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« La bataille de l'aide sociale : un bilan provisoire », Fédération des femmes du Québec, 22 août 1998.

La bataille de l'aide sociale : un bilan provisoire

Ce texte exprime les positions adoptées par le Conseil d’administration de la Fédération des femmes du Québec, réuni les 22 et 23 août 1998 . Nous espérons qu’il pourra être utile à ceux et celles qui sont désireux d’effectuer un bilan de la bataille de l’aide sociale.

UN RAPPEL DES FAITS

Quoiqu’il en soit, le Coalition réussit à refaire son unité en réclamant simplement le dépôt (et non l’adoption) du projet de loi. Le 15 novembre, elle organise une assemblée à Québec qui rassemble au delà de 1500 personnes. Les chefs syndicaux donnent publiquement leur appui à nos demandes. Le Parlement de la rue est aussi une initiative qui fera beaucoup parler d’elle. Durant un mois, des groupes organisent des discussions dans une roulotte tout près de l’Assemblée nationale. Les médias de Québec en parlent beaucoup. Vivian Labrie soumet au débat son « Projet de loi pour l’élimination de la pauvreté », un texte qui rallie plusieurs groupes et individu-e-s mais en irrite d’autres qui ne voient pas la pertinence de cette réflexion à long terme au moment où nous sommes engagés-e-s dans une bataille à court terme. Quant à elle, la FFQ décide de l’utiliser comme outil d’éducation populaire et de l’enrichir d’un point de vue féministe. Le 8 décembre 1997, nous organisons un débat sur le texte de Vivian au Parlement de la rue avec l’aide du Conseil régional de Québec. Nous rencontrons aussi des députées libérales et péquistes.

Finalement, le projet de loi 186 est déposé le 18 décembre. Une première analyse nous indique que l’approche générale n’a pas changé, ce qui amènera la Coalition à réclamer le retrait du projet. Cependant les femmes font certains gains : abolition de la coupure pour partage de logement et retrait de l’obligation de parcours pour les mères monoparentales et possibilité de conserver une partie de la pension alimentaire pour les enfants de moins de 5 ans. Rapidement l’enjeu de la bataille devient prioritairement le retrait de l’obligation de suivre un parcours pour les jeunes. D’autres enjeux demeurent importants : amener le gouvernement à injecter des sommes additionnelles pour atténuer la pauvreté des personnes assistées sociales, retirer du projet de loi la saisie d’une partie des chèques mensuels en cas de loyers impayés, rayer aussi les articles qui forcent les assistés sociaux à accepter à peu près n’importe quel emploi sous peine d’annulation des prestations, etc.

L’action la plus importante de la Coalition et du mouvement communautaire a lieu le 6 avril. Près de 800 groupes communautaires tiennent une journée d’étude pour analyser le projet de loi, alerter leur milieu et demander à leur député-e de réclamer le retrait de la loi ou des modifications de fond. La couverture médiatique est intéressante dans la plupart des régions.

Une autre brève commission parlementaire a lieu en mai. Une vingtaine de groupes se présentent pour réclamer une fois de plus le retrait des parcours obligatoires. L’idée d’un moratoire commence à être avancée par Louise Harel. Le Front commun demande un moratoire de 4 ans même s’il continue de s’objecter aux parcours obligatoires. Les centrales syndicales appuient fortement l’idée du moratoire. La FFQ entérine aussi cette idée en expliquant que ce report des pénalités donnera au gouvernement le temps de faire ses preuves quant au sérieux de la mise en place des mesures d’insertion (places à l’école, formation professionnelle, stages en entreprise, etc.). Nous entendons aussi mettre à profit ce moratoire pour démontrer que l’obligation n’est ni nécessaire ni efficace.

La Coalition organise une semaine de vigile à compter du 15 juin à Québec. Entre 50 et 100 personnes viennent chaque jour de presque toutes les régions pour signifier leur opposition au projet de loi. Outre les régions très éloignées, la région de Montréal est la grande absente…

Le 15 juin, des porte-parole de la Coalition rencontrent Lucien Bouchard. La rencontre est froide, courte, sans grands effets. Cependant nous continuons de réclamer le retrait de l’obligation et de la saisie des chèques pour loyers impayés. Nous demandons aussi l’injection de sommes importantes, ce à quoi M. Bouchard répond que le gouvernement n’a pas d’argent…!

Durant toute la semaine, nous continuons notre lobby à Québec pendant la vigile. Finalement la loi est adoptée le 18 juin avec la modification suivante : les parcours pour les jeunes demeurent obligatoires, mais un moratoire sur les pénalités en cas de refus s’applique jusqu’en septembre 2000. Le gouvernement accepte par ailleurs de laisser aux personnes assistées sociales leur remboursement de la TVQ sur une base mensuelle (il voulait le verser 2 fois par année à compter de septembre prochain). Aucun montant supplémentaire n’est accordé. Le gouvernement ne recule pas sur la question des loyers. Les obligations des prestataires de l’aide sociale sont calquées sur celles des chômeurs et chômeuses relativement à l’abandon ou la recherche d’un emploi.

Les porte-parole de la Coalition (dont la présidente de la FFQ) dénoncent le peu d’argent injecté dans la réforme et la saisie des chèques pour loyers impayés mais qualifient de gain le moratoire sur l’obligation. Leur position est que ce délai permet de poursuivre la lutte sur ce front en démontrant que l’obligation n’est ni nécessaire ni efficace. D’autres membres de la Coalition dénoncent publiquement cette position. Un bilan sera effectué l’automne prochain et la question du maintien de la Coalition sera à l’ordre du jour.

UN PREMIER BILAN

Après une si longue bataille, compte tenu des énergies que nous y avons déployées, il est indispensable de faire un bilan. Nous devons nous interroger sur nos succès et nos échecs, en comprendre les causes et en tirer des leçons.

D’abord, la grande question : avons-nous gagné cette bataille ? Pour nous, la réponse est claire : sur le fond, non. Pourquoi ? Parce que d’une part beaucoup de membres du Parlement et l’opinion publique, largement conditionnée par les politicien-ne-s et les médias, ont des positions tout à fait réactionnaires en ce qui a trait aux assistés sociaux. Les préjugés fleurissent et ont été grandement encouragés, surtout durant les 9 ans de régime libéral. Rappelons-nous le mépris avec lequel messieurs Bourbeau et Paradis traitaient les prestataires de la Sécurité du revenu. D’autre part, parce que l’obsession du déficit zéro amène le gouvernement actuel à couper dans les programmes sociaux, incluant ceux qui touchent les plus pauvres.

Aurions-nous pu, malgré cette conjoncture défavorable, aller beaucoup plus loin ? C’est difficile à dire.

Si les groupes de défense de droits avaient été davantage unis, avaient mobilisé 8000 assistés sociaux, comme en 1988-89…

Si les groupes jeunesse avaient fait front commun, avaient été appuyés par le mouvement étudiant, avaient travaillé avec les médias…

Si les syndicats, unis et fermes dans leurs positions, avaient signifié dès le début au gouvernement que sa réforme ne passerait pas…

Si les groupes de femmes et l’ensemble du mouvement communautaire s’étaient mobilisés largement dans les assemblées, les manifs, les rencontres de député-e-s…

Si les groupes d’insertion avaient indiqué au gouvernement qu’ils refuseraient d’appliquer des mesures coercitives…

Si donc, tous les mouvements sociaux avaient fait de cette lutte une priorité et y avaient consacré des énergies en conséquence, le résultat aurait peut-être été différent. Mais cela n’est pas arrivé. Chaque groupe peut sans doute expliquer pourquoi en rapport avec sa situation propre.

Qu’en est-il du mouvement des femmes?

Disons d’abord que des gains ont été fait en ce qui concerne les femmes assistées sociales. On dira qu’ils sont mineurs. Oui, c’est vrai, mais tout de même, l’abolition de la coupure pour partage de logement, c’est 104 $ de plus par mois dans la poche d’une mère monoparentale. Il s’agissait d’une promesse électorale du parti québécois, cela a joué certainement dans l’obtention de cette mesure. Aussi, la FFQ a été très visible et très ferme sur ses positions tout au long de la bataille, surtout si l’on inclut notre participation aux Sommets. Aux yeux du gouvernement, des médias et des gens en général, nous sommes devenues les défenderesses des pauvres, des démuni-e-s, des exclu-e-s. Nous n’avons pas réussi à empêcher les coupures mais nous avons parfois mis le gouvernement sur la défensive, l’obligeant à justifier, par exemple, la coupure de l’allocation de non disponibilité pour les mères d’enfants de 5 ans. D’ailleurs, il semble que le gouvernement, contrairement à ce qu’il avait dit précédemment, ne retirera pas cette allocation aux mères d’enfants de moins de 5 ans.

Donc, un bilan très mitigé mais un peu plus favorable aux femmes. Durant toute cette période, la FFQ s’est sentie appuyée par ses membres. Celles-ci ont participé aux mobilisations, surtout à celle du 15 novembre 1997, en ce qui concerne les membres individuelles, et à celle du 6 avril 1998, en ce qui a trait aux groupes. Mais il aurait fallu faire tellement plus…!

Cette bataille a-t-elle été jugée prioritaire dans l’ensemble des groupes de femmes? Était-ce possible ? S’est-on fié un peu sur la FFQ, et surtout sur sa présidente, pour mener la bataille ?… Est-il réaliste de vouloir mobiliser tout le mouvement des femmes autour d’un objectif commun, lorsque celui-ci ne touche pas les femmes ou les groupes de la même façon, avec la même acuité ?

ET LA COALITION ?

Nous l’avons dit, celle-ci devait évoluer dans une conjoncture très difficile. Elle disposait cependant de moyens assez convenables pour agir et même d’un financement gouvernemental. L’imagination, les idées, les ressources humaines ne manquaient pas. Le Front commun s’est acquitté avec beaucoup de compétence et de dévouement de sa tâche de coordination. Et pourtant…

Nous considérons que cette coalition n’a pas donné tout ce qu’on aurait pu attendre d’elle. Elle n’a jamais effectué de véritable analyse stratégique lui permettant d’identifier les gains pouvant être obtenus et les obstacles à franchir pour y parvenir. Elle s’est contentée de répéter les principes sur lesquels elle avait réussi à obtenir un consensus. Ces principes étaient tout ce qu’il y a de plus valable. Sauf que nous savions tous et toutes que la plupart étaient inatteignables, et ce dès le début. Nous n’avons pas pu nous entendre sur des objectifs à court terme parce que les points de vue étaient trop éloignés.

En second lieu, il faut dire que la méfiance, la suspicion et les procès d’intention ont fleuri tout au long de la bataille. On l’a vu plus particulièrement au moment du retard dans le dépôt de la loi (automne 97) et lors de l’adoption finale de la loi 186. Les divergences sont normales dans une coalition. Ce qui est intolérable, c’est la facilité avec laquelle on dénonce (même publiquement !) des gens avec lesquels on n’est pas d’accord. On les soupçonne de « péquisme », de réformisme, de ne chercher que la visibilité… Rien pour cimenter la solidarité!

Troisièmement, nous avons le sentiment que pour certains groupes, tout ce qui est en deçà du principe à obtenir ou à sauvegarder ne peut être un gain. Donc, le moratoire, l’abolition de la coupure pour partage de logement chez les mères monoparentales, le maintien du remboursement mensuel de la TVQ, etc. ne sont pas des gains. Cela nous semble une forme de « gauchisme » qui ne conduit nulle part. Évidemment, sur le fond la loi 186, maintenant adoptée, risque de faire sombrer l’aide sociale dans un système à l’américaine, surtout avec un gouvernement idéologiquement plus à droite. Une vigilance extrême s’impose donc. Cependant, ne pas reconnaître que nous avons fait certains gains, même mineurs, revient à nier notre action elle-même. C’est quelque peu masochiste !Cette analyse ne tient pas compte non plus de l’agenda gouvernemental. La loi 186 aurait pu être encore pire que ce que nous avons entre les mains. Il n’y a qu’à se rappeler le contenu du Livre vert. Cela nous paraît donc important d’en tenir compte lorsque nous faisons un bilan. Encore une fois, sur le fond, nous évaluons n’avoir pas gagné la bataille d’une réforme juste et équitable de l’aide sociale.

Le gain le plus important, peut-être, et la FFQ en est partie prenante, c’est la prise de conscience d’une bonne partie de la population de l’existence de la pauvreté et de son caractère injuste et intolérable. Le problème, c’est que les gens sont « contre la pauvreté… et contre les assistés sociaux. » Nous avons du pain sur la planche pour changer cette vision de la réalité.

QUE FAIRE MAINTENANT ?

Au-delà d’un bilan nécessaire, il nous faudra examiner sur quel terrain continuer la bataille contre la pauvreté des femmes, des hommes et des enfants à l’aide sociale. Quelques éléments de réflexion à ce stade-ci :

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22 août 1998

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