussi partie de cette réalité. Devenus le lubrifiant des rapports sociaux, les porte-voix ronflants des institutions, ils négligent leur responsabilité sociale, qui est précisément d'interroger ces rapports, en particulier les rapports sociaux de sexe, de critiquer le politique et de permettre aux membres de la cité de réfléchir au sens du monde et à leur place dans cette signification. Reste à savoir si une presse féministe, de combat, d'opinion, est viable, même avec une équipe restreinte, un plan d'entreprise serré, des frais généraux minimes, des capitaux pour durer la première année, etc., c'est-à-dire en devenant comme les autres médias un produit marchand, tout en gardant ses idées «progressistes», porteuses de changement social. Au départ de ce livre, je m'étais posé la question de savoir pourquoi les minoritaires, et les femmes en particulier, s'ils prennent parfois la parole dans le champ médiatique en créant leurs propres journaux, ne peuvent pas la garder. Je reste convaincue que les minoritaires défendent un projet politique qui met à nu le rapport de domination dans les rapports sociaux et les rapports de sexe. Cela dérange souvent les médias majoritaires qui préfèrent soit nier l'existence des minoritaires, soit leur désigner une place à ne pas dépasser174. Et quand ils leur assignent une place, elle est souvent moindre, folklorisée ou discréditée. L'analyse critique de la couverture de presse nous l'a confirmé: la parole autonome des minoritaires n'est pas reconnue, voire dénigrée, par les médias dominants. Alors si les messagères d'Iris -les presses féministes françaises et québécoisesauront favorisé auprès des femmes, et en tout cas pour moi, une prise de conscience de leur condition et de leur oppression, les messagers d'Hermès peuvent-ils en faire autant? Les quelques années qui nous restent avant l'an 2 000 seront-elles des années de partage, de solidarité, de compréhension mutuelle, de communication, ou, au contraire, des années de solitude, d'individualisme, de guerre et d'incommunication? «Nos aînées nous ont appris à devenir autonomes économiquement et socialement, à prendre la parole, à comprendre les situations d'oppression, à combattre toutes les formes de violence intentées contre les femmes, et finalement à tenter d'être reconnues comme des personnes à part entière. Pourtant, il me semble que les liens qui unissent actuellement les hommes et les femmes sont imprégnés du même sentiment d'étrangeté que celui qui règne dans notre relation au monde. Terre malade, coeur malade! Nous nous sentons de plus en plus seul-e-s face à notre incapacité de dire notre amour des choses simples de la vie, de partager nos désirs et aussi nos peurs de vivre pleinement, en harmonie avec l'Autre. Car, ce que nos aînées ne nous ont pas appris, c'est d'avoir la force de gérer nos solitudes. Non pas celle qui nous saisit le matin devant notre bol de café ou la veille de Noël, mais celle qui, subrepticement, vient ponctuer notre quête de bonheur ici-bas.»175 Décidément, je crois que Pénélope a trop d'ouvrage et qu'Iris devrait penser à refaire l'emballage de ses messages pour mieux se faire entendre des dieux. Car, si les femmes ont encore terriblement besoin d'apercevoir des arcs-en-ciel, les hommes pourraient aussi apprendre à les déchiffrer.
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MontréalLe Devoir (67)7. décembre 1989, p. 1 et 8; 8. décembre, pp. 1,3,4, 5,8, 10; 9. décembre, pp. 1, 8, A-3, C-12; 11. décembre, pp. 1,3,6,8; 12. décembre, pp. 1,3,9, 10; 16. décembre, p. 7; 18. décembre, pp. 8, C-2; 18 décembre, p. 13; 20. décembre, p. 9; 6 janvier 1990, pp. l.A-8. La Presse (143)7. décembre 1989, pp. 1, A-2, A-3; 8. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-4, A-5, A-6, B-l, B-2, B-3; 9. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-5, A-Il, B-l, B-2, B-3; 10. décembre, pp. 1, A-2,C-l,C-3; 11. décembre, pp. 1, A-2, A-3, B-l; 12. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-4, A-5, A-7, B-2, B-3; 15. décembre, p. A-3; 16. décembre, p. 1 et A-2; 21. décembre, pp. B-3, B-4, B-5; 24. décembre, p. A-5; 24janvier 1990, p. B-3. The Gazette (78)7. décembre 1989, pp. 1, A-2, A-3, A^; 8. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-4, A-5, A-6, B-2, B-3, C3, D-ll; 9. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-4, A-5, A-6, A-7, B-l, B-2, B-3; 10. décembre, pp. 1, A-2, A-4, A-5, D-l, D-2, D-3, D-4; 11. décembre, pp. 1, A-2, A-3, A-5, A-10, B-3, C-3.
TorontoThe Globe & Mail (26)7. décembre 1989, pp. 1, A-2; 8. décembre, pp. 1, A-2, A-4, A-5, A-6, A-7; 9. décembre, pp. 1, A-2, A-3, D-l, D-8; 11. décembre, pp. 1, A-10; 12. décembre, pp. 1, A-2, A-7. ParisLe Monde (2)8. décembre 1989, p. 8; 9. décembre 1989, p. 6. Libération (1)8 décembre 1989, p. 28. 6. Méthodologie: analyses de presse, de discours, de contenu, de l'imageAebischer Véréna, Les femmes et le langage, PUF, Paris, 1985, 200 pages. Agnes Yves et Croissandeau Marc, Lire le journal, Lobies, Paris, 1979,287 pages. Angenot Marc La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Payot (Langages et sociétés), 1982,425 pages. Bardin Laurence, L'analyse de contenu, PUF (Le psychologue , 2e édition), Paris, 1980, 233 pages. Bonnafous Simone, «Racisme et non-racisme; étude de presse», Mots (les langages du politique), Presse de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, mars 1989, n° 19, pp. 21-37. 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Pendant vingt ans, les presses féministes françaises et québécoises ont essayé de transmettre de l'information avec la communication, en refusant de rapporter les trois S : sang, sexe, sport. Leurs discours irrévérencieux face au pouvoir, leur manque de ressources financières, leurs images provocatrices ont eu raison de leur survie. Ce livre leur redonne la parole, si longtemps omise. Il souligne comment les journalistes ont beau jeu de dire qu'ils nous présentent la réalité de manière « objective » ou « professionnelle ». La moitié du ciel n'appartient pas encore à cette réalité, même lorsqu'un événement comme la tragédie de l'École Polytechnique de Montréal les touche de près. Une nouvelle fois, les médias récupèrent, en la neutralisant ou en la discréditant, la parole autonome des femmes et, plus généralement, celle des minoritaires. A l'aube du XXIe siècle, une information qui ne nie pas les rapports de sexe fait encore cruellement défaut. Journaliste indépendante depuis quinze ans et critique de cinéma, Myriame EL YAMANI a enseigné le journalisme et la sociologie des femmes à l'Université de Montréal. Titulaire d'un doctorat en sciences de l'information et de la communication du Celsa (Université Paris LaSorbonne), elle poursuit au CEETUM (Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal) des recherches sur les rapports ethniques et les rapports de sexe dans les médias et le cinéma.
NOTES1 Ramonet, «Médias, sociétés et démocratie. L'ère du soupçon», Le Monde diplomatique, Paris, mai 1991, pp. et 18. 2 Certains de ces périodiques féministes définissaient d'ailleurs les médias de masse comme les médias de domination ou «mâles-médias». Tout au long de ce livre, le mot média sera francisé: un média, des médias. 3 C. Beauchamp, Le silence des médias, Remue-Ménage, Montréal, 1987, p. 258. Ce qui était en italique dans les citations sera toujours remis en caractère droit. 4 Afin d'éviter les répétitions et de faciliter la lecture, les sigles suivants seront utilisés: C pour Canada, F pour France, M pour Montréal, P pour Paris et Q pour Québec. 5 R. Dulong et L. Quéré, Le journal et son territoire. Presse régionale et conflits sociaux, E.H.E.S.S. et C.E.M.S. (A.T.P./C.N.R.S.), Paris/Tours, 1978. 6 R. Dulong et L. Quéré, Idem, p. 10. 8 L. Sfez, Critique de la communication, Seuil, Paris, 1988, pp. 16, 33 et 92. 9 P. Breton et S. Proulx, L'explosion de la communication. La naissance d'une nouvelle idéologie, La Découverte/Boréal (sciences et société), Paris/Montréal, 1989. 10 Je me réfère ici à un très intéressant recueil d'articles publiés par Le Monde diplomatique en décembre 1987 sous le titre: Des sociétés malades de leurs cultures, dans la collection «manières de voir». 11 Y. De La Haye et B. Miège, «les sciences de la communication: un phénomène de dépendance culturelle», dans Y. De La Haye, Dissonances. Critique de la communication, La Pensée sauvage, Grenoble, 1984, p. 147. 12 Voir notamment G. Burdeau, Traité de science politique, Economica (politique comparée), Tome X: La révolte des colonisés, 1986. Tout son premier chapitre (pp. 23-194) est consacré au «problème du consensus». 13 P. Beaud, La société de connivence. Media, médiations et classes sociales, Aubier (Res Babel), Paris, 1984. Y. De La Haye, Dissonances. Critique de la communication, La Pensée sauvage, Grenoble, 1984. L. Quéré, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, Aubier (Res Babel), Paris, 1982. L. Sfez, Critique de la communication, Seuil, Paris, 1988. 14 Certains travaux comme ceux de Gramsci, Hall, Kellner et Van Dijk, pour ne citer que ceux là, sont particulièrement importants pour saisir le rôle des médias dans la perpétuation de l'idéologie dominante. 15 X. Delcourt, «Sciences de la communication: une discipline en formation», dans M. Guillaume (Dir.), L'état des sciences sociales en France, La Découverte, Paris, 1986, p.427. 16 L. Sfez, Critique de la communication, Seuil, Paris, 1988, p.21. 17 P. Breton et S. Proulx, L'explosion de la communication. La naissance d'une nouvelle idéologie, La Découverte/Boréal (sciences et société), Paris/Montréal, 1989, pp. 215-216. 18 P. Breton et S. Proulx, Idem, p. 216. 19 Y. De La Haye, Dissonances. Critique de la communication, La Pensée sauvage, Grenoble, 1984, pp. 183 et 187. 20 Y. De La Haye, Ibid, p. 183. 21 Je pense notamment à H. Martineau qui a traduit en anglais les oeuvres d'Auguste Comte et a publié le premier ouvrage de méthodologie en sciences sociales et d'autres études sur les femmes, ou à C. Perkins Gilman qui a consacré de nombreux ouvrages théoriques de sociologie et d'économie à la situation des femmes et aux conditions de leur émancipation. 22 Il s'agit de la traduction libre des concepts utilisés par Sandra Harding qui sont respectivement: «gendered social life», «individual gender», «gender structure» et «gender symbolism.» Cette féministe américaine a beaucoup écrit sur des questions d'ordre épistémologique, elle est notamment l'auteure de The Science Question in Feminism, Cornell University Press (Ithaca), New York, 1986. 23 Voir à ce propos l'excellente synthèse qu'en fait la sociologue québécoise Nicole Laurin dans son article: «Les femmes dans la sociologie», Sociologie et sociétés, Montréal, Octobre 1981, vol. 12, n° 2, pp. 3-18. 24 N. Laurin, Idem, p. 10. 25 Globalement, on définit la sphère privée comme la cellule familiale et la vie domestique. La sphère publique correspond par contre aux espaces sociaux et politiques plus impersonnels, ce qu'on appelait en Grèce antique la polis. 26 Voir à ce propos le tableau sur la problématique de la division sociale des sexes, pp. 27 M. O'Brien, La dialectique de la reproduction, Remue-Ménage, Montréal, 1987 (1ère édition en 1981). 28 L. Irigaray, Ce sexe qui n'en est pas un, Minuit, Paris, 1977 et Éthique de la différence, Minuit, Paris, 1984. 29 J. Kristeva, Polylogue, Seuil, Paris, 1977. 30 C. Guillaumin, «Question de différence», Questions féministes, Tierce, Paris, septembre 1979, n° 6, pp. 11 et 13. 31 C. Delphy, «L'ennemi principal», dans Partisans. Libération des femmes année zéro, Maspéro (petite collection), Paris, 1972 (1ère édition juillet-octobre 1970), pp. 112-139. 32 C. Delphy, Idem, pp. 117, 132 et 133. 33 C. Guillaumin, «Pratique du pouvoir et idée de Nature. (1) L'appropriation des femmes; (2) Le discours de la Nature», Questions féministes, Tierce, Paris, février et juin 1978, n°s 2 et 3, pp. 5-30 et pp. 3-28. 34 D. Juteau et N. Laurin, «L'évolution des formes de l'appropriation des femmes: des religieuses aux mères porteuses», Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie, Toronto, mai 1988, vol. 25, n° 2, pp. 183-207. 35 D. Juteau et N. Laurin, Idem, pp. 202-203. 36 D. Juteau et N. Laurin, Ibid., p. 203. 37 M. V. Louis, «Recherches sur les femmes, recherches féministes», dans M. Guillaume (Dir.), L'État des sciences sociales en France, La Découverte, Paris, 1986, p. 462. 38 D. Juteau-Lee, «Visions partielles, visions partiales: visions (des) minoritaires en sociologie», Sociologie et sociétés, Montréal, octobre 1981, vol. 13, n° 2, pp. 33-47. 39 Je fais référence à deux ouvrages qui vont se révéler essentiels pour ce chapitre: J. Habermas, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1978 (1ère édition en 1962). J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel. Tome I: Rationalité de l'agir et rationalisation de la société. Tome II: Pour une critique de la raison fonctionnaliste, Fayard (L'espace du politique), Paris, 1987, (1ère édition 1981). 40 J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, Fayard (l'espace du politique), Paris, 1987, tome I, p. 24. 41 J. Habermas, Idem, pp. 333-334. 42 J. Habermas, Ibid., p. 344. 43 J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, Fayard (l'espace du politique), Paris, 1987, tome II, pp. 435-436. 44 J. Habermas, Ibid., p.433. 45 Celle de L. Sfez, Critique de la communication, Seuil, Paris, pp. 128-130 et celle de N. Fraser, «What's critical about Critical Theory? The Case of Habermas and Genden», dans S. Benabib et D. Cornell (Eds.), Feminism as Critique. On the Politics of Gender, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1987, pp. 32-56, sont particulièrement intéressantes pour mettre à jour les points aveugles de la théorie de J. Habermas. 46 Je dois cette définition à L. Quéré, dans son ouvrage, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, Aubier (Res Babel), Paris, 1982. 47 L. Quéré, Idem. 48 L. Quéré, Ibid., pp. 84 et 85. 49 L. Quéré, Ibid., p. 84. 50 N. C. Mathieu, «Quand céder n'est pas consentir», dans N. C. Mathieu (Dir.), L'arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, EHESS (Cahiers de l'homme), Paris, 1985, n° 24, p. 176. 51 S. Hall, «Culture, the media and the ideological effect» dans J. Curran et als, Mass Communication and Society, E. Arnold Publishing, London, 1977. 52 S. Hall, Idem, p.322. Cet auteur n'emploie pas directement l'expression de culture référentielle dans son texte en anglais. Mais ce concept me semble correspondre à ce qu'il se contente d'appeler «le deuxième sens du concept de culture». 53 L. Quéré, Ibid., p.85. 54 N. C. Mathieu, «Quand céder n'est pas consentir», dans N. C. Mathieu (Dir.), L'arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, EHESS (Cahiers de l'homme), Paris, 1985, n° 24, pp. 212-225. 55 N. C. Mathieu, Idem, p. 181. 56 L. Quéré, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, Aubier (Res Babel), Paris, 1982, pp. 87-119. 57 Notamment: J. Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 1981 et Les stratégies fatales, Grasset (figures), Paris, 1983. 58 L'ouvrage de J. Kayser, Le quotidien français, A. Colin, Paris, 1963, a longtemps servi d'ouvrage méthodologique pour ce genre d'analyse de presse. 59 R. Dulong et L. Quéré, Le journal et son territoire. Presse régionale et conflits sociaux, EHESS-CEMS (A.T.P.CNRS), Paris/Tours, 1978. 60 M. Ouldamer et R. Ricordeau, Le mensonge cru. De la décomposition de la Presse dans l'achèvement de l'aliénation médiatique, SIHAM, Paris, 1988, p. 52. 61 C. Bertrand-Jennings, «La presse des mouvements de libération des femmes en France de 1971 à 1982», dans S. Lamy et I. Pagès, Féminité, subversion, écriture, Remue-Ménage, Montréal, 1983, pp. 15-49. 62 C. Bertrand-Jennings,Ibid., pp. 19-21. 63 D'autres caractéristiques de ces publications seront données au chapitre 5 avec le marché économique de l'information. 64 Extrait du premier éditorial des Pétroleuses, 1974, n° 0, p.2. 65 Extrait du premier éditorial d'Histoires d'Elles, mars 1977, n° 0, pp. 1-2. 66 Extrait du premier éditorial de Femmes en Mouvements Hebdo, faisant suite au mensuel Femmes en Mouvements, du 9 au 16 novembre 1979, n° 1, p.15. 67 Extrait du premier éditorial des Têtes de Pioche, mars 1976, n° 1, p.2. 68 Extrait du premier éditorial des Luttes et des Rires de Femmes, faisant suite à Pluri-Elles, octobre-novembre 1978, vol. 2, n° 1, p.l. 69 Extrait du premier éditorial de La Vie en Rose, paru dans Le Temps Fou, mars-avril-mai 1980, vol. 1, n° 1, p.4. 70 L. Kandel, "Journaux en mouvement: la presse féministe aujourd'hui", Questions Féministes, Tierce, Paris, février 1980, n° 7, p. 28. 71 Dans le jargon journalistique, ce qu'on appelle l'ours ou le cartouche correspond aux données relatives à la composition de la rédaction, de la publicité, de la distribution, du numéro de dépôt légal, etc. 72 M. El Yamani, Vie et survie de la presse alternative locale. L'exemple de « La Tribune», mémoire de maîtrise des Sciences et Techniques de l'information et de la communication, Université de Bordeaux III, ISIC, Bordeaux, juin 1984. 73 L. Kandel, Ibid., pp. 33-34. L'auteure fait ici référence aux magazines F. Magazine et à Des Femmes en Mouvements, mensuel, mais ses propos me paraissent très pertinents pour le magazine Des Femmes en Mouvements Hebdo, qui en est la suite. 74 Exception faite évidemment de FMH qui prône une certaine néo-féminité, adopte une position ambiguë et argue qu'il y a quelque chose du viol dans l'avortement. Cette tendance voyait dans le mouvement pour l'avortement libre et gratuit une campagne réformiste, qui occulterait la spécificité des femmes et refusait de s'associer dans cette lutte à des groupes mixtes comme le MLAC (Mouvement pour la Libération de l'Avortement et de la Contraception). 75 C. Delphy, "Libération des femmes an dix", Questions féministes, Tierce, Paris, février 1980, n° 7, p.6 et 12. 76 M. Yaguello, Les mots et les femmes, Payot, Paris, 1978, p. 68. 77 Extrait signé par le sigle des femmes, FMH, Paris, n° 4, p. 15. 78 « J'entre dans la salle, il fait très froid, la fenêtre est ouverte. On me salue. Je m'installe sur la table. Ils se préparent. Tout à coup, je sens les doigts du médecin me rentrer dans le vagin assez brusquement que mon siège a été soulevé. Ça m'a figée et je me suis agrippée à la table. L'infirmière se met à me disputer, elle dit que c'est rien qu'un examen, que l'intervention n'est pas commencée et de me détendre. Le médecin ne m'adressa jamais la parole et fera rapidement, sans aucun avertissement. (...)Le deuxième cathéter entre, ça devient très vite douloureux. Il donne tellement de coups dans le fonds de l'utérus que je vois ma paroi abdominale sauter. C'est violent. Je n'en peux plus. Je me mets à pleurer. Tout mon corps se met à trembler. (...)J'ai jamais été violée mais cela doit ressembler à ça. Sentir que tu n'es pas traitée comme un être humain mais comme un paquet de viande qu'on brutalise sans aucun ménagement, sans aucun respect. Je pensais que le médecin allait me défoncer », extrait de « témoignage d'un avortement », Des Luttes et des Rires de femmes, Montréal, 1979, vol. 2, n° 3, pp. 8-9. Et pour démontrer la différence d'appréciation sur l'acte d'avorter que les femmes portent, lorsque c'est fait par d'autres femmes, dans des centres de santé pour femmes ou centres d'orthogénie, voici un autre témoignage: « En position semi-assise, le dos confortablement appuyé sur un coussin, les jambes soulevées par les deux étriers, j'avais droit de regard sur les gestes qui m'étaient adressés. L'intervenante était douce et ralentissait son opération à chaque frémissement de tension. Les prélèvements requis, dont on me disait à chaque fois le nom et l'utilité, furent loin d'être désagréables. (...)Quand tout est fini, c'est la patiente qui décide du moment où elle est prête à se relever. (...)Je ne peux m'empêcher de considérer que l'avortement, le désir d'avortement, les tentatives d'avortement ont traversé les siècles sous le signe du drame, de la souffrance et de la peur. J'ai curieusement l'impression de porter cette histoire quelque part dans mon inconscient. Mais pour moi, cette fois-là, ce fut une expérience de libération, dans le respect et le partage », extrait de « Avortement, autrement », La Vie en Rose, Montréal, juin 1985, n° 27, p. 14. 79 M. Yaguello, Les mots et les femmes, Payot, Paris, 1978, p.75. 80 M. Angenot, La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Payot, Paris, 1982. 81 M. Angenot, Idem, p. 39. 82 M. Angenot, Ibid., pp. 341-342. 83 F. D'Eaubonne, Contre violence ou la résistance à l'État, Tierce, Paris, 1978. 84 F. D'Eaubonne, Idem, pp. 10 et 24. 85 E. Carontini, Faire l'image. Matériaux pour une sémiologie des inondations visuelles, Les Cahiers du Département d'études littéraires de l'UQAM, Montréal, 1986 et 1988. 86 M. Angenot, La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Payot, Paris, 1982, p. 92. 87 J'ai également participé au colloque des périodiques féministes canadiens, qui s'est tenu à Toronto en mai 1986, et j'ai pu ainsi vérifié d'autres données. 88 S. De Rosa et J. Maranda, «La presse féministe est différente», Canadian Woman Studies/Les Cahiers de la femme, Toronto, Vol. 11, no 3, 1991, p. 65. 89 Martine D'Amours, «De quoi La Vie en Rose est-elle morte?», La Gazette des femmes, Québec, septembre/octobre 1988, p. 22. Lise Moisan était une des fondatrices de La Vie en Rose et, pour les derniers numéros, la directrice générale. 89 Voir en bibliographie les études faites notamment par les féministes américaines. 90 F. Descarries-Bélanger et S. Roy, «Le mouvement des femmes et ses courants de pensée: essai de typologie», ICREF/CRIAW, Ottawa, 1988, n° 19. 91 D. Juteau et N. Laurin, «l'évolution des formes de l'appropriation des femmes: des religieuses aux mères porteuses», Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie, Toronto, 1988, vol. 25, n° 2. 92 F. Descarries-Bélanger et S. Roy, Idem, p. 5. 93 Dans l'élaboration d'une analyse marxiste de la division sexuelle du travail, certaines féministes, comme Z. E. Eisenstein, Capitalist Patriarchy and the Case for Socialist Feminism, Monthly Review Press, New York/London, 1979, vont postuler l'existence d'un système capitaliste patriarcal unifié. D'autres, comme H. Hartmann, «Capitalism, Patriarchy and Job Segregation by sex», Idem, vont plutôt s'attacher à montrer que patriarcat et capitalisme constituent deux systèmes analytiquement distincts. 94 M. Barrett et M. Mclntosh, Women's Oppression today: Problems in Marxist Feminist Analysis, Verso Editions and NLB, London, 1980. 95 C. Delphy, «Pour un féminisme matérialiste», l'Arc, Paris, 1975, n° 61. 96 Nom donné à partir du néologisme de fémellité qui signifie «une réalité, un espace charnière entre le biologique et le psychologique, lié à l'expérience du corps», dans F. Descarries-Bélanger et S. Roy, Ibid., note 6, p. 27. 97 «Libération des femmes, année zéro», Partisans, Paris, 1970, n° 54-55. 98 N. Laurin, «Les femmes dans la sociologie», Sociologie et sociétés, Montréal, 1981, vol. XIII, n°2, p.15. 99 F. Picq, Le mouvement de libération des femmes et ses effets sociaux, ATPrecherches féministes et recherches sur les femmes, G.E.F., Université de Paris VII, Paris, 1987, tome I, pp. 195-199. 100 Voir à ce propos l'analyse pertinente de F. Ducrocq, «le Mouvement de. libération des femmes en France socialiste», La Revue d'en face, Paris, automne 1982, n° 12. 101 F. Picq, Idem, pp. 25-100. 102 F. Picq, Ibid., p. 50. 103 M. Wittig, G. Wittig, M. Rothenburg, M. Stephenson, «Combat pour la Libération de la femmes», L'idiot international, Paris, mai 1970, n° 6. Initialement, le titre de cet article, qui servira de catalyseur pour la lutte des femmes, était: «Pour un mouvement de libération des femmes», mais a été transformé par la rédaction du journal, sans consultation des auteures. Voir note 1 de l'article de L. Kandel, «Journaux en mouvement: la presse féministe aujourd'hui», Questions féministes, Tierce, Paris, février 1980, n° 7, p. 16. 104 F. Picq, Ibid., pp. 26-28. 105 F. Picq, Ibid., pp. 43 et 247-248. 106 Voir notamment C. Bertrand-Jennings, «La presse des mouvements de libération des femmes en France de 1971 à 1982», dans S. Lamy et I. Pages, Féminité, subversion, écriture, Remue-Ménage, Montréal, 1983, pp. 9-49. 107 Voir à ce propos la chronologie de 1968 à 1980, établie par N. Garcia Guadilla, Libération des femmes, le m.l.f, PUF, Paris, 1981, pp. 118-128. 108 N. Garcia Guadilla, Idem, p.73. 109 Nicole Brossard est reconnue comme féministe radicale lesbienne et a dirigé notamment la revue littéraire La Nouvelle Barre du jour. 110 N. Brossard, «Un féminisme de préférence», La Vie en Rose, Montréal, mars 1985, n° 24, p.29. 111 Voir en bibliographie l'ensemble des ouvrages et articles qui traitent du féminisme québécois et qui m'ont aidée à faire cette synthèse. 112 Les Canadiennes sont les premières sur ce continent à obtenir le droit de vote en 1918. Les Canadiennes du Manitoba, de la Saskatchewan et de 1'Alberta l'obtiendront en 1916, celles de la Colombie-Britannique et de l'Ontario en 1917. Les Québécoises devront attendre 1940, Les Autochtones 1960 et les Autochtones du Québec 1968. Les Américaines l'ont obtenu en 1920, alors que les Françaises ne l'auront qu'en 1944. 113 la F.F.Q.(Fédération des femmes du Québec) regroupe 130 000 membres; Les Cercles des fermières: 75 000 membres; L'AFEAS (L'Association féminine d'éducation et d'action sociale): 35 000 membres. 114 Notamment Action-femmes (service téléphonique d'assistance aux femmes pour toute la province) et Consult'Action (service d'animation, de coordination et de consultation pour les groupes de femmes). 115 D. Lamoureux, «Nationalisme et féminisme: impasse et coïncidences», Possibles, Montréal, 1983, vol. 8, n° 1, pp. 54-55. 116 M. Lamont, «Les rapports politiques au sein du mouvement des femmes au Québec», Politique, Montréal, hiver 1984, n° 5, p. 87. Cette auteure met en évidence les intersections entre le champ féminin et le champ féministe au sein du mouvement des femmes au Québec, en précisant les secteurs où les divers regroupements de femmes sont le plus actifs. 117 Je pense notamment en France aux pages femmes dans Marie Claire et au Québec à celles dans Châtelaine. 118 J. Savigneau, «La décennie des féministes», Le Monde dimanche, Paris, 5 octobre 1980, p. 19. 119 J. Savigneau, Ibid., p. 19. 120 Parmi les plus importantes, citons l'autorité parentale qui remplace l'autorité paternelle en 1970; la loi sur la filiation qui ne parle plus d'enfants adultérins et la loi sur l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes en 1972; la libéralisation de la contraception en 1974; la loi Veil en 1975 sur l'autorisation de l'interruption volontaire de grossesse (TVG); l'allocation de parent isolé en 1976; l'aide aux femmes seules chefs de famille en 1978; l'interdiction de licencier une femme enceinte en 1980. 121 L'Agence de presse, comme telle, a été créée en septembre 1979. Elle se proposait de répondre aux questions des femmes et de faire pression sur les médias. Au départ, elle assurait une permanence téléphonique et offrait un centre de documentation et d'information sur les femmes. 122 Ce terme fait référence au régime Duplessis (premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959), où les élites clérico-nationalistes et les associations et organisations ouvrières s'opposent à tout changement du rôle féminin, centré sur la famille. L'effort de guerre et l'entrée massive des femmes sur le marché du travail a eu des répercussions certaines sur le changement des mentalités. Malgré la pratique du droit ouverte aux femmes en 1940 et le procès de Madeleine Parent pour sédition à la suite de la grève de la Dominion Textile en 1948, les campagnes pour le retour de la femme au foyer, Claire Kirkland-Casgrain est élue première députée québécoise et nommée ministre ... sans portefeuille en 1961. L'incapacité juridique de la femme prendra fin en 1964. Pendant cette période, «on dénonçait les octrois fédéraux aux garderies comme une mesure communiste portant atteinte à la morale chrétienne et aux droits de la famille. On imputait au travail des femmes l'augmentation de la prostitution, de l'alcoolisme, de la délinquance juvénile, la naissance d'enfants malingres et infirmes» (rien de moins!). Citation extraite de Le Mouvement des femmes au Québec, CFP, Montréal, p. 19. 123 C'est aussi en 1980 que sera adoptée la loi pour favoriser la perception des pensions alimentaires, que le code civil sera modifié avec une réforme du droit de la famille, notamment sur le fait que la femme mariée doit (souligné par moi) dorénavant conserver son nom de naissance, et aussi que la femme au foyer est considérée comme collaboratrice de son conjoint en regard du Régime des rentes du Québec. 124 Cette thèse a longtemps été défendue et l'est encore beaucoup de nos jours. Cf. à ce titre l'ouvrage de M. Paillet, Le journalisme, le quatrième pouvoir, Denoël, Paris, 1974. 125 J. Habermas, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1978. 126 Je pense ici aux chercheurs, comme P. Beaud, Y. De La Haye, B. Miège, L. Quéré, dont la pensée s'articule autour d'une sociologie critique de la communication. 127 J. Habermas, l'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1978, p. 215. Ici l'auteur emploie le terme de publicité «démonstrative». Il précise aussi que la publicité des débats parlementaires a été subvertie en «publicité acclamative», et que la publicité des débats judiciaires connaît une dénaturation du même ordre, récupérée par la consommation «culturelle. » 128 Pour les critiques de la thèse d'Habermas sur cet espace public de communication, voir notamment B. Miège, La société conquise par la communication, PUG, Grenoble, 1989, chap. 4 et 5, pp. 105-167. 129 L. Quéré, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication moderne, Aubier (Res Babel), Paris, 1982, notamment le chapitre V, pp. 153175. 130 L. Quéré, Idem, p. 158. 131 E. Veron, Construire l'événement. Les médias et l'incident de Three Mile Island, Minuit, Paris, 1981. 132 Y. De La Haye, Journalisme, mode d'emploi Des manières d'écrire l'actualité, La Pensée sauvage, Grenoble, 1985, p. 4. 133 M. Ouldamer et R. Ricordeau, Le mensonge cru. De la décomposition de la Presse dans l'achèvement de l'aliénation médiatique, SIHAM, Paris, 1988, p. 74. 134 L. Quéré, Ibid. 135 L. Quéré, Ibid., p. 139. 136 136 M. Ouldamer et R. Ricordeau, Ibid., p. 75. 137 Pour cette analyse de presse, j'ai choisi trois quotidiens montréalais: La Presse, Le Devoir, The Gazette ; le quotidien national canadien: The Globe and Mait, et deux quotidiens français: Le Monde, Libération. J'ai délibérément exclu du corpus Le Journal de Montréal, autre quotidien montréalais, parce qu'il est particulièrement friand de ce genre de «faits divers» et que les éléments d'information recueillis dans ce quotidien n'auraient fait qu'amplifier les résultats de notre analyse. 138 Il s'agit de la deuxième chaîne de télévision française et ce déploiement de nouvelles est considéré comme un des plus écoutés par les Français. 139 Dérivé du modèle de communication de Lasswell, les 5 W, qu'en français on traduit par Qui, Quoi, Quand, Où et Pourquoi, doivent assurer une couverture «objective » et «professionnelle» de l'événement. Parfois, on y ajoute le Comment (How). 140 Y. De La Haye, Journalisme, mode d'emploi. Des manières d'écrire l'actualité, La Pensée sauvage, Grenoble, p 107. Il décrit ainsi les trois étapes de la cuisson dans l'information: le cru (la matière première), le précuit (la mise en réserve) et le recuit (la mise en forme) 141 Les explications entre guillemets seront celles que les journaux étudiés vont publier. Il y a eu bien sûr quelques variantes dans les propos du tueur mais globalement les journaux ont à peu près publié la même chose. La Presse publiera intégralement cette lettre un an plus tard, soit le 24 novembre 1990, p. A-2. 142 Le 8 mai 1984, un caporal des forces armées canadiennes, Denis Lortie, a, en tenue de combat, ( Marc Lépine était en tenue de chasse), pris d'assaut l'Assemblée nationale du Québec, en faisant trois morts et treize blessés, pour se venger «du mépris dont sont victimes les francophones». Il jugeait le gouvernement de René Lévesque, premier ministre du Québec à l'époque, responsable d'après lui de cette discrimination. 143 C. Guillaumin, «Folie et norme sociale. À propos de l'attentat du 6 décembre», Sociologie et sociétés, Montréal, Avril 1990, Vol. XXII, n° 1, p. 198. 144 On retrouve cette nouvelle dans les quatre quotidiens canadiens. 145 La Une (la première page du journal) revêt une importance particulière, car ce sont les titres (les manchettes) sur cette page qui vont déterminer le contenu du journal et surtout accrocher les lecteurs pour vendre le produit. 146 Le scoop est une nouvelle importante, donnée en exclusivité, qui surtout permet aux journaux de marquer leur soi-disant différence dans le traitement de l'événement. 147 La grosseur du titre se définit à la fois par le type de caractère employé, son corps (sa hauteur), sa graisse (maigre ou gras), sa forme (romain ou italique) et sa justification (le nombre de colonnes qu'il utilise). 148 M. A. Bertrand, «Analyse criminologique d'un meurtre commis dans l'enceinte de l'université et des interprétations que certains groupes choisissent d'en donner», Sociologie et sociétés, Montréal, Avril 1990, Vol. XXII, n° l, p. 195. 149 Vice Versa, magazine transculturel montréalais, a tenté de susciter ce débat dans un dossier consacré aux rapports Hommes/femmes, Est/Ouest (n° 29, mai-juin 1990) et d'autres articles dans les numéros 28 (mars-avril 1990) et 30 (septembre-octobre 1990). On trouvera dans la bibliographie, un ensemble d'articles, qui proposait une réflexion pertinente sur cet événement. 150 Souligné par moi. Cette scientificité sera toujours mise de l'avant dans le discours des experts comme pour légitimer leurs points de vue. 151 151 M. A. Bertrand, Idem, pp. 195-196. 152 Y. De La Haye, Ibid., pp. 94-96. 153 Y. De La Haye, Ibid, pp. 112-113. 154 Le tueur commence par tuer, puis tirer à l'aveuglette, pour ensuite tirer de sang-froid et enfin assassiner, voire massacrer et se livrer à un véritable carnage. 155 Le Devoir a publié pendant sa couverture de l'événement neuf publicités des différentes universités du Québec et a réservé ses demi-pages pour les autres commanditaires. La Presse s'est contenté d'un quart de page pour Lavalin. A titre informatif, les prix de base d'une demi-page de publicité sont dans Le Devoir: 2 100$ (10 500 FF); dans La Presse: de 3 980$ à 5 235$ (19 900 FF à 26 175 FF) selon le jour de publication. 156 P. Beaud, La société de connivence. Media, médiations et classes sociales, Aubier (Res Babel), Paris, 1984. Dans cet ouvrage remarquable, il explique notamment comment les nouveaux intellectuels (journalistes, cadres, chercheurs scientifiques) ont envahi la sphère des médias pour diffuser leur information, et par conséquent leurs représentations sociales. 157 Une chercheure britannique, Margaret Gallagher a fait le tour du monde sur les questions de l'image et de la participation des femmes dans les médias, dans le cadre d'un programme d'action et de recherche de l'Unesco sur les femmes et la communication, programme qui s'est déroulé en deux étapes, la première jusqu'en 1980 et la deuxième de 1980 à 1985. Le rapport final de l'Unesco intitulé la communication au service des femmes, publié en 1985, fait état de 700 entrées (travaux de recherche et publications) sur ce sujet. Les principales conclusions de cette étude mondiale unique ne sont guère encourageantes pour les femmes: d'une part l'image des femmes que présentent les médias est constante, dans le meilleur des cas c'est une image étroite, dans le pire des cas, une image irréaliste, dégradante et avilissante et d'autre part toutes les études montrent que les médias présentent le sexe féminin dans un rôle de subordination. Ensuite, en ce qui concerne l'emploi des femmes dans les moyens de communication, il existe une grave sous-représentation des femmes aux échelons supérieurs de toutes les entreprises de médias, elles sont écartées dans des proportions anormales des postes clés en matière de décision et dans l'ensemble elles sont moins payées que leurs collègues masculins. Je voudrais également souligner les récentes recherches (1984 et 1986) effectuées car Évaluation-Médias sur les stéréotypes sexistes divulgués dans les médias au Canada qui confirment ces images de femmes. 158 M. Gallagher, «Les femmes et les industries culturelles, Les industries culturelles, un enjeu pour l'avenir, rapport de l'Unesco, Paris, 1982, p. 71. 159 M. Gallagher, Idem, p. 72. 160 T. Penolidis, Place et rôle de la femme dans les journaux télévisés, Commission des communautés européennes, Bruxelles, 1984. Étude citée dans le rapport de l'Unesco sur la commission au service des femmes, Unesco, Paris, 1985. 161 Il s'agit des pays où des études plus récentes ont été réalisées sur la question de la femme en tant qu'objet d'actualité. 162 Cette information est mentionnée dans L. Noël, l'intolérance. Pour une problématique générale, Boréal, Montréal, 1989, p. 39. Elle est confirmée par C. Beauchamp, Le silence des médias, Remue-Ménage, Montréal, 1987, pp. 181-182, qui précise: «Au journal télévisé, 88% des spécialistes, 83% des témoins et 70% des gens interviewés dans la rue sont des hommes. A la radio, aux bulletins de nouvelles comme aux autres émissions d'information, c'est du pareil au même». 163 L. Noël, Idem, pp. 39-40. 164 C'est du moins la conclusion avancée dans le rapport: La communication au service des femmes, Unesco, Paris, 1985, p. 35. Des recherches menées en Angleterre, aux États-Unis et au Danemark, concluent qu'«une multitude de facteurs institutionnels, structurels, sociaux et professionnels, conspirent à faire en sorte que la plupart des femmes journalistes, tout comme la plupart de leurs confrères masculins, se conformeraient au même schéma idéologique. 165 Voir à ce propos les maigres résultats obtenus par le Bureau de l'égalité des chances, mis en place en 1975 par la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), cités dans le rapport de l'Unesco, Paris, 1985, p. 46. Colette Beauchamp (Idem, pp. 224-231) souligne également la détérioration de la situation pour les médias francophones. À la télévision du réseau français de Radio-Canada, il y avait, en 1980-81, 3 femmes sur 7 animateurs, en 1984, il n'en restait que 2 sur 11 ; À la salle des nouvelles pour la radio et la télévision du réseau français à Montréal, il y avait en 1985-86, 27 femmes journalistes sur 118. À La Presse, en 1986, on retrouvait seulement 19 femmes sur 184 journalistes, au Devoir, 6 sur 31; etc. 166 M. Ceulemans et G. Fauconnier, «Image, rôle et conditions sociales de la femme dans les médias», L'image de la femme dans les médias, Unesco Paris, 1979, n° 84, p. 43. 167 C. Beauchamp, Ibid., pp. 207-211. 168 Étude citée dans le rapport de l'Unesco sur la communication au service des femmes, Paris, 1985, p. 37. 169 A. Côté, «L'art de la récupération», dans L. Malette et M. Chalouh (Dir.), Polytechnique, 6 décembre, Remue-Ménage, Montréal, 1990, p. 65. 170 D. Juteau et N. Laurin-Frenette, «Une sociologie de l'horreur», Sociologie et sociétés, Montréal, Avril 1990, Vol. XXII, n° 1, p. 211. 171 L. Adler, À l'aube du féminisme: les premières journalistes (1830-1850), Payot, Paris, 1979, pp. 10-11. 172 P. Auster, L'invention de la solitude. Actes Sud, Paris, 1988, p. 170. 173 M. D'Amours, «De quoi La Vie en Rose est-elle morte?», La Gazette des femmes, Québec, septembre-octobre 1988, p. 21. 174 Voir à ce propos les articles en bibliographie concernant le travail idéologique des médias, notamment M. El Yamani, «La construction médiatique du Bronx de Montréal», dans D. Meintel, V. Piché, D. Juteau et S. Fortin (eds.), Le quartier Côte-des-Neiges à Montréal. Les interfaces de la pluriethnicité, L'Harmattan, Paris/Montréal, 1997, pp. 29-52. 175 M. El Yamani, «Décennie à venir: solitude ou partage?», Femmes d'action, Ottawa, février-mars 1991, Vol. 20, n° 3-4, p. 37. |