3.1.1.2 Les travailleurs et les travailleuses peu qualifiés

3.1.1.3 Les chômeurs et les bénéficiaires de l'aide sociale

3.1.1.4 Les adultes préretraités et les retraités

3.1.1.5 Les immigrants

3.1.2 Les inégalités d'accès liées à la discrimination

3.1.2.1 La condition féminine et la discrimination dans le domaine de l'éducation des adultes

3.1.2.1.1 Une discrimination en éducation des adultes qui repose sur la division sexuelle des rôles dans la société

3.1.2.1.2. Les femmes sur les marchés de travail: caractéristiques et besoins de formation

3.1.2.1.3 Les femmes à la maison et leurs besoins de formation

3.1.2.1.4 Des difficultés d'accès à l'éducation des adultes propres à des groupes particuliers

3.1.2.2 La discrimination envers les personnes handicapées dans le domaine de l'éducation des adultes

3.1.2.2.1 La situation des personnes handicapées au Québec

3.1.2.2.2 Les inégalités et la discrimination dans l'accès à l'éducation des adultes

3.1.2.3 Les droits des populations autochtones et l'éducation des adultes

3.1.2.3.1 Des réalités et des besoins spécifiques

3.1.2.3.2 État des problèmes reliés à l'éducation des adultes

3.1.2.4. L'éducation des adultes en milieu carcéral: une autre situation de discrimination

Recommandations

Notes

Chapitre 2

3.2 Les inégalités d'accès qui relèvent du milieu scolaire

3.2.1 Le difficile accès aux ressources techniques du système scolaire

3.2.1.1 L'accès aux ressources techniques pour l'étudiant adulte d'un établissement scolaire

3.2.1.2 L'accès aux ressources techniques pour les adultes non inscrits dans les établissements scolaires

3.2.2 L'accès aux ressources humaines du système scolaire

3.2.2.1 L'accès aux personnes-ressources pour les étudiants adultes inscrits dans les établissements scolaires

3.2.2.2 L'accès aux personnes-ressources pour les adultes ou les groupes d'adultes non inscrits dans les établissements scolaires

3.2.3 L'accès aux programmes d'enseignement

3.2.3.1 La non-reconnaissance des acquis non scolaires

3.2.3.2 Les « prérequis » et les acquis scolaires

3.2.3.3. Des « services d'accueil et de référence » insuffisants et inadéquats

3.2.3.4 Le cheminement personnel : une notion à développer

3.2.4 Des ressources financières insuffisantes

3.2.4.1 Des ressources financières et des règles administratives trop contraignantes pour les institutions scolaires

3.2.4.2 Des ressources financières insuffisantes pour les adultes et les groupes d'adultes usagers du système scolaire.

Recommandations

Notes

Chapitre 3

3.3 Les inégalités d'accès à l'éducation dans le monde du travail

3.3.1 La segmentation et la sexisation « des marchés de travail »

3.3.1.1 Le marché segmenté

3.3.1.2 La sexisation des marchés de travail

3.3.2 Les inégalités d'accès à la formation durant les heures de travail

3.3.2.1 Les inégalités d'accès aux différents types de formation

3.3.2.2. Les inégalités d'accès selon diverses caractéristiques des travailleurs et des travailleusess

3.3.2.3 Le congé-éducation, payé ou non payé

3.3.3 Les inégalités d'accès à la formation en dehors des heures de travail

3.3.4 Des obstacles à l'accès à la formation issus de certaines pratiques

3.3.4.1 Les corporations professionnelles

3.3.4.2. La réglementation de certains métiers

3.3.4.3 L'organisation du travail

Recommandations

Notes

Chapitre 4

3.4 Les inégalités d'accès à l'éducation qui relèvent du milieu culturel

3.4.1 L'éducation et la culture: complémentarité et spécificité

3.4.1.1   La culture, lieu d'apprentissage

3.4.1.2   L'éducation, une volonté et une intention conscientes

3.4.1.3 L'éducation et la culture, une approche non scolarisante

3.4.2 Les inégalités d'accès aux média

3.4.2.1 La situation actuelle

3.4.2.2 Les média, une école insoupçonnée?

3.4.2.3 Qu'en est-il de la télévision éducative?

3.4.2.4 La véritable « nature » des mass-media

3.4.2.5 L'accès aux mass-media passe par leur démocratisation

3.4.2.6 Des tendances à infléchir

3.4.2.7 Bilan et orientations

3.4.3 Les inégalités d'accès aux bibliothèques et aux centres de documentation

3.4.3.1 La situation actuelle

3.4.3.2. Les bibliothèques et l'éducation des adultes

3.4.3.3. L'accès aux bibliothèques

3.4.4 Les inégalités d'accès aux musées, aux conservatoires et aux maisons de la culture

3.4.4.1   Un bref aperçu de la situation

3.4.4.2   Une politique d'accès aux musées du Québec

3.4.4.3 Les musées et l'éducation des adultes

3.4.4.4 Les conservatoires et l'éducation des adultes

3.4.5 Les inégalités d'accès aux loisirs

3.4.5.1 La situation actuelle du loisir

3.4.5.2 La concertation scolaire-municipale

3.4.5.3 Une politique du temps libre

Recommandations

Notes

Chapitre 5

3.5 Les disparités régionales et les inégalités d'accès à l'éducation

3.5.1 La décentralisation des structures éducatives: une tendance qui doit s'accentuer

3.5.2 Les principaux problèmes que rencontrent les adultes des régions éloignées

3.5.2.1 L'aspect démographique

3.5.2.2 L'aspect économique

3.5.2.3 L'aspect éducatif

3.5.3 Les disparités entre les régions éloignées

3.5.3.1 Quelques données du sondage

3.5.3.2 À titre d'exemple: le Saguenay-Lac Saint-Jean et la région du Bas Saint-Laurent-Gaspésie

3.5.4 D'autres disparités existent, mais...

3.5.5 Quelques « faits porteurs d'avenir »

Recommandations

Notes

TABLEAUX

Tableau 9 Taux de fréquentation scolaire par âge et par sexe, 1966-1975

Tableau 10 : Au Québec

Tableau 11

Tableau 12 : Répartition numérique et pourcentage des finissantes au secondaire V en formation professionnelle selon la spécialité Ensemble du Québec - 1976

Tableau 13 % des diplômés universitaires des trois cycles au Québec en 1976

Tableau 14 : Nombre de syndiqués au Québec par secteur économique, en 1977

Tableau 15 :  Taux de chômage selon le sexe Québec, 1973-1978

Tableau 16 : Taux annuel moyen de participation des femmes de 15 ans et plus, au Canada de 1970 à 1979

Tableau 17 :  Répartition des personnes handicapées de 18 à 65 ans

Tableau 18 : Nombre de bénéficiaires de l'Aide sociale adultes 18-64 ans ayant un quelconque handicap au 25 avril 1979, pour tout le Québec.

Tableau 19 : Répartition des répondants selon la scolarité (N = 5 256)

Tableau 20 : Localisation des bandes indiennes des postes esquimaux du Québec, 1976

Tableau 21 : Territoire du Nord-Ouest, 1970 taux d’accroissement naturel

Tableau 22 : Population québécoise, indienne et esquimaude, par groupe d’âge, Québec, 1975

Tableau 23 : Taux de chômage par période saisonnière chez les hommes, Bas Mackenzie

Tableau 24 : La dimension industrielle des pénuries au Canada

Tableau 25 :  Répartition des entreprises en fonction des raisons apportées pour expliquer l'absence de formation organisée dans les entreprises

Tableau 26 : Répartition des entreprises déclarant des activités de formation dispensées durant les heures de travail, selon leur durée

Tableau 27 : Mesures de formation. Présences des mesures spécifiques

Tableau 28 : Règlement relatifs à l'apprentissage

Tableau 29 : Répartition de la population active par niveau d'instruction, en pourcentage, Québec 1980, moyennes annuelles.

Tableau 30 : Taux de chômage par groupes d’âge et de sexe, moyenne annuelles, Québec 1980.

Tableau 31 : Population, densité et poids démographique des régions administratives du Québec, 1er juin 1976

Tableau 32 : Taux d'activité et taux de chômage moyens en 1980 par région économique au Québec

Tableau 33 : Inscriptions universitaires

Troisième partie

L'accessibilité à l'éducation des adultes

  • Les adultes et les inégalités d'accès à l'éducation
  • Les inégalités d'accès qui relèvent du milieu scolaire
  • Les inégalités d'accès à l'éducation dans le monde du travail
  • Les inégalités d'accès à l'éducation qui relèvent du milieu culturel
  • Les disparités régionales et les inégalités d'accès à l'éducation

Introduction

La démocratisation de l'éducation des adultes pose la question de l'accès aux activités et aux ressources éducatives. L'analyse historique précédant ce chapitre a clairement montré qu'au Québec le champ de l'éducation des adultes constitue une richesse indéniable en termes de ressources, autant humaines, matérielles, organisationnelles que structurelles. Toutefois, les individus et les groupes n'y ont pas tous accès au même degré, et ce sont ceux qui en auraient le plus besoin qui ont le moins accès à ces ressources. En effet, il existe de nombreuses inégalités dans notre société qui réduisent l'accès à l'éducation pour certaines catégories d'adultes. Dans les chapitres qui suivent, nous tentons de cerner les principales inégalités sociales qui entravent l'accès aux différentes activités éducatives. Nos expériences et pratiques jointes aux nombreux témoignages recueillis dans les mémoires, lors des audiences publiques ou durant les journées régionales, de même que les interventions d'individus et de groupes, les recherches et les sondages internes nous ont permis de relever un certain nombre d'obstacles au véritable accès à l'éducation pour les adultes du Québec.

L'égalité d'accès à /'enseignement n'est qu'une condition nécessaire mais non suffisante de la démocratie de l'éducation, bien qu'on se soit souvent complu à y voir la fin en soi de la démocratisation. L'égalité d'accès n'est pas l'égalité des chances, celles-ci ne pouvant se comprendre qu'au sens de chances d'aboutir, de réussir. Ces chances-là sont, au contraire, très inégales.

Source: Edgar Faure, Apprendre à être, Fayard, UNESCO, 1972, p. 83.

Bien que l'égalité d'accès ne signifie pas l'égalité des chances et, même si les inégalités sociales ne peuvent être aplanies par une politique de l'éducation des adultes, il est au moins possible d'encourager la mise sur pied, par l'entremise de cette politique d'ensemble, de mécanismes correctifs vis-à-vis de certaines inégalités reliées à l'accès à l'éducation des adultes. L'appartenance à un groupe dit défavorisé socialement ne doit pas présenter en soi une source d'inégalités éducatives. Il faut, d'une part, penser à redistribuer plus adéquatement les ressources disponibles, d'autre part, à en créer de nouvelles pour certaines clientèles prioritaires, si le besoin s'en fait sentir, ainsi qu'à mettre en place des mesures « d'action positive ».

Certaines orientations égalitaires engendrent parfois des inégalités or, « pour réduire les inégalités il est nécessaire d'inégaliser au profit des désavantagés ». C'est effectivement le choix que fait la C.E.F.A.

Source: B. Schwartz, « Égalisation, globalisation, participation », dans Éducation des adultes, section des sciences de l'éducation, Université de Genève, 1979, p. 136.

Assurer des chances égales à chacun ne consiste pas, comme on s'en persuade généralement encore, à garantir un traitement identique à tous, au nom d'une égalité formelle, mais bien à offrir à chaque individu une méthode, une cadence, des formes d'enseignement qui lui conviennent en propre.

Source: Ibid., p. 87

Par conséquent, parler de l'accès à l'éducation des adultes sans se pencher, au préalable, sur les conditions sociales, économiques et culturelles qui la conditionnent, c'est courir le risque, une fois de plus, que ce soient toujours les mêmes catégories d'adultes qui bénéficient des politiques d'accès à l'éducation. Cela est d'autant plus vrai que pour s'adapter et participer pleinement au développement social, économique et culturel de notre société, il faut que chaque individu ait l'occasion de développer son potentiel. Pour ce faire, il doit maîtriser, comme nous l'avons vu précédemment, les apprentissages de base qui vont lui permettre plus d'autonomie, de flexibilité, de polyvalence et d'esprit critique par rapport à l'évolution de cette société. Cela est une condition préalable à remplir.

Les apprentissages de base représentent un minimum pour que l'individu puisse « s'outiller » adéquatement, et puisse développer son potentiel réel. Il importe donc, dans une perspective d'éducation permanente, d'assurer des liens étroits entre les principes d'auto formation, d'autonomie et de participation « responsable » des adultes. Revendiquer et organiser concrètement un plus large accès à l'éducation pour les adultes supposent aussi qu'on mette en place des mesures transitoires qui corrigeront les lacunes actuelles, et qui réduiront progressivement les inégalités d'accès et la marginalité des sous-scolarisés.

Un constat qui fait souvent l'unanimité: l'école ne contribue pas à réduire les inégalités, elle risque même de les accentuer.

Il est de plus en plus admis que l'éducation des adultes, à l'instar du système scolaire lui-même, loin d'être un instrument de rattrapage et d'égalisation des chances pour les individus et les groupes, a plutôt pour effet de perpétuer les inégalités et même de les entretenir. La plupart des sociétés industrielles sont confrontées à ce problème.

Un des rôles de l'éducation des adultes devrait être de répondre aux besoins de ceux et celles qui, faute d'une formation initiale adéquate, ne peuvent accéder à une éducation de niveau plus élevé, à un métier satisfaisant et à un revenu décent. Néanmoins, il reste que le résultat le plus fréquent des programmes d'éducation des adultes est bien souvent d'accentuer encore plus la distance qui sépare les groupes sociaux à la fin de la scolarité.

Depuis 20 ans, beaucoup d'efforts ont porté sur l'élargissement de l'accès à une scolarisation prolongée, parce qu'on croyait qu'elle assurerait une plus grande égalité sociale. Au Québec, la commission Parent, comme nous l'avons signalé dans la partie précédente, a été en quelque sorte le moteur de cette tendance: L'éducation est donc essentielle dans une société démocratique et elle doit y être également accessible à tous: c'est à cette double condition qu'on peut espérer atteindre à l'égalité dans la participation sociale, égalité fondée non sur l'uniformité mais sur la diversité. (1)

La situation actuelle nous prouve que la scolarisation n'a pas fait disparaître toutes les inégalités scolaires et encore moins les inégalités sociales.

En réalité, à partir du moment où des recherches furent entreprises à ce sujet, on dut relever la persistance et l'intensité de l'inégalité des chances scolaires dans les sociétés industrielles. L'école, en qui on avait longtemps vu un mécanisme correcteur des inégalités dues à la naissance, apparaissait comme incapable de jouer le rôle qu'on attendait d'elle.(2)

En dépit d'une volonté politique visant à rendre l'éducation plus accessible, il apparaît de plus en plus difficile de parler d'une réduction importante des inégalités d'accès. Comment expliquer cette contradiction? Plusieurs observateurs s'entendent pour dire, dans le même sens que le Conseil de planification et de développement du Québec, que l'école n'est qu'un lieu-relais, avec le milieu familial, où une bonne partie des inégalités sont retransmises d'une génération à l'autre. Le milieu scolaire, plus moderne et plus accessible, reprend, consolide et prolonge encore trop largement les inégalités que l'on constate entre les milieux familiaux et entre les quartiers. (3)

La pauvreté s'accumule à tous les niveaux de la vie économique, mais aussi sociale et éducative. C'est un cercle vicieux que peuvent briser des mesures correctives et des programmes prioritaires.

Par ailleurs, l'expérience acquise par de nombreux pays démontre justement, à ce propos, que ceux et celles qui sont défavorisés économiquement, s'ils n'ont pas la chance de bénéficier de programmes prioritaires à leur égard en matière d'éducation, demeurent défavorisés et profitent moins des ressources éducatives que les plus nantis. Les résultats du sondage que nous avons entrepris auprès des adultes vont clairement dans le même sens : plus on est instruit, plus on participe à des activités éducatives. Les adultes qui ne participent pas à des activités éducatives, comme nous l'avons signalé précédemment, sont passablement moins scolarisés, et leurs revenus restent, pour la plupart, de beaucoup inférieurs par rapport au premier groupe.

De nombreux témoignages et mémoires, ainsi que les recherches et sondages internes, nous ont confirmé la présence d'inégalités d'accès à l'éducation des adultes. Dans certains cas, on peut même parler de discrimination envers des catégories d'adultes. Or, une politique de démocratisation de l'éducation des adultes, qui s'incrit dans la perspective globale du développement du potentiel humain, se doit d'attaquer de front le problème des inégalités d'accès à l'éducation. L'intention de la Commission consiste à formuler, à ce sujet, une série de mesures correctives: une formation de base (comprenant l'alphabétisation) dont l'un des objectifs est de permettre aux adultes de « s'outiller » en vue de participer avec succès à des activités éducatives ultérieures; une meilleure répartition des ressources; des réformes d'ordre structurel; et aussi des mesures prioritaires « d'action positive » envers des clientèles cibles. Il nous faut maintenant examiner ce sur quoi reposent ces inégalités d'accès et par quel(s) moyen(s) la Commission entend les réduire.

L'inégalité des chances devant l'enseignement résulte principalement de la stratification sociale elle-même. L'existence de positions sociales distinctes entraîne l'existence de systèmes d'attente et de décisions distinctes dont les effets sur l'inégalité des chances devant l'enseignement sont multiplicatifs.

Source: Raymond Boudon, op. cit., p. 211.

Les difficultés d'accès à l'éducation des adultes peuvent avoir plusieurs origines: par exemple, les disparités régionales, l'isolement géographique, la situation de vie de l'adulte en tant que tel, (ses ambivalences, son histoire sociale etc. comme nous le verrons au chapitre premier, les structures scolaires, l'organisation du monde du travail, les conditions matérielles entourant les activités éducatives, etc.. Mais nous croyons pouvoir affirmer que bon nombre d'entre elles trouvent leur source dans les inégalités sociales et dans la discrimination dont sont victimes certaines catégories d'adultes. Nous pensons spécifiquement aux femmes, aux personnes handicapées, aux immigrants, aux minorités ethniques, aux détenus, aux analphabètes, aux travailleurs et travailleuses peu qualifiés, aux jeunes chômeurs. Cette discrimination, rarement avouée, se concrétise le plus souvent par le rejet, l'isolement ou d'autres entraves à l'accès à des activités éducatives. On en est malheureusement arrivé à marginaliser, pour diverses raisons, ces clientèles qu'on dit minoritaires, et qui constituent, pourtant, au total, la majorité de la population.

A partir du moment où il existe des strates sociales, il existe aussi des disparités devant l'enseignement qui apparaissent d'autant plus marquées qu'on s'adresse à des niveaux plus élevés du système scolaire.

Source: Raymond Boudon, ibid., p. 213.

Une proportion importante des adultes au Québec ne participe pas à l'éducation des adultes (45%) ou rencontre quotidiennement des difficultés quasi insurmontables dans ses projets éducatifs(4), dues à ce que Charles Hummel appelle « des conditions de départ inégales »(5). Ces inégalités, sur le plan éducatif, ne peuvent être réduites exclusivement par le système scolaire. En effet, comme nous le mentionnions plus haut, ces inégalités mettent souvent en lumière les rapports étroits entre l'école et le milieu familial et/ou social. Depuis 20 ans au Québec, on a souvent mis l'accent sur le système scolaire comme principal instrument de redressement des inégalités sociales, avec des succès mitigés ! Dans le domaine de l'éducation où l'égalité des chances a particulièrement inspiré la réforme, on peut dire que l'inégalité économique n'a été que très partiellement surmontée par la gratuité scolaire et les régimes de prêts et bourses. Les étudiants issus de milieux défavorisés sont encore loin d'avoir des chances égales d'accéder à l'éducation et aux emplois supérieurs.(6)

Le Rapport Parent: un idéal d'égalité à l'intérieur du système scolaire.

Cet idéal d'égalité entre les citoyens rencontre des obstacles de milieu, de classe ; des barrières sont inscrites dans les structures économiques, politiques et sociales. La conscience moderne refuse de plus en plus que ces inégalités et ces barrières subsistent, et surtout qu'elles soient en quelque sorte consacrées dans les structures de l'enseignement.

Source : Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement, tome IV, paragraphe 17.

Or, le Rapport Parent a fondamentalement voulu s'attaquer au problème de l'inégalité des chances dans le monde scolaire en réformant les structures, en augmentant de façon appréciable les ressources financières et humaines, et en favorisant l'ouverture et l'accès le plus large à l'éducation. Dans l'esprit du Rapport, la réduction des inégalités scolaires devait conduire inévitablement à la réduction des inégalités sociales (« Qui s'instruit, s'enrichit! »). Le système scolaire était donc considéré comme le, pivot d'une politique d'égalité des chances, même si on reconnaissait l'existence de barrières sociales et économiques. Bien sûr, cette politique de démocratisation de l'enseignement était influencée par une conjoncture particulière: l'adaptation du système scolaire aux besoins économiques d'une société en pleine effervescence. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque le taux de scolarisation était particulièrement faible au Québec et que, depuis cette réforme, des progrès indéniables ont été réalisés.

Tableau 9 Taux de fréquentation scolaire par âge et par sexe, 1966-1975

1966

Âge

Masculin

Féminin

14

94,6

92,8

15

87,1

84,8

16

72,2

64,9

17

51,1

39,0

18

32,6

21,6

19

20,4

13,3

20

10,7

5,7

21

5,9

2,2

22

2,7

1,0

23

1,3

0,6

24

0,6

0,3

1975

Âge

Masculin

Féminin

14

99,0

99,0

15

97,0

97,0

16

81,0

81,0

17

60,0

62,0

18

42,0

38,0

19

23,0

19,0

20

10,0

7,0

21

5,0

3,0

22

4,0

2,0

23

3,0

1,0

24

8,0

4,0

Source: R. Dufour, Tableaux statistiques de l'éducation au Québec, D.S. 9-38. Québec: ministère de l'Éducation. Service de la démographie scolaire, mai 1977, p. 173.

À la lumière des résultats des réformes éducatives, force nous est de constater que les réformes de structures n'assurent pas à elles seules l'égalité des chances dans le domaine de l'éducation. C'est aussi la conclusion à laquelle arrive Mireille Lévesque, suite à l'analyse qu'elle a faite en 1978 sur les efforts de démocratisation du système scolaire québécois. Elle brosse un tableau des orientations et des objectifs de démocratisation de la Commission Parent et démontre clairement que le système éducatif, dans l'esprit des commissaires, devait être un instrument d'adaptation à la société et un outil de changement social. Or, bien que ces deux conceptions aient été au coeur de la réforme proposée, il n'en demeure pas moins qu'un accent tout à fait particulier avait été mis sur l'adaptation à la société économique et sur la nécessité de former la main-d' oeuvre spécialisée dont le Québec moderne avait le plus grand besoin pour assurer son développement.

Par conséquent, il découle de cette orientation que l'école québécoise a continué d'exercer une sélection encore plus poussée bien que plus subtile. C'est un acquis de la réforme scolaire que tous les jeunes de 5 à 15 ans fréquentent l'école primaire et secondaire. Mais les problèmes de l'échec scolaire, de l'abandon scolaire, de l'inadaptation, sont encore très présents. De nombreux obstacles persistent et empêchent une égalisation des chances scolaires, même après quinze années d'efforts constants en vue de démocratiser l'enseignement. Les structures scolaires ont été profondément modifiées : une école primaire pour tous, une école secondaire polyvalente, un réseau d'enseignement postsecondaire intégré. Cependant, même si le système scolaire est devenu plus accessible, plus flexible et plus perméable d'un secteur à l'autre, il reste que certaines filières sont relativement étanches et de qualités différentes.(7)

L'aboutissement de cet effort de démocratisation aura été différent de ce qu'on en attendait. Les réformes de structure, bien que nécessaires, doivent être assorties de mesures correctives dans tous les secteurs de la société.

Vingt ans après..

D'une part, nous constatons la persistance d'inégalités scolaires toujours articulées à des inégalités sociales (sélection, élimination, abandon, inadaptation, analphabétisme, sexisme etc.). D'autre part, même dans le cas de réduction de certaines inégalités plus flagrantes comme le taux de fréquentation scolaire, on se rend compte que ce progrès n'a que peu ou pas d'effets sur la réduction des disparités socio-économiques. Au contraire, des auteurs montrent que la démocratisation de l'enseignement dans les pays industrialisés a souvent profité davantage aux classes moyennes et supérieures qu'aux classes défavorisées et qu'une réduction des inégalités scolaires peut parfois même être accompagnée d'une augmentation des inégalités sociales.(8)

Les moins privilégiés, tant au niveau de l'accès à l'éducation qu'au niveau des résultats atteints, ont en effet peu profité de la réforme scolaire. L'analyse du fonctionnement des institutions scolaires révèle que ce sont justement ces populations qui subissent le plus les contraintes des mécanismes de sélection et d'élimination. Le phénomène de l'abandon scolaire affecte très inégalement les secteurs d'enseignement: le secteur professionnel est encore là beaucoup plus touché, de même que les voies scolaires allégées. Pour des raisons de type familial, économique, médical, etc., les populations socio-économiquement faibles présentent le plus haut taux d'abandon scolaire. Ces données ne sont pas nouvelles, mais elles nous rappellent que les processus d'élimination et les facteurs d'inégalité sont les mêmes pour les adultes et pour les jeunes.

Ce sont effectivement les adultes les moins scolarisés, et en général ceux qui souffrent des problèmes de l'analphabétisme, du chômage et de la pauvreté, qui rencontrent les  plus  sérieuses  difficultés  d'accès  à l'éducation des adultes. Ces groupes d'adultes les plus démunis se caractérisent, en dehors de conditions socio-économiques semblables, par des réalités spécifiques.

Bref, l'infériorité socio-économique en entraîne indubitablement d'autres: La pauvreté est envisagée comme un phénomène d'exclusion sociale, culturelle, politique et économique. Les symptômes de la pauvreté, nombreux et diversifiés, s'observent aussi bien au niveau du revenu, de l'emploi, de l'éducation, de la santé, du logement, de la consommation, que de l'adaptation sociale. Ce sont autant de facteurs, auxquels il faudrait ajouter l'âge et la situation familiale, qui contribuent à la pauvreté. Ces facteurs présentent un caractère cumulatif, un problème en entraînant un autre.(9)

(...) les preuves sont là qui démontrent que les enfants de familles à faible revenu n'ont toujours pas une chance égale dans notre système d'éducation canadien. Leurs aspirations dans le domaine de l'éducation sont moins élevées, ils ont tendance à quitter l'école en très grands nombres (sic) et à moins bien réussir que les enfants plus à l'aise d'intelligence égale.

Source:  Gouvernement du Canada, Conseil national du bien-être social, Rapport sur les petits salariés au Canada, L'emploi et la pauvreté, juin 1977, p. 28.

Au Canada, 60% des pauvres travaillent, sans pour autant pouvoir gagner leur vie convenablement.

Source: Ibid., p. 39.

Bien que les liens ne soient pas toujours directs, des indicateurs de pauvreté, tels l'instruction, le revenu et l'emploi, sont le plus souvent très étroitement reliés. Par exemple, un bas salaire sera habituellement associé à une faible scolarité, de même le niveau de scolarité affectera souvent le niveau de revenu. Par ailleurs, les travailleurs et les travailleuses les moins scolarisés sont les plus menacés par le chômage (et l'aide sociale). Il n'y a donc pas que le non-emploi qui cause la pauvreté, il y a aussi « les mauvais emplois ». C'est d'ailleurs ce que relevait le ministère de l'Éducation dans un document récent intitulé L'école s'adapte à son milieu (1980):

(Finalement, si un nombre important des individus et familles sont composés d'assistés sociaux (invalides, personnes âgées, mères chargées d'enfants) qui n'ont d'autres moyens de subsistance que les prestations d'aide sociale, nous devons réaliser que plus de 60% des adultes pauvres (hommes et femmes) sont des petits salariés non qualifiés, employés dans des secteurs très mal rémunérés et très instables (cuir, filatures, lainages, vêtements, buanderies, teintureries, petits commerces, etc.). Il ne s'agit donc pas principalement de groupes totalement marginalisés par rapport à la société globale, mais de groupes qui, au moins partiellement, maintiennent des contacts et des échanges avec la société environnante.(10)

Tableau 10 : Au Québec

A) en août 1981, 520 876

bénéficiaires de l'aide sociale

B) en novembre 1981, 321 000

Chômeurs (10,9%)

C) en décembre 1981, 300 000

travailleurs au salaire minimum (environ)

  • La majorité des travailleurs au salaire minimum sont des femmes
  • Il y a plus de travailleurs au salaire minimum dans les autres régions du Québec qu'à Montréal
  • On retrouve une majorité de personnes seules parmi les travailleurs au salaire minimum

Source: Jean-Guy Boutin, ministère des Affaires sociales, direction de la planification de la sécurité du revenu, Enquête sur les caractéristiques socio-économiques des travailleurs rémunérés autour du salaire

Ainsi, le temps est révolu où l'on faisait reposer sur les « pauvres » eux-mêmes la responsabilité de leur pauvreté, celle-ci devant résulter soi-disant d'incapacités individuelles. Pourquoi ne pas remettre en question plutôt certaines institutions sociales? Ne contribuent-elles pas à entretenir la marginalité des personnes défavorisées économiquement? Et font-elles de réels efforts pour assurer à ces derniers un plus grand accès à leurs ressources ? Bref, le phénomène de la pauvreté est un problème posé à la société toute entière. La solution de ce problème exige une redéfinition des structures sociales actuelles, l'émergence de nouveaux rapports sociaux et un nouveau partage des ressources.(11)

Parce que l'éducation des adultes déborde largement les cadres scolaires, parce qu'elle pénètre un grand nombre d'activités qu'exerce l'adulte dans le courant de sa vie, elle peut, si elle se veut un outil de développement du potentiel des individus et des groupes, contribuer, avec d'autres mesures, à réduire certaines inégalités entre les adultes face à certains savoirs par exemple, ou à certaines situations de vie.

La Commission croit que l'éducation des adultes, dans une perspective d'éducation permanente, pourra contribuer par des transformations importantes, à être un outil parmi d'autres de réduction des inégalités économiques, sociales et culturelles, si elle s'inscrit à l'intérieur des orientations et objectifs que nous avons énoncés. Par conséquent, les ressources éducatives de toute la collectivité doivent pouvoir assumer leur rôle. Pour ce faire, on doit rendre plus accessible l'école, mais aussi les autres ressources telles que les musées, les bibliothèques, les programmes de formation dans les entreprises ou dans les associations etc. Toutefois, il ne suffit pas d'assurer l'accès à toutes les ressources car, comme nous l'avons fait remarquer précédemment, il ne suffit pas de rendre l'éducation gratuite pour la rendre accessible. Il en va de même dans le domaine de l'éducation des adultes. Il faut aider les clientèles qui en ont moins profité, les « outiller » pour qu'elles utilisent les ressources publiques actuelles mises à la disposition de tous les citoyens, mais dont une catégorie seulement profite.

Il faut que les adultes trouvent à travers les multiples champs de l'éducation des adultes, les instruments nécessaires pour se développer pleinement comme citoyens-travailleurs, responsables et autonomes, dans toutes les activités de leur vie.

Tout en tenant compte de la situation particulière de l'adulte et des obstacles qui freinent son accès à l'éducation, nous examinerons plus en détail dans le chapitre qui suit, les inégalités d'accès reliées à l'appartenance sociale, ou encore à des situations discriminatoires susceptibles d'être atténuées par une politique d'ensemble en matière d'éducation des adultes. Par la suite, nous aborderons les inégalités d'accès reliées au milieu scolaire, à ses ressources financières, humaines et physiques, de même qu'à ses programmes d'enseignement. Celles du monde du travail feront également l'objet d'un chapitre; il y sera particulièrement question de la formation dans et hors de l'entreprise, des inégalités liées au type de travail accompli et à la réglementation de certains métiers et professions. Enfin, après avoir abordé les inégalités d'accès relevant du milieu culturel, nous terminerons cette partie en montrant comment les disparités régionales accentuent les possibilités d'accès à l'éducation.

Notes

  1. Rapport de  la Commission royale d'enquête sur l'enseignement,  tome IV,paragraphe 4.
  2. Raymond Boudon, L'inégalité des chances, Paris, Armand Collin, 1973, p. 8.
  3. Gouvernement du Québec, Conseil de planification et de développement du Québec, Les inégalités socio-économiques et le marché du travail, mai 1981, p. 3.
  4. Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives, C.É.F.A.,Québec, 1981, Livre premier.
  5. Charles   Hummel,   L'éducation   d'aujourd'hui face  au   monde  de   demain ,UNESCO, P.U.F., Paris, 1977, p. 94.
  6. Gouvernement du Québec, C.P.D.Q., op. cit., p. 10.
  7. Mireille Lévesque, L'égalité des chances en éducation, Conseil supérieur de l'éducation, direction de la recherche, Gouvernement du Québec, décembre 1978,p. 62-63.
  8. Voir à ce propos les travaux de Thurow (1972), de Claude Escande (1973), de Raymond Boudon (1973).
  9. Mireille Lévesque, op. cit., p. 42-43.
  10. Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, L'école s'adapte à son milieu, 1980, p. 10.
  11. Mireille Lévesque, op. cit., p. 44-45.

Chapitre premier

3.1 Les adultes et les inégalités d'accès à l'éducation

Introduction

Les difficultés d'accès à l'éducation des adultes peuvent avoir de multiples causes. Nous avons constaté suite à notre sondage(1) qu'une proportion très importante des adultes québécois (45%) n'ont aucune activité éducative. En réalité les possibilités d'accès à l'éducation des adultes sont très inégales.

Il importe, à cet égard, de considérer les problèmes d'accès provoqués par le fait d'être adulte: engagement volontaire et non plus obligatoire en éducation et cumul de tâches et de responsabilités. Nos recherches nous permettent d'affirmer que diverses catégories de la population vivent des difficultés liées à cette situation de façon particulièrement aigüe en raison de leur condition sociale. C'est le cas, entre autres, des jeunes adultes, des personnes âgées, des travailleurs peu qualifiés, des chômeurs, des bénéficiaires de l'aide sociale, des immigrants, etc. Bon nombre des problèmes que nous examinerons trouvent leur source dans des inégalités sociales fortement ancrées au Québec. À ces difficultés s'ajoutent des pratiques discriminatoires envers les femmes, les personnes handicapées, les autochtones, les détenus, pratiques qui posent un véritable défi, face à l'élaboration d'une politique axée sur la démocratisation de l'éducation des adultes.

Des problèmes inhérents à la situation de l'adulte

Les motivations des adultes sont associées à leur situation de vie.

On ne saurait parler d'inégalités d'accès à l'éducation des adultes sans tenir compte des multiples variables qui influent sur les possibilités qu'ont les adultes d'utiliser les ressources éducatives existantes, d'acquérir les savoirs dont ils ont besoin et, enfin, d'obtenir les modalités didactiques adaptées à leur identité d'adulte.

À cet effet, il ne faut pas oublier que l'adulte participe à des activités éducatives d'une manière volontaire* et généralement à temps partiel. Contrairement au jeune, il n'est pas d'abord et avant tout « aux études ».

* « Volontaire » signifie ici que l'adulte n'est pas soumis à l'obligation légale de participer à des activités éducatives.

Interdépendance dynamique des rôles, des tâches, des responsabilités et des situations de vie

Plusieurs recherches(2) ont été effectuées sur les mobiles qui incitent les adultes à participer à une activité éducative. Des résultats de ces études, une constante émerge: les raisons évoquées sont étroitement liées aux divers problèmes et conditions de vie des adultes. En d'autres termes, l'adulte pèse sa décision de se servir des disponibilités éducatives existantes à la lumière des besoins que lui dictent les situations concrètes de sa vie. De plus, cette décision est influencée par l'attitude de l'adulte à l'égard de ses expériences scolaires antérieures, de même que de celles de ses proches. Si pour certains l'école est associée au succès et à la promotion sociale, pour plusieurs, elle est synonyme d'échecs et de frustrations profondes. 11 y a donc de fortes chances pour que cette seule raison suffise à décourager ces adultes de participer à une activité éducative. Ceci démontre la nécessité de traiter des problèmes d'accès à l'éducation en tenant compte de l'interdépendance dynamique des rôles, des tâches et des responsabilités exercés par l'adulte et des événements marquants* de sa vie.

* Une étude américaine récente faite par Aslanian et Brickell (1980) révèle que, des 744 adultes engagés dans une(des) activité(s) éducative(s) et qui ont été interviewés, 83% ont évoqué « un événement marquant dans leur vie » comme le facteur déclencheur de leur activité éducative.

Source: Patricia Cross, Adult as Learners, Jossey-Bass, San Francisco, 1981, p. 94

Le « cycle de vie linéaire » qui caractérisait notre société il n'y a pas si longtemps et qui identifiait les jeunes à l'école, les adultes au travail et la retraite au loisir, tend de plus en plus à se modifier. L'abandon scolaire chez les jeunes, la résistance des aînés à la retraite obligatoire, les changements de carrière au milieu de la vie, l'importance accordée aux heures de loisirs en sont des illustrations. Or, ce type de changements sociaux n'est pas sans avoir des conséquences sur la vie de l'adulte.

Des événements-clés, comme le choix d'un(e) partenaire, l'arrivée d'un enfant, un congédiement ou encore la décision de changer de carrière ou de reprendre ses études, la responsabilité à l'égard de parents âgés, le divorce, la ménopause et l'andropause, le départ des enfants du foyer, le deuil, la retraite, etc., sont autant d'occasions qui incitent l'adulte à s'ajuster et à se poser de nouvelles questions.

Dans une société comme la nôtre, la pluralité des rôles de l'adulte (parent, travailleur, citoyen, consommateur, etc.) a ses exigences. Il doit apprendre à assumer ces différents rôles et ces différentes responsabilités, de plus, il est amené à s'adapter à des rôles de plus en plus complexes et à des comportements et des valeurs qui se trouvent sans cesse modifiés.

Or, si l'évolution du modèle traditionnel du cycle de vie(3), si les exigences qu'imposent les rôles nouveaux de l'adulte d'aujourd'hui et de demain, en plus des événements marquants de sa vie, contribuent à définir une foule de nouveaux besoins d'apprentissage, ces mêmes facteurs sont paradoxalement la source même des difficultés de l'adulte à se prévaloir des ressources éducatives mises à sa disposition.

Des facteurs d'ordre physiologique à considérer

L'éducation des adultes, par ailleurs, ne peut plus ne pas tenir compte des facteurs d'ordre physiologique reliés au processus de vieillissement, affectant tous les adultes, et qui contribuent souvent à décourager certaines catégories d'adultes de participer à des activités éducatives.

La maturité physiologique s'atteint durant l'adolescence. Par la suite, l'organisme humain subit graduellement des changements associés au processus dit « de vieillissement » (diminution de l'acuité sensorielle, ralentissement des réflexes, stress, maladies, fatigue, etc.)(4) Évidemment, ce processus affecte différemment les adultes: l'environnement, les habitudes de vie et de travail, en somme la condition sociale contribuent à accélérer ou à ralentir ce processus.

Rythme d'apprentissage et capacité d'apprendre

Selon certaines recherches, une personne, en vieillissant, met un peu plus de temps à apprendre, c'est-à-dire à percevoir le stimulus présenté, à transmettre le message au cerveau, à l'associer et l'intégrer, etc. Bien entendu, il ne faut pas confondre le temps requis pour l'acquisition d'un nouveau savoir avec, par exemple, « l'habileté » à apprendre, les capacités intellectuelles, l'exactitude du rendement ou des réflexes d'acquisition. La seule diminution de la vitesse de réaction, dans le processus même d'apprentissage, a des conséquences précises quel que soit le type de savoir à acquérir. C'est souvent à ce type de difficulté que fait allusion l'adulte qui demande que soit respecté son rythme d'apprentissage; sinon il risque de conclure, à tort, qu'il n'a « plus la capacité d'étudier ». Le sondage de la Commission sur les adultes québécois et leurs activités éducatives révèle justement que, pour 23% des adultes interrogés, le fait de croire « ne plus avoir les capacités d'étudier » constitue un obstacle majeur à leurs projets éducatifs.(5)

L'expérience et la maturité compensent largement la diminution de la vitesse d'apprentissage. Il faut donc savoir utiliser les habiletés qu'ont les adultes d'intégrer, d'enrichir, d'interpréter et d'appliquer leurs expériences dans l'acquisition de nouveaux savoirs.

Environnement éducatif et approche didactique appropriée

Des recherches démontrent que pour l'adulte, (et c'est aussi le cas des jeunes) la mémoire est fortement reliée à la motivation: l'adulte se souvient des savoirs qu'il juge importants et signifiants pour lui. Par ailleurs, il éprouvera des difficultés à se rappeler un savoir trop complexe, trop insolite ou encore présenté trop rapidement. Cela fait apparaître selon nous, la nécessité de concevoir pour l'adulte des contenus de formation qui seront pertinents et de lui en faciliter d'abord l'accès, puis la rétention subséquente, par une approche didactique appropriée. Le chapitre 3 de la quatrième partie du présent rapport, consacré à la transformation de l'image et des pratiques en matière d'éducation des adultes, traitera plus à fond de l'environnement éducatif et des types d'approches pédagogiques qui conviennent aux multiples réalités du monde des adultes.

Enfin, rappelons que l'ensemble de tous ces facteurs interdépendants propres au « monde adulte » (situation de vie, motivation, réalités physiologiques, etc.) aura des effets différents selon la condition sociale de chacun.

Des inégalités d'accès causées par les inégalités sociales et la discrimination

Des inégalités sociales responsables d'inégalités d'accès à l'éducation des adultes.

Plus on est instruit, plus on participe à des activités éducatives. Notre sondage(6) est concluant à cet égard: les adultes qui ne participent pas à l'éducation des adultes sont passablement moins scolarisés et leurs revenus sont plus bas.

L'expérience acquise par de nombreux pays, quel que soit leur stade de développement, montre qu'en l'absence de mesures discriminatoires en faveur des moins privilégiés, ce sont ceux qui sont déjà plus ou moins favorisés qui bénéficient le plus de l'éducation.(7)

La Commission a été à même, lors de ses consultations, de constater les multiples problèmes d'accès à l'éducation des adultes que rencontrent des groupes spécifiques de la population. En dépit des réalités qui leur sont propres, ces groupes se définissent souvent par des conditions socio-économiques semblables et généralement liées entre elles: isolement, marginalité, faible scolarité ou analphabétisme, pauvreté... La discrimination est présente également dans le champ de l'éducation des adultes. Elle se distingue de tout autre genre de difficultés d'accès en ce sens qu'on y retrouve une volonté explicite de rejeter, de cantonner, d'opérer une ségrégation, d'entraver l'accès à une éducation pertinente. La discrimination se sert de critères de différenciation facilement identifiables (sexe, langue, handicap physique, nationalité, etc..) qui fondent l'idéologie discriminatoire (préjugés, stéréotypes, etc.). Tout ce procédé a généralement pour effet de maintenir les groupes visés dans une situation de marginalité dont profite une partie de la société.

Confrontée à ces réalités, la Commission entend proposer, dans l'optique d'une politique de démocratisation de l'éducation des adultes, des mesures pour favoriser les moins favorisés et pour lutter efficacement contre les inégalités sociales qui sont bien souvent la source même d'inégalités d'accès. Dans son projet, elle est, bien sur, consciente des limites du champ de l'éducation.

3.1.1 Les inégalités d'accès causées par les inégalités sociales

La Commission a « identifié » des populations aux prises avec des problèmes spécifiques d'accès à l'éducation des adultes. Généralement, comme nous l'avons vu, ce sont les adultes les moins scolarisés, victimes de l'analphabétisme, du chômage et de la pauvreté, de l'isolement social, qui rencontrent les plus sérieuses difficultés d'accès à l'éducation des adultes. Quel paradoxe pour les tenants de l'éducation permanente de constater que l'éducation des adultes perpétue et renforce elle aussi les inégalités sociales! C'est avec la volonté de tenter de contribuer au renversement de cette situation que la Commission recommande diverses mesures correctives.

Des jeunes à qui l'école n'a offert que des voies de garage

3.1.1.1 Les jeunes adultes

Les jeunes qui ont quitté très tôt le réseau scolaire régulier*, ou qui y ont eu peu accès, sont particulièrement défavorisés sur le plan de l'emploi et de la formation. Au Québec, dans les années 1977, 1978 et 1979, de 35 à 40% des 640 000 jeunes de 15 à 19 ans ne fréquentaient plus l'école. À l'âge de 17 ans, il n'y en a plus que deux sur trois à l'école, à 18 ans, ils ne sont que deux sur cinq et à 19 ans un sur quatre.(8)

* Des statistiques du secteur de la planification du M.E.Q. mesurent l'ampleur du phénomène de l'abandon scolaire en cours d'année chez les élèves du secondaire :

Tableau 11

1972-73

1975-76

1979-80

14,26%

12,51%

10,44%

94,465

76,836

54,673

Source: Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, Direction générale du développement pédagogique, L'abandon scolaire, octobre 1981, p. 5.

Tout compte fait, l'absentéisme, le retrait volontaire sans diplôme, lebifurcage vers le professionnel court, la prolifération des « inadaptés », les échecs, etc., autant de phénomènes, parmi plusieurs autres, qui permettent d'identifier progressivement un problème multiforme et profond d'inadéquation de l'école pour une proportion frappante de jeunes de 15 à 18 ans.(9)

Ces jeunes, issus principalement des classes populaires, ont tôt fait de reconnaître que l'école ne les a pas bien préparés aux réalités du monde du travail : leur formation initiale ne répond pas aux qualifications requises sur les marchés du travail et on constate un problème sérieux d'orientation professionnelle(10). Il n'est pas étonnant que, sortant de l'école et en ayant tiré un bilan aussi négatif, certains jeunes adultes ne soient pas enclins à participer aux activités éducatives. En fait, proportionnellement à leur nombre, ils sont les moins représentés dans le milieu de l'éducation des adultes. Ceci est également dû aux critères de sélection et d'admission qui ont cours actuellement dans ce domaine.

Des difficultés d'accès à une orientation et à une formation adéquates reliées à l'emploi

Ayant peu ou pas de qualifications professionnelles et, par définition peu d'expérience, ces jeunes sont automatiquement défavorisés dans une conjoncture de ralentissement de la croissance économique et de chômage intensif. Dans ces circonstances, la concurrence est plus âpre sur les marchés du travail. Ceux-ci se butent de plus contre les politiques de contingentement de certains métiers (voir le chapitre 3), et dans plusieurs cas aux conditions d'engagement fixées par des entreprises touchant l'âge d'admission à l'emploi (par exemple 23 ou 25 ans).

Les jeunes sont très touchés par les changements de l'économie. Généralement les derniers à être embauchés, ils sont souvent les premiers à être licenciés en raison de la baisse de la production ou de changements technologiques. Le chômage est trop souvent leur lot.

Ainsi en 1979, ce sont les actifs québécois les plus jeunes, c est-à-dire les moins de 20 ans, qui obtiennent les taux de chômage les plus élevés, soit 20,2% par rapport à 14,1% pour les actifs de 20-24 ans. Le taux de chômage pour l'ensemble des 15-24 ans s'établit à 16,4% ce qui est 2,3 fois plus élevé que le taux de chômage de leurs aînés (7,1%).(11)

* Insatisfaits de leur travail, les jeunes changent alors d'emploi ou se retirent même temporairement de la population active. De fréquents changements d'emploi rendent ainsi les jeunes plus vulnérables au chômage et il en résulte une sous-utilisation des ressources humaines, une perte de revenu et de confiance en soi pour le jeune chômeur, une perte de production, etc. À cela s'ajouteraient aussi une augmentation de l'absentéisme, une indiscipline au travail, une montée de l'alcoolisme, de la toxicomanie et de la violence, sans compter l'influence néfaste d'une telle situation sur toute la société en général.

Source: Pierre-Georges Garneau, op. cit., p. 43, tiré de l'étude suivante: Louise H. Côté-Desbiens avec la collaboration de B. Turgeon, Les attitudes des travailleurs québécois à l'égard de leur emploi, Centre de recherche et de statistiques sur le marché du Travail, ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre, 1979.

Dans ce contexte, les programmes de formation professionnelle des centres de main-d'oeuvre sont plus souvent qu'autrement des « soupapes au chômage ». Mentionnons un dernier facteur d'une dimension valorielle importante qu'un programme d'orientation professionnelle ne saurait méconnaître: selon une étude de l'Office de planification et de développement du Québec (O.P.D.Q.) en 1973, 36,3% des jeunes de moins de 25 ans avaient quitté leur emploi pour cause d'insatisfaction*, contrairement à 25,3% chez les plus de 25 ans.(12)

Les jeunes adultes subissent le plus haut taux de chômage au Québec; ils vivent des situations précaires sur les marchés du travail, en sont grandement insatisfaits et ils sont également confrontés aux problèmes du contingentement. Cette situation interpelle plusieurs intervenants: les employeurs d'une part qui sont peu enclins à embaucher et à former cette main-d'oeuvre, et d'autre part, l'école, les services d'orientation et les centres de main-d'oeuvre.

Divers organismes tentent de réagir contre cette pénible situation. Soulignons, par exemple, le travail du groupe « Service 15-20 Inc. » qui offre depuis sa fondation en 1974, des services de placement, d'intégration au travail et de formation et organise à leur intention des « stages en emploi ». Ses promoteurs insistent pour que l'action éducative du « Service » soit adaptée aux réalités économiques et sociales auxquelles les « 15-24 ans » sont confrontés, et pour que ses interventions soient axées sur les besoins des jeunes.

Le projet « Élan Laval » est une autre initiative positive permettant à de jeunes adultes de retrouver confiance en eux et de « s'équiper » pour devenir leur propre agent d'intégration sociale et professionnelle. Mis sur pied en 1978 pour venir en aide aux jeunes chômeurs de la région, « Élan Laval » leur propose un programme de formation qui leur permet de développer concrètement diverses « habiletés » en rapport avec les marchés de travail.

L'équipe d'Elan Laval croit que ce projet est une alternative pour les jeunes souvent mal préparés par l'école et la famille à faire face au monde exigeant du travail. Notre intervention est complémentaire à celle des centres de main-d'oeuvre qui n'ont ni les ressources, ni les moyens de répondre adéquatement aux besoins de ces jeunes.(13)

Ayant pris conscience de l'ampleur des difficultés qui entravent les possibilités d'accès à la formation des jeunes adultes, particulièrement dans le cas des jeunes des milieux populaires, la Commission a jugé à propos d'en faire une des populations-cibles de sa politique d'accès à l'éducation des adultes.

Avec l'apparition de nouvelles technologies, les anciens emplois deviendront désuets.

3.1.1.2 Les travailleurs et les travailleuses peu qualifiés

Les jeunes adultes décrits ci-dessus risquent fort, si la situation n'est pas redressée, de venir grossir en nombre les travailleurs québécois peu qualifiés. En traçant les grandes lignes de sa politique concernant la formation de base (deuxième partie), la Commission fournit quelques indicateurs au sujet des populations principalement visées par ces programmes. Ainsi nous savons qu'en 1980, 70% de la main-d'oeuvre au Québec a un niveau d'instruction égal ou inférieur au secondaire. Les groupes les plus touchés par un faible niveau de scolarité sont les francophones unilingues, les immigrants et diverses minorités ethniques, les autochtones, les personnes handicapées, etc. Les adultes de plus de 35 ans, en général, et ceux des régions excentriques du Québec sont particulièrement touchés par les conséquences d'une formation de base déficiente.  La hausse continuelle des qualifications et du niveau des diplômes exigés pour l'obtention d'un emploi rend la situation de ces adultes très précaire.

Cette situation ne peut que s'aggraver avec l'évolution actuelle des marchés de travail. Le rapport Axworthy-Dodge(14) du gouvernement fédéral, comme nous le mentionnions dans la première partie de ce rapport, prévoit que la structure des emplois au Canada sera grandement modifiée avec l'apparition de nouvelles industries et d'une nouvelle technologie (selon ce rapport, on créera au Canada dans les années 80, 2,8 millions d'emplois, dont un grand nombre dans les métiers hautement spécialisés de col bleu ou les domaines de la technologie de pointe), qui rendront désuets les emplois actuels. Par conséquent, le Rapport recommande, entre autres, que le secteur public réoriente certains fonds destinés à la formation post-secondaire vers la formation de cols bleus hautement qualifiés.(15) Cette orientation risque, surtout au Québec, de ne bénéficier qu'à une minorité de personnes.

Le projet fédéral de réorientation des fonds de formation vers des métiers hautement spécialisés va accentuer l'état d'infériorité des travailleurs et travailleuses non qualifiés.

En période de restrictions budgétaires, tant fédérales que provinciales, la réorientation des fonds consacrés à l'enseignement post-secondaire et à la formation peu spécialisée vers la formation à un petit nombre de métiers hautement spécialisés accentuera le clivage déjà existant entre les adultes face à la formation. D'autant plus que ce sont déjà les travailleurs et les travailleuses non qualifiés qui sont les plus défavorisés face aux programmes et aux activités de formation offerts par les employeurs. Cela est largement démontré dans le chapitre 3 qui traite des inégalités d'accès à l'éducation des adultes relevant du monde du travail. Nous verrons de plus que les femmes sont fortement représentées dans la catégorie d'employés peu qualifiés et qu'il est prévisible qu'elles le soient encore plus (voir 3.1.2.1).

La Commission quant à elle n'approuve pas les orientations du rapport Axworthy-Dodge en matière de formation professionnelle. Elle considère plutôt que celle-ci doit dépasser l'univers restreint et étroit de la réponse à la demande immédiate de main-d'oeuvre pour s'inscrire dans une politique de main-d'oeuvre québécoise, politique concertée du travail et du développement social. La priorité que la Commission accorde à la formation de base (deuxième partie) s'inscrit justement dans une stratégie globale de la formation de la main-d'oeuvre québécoise.

Chômeurs et bénéficiaires de l'aide sociale : une portion importante de la population qui n'a pas accès aux ressources de l'éducation des adultes.

3.1.1.3 Les chômeurs et les bénéficiaires de l'aide sociale

Ce sont spécialement les travailleurs et les travailleuses les moins scolarisés, et par le fait même les moins qualifiés, qui sont le plus menacés par le chômage et par l'assistance sociale. Le Québec comptait en décembre 1980, 312 470 bénéficiaires de l'aide sociale(16) (incluant requérants et conjoints); en août 1981, Statistique Canada en dénombre 520 867 ! Le maintien du taux de chômage autour de 10,9 à 11% au Québec (taux de novembre 1981) s'explique en bonne partie par l'augmentation des bénéficiaires de l'aide sociale.

* Il n'est pas rare que le choc soit tel qu'il entraîne des troubles de la santé: insomnies, migraines, angoisse, dépression pouvant aller jusqu'à la tentative de suicide. Le chômage, c'est d'abord cela : ce coup sur la tête, ce traumatisme qui bouleverse votre vie. Et alors commence la lente rumination, qui va peu à peu vous ronger, sur les causes et les conséquences de cette catastrophe. (...)C'est cette dilution de l'être, ce démembrement moral, cet état d'« homme en lambeaux », qui explique que les chômeurs, quelque nombreux qu'ils soient, fassent si peu de bruit. Éjectés en douceur de notre monde, ils ne sont plus des nôtres. Ce sont les âmes errantes de notre société mécanisée.

Source: Frédéric Gaussen, « L'Homme en lambeaux », dans Le Devoir, sept. 1981, inspiré de l'ouvrage suivant: Hubert Cukrowicz, L'Homme en lambeaux: les effets du chômage consécutif à un licenciement sur les hommes de trente à cinquante ans, Institut de sociologie, Université de Lille-I.

Si on exclut une certaine « frange » de « chômeurs instruits », on peut estimer que les populations généralement touchées par le chômage et le bien-être social présentent des caractéristiques similaires: symptômes nombreux et variés de la pauvreté, elle-même le reflet d'un phénomène d'exclusion sociale, culturelle, politique et économique. Ces caractéristiques peuvent être envisagées comme autant de difficultés concrètes et de barrières entravant l'accès de ces populations aux ressources éducatives: haut pourcentage d'analphabétisme, et donc éloignement culturel vis-à-vis du monde scolaire, isolement social allié à un sentiment d'impuissance et de rejet*, absence de ressources financières, problèmes de santé et autres engendrés par une situation de pauvreté, etc. On constate aisément que, dans le cercle vicieux de la pauvreté, un problème en entraîne plusieurs autres: il s'agit donc là d'une fraction importante de la population du Québec qui se trouve particulièrement éloignée de l'éducation des adultes.

Le rapport fédéral du groupe de travail sur l'assurance-chômage estime qu'à moins de changements importants, le taux actuel de chômage se maintiendra au Canada au cours des années 80. Il propose, dans cette perspective, certaines mesures visant malheureusement plus les chômeurs que le chômage: prolongement de la période de travail donnant droit à l'assurance-chômage et relèvement des pénalités applicables aux travailleurs qui quittent leur emploi ou sont renvoyés.(17)

La Commission juge que ces mesures, dans la conjoncture économique difficile que nous traversons, servent davantage les intérêts des marchés de travail que ceux de la population aux prises avec des problèmes d'emploi. C'est, entre autres, par une formation de base et une orientation adéquates et par des mesures favorisant l'accès des groupes d'adultes les plus défavorisés aux programmes de pré-emploi et de formation reliée à l'emploi, qu'on répondra aux besoins de ces populations.

3.1.1.4 Les adultes préretraités et les retraités

Des difficultés d'accès à l'éducation des adultes reliées à l'âge des adultes

* Au Québec, 34,8% des adultes de 35 ans et plus ont 10 ans et moins de scolarité contre 16,3% des adultes de moins de 35 ans.

Source: Statistique Canada, recensement de 1976.

Étant donné la tendance très nette au vieillissement de la population au Québec, les besoins de formation de la main-d'oeuvre de plus de 40 ans pourraient être encore plus grands dans l'avenir. Les changements technologiques occasionnent souvent des déqualifications tragiques et des mises à pied massives pour ces catégories d'employés. Plus âgée, donc moins mobile et très souvent moins scolarisée*, cette population a difficilement accès à des programmes de reclassement ou de recyclage.

Des hommes et des femmes de plus de 40 ans ont affirmé, lors des consultations de la Commission, que la situation est la même dans l'éducation que dans l'emploi: on leur fait sentir subtilement qu'ils prennent la place des plus jeunes et on les confine dans des programmes de formation de courte durée.

Tendance au vieillissement de la population

Au Québec, 8% de la population totale est constituée de personnes de plus de 65 ans, soit 550 000 personnes. Depuis 1900, la population en général a triplé et celle des gens âgés a été multipliée par sept. La proportion des personnes de 65 ans et plus, par rapport à celle des 20 à 65 ans, pourrait passer, si la tendance se maintient, de 15,6% qu'elle est en 1980, à 19,1% en 2010 et 30,9% en 2030. Soulignons qu'avec l'accroissement de la longévité chez les femmes, celles-ci sont fortement représentées dans le groupe des 65 ans et plus.

* En 1977, 63% de la population âgée vit avec une pension de vieillesse et un supplément de revenu garanti.

Source : Forum des citoyens âgés de Montréal, Mémoire soumis à la Commission, janvier 1981.

La population âgée du Québec ressent de nombreux besoins éducatifs mais le réseau actuel de l'éducation des adultes semble très peu équipé pour y répondre. Par ailleurs la participation des personnes âgées à des activités éducatives est entravée par des problèmes de toutes sortes: exigences de préalables scolaires pour les personnes de plus de 45 ans, qui sont souvent faiblement scolarisées, faible revenu*, état de santé déficient (le taux des personnes handicapées s'accroît avec l'âge), difficultés de transport, fréquence des cours/semaine qui ne tient pas compte des conditions de la vieillesse, isolement social, pédagogie et « format » des cours inadaptés à leur réalité, locaux inadéquats, etc. Pourtant la formation reliée à l'emploi et la formation sociale et culturelle intéressent aussi les adultes âgés : ils en ont besoin, ils y ont droit et ils doivent y trouver leur place.

Le type de retraite qu'est appelée à vivre une personne est largement déterminé par le niveau et la nature des ressources (biens et potentialités) qu'elle a accumulées au cours de sa vie. Les études d'Anne-Marie Guille-mard(18) nous renseignent à ce sujet. La majorité des gens n'ont pas eu l'occasion au cours de leur vie active de développer leurs potentialités, ayant souvent assumé un travail d'exécution qui laisse peu ou pas de place à la créativité, l'initiative et la responsabilité. De plus, nombreuses sont celles que n'ont pu, à cause de leurs conditions de travail, accumuler suffisamment de biens et de revenus pour être à l'abri des soucis matériels: elles se retrouvent souvent au seuil de la retraite, en situation de pauvreté, leur santé délabrée. Pour cette population de travailleurs, la retraite signifie le « retrait », le repliement sur soi, centré presque exclusivement sur l'entretien de l'être biologique: une retraite donc à la fois inhumaine et coûteuse pour la société. Bien que l'accès à des activités éducatives dans les années de vie active (du moins celles qui précèdent la retraite) n'améliore pas forcément les conditions de vie des adultes (revenus, santé), il peut favoriser grandement le développement des potentialités et avoir ainsi des effets positifs sur le temps de retraite des personnes. Une telle approche s'avère essentielle dans les années à venir: l'individu y gagnerait en vivant activement sa retraite, sous le signe de la participation et de l'épanouissement, et notre société y gagnerait en réduction de coûts sociaux et en dynamisme social. La Commission entend, à cet égard, proposer des mesures susceptibles de favoriser à la fois un plus large accès aux ressources éducatives et une meilleure adéquation de ces ressources aux besoins des personnes âgées.

3.1.1.5 Les immigrants

Pour les immigrants : des barrières linguistiques et culturelles à abolir

Depuis 1945, 900 000 immigrants ont été admis au Québec. On estime que 40% d'entre eux n'y vivent plus. Il est difficile de caractériser de façon globale cette population, car elle se compose de groupes très divers. Le ministère de l'Immigration du Québec les regroupe sous trois catégories: 1) les immigrants indépendants (volontaires), 2) les réfugiés (la formation initiale peut ici varier beaucoup selon les groupes, mais on y retrouve souvent des taux élevés d'analphabétisme alliés à l'ignorance de la langue française) et 3) les familles immigrantes qui constituent, chaque année, le tiers des immigrants admis.

En ce qui concerne les immigrants, il faut tenir compte de problèmes tant sociaux qu'individuels liés au décalage entre les modes de vie des communautés ethniques et ceux de la société québécoise. À cause de sa situation particulière, cette population rencontre des problèmes spécifiques de formation.

Apprentissage du français à travers une formation globale

Pour plusieurs d'entre eux, la barrière linguistique est au départ un handicap de taille. Le mémoire du ministère de l'Immigration(19) du Québec indique que jusqu'ici le pouvoir d'attraction du français auprès des immigrants a été très faible. En réalité, il s'est avéré trois fois moindre que celui de l'anglais dans la seule région de Montréal, en dépit du fait que plus des deux tiers des Montréalais soient francophones. On considère, cependant, que l'apprentissage du français est, dans la plupart des cas, le principal outil d'intégration à la société québécoise. Contrairement à l'enseignement strictement linguistique qui avait traditionnellement cours, cet apprentissage se fait de plus en plus à travers une formation globale et porte sur la culture, les institutions et l'ensemble de la société québécoise. Certains immigrants déplorent néanmoins la trop courte durée de ces stages de 30 semaines et estiment qu'ils seraient plus efficaces s'ils étaient plus longs.

La situation est plus complexe lorsque les immigrants sont analphabètes dans leur langue maternelle. Des expériences intéressantes d'alphabétisation dans la langue d'origine se développent, particulièrement au sein de certaines communautés ethniques; d'autres projets sont envisagés dans le contexte même de l'apprentissage d'un métier. Pourtant, il est souvent difficile pour les immigrants peu scolarisés d'obtenir, par exemple, le diplôme de niveau secondaire exigé pour un emploi, ou d'obtenir des équivalences de scolarité. De plus, les immigrants se sentent fréquemment tiraillés entre les politiques fédérales et provinciales, et, au Québec, entre le ministère de l'Éducation et celui de l'Immigration. Généralement, une insuffisance d'informations sur toutes ces questions est ressentie.

Les restrictions budgétaires menacent les programmes de formation « sur mesure » des C.O.F.I.

Suite aux récentes réductions budgétaires, la capacité d'accueil des programmes à temps partiel et « sur mesure » est passablement réduite dans les C.O.F.I. (Centre d'orientation et de formation des immigrants). Le nombre de stages à plein temps y est aussi jugé insuffisant. Soulignons que, sur le plan des approches pédagogiques, on tente de développer de plus en plus dans les C.O.F.I. des formules « sur mesure » qui tiennent compte des besoins des diverses clientèles: apprentissage d'une langue en même temps que l'apprentissage d'un métier, stages en entreprise, approche concrète des problèmes, projet de cours pour les femmes immigrantes, « pool » de ressources auprès des communautés ethniques... Mais les restrictions budgétaires imposées par le gouvernement du Québec menacent sérieusement ces programmes.

Le ministère de l'Immigration du Québec aborde par ailleurs dans son mémoire l'épineuse question des relations fédérales-provinciales* concernant la formation des immigrants. Il en concluait que seul le retrait complet du gouvernement fédéral du système actuel de la formation professionnelle des adultes, avec pleine compensation financière, lui permettrait d'atteindre ses objectifs.

Importante intervention du gouvernement fédéral en ce domaine

* 90% de tous les montants dépensés en éducation des adultes auprès des immigrants au Québec provient du gouvernement fédéral.

Source: Ministère de l'Immigration du Québec, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, chapitre 4.

En effet, après bien des années d'expérimentation, il nous apparaît illusoire de croire que l'on pourra rejoindre les buts poursuivis par le Ministère en ce qui concerne la formation linguistique des nouveaux arrivants en se servant d'un instrument, la loi fédérale sur la formation professionnelle des adultes, qui ne cherche à atteindre que des objectifs économiques.(20)

Saisie de l'ensemble des problèmes qui concernent l'éducation des adultes immigrants au Québec, la Commission entend recommander des mesures touchant certains aspects de la formation des immigrants.

Nous avons constaté dans cette première section, qu'un grand nombre d'adultes rencontrent des difficultés d'accès à l'éducation dues à des conditions socio-économiques. C'est le cas des jeunes des milieux populaires qui quittent l'école sans bénéficier d'une formation de base solide et se retrouvent souvent sans emploi et sans grande perspective d'avenir. C'est le cas d'une importante proportion des travailleurs et des travailleuses du Québec, spécialement ceux et celles de plus de 35 ans, qui n'ont pu bénéficier des largesses des réformes scolaires de la « Révolution tranquille » et qui, par conséquent, sont relativement peu scolarisés et peu qualifiés face à une société qui exige de sa main-d'oeuvre des compétences de plus en plus poussées. Ces travailleurs et travailleuses sont le plus souvent les laissés-pour-compte des programmes de la formation reliée à l'emploi, certaines stratégies gouvernementales favorisant la formation de la main-d'oeuvre la plus spécialisée. La conjoncture économique actuelle a pour effet de multiplier le nombre des chômeurs et des bénéficiaires de l'aide sociale. Ceux-ci vivent une situation de marginalité et de pauvreté qui contribue à les éloigner des ressources de l'éducation des adultes. Les personnes âgées du Québec ne sont pas non plus « gâtées » par la société: l'éducation des adultes pourrait peut-être leur fournir une « troisième chance », ou même une « première » de se prendre en main et de vivre une retraite pleine et active. Finalement, nous suggérons que l'éducation des adultes apporte soutien et support aux populations immigrantes, qui affrontent de multiples difficultés d'adaptation et d'insertion sociale au Québec.

De plus, les catégories que nous venons d'identifier qualifient des situations non-exclusives qui souvent s'additionnent. En effet, dans la réalité, on retrouve, par exemple, des femmes immigrantes, analphabètes et peu qualifiées, etc.

La deuxième section, que nous allons aborder et qui traite de la discrimination dans le domaine de l'éducation des adultes, concerne des populations aisément identifiables à cause même des critères de différenciation dont on se sert pour effectuer la discrimination (sexe, nationalité, handicap physique...). Là encore, il ne s'agit pas de catégories exclusives, les « maux » pouvant là aussi s'additionner. Cependant, si on envisage d'apporter des mesures correctives efficaces en cette matière, il est tout-à-fait essentiel de bien saisir sur quoi repose la discrimination. C'est la raison pour laquelle nous avons cru bon de fonder les recommandations de ce chapitre sur une analyse de la situation des femmes, des personnes handicapées, des populations autochtones et des détenus face à l'éducation des adultes.

3.1.2 Les inégalités d'accès liées à la discrimination

La discrimination existe-t-elle dans le domaine de l'éducation des adultes? Si oui, comment se manifeste-t-elle, et comment doit-on la combattre? Ce sont quelques questions auxquelles la Commission a voulu trouver des éléments de réponse. La Charte des droits et libertés de la personne définit ainsi la discrimination: Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et des libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.(21)

Les mémoires et les dossiers soumis à la Commission, les témoignages recueillis lors de la consultation, les recherches et les résultats des sondages faits par la Commission ne laissent pas de doute sur la présence de pratiques discriminatoires dans le domaine de l'éducation des adultes, celles-ci n'étant bien sûr que le reflet d'une discrimination généralisée à tous les domaines de la vie sociale. Examinons d'abord la situation des femmes en éducation des adultes.

3.1.2.1 La condition féminine et la discrimination dans le domaine de l'éducation des adultes

Les choix éducatifs des femmes reflètent la division sexuelle des rôles dans la société

De nombreux mémoires et témoignages recueillis par la Commission ont fait état d'une discrimination sexiste qui s'applique à tous les champs de l'éducation des adultes. Le sondage sur Les adultes québécois et leurs activités éducatives est très révélateur à ce sujet. Bien que les femmes soient légèrement plus nombreuses que les hommes (57%/54%) à participer a des activités éducatives, cette différence en soi n'est pas tellement significative, car à l'analyse, on constate que les femmes ont inégalement accès aux différents types de formation et se concentrent surtout dans la formation sociale et culturelle. D'autre part, à l'intérieur d'un même type de formation, les hommes et les femmes se répartissent dans des domaines ou secteurs différents. En ce qui concerne la formation reliée à l'emploi, les femmes, qui représentent 14% contre 21% chez les hommes, se concentrent surtout dans les secteurs ventes et services (16% F,/7% H.), santé (12% F./4% H.), éducation (11% F./4% H.), langues (10% F./4% H.), alors que dans la formation sociale et culturelle, où elles représentent 25% contre 15% chez les hommes, elles sont davantage présentes dans les travaux d'aiguille (19% F./l% H.), les arts (21% F./10% H.), la vie domestique, 7% F./2% H.) que dans les activités se rattachant aux sciences pures (12% H. 13% F.) et aux sciences sociales (15% H./9% F.).

La participation des femmes à l'éducation des adultes semble donc bien refléter les cloisonnements sexistes de la société. L'éducation des adultes contribue même à renforcer ces divisions. Les choix éducatifs des femmes se modèlent sur les rôles sociaux qu'on leur attribue tout au long de leur vie  (responsabilité première des enfants, travail gratuit, métiers traditionnels, etc..)

Le droit à l'éducation est un droit pour toutes les femmes

Il existe ainsi un véritable « cercle vicieux » éducation-travail : la place des femmes sur les marchés de travail (emplois-ghettos, travail à temps partiel, accès limité...) et le maintien d'une importante proportion des femmes hors de tout travail rémunéré, expliquent et justifient un accès inégal et une participation différenciée en éducation des adultes. Il est important de réaffirmer que le droit à l'éducation est un droit pour toutes les femmes.

3.1.2.1.1 Une discrimination en éducation des adultes qui repose sur la division sexuelle des rôles dans la société

Jusqu'à maintenant l'éducation des adultes a, plus souvent qu'autrement, cantonné les femmes dans leurs rôles traditionnels. Afin que l'éducation des adultes ne soit pas un rouage de plus de cette discrimination, il importe « d'identifier » diverses manifestations du sexisme qui conditionnent les choix éducatifs des femmes. Nous examinerons dans un premier temps, la place des femmes dans la famille, dans l'école, et, d'une façon plus particulière, le rôle des services d'orientation. Dans un deuxième temps, nous analyserons la situation des femmes par rapport à leur emploi, que ce soit sur les marchés de travail ou à la maison, les besoins de formation qui en découlent, les difficultés et les obstacles que celles-ci rencontrent dans leurs projets éducatifs. La discrimination fondée sur le sexe s'illustre finalement par les choix éducatifs des femmes dans le domaine de l'éducation des adultes: les données de notre sondage nous permettent d'étayer cela.

a)    Les femmes et la famille

Les femmes ont encore la responsabilité première de la garde des enfants

Sans trop approfondir, nous ne pouvons cependant passer sous silence des facteurs de discrimination quant à l'accès à l'éducation des adultes qui trouvent leur source dans la place des femmes au sein de la famille. Notre société fait reposer encore très majoritairement sur les femmes la responsabilité de la garde et de l'éducation des enfants et l'absence de services de garde pénalise nombre de femmes. Il n'est donc pas surprenant de constater que 60% des femmes qui participent à la formation reliée à l'emploi n'ont pas d'enfants(22). Nous verrons également la charge que représente pour l'immense majorité des femmes le fait d'avoir à assumer une double et quelquefois une triple journée de travail. Toutes n'ont pas l'énergie de la « femme bionique » pour, en plus, participer à des activités éducatives.

Une dépendance financière justifiée par la place des femmes dans la famille

Non-reconnaissance de F expérience acquise au foyer

L'école concrétise une division des rôles sociaux basée sur le sexe

Tableau 12 : Répartition numérique et pourcentage des finissantes au secondaire V en formation professionnelle selon la spécialité Ensemble du Québec — 1976

Spécialités

Nombre

%

Réceptionniste

347

3,8

Secrétaire médicale

389

4,3

Secrétaire juridique

235

2,6

Secrétaire de service

1 805

19,9

Sténo-dactylo

1 380

15,3

Commis comptable

863

9,5

Commis de bureau

1 697

18,8

Opératrice informatique

44

0,5

Infirmière auxiliaire

924

10,2

Assistante dentaire

9

0,1

Coiffure pour dames

292

3,2

Coiffure pour hommes

46

0,5

Coiffure (général)

48

0,5

Esthétique

169

1,9

Couture

210

2,3

Dessin de patron

19

0,2

Aménagement intérieur

50

0,6

Horticulture ornementale

9

0,1

Total de ces spécialités

8 536

94,3

Autres

512

5,7

Grand total

9 048

100,0

Source: Lyse Frenette, Diplômés 1976, Document no 9.44, Direction des études économiques et démographiques, M.E.Q., août 1978. p. 143.

Par ailleurs, la femme qui demeure à la maison est le plus souvent dépendante financièrement de son mari, et hésitera avant de s'engager dans des dépenses supplémentaires pour sa formation. D'autant plus qu'actuellement, le droit à l'éducation pour les ménagères n'est pas socialement légitimé. En effet, la société québécoise est encore loin, par ailleurs, de reconnaître la valeur du travail effectué à la maison et la valeur des expériences ainsi acquises. Cette question, entre autres, sera abordée au chapitre 2 de la quatrième partie de ce présent rapport consacré à la reconnaissance des acquis.

b)    Les femmes et l’école

Relevant l'itinéraire scolaire des femmes, le mémoire du Conseil du statut de la femme(23) adressé à la Commission démontre les faits suivants: les filles ont tendance, dès le secondaire,  choisir des options professionnelles traditionnelles qui débouchent immédiatement sur le marché du travail*. On observe la même tendance au cégep. De 1972 à 1976, toujours moins de femmes que d'hommes terminent leurs études collégiales générales alors qu'au secteur professionnel leur proportion dépasse 62%. Au niveau des options choisies, les clivages traditionnels se reproduisent entre contingents masculins et féminins.

Tableau 13 : des diplômés universitaires des trois cycles au Québec en 1976

Secteurs

Hommes

Femmes

Sciences de la santé groupe médical

7.5

6,1

Sciences de la santé groupe para-médical

0.3

7,1

Sciences pures

12,5

7.7

Sciences appliquées

14.8

2.1

Sciences humaines

26,3

27.3

Éducation

11,6

26,8

Administration

20,7

7,1

Arts

2.0

4,8

Lettres

4,1

11,0

Total

100,0

100,0

(N =  11921)    (N = 8 133)

Source: Lyse Frénette. op. cit., p. 88

** Dans son mémoire qui s'appuie sur quatre ans d' expérience auprès de centaines de femmes à la recherche d'un emploi, Action Travail des Femmes maintient que les politiques actuelles des centres de la main-d'oeuvre du Canada ne font rien pour permettre aux femmes de sortir du ghetto des emplois féminins sous-rémunérés.

Source: Renée Rowan, « Les Centres de main-d'oeuvre feraient de la discrimination », dans Le Devoir, 3 août 1981, p. 11.

À l'université, la proportion des femmes diplômées passe de 42% au premier cycle à 23,2% au troisième cycle. Ces femmes s'orientent encore vers des secteurs bien précis*: sciences humaines, éducation, lettres, sciences de la santé où elles forment 93,7% du groupe para-médical. Rien d'étonnant à ce que l'on retrouve ces mêmes orientations générales dans le domaine de l'éducation des adultes. D'une part, l'école concrétise une division des rôles sociaux fondée sur le sexe et, en ce sens, elle prépare bien aux marchés de travail tels qu'ils existent actuellement; d'autre part, pour ce faire, elle continue à véhiculer les stéréotypes sexistes qui servent de justification à la discrimination.

c) Les femmes et les services d'orientation

Plusieurs insistent sur le rôle discriminatoire des services d'orientation. Incompétence et sexisme contribueraient à maintenir les femmes dans des emplois-ghettos, entravant leur accès à des métiers non traditionnels et à une formation pertinente pouvant y conduire. Conseillers en orientation et agents de main-d'oeuvre** jouent, selon certains, un rôle de courroie de transmission, qui a pour effet d'orienter les femmes selon les rôles que leur assigne la société.

Une étude récente sur les sources de discrimination en « counseling »(24) vient confirmer en grande partie les jugements portés ici sur les conseillers en orientation. Il apparaît, selon les nombreuses recherches auxquelles cette étude fait référence, que les conseillers portent des jugements discriminatoires sur les choix occupationnels des femmes. Cette situation a un impact profond sur les possibilités réelles qu'ont les femmes d'accéder à certains programmes de formation professionnelle. L'étude constate en effet que ... les conseillers traditionnels jugent les femmes ayant choisi la médecine comme étant psychologiquement moins adaptées que les hommes ayant fait le même choix (...). Les conseillers en général perçoivent les buts vocationnels conformes comme étant plus appropriés pour les femmes que les buts vocationnels déviants (Thomas Steward, 1971). Ils manifestent des attitudes discriminatoires dans leurs interventions auprès des femmes qui désirent entrer dans une occupation traditionnellement masculine (...), ils ont tendance à suivre les stéréotypes traditionnels des rôles des sexes pour le choix des carrières à explorer avec leurs clients (Young, 1974)...(25)

Au-delà des valeurs véhiculées par les conseillers d'orientation, il est indéniable que les institutions elles-mêmes, écoles, entreprises, etc., produisent leurs propres barrières et leurs propres mécanismes de sélection discriminatoires envers les femmes.

Mentionnons cependant que des efforts sont faits, notamment au niveau de certaines politiques fédérales de main-d'oeuvre, pour instaurer des mesures positives (du type contingentement) assurant l'accès des femmes à des métiers non traditionnels (ex. : mécanique de fabrication, boucherie, etc.).

Il ne fait pas de doute que plusieurs facteurs sociaux contribuent à enraciner les stéréotypes sexistes et à fonder la division sexuelle du travail. Nous avons mentionné le rôle que la société attribue aux femmes dans la famille, l'influence de l'école et des services d'orientation dont l'action est conforme généralement à des stéréotypes sexistes. Nous verrons maintenant comment les marchés de travail élaborent leurs propres mécanismes discriminatoires à l'égard des femmes, en tirant profit, et comment l'ensemble de cette situation conditionne en retour les choix éducatifs des femmes.

3.1.2.1.2. Les femmes sur les marchés de travail: caractéristiques et besoins de formation

  1. Les emplois-ghettos et la formation reliée à l'emploi
  2. La concentration des femmes dans des emplois-ghettos est une source majeure de discrimination qui entrave les possibilités d'accès des femmes à l'éducation des adultes, et particulièrement à la formation reliée à l'emploi.

    Plus la formation est reliée à l'emploi, plus les mécanismes d'accès sont sélectifs et limitatifs pour les femmes. Elles sont défavorisées au niveau de l'accès aux programmes de formation de type professionnel parce qu'elles sont cantonnées dans des ghettos qui demandent peu de formation et de perfectionnement. Le choix des options est plus restreint pour elles que pour les hommes, le perfectionnement n'étant possible que dans le métier exercé.

    La répartition sectorielle des femmes sur le marché s'est peu modifiée depuis les quinze dernières années. Elles sont largement concentrées dans des ghettos d'emplois : deux femmes sur trois se retrouvent dans des emplois où elles sont largement majoritaires et deux femmes sur trois se retrouvent dans dix catégories professionnelles, dont neuf se rattachent au secteur des services. Une femme sur quatre est soit sténo-dactylo, soit employée dans le secteur du vêtement et du textile, soit employée dans la vente. Ces emplois sont souvent moins bien rémunérés que dans d'autres secteurs d'emplois où les qualifications sont de niveau comparable.(26)

    De plus, du fait de leur présence très faible chez les cadres et dans les métiers spécialisés au sein des grandes entreprises, l'accès aux programmes de formation en cours d'emploi est limité pour elles (voir chapitre 3). À cause de ces situations, les femmes sont très souvent confinées à des programmes de formation qui sont aussi de véritables ghettos (secrétariat par exemple) et qui leur offrent peu de mobilité et de recyclage véritables.

    La concentration des femmes dans les secteurs du commerce et des services s'est accrue de 1971 à 1978: au total, ces secteurs rassemblent 60% de toute la main-d'oeuvre féminine en 1978

    * Pour plus de détails sur la Loi française de la formation professionnelle, consultez le chapitre 1 de la cinquième partie.

    Si les tendances actuelles se maintiennent, c'est-à-dire, d'une part l'accroissement important du taux de participation des femmes à la population active, et d'autre part, la concentration constante de cette main-d'oeuvre dans des secteurs économiques et des fonctions qui sont traditionnellement dévolus aux femmes, nous ne pourrons espérer que dans l'avenir les femmes auront un plus large accès à la formation reliée à l'emploi. À cet égard, l'exemple français vient montrer que malgré l'augmentation du nombre de femmes salariées, le nombre des femmes exclues du bénéfice de la Loi* de la formation professionnelle française augmente, notamment parce qu'un grand nombre de ces femmes travaillent dans de petites entreprises de moins de 10 employés non visées par la Loi.(27)

  3. Le travail à temps plein ou à temps partiel
  4. L'augmentation du travail à temps partiel et ses conséquences pour les femmes

    Un des faits les plus significatifs de l'évolution de l'emploi concerne la croissance très rapide du travail à temps partiel au Québec. En sept ans, les emplois à temps partiel ont augmenté de 60% ; ceux-ci sont occupés à 80% par des femmes. Ils se concentrent justement dans des secteurs traditionnellement réservés aux femmes: services socioculturels, commerciaux et personnels (51%), secteur du commerce (27,7%)(28). On dirait presque « un travail sur mesure » pour les femmes !. Le travail à temps partiel représente, en 1979, 18,3% des emplois des femmes (il était de 13,6% en 1975), contre 4,6% pour les hommes. Ces derniers ont en général entre 15 et 24 ans (70,3% des hommes) et sont principalement recrutés dans la clientèle étudiante. Il en est tout différemment des travailleuses à temps partiel dont 47,1% ont entre 25-34 ans et 31,5% entre 15 et 24 ans(29). Celles-ci sont généralement moins scolarisées que les travailleuses à temps plein : 60% ont moins de 13 ans de scolarité contre 49% pour ces dernières.

    Le travail à temps partiel entraîne un certain nombre de désavantages pour les femmes: la précarité de l'emploi (taux de chômage élevé, roulement de main d'oeuvre, insécurité, quasi absence de protection syndicale et de promotion), de mauvaises conditions de travail (alors que les emplois à temps partiel ne comptaient que pour 9,7% de l'emploi total en 1977, ils regroupaient cependant 55% de tous les travailleurs et travailleuses au salaire minimum au Québec.(30)

  5. Les salaires et les conditions de travail des femmes
  6. Les inégalités de revenu entre les hommes et les femmes sont fort prononcées. Les femmes sont moins présentes sur le marché du travail et elles sont plus durement frappées par le chômage que les hommes. Sur le marché du travail, leurs gains sont largement inférieurs: en 1977, 55% des femmes touchaient un salaire-horaire inférieur à 5,00$ alors que seulement 25% des hommes étaient dans cette situation. Dans de nombreux métiers et emplois de bureau d'appellation identique, les femmes ont le plus souvent un salaire inférieur. De plus, les écarts ont tendance à s'élargir plutôt qu'à s'amenuiser.(31)

    En 1977, les femmes occupaient 70% des emplois payés au salaire minimum. Parmi les conditions de travail qui influent sur les possibilités d'accès des femmes à l'éducation des adultes, signalons la syndicalisation restreinte des femmes* : 30% de la main-d'oeuvre féminine contre 36,6% de la main d'oeuvre masculine en 1976. Peut-être trouve-t-on là une partie de l'explication du fait que seulement 29% des femmes contre 36% des hommes avaient bénéficié d'un congé de leurs employeurs pour participer à une activité éducative.

    En 1978, le taux de chômage des femmes au Québec dépassait celui des hommes: 13,8% contre 11,9%. Il n'est supérieur à celui des hommes que depuis 1975. Cet élément indique là encore la fragilité de la main-d'oeuvre féminine, davantage sujette aux fluctuations des marchés de travail et à la déqualification.

  7. Le cumul des tâches et des responsabilités
  8. Le cumul des responsabilités familiales et d'un travail rémunéré représente un tour de force dans les circonstances actuelles : on peut à juste titre parler de la « double journée de travail », sinon de la « triple journée » quand on y greffe des activités de type social ou éducatif. En plus de subir au travail les désavantages d'une situation d'infériorité, les femmes ont encore largement la responsabilité de la bonne marche du couple, de l'éducation des enfants, etc. En l'absence de services collectifs (ex. cafétéria à l'école, garderies...), et avec les contraintes que lui impose un cadre de travail rigide (horaires...), on comprend aisément, comme nous le signalions au début de ce chapitre, que 60% des femmes qui participent à la formation reliée à l'emploi n'aient pas d'enfants.

  9. Bilan et prospective

    La main-d'oeuvre féminine est particulièrement menacée par les changements technologiques

    Les travailleuses font majoritairement partie de la main-d'oeuvre peu qualifiée, mal rémunérée, moins syndiquée, et donc particulièrement menacée par le chômage et la pauvreté. Peu de services de garderies sont disponibles et de plus en plus de femmes ont des emplois à temps partiel, ce qui dans les circonstances n'améliore pas leur situation sur les marchés de l'emploi. Famille, école, entreprise, service de placement et d'orientation..., tout concourt à cantonner les femmes dans des ghettos d'emploi. Il n'est pas étonnant de constater que la discrimination sexiste existe aussi en éducation des adultes. Tout porte à croire que les besoins de formation des femmes iront en s'accroissant dans l'avenir: augmentation importante du taux d'activité des femmes*, du nombre des femmes chefs de famille (199 000 en 1980 au Québec), instabilité économique, influence des revendications féministes. La dernière décennie aura connu une augmentation de près de 28% du taux de participation des femmes à la population active au Canada, et le Rapport Dodge estime que parmi les 2,6 millions de personnes qui s'ajouteront à cette population d'ici à 1990, 1,7 million, soit plus des 2/3  seront des femmes.(32)

Les femmes sont pauvres. Pauvres, jeunes, quand elles occupent des emplois moins bien rémunérés: pauvres, quand elles sont délaissées par leur mari avec charge de jeunes enfants; pauvres, quand leur conjoint est seul propriétaire des biens de la famille; pauvres, âgées, quand elles sont veuves, seules, la plupart du temps sans rente ou pension. Pauvres les femmes. Et plus la conjoncture est difficile, plus elles sont pauvres...

Source: Pauline Marois, « Les femmes ne peuvent faire la fête », dans Le Devoir, 26 novembre 1981, p. 17.

Tableau 14 : Nombre de syndiqués au Québec par secteur économique, en 1977

Primaire :

24 580

 

Hommes :

24 113   -

-   98.1%

Femmes :

467   -

-   1,9%

Secondaire :

317 048

 

Hommes :

258 973   -

-   81,7%

Femmes :

58 075   -

-   18,3%

Tertiaire :

508 637

 

Hommes :

293 030   -

-   57,6%

Femmes :

850 750   -

-   37,0%

Total

850 750   -

- 37,0%

Source: Bureau de la statistique du Québec.

Tableau 15 :  Taux de chômage selon le sexe Québec, 1973-1978

Année

Hommes

Femmes

 

%

%

1973

7,9

6,4

1974

7,7

6,3

1975

7,5

9,1

1976

8,1

9,7

1977

9,6

11,5

1978

11,9

13,8

Source: Pour les années 1973-74: Revue Statistique du Québec, B.S.Q., septembre 1975, Vol. XIV, no. 2.

Pour les années 1975-78: Statistique Canada, Cat. 71-529 Hors série Moyennes annuelles de la population active.

Tableau 16 : Taux annuel moyen de participation des femmes de 15 ans et plus, au Canada de 1970 à 1979

Les bouleversements technologiques qui se produiront, particulièrement dans les bureaux, les banques, par suite de la présence de plus en plus répandue de matériel micro-électronique, auront de graves répercussions sur la main-d'oeuvre féminine (voir le chapitre 3). Aussi la Commission se croit pleinement justifiée de sepréoccuper des chances d'accès des femmes au recyclage et au perfectionnement. A cet égard, l'expérience française (régression du pourcentage des femmes ayant accès à de la formation de type professionnel) devrait constituer une sérieuse mise en garde.

3.1.2.1.3 Les femmes à la maison et leurs besoins de formation

« dévaluée » socialement, tout comme le sont généralement les activités éducatives reliées à la formation sociale et culturelle, domaine justement où se concentre la majorité des femmes qui participent à des activités éducatives, qu'elles soient « à la maison » ou « au travail ».

3.1.2.1.4 Des difficultés d'accès à l'éducation des adultes propres à des groupes particuliers

Des catégories de femmes rencontrent des problèmes d'accès spécifiques: femmes « collaboratrices », bénévoles, etc.)

Lors du processus de consultation de la Commission, certains groupes de femmes ont fait état de problèmes d'accès à des programmes éducatifs.

Les femmes « collaboratrices » de leur mari, d'une part, expliquent qu'elles ont besoin, au fur et à mesure que l'entreprise se développe, d'acquérir de nouvelles connaissances et de meilleures habiletés notamment au niveau de la comptabilité, de la connaissance du marché, de la planification ou de la gestion. Or, très peu de programmes spécifiques existent pour répondre à ces besoins.

Le bénévolat n'est pas le monopole des femmes mais ce sont les organisations de femmes qui ont souligné les besoins éducatifs des bénévoles.

D'autre part, plusieurs organisations de femmes ont soulevé le problème des personnes bénévoles qui souhaitent devenir plus efficaces dans les rôles qu'elles ont à assumer (ex. : diriger une réunion, rédiger un procès-verbal, intervenir auprès d'une personne en difficulté). Très peu d'activités existantes peuvent répondre à leurs besoins. De plus, ces organismes font remarquer que les personnes bénévoles ne reçoivent pas toujours gratuitement une formation dont-elles auraient besoin alors qu'elles travaillent gratuitement pour les autres. De nouveaux programmes de formation devront sûrement aussi être mis sur pied pour répondre à ces besoins spécifiques. Mentionnons également, à titre d'exemple, le manque de formation du personnel des établissements et services qui s'occupent des cas de viol ou de violence faite aux femmes.

Conclusion: La discrimination sexiste s'incarne dans des choix éducatifs.

Une discrimination sexiste en éducation des adultes: les femmes ont inégalement accès aux différents types de formation; elles se concentrent en formation sociale et culturelle et généralement dans des secteurs traditionnellement féminins.

Sans avoir brossé un tableau absolument exhaustif des difficultés et des obstacles que les femmes rencontrent dans leurs projets éducatifs, nous croyons néanmoins pouvoir affirmer que la discrimination sexiste dont les femmes sont l'objet, que ce soit à l'école, au travail ou à la maison, conditionne les choix éducatifs de ces dernières dans le domaine de l'éducation des adultes. Leur volonté d'émancipation se heurte ici encore à des pratiques discriminatoires qui ont pour effet de maintenir la majorité des femmes dans les rôles traditionnels que la société leur attribue. C'est ce que démontrent les données du sondage que nous allons analyser plus en détail.

La discrimination fondée sur le sexe est particulièrement flagrante lorsqu'on examine la participation des femmes aux différents types de formation. Dans le domaine de la formation reliée à l'emploi, les femmes sont remarquablement moins présentes que les hommes (14% contre 21%). Ces femmes sont plus scolarisées que la moyenne de celles qui participent à des activités éducatives sociales et culturelles (80% ont plus de 12 ans de scolarité contre 61% dans l'autre cas). Une proportion beaucoup plus forte d'entre elles ont un emploi à temps plein (67% des femmes en formation reliée au travail contre 38% en formation sociale et culturelle). 20% de ces femmes (contre 5% des hommes) ont pour objectif de se ré-insérer sur les marchés de travail. En plus de la faible représentation des femmes dans la formation reliée à l'emploi, leur concentration est manifeste dans les secteurs qui leur sont traditionnellement dévolus: ventes et services, santé, éducation... La formation sociale et culturelle est par contre, nous l'avons mentionné au début de cette section, le domaine par excellence des femmes (25% contre 15% d'hommes).

La formation sociale et culturelle : un nouveau ghetto féminin?

La Commission s'est interrogée sur les raisons de la représentation importante des femmes dans le secteur de la formation sociale et culturelle, proportionnellement à celle des hommes, et sur les possibles barrières (occultes et évidentes) qui écartent les femmes des autres types de formation. La participation importante des femmes dans ce secteur témoigne, sans doute, d'une recherche (peut-être bien à tâtons) d'un nouveau projet de vie, recherche qu'il importe alors d'encourager, d'orienter et de faciliter.

Mais la formation sociale et culturelle ne serait-elle pas aussi un nouveau ghetto féminin? Non pas parce que les hommes n'y participent pas en plus grand nombre, mais parce que les femmes, majoritairement, ne semblent trouver leur compte que dans ce type d'activités éducatives généralement « déconsidérées » et non créditées. Il ne s'agit pas de remettre en cause la légitimité de ces activités, au contraire, mais de constater que pour les femmes en général, l'éducation des adultes n'a guère de lien avec les marchés de travail. La répartition des clientèles féminines et masculines dans les divers types de formation trouve sûrement son explication dans la perception qu'hommes et femmes ont de leurs rôles respectifs. Le clivage des clientèles témoigne donc de la division sexuelle des rôles sociaux. C'est sous cet angle que la participation importante des femmes aux activités éducatives de type exclusivement social et culturel est inquiétante: elle risque de renforcer un certain dilettantisme des femmes et de restreindre le rôle que l'éducation des adultes devrait être en mesure de jouer dans les projets de vie des femmes.

3.1.2.2 La discrimination envers les personnes handicapées dans le domaine de l'éducation des adultes

3.1.2.2.1 La situation des personnes handicapées au Québec

La situation des personnes handicapées au Québec : pauvreté et dépendance économique, chômage et discrimination dans l'accès à l'emploi, analphabétisme et sous-scolarisation, isolement et marginalisation

Tableau 17 Répartition des personnes handicapées de 18 à 65 ans

Personnes atteintes d'un handicap physique

 

%

Handicaps sensoriels

15 000

8,1

Handicaps moteurs ou organiques

60 000

32,5

Sous-total

75 000

40,6

Personnes atteintes d'un handicap mental

 

 

Déficience légère

91 188

49,4

Déficience moyenne

8 739

4.7

Déficience profonde

3 720

2,0

Troubles chroniques

6 000

3,2

Sous-total

109 647

59,3

Total

184 647

100,0

Source: Répartition approximative selon le Livre blanc intitulé « Proposition de politiques à l'égard des personnes handicapées ».

Il n'existe pas au Québec de recensement complet des personnes handicapées. De plus, on manque souvent de clarté dans la définition des différentes catégories de handicaps et certaines ne sont pas mentionnées dans les statistiques officielles. Pour sa part, la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées avance la définition suivante : Toute personne limitée dans l'accomplissement d'activités normales et qui, de façon significative et persistante, est atteinte d'une déficience physique ou mentale ou qui utilise régulièrement une orthèse ou prothèse ou tout autre moyen pour pallier son handicap.(34 )

Les quelque 185 000 adultes handicapés, répertoriés dans le Livre Blanc de « Proposition de politiques à l'égard des personnes handicapées »*, représentent 5% de la population adulte du Québec. Toutefois, l'ensemble de la population handicapée rejoint facilement le quart de million, si on ajoute aux adultes, les enfants et les personnes handicapées non recensées.

Tableau 18 : Nombre de bénéficiaires de l'Aide sociale adultes 18-64 ans ayant un quelconque handicap au 25 avril 1979, pour tout le Québec.

Catégories de handicap

Nombre

%

Handicap physique faible

17 698

15,7

Handicap physique moyen

34 698

30,7

Handicap physique élevé

20 140

17,8

Handicap psychologique

24 603

21,8

Autres

15817

14,0

Total

112 956

100,0

Source: Ian Zawilski, Points saillants des statistiques disponibles sur la population des personnes handicapées du Québec, Office des personnes handicapées du Québec, mars 1981, p. 10.

Tableau 19 : Répartition des répondants selon la scolarité (N = 5 256)

Niveau de scolarité

% de population

Primaire non-complété

26,0

primaire complété

12,4

Secondaire non-complété

31,5

Collégial et universitaire

9,3

Total

100,0

Source: Carmen Gendron. Inventaire des personnes handicapées. Centre de recherche et de statistiques sur le marché du travail. Service des études prévisionnelles. M.T.M.O., août 1981, p. 23.

61% des adultes handicapés bénéficient de l'assistance sociale, soit 113 000 personnes**: 30 000 reçoivent des pensions de la Commission de santé et sécurité du travail et 22 000 retirent des rentes d'invalidité de la Régie des rentes. Ces données démontrent l'étendue de la dépendance financière des personnes handicapées.

Quatre-vingt-dix pour cent des personnes handicapées aptes au travail seraient en chômage. Pour tous les intervenants en ce domaine, le problème de fond ici n'est pas principalement un problème de formation ou d'aptitudes, mais bien un problème de rejet et de discrimination de la part de la société qui refuse d'intégrer et d'accepter la personne handicapée avec tout son potentiel. Raymond Dionne affirmait dans un article à la revue Concurrence que des 180 000 handicapés physiques et mentaux en âge de travailler au Québec, moins de 20 000 sont inemployables dans un contexte ordinaire d'embauche.(35) La population handicapée est donc à peu près totalement exclue des marchés de travail. Et quand elle y accède, sa situation n'est guère facilitée: insécurité et ghettos d'emplois, absence de possibilités de promotion, traitements insuffisants, etc..

Une enquête récente (août 81), effectuée par le ministère du Travail pour le compte de l'Office des personnes handicapées du Québec(36), permet d'évaluer quelle peut être la situation des personnes handicapées quant à l'emploi. Parmi un groupe-cible de personnes aptes et disponibles au travail, on observe que celles-ci ont déjà travaillé ou souhaitent travailler dans des professions exigeant peu ou pas de spécialisation. La classification professionnelle des répondants reflète cette réalité: 16% sont des manutentionnaires, 14% des employés de soutien administratif, 12% sont dans le domaine de la fabrication, du montage, de la réparation, 10% dans les services et 19% n'ont pas été classés.

Cette situation s'explique principalement par deux facteurs: la faible scolarisation des personnes handicapées et leur peu d'expérience sur les marchés de travail. En effet, une grande proportion de personnes handicapées a dû interrompre son éducation formelle au niveau élémentaire et une plus grande proportion encore n'a pas terminé d'études secondaires. Parmi les jeunes de moins de 25 ans, 11,1% n'auraient aucune scolarisation.

L'enquête du ministère du Travail, effectuée auprès d'une population nettement plus favorisée que l'ensemble des personnes handicapées (elle comprenait des gens déjà en emploi, des étudiants de niveau post-secondaire, etc), a mesuré un degré de scolarité indéniablement supérieur à la moyenne de la population d'handicapés. En l'absence de données plus globales, ces chiffres sont néanmoins révélateurs: la formation scolaire des personnes recensées dépasse rarement le niveau secondaire (moins de 10%). En fait, 70% n'ont jamais terminé leurs études secondaires et 26% n'ont pas même achevé leurs études primaires.

Il est facile de constater qu'un désavantage, qu'il soit physique ou mental, vient rarement seul... Le handicap s'accompagne généralement de toute une séquelle que nos préjugés et notre inconscience ont beaucoup contribué à développer. Une attitude de rejet est le plus souvent à la base des multiples difficultés que rencontrent les personnes handicapées : isolement et marginalité, pauvreté, sous-scolarisation, etc.

3.1.2.2.2 Les inégalités et la discrimination dans l'accès à l'éducation des adultes

Les problèmes d'accès à l'éducation des adultes des personnes handicapées sont de plusieurs ordres: pratiques discriminatoires, important rattrapage scolaire, besoins d'apprentissage spécifiques, barrières financières, etc.)

Les personnes handicapées se butent à de nombreux obstacles lorsqu'elles veulent s'engager dans des activités éducatives. Certaines de ces difficultés renvoient carrément à des mécanismes et à des situations objectivement discriminatoires (exemple: absence d'aménagements physiques). D'autres tirent leur source de la condition socio-économique des personnes handicapées (imposant par exemple un lourd rattrapage scolaire), cette condition étant elle-même le résultat d'un processus discriminatoire. Il faut par ailleurs reconnaître aux personnes handicapées des besoins spécifiques, associés à des limitations physiques ou mentales, et développer les ressources appropriées pour y répondre. Nous tenterons de distinguer les problèmes relevant de l'accessibilité à des contenus et à des programmes de formation adéquats, ceux qui ont trait à l'insuffisance en ressources humaines qualifiées, et finalement les problèmes d'accès imputables à des barrières financières.

À toutes fins utiles, l'éducation des adultes est peu accessible aux personnes handicapées, qu'il s'agisse de formation générale, ou pis encore, de formation reliée à l'emploi. Mentionnons d'abord l' inaccessibilité physique de certains lieux; les personnes handicapées peuvent difficilement sortir de chez elles ou utiliser un système de transport adapté dont l'horaire concorde avec celui des cours; les locaux eux-mêmes ne sont pas toujours accessibles.

Les personnes handicapées sont souvent cantonnées dans des cours ghettos et réclament l'accès à tous les programmes de formation. De plus, on se sert trop souvent des cours sociaux et culturels, aux dépens de la formation générale ou reliée à l'emploi comme moyen « d'occuper les handicapés ».

Des critères d'admission rigides, non uniformisés d'une commission scolaire à l'autre, ne tiennent généralement pas compte des acquis et des expériences des personnes handicapées. Il est particulièrement difficile pour celles-ci de satisfaire certains préalables exigés (ex: diplôme). De plus, le quota de 15 personnes (il est encore plus élevé pour le groupe d'âge des « 20-25 » ans) pour l'obtention d'un cours dans les Services d'éducation des adultes (S.E.A.) est trop élevé pour les personnes handicapées. Des horaires et des calendriers fixes (durée de la formation ou des programmes) ne permettent pas l'adaptation à un rythme d'apprentissage personnalisé. L'absence ou le manque d'accès à de l'équipement spécialisé constitue un facteur déterminant pour une personne handicapée. Qu'il s'agisse d'un outil, d'une machine ou d'une aide spécialement conçue pour pallier à une déficience physique, le manque de matériel didactique approprié se fait grandement sentir. Des intervenants ont aussi souligné une inégalité d'accès accrue pour les personnes affectées d'un léger déficit au plan intellectuel. Outre les services scolaires offerts jusqu'à 21 ans, peu de services sont accessibles à cette population, qu'il s'agisse d'alphabétisation, de formation reliée à l'emploi, d'accueil et de référence ou d'éducation populaire. Les personnes handicapées souhaiteraient obtenir plus de renseignements sur la nature des programmes disponibles.

Des lacunes énormes en terme de formation reliée à l'emploi

* L'intégration des personnes handicapées à la vie économique est irréalisable, voire utopique, si tout n'est pas mis en oeuvre, à tous les niveaux, pour leur assurer une formation professionnelle de base qui faciliterait leur entrée sur le marché du travail.

Source: Conrad Bernier, « Pas d'intégration du marché du travail sans une formation adéquate », La Presse, 9 décembre 1981.

La plupart des intervenants du milieu ont affirmé devant la Commission que les programmes de formation reliée à l'emploi étaient pour la plupart inadéquats et que les personnes handicapées n'y avaient pas accès, et qu'on ne tenait pas suffisamment compte des réalités et des contraintes des marchés de travail pour celles-ci*.

Des participants à la « Table thématique travail », mise sur pied dans le cadre de l'opération « Vers une politique d'ensemble » par le ministère du Travail, de la Main- d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, proposent que soient organisées à l'intention des personnes handicapées des activités de pré-emploi, s'imbriquant dans d'autres activités d'intégration sociale: il pourrait s'agir à la fois d'activités visant le développement de l'autonomie de la personne, d'activités d'apprentissage reliées au monde du travail, de stages de formation en milieu protégé, etc.(37)

* Le mandat (du comité) est d'analyser les outils d'évaluation d'employabilité qui existent déjà, et de tenter d'en déterminer un ou plusieurs qui soient le mieux adaptés aux réalités des personnes handicapées face au marché du travail.

Source: Comité de l'évaluation des capacités de travail, Rapport préliminaire, annexe III dans ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, Opération Vers une politique d'ensemble, « Table Thématique Travail », août 1981.

Un des besoins essentiels des personnes handicapées à la suite d'un accident ou d'une maladie est celui du recyclage professionnel. Les programmes de recyclage doivent prévoir l'évaluation des capacités de travail et un équipement adapté aux besoins des personnes handicapées. Un comité d'évaluation des capacités de travail, formé en octobre 80 à l'Office des personnes handicapées du Québec, est d'ailleurs à la recherche de nouveaux modèles d'évaluation*.

L'acquisition de connaissances pratiques et courantes de la vie est aussi un besoin pour les personnes handicapées. Par exemple, l'utilisation de l'argent et les échanges économiques de tous les jours, la préparation du budget familial peuvent poser de sérieux problèmes aux personnes qui n'ont jamais été initiées à ces aspects de la vie quotidienne. Souvent, la personne doit apprendre à développer des méthodes compensatoires.

Les personnes handicapées sont particulièrement défavorisées au plan scolaire. En l'absence de programmes spéciaux visant à compléter la tâche du système scolaire « régulier » et à effectuer un certain rattrapage, les personnes handicapées risquent d'être continuellement reléguées à des activités éducatives « marginales ». L'accès à des programmes d'éducation de base pourrait constituer un moyen privilégié de rattrapage et favoriserait par la suite une intégration aux programmes « réguliers ».

Nécessité de modifier ou d'adapter les méthodes d'enseignement dans certains programmes.

Néanmoins, pour certains types de handicap, l'intégration aux programmes « réguliers » de formation des adultes nécessite des modifications ou des adaptations des méthodes d'enseignement. Celles-ci doivent aider la personne à compenser les limitations physiques ou mentales associées à son handicap. Par exemple, si une personne, affligée d'un handicap auditif, participe à un cours de formation, le formateur aura à s'assurer qu'elle garde un contact visuel ininterrompu avec lui, pendant toute la durée du cours, et devra faire connaître à la personne, par le moyen de la lecture sur les lèvres, les commentaires et les questions des autres participants qui sont placés hors de sa vue. Dans le cas d'une personne atteinte de déficience mentale, il faudra s'assurer que la présentation du cours ou d'une démonstration soit très claire et corresponde au niveau conceptuel de la personne handicapée. Ces exigences, on le devine aisément, posent des problèmes particuliers aux éducateurs d'adultes.

Des exigences supplémentaires pour les éducateurs d'adultes

Ainsi, peu nombreux sont les animateurs, les éducateurs et les personnes-ressources qui sont bien préparés à intervenir auprès des personnes handicapées. En effet, une description de la situation actuelle(38) nous indique que ces éducateurs sont soit des spécialistes du secteur « régulier » en enfance inadaptée, soit des généralistes qui possèdent comme caractéristiques le fait d'avoir beaucoup de bonne volonté et le désir d'intervenir auprès des personnes handicapées. De plus, plusieurs mémoires et entrevues nous ont permis de constater un manque de sensibilisation des éducateurs à la situation des différentes catégories de personnes handicapées. Ils ne bénéficient pas d'une préparation adéquate et ne connaissent pas les méthodes ou l'équipement qui pourrait bien souvent s'avérer utile.

Les personnes handicapées notent également qu'il existe peu de personnes disponibles, et capables de leur apporter du support dans les difficultés qu'ils éprouvent. Ces difficultés ne sont pas uniquement académiques; elles peuvent être d'ordre psychologique ou d'ordre social. Pour eux, les éducateurs ne peuvent, à eux seuls, les aider à assumer ces difficultés. Ceci nécessite la présence d'un personnel plus spécialisé et familier avec ces problèmes.

Finalement, plusieurs facteurs concourent à entraver les possibilités de formation des personnes handicapées: rigidité des programmes académiques, non-accès aux lieux de formation, pratiques discriminatoires, absence de matériel pédagogique adéquat, méthodes d'apprentissage trop peu personnalisées, manque de sensibilisation et de qualification des personnes-ressources... Ajoutons à ces facteurs une situation économique peu enviable.

La majorité des adultes handicapées au Québec sont bénéficiaires de l'aide sociale. Or, lorsque l'adulte handicapé devient admissible au régime d'aide financière du ministère de l'Éducation du Québec (prêts et bourses), il cesse de recevoir l'assistance dont il bénéficie jusque là, particulièrement en ce qui concerne certains services spéciaux de santé. Ainsi une personne handicapée en situation d'apprentissage, non seulement se retrouve encore sous rémunérée, mais en plus elle perd des avantages dont elle bénéficiait (par ex. : soins médicaux gratuits, médicaments gratuits, services de consultation gratuits, etc.). Le régime d'aide financière du ministère de l'Éducation du Québec prévoit, cependant, un certain nombre de mesures de soutien pour les personnes handicapées.

Des conditions financières à reviser

Dans le cas où une personne handicapée bénéficie d'un salaire excédant le seuil de sécurité du revenu établi par l'Aide sociale, la situation est la même; cette personne se voit exclue de toute une série de mesures de soutien (médicaments payés, transport pour soins, dentiste, optométriste, etc.). Sa situation financière peut donc se détériorer si elle se met à travailler.

Par ailleurs, le service des prêts et bourses du ministère de l'Éducation du Québec exige, avant d'étudier une demande d'aide financière, qu'un rapport d'évaluation en orientation scolaire et professionnelle soit fait. Une telle exigence équivaut à imposer aux personnes handicapées de faire cautionner leur démarche de « retour aux études » par un tiers. Cette exigence est en elle-même discutable si l'on considère de plus la qualité parfois relative, sinon subjective, des données que peuvent fournir les instruments psychométriques généralement utilisés à cette fin.

La Commission est d'avis qu'il faut s'attaquer aux problèmes d'accès des personnes handicapées aux activités éducatives en situant ces problèmes dans une perspective globale, respectant tout à la fois l'individu dans sa différence et l'insérant à part entière dans la société.

Le problème des personnes handicapées n'est pas principalement un problème de formation mais un problème de rejet et de discrimination. Il est temps que la société reconnaisse ses responsabilités et s'engage à corriger des inégalités flagrantes. La Commission entend ainsi se joindre aux efforts concertés qui se déployent à l'heure actuelle un peu partout au Québec.

En conséquence, les recommandations de la Commission rejoignent l'objectif d'intégration sociale des personnes handicapées et visent à assurer leur accès à l'éducation des adultes.

* Les autochtones indiens et inuit qui vivent à l'intérieur des frontières du Québec ne peuvent être perçus comme formant une ou plusieurs minorités, au même titre que celles dont les membres sont arrivés plus récemment sur le territoire.

Source : La politique québécoise du développement culturel, extrait du chapitre III, « Les autochtones », S.A.G.M.A.I., ministère du Conseil exécutif, Éditeur officiel du Québec, p. 5.

3.1.2.3 Les droits des populations autochtones et l'éducation des adultes

Si la Commission reconnaît que les populations autochtones du Québec, Amérindiens et Inuit, ont des droits spécifiques qui ne peuvent être assimilés à ceux des autres minorités culturelles ou ethniques(39), elle croit aussi que ces peuples ont le droit de réclamer les moyens de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle. *

Pour exercer ce droit et bien d'autres, les autochtones revendiquent le contrôle de l'administration de leurs affaires et de leurs territoires. À cet égard, les autochtones s'accomodent difficilement des politiques actuelles en matière d'éducation des adultes. Celles-ci ne leur donnent pas les outils nécessaires au maintien et au développement de leur culture. Au contraire, l'ignorance des valeurs, des cultures amérindiennes et inuit et des réalités nordiques, l'imposition de normes inadéquates, les règles de fonctionnement auxquelles doivent se conformer les commissions scolaires, l'imbroglio fédéral/provincial, le manque de ressources, etc. autant de facteurs qui entravent la prise en charge par les autochtones de leurs moyens de développement et d'épanouissement culturel. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une forme de discrimination en éducation des adultes.

La Commission est consciente qu'en ce qui concerne l'éducation des adultes autochtones, les problèmes enregistrés sont complexes et la situation parfois confuse. Les populations autochtones vivent clans des contextes et des réalités distinctes: conditions géographiques, sociales, politiques, économiques. Il faut éviter de simplifier à outrance et de schématiser ces questions en en faisant un amalgame douteux. Des contraintes légales découlant de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois s'ajoutent au dossier déjà lourd des conflits de juridiction fédérale/provinciale en la matière. L'entente a pour effet de définir deux mondes autochtones: l'un au nord du 55e parallèle, l'autre au sud (voir le tableau suivant). Par ailleurs, la plupart des expériences porteuses d'avenir réalisées dans le champ de l'éducation des adultes autochtones sont généralement dans une phase exploratoire.

Ceci dit, la Commission estime cependant qu'il lui revient de se prononcer, dans les limites qu'elle se reconnaît, sur les problèmes reliés à l'éducation que rencontrent les adultes autochtones.

D'une part, ces problèmes ne sont pas le propre à cent pour cent des populations autochtones, comme le démontre l'ensemble de ce rapport. En ce sens, les objectifs principaux qui définissent sa politique (accessibilité, transformation des pratiques pédagogiques, participation) trouvent ici un terrain spécifique d'application. D'autre part, l'occasion est propice pour la Commission de susciter chez les Québécois et les Québécoises une prise de conscience des réalités et des droits des populations autochtones en matière d'éducation des adultes.

3.1.2.3.1 Des réalités et des besoins spécifiques

Situation géographique et démographique des populations autochtones au Québec

Selon les chiffres du ministère fédéral des Affaires indiennes et du nord, 30 642 Indiens vivaient au Québec en 1975(40), ce qui constituait 10% de la population indienne du Canada. Cependant, ces chiffres excluent un nombre important d'individus en vertu d'une définition restrictive du statut d'Indien: est Indien celui dont le père est Indien au sens de la loi fédérale sur les Indiens. Ce qui amène le gouvernement du Québec, sur la base d'autres calculs, à évaluer pour sa part à 60 000 individus la population amérindienne de la province(41).

Les Amérindiens d'ici se rattachent à neuf nations: Cris, Montagnais, Mohawks, Algonquins, Attikameks, Micmacs, Hurons, Abénakis et Naska-pis. Ces nations se répartissent en 39 bandes correspondant à presque autant de villages indiens (35 réserves). Bien que possédant des caractéristiques démographiques, socio-économiques et culturelles semblables, les bandes indiennes vivent dans des contextes passablement différents, et leurs besoins au point de vue de la formation traduisent aussi cette réalité.

Tableau 20 : Localisation des bandes indiennes des postes esquimaux du Québec, 1976

Près de 35% des Indiens du Québec habitent les régions urbanisées du « Sud » (Hurons, Mohawks, Abénaquis et Micmacs), tandis qu'environ 65% se retrouvent dans les zones plus septentrionales et moins urbanisées (Attikameks, Montagnais, Cris et Algonquins), 25% de ces derniers habitant ce qu'il est convenu d'appeler le « Moyen-Nord » par comparaison au Grand-Nord.

Tableau 21 : Territoire du Nord-Ouest, 1970 taux d’accroissement naturel

Les Inuit, pour leur part, sont concentrés dans le Grand-Nord dont ils constituent 75% à 80% de la population totale. Leur nombre est passé de 2 000 en 1951 à 4 493 en 1976, ce qui signifie un taux d'accroissement naturel moyen de 25 pour 1 000 par an*.

La pyramide d'âge des populations autochtones au Québec reflète un fort taux de natalité accompagné d'une espérance de vie beaucoup plus faible que celle de la moyenne de la population québécoise. Ajoutons à ces faits que le taux de mortalité infantile est de 40 pour 1 000 chez les Indiens, 30 chez les Inuit, contre 20 pour 1 000 dans l'ensemble du Canada.

Tableau 22 : Population québécoise, indienne et esquimaude, par groupe d’âge, Québec, 1975

Lors d'un débat au comité permanent des Affaires indiennes du Parlement d'Ottawa, tenu le 12 juin 1975, le député Arnold Malone (Battle River) rapporta un fait troublant: alors que l'espérance de vie de la population canadienne en général est de 62 ans, celle-ci est de 36 ans pour les Indiens et de 20 ans pour les Inuit. Rappelons qu'en 1963, l'espérance de vie était encore moindre chez les Indiens, soit 33,31 (masculin) et 34,71 (féminin), comparativement à 60,5 et 64,1 chez les Blancs(42). Ces données s'expliquent par les conditions de vie difficiles dans les régions isolées (surtout celles du Nord) ainsi que par le manque de soins médicaux adéquats et facilement disponibles: la mortinatalité et la mortalité infantile y sont très élevées.

Lorsque le groupe d'étude fédéral sur l'évolution du marché du travail dans les années 80 estime que la population active autochtone croîtra quatre fois plus vite que celle du Canada dans son ensemble, il ne fait que rendre compte du taux très élevé d'accroissement naturel chez ces populations.

Tableau 23 : Taux de chômage par période saisonnière chez les hommes, Bas Mackenzie

Qu'en est-il de la condition socio-économique des autochtones? La Commission Laurendeau-Dunton indiquait que les populations autochtones arrivaient au dernier rang des groupes ethniques au Canada sur le plan du revenu. On doit ici apporter des nuances au concept de « plein emploi » développé par les sociétés industrielles. En raison de l'importance des activités saisonnières de chasse et de pêche, et des diverses occupations alimentant l'autoconsommation de ces populations, l'établissement du taux de chômage chez les autochtones doit tenir compte de plusieurs variables, comme en témoigne, à titre d'exemple, le tableau ci-contre. *

On doit aussi réaliser qu'il existe de nombreux contextes chez les populations autochtones. Même si l'abandon des activités de chasse et de pêche se généralise, il est loin de se faire partout, chez tous et au même rythme. Cependant avec l'accroissement de la population indigène on peut craindre que le déséquilibre habitants/ressources biologiques locales aille en s'accentuant. Les modes de vie se transforment également suite, surtout, au développement de vastes projets énergétiques dans le Nord.

Présentement, en fonction de l'emploi, l'on a classé les populations indigènes nordiques comme suit: peu d'individus quittent le Nord; une faible minorité est salariée à la blanche ; une plus forte minorité est encore engagée dans des activités traditionnelles ; une minorité grossissante dépend des allocations ; une majorité vit des diverses ressources précédentes, complémentaires saisonnierement.(43) Ces mêmes sources estimaient que le taux de non-emploi dans le Nord est démesurément élevé. Dans une région qualifiée « d'activé » (Bas Mackenzie), il était en 1972 de 50% chez les hommes. La Commission des droits de la personne établit à 33% le taux moyen de chômage des Amérindiens au Québec.(44)

Ceux qui ont un emploi rémunéré, le plus souvent sur une base temporaire, ont des revenus inférieurs à ceux des Blancs en général: à Fort Chimo au Nouveau-Québec par exemple, « le Blanc gagnerait 10 fois plus que l'Eski-mo »(45). Dans le Nord du Nouveau-Québec, où la population Inuit dépasse 80%, l'assistance fournie par les deux gouvernements est une source majeure de revenu pour au moins 40% des habitants.

On estime aisément que le coût par capita de l'assistance sociale versée aux Indiens est de 22 fois plus élevé que pour les non-Indiens. Ce tableau plutôt sombre est le résultat du principe « d'assistance aux nécessiteux » appliqué jusqu'ici par nos gouvernements. Ceux-ci ont préféré faire du « social supplétif » plutôt que de négocier avec les populations intéressées un réel projet de développement qui leur convienne. Dans l'ensemble, comme le remarque tout justement M. Hamelin, le Nord et le Moyen-Nord possèdent plusieurs des traits des pays sous-développés : Le développement des affaires a précédé la solution de la question des droits territoriaux ; l'accroissement de la population n'a pas été accompagné d'un développement semblable dans la productivité ; les systèmes traditionnels socio-économiques ont été en partie détruits ; les nouvelles activités ne sont pas intégrées et surtout finalisées dans l'intérêt propre de la région en besoin. Ainsi, le Nord pourra-t-il éviter le « développement du sous-développement » ?(46)

Ampleur de l'échec de l'intégration au système scolaire des Blancs

Nul besoin d'énumérer ici la liste des séquelles sociales (alcoolisme, incarcération, etc.) entraînées par la situation de rejet, de marginalité, d'aliénation culturelle, de pauvreté dont souffrent les populations autochtones. Mais sur le plan de l'école en particulier, l'ampleur de l'échec de l'intégration au système scolaire des Blancs est stupéfiant: 80% des enfants indiens redoublent leur première année et nombre d'entre eux y restent jusqu'à trois ans(47). Le Groupe de travail fédéral sur les perspectives d'emploi des années 80 révélait, d'après les données du recensement de 1976, que 50% des Indiens et des Inuit possédaient moins de 8 ans de scolarité et pouvaient alors être considérés comme analphabètes fonctionnels ou complets. À partir de pareilles coordonnées, il est facile de mesurer les difficultés d'adaptation des populations autochtones au système scolaire des Blancs, y compris dans le domaine de l'éducation des adultes.

3.1.2.3.2 État des problèmes reliés à l'éducation des adultes

En matière d'éducation des adultes, deux contextes structurels à distinguer

Comme nous le mentionnions précédemment, la Convention de la Baie James et du Nord Québécois a introduit énormément de changements dans l'organisation et la structuration de ce territoire. Sur le plan de l'éducation par exemple, la convention a créé les deux premières commissions scolaires autochtones au Québec et en Amérique du Nord: la commission scolaire Crie et la commission scolaire Kativik. Celles-ci ont la responsabilité de l'éducation des adultes sur leur territoire.

D'autre part, les réserves indiennes situées au Québec relèvent officiellement du gouvernement fédéral. De nombreuses ententes fédérales /provinciales ont cependant pour effet de transférer au Québec l'administration de plusieurs pouvoirs fédéraux (application de la loi de la formation professionnelle, par exemple). Le Québec s'est récemment doté, quant à lui, d'un Secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien et inuit (S.A.G.M.A.I.), responsable de l'élaboration des politiques gouvernementales et de la coordination des activités des ministères et organismes gouvernementaux (Arrêté en conseil du 18 janvier 1978). De nombreux intervenants au Québec, commissions scolaires, cégeps, Université du Québec (U.Q.A.C, par exemple), centres de formation professionnelle, divers ministères et organismes gouvernementaux, etc., sont concernés et ont mis sur pied divers programmes d'éducation des adultes autochtones. Nous avons donc affaire à deux contextes structurels renvoyant à diverses contraintes légales, qu'il importe de distinguer, même si les problèmes de l'éducation des adultes soulevés de part et d'autre ont des racines communes.

Des représentants des Inuit et des Indiens ont signalé à la Commission la nécessité de programmes respectant leur culture propre. Des Inuit ont besoin de plus de programmes de formation technique (ex : métiers de la construction, administration de coopératives) et de formation de base (formation académique, cours de langue seconde, nouvelles techniques de survie). Des Indiens ont des besoins de formation axée sur un développement économique spécifique (ex. : cours de tourisme, cours de développement économique pour les conseils de bande). Tous déplorent l'absence d'un niveau postsecondaire et la difficulté d'assurer une formation de qualité aux formateurs autochtones. Les populations amérindiennes insistent pour traiter d'égal à égal avec les commissions scolaires de leur région, et elles réclament la représentation des autochtones aux différents paliers de décision des organismes dispensant de l'éducation aux adultes.

Selon les Cris, cinq principaux facteurs nuisent à la prise en charge par les autochtones de leur développement social et culturel.

* cf. les articles 17 et 29 de la Convention

Les mémoires des Commissions scolaires Crie et Kativik soumis à la Commission s'entendent sur le diagnostic des problèmes de formation vécus par les adultes autochtones de leurs territoires. Au moins cinq principaux facteurs sont identifiés.

  1. Non-respect de la convention de la Baie James et du Nord Québécois qui devait leur assurer le contrôle de leur territoire et leur autonomie culturelle*. Ils exigent, pour ce faire, le contrôle de leurs services de formation et dénoncent les normes provinciales auxquelles ils sont soumis et qui ne reflètent pas la réalité du Nord: quotas d'étudiants, préalables et méthodes de sélection, allocation des ressources humaines et matérielles.
  2. Manque de soutien et de ressources pour planifier globalement et évaluer les besoins futurs.
  3. Manque de ressources humaines, matérielles, financières pour dispenser une formation adéquate au Nord: par exemple, lacunes dans la formation des maîtres, dépenses de voyage et allocations de séjour insuffisantes.
  4. Manque de coordination fédérale/provinciale, donc délais, malentendus, frustrations de toutes sortes.
  5. Manque de perception de la réalité nordique de la part des instances responsables en financement. Ignorance de la réalité culturelle, lorsqu'on ne tient pas compte du cycle saisonnier des activités traditionnelles de chasse et pêche dans la planification et la programmation des activités éducatives, lorsqu'on impose des calendriers, horaires, formulaires rigides et stricts ignorance   de   l'importance   des   facteurs   géographiques:   difficultés   de communication, transport, climat, etc.

On peut ajouter à cela une pénurie de programmes qui pourraient s'inscrire dans un plan de développement économique des régions visées.

Malgré tout, depuis quelques années au Québec, des efforts concertés se font dans le but d'appuyer la prise en charge par les autochtones de leurs activités de formation. Des tentatives et des expériences intéressantes ont pour objectif d'adapter et de construire des programmes de formation répondant aux besoins et à la réalité culturelle des autochtones.

La Direction générale de l'éducation des adultes, par exemple, situe ses interventions auprès de la population autochtone en fonction de quelques grandes orientations : « autochtoniser » la formation tout en évitant de créer des ghettos, faciliter et accorder son appui à la prise en charge des autochtones par eux-mêmes, décloisonner davantage les organismes impliqués dans le but d'obtenir une meilleure coordination et collaboration vers la réalisation de ces objectifs, etc.(48) La formation de divers comités de travail, depuis 1971, ont permis une plus grande sensibilisation aux problèmes des autochtones de la part des organismes qui interviennent dans le milieu (au moins vingt commissions scolaires, deux cégeps, une filiale de l'Université du Québec, ont réalisé diverses expériences de formation auprès des autochtones). Les travaux de concertation ont abouti à l'élaboration d'une série de cours ayant pour objectifs généraux la prise en charge, l'accès au marché du travail et la participation au développement socio-économique des réserves, des communautés et de leur environnement.

Des efforts concertés et des expériences intéressantes en phase exploratoire

À titre d'exemples, citons quelques expériences :

Plus récemment, des efforts ont été faits afin d'adapter certaines normes éducatives: ratio professeur/étudiants plus bas, durée plus longue des programmes, coûts supplémentaires, activités de formation au sein même des communautés, implication de formateurs autochtones...* Un programme d'aide existe également pour les organismes populaires (coopératives, comités d'éducation...).

Étant donné le faible taux de succès des activités de formation dans le passé, la D.G.E.A. estime que ce dossier est encore dans une phase exploratoire; il commence timidement à donner des fruits. La participation des principaux intéressés — les populations autochtones — à la définition des besoins, des orientations et des contenus des programmes de formation qui leur sont destinés, est maintenant reconnue comme une condition essentielle de réussite. En ce sens, on suit attentivement le cheminement d'une table de concertation récemment créée (janvier 1979) qui réunit les trois commissions scolaires du territoire nordique: Crie, Kativik et Nouveau-Québec, et la D.G.E.A. On estime que ce projet pourrait être le prélude d'une politique pour les autres communautés autochtones au Québec. Il devrait servir à apporter des « correctifs » à certains problèmes, mais surtout, on espère qu'il facilitera l'élaboration d'orientations et de plans de développement propres à ces populations.(49)

C'est en considérant l'ensemble du dossier qui a été porté à sa connaissance, que la Commission intervient dans cette question. Bien qu'il faille distinguer le contexte des commissions scolaires autochtones de la réalité vécue par les populations amérindiennes du « Sud », les problèmes de part et d'autre dans le domaine de l'éducation des adultes reposent en partie sur les mêmes éléments: trop de centralisation, manque de coordination entre les multiples intervenants, manque de planification régionale, imposition de normes inadéquates, etc. Au Sud, on peut davantage reprocher une méconnaissance des valeurs et cultures amérindiennes et le non-respect de l'autonomie et de la volonté d'autodétermination des bandes indiennes. Au Nord, les populations autochtones affirment que les accords de la convention de la Baie James ne sont pas appliqués. Des problèmes d'accès à l'éducation des adultes sont amplifiés par l'ignorance des contraintes physiques du milieu. La Commission est d'avis que les objectifs d'accessibilité, de transformation des pratiques pédagogiques et de participation qui caractérisent sa politique d'ensemble de l'éducation des adultes doivent donner lieu à des mesures particulières reflétant la spécificité des populations autochtones, plutôt qu'à l'extension à ces populations des dispositions générales prévues par ailleurs. Elle propose que ces mesures soient élaborées dans le cadre d'une collaboration étroite avec les populations autochtones et leurs représentants.

3.1.2.4. L'éducation des adultes en milieu carcéral: une autre situation de discrimination

A) L'éducation des adultes en milieu carcéral: une faveur et non un droit acquis

En milieu carcéral, la formation est un privilège, une faveur.

Au Québec en 1979, il y avait en moyenne 2 242 détenus dans 29 établissements relevant de la province, et 3 000 détenus dans 10 pénitenciers fédéraux. Les problèmes de discrimination dans l'accès à l'éducation des adultes peuvent se résumer à deux principales constatations. Premièrement, en plusieurs endroits, il ne se fait aucune formation ou à peu près. Deuxièmement, quand formation il y a, on y décèle des lacunes et des problèmes d'orientation très importants. La formation est trop liée aux objectifs du système carcéral. Conséquence majeure de cette situation: la formation répond à d'autres fins que celle de la motivation réelle des détenus. Par exemple, au lieu d'être un droit, la formation devient un privilège, une faveur, un élément pour négocier une libération. De plus, on peut constater, à travers les documents consultés et les entrevues, que ce sont exclusivement les autorités qui décident des objectifs de la formation et des programmes. Ce qui nous amène à constater qu'au Québec, les adultes incarcérés n'ont pas vraiment droit à l'éducation, alors qu'il s'agit là d'une population ayant des besoins vitaux de rattrapage (alphabétisation), de recyclage (apprentissage de métiers) et de socialisation en général (formation sociale et culturelle).

Dans les institutions pénitentiaires relevant du gouvernement provincial, les activités de formation sont quasi inexistantes

* Les prévenus sont des personnes qui attendent soit l'issue des procédures intentées contre elles, soit le prononcé de leur sentence.

B)    La situation dans les établissements de juridiction provinciale

Les établissements de juridiction provinciale sont en général petits, et la majorité des détenus y séjournent pour une courte période. Les possibilités, dans ce contexte, de s'inscrire à des cours et d'avoir accès à des ressources éducatives humaines et techniques sont minimes. Il se fait très peu de formation orientée vers un emploi éventuel et le travail effectué par les détenus n'a pas pour objectif l'apprentissage d'un métier. Les activités culturelles s'y font rares et sont conçues comme un moyen « d'évasion » et un « passe-temps ». Le sort de la formation générale n'est guère plus reluisant: absence de dépistage de analphabètes, quasi inexistence de formateurs à l'intérieur des prisons, insuffisance des bibliothèques, possibilités de suivre des cours par correspondance si le détenu en défraie les coûts (très peu le font).

Soulignons également qu'il n'existe aucune activité de formation dans les institutions de prévention alors que certains prévenus* peuvent y être incarcérés pour des périodes de 2-3 mois, un an et parfois plus.

La formation n'a jamais été une priorité (on pourrait même dire « un objectif») pour l'administration provinciale: l'idée de la formation des détenus n'est pas acquise dans la mentalité du personnel institutionnel. Pour certains, les cours à l'extérieur pourraient nuire au travail des détenus, l'essentiel consistant à inculquer une discipline de travail à ces derniers. De fait, certains règlements renforcent cet antagonisme travail/formation: il arrive même que le fait de travailler durant le temps d'incarcération, de gagner de l'argent soit étroitement lié aux possibilités de sortie qu'aura le détenu(50).

C)    La situation dans les établissements de juridiction fédérale

Institutions pénitentiaires de juridiction fédérale : 700 détenus sur 3 000 suivent de la formation en institution et 500 suivent des cours par correspondance

Les pénitenciers de juridiction fédérale sont obligés par la Loi et les règlements sur les pénitenciers d'offrir aux détenus des programmes de formation structurés. Le Québec compte deux pénitenciers à sécurité minimum, quatre à sécurité maximum et un « super-maximum ». Les possibilités de formation varient beaucoup d'un établissement à l'autre.

Les pénitenciers à sécurité minimum n'ont pas d'école à l'intérieur de leurs murs. Aucune formation de type professionnel ne s'y dispense et la formation sociale et culturelle y est à peu près absente (si on exclut quelques initiatives de personnes de l'extérieur). Les seules possibilités sont les cours par correspondance et les activités dispensées par la Télé-université.

Il se fait de la formation générale dans toutes les institutions à sécurité moyenne. On retrouve un nombre beaucoup plus élevé de détenus qui suivent des cours aux niveaux élémentaire et secondaire que des cours de niveau collégial. La formation de type professionnel est principalement dispensée au Centre fédéral de formation, bien que les autres institutions offrent également un certain nombre de cours. Quant à la formation sociale et culturelle, elle n'est guère élaborée, se réduisant à des activités qui se déroulent le soir.

Dans les pénitenciers à sécurité maximum, la formation occupe moins de place et on privilégie surtout la formation générale. Une seule institution offre des cours de formation professionnelle. Ici, les exigences sécuritaires restreignent encore plus les possibilités de formation des détenus. En général, les établissements de juridiction fédérale offrent davantage d'activités que les établissements de juridiction provinciale.

Absence de formation dans certains cas, restrictions importantes pour d'autres

D) Les problèmes reliés à la formation en milieu carcéral

Des mémoires, des témoignages d'intervenants et la recherche effectuée par la Commission d'étude sur la formation des adultes, font état de problèmes de taille en ce qui concerne la formation donnée en milieu carcéral (mis à part l'absence de formation comme telle).

Plusieurs estiment que la formation reliée au travail et dispensée en milieu carcéral n'est pas adaptée à la réalité des marchés de travail. En prison, on valorise le travail, la production industrielle à l'intérieur des murs. Ce secteur d'activité est généralement bien équipé, mais sert davantage les objectifs de rentabilité que de formation.

Par ailleurs, les détenus qui peuvent et désirent s'inscrire en milieu carcéral à un cours de formation dite professionnelle qui leur donnerait un diplôme du ministère de l'Éducation doivent souvent attendre qu'une place soit disponible. Ceci est dû à la norme de 15 et au contingentement. Certains d'entre eux se retrouvent dans une situation conflictuelle du fait qu'ils entreprennent un programme de formation tout en ayant fait une demande d'admissibilité à une libération conditionnelle. De plus, on éprouve des difficultés à faire reconnaître la valeur de ces cours et à établir des équivalences en terme d'acquis de formation. La formation sociale et culturelle est, quant à elle, partout dévaluée et le plus souvent fort réduite.

Plusieurs problèmes d'accès surgissent du fait qu'il est difficile, dit-on, de concilier les objectifs sécuritaires et les besoins de formation: accès à l'information, évaluation des dossiers, reconnaissance des acquis... La formation est très liée aux objectifs du système carcéral et ne répond pas souvent aux besoins réels des détenus.

Des problèmes ont également été soulevés en rapport avec le rôle des éducateurs. L'éducateur est d'abord considéré comme un « agent de la paix ». Cela entraîne des règlements et des conditions de travail peu compatibles avec un enseignement efficace.

Des problèmes propres aux établissements provinciaux et aux établissements fédéraux

En résumé, on constate qu'il existe de nombreux problèmes quant à la formation dans les établissements de juridiction fédérale et surtout provinciale de détention. Les problèmes spécifiques aux établissements provinciaux sont reliés soit à l'absence de formation, soit à l'impossibilité pour les détenus de sortir hors des institutions pour commencer ou poursuivre une formation, en dépit de la volonté exprimée dans les politiques administratives de ces établissements.

Quant aux établissements de juridication fédérale de détention, des programmes de formation existent, mais c'est surtout dans les établissements à sécurité moyenne.

L'absence de formation dans les établissements à sécurité minimum est liée à la vocation de service de ces établissements, les détenus servant de main-d'oeuvre pour l'entretien du complexe pénitentiaire.

Dans les établissements à sécurité moyenne et à sécurité maximum, les problèmes soulevés quant à la formation découlent en partie des exigences des structures carcérales, notamment les exigences sécuritaires qui limitent les possibilités de formation. Les objectifs de rentabilité financière du Service correctionnel canadien peuvent expliquer, selon certains, l'état de la formation, la production industrielle à l'intérieur d'établissements pénitentiaires étant favorisée souvent au détriment de la formation.

D'autres problèmes sont reliés à la formation des adultes dans ces établissements, soit ceux qui sont reliés à la motivation des détenus, au contenu des cours et à leur pertinence (reconnaissance, pertinence par rapport aux marchés de travail, méthodes pédagogiques, enseignement à distance) et au statut des formateurs. Dans ce dernier cas, l'existence de deux types de formateurs, soit ceux qui sont employés par le Service correctionnel du Canada et ceux qui le sont par les commissions scolaires, provoque des frictions quant à l'autonomie des formateurs et quant à la gestion des écoles à l'intérieur des établissements pénitentiaires.

Pour les détenus, l'éducation n'est pas un droit acquis car celui-ci est trop souvent contredit dans les faits. Les autorités pénitentiaires ne consultent pas les détenus en ce qui concerne l'éducation: aucune possibilité ne leur est offerte d'agir sur les programmes de formation en vertu de leurs aspirations et de leurs besoins. La Commission déplore particulièrement l'absence de mécanismes de dépistage des analphabètes et réitère sa volonté d'implanter le plus largement possible des programmes de formation de base. Il est de circonstance de rappeler ici un des objectifs de la Commission : le décloisonnement des formations (voir Chapitre 1, quatrième partie). En ce sens, la formation sociale et culturelle devrait trouver sa place en milieu carcéral : il est indéniable qu'elle pourrait apporter à ces adultes des outils et des moyens divers pour faire face à leur situation. On trouvera, à la fin de ce chapitre, certaines recommandations concernant le milieu carcéral.

Conclusion

Ce chapitre devait faire état des inégalités d'accès à l'éducation des adultes vécues par certaines catégories de la population. Nous nous sommes généralement attachés à décrire des conditions sociales, « être femme, être immigrant, être chômeur, » etc., qui sont la source de diverses situations d'inégalité d'accès à l'éducation des adultes. Dans certains cas, nous avons identifié des pratiques discriminatoires qui entraînent des obstacles supplémentaires à l'accès aux ressources éducatives.

Il est évident que les diverses conditions analysées ne se vivent pas, nous l'avons dit, de façon cloisonnée; au contraire elles auraient plutôt tendance à s'additionner ou à s'influencer (discrimination, pauvreté, chômage, analphabétisme, etc.). Cette approche nous a permis d'identifier le fait que des problèmes d'accès à l'éducation des adultes tirent leur source des inégalités sociales enracinées au Québec. La Commission a donc proposé une série de recommandations visant à engager des actions susceptibles d'apporter des correctifs à ces situations.

Recommandations

La Commission recommande:

Les inégalités causées par les inégalités sociales :

Les jeunes adultes

  1. Que l'articulation aux réalités des milieux visés devienne un élément important des politiques de programmes.
  2. Qu'afin d'assurer aux jeunes une formation de base plus articulée aux réalités du milieu, les directeurs et les éducateurs des écoles secondaires s'associent aux parents pour reviser les modes d'intervention et réduire au minimum l'approche disciplinaire et livresque des programmes actuels.
  3. Que l'on abolisse, en raison de la discrimination qu'il occasionne, le « professionnel court », au profit de programmes garantissant une formation de base solide et pertinente.
  4. Que les jeunes de moins de 25 ans, qui ont quitté l'école en ne possédant pas une solide formation de base :
  1. fassent l'objet d'une action prioritaire dans le cadre de la mission de formation de base mise en avant dans cette politique;
  2. aient facilement accès aux programmes d'intervention visant la formation préalable à l'emploi et l'orientation vers le milieu du travail ;
  3. que, dans ce contexte, l'on favorise les actions développées en milieu non scolaire qui peuvent rejoindre plus naturellement ces jeunes adultes.
  1. Que les employeurs soient sensibilisés à l'importance:
  1. de faciliter l'accès de ces jeunes à la formation;
  2. de leur assurer une formation en cours d'emploi leur permettant d'accéder à un métier.
  1. Que l'on favorise l'accès des jeunes chômeurs à des programmes de formation liés à l'emploi dans les métiers où il y a pénurie de main-d'oeuvre spécialisée.
  2. Que, dans l'esprit des recommandations portant sur le service communautaire, l'on encourage les jeunes de 18 à 30ans, qui ne fréquentent pas l'école et qui sont sans emploi, à s'inscrire au service communautaire.

Les adultes préretraités et retraités

  1. Que la formation reliée à l'emploi (recyclage, perfectionnement) soit accessible à tous les adultes, sans discrimination d'âge.
  2. Que les groupements de préretraités et de retraités menant effectivement des actions d'éducation soient admissibles à tous les programmes gouvernementaux d'aide financière s'adressant aux organismes volontaires d'éducation populaire.
  3. Que, de concert avec les groupements de préretraités et retraités, l'on développe des moyens efficaces d'information pour renseigner cette population  sur toutes  les possibilités éducatives existantes.
  4. Que les activités éducatives s'adressant aux préretraités et. aux retraités tiennent compte des disponibilités, des capacités et de la réalité des adultes âgés. Que les contenus, les méthodes et les pratiques pédagogiques (y compris le vocabulaire), de même que l'organisation matérielle (locaux, horaire, équipements),reflètent cette préoccupation.
  5. Que les programmes de formation à distance soient accessibles aux retraités.  Que l'information, l'encadrement et les droits de scolarité relatifs à ces programmes tiennent compte de la réalité de cette population.
  6. Que les groupes d'entraide bénévole, constitués au sein même de la population des préretraités et des retraités, aient accès à des activités éducatives leur fournissant une formation minimale pour assumer leur action volontaire; qu'on les associe à l'élaboration de ces' activités.
  7. Qu'en vue de favoriser l'autonomie des individus et des groupes visés, des efforts soient faits par tous les organismes concernés (municipaux, scolaires, de loisirs, des affaires sociales) pour rendre disponibles, au plus grand nombre de préretraités et retraités, des activités visant l'amélioration et le maintien de  la  condition  physique;  que  ces  activités  se  fassent en jonction avec des programmes de sensibilisation à la santé et à l'alimentation saine.
  8. Que les retraités soient reconnus comme ressources éducatives; que les écoles primaires et les écoles secondaires, entre autres,   fassent  appel  à  leur témoignage  auprès  des jeunes comme porteurs de la tradition orale, témoins des événements historiques québécois et véhicules de l'histoire locale.

Les immigrants

  1. Que, dans le cadre du rapatriement des divers programmes fédéraux de formation des adultes, les budgets afférents à la formation linguistique destinée aux nouveaux immigrants soient transférés au Gouvernement du Québec et harmonisés en fonction des besoins de francisation et d'intégration à la société québécoise.
  2. Que, selon les besoins et les situations des divers types d'immigrants, la durée des cours à plein temps puissent varier et dépasser les 30 semaines prévues actuellement; que, par la suite, des cours à temps partiel leur soient facilement accessibles.
  3. Qu'au terme de cette formation, une période de temps leur soit allouée, leur permettant, tout en touchant leurs prestations, de se trouver un emploi.
  4. Que l'on évalue dans les divers centres, le rendement des stages destinés aux immigrants, afin de vérifier l'atteinte des objectifs de la formation dispensée.
  5. Qu'après leurs stages dans ces divers centres, les immigrants puissent avoir accès à une formation pour ajuster leurs compétences aux réalités de notre marché du travail.
  6. Que les allocations de formation versées aux immigrants soient harmonisées  afin d'éviter les contradictions actuelles entre les objectifs de francisation et d'intégration par rapport à ceux qui sont reliés à la nécessaire obligation de se trouver un emploi pour vivre décemment.
  7. Que l'on prévoie des programmes de sensibilisation et des activités multi-ethniques, afin que les Québécois et les Québécoises soient mieux préparés à accueillir les immigrants.
  8. Que l'on favorise la recherche appliquée pour développer les méthodes d'enseignement appropriées aux immigrants et le perfectionnement en emploi des éducateurs d'adultes affectés à ces personnes.

Les inégalités d'accès liées à la discrimination

Les femmes

  1. Qu'on assure aux femmes des possibilités égales de développement personnel et professionnel, entre autres, par une« désexisation » des services d'orientation et d'information, par une « désexisation » également des normes d'admission, des contenus et des structures de formation.
  2. Que les documents d'information décrivant un programme de formation reliée à l'emploi soient expurgés de tout élément discriminant lié au sexe ou à l'âge de la personne.
  3. Que les différents ministères et organismes publics du Québec recourent aux média pour faire évoluer les mentalités dans le sens de la « désexisation » des rôles sociaux.
  4. Que soient développés des services, tels que des garderies dans  les  milieux  de  formation,  pour favoriser l'accès des femmes aux ressources éducatives, et que ce service soit considéré comme aussi important que les autres services de soutien à la formation.
  5. Que les critères de connexité d'emploi actuellement utilisés pour la formation reliée à l'emploi à temps partiel soient assouplis afin de permettre aux femmes qui le souhaitent de se former en vue d'un retour sur le marché du travail.
  6. Que des mesures d'action positive envers les femmes soient adoptées en ce qui concerne l'accès à des activités de perfectionnement au travail, notamment celles des catégories d'emplois habituellement laissées pour compte.
  7. Que l'ensemble des métiers soient accessibles aux femmes et que les employeurs soient incités par l'Etat à employer des femmes dans des métiers non traditionnels.
  8. Divergence d'opinion de madame Francine C. McKenzie

    Tout en souscrivant à l'intention égalitaire de cette recommandation, je ne crois pas qu'il faille en faire une mesure d'action positive.

    J'aurais tendance à préconiser le recours à l'État pour des mesures moins immédiatement productivistes et aussi, faut-il le dire, moins piégées en regard de V évolution de la condition féminine. Car, rien ne garantit que les plus ingrats de ces métiers dits « non traditionnels » ne seront pas, dans l'avenir, évacués par les hommes et principalement occupés par les femmes.

  9. Que l'on poursuive les programmes actuels de formation destinés à faciliter le retour des femmes sur le marché du travail.

Les personnes handicapées

  1. Que les programmes d'alphabétisation et de formation de base, tels que définis par la Commission, s'adressent particulièrement aux personnes handicapées concernées, et ceci dans une perspective d'intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées.
  2. Que les établissements scolaires se voient obligés de planifier et de réaliser progressivement l'accès aux lieux de formation, en y apportant les modifications architecturales nécessaires, et que l'on accorde les subventions financières nécessaires à cette fin.
  3. Que, progressivement, on vise à rendre disponibles et à adapter aux personnes handicapées les équipements pour la formation reliée à l'emploi dans les entreprises ou les établissements d'enseignement.
  4. Que soient disponibles, pour les personnes handicapées, des programmes de formation à distance, avec l'encadrement approprié; qu'on alloue, à cette fin, des ressources financières comparables à celles qui sont consacrées aux jeunes handicapés.
  5. Que les ministères et les instances intéressés lèvent les barrières freinant l'accès des personnes handicapées à la formation, telles que les pertes d'allocation, les délais indus, etc., les frais de transport et de séjour.
  6. Que l'on sensibilise les éducateurs à la réalité des personnes handicapées et qu'on les aide dans la nécessité d'adapter leurs approches et leurs méthodes éducatives auprès des personnes handicapées.
  7. Que les établissements éducatifs mettent à contribution les associations volontaires de personnes handicapées ou celles oeuvrant auprès d'eux, pour définir, élaborer et dispenser les activités éducatives destinées aux personnes handicapées.

Les populations autochtones

  1. Que, dans le cadre des orientations générales de la présente Politique, une politique particulière, tenant compte des contextes du Grand Nord, du Moyen Nord et du Sud, soit élaborée dans le respect des cultures propres aux populations intéressées.
  2. Que le Gouvernement constitue, à cette fin, un groupe de travail formé majoritairement d'autochtones, de leurs représentants et de spécialistes des différentes populations amérindiennes et inuit.
  3. Que, dans l'élaboration de cette politique particulière, le groupe de travail identifie les moyens à prendre pour assurer, sur un territoire aussi vaste,  une meilleure distribution des richesses éducatives et culturelles.
  4. Que, par ailleurs, le groupe de travail définisse la forme et les modalités que devraient prendre, en territoire amérindien et inuit,  les programmes d'alphabétisation et de formation de base.
  5. Qu'il élabore un modèle de formation à distance susceptible de permettre au Centre de formation à distance (C.F.D.) d'adapter ses interventions en fonction de la singularité des populations autochtones visées.
  6. Que, dans un souci d'harmonisation des politiques, l'on associe à ce groupe de travail un représentant de l'instance gouvernementale responsable de l'implantation de la présente Politique de l'éducation des adultes.

Les adultes dans le milieu carcéral

  1. Que l'on favorise l'utilisation des ressources communautaires de formation,  par le moyen de permissions d'absences temporaires, pour tous les détenus qui en font la demande et quine constituent pas un danger réel pour la société.
  2. Que l'on favorise en priorité l'accès des détenus à des programmes de formation de base, y compris ceux de l'alphabétisation; et que, pour y arriver, l'on prévoie des programmes de dépistage et une information adéquate.
  3. Que soient accrues les possibilités d'accès aux études collégiales et universitaires, de même qu'aux programmes de formation à distance.
  4. Que, dans l'esprit de la recommandation no 64, l'accès à des programmes de formation reliée à l'emploi soit prioritairement accordé aux détenus en voie de libération.
  5. Que l'accès aux possibilités de formation à distance soit facilité par une information adéquate sur ces possibilités, par une aide financière particulière (frais d'inscription, volumes, textes) et par l'assurance de l'accès aux formules d'assistance prévues pour ce type de formation.
  6. Que les administrations fédérale et provinciale de détention favorisent la formation des personnes incarcérées, en leur fournissant des locaux adéquats, favorables à l'étude, et en incitant leur personnel  à reconnaître et à respecter le droit de ces personnes à la formation.
  7. Que, lorsque des programmes de formation se réalisent au sein de l'établissement de détention, les personnes-ressources et les formateurs ne relèvent pas du système carcéral mais soient rattachés aux établissements d'éducation; qu'en ce sens, des protocoles d'entente (incluant des conditions de travail particulières pour les formateurs) interviennent entre les établissements de détention et la ou les institutions de leur région; que l'on distingue  la fonction  de  formation  de  la fonction  dite  de« sécurité », de façon à ce que celle-ci n'altère pas celle-là.
  8. Que chaque maison de détention voit à identifier des mécanismes appropriés favorisant la participation des détenus aux diverses étapes de la formation qui leur est destinée.

Notes

  1. Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives, Québec, 1980,annexe 2, Livre 2, p. 15.
  2. Patricia Cross, Adults as Learners, Jossey-Bass, San Francisco, 1981, p. 91.
  3. Danielle Riverin-Simard, Formation d'adultes et développement vocationnel de l'adulte (cycles de vie au travail), Université Laval, Québec, novembre 1980, 166 p.
  4. La participation aux activités éducatives diminue avec l'âge: 16% des femmes et9% des hommes y ont plus de 55 ans. 20% des adultes qui ne poursuivent pas d'activités  éducatives  évoquent des raisons de santé.   Source:  Sondage sur les adultes..., op. cit., p. 17, 90.
  5. Ibidem, p. 92.
  6. Ibidem, p.11.
  7. John Lowe, L'éducation des adultes: perspectives mondiales, Paris, Presses de l'Unesco, 1976.
  8. Réginald Grégoire, La formation et l'insertion des jeunes de 15 à 18 ans dans la société: un défi pour toutes les institutions, Synthèse d'une étude préliminaire, août1981, p. 2.
  9. Idem.
  10. Colloque 80: Les jeunes et le travail, Rapport, Montréal, 15-16 mars 1981,p. 97.
  11. Pierre-Georges Garneau, « Les jeunes et le marché du travail », Revue Le Marché du travail, vol. 1, no 1, M.T.M.O., mai 1980, p. 41.
  12. M.Girard,  H.   Gauthier et A.   Vinet, Les jeunes québécois et le travail, O.P.D.Q., 1978, chapitre 1, cité dans Pierre-Georges Garneau, op. cit., p. 41.
  13. Élan-Laval, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes,novembre 1980, p.2.
  14. Gouvernement du Canada, ministère de l'Emploi et de l'Immigration, Rapport du Groupe d'étude de l'évolution du marché du travail et du groupe de travail sur l'assurance-chômage, Communiqué du 7 juillet 1981, p. 1-2.
  15. Ibidem, p. 5.
  16. Gouvernement du Québec, ministère des Affaires sociales, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, décembre 1980, p. 6.
  17. Gouvernement du Canada, Rapports du Groupe d'étude..., op. cit., p. 8-9.
  18. Anne-Marie Guillemard, La retraite, une mort sociale, Mouton, Paris, 1972.
  19. Gouvernement du Québec, ministère de l'Immigration du Québec, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, 1980, p. 19.
  20. Ibidem, p. 59.
  21. (21 ) La Charte des droits et libertés de la personne et la Commission des droits de la personne, Éditeur officiel du Québec, Loi 50, art. 10, p.7.
  22. Sondage sur Les adultes...op. cit., p. 29, 47.
  23. Gouvernement du Québec, Conseil du statut de la femme, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes, 1981, p. 7-13.
  24. Louise Landry, Les sources de discrimination des sexes en counselling, communication au Colloque des 12-13 mai 1981 sur « La recherche sur les femmes » à Montréal, tiré d'un mémoire de maîtrise en orientation à l'Université Laval.
  25. Ibidem, p. 12.
  26. Gouvernement du Québec, Conseil de planification et de développement du Québec, Les inégalités socio-économiques et le marché du travail, mai 1981, p. 23.
  27. C.E.R.E.Q., « Statistiques de la formation professionnelle continue financée parles entreprises », tirée de Actualités du travail des femmes, ministère du Travail et de la Participation, Paris, mai 1980, no 24, p. 4-5.
  28. Viviane Acora et Robert Lachapelle, Le travail à temps partiel au Québec:quelques aspects socio-économiques, Services des études prévisionnelles, ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre, Québec, septembre 1980, p. 4.
  29. Jacinthe Bhérer, Le travail à temps partiel, Secrétariat général à la condition féminine, 26 mars 1981, p. 4, 5 et 6.
  30. Ibidem, p. 7.
  31. Gouvernement du Québec, Conseil de planification et de développement du Québec, op. cit., p. 10.
  32. Rapports du Groupe d'étude...op.cit., p. 2.
  33. Sondage sur Les adultes...op. cit., p. 48, 65, 78, 87.
  34. Comité provincial de formation aux personnes handicapées, Éléments pour une politique provinciale d'intervention éducative auprès des personnes handicapées ,document soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, mai 1981,p. 11.
  35. Raymond Dionne, « Embaucher un handicapé, c'est rentable », Revue Concurrence, novembre 1977, p. 13.
  36. Carmen Gendron, Inventaire des personnes handicapées, Centre de recherche et de   statistiques   sur  le   marché  du  travail,   Service  des  études  prévisionnelles, M.T.M.O., août 1981, p. 131.
  37. Ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, Opération « Vers une politique d'ensemble, « Table Thématique Travail », rapport d'étape:Inventaire des besoins et des ressources, août 1981, p. 22.
  38. Les adultes handicapés et l'éducation au Québec, recherche effectuée par la Commission d'étude sur la formation des adultes, août 1981.
  39. La Commission des droits de la personne du Québec réaffirmait, dans son mémoire à la Commission parlementaire de la justice chargée de la révision de la charte des droits et libertés du Québec, la nécessité de reconnaître sans ambiguïté les droits spécifiques des autochtones. Cf. Francine Fournier, « La Charte québécoise des droits », Le Devoir, 1er septembre 1981.
  40. Annuaire statistique du Québec, 1977-1978, p. 306.
  41. La politique québécoise du développement culturel, extrait du chapitre III, « Les autochtones », S.A.G.M.A.I., Éditeur officiel du Québec, 1980, p. 6.
  42. Direction des affaires indiennes, Mémoire présenté à la Conférence fédérale-provinciale sur la pauvreté, cité dans Jean Beaudoin, Recherches amérindiennes du Québec, vol. 6, nos 3-4, 1977, p. 19.
  43. Louis-Edmond Hamelin, Nordicité canadienne, Hurtubise, H.M.H., Québec 1980, p. 309. Traduction libre à partir de H.B. Haythorn et alii, dans Science and the North, édité par K.R. Greenaway, Ottawa, 1973, p. 37.
  44. Jean-Pierre Proulx, « Pour améliorer la Charte des droits », Le Devoir, 8 octobre 1981, p. 12.
  45. J. Malaurie, Rapport produit dans le cadre de la Commission franco-québécoise pour les problèmes nordiques, Paris, 1972, p. 25, cité dans Louis Edmond Hamelin,op. cit., p. 314.
  46. Louis-Edmond Hamelin, op. cit., p. 285.
  47. Jean Beaudoin, op. cit., p. 20.
  48. Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, Rapport du Groupe de travail sur les orientations du Comité de liaison sur la formation des adultes autochtones, 29 avril 1977, p. 29.
  49. Raymond Blanchet, Formation des adultes autochtones, Direction générale de l'éducation des adultes, texte ronéotypé, 1981, 12 p.
  50. La formation des  adultes  en  milieu  carcéral,  recherche  effectuée  par  la Commission d'étude sur la formation des adultes, annexe 4, partie II, chapitre 2,1981.

Chapitre 2

3.2 Les inégalités d'accès qui relèvent du milieu scolaire

L'éducation des adultes est-elle une galère ou une bouée de sauvetage?

Introduction

Comme nous le signalons au début de ce rapport, durant les années 60, ils étaient nombreux ceux qui voyaient dans la démocratisation de l'éducation, l'option la plus prometteuse en vue d'une plus grande égalité sociale. Mais, 15 ans plus tard, on constate que les espoirs suscités par la réforme scolaire au Québec ne se sont que partiellement réalisés et que des remises en question s'imposent: le contenu de l'enseignement est contesté par un nombre grandissant de personnes ; la validité de certains diplômes est remise en cause; et le discours sur la promotion sociale par l'école est beaucoup moins optimiste. On ne demande plus à l'école de faire en sorte que l'éducation soit la variable-clé permettant de réduire les inégalités sociales, mais seulement de poursuivre l'objectif de « l'égalisation des chances éducatives »(1). En d'autres termes, on reconnaît de plus en plus que le discours sur l'égalité des chances est trop idéaliste, et qu'il serait utopique de croire que l'école puisse à elle seule relever ce défi. Pour qu'elle joue pleinement son rôle dans le développement de la société québécoise durant les années 80, il ne s'agit plus de créer les mêmes illusions qui avaient cours durant les années 60 car, rien n'a provoqué autant d'attentes et entraîné autant de déceptions que l'enseignement. On y a vu une panacée ; on lui a demandé de résoudre presque tous les problèmes. On l'a investi des responsabilités dont voulaient se décharger les familles, les églises, les associations de toutes sortes. Il n'est pas étonnant qu'après avoir suscité d'aussi considérables attentes, le système d'enseignement soit si cruellement critiqué et contesté. On lui reproche souvent de ne pas avoir donné ce qu'il ne pouvait apporter et d'avoir provoqué ce que l'on avait voulu éviter.(2)

On reproche surtout au système scolaire de ne pas fournir les bases nécessaires à la participation des individus et des groupes à la vie sociale et économique de leur collectivité; d'avoir privilégié et valorisé les disciplines intellectuelles au détriment des disciplines manuelles; et, enfin, de reproduire les inégalités sociales à travers des mécanismes « méritocratiques »(3). Que l'on pense aux processus de sélection et d'élimination utilisés par l'école qui, en excluant ceux et celles qui n'ont pas les aptitudes requises ou légitimes, renforcent très souvent les différences entre les couches sociales. Ce sont encore, dans de nombreux cas, les mieux nantis qui accèdent à l'université(4) et les plus défavorisés qui font un secondaire court professionnel.(5)

« Ce relatif échec de l'école » vis-à-vis de l'égalité des chances et de l'accès des jeunes à l'éducation n'est pas sans avoir des effets d'entraînement sur l'accès des adultes à l'éducation et, particulièrement, sur la formation offerte par le milieu scolaire. Il appert que les « drop-out », ceux que l'école a rejetés ou qui ont rejeté l'école, pour diverses raisons, demandent, bien souvent, à l'éducation des adultes de les dépanner. Bien des jeunes ont interrompu leurs études secondaires et ont attendu « d'avoir l'âge » pour s'adresser aux services d'éducation des adultes des commissions scolaires et des cégeps, plaçant en ceux-ci leurs espoirs de seconde chance. Par ailleurs, les clientèles adultes, selon leur scolarité et leur classe sociale, s'inscrivent aux mêmes programmes que les jeunes des mêmes classes sociales.(6)

Nous verrons donc, dans ce chapitre, comment le système scolaire québécois contribue à maintenir des inégalités d'accès à l'éducation des adultes. Et, plus spécifiquement, comment l'école, d'abord conçue pour la formation des jeunes, entrave l'accès des adultes à l'éducation en restreignant l'accès aux ressources techniques et humaines et l'accès aux services et aux programmes de formation. Enfin, nous présenterons les problèmes liés aux ressources financières comme autre élément discriminant en ce qui concerne l'accès à l'éducation des adultes.

L'éducation des adultes se fait, bien souvent, en marge du système scolaire.

Selon le projet de Loi no 71, modifiant de nouveau la loi sur l'Instruction publique et sanctionné le 21 décembre 1979. Il appert que:

484.  Une commission scolaire ou une commission régionale peut pourvoir à l'organisation de cours d'études à des personnes autres que celles visées dans l'article 33 (qui couvre les enfants de 5 à 16 ans).

À cette fin, /'engagement d'un enseignant peut être fait, nonobstant l'article 200, pour moins d'une année scolaire.

19e De s'assurer que les écoles dispensent aux enfants soumis à leur compétence et aux adultes domiciliés dans leur territoire des services éducatifs et culturels en conformité des dispositions de la loi et des règlements, et leur en assurer l'accès;

21e De participer, dans les domaines de leur compétence, à la réalisation de projets communautaires de leur territoire ;

23e D'informer la population de leur territoire des services éducatifs et culturels qu'ils offrent.

L'école est un système clos conçu essentiellement pour la formation des jeunes. Bien que le Rapport Parent ait recommandé, il y a déjà 15 ans, que la (responsabilité de l'éducation permanente)(7) aux niveaux de l'enseignement élémentaire, secondaire, pré-universitaire et supérieur soit confié aux différentes institutions scolaires correspondantes, les cégeps et la plupart des universités n'ont toujours pas le mandat explicite d'assurer l'enseignement aux adultes, alors que la Loi 71 (1979) donnait, pour la première fois de façon timide cependant, un mandat d'éducation des adultes aux commissions scolaires. La Loi 25 sanctionnée le 22 juin 1979, qui modifie la Loi des collèges d'enseignement général et professionnel, sans spécifier le mandat des collèges relativement à l'éducation des adultes, accorde aux adultes une place de représentant au conseil d'administration des collèges (art. 8, paragraphe C). Par ailleurs, si la formation des jeunes est presque entièrement assurée par l'école, l'éducation des adultes n'est pas, quant à elle, le monopole du système scolaire et de ses niveaux d'enseignement. L'éducation des adultes est présente, à des degrés divers, dans toutes les sphères d'activité de la société et, pour cette raison, elle est plus apte que l'école au changement, elle est capable d'une écoute plus attentive du quotidien et du contemporain. Une liaison étroite entre l'éducation des adultes et l'école serait donc à la fois une chance et un risque pour la première : chance de se doter de moyens plus importants, risque de se dissoudre dans l'école : pot de terre contre pot de fer.(8)

Or, présentement, en dépit de l'institutionnalisation de l'éducation des adultes, celle-ci demeure encore marginale dans le système éducatif québécois. Il y a peu ou pas de reconnaissance des acquis non scolaires de l'adulte, les approches pédagogiques sont peu adaptées à sa réalité, les services administratifs et techniques sont difficiles d'accès, etc. En d'autres termes, on attend davantage de l'adulte qu'il s'adapte au milieu scolaire que l'inverse.

3.2.1 Le difficile accès aux ressources techniques du système scolaire

3.2.1.1 L'accès aux ressources techniques pour l'étudiant adulte d'un établissement scolaire

Heures d'ouverture: du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 13h30 à I7h

L'adulte qui fréquente l'école secondaire, le cégep ou même l'université, le soir ou les fins de semaine, rencontre des difficultés d'accès aux ressources éducatives que ne connaît pas le jeune ou l'étudiant adulte inscrit à plein temps le jour, durant la semaine (quand cette possibilité est offerte à l'adulte).

Les heures d'ouverture des bibliothèques, des centres de documentation ou des services de l'audiovisuel, des cafétérias, par exemple, ne tiennent compte, dans de nombreux cas, que de la réalité de l'étudiant « régulier » qui suit les cours du jour. Par ailleurs, quand des efforts ont été apportés, en termes d'horaires, pour s'adapter à la réalité de vie de l'adulte, trop souvent ce sont les services d'information, de soutien à la recherche bibliographique, etc., qui ne sont pas assurés, faute d'un personnel supplémentaire et de ressources financières suffisantes consacrées à ces services.

Il en est de même du soutien administratif de certains établissements scolaires (universités) qui ferment leur secrétariat à 17 heures, forçant l'adulte inscrit aux cours du soir à quitter son travail une heure ou deux plus tôt pour signer un formulaire, se procurer un plan de cours, récupérer ses travaux ou des textes polycopiés. Bref, du personnel pour assurer ce service serait le minimum à offrir aux adultes inscrits dans ces établissements.

De plus, les récentes coupures budgétaires dans le domaine de l'éducation ont eu pour effet de réduire encore davantage ces services à la population étudiante. Nous ferons état de ces coupures dans le chapitre traitant du financement (troisième chapitre de la sixième partie).

3.2.1.2 L'accès aux ressources techniques pour les adultes non inscrits dans les établissements scolaires

Avez-vous votre carte d'étudiant?

La plupart des établissements scolaires se font un devoir de posséder leur propre bibliothèque, leur propre matériel audiovisuel, etc. Dans les universités, non seulement la plupart des facultés possèdent leur bibliothèque, mais nombreux sont les départements qui ont mis sur pied leur centre de documentation. Ces services sont rarement ouverts après 17 heures et encore moins en fin de semaine. Or, non seulement de nombreux étudiants adultes n'y ont pas accès, comme nous l'avons mentionné précédemment mais, en plus, les services de prêt du matériel ou des volumes sont, dans la plupart des cas, réservés exclusivement à la clientèle étudiante dûment inscrite à l'établissement scolaire en question.

Pourquoi ne pas ouvrir les portes de la bibliothèque et le centre audiovisuel à toute la population jeune et adulte du quartier qui désire utiliser les ressources du milieu pour ses activités éducatives? La démocratisation de l'éducation passe par la démocratisation des ressources éducatives et par une utilisation optimale de ces services. Une bibliothèque bien équipée par quartier, ouverte, à toute la population durant les fins de semaine, et jusqu'à 22 heures ou 23 heures, dotée d'un personnel compétent et disponible, contribuerait à réduire les inégalités d'accès à ces lieux de « savoir ».

Mais il n'y a pas que l'accès à la bibliothèque et au centre audiovisuel qui est revendiqué par les adultes. Une simple salle de classe, pour des réunions d'information, des stages ou des réunions de fin de semaine dans le cadre d'activités éducatives sans but lucratif, de type syndical, communautaire ou associatif, est souvent très difficile à obtenir. Pour décourager les demandes, d'ailleurs, on impose des tarifs, parfois, élevés ou tellement de formalités administratives qu'il faut être fortement entêté pour maintenir sa demande. Il est souvent plus facile de louer une salle dans un hôtel que d'espérer avoir un local (non utilisé par ailleurs), une fin de semaine ou un soir, dans un établissement scolaire. Cette difficulté d'accès devient insurmontable, lorsque le groupe qui fait une demande de ce genre n'est pas un groupe formellement et « officiellement constitué », car les autorités de l'institution ne sauraient qui blâmer s'il advenait que le dit groupe endommageât des biens appartenant à l'institution.

Cependant, nous ne pouvons pas dire que cette situation est identique dans tous les établissements scolaires. Il s'est fait, et cela est d'autant plus vrai dans certaines régions du Québec, de réels efforts « d'ouverture » du milieu scolaire à l'ensemble de la population. Malheureusement, ceci est loin d'être généralisé à l'ensemble du Québec; l'accès aux ressources éducatives n'est pas encore normalisé et inscrit dans les pratiques et le financement. Le mandat des institutions n'étant pas explicite dans leur mission ni dans leurs budgets, les efforts d'ouverture au milieu, auxquels nous avons assisté ces dernières années, sont d'abord et avant tout dus à des individus plus qu'à des structures. Il arrive bien souvent que le fonctionnement même des établissements scolaires entrave sérieusement ces efforts. C'est pourquoi l'accès aux ressources éducatives du milieu doit faire l'objet d'une volonté politique affirmée. Cela s'impose.

3.2.2 L'accès aux ressources humaines du système scolaire

Comme dans le cas des ressources techniques, les possibilités d'accès aux ressources humaines du système scolaire sont généralement restreintes pour les étudiants adultes inscrits aux cours du soir, et le sont encore davantage pour les individus et les groupes non usagers des services d'enseignement scolaire.

3.2.2.1 L'accès aux personnes-ressources pour les étudiants adultes inscrits dans les établissements scolaires

Des portes, il s'en trouve qui s'entrouvent.

Si les étudiants qui suivent les cours du jour peuvent bénéficier de l'ensemble des services scolaires et rencontrer les personnes-ressources dont ils ont besoin (conseiller d'orientation, personnel administratif, bibliothécaire, etc.), les étudiants adultes « du soir » n'ont pas, dans bien des cas, les mêmes privilèges, puisque la plupart de ces services ne sont disponibles que le jour ou, que de façon sporadique, le soir. Il faut souligner, cependant, qu'une ouverture se fait dans ce domaine, que des institutions, soucieuses de répondre à des attentes de la population adulte, ont développé des services d'accueil et/ou de support à la formation. Nous déplorons, toutefois que de telles pratiques ne soient pas encore généralisées.

Les possibilités de rejoindre les enseignants en dehors des heures normales de cours sont souvent plus faibles pour les étudiants du soir. En général, sauf à l'Université du Québec à Montréal où certains professeurs dispensent leur enseignement régulier le soir, les enseignants qui ont une charge de cours le soir sont peu disponibles en dehors des heures de classe. Les contrats d'engagement des chargés de cours au niveau universitaire ne font mention d'aucune tâche d'encadrement des étudiants. Il y a donc là, à prime abord, un problème lié au fonctionnement. D'un autre côté, cela ne justifie pas entièrement l'enseignant de se limiter à sa seule présence aux cours.

Il faut dire également que les étudiants adultes n'ont pas non plus beaucoup de temps libre, en dehors des heures de cours, et il devient alors très difficile de conjuguer les disponibilités de tous et chacun avec celles de l'enseignant. Dans ce contexte, les étudiants adultes ne peuvent, le soir, obtenir un encadrement adéquat: ils glaneront quelques informations supplémentaires avant le cours, durant l'intermission, et à la fin du cours, si cela est possible. Mais comment discuter des travaux demandés, des problèmes qui se posent, etc. ? En fait, l'adulte, quand il retourne faire des études dans le milieu scolaire, doit d'abord compter sur lui-même sans trop compter sur l'aide du milieu. Si bien que ce sont encore les plus « outillés » qui arrivent à s'en sortir, à passer à travers les exigences et à repartir avec leur attestation ou leurs crédits.

Notons toutefois, à l'actif de certaines institutions scolaires, qu'il existe des « programmes de transition » spécialement conçus pour permettre à l'adulte de se familiariser avec les ressources offertes par le milieu, de prendre un temps de réflexion avant de choisir une orientation, de prendre conscience de ses propres moyens. Certains établissements organisent également, au début d'une session, des séances d'accueil et de méthodologie du travail intellectuel où l'adulte peut recueillir toute une gamme de renseignements qui lui seront utiles tout au long de la session. Ce sont là des exemples de la considération que chaque établissement devrait manifester à sa clientèle. Ils sont à développer et à généraliser. C'est pourquoi nous proposerons dans le chapitre traitant du décloisonnement des formations (premier chapitre de la quatrième partie), entre autres, la mise sur pied de services d'accueil et de référence.(9)

3.2.2.2 L'accès aux personnes-ressources pour les adultes ou les groupes d'adultes non inscrits dans les établissements scolaires

Fermé pour cause de manque d'ouverture

Les personnes-ressources des institutions scolaires, qui pourraient mettre sur pied des activités de formation sur mesure adaptées aux exigences exprimées par les adultes et les groupes, ou encore élaborer des activités de recherche qui correspondent aux besoins de la collectivité, ne sont pas, en général, disponibles aux adultes et aux groupes non usagers du système scolaire. Les associations syndicales, les groupes populaires, les entreprises ont souvent manifesté leurs besoins à l'égard de ces ressources dont dispose l'école et qui pourraient être utilisées davantage par l'ensemble de la collectivité québécoise.

Certaines initiatives en ce sens ont vu le jour par l'entremise des services à la collectivité. (Nous décrirons plus longuement ces services dans le troisième chapitre de la quatrième partie de ce rapport). Des protocoles et diverses modalités d'entente ont été élaborés par des universités et le milieu syndical, par des cégeps ou des commissions scolaires et des groupes populaires, etc. Mais ces initiatives, dont certaines datent de dix ans, demeurent encore le lot de quelques individus et groupes qui, à force de travail et d'acharnement, ont réussi à mettre sur pied ces services.

Les établissements scolaires sont généralement loin d'avoir fait de ces « ouvertures sur le milieu » leur préoccupation primordiale et, en période de restrictions budgétaires, il est bien probable que ce secteur devienne encore plus un « secteur mou ».

3.2.3 L'accès aux programmes d'enseignement

Faut-il changer le cadre pour améliorer l'image, ou changer l'image pour améliorer le cadre ?

Les caractéristiques à la fois particulières et complexes des clientèles adultes (âge, formation antérieure, expériences de vie et de travail, motivations, aspirations, etc.), de même que leurs besoins à l'égard de la formation s'avèrent, dans bien des cas, difficilement compatibles avec les services et les programmes d'enseignement offerts par le système scolaire. L'école, à qui on reproche de ne pas assez tenir compte des différences culturelles, sociales et individuelles entre les jeunes, véhicule à nouveau ces mêmes contraintes pour les adultes et les groupes d'adultes. Malgré un certain désir de souplesse et une volonté politique pour faire en sorte que « l'école s'adapte à son milieu »(10), le système scolaire québécois n'a pas réussi à harmoniser son expansion avec les besoins multiples des individus, de la société et du développement national.

On a beau se gargariser d'individualisation de V enseignement, de structures décentralisées et de liberté pédagogique, (...) les systèmes scolaires n'en reposent pas moins sur une seule conception de l'éducation, une seule conception de la personne et une seule conception de la société. (11)

Nombreux, d'ailleurs, sont les adultes qui craignent de reprendre leurs études parce qu'ils ont encore une certaine image de l'école qu'ils n'ont guère envie de retrouver. Le souvenir de l'école renvoie souvent à des expériences malheureuses ou même à des échecs. Certains ont tiré de leur expérience de l'école la conclusion qu'ils étaient inaptes au travail intellectuel; d'autres, que ce n'est pas à l'école qu'on apprend à régler des problèmes. Les résultats du Sondage sur les adultes québécois et les activités éducatives, sondage effectué dans le cadre des travaux de la Commission, sont assez révélateurs à ce sujet. Parmi ceux et celles qui participent à des activités éducatives de type professionnel ou social et culturel, ce sont les plus scolarisés (plus de dix ans de scolarité) qui utilisent les établissements scolaires des niveaux secondaire, collégial et universitaire, alors que les moins scolarisés participent davantage à des activités éducatives dans les écoles privées, les centres communautaires ou sur les lieux de travail(12). En d'autres termes, un bon nombre d'adultes, soit les moins scolarisés, ont gardé une image très négative de l'école et cette perception représente souvent un véritable blocage à l'accès à l'éducation des adultes dans le milieu scolaire.

Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, la non-reconnaissance des acquis de formation et d'expériences, la pénurie des services d'accueil et de référence, les pratiques pédagogiques et des contenus de formation plus ou moins adaptés, sont autant d'obstacles à l'accès aux programmes d'enseignement scolaire, particulièrement pour les adultes ou les groupes moins scolarisés. Les problèmes causés par la non-reconnaissance des acquis seront exposés plus longuement dans la quatrième partie du présent rapport; nous nous contenterons ici de souligner ceux qui réduisent l'accès au monde scolaire. Quant aux pratiques pédagogiques et aux contenus de formation, ils seront traités respectivement dans les chapitres intitulés : Le décloisonnement de l'éducation des adultes et La transformation des approches pédagogiques.

Apprendre aux adultes ce que la vie leur a déjà appris...

Les règles d'entrée et de cheminement des étudiants varient beaucoup selon les universités, selon les secteurs (ex. : la santé versus les sciences humaines) et les programmes (contingentés ou non, à contenu rigide ou à contenu plus libre). On pourrait même dire que dans certains cas, les universités ont avantage à ne pas trop les rendre publiques car, sous une apparence de rationalité, elles s'éloignent souvent des objectifs de démocratisation proclamés. L'on sait par exemple que le contingentement de certains programmes professionnels a pour conséquence d'éliminer à toutes fins pratiques les étudiants qui n'ont pas le profil rigide de cours pré-requis, les adultes qui désirent reprendre leur formation après un certain temps et de fixer des quotas privilégiant les étudiants ayant terminé un 1er cycle, (un cas type : la médecine)

Source : Commission d'étude sur les universités, Comité d'étude sur l'université et la société québécoise, L'université et la société : une interdépendance à redéfinir, Rapport, mai 1979, p. 19.

3.2.3.1 La non-reconnaissance des acquis non scolaires

Au cours de leur vie, les adultes acquièrent des connaissances, des habiletés ou des techniques nombreuses et diverses dans leur milieu de travail (négociation syndicale), dans des associations (gestion de budget, travail de bénévolat de toute sorte), dans le milieu familial (travail au foyer, femme «collaboratrice du mari »). Or. ces expériences et ces compétences ne sont pas suffisamment reconnues par le système scolaire, même quand elles se rapportent au programme de formation que choisit l'adulte. Certains efforts(13) ont été faits, en ce sens, par quelques établissements. Par exemple, la D.G.E.A. travaille depuis un certain temps déjà à établir un plan de redressement pour les commissions scolaires, mais étant donné qu'il n'existe pas à ce jour de politique générale d'évaluation des connaissances et des habiletés et qu'il n'existe même pas de critères communs acceptés par tous, l'évaluation des acquis non scolaires dépend de la ou des personnes(s) qui fait/font l'évaluation, et l'arbitraire s'y glisse souvent.

Les adultes qui ne peuvent faire reconnaître leurs acquis d'expérience doivent alors se conformer aux « prérequis » scolaires normalement exigés pour accéder à un programme. Ceci implique pour eux des délais beaucoup plus longs pour accéder à une certification par exemple, des coûts plus élevés, qui souvent découragent même les plus téméraires. Il y a aussi le cas des adultes qui ont besoin d'une « formation ad hoc » dans un but d'utilisation immédiate : il arrive bien souvent que ces adultes se voient imposer des détours compliqués qui passent par des préalables dont ils n'ont que faire. Ceux-là désertent le milieu scolaire qui n'a pas su les accueillir adéquatement.

3.2.3.2 Les « prérequis » et les acquis scolaires

Prendre le chemin des écoliers ou faire l'école buissonnière?

Le système scolaire est cloisonné par niveaux (primaire, secondaire, collégial, universitaire), par types de formation (générale, professionnelle, socioculturelle), par disciplines (techniques administratives, techniques agricoles, etc.), par spécialités de métiers, etc. Pour accéder à chacun de ces ensembles, le système scolaire a érigé des normes ou des « prérequis » pour lui permettre d'évaluer « objectivement » quels(les) sont ceux ou celles qui peuvent y avoir accès. Et les structures d'accueil des différents niveaux d'enseignement tiennent peu compte de la clientèle adulte et même des « jeunes » qui n'ont pas suivi d'une façon stricte le cheminement « mécanique » imposé par les règles du système.

Or, il n'existe pas actuellement de méthode jugée valable et généralisée à l'ensemble de tout le réseau scolaire permettant de faire le pont entre tous les contenus de formation. D'une part, le fait que le système scolaire québécois se soit largement modifié au cours des 15 dernières années (régionalisation des commissions scolaires, avènement des cégeps) ajoute à la difficulté de trouver, aux études effectuées avant la réforme, des équivalents précis dans le système actuel. D'autre part, les diplômes que les universités émettent correspondent à des critères internes. Il ne s'agit pas, comme dans le cas des autres niveaux, d'une reconnaissance officielle du M.E.Q. des qualifications scolaires des étudiants, mais d'une reconnaissance officielle propre à chacune des universités. Ainsi, en dépit d'ententes inter-universitaires, chaque université peut reconnaître ou non qu'un cours sur l'évolution des concepts en anthropologie acquis dans une autre université, par exemple, est l'équivalent ou non d'un cours ayant le même contenu dans sa propre université.

Enfin, comme les établissements scolaires peuvent offrir aussi des cours « maison » qui ne sont pas reconnus officiellement, soit par l'établissement lui-même dans le cas des universités (cours non crédités), soit par le M.E.Q. dans les autres cas, ces cours ne trouvent pas, évidemment, leur équivalent dans les cours officiels. Et, ainsi, nombreux sont ceux qui, inscrits dans des programmes officiels, se voient imposer des cours supplémentaires.

L'absence de correspondance entre les acquis des individus et les exigences académiques renforce, encore une fois, les inégalités d'accès à l'éducation des adultes. Ceux et celles qui détiennent un niveau de scolarité élevé peuvent plus facilement entrer dans la filière scolaire: ils connaissent relativement bien le fonctionnement du système et peuvent souvent éviter les frais (temps, argent, découragement, etc.) qu'occasionne un changement d'orientation.

3.2.3.3. Des « services d'accueil et de référence » insuffisants et inadéquats

Comment survivre en forêt.

Les problèmes d'accès aux programmes d'enseignement ne se limitent pas à la seule question de la reconnaissance des acquis. Les adultes et les groupes d'adultes qui sont désireux de participer à des activités éducatives offertes par le système scolaire ne savent pas, bien souvent, quelle orientation prendre, quelles sont les exigences des programmes et des cours, quels cours ou programmes répondraient le mieux à leurs besoins, quels sont les frais à prévoir, etc. Bref, ils ne disposent pas de renseignements adéquats sur les rouages du système scolaire en général et des établissements en particulier. Or, les services d'accueil et de référence ne sont justement pas le lot de tous les établissements scolaires et sont souvent de qualité inégale. Les dernières coupures budgétaires en matière d'éducation des adultes, de même que les normes d'affectation des subventions (heure/groupe), limiteront encore davantage la quantité et surtout la qualité de ces services.

Priver les individus d'un service adéquat et facile d'accès, d'information scolaire et professionnelle, d'aide pédagogique et d'orientation, les empêche, dans bien des cas, d'effectuer librement, d'une manière responsable, les choix qui les situent le mieux par rapport à leurs besoins(14), et d'ajuster leur tir, en cours de route, sans perte de temps. Des programmes qui ne correspondent pas à ce qui était attendu, des cours qui ne peuvent être reconnus parce qu'on a changé d'orientation scolaire en cours de route, des « prérequis » exigés afin d'obtenir un diplôme, et ce, après avoir terminé avec succès un cours, voilà autant d'exemples de « contrariétés » qui pourraient être évitées aux adultes et aux groupes par des services d'accueil et de référence. Or, règle générale, ce sont le plus scolarisés qui sont aussi les mieux informés ou, du moins, ceux qui savent où aller chercher les renseignements pertinents dont ils ont besoin. Ainsi, les moins scolarisés, de même que ceux et celles qui retournent à l'école après une absence prolongée, seront encore les plus défavorisés face au fonctionnement du système scolaire, si ces services ne sont pas faciles d'accès et appropriés aux besoins des adultes et des groupes. Nous reparlerons plus loin des services d'accueil et de référence dont la mise sur pied s'avère primordiale.(15)

3.2.3.4 Le cheminement personnel : une notion à développer

Reconnaître à chacun son « petit bonhomme de chemin ».

On a considéré les situations, permis certaines exceptions, régularisé quelques-unes d'entre elles. Les problèmes de l'éducation des adultes, de l'éducation permanente, récurrente et continue se sont trouvés posés. Diverses suggestions ont été émises qui visaient à rendre possibles certaines innovations. Ainsi on a organisé dans des universités des services d'éducation des adultes, d'éducation populaire, d'éducation permanente, de recyclage, ou encore on a intégré une partie des adultes dans les structures pédagogiques (ex. : les modules à l'Université du Québec). En général, les collèges et les universités ont aussi reconnu aux étudiants le droit au cheminement personnel.

Commission d'étude sur les universités, Comité d'étude sur l'université et la société québécoise, L'université et la société : une interdépendance à redéfinir. Rapport, mai 1979, p. 18.

La Commission d'étude sur les universités souligne dans son rapport que tout le système (du primaire à l'université) a été conçu en fonction d'un cheminement simple dit normal (...).Le parcours est presque mécanique, trop pour la vie réelle.(16)

Or, beaucoup d'adultes, et même de jeunes, ne suivent pas ce cheminement « normal ». Le système scolaire est de plus en plus confronté aux problèmes de l'éducation des adultes, c'est-à-dire d'une population qui a suivi un cheminement plus complexe.

Il est donc important, afin de rendre le système scolaire accessible au plus grand nombre, de faire preuve de souplesse et d'ouverture à l'égard de la population qui n'adopte pas la formule du cheminement continu et « mécanique ». Si l'on veut aller au bout de cette volonté de souplesse et d'ouverture, il faut, à notre avis, cesser de parler de tous les types exceptionnels d'éducation et les opposer à un système toujours très rigide ; il faut modifier les caractéristiques de ce système selon les exigences de la polyvalence, de la discontinuité, de la flexibilité, de la récurrence et d'une autonomie réellement reconnue à l'étudiant(17)

II faut affirmer et reconnaître l'existence de nouvelles règles d'admission au monde scolaire, sans toutefois nier celles du cheminement continu qui reste encore celui de la majorité. Dans un tel système, les adultes ne sont plus considérés comme des « exceptions ». Le cheminement complexe devient aussi « normal » que le cheminement continu.

Il est temps que les éléments de souplesse à base d'autonomie (reconnaissance de l'expérience, discontinuité dans le curriculum, temps partiel, changements de programmes, polyvalence, récurrence, etc.) introduits par l'éducation des adultes soient perçus autrement que comme des perturbations du système rigide imposé jusqu' ici aux jeunes et considéré comme « normal » et normatif. La nouvelle norme n'est pas seulement d'origine statistique : le cheminement des adultes est plus conforme à la complexité du réel.

Source: Université de Montréal, Observations de la Faculté de l'éducation permanente de V Université de Montréal au gouvernement du Québec sur le Rapport de la Commission d'étude sur les universités, Janvier 1980, p. 11-12. Texte soumis en annexe au mémoire de la F.E.P. à laC.É.F.A.

Il est probable qu'à l'expérience, l'on constatera la présence de cheminements beaucoup plus fréquentés que d'autres de sorte qu' on finira par avoir des catégories définies par des pratiques et non fixées d'avance.(18) Pour qu'un tel système (cheminement continu — cheminement complexe) soit possible, il importe que les règles d'admission aux différents programmes institutionnels soient clairement identifiées; qu'un service d'accueil et de référence soit mis sur pied; que les acquis scolaires et non scolaires des étudiants soient évalués; que l'on fournisse l'encadrement pédagogique nécessaire au bon fonctionnment du système des cheminements multiples;(19) et que l'infrastructure de soutien (locaux, équipements, services, horaires) soit souple et bien adaptée à ce système(20).

Le concept-clé de cheminement devrait propager l'idée de « profils individualisés » et ainsi déboucher sur le décloisonnement des formations.(21) Il ne règle pas tous les problèmes d'accès des adultes au monde scolaire, mais il devrait les soulager de quelques-uns.

Rendre le monde scolaire plus accessible aux adultes ne signifie pas qu'il faille intégrer ceux-ci à la population jeune des établissements. Nous reviendrons, plus loin, sur cette question.(22)

Une des formes les mieux consacrées de cheminement personnel et autonome, le type de programme qui favorise le plus le cheminement discontinu (...), est le programme de certificat. Cette formule, qui s'est développée considérablement dans le secteur des adultes, jouit d'une faveur croissante, au point que, à V Université de Montréal et dans ses écoles affiliées, près de 50% de tous les étudiants sont inscrits dans des programmes de certificats. (23)

II reste sûrement d'autres formules à découvrir et à explorer.

3.2.4 Des ressources financières insuffisantes

Les ressources financières dont disposent les institutions scolaires et les individus eux-mêmes renforcent également les inégalités d'accès à l'éducation des adultes.

3.2.4.1 Des ressources financières et des règles administratives trop contraignantes pour les institutions scolaires

Les règles budgétaires déterminent les priorités pédagogiques.

Les établissements scolaires sont d'abord au service des jeunes, et ensuite au service des adultes. De même en est-il des subventions allouées à l'éducation des adultes dans le milieu scolaire. La part accordée spécifiquement à l'éducation des adultes dans le budget du ministère de l'Éducation (administration de la D.G.E.A. comprise) s'élève, en 1980-1981, à 3,5%, si on inclut la contribution du fédéral, et à moins de 1%, si on l'exclut. Faute de ressources suffisantes, l'innovation et la souplesse de l'enseignement nécessaires au développement de l'éducation des adultes ne sont pas favorisées. Et cette absence accentue encore plus l'influence déterminante de l'enseignement « régulier ».

En plus des problèmes de restrictions budgétaires, les institutions scolaires des niveaux secondaire et collégial doivent se soumettre à certaines normes administratives, reliées aux modes d'attribution des subventions, qui ne tiennent pas compte suffisamment des besoins exprimés par les adultes et les groupes. Ces normes ont les conséquences suivantes: la formation de type professionnel est plus soutenue financièrement que les autres types de formation; il n'y a pas de possibilité de transférer certains fonds d'un poste budgétaire à un autre sans autorisation spéciale (sauf dans les commissions scolaires où la transférabilité des fonds fut effective en 1981); il faut 15 ou 20 étudiants pour pouvoir offrir un cours subventionné; le critère « heure/ groupe » est la principale base de calcul des subventions. Ce sont là autant de facteurs qui érigent des obstacles à l'accès des adultes à l'éducation scolaire.

Les règles d'affectation des crédits utilisées à tous les niveaux d'enseignement ne sont pas de nature non plus à favoriser l'éducation des adultes. Le fait que les étudiants à temps partiel, dont le nombre dépasse les prévisions, soient de moins en moins une source de revenus supplémentaires, amène les établissements scolaires à maintenir des politiques de groupes-cours très nombreux et à utiliser des chargés de cours comme enseignants, parce qu'ils sont moins bien rémunérés que les professeurs à temps plein. Dans les commissions scolaires, les fonds sont souvent alloués à l'intérieur d'enveloppes fermées. Lorsque ces sommes sont épuisées, les adultes non inscrits doivent retarder leur inscription à la prochaine session ou à l'année suivante. C'est donc toujours la course aux « premiers arrivés, premiers servis »!

3.2.4.2 Des ressources financières insuffisantes pour les adultes et les groupes d'adultes usagers du système scolaire.

Des ressources financières insuffisantes et des règles administratives contraignantes contribuent à limiter les services éducatifs, quantitativement et qualitativement, appropriés à l'éducation des adultes, offerts par les établissements scolaires. Par ailleurs, certaines catégories d'adultes qui désirent utiliser les ressources éducatives scolaires doivent souvent assumer des frais qu'ils ne sont pas toujours capables de supporter. Nombreux sont ceux, au Québec, qui ne disposent pas de revenus suffisants pour satisfaire leurs besoins essentiels (ex. : bénéficiaires de l'aide sociale, chômeurs, personnes âgées, etc.); comment pourraient-ils, alors, «gruger» leur budget pour payer des frais de scolarité? Les nouvelles règles budgétaires, en vigueur dans les services d'éducation des adultes, des cégeps et des commissions scolaires, compliquent cette situation. Ainsi, les frais d'inscription aux cours ont subi une très forte augmentation. Ces frais sont variables selon les établissements et les niveaux, ce qui oblige l'adulte à « magasiner » son ou ses cours quand cela lui est possible. Selon leur volume d'activités ou leurs surplus budgétaires, certains cégeps peuvent offrir plus, à plus bas prix. D'où il ressort que certaines régions se trouvent défavorisées par rapport à d'autres, de même que certains établissements: ceux, par exemple, dont l'offre de cours était axée davantage sur la formation générale que sur la formation dite « professionnelle ». Car les règles d'attribution des subventions (au niveau collégial) défavorisent des types de formation et définissent des priorités: cours de spécialisation, préalables universitaires et, en dernier lieu, formation dite « générale ». De plus, il en coûte, actuellement, plus cher à l'adulte de compléter un cours de niveau secondaire que collégial ou universitaire, pour un même nombre de crédits, à cause de règles budgétaires et de normes de frais d'admission incohérentes.

Par ailleurs, les coûts indirects à la charge des adultes eux-mêmes ne sont pas non plus négligeables, comme facteur d'accès à l'éducation des adultes; ils sont bien souvent plus élevés que les simples frais d'admission et d'inscription. Pensons, entre autres, au transport, au service de garde d'enfants, à l'achat de livres et de matériel scolaire, etc., qui représentent des dépenses importantes pour plusieurs et qui réduisent l'accès à l'éducation des adultes dans le milieu scolaire.

Certains adultes peuvent cependant bénéficier d'allocations de formation ou d'assurance-chômage pour participer à des programmes d'enseignement secondaire ou collégial à plein temps, dûment approuvés par le gouvernement fédéral, lequel finance en totalité ces allocations. Le soutien financier accordé à ces étudiants, bien qu'il ait permis à certains d'avoir accès à l'éducation des adultes dans le milieu scolaire, est trop souvent insuffisant (135 $/semaine pour un adulte ayant 4 personnes ou plus à sa charge, en 1981-1982). Par contre, les programmes de formation « professionnelle » à plein temps où les stagiaires sont rémunérés, ne sont aucunement reliés aux politiques d'emplois,... ils ont été condamnés à une utilisation politique: une assistance sociale déguisée aux travailleurs (chômeurs) semi qualifiés en des périodes où la conjoncture économique défavorable pouvait accroître le mécontentement et provoquer une crise sociale. Ce que certains chercheurs français appellent, selon un anglicisme (ici) savoureux, la « formation-parking ».(24)

II y a aussi le système actuel de prêts et bourses du ministère de l'Éducation qui facilite l'accès de certains adultes au programme d'enseignement scolaire. Mais, là encore, seuls les adultes qui sont inscrits à plein temps au niveau collégial ou universitaire et qui ont un revenu familial jugé insuffisant (selon le niveau scolaire, la discipline, personnes à charge, etc.) peuvent bénéficier d'un prêt et, éventuellement, d'une bourse. Encore faut-il répondre à certains critères qui ne sont pas toujours très explicites pour les « profanes ».(25) Si le système des prêts et bourses du M.E.Q. est moins restrictif à l'égard des programmes d'enseignement (quoiqu'il exclut tout le niveau secondaire) que le système d'allocation de formation de la C.E.I.C.(26) (qui exclut le niveau universitaire), dans les deux cas les ressources financières allouées aux adultes sont jugées largement insuffisantes.

Les adultes, assistés sociaux, qui s'inscrivent à temps plein à des cours de niveau collégial ou universitaire, perdent leurs allocations provenant du service du Bien-être social, de même que les « avantages » qu'ils pouvaient en tirer. Ils ont cependant droit, d'une façon prioritaire, aux prêts et bourses du M.E.Q. ou aux allocations de formation rattachées au P.F.M.C.(27). Mais ces allocations n'arrivent pas avec la même régularité que celles du Bien-être et il peut s'écouler un laps de temps important entre le non-versement des allocations du Bien-être et l'arrivée du prêt étudiant. Ceux qui s'inscrivent à des cours à temps partiel, quel que soit le niveau d'enseignement, continuent à bénéficier des allocations du Bien-être social. Il peut en être de même pour ceux qui s'inscrivent à temps plein au niveau secondaire (chaque cas est alors étudié individuellement).

Quant aux chômeurs qui voudraient « retourner aux études », ils doivent obligatoirement passer par les Centres de la main-d'oeuvre et leurs programmes de formation (P.F.M.C), sinon ils perdent leur source de revenus, c'est-à-dire les prestations d'assurance-chômage. Et l'on connaît les nombreuses tracasseries que cela comporte: liste d'attente, choix de programmes limité par les besoins définis par la Commission d'emploi et d'immigration du Canada (C.E.I.C.) qui ne correspondent pas toujours aux besoins du chômeur, etc.. Les mandats alloués à ces différents programmes sont répertoriés dans la section sur le financement où l'on trouvera aussi les propositions de la Commission concernant ces questions (troisième chapitre de la sixième partie).

En résumé, ce sont les adultes et les groupes d'adultes les plus favorisés en termes de niveau de scolarité et de revenus qui peuvent avoir le plus facilement accès à l'éducation des adultes dans le milieu scolaire.

Conclusion

Le chemin de la démocratisation de l'école est pavé de bonnes intentions mais aussi parsemé d'embûches.

La baisse de la natalité commence à faire sentir son impact sur l'école. Si cette dernière veut attirer la population adulte, elle devra soigner son image, ouvrir plus largement ses portes, admettre les traits particuliers de cette nouvelle clientèle et s'y ajuster. Sinon, l'école buissonnière risque d'avoir beaucoup plus d'attrait pour l'adulte. Et les établissements scolaires ne seront plus que des autoroutes désertes (des éléphants blancs) qui péricliteront au profit des nombreuses voies de service.

Recommandations

La Commission recommande :

  1. Que l'éducation des adultes, dans une perspective d'éducation permanente,  fasse partie de la mission des institutions scolaires tout autant que l'éducation des jeunes.
  2. Que l'éducation des adultes ait une place particulière et différenciée de celle des jeunes et soit intégrée au niveau hiérarchique supérieur des institutions éducatives, pour qu'elle soit prise en compte de façon aussi importante que celle des jeunes au niveau des politiques, des orientations et des opérations; et que l'on évite de l'assimiler au système des jeunes.
  3. Dans le cas des institutions de niveau collégial et secondaire, que les  services directs à l'usager relèvent d'une unité organisationnelle particulière: information, accueil, admission, inscription, programmation, réalisation des activités.
  4. Que l'accès aux diverses ressources matérielles des institutions publiques soit aussi facile pour les adultes qu'il l'est pour les jeunes et que les horaires soient modifiés en conséquence.
  5. Que des politiques souples assorties de modalités facilitantes soient mises en place quant à l'utilisation des locaux et des équipements.
  6. Que, lorsque l'on prévoit fermer une école destinée aux jeunes, l'on étudie d'abord son utilisation à des fins d'éducation des adultes, en la transformant par exemple, en centre d'éducation des adultes et en aménageant des locaux et des services communs pour les groupes autonomes d'éducation populaire ou les associations du milieu.
  7. Que l'on assouplisse les normes d'admission pour qu'elles permettent de tenir compte des acquis antérieurs des adultes(voir les recommandations portant sur la reconnaissance des acquis.).
  8. Que, sur la base de leur droit à l'éducation défini dans la Loi, les adultes bénéficient d'un accès financier équivalent à celui des jeunes, à tous les niveaux d'enseignement, en terme de frais d'admission et de scolarité.

Notes

  1. Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, L'égalisation des chances en éducation, Énoncé de principes adopté à la 233ème réunion, le 25 avril1980.
  2. Ministre d'État au développement culturel, La politique québécoise du développement culturel,   volume 2,  Les trois dimensions d'une politique: genres de vie, création, éducation, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 416.
  3. Voir la deuxième partie, La formation de base..., La contre-productivité du système d'enseignement.
  4. Ministère de l'Éducation, Conseil des universités, Clément Lemelin, La répartition des coûts sur l'enseignement universitaire, septembre 1980, p. 118.
  5. Marcelle Hardy-Roch, Le secondaire professionnel court, Mini-colloque sur l'accessibilité à l'éducation organisé par le ministère de l'Éducation les 29 et 30octobre 1980, p. 17.
  6. Voir la deuxième partie, La formation de base..., Un problème en voie de résolution? et Le Rapport Parent.
  7. Commission royale d'enquête sur l'enseignement, Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, Deuxième partie, Les structures pédagogiques du système scolaire, novembre 1964, p. 329.
  8. Jean-Marie Moeckli, L'école et l'éducation des adultes, synthèse documentaire, Institut romand de recherches et de documentation pédagogique, synthèse no 9,Suisse, novembre 1979, p. 13.
  9. Voir le chapitre 4.1, Le décloisonnement de l'éducation des adultes et les recommandations de la quatrième partie.
  10. Ministère de l'Éducation, L'école s'adapte à son milieu, énoncé de politique sur l'école en milieu économiquement faible, 1980, p. 133.
  11. Louise Marcil-Lacoste, « L'école ou la démocratie entravée », McGillJournal of Education, Spring 1981, vol. 16, no 2, p. 143.
  12. Voir Annexe II, Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives, livre II: rapport d'analyse, p. 35 et Tableau II. 34.
  13. Ces efforts sont détaillés au chapitre 4.2, La reconnaissance des acquis.
  14. Conseil de l'Europe,  Organisation,  contenu et méthodes en éducation des adultes, Strasbourg, 1977, p. 44.
  15. Voir Chapitre 4.1, Le décloisonnement de l'éducation des adultes et le chapitre3 de la sixième partie.
  16. Commission d'étude sur les universités, Comité d'étude sur l'université et la société québécoise, L'université et la société: une interdépendance à redéfinir, Rapport- mai 1979, p. 18.
  17. Idem.
  18. Ibidem, p. 21.
  19. Idem.
  20. Nous reprenons ici à notre compte des remarques de la Commission d'étude sur les universités.
  21. Voir le chapitre 4.1, Le décloisonnement de l'éducation des adultes.
  22. Au chapitre 4.1.
  23. Faculté d'éducation permanente. Mémoire présenté à la C.E.F.A., Appendice VI, décembre 1980, p. 23.
  24. Paul Bélanger, « L'éducation des adultes au Québec ou le difficile projet d'une éducation permanente », Education permanente, no 38, mars-avril 1977, p. 56.
  25. Voir le chapitre sur le financement.
  26. Commission d'emploi et d'immigration du Canada.
  27. Programme de formation de la main-d'oeuvre du Canada.

Chapitre 3

3.3 Les inégalités d'accès à l'éducation dans le monde du travail

La crise de l'emploi ébranle la confiance dans l'utilité de l'éducation et la formation

La crise de l'emploi est aujourd'hui une des préoccupations majeures de la plupart des gouvernements et une menace continuelle pour les travailleurs et les travailleuses. Cette insécurité, alimentée par les suppressions d'emplois, les fermetures d'usines, les déqualifications et les surqualifications, la prolifération des emplois contractuels ou à temps partiel non protégés, une inflation qui rogne sans cesse les salaires, une impossibilité de plus en plus généralisée pour les ménages de vivre décemment avec un seul salaire, fait que pour certains la crise de l'emploi provoque une crise de confiance dans l'utilité de l'éducation et de la formation(1).

« Qui s'instruit, s'enrichit. » Est-ce encore toujours le cas ? Ce qui est certain, c'est que la pauvreté on la retrouve chez les moins scolarisés.

En 1977, 30,9% de l'ensemble de la population active avait fait des études postsecondaires par rapport à 12,8% en 1961.

En 1964, le Québec ne comptait que 5 093 diplômés d'université; en 1976, leur nombre atteignait 20 104, soit 20,8% du total canadien.

Certaines disciplines sont plus touchées que d'autres avec, par exemple, des taux de chômage de 24% dans les arts, 18% en architecture, 16% en journalisme, 13,5% en littérature, 18% en philosophie.

Commission d'étude sur les universités, Rapport du Comité de coordination, gouvernement du Québec, mai 1979, p. 51.

Jusqu'à ces toutes dernières années, le chômage faisait des victimes surtout parmi les jeunes et les femmes sans qualification, les travailleurs et travailleuses âgés, les immigrants ou les handicapés, hommes ou femmes, frappant surtout les salarié(e)s de la production et les employé(e)s peu qualifiés des services. Mais peu à peu, on a vu d'autres catégories être touchées par ce fléau: certains cadres de 50 ans et plus et des diplômés d'université ou d'écoles supérieures. C'était un phénomène nouveau. Jusqu'ici, la scolarité semblait être un des meilleurs garants pour obtenir un emploi stable bien rémunéré et protégé. Cette sécurité est ébranlée.

Devant un manque flagrant de diplômés dans les années 60, on a non seulement fait appel à de nombreux spécialistes et techniciens étrangers (Etats-Unis, Europe), mais formé nos propres diplômés dans des disciplines diverses. On créait d'ailleurs à la fin de cette décennie un nouveau réseau universitaire, celui de l'Université du Québec. Tout en restant en deçà du pourcentage de diplômés par rapport à la population, comparativement à l'Ontario ou à l'ensemble du Canada, le Québec a considérablement augmenté le nombre de ses « finissants » diplômés. Même si le taux de chômage moyen des diplômés est nettement inférieur au taux de chômage moyen des non diplômés, il s'est produit certains engorgements qui se sont accentués, au fur et à mesure, que les secteurs public et parapublic n'étaient plus le déversoir automatique de la majorité des « finissants » diplômés, comme c'était le cas durant les années 60 et 70. La difficulté de coordonner éducation et travail, d'évaluer sérieusement les besoins de spécialistes et de techniciens nécessaires à l'économie québécoise, l'accélération de la professionnalisation, la spécialisation à outrance de certains programmes de formation et l'absence d'une politique québécoise de main-d'oeuvre font que de nombreux « finissants » se sont retrouvés en chômage, ou ont décroché un emploi bien en deçà de leurs attentes, ou même sans lien évident avec ce qu'ils avaient étudié au secondaire ou à l'université.

Tout développement social, économique ou culturel ne peut se réaliser harmonieusement que s'il y a concordance profonde entre l'éducation et le monde du travail.

Source: Charles Hummel, l'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain, UNESCO, Paris, P.U.F. 1977, p. 144.

Parallèlement, dans certains secteurs d'emplois (construction, génie, secteur des mines, de l'usinage, etc.), certains employeurs sont désespérément à la recherche de techniciens, spécialistes ou gens de métier. En même temps, ces secteurs qui ont besoin de main-d'oeuvre qualifiée étaient difficiles à détecter il y a quelques années. Il est également hasardeux d'évaluer maintenant quels types de formations doivent être développés pour répondre à des besoins encore imprécis qui pourront se manifester dans cinq ou dix ans. Cette situation reflète les difficultés que rencontrent toute planification et toute estimation précises des besoins de main-d'oeuvre. C'est pourquoi une politique de main-d'oeuvre et d'emploi est réclamée depuis plusieurs années mais ne se concrétise toujours pas. Les deux rapports fédéraux(2), Axworthy-Dodge et Allmand, parus dernièrement, font largement état de cette situation qui, si elle est plus flagrante dans les provinces de l'Ouest, n'en demeure pas moins importante à travers tout le Canada, y compris au Québec. On forme des diplômés dans des secteurs sans perspectives d'emplois et on laisse perdurer de criants besoins de main-d'oeuvre qualifiée dans d'autres, d'où une certaine désillusion, face à l'éducation, qui risque de s'accentuer, au fur et à mesure, que persiste la crise économique que nous connaissons.

Tableau 24 : La dimension industrielle des pénuries au Canada

Cependant, tout le monde ne réagit pas d'une façon aussi négative face à l'éducation. Comme le faisait remarquer le directeur général de l'Unesco en 1976, Aucune société n'a jamais souffert d'un excès de savoir ou de savoir-faire. L'éducation demeure un moteur essentiel au progrès social.(3)

Le lien éducation-travail : une crise de confiance ou une stratégie à repenser?

Dans cette perspective, certains voient, à l'occasion de cette crise de l'emploi, une occasion pour redéfinir le rôle de l'éducation et de nouvelles liaisons emploi-formation-qualification. Comme le faisait remarquer un rapport du Conseil de l'Europe ...la formation initiale prendra en charge les objectifs d'autonomie et de socialisation et l'orientation générale vers la vie active et productive. Un dispositif de formation alternée organisera l'entrée dans la vie productive et l'accès à un premier emploi, la formation des adultes, l'adaptation continue à l'emploi et à l'activité sociale.(4) Ceci nécessitera une évolution de la conception des emplois, de leur mode de classification, de préparation et d'accès, qui devra se greffer sur une planification éducative à long terme liée à une politique locale et régionale de la main-d'oeuvre.

Le concept d'éducation récurrente, lancé à la fin des années 60, et prôné notamment par l'O.C.D.E., a trouvé rapidement un large écho et continue à susciter beaucoup d'intérêt dans des pays industrialisés comme dans des pays en voie de développement. Il fut, en 1975, Je thème d'une conférence des ministres européens de l'éducation.

Les tenants de l'éducation récurrente y voient l'occasion d'actualiser l'alternance éducation-travail, de reprendre leurs études ou leur formation après les avoir interrompues.

Certains mettent en avant des arguments économiques pour intensifier la formation des travailleurs, prétendant que plus que jamais le patronat, dans ce contexte de crise internationale et de concurrence aiguë, a besoin d'avoir des travailleurs et travailleuses mieux préparés aux changements techniques et aux modalités toujours changeantes de la production, des salariés mieux adaptés à la mobilité, à l'innovation, à l'intégration dans l'entreprise. Quant aux salariés, premières victimes d'une crise de l'emploi, ils pourront, par l'éducation, dit Claude Dubar, accroître les capacités de leur force de travail pour même la valoriser et résister à la crise; mais il ajoute, ...cet objectif ne peut être atteint que si les formations proposées dépassent la seule adaptation ponctuelle et fournissent les éléments culturels indispensables à leurs stratégies sociales. Or celles-ci exigent un minimum de participation des salariés à la définition et àl'organisation de leur propre formation.(5)

Or, nous savons que toutes les entreprises, au Québec, n'investissent pas dans la formation de leurs travailleurs. Même si un bon nombre d'entreprises, les grandes surtout, reconnaissent le bien-fondé et la rentabilité économique de la formation de leurs salariés, elles acceptent encore, très rarement, de les associer à la définition et à l'organisation de la formation quand celle-ci est donnée par l'entreprise.

Comme nous le verrons, même dans une entreprise où il se fait de la formation, toutes les catégories de travailleurs n'en profitent pas également. De nombreuses inégalités d'accès persistent entre les hommes et les femmes, les travailleurs et les travailleuses peu qualifiés et les cadres dans les différents secteurs de l'économie, etc. Nous reconnaissons que, pour ces derniers, la formation doit continuer à leur être accessible. Cependant cela ne doit pas se faire au détriment d'autres catégories, les employés peu qualifiés par exemple. Nous ferons état des débats autour du congé-éducation, après un bref survol de son actualisation dans certains pays. Nous terminerons ce chapitre en rappelant les obstacles à l'accès à l'éducation pour les travailleurs et travailleuses, liés à certaines conditions de travail, la réglementation de certains métiers, principalement dans la construction et, enfin, aux exigences des corporations professionnelles.

Dans ce chapitre réservé aux problèmes d'accès, il ne sera pas fait mention de la qualité de la formation en entreprise et de la participation des travailleurs à cette formation, ceci faisant l'objet de chapitres subséquents dans les deux prochaines parties traitant de la transformation de l'image et des pratiques en éducation et de la participation des adultes à l'éducation.

3.3.1 La segmentation et la sexisation « des marchés de travail »

3.3.1.1 Le marché segmenté

II n'existe pas un marché de travail mais des marchés de travail.

Les inégalités de salaires, chômage, mobilité insuffisante, la discrimination salariale en fonction de l'âge, du sexe, de la race... l'origine sociale... l'origine linguistique, les capacités innées, la fonction hiérarchique et l'ancienneté dans l'entreprise, les effets de carrière professionnelle, le secteur d'activité et la fonction stratégique de l'entreprise dans ce secteur... sont autant de « facteurs » qui remettent en cause la possibilité de concevoir un marché de travail unique et homogène.(6)

Le Québec, à l'instar des pays voisins, se caractérise par des marchés de travail segmentés. La structure des entreprises, (taille, secteur d'activité, position sur le marché interne ou externe, etc.) détermine en grande partie les conditions de travail des salariés, les types de salaires qu'on y retrouve, ainsi que les possibilités ou non de formation pour ces derniers.

C'est ainsi qu'il y a des entreprises à forte concentration de capital, à technologie de pointe ou protégées par législation dont les salariés bénéficient d'une relative stabilité d'emploi, de conditions de salaire et de travail décentes et mêmes avantageuses, d'une protection syndicale, de possibilités de formation, d'activités ou de programmes de formation durant les heures de travail ou en dehors. Ces salariés sont, proportionnellement plus souvent des hommes que des femmes, des travailleurs urbains, qualifiés, des Québécois plutôt que des immigrants, des adultes de 30 ans et plus, plutôt que des jeunes adultes, etc.

Les travailleurs syndiqués représentaient 34,4% de la main-d'oeuvre québécoise en 1977.

(Les femmes 30,7% et les hommes 36,5%).

Source : Bureau de la statistique du Québec (B.S.Q.).

À l'opposé de ce modèle, on trouve des entreprises en situation de dépendance par rapport à d'autres (sous-traitance, par exemple), des entreprises ou la production est non spécialisée, décentralisée, ou les conditions de travail et de salaire sont médiocres et la protection syndicale quasi inexistante, des entreprises où les emplois sont précaires, le taux de roulement des travailleurs élevé, les risques de chômage nombreux et les possibilités de promotion nulle. Ces emplois se retrouvent en particulier dans certaines P.M.E. et/ou dans certains secteurs où se retrouvent ces emplois (le vêtement, les chaussures, le textile, etc.); c'est également tout l'emploi occasionnel, le travail à temps partiel, à domicile ou au noir (non déclaré). Dans ces emplois, les travailleurs et travailleuses n'ont pas accès à la formation, à l'exception, parfois, de la formation sur le tas.

Ces travailleurs et travailleuses sont surtout non qualifiés et peu scolarisés. Ils forment une proportion de la main-d'oeuvre de plus en plus importante au fur et à mesure que s'accélère la concentration du capital et l'introduction de technologies nouvelles, comme le faisait remarquer un rapport de l'O.C.D.E. qui signalait que ...les méthodes modernes de production bien qu'ayant recours à un nombre important de techniciens et d'ouvriers qualifiés, laissent subsister voire accroissent le nombre des travailleurs sans qualification(7).

Cette segmentation « du marché du travail » se retrouve non seulement entre les entreprises, mais entre les différents établissements d'une même entreprise, par exemple. Il arrive également qu'à l'intérieur d'une même entreprise, on retrouve non seulement des emplois stables et bien rémunérés, mais également des emplois marginalisés ou périphériques(8) ; c'est le cas d'entreprises qui font faire une partie de leur production par sous-traitance.

Comme le fait remarquer Benjamin Coriat, parallèlement à la stabilisation dans l'entreprise des ouvriers considérés comme « stratégiques » du fait de la position qu'ils occupent dans le « procès de travail », il devient possible de recourir de plus en plus massivement à des entreprises de sous-traitance ou de louage de main-d'oeuvre(9). Ce sont en général les tâches de manutention et de nettoyage, assurées pour l'essentiel par des travailleurs ou des travailleuses contractuels le plus souvent immigrés, et dont les conditions de rémunération, de travail et d'avantages sociaux sont « mauvaises ». Ceci n'est pas l'apanage de l'entreprise privée puisque la Fonction publique du Québec procède de même pour des contrats d'entretien par exemple.

Or, au fur et à mesure qu'un nombre important d'avantages sont acquis par une catégorie de la main-d'oeuvre protégée syndicalement, et que la marge de manoeuvre des entreprises se resserre, la tendance dans un grand nombre d'entreprises, c'est de ne pas limiter le recours à la sous-traitance pour les tâches de manutention ou de nettoyage, mais d'y inclure les tâche d'emballage, d'expédition et même certaines tâches qualifiées. Jacques Magaud (10) a, d'ailleurs, mis en lumière le fait que là où les garanties d'emploi et de salaires sont les mieux assurées syndicalement, on trouve le recours le plus systématique aux entreprises de louage de main-d'oeuvre et à l'embauche d'auxiliaires. Son analyse porte entre autres sur l'Administration publique française, mais la Fonction publique québécoise, et même canadienne, ne font pas exception. À côté de fonctionnaires permanents et relativement bien rémunérés, avec de nombreux avantages sociaux, gravite un nombre croissant « d'occasionnels », où la proportion de femmes est très importante.

Si les femmes faisaient des « métiers d'hommes » en temps de guerre par exemple, c'était pour remplacer ceux qui étaient au Front. Au retour des soldats, chacun devait reprendre « sa place »: l'homme à l'extérieur et la femme à l'intérieur du foyer près des enfants.

Si la segmentation « du marché du travail » est un premier obstacle à l'accès à la formation pour un bon nombre de travailleurs et de travailleuses du Québec, il faut ajouter la sexisation de ces marchés de travail.

3.3.1.2 La sexisation des marchés de travail

Importante à certaines périodes (industrialisation, guerres, etc.), la participation des femmes au travail rémunéré a toujours été plus ou moins niée, dévalorisée, considérée comme accidentelle ou tolérée pour certaines catégories (femmes, jeunes, célibataires, veuves) ou encore limitée à certains emplois, liés aux travaux ménagers, à l'enseignement, à la santé, etc. Les femmes se sont battues pour revendiquer le droit au travail rémunéré et, malgré des gains tangibles, des secteurs entiers de l'économie leur sont encore fermés ou presque (construction, transports, finances, etc.).

En 1980 au Canada, 60% de toutes les femmes sur les marchés de travail étaient réparties dans trois catégories professionnelles :

- le travail de bureau;

-la vente;

- les services.

Source: Statistique Canada, La population active, catalogue 71001.

Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de la discrimination envers les femmes en matière d'éducation, mais très souvent, cette discrimination repose sur une conception que l'on se fait du rôle et de la place des femmes dans la société. À cause, en grande partie, du rôle biologique des femmes dans la reproduction de la société, les hommes qui détenaient le pouvoir de décider et de gouverner ont assigné aux femmes une place: le foyer et un travail spécifique, soit élever les enfants. Tout autre travail ne pouvant être qu'un « travail d'appoint » qu'éventuellement on rémunère par un « salaire d'appoint ». L'opportunité de donner une éducation aux filles a été un très vieux et long débat que les femmes ont fini par gagner. La revendication d'une formation de type professionnel en a été un autre. Tant que l'on a jugé que la place des femmes était avant tout au foyer, de telles revendications paraissaient être un luxe. La réalité actuelle est tout autre. Près de 50% des femmes travaillent hors du foyer. Le taux de natalité est en chute libre depuis près de 20 ans, et le foyer n'est plus le havre de sécurité qu'il pouvait paraître autrefois, puisque un mariage sur trois au moins se termine par un divorce. Un grand nombre de femmes revendiquent le droit au travail rémunéré, le droit à l'éducation et à une formation de type professionnel, et l'abolition des métiers dits « masculins ». Pour cela, il faut non seulement changer les mentalités (ce qui risque d'être fort long), mais réorienter complètement toute cette idéologie véhiculée par les média et l'école à travers les manuels scolaires, la formation des enseignants, des conseillers d'orientation, afin que les filles elles-mêmes n'aient pas le réflexe de s'orienter automatiquement vers des métiers dits « féminins ». Mais, parallèlement, tous les emplois doivent être indistinctement ouverts aux hommes et aux femmes.

RECOMMANDATION

111. Afin d'encourager les femmes à choisir des secteurs de travail non traditionnels et d'inciter les employeurs à les recruter, il faut lancer une campagne nationale de publicité montrant des femmes au travail dans ces secteurs. Cette campagne devrait s'accompagner de brochures, de textes, de présentations audiovisuelles et d'autres auxiliaires qui seraient mis à la disposition des écoles et autres établissements offrant des services d'orientation.

Source: Rapport Allmand, Du travail pour demain, Les perspectives d'emploi pour les années 80, Ottawa, 1980, p. 108.

* Bref rappel méthodologique du sondage de la Commission sur les pratiques de formation en entreprise au cours du dernier exercice financier, Québec, 1981.

Le sondage porte sur un échantillon représentatif des entreprises au Québec de 20 employés et plus. La collecte des données, réalisée par le Centre de sondage de l'Université de Montréal, a été effectuée selon deux stratégies différentes à deux moments différents ; une entrevue téléphonique variant entre cinq et dix minutes a permis de recueillir un certain nombre d'informations de base auprès des entreprises sur la présence ou non d'activités de formation sur le tas, d'apprentissage, de formation syndicale, de formation durant les heures de travail et de procédure de remboursement de frais de scolarité pour la formation acquise en dehors des heures de travail.

Dans un deuxième temps, les entreprises qui avaient des activités de formation dites organisées (c'est-à-dire durant ou en dehors des heures de travail, dans le cadre d'activités « ad hoc » ou dans le cadre de programmes ou de politiques de formation) ont eu à répondre à un « questionnaire postal » (463 questionnaires complétés ont été retournés) visant à recueillir des données plus précises relativement aux caractéristiques de ces activités, de même qu'à leur organisation et à leur financement. Tenant compte de la démarche en deux temps, on dispose d'informations complétées auprès de 52,3% des entreprises échantillonnées. Le taux de réponses au questionnaire téléphonique a été de 92,6% et de 39,7% au « questionnaire postal ».

Source: Commission d'étude sur la formation des adultes, Les pratiques de formation en entreprise, Québec, 1981, annexe III.

Les recommandations du Conseil du statut de la femme du Québec allaient en ce sens dans la politique d'ensemble de la condition féminine. Le Rapport Allmand sur les perspectives d'emploi pour les années 80 renforce ce point de vue en disant: Les femmes éprouvent des difficultés particulières à entrer sur le marché du travail et à y rester. Elles doivent faire face à l'obstacle créé par la discrimination, qui s'étend à la difficulté de s'inscrire à des programmes de formation pour des emplois non conçus traditionnellement pour les femmes. Trop souvent, elles doivent faire face au problème des « ghettos » dans l'emploi: postes exigeant peu d'aptitudes, mais mal rémunérés.

Quant aux recommandations que propose la Commission, nous renvoyons le lecteur au premier chapitre de cette partie sur les inégalités d'accès à l'éducation qui traite de la discrimination envers les femmes.

Touchées tout particulièrement par la segmentation des marchés de travail, comme nous venons de le voir, reléguées dans des « ghettos » d'emploi, victimes encore plus que les hommes du chômage, nous verrons à partir d'un sondage réalisé dans le cadre des travaux de la Commission et portant sur les pratiques de formation en entreprises au Québec* que les femmes en général, tout comme les travailleurs peu qualifiés, ne sont guère favorisées par les programmes de formation, quand il en existe dans les entreprises.

3.3.2 Les inégalités d'accès à la formation durant les heures de travail

Nous venons de voir précédemment que la segmentation et la sexisation des marchés de travail contribuent à réduire l'accès à la formation. Cependant, de nombreuses entreprises, en dehors des programmes provinciaux et fédéraux de formation en entreprise(11) donnent une formation à leurs travailleurs pendant les heures de travail ou remboursent les frais de scolarité quand cette formation est prise en dehors de l'entreprise(12). Nous verrons, dans cette section, que toutes les entreprises n'offrent pas ces facilités et, surtout, que tous les employés n'y ont pas également accès. Les enquêtes menées au Canada(13),ces dix dernières années, et dont les grandes lignes ont été résumées dans le chapitre 2 de l'annexe sur le sondage portant sur les pratiques de formation en entreprise au Québec, ont fourni des informations relatives à la formation en entreprise au Canada avec certaines données, entre autres, pour le Québec et l'Ontario. Par rapport aux trois dimensions privilégiées de notre sondage (accès à la formation, nature des activités et contrôle de celles-ci), ce sont les deux premières qui ont été le plus analysées dans ces enquêtes canadiennes.

* Ces enquêtes sont difficilement comparables, car la définition de l'objet d'étude plus ou moins étroite, les dimensions analysées, la méthodologie retenue, etc. sont fort différentes d'une enquête à l'autre comme on le signale dans le chapitre 2 de l'annexe 3 sur les pratiques de formation en entreprise, Sondage C.E.F.A., octobre 1981.

Les deux enquêtes qui fournissent quelques données québécoises sont: l'enquête de Statistique Canada en 1969-1970 et celle du Conseil économique du Canada, en 1979. La première nous apprend, d'une part que le Québec se distingue de l'ensemble du pays par une proportion plus élevée d'entreprises déclarant des programmes d'aide financière à leurs employés pour des activités de formation en dehors des heures de travail; et la proportion de bénéficiaires est également plus forte que la moyenne générale au Canada. En outre, le Québec se distingue du reste du pays par le fait qu'une plus forte proportion de bénéficiaires y reçoit une formation de longue durée.

L'enquête du Conseil économique du Canada (1979) laisse entendre, par contre, que, non seulement, moins d'entreprises québécoises déclarent des activités de formation mais encore que la proportion d'entreprises réalisant des activités de longue durée y est inférieure à celle de l'ensemble du pays. Ces informations, à première vue, contradictoires nous portent à faire le commentaire suivant: il se pourrait que les activités, au Québec, soient plus concentrées. Moins d'entreprises auraient des programmes de formation de longue durée mais, parmi celles qui en ont, la proportion de bénéficiaires serait plus élevée.

Parmi les autres informations décrivant la situation dans l'ensemble du pays, les plus significatives sont les suivantes :

En ce qui concerne le contrôle des activités de formation, troisième paramètre analysé dans notre sondage, seule l'enquête menée par la Commission Adams fournit quelques indications, pour l'ensemble du pays seulement. Ainsi, y apprend-on qu'une forte proportion des programmes de formation en vigueur dans les entreprises ont été implantés à l'initiative des employeurs. Certaines entreprises déclarent des activités mises en place conformément aux dispositions de conventions collectives ou en fonction d'autres ententes, mais il semble que ce genre de situation soit relativement peu fréquent.

Notre sondage nous a permis de brosser un rapide tableau des entreprises au Québec. Ainsi, 68% des entreprises emploient de 20 à 99 employés, 24% de 100 à 499 employés et 15% 500 employés et plus. Par contre, si les petites entreprises sont nombreuses, elles ne regroupent que 8,5% des employés, alors que les entreprises de 100 à 499 en regroupent 13% et les grandes entreprises de plus de 500 regroupent 78% des employés.

Rappelons, par ailleurs, que 15% des entreprises font partie du secteur public et parapublic et regroupent 35% de la main-d'oeuvre; ces milieux de travail, fonctionnant habituellement sur une base stable, hiérarchique et bureaucratique, impriment à la gestion du personnel un caractère organisationnel très élevé. À cela s'ajoute une seconde particularité, il s'agit d'un milieu de travail moins soumis, comparativement au secteur privé, aux impératifs de la rentabilité économique, mais plus dépendant d'impératifs d'ordre politique(14).

Dans le secteur privé, on distingue, premièrement, les entreprises dites intégrées, qui regroupent toutes les firmes qui ont un lien de parenté avec d'autres entreprises. Il s'agit des maisons mères, des filiales, des divisions ou des « holdings », 35% de notre échantillon est composé de ce type d'entreprises et 50% de la main-d'oeuvre totale y travaille. Comme elles possèdent souvent un contrôle relativement important de leur marché, elles connaissent généralement une bonne stabilité économique. L'organisation du travail y fait appel à une planification serrée, ce qui se traduit par une gestion de la main-d'oeuvre organisée et bureaucratisée, de même que par des investissements dans ce qu'il est convenu d'appeler le développement et la recherche.

La seconde distinction dans le secteur privé concerne les entreprises indépendantes; 50% du total des entreprises consultées appartiennent à cette catégorie mais ne regroupent que 15% de la main-d'oeuvre totale. Dans la majorité des cas, ces entreprises connaissent une situation économique plus précaire se traduisant par une planification beaucoup plus faible et une gestion du personnel beaucoup moins organisée et bureaucratisée. Les travailleurs des marchés secondaires appartiennent dans une forte proportion à ces entreprises.

3.3.2.1 Les inégalités d'accès aux différents types de formation

À partir des données de ce sondage, nous avons pu cerner différents types de formation en entreprise, la formation « sur le tas », la formation organisée durant les heures de travail, dans le cadre d'activités « ad hoc » ou à l'intérieur de programmes ou de politiques de formation, et le remboursement, en tout ou en partie, des frais de scolarité pour les activités en dehors des heures de travail(15). La formation syndicale et l'apprentissage en entreprise n'ont été que partiellement explorés(16) dans le questionnaire téléphonique, ne relevant pas spécifiquement de l'entreprise comme les autres types de formation.

A)    La formation des apprentis

Le secteur privé a deux fois plus recours à des apprentis que le secteur public et les apprentis se retrouvent surtout dans le secteur secondaire (métiers spécialisés).

Ainsi, au cours du dernier exercice financier, 23% des entreprises du secteur privé et 11% de celles du secteur public et parapublic ont employé des apprentis dans des métiers régis par un décret ou des règlements. Cette pratique est deux fois plus fréquente dans le secteur secondaire que dans le secteur tertiaire ou le secteur primaire, et se retrouve surtout dans les entreprises où les travailleurs et les travailleuses sont syndiqués, 28,5% contre 13% dans les entreprises où les travailleurs et les travailleuses ne sont pas syndiqués. La taille et les actifs de l'entreprise n'ont pas d'impact significatif sur le fait d'avoir ou non des pratiques d'apprentissage comme le signale le rapport du Centre de sondage(17). L'enquête du Conseil économique du Canada en 1979, qui portait sur les programmes et non sur les activités d'apprentissage, révélait que le pourcentage d'entreprises déclarant des programmes d'apprentissage était nettement plus faible au Québec (4%) que dans l'ensemble du pays (16%). L'Ontario, avec 17%, se situait assez près de la moyenne nationale(18).

B)    La formation syndicale

La formation syndicale est plus fréquente dans les grandes entreprises publiques et parapubliques.

Quant à la formation syndicale, 20% des entreprises privées et 47,5% des entreprises publiques et parapubliques ont signalé qu'il existait, chez elles, une entente avec les syndicats permettant à leurs employés de recevoir une formation syndicale durant les heures de travail. Cette pratique est plus fréquente dans les grandes entreprises (500 et plus) 42%, que dans les moyennes (100 à 499) 32%, ou les petites (20 à 99) 16%, et diffère selon l'endroit où se situe l'entreprise.

C) La formation « sur le tas »*

17% des entreprises au Québec ne font que de la formation « sur le tas ».

* Par formation « sur le tas », on entend une formation reliée au travail et se déroulant en totalité sur le poste de travail ou sur le lieu de production.

Les entreprises qui ne font que de la formation « sur le tas » représentent 19% des entreprises privées, dont 13% dans les entreprises intégrées, 24% dans les entreprises indépendantes, et seulement 4% des entreprises publiques et parapubliques. Globalement, 17% des entreprises au Québec ne font que de la formation « sur le tas »(19). Cela ne représente cependant que 4,5% de la main-d'oeuvre des entreprises de plus de 20 employés au Québec. Par rapport au nombre d'entreprises qui donnent uniquement ce type de formation, le pourcentage de bénéficiaires est relativement élevé (23%), alors que le pourcentage de bénéficiaires dans l'ensemble des entreprises ayant offert de la formation « sur le tas » ou organisée, durant ou en dehors des heures de travail, s'élève à 37%.

50% des bénéficiaires de formation « sur le tas » dans le textile relèvent d'entreprises qui ne donnent qu'une formation « sur le tas ». La situation est presque identique (44%) dans la construction.

La formation « sur le tas » se retrouve davantage dans les entreprises comme le textile et les produits manufacturiers. Dans le secteur tertiaire, ce sont surtout les services et le commerce qui donnent ce type de formation; néanmoins, c'est surtout l'apanage des entreprises indépendantes. Les entreprises intégrées du secteur privé s'apparentant plus aux entreprises publiques donnent relativement peu ce type de formation uniquement.

4% seulement des grandes entreprises donnent uniquement une formation « sur le tas » à leurs travailleurs et travailleuses comparativement à 20% des entreprises de 20 à 99 employés.

Par ailleurs, on constate par exemple que la taille est un facteur important dans la répartition des entreprises qui donnent une formation « sur le tas » uniquement. La délimitation très nette se fait entre les entreprises de moins de 500 employés et celles qui ont plus de 500 employés. Les grandes entreprises, comme nous le verrons plus loin, ne se contentent pas de donner une formation « sur le tas ». Elles ont, en général, d'autres activités de formation, organisées ou non, dans le cadre de programmes ou de politiques de formation.

La formation « sur le tas » ne tend pas à diminuer quand les entreprises se dotent de programmes plus ou moins sophistiqués de formation, au contraire.

En effet, la quasi totalité des bénéficiaires de la formation « sur le tas » proviennent de grandes entreprises (92%) ou de moyennes entreprises (77%) qui donnent, par ailleurs, une formation organisée durant ou en dehors des heures de travail, en général dans le cadre de programmes ou de politiques de formation. De plus, 86% des grandes entreprises donnent une formation « sur le tas ». Ce qui montre bien que ce type de formation est loin d'être une pratique désuète, qui tend à disparaître quand les entreprises se dotent de programmes plus ou moins sophistiqués de formation. Contrairement à certaines petites entreprises qui semblent n'avoir guère le choix de faire autre chose, la formation « sur le tas » est une pratique essentielle de stratégie économique de la grande entreprise.

Dans les petites entreprises, 54% des bénéficiaires d'activités de formation n'ont bénéficié que d'une formation « sur le tas », alors que dans les moyennes entreprises ceux qui n'ont bénéficié que de ce type de formation représentent 8% seulement des bénéficiaires.

La formation sur le tas comme unique formation est le plus souvent le fait de petites entreprises privées à faibles actifs, à forte proportion d'ouvriers le plus souvent non syndiqués.

Les actifs financiers de l'entreprise sont également un facteur de différenciation. Ils sont cependant très souvent liés à la taille de l'entreprise. Ainsi 5% des entreprises ayant des actifs de dix $ millions et plus donnent uniquement une formation « sur le tas » contre 17% dans les entreprises ayant des actifs inférieurs à dix $ millions.

On remarque également que les entreprises qui donnent uniquement une formation « sur le tas » sont surtout des entreprises où le pourcentage de travailleurs spécialisés et non spécialisés est très élevé (plus de 75%), et assez souvent non syndiqués.

En résumé, nous pouvons dire que la formation « sur le tas » se retrouve dans presque toutes les entreprises de 20 employés et plus. Dans le cas des petites entreprises, la moitié des bénéficiaires de ce type de formation n'ont pas reçu autre chose qu'une formation « sur le tas ». C'est le cas principalement des travailleurs et travailleuses du textile et de la construction(20).

D) La formation organisée (durant et en dehors des heures de travail)

Nous avons dit précédemment que 17% des entreprises au Québec de plus de 20 employés donnaient uniquement une formation « sur le tas ». Par contre 66% des entreprises offrent autre chose que ce type de formation soit 15,5% qui donnent seulement une formation durant les heures de travail, 11% qui se contentent de rembourser en tout ou en partie les frais de scolarité de leurs employés qui vont acquérir leur formation en dehors des heures de travail et 40% donnent une formation durant le temps de travail et remboursent des frais de scolarité. La formation organisée, nettement plus fréquente, concerne 91% de la main-d'oeuvre totale employée dans les entreprises de 20 employés et plus et rejoint le pourcentage le plus élevé de bénéficiaires, soit 35% sur un total de 36% de bénéficiaires d'activités de formation de toutes sortes, y compris la formation « sur le tas ».

Le textile et la construction sont les parents pauvres de la formation organisée; l'administration publique et l'éducation, les secteurs favorisés.

De plus, cette formation a été le plus souvent (44,8% contre 21,8%) de la formation organisée dans le cadre de politiques ou de programmes « réguliers » de formation; les bénéficiaires d'une formation se concentrant surtout dans les entreprises qui ont des programmes « réguliers » de formation (93,5%).

Les entreprises qui déclarent des activités organisées de formation sont plus nombreuses dans la production de services.

Là encore, ce sont les grandes entreprises de 500 employés et plus qui proportionnellement offrent le plus d'activités organisées, 91% par rapport à 56% seulement dans les entreprises de 20 à 99 employés, et proportionnellement les bénéficiaires y sont le plus nombreux.

Proportionnellement, plus d'entreprises du secteur public que du secteur privé donnent des activités de formation organisée.

Quand on analyse la répartition des entreprises selon le secteur public/para-public et le secteur privé, on constate que la proportion d'entreprises qui déclarent des activités organisées de formation est nettement plus élevée dans le public que dans le privé (93% contre 62%). C'est la même constatation en ce qui a trait à la proportion d'activités organisées dans le cadre de programmes ou de politiques de formation. Là encore se présente des différences importantes entre les entreprises intégrées et les entreprises indépendantes: proportionnellement, il y a plus d'entreprises intégrées qui font des activités de formation organisées que d'entreprises indépendantes (76% contre 51,5%).

Par ailleurs, quand on examine la proportion de bénéficiaires dans les entreprises qui font des activités organisées, on remarque qu'elle est presque aussi élevée dans les entreprises intégrées (30%) que dans les entreprises publiques (26,5%), ce qui n'est pas le cas des entreprises indépendantes (22%). C'est dans les grandes entreprises que le pourcentage de bénéficiaires est le plus élevé.

La syndicalisation semble avoir un effet très réduit sur l'accès ou non à la formation organisée.

Contrairement à la formation « sur le tas » analysée précédemment, la proportion d'entreprises déclarant des activités organisées de formation est nettement plus élevée quand la proportion de cadres, de professionnels et d'employés de bureau est élevée. Par contre, elle est plus basse quand c'est la proportion d'ouvriers qualifiés ou non qualifiés qui est élevée. Quant à l'effet de la syndicalisation, on constate que 67% des entreprises déclarant des activités organisées de formation ont des employés syndiqués, contre 61% là où il n'y a pas d'employés syndiqués, et que, proportionnellement, le pourcentage de bénéficiaires, là où les travailleurs ne sont pas syndiqués (28%), est très voisin de celui des entreprises où le personnel est syndiqué (30%).

En résumé, nous pouvons dire que la majorité des entreprises de 20 employés et plus donnent une formation organisée, durant et /ou en dehors des heures de travail. La presque totalité des bénéficiaires se retrouvent dans les entreprises qui ont des programmes « réguliers » de formation. Il s'agit surtout de grandes entreprises, particulièrement du secteur public. Dans le secteur privé, ce sont davantage les entreprises intégrées qui donnent ce type de formation. Par contre, le fait d'être une entreprise dont le personnel est syndiqué ne modifie guère la situation.

E) L'absence de formation

La construction et le textile: secteurs où il se donne moins de formation que partout ailleurs.

Alors que 17% des entreprises donnent une formation « sur le tas » et 66% une formation organisée, 17% des entreprises de 20 employés et plus ne donnent aucune formation à leurs travailleurs. On constate que l'absence de formation touche 20% des entreprises de production de biens, surtout la construction (31%), le textile (22%), et les industries du bois du meuble et du papier (20%), contre 13,5% des entreprises de services, spécialement le transport et les communications (24%), les services (21%), ensuite le commerce (14%). Moins de 5% des entreprises d'administration publique, santé et éducation, ne donnent pas de formation à leurs travailleurs et à leurs travailleuses.

Ce sont les petites entreprises privées qui dispensent le moins de formation à leurs employés.

La taille des entreprises est un facteur important dans la présence ou non de formation. Ainsi 24% des petites entreprises de 20 à 99 employés ne donnent aucune formation. Le pourcentage tombe à 7% dans les moyennes entreprises (100 à 499) et n'est plus que de 4% dans les grandes (500 et plus). Étant donné que, dans notre sondage, nous ne tenons pas compte des entreprises de moins de 20 employés et que c'est surtout dans les petites entreprises qu'il y a peu de formation, nos résultats auraient tendance à sous-estimer la proportion d'entreprises qui ne donnent aucune formation. Cependant, quand on examine le pourcentage de main-d'oeuvre concerné par les entreprises qui ne donnent aucune formation, c'est à peine 5% de la main-d'oeuvre totale.

L'absence de formation est davantage le lot des entreprises privées, 19%, contre 3% dans le public et, dans le secteur privé, ce sont les entreprises indépendantes surtout que cela concerne: 25% contre 11% dans les entreprises intégrées.

Par ailleurs, ce sont dans les entreprises où la proportion d'ouvriers qualifiés et non qualifiés est importante que le pourcentage d'absence de formation est le plus élevé (20%).

La syndicalisation intervient assez faiblement, 20% des entreprises qui n'ont pas de formation n'ont pas d'employés syndiqués, contre 14% qui ont des employés syndiqués.

Pourquoi ne donnent-elles pas de formation ?

Lors du sondage téléphonique où, par ailleurs, le taux de réponse a été exceptionnel (93%), nous avons essayé de savoir pourquoi ces entreprises ne donnaient pas de formation à leur travailleurs. La question a également été posée aux entreprises qui ne donnaient qu'une formation « sur le tas ». Le tableau suivant illustre le type de réponses reçues.

Tableau 25 Répartition des entreprises en fonction des raisons apportées pour expliquer l'absence de formation organisée dans les entreprises

 

Entreprises n'ayant aucune activité de formation

Entreprises donnant une formation sur le tas seulement

Total

Pas de besoin en matière de formation

82,5

71,9

77,8

L'entreprise préfère recruter directement du personnel qualifié

11,6

8.1

9,8

L'entreprise ne peut se permette de telles activités

4,S

8.1

6.7

La conjoncture est difficile

4,8

6,6

5.7

II n'existe pas de programme

5.8

3,0

II existe un manque d'intérêt de la part de la direction et/ou des employés

0,4

2.3

1.2

La formation déjà donnée était inadéquate

0,6

1.1

0,8

Programme de formation en préparation

0,6

0,3

1. Ces pourcentages ne peuvent être additionnés, plusieurs réponses étant possibles. Ajoutons que chacun d'eux a pour base le nombre des entreprises de l'échantillon sans formation organisée qui ont répondu à cette question (N = 508).

Source: C.E.F.A., Sondage sur les pratiques de formation en entreprise, Québec 1980, Annexe 3, chapitre 4.

En général, ces entreprises ne ressentent pas de besoin de formation.

La grande majorité de ces entreprises déclare ne pas avoir actuellement besoin de formation. Rappelons ici qu'il s'agit surtout de petites entreprises. 11% disent tout bonnement qu'elles préfèrent recruter directement le personnel qualifié dont elles ont besoin. C'est d'ailleurs ce qu'avaient relevé certaines enquêtes fédérales déjà citées. Toutefois un faible pourcentage des entreprises estime qu'elles ne peuvent se permettre, de donner une formation.

Du personnel qualifié et des moyens financiers pourraient être incitatifs.

A la question posée concernant les moyens qu'elles auraient jugés nécessaires pour pouvoir donner de la formation à leurs travailleurs et à leurs travailleuses, le manque de personnel qualifié(21) a été mentionné dans 53% des cas (N = 90), les moyens financiers(22) dans 31% des cas, le temps et les locaux dans 18% des cas, une politique de formation dans 15%. La motivation des employés n'a été soulevée que dans 4% des cas et une entente avec les syndicats dans 2% seulement des cas.

En résumé, il appert que peu d'entreprises ne donnent aucune formation. Ce sont davantage les petites entreprises du secteur privé (les entreprises indépendantes) qui sont dans cette situation. Elles disent, en général, ne pas ressentir de besoins en matière de formation pour les employés.

3.3.2.2. Les inégalités d'accès selon diverses caractéristiques des travailleurs et des travailleuses

Nous venons de voir que ce ne sont pas toutes les entreprises qui donnent une formation à leurs employés. Nous verrons maintenant que les différentes catégories de travailleurs n'ont pas accès de la même façon à la formation qui est donnée par l'employeur. En effet, qu'il s'agisse de formation « sur le tas », formation organisée en activités « ad hoc » ou dans le cadre de véritables programmes ou politiques de formation, les cadres et les professionnels ont plus souvent accès à une formation que les employés de bureau et les travailleurs qualifiés. Quant aux travailleurs et travailleuses non qualifiés, ils sont réellement les parents pauvres de la formation en entreprise. Notre sondage dans les entreprises a confirmé ce que des études européennes avaient révélé, et ce que mentionnent également, pour le Canada, les récentes enquêtes déjà citées, entre autres, l'enquête de Statistique Canada en 1973 qui portait sur les cours donnés par l'employeur.

Cette enquête révélait, entre autres, que les travailleurs qui reçoivent le plus de formation donnée par l'employeur sont les hommes de 25 à 34 ans, les membres des professions libérales, techniciens et administrateurs. Les manoeuvres, les travailleurs non spécialisés, les agriculteurs et les travailleurs agricoles sont réellement les exclus de la formation. Par ailleurs, les secteurs d'activités où il se fait peu de formation sont la construction, les industries manufacturières et le commerce.(23)

A) Les inégalités d'accès selon la catégorie socioprofessionnelle

Selon les données du sondage, les entreprises qui donnent une formation organisée, durant les heures de travail sont plus nombreuses à en offrir aux cadres (40%) qu'aux « professionnels » (29%), aux employés de bureau (29%), ou aux ouvriers spécialisés (31%).

Dans les entreprises québécoises, les cadres et les « professionnels » sont ceux à qui on donne le plus de formation. Les laissés pour compte sont les ouvriers et ouvrières non spécialisés.

La différence la plus prononcée se situe entre les cadres (40%) et les ouvriers non spécialisés (12%).

Quant aux bénéficiaires de cette formation, on remarque que les cadres, déjà favorisés quant au nombre d'entreprises qui organisent des activités à leur intention, sont, avec les « professionnels », les bénéficiaires les plus fréquents d'activités organisées. Les employés de bureau et les ouvriers spécialisés connaissent une situation similaire; ils sont deux fois moins nombreux que les cadres et « professionnels » à profiter de telles activités. Quant aux ouvriers et ouvrières non-spécialisés, généralement peu scolarisés, pour qui une faible proportion d'entreprises mettent sur pied des activités organisées, ils sont peu nombreux à recevoir une formation. À toutes fins utiles, ils sont des « laissés pour compte » du système de formation; dans les entreprises où l'on organise des activités à l'intention des employés, ils sont neuf fois moins nombreux que les cadres ou les « professionnels « à en bénéficier.

On remarque également que dans le cas des activités organisées pour les cadres ou les « professionnels » et pour les employés de bureau, la proportion des bénéficiaires croît avec la taille de l'entreprise. Pour les ouvriers cependant, elle demeure relativement faible, peu importe la taille de l'entreprise.

De plus, parmi les cadres et les « professionnels », ceux du secteur public et des entreprises indépendantes sont proportionnellement plus nombreux à bénéficier d'une formation que leurs collègues des entreprises intégrées. Chez les employés de bureau, la proportion de bénéficiaires est plus élevée dans le secteur public que dans le secteur privé (entreprises intégrées et entreprises indépendantes). Quant aux ouvriers, peu importe le statut de l'entreprise, la proportion de bénéficiaires y est toujours plus faible. Ainsi, un ouvrier d'une entreprise indépendante a dix fois moins de chances d'être parmi les bénéficiaires d'une formation que le cadre travaillant dans le même type d'entreprise.

Le fait d'être une entreprise dont les travailleurs et travailleuses sont syndiqués ne modifie guère la situation.

Quels que soient les secteurs de production (de biens ou de services), les cadres et « professionnels » sont plus favorisés que les autres employés. Quant à la syndicalisation, elle favorise légèrement plus les « professionnels » que les autres travailleurs. Dans le cas des autres employés (ouvriers), c'est l'inverse: la proportion d'entreprises qui donnent une formation durant les heures de travail est un peu plus élevée là où les travailleurs ne sont pas syndiqués que là où ils le sont.

En résumé, les cadres et les « professionnels » sont plus souvent les bénéficiaires d'activités de formation que les autres catégories de travailleurs. Par contre, les plus défavorisés au plan de la formation sont nettement les travailleurs et les travailleuses non qualifiés, et cela, quels que soient la taille ou le statut de l'entreprise.

B) Les inégalités d'accès selon le sexe

Les femmes se concentrent encore trop souvent dans certains types d'emplois peu qualifiés ou dans des emplois de bureau, et l'on pourrait penser que c'est la catégorie socioprofessionnelle de ces dernières qui conditionne l'accès ou non à une formation. Or, en plus de cette réalité, on constate que les travailleuses ont proportionnellement moins de possibilités en matière de formation que les travailleurs.

Comme le faisait remarquer Claude Dubar, cette inégalité demeure, quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, ce qui indique qu'il s'agit bien là d'un phénomène spécifique étroitement lié aux moindres chances de formation des femmes et à la sur-exploitation dont elles sont victimes dans la vie professionnelle et sociale.(24)

Les raisons invoquées par de nombreux employeurs en ce domaine sont bien connues. Pourquoi investir dans la formation d'une personne qui risque de nous quitter n'importe quand? Si la femme est célibataire on dira: « elle va se marier! »; si elle est mariée on dira: « elle va avoir des enfants! », et ne sachant plus que dire : « de toutes façons « la femme » a peur de prendre des responsabilités! », elle ne peut envisager des déplacements fréquents à cause de sa famille, elle n'aura pas l'autorité voulue, etc. Autant de préjugés expliquent que des employeurs hésitent à donner une formation à leur personnel féminin.

Il est très difficile, à travers les sondages, de cerner toute l'ampleur de l'inégal accès à la formation pour les femmes, car les sondages présentent difficilement des données par sexe étant donné que cela implique, au niveau de l'échantillonnage, un échantillon plus important, un dédoublement des réponses, donc des coûts plus élevés. C'est la principale limite que nous avons rencontrée dans notre sondage en entreprise. Cependant, les quelques données que nous avons pu utiliser semblent révéler certaines inégalités d'accès hommes/femmes.

Globalement, les entreprises ont des femmes et des hommes à leur service, mais une plus grande proportion d'entreprises donnent une formation (« sur le tas » et organisée) aux hommes. Par contre, compte tenu de leur proportion dans ces entreprises, dans l'ensemble, les femmes ont autant profité que les hommes d'une formation organisée, durant ou en dehors des heures de travail. Ceci illustre la concentration des femmes dans certaines entreprises et dans certains secteurs. Cependant, si on analyse la répartition des bénéficiaires dans le secteur de la production de biens, on remarque que, contrairement au secteur de la production de services où la proportion de bénéficiaires (hommes/femmes) est semblable, il y a eu, dans ce secteur, proportionnellement beaucoup plus de bénéficiaires masculins d'activités de formation (29,5% dans le cas des hommes et 6% dans le cas des femmes).

Les différences entre bénéficiaires hommes/femmes sont plus prononcées dans le cas des grandes entreprises (32% d'hommes et 21% de femmes). Cela ne joue pas dans le secteur public où la proportion de femmes bénéficiaires est légèrement supérieure (31% contre 26% chez les hommes).

En fait, les entreprises qui semblent les plus défavorables aux femmes en matière de formation sont les entreprises intégrées : une proportion de 30% d'hommes contre 13% de femmes ont bénéficié d'une formation dans ces entreprises; l'écart est plus prononcé dans le cas des entreprises étrangères: 36,5% d'hommes contre 8% de femmes bénéficiaires.

On constate également que les entreprises où il y a peu de cadres et de « professionnels », mais une forte proportion d'employés de bureau et d'employés qualifiés et non qualifiés, les différences hommes/femmes sont plus accentuées.

Les données de notre sondage ne nous permettent guère d'aller plus loin. Elles sont cependant un indicateur précieux: si l'on veut véritablement cerner l'inégalité d'accès à la formation selon le sexe, il ne faut pas se contenter de données globales, une analyse détaillée par secteurs d'emplois et catégories d'emplois s'impose.

Cependant, si un bon nombre d'entreprises préfèrent investir en formation chez les hommes, d'autres, par contre, commencent à réaliser que de nombreuses femmes ont des capacités qui peuvent se révéler du plus grand intérêt pour l'entreprise et acceptent plus volontiers de donner des programmes de formation à leurs employées.

3.3.2.3 Le congé-éducation, payé ou non payé

Nous avons examiné précédemment les conséquences d'un marché de travail segmenté et les différentes inégalités d'accès à la formation qui en découlent. Les travailleurs, et surtout les travailleuses non qualifiées, se concentrent dans ces marchés secondaires qui sont, comme nous l'avons vu, l'apanage d'un grand nombre de petites entreprises où il se fait relativement peu de formation durant les heures de travail. Dans cette section nous aborderons le sujet du congé plus ou moins large, dont peuvent bénéficier certains travailleurs, appelé communément « congé-éducation ».

Nous ferons un bref rappel des situations étrangères et canadiennes en cette matière avant d'analyser celle du Québec où elle est au point mort. En effet, les employeurs québécois sont extrêmement réticents à l'égard du congé-éducation. Pour leur part, les employés, surtout en cette période de crise économique, se préoccupent davantage de garder leur emploi. Les syndicats, quant à eux, se sont d'abord préoccupés de revendiquer des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail pour leurs membres, avant de mener, pour eux, des « batailles » pour un congé-éducation.

Certains pays ont reconnu le droit de l'individu à un congé payé d'éducation.

A) Le congé-éducation à l'étranger

Contrairement au Québec, au Canada ou aux États-Unis, certains pays européens se sont donnés une politique de congé payé d'éducation. C'est le cas de la Suède, de l'Italie, de la France, de la Belgique par exemple qui reconnaissent le droit de l'individu à un congé payé, réglementé par une loi nationale qui appelle des dispositions d'application paritairement négociées. Alors qu'au Royaume-Uni, aux États-Unis ou au Canada, ce sont les employeurs qui accordent ou non un congé aux fins d'éducation.

Définition du congé-éducation payé (O.I.T.), article 1 :

Congé-éducation payé signifie un congé accordé à un travailleur à des fins éducatives pour une période déterminée, pendant des heures de travail avec versement de prestations financières adéquates.

Article 2:

Tout membre devra formuler et appliquer une politique visant à promouvoir, par des méthodes adaptées aux conditions et usages nationaux et au besoin par étapes, l'octroi de congé-éducation payé à des fins:

Source: Conférence générale de l'Organisation internationale du travail, Genève 5 juin 1976, 59e session.

La formation dite « professionnelle » s'est taillée la part du lion dans ces systèmes de congé-éducation au détriment des autres formations.

La formule du congé-éducation payé s'est imposée dès le début des années 60 dans les organismes internationaux comme un élément important sinon essentiel pour l'exercice, par les adultes, de leur droit à la formation.(25) Le congé-éducation est devenu, dans certains pays, un droit reconnu au salarié, déterminé et organisé au terme de négociations collectives entre les différents partenaires sociaux et réglementé par une législation.

Sous la pression des syndicats des travailleurs de divers pays, l'Organisation internationale du travail a abordé le congé-éducation dès 1965 et, en 1974, ses travaux ont débouché sur une convention (140) et une réglementation (148) en regard du congé-éducation payé. Cette convention fut le résultat des compromis entre les partenaires membres de l'O.I.T.

D'autres organisations internationales comme l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (O.C.D.E.)(26) ou l'Unesco, ont elles aussi beaucoup contribué au débat sur ce thème: l'O.C.D.E. en développant la notion d'éducation récurrente(27) et l'Unesco en adoptant une recommandation sur le développement de l'éducation des adultes en 1976, recommandation en 67 points dont l'un était de promouvoir l'octroi de congés à des fins éducatives, pendant les heures de travail, avec maintien de rémunération ou versement d'une rémunération de substitution et compensation du coût de l'éducation reçue(28).

a) Le congé-éducation comme droit des individus

Les systèmes de congé-éducation sont très diversifiés d'un pays à l'autre. Certains pays comme la France (1971),l'Italie (29)(1973), la Suède (1975), la Belgique (1973), la Yougoslavie (1975) ont opté pour la reconnaissance d'un congé-éducation comme droit aux individus. Les buts poursuivis sont la mobilité sociale et le droit de l'individu à une formation professionnelle, à l'éducation et à la culture. Il y a cumul de deux droits pour le travailleur, celui de choisir le cours qu'il veut suivre (dans le cadre, il est vrai, d'un ensemble de règles relatives aux choix des enseignements et des institutions qui les délivrent) et celui de s'absenter de son travail à cette fin(30).

Bien que la plupart des systèmes de congé-éducation aient inclus au début les trois types de formation: professionnelle, générale, et éducation syndicale, dans les faits, c'est la formation dite « professionnelle » qui s'est taillée la part du lion dans l'utilisation de ces systèmes de congé-éducation.

Même l'Italie qui reconnaît un droit à l'étude permettant la formation sociale et culturelle des travailleurs sur le temps de travail avec rémunération (banque de 150 heures) subit, comme le signale l'I.C.E.A., des pressions qui semblent extrêmement fortes et variées pour infléchir l'usage du congé-éducation vers la formation professionnelle(31).

L'extension de la formation générale sociale et culturelle au champ du congé-éducation soulève des oppositions et pose des problèmes comme le faisait remarquer le rapport de l'O.C.D.E. sur le congé-éducation.132' Ainsi, la majorité des employeurs considèrent qu'ils n'ont pas à combler les lacunes du système de formation initiale et que c'est du ressort de l'État de préparer la main-d'oeuvre et de lui fournir la formation de base et générale dont elle a besoin.

Par contre, une augmentation du niveau culturel des travailleurs doit normalement accroître la participation aux affaires politiques mais aussi économiques de la société. Ceci implique que les structures des entreprises et les conditions de travail se transforment dans le sens d'une plus grande participation des travailleurs. Nous développerons ce point dans la partie du document qui traite de la participation des adultes.

Règle générale :

Le financement est réparti entre l'Etat et les employeurs, mais ces coûts sont en fait reportés sur l'ensemble de la population.

La durée du congé-éducation varie d'un pays à l'autre. En France et en Suède, le nombre d'heures est égal au nombre d'heures de cours suivis; en Belgique et en Italie, où existe le système de crédit d'heures, la compensation n'est que partielle.

La règle générale est le partage du financement entre l'État et les employeurs. Le financement est assuré par une taxe sur les salaires versés. Cette taxe peut être à la charge exclusive de l'employeur comme en France ou partagée entre l'État et les employeurs comme en Belgique. En Yougoslavie, ce sont les collectivités territoriales, dans le cadre de l'autogestion, qui gèrent et financent la formation.

Comme on le signalait dans le rapport de l'O.C.D.E. sur le congé-formation, le type de financement retenu, faisant appel à un effort important des entreprises, ne permet pas de savoir qui supporte, en définitive, la charge financière des systèmes. En règle générale, les cotisations des entreprises sont considérées fiscalement comme des charges sociales, c'est-à-dire qu'elles sont comptabilisées comme des frais généraux et viennent donc en déduction des bénéfices imposables. Il serait nécessaire de connaître précisément les différents régimes d'imposition des entreprises pour y voir clair. On peut cependant estimer que cette charge supplémentaire est répercutée dans le prix, peut-être pas immédiatement, mais au moins à moyen terme et sans doute partiellement. (33)

En résumé, même si le congé-éducation entre dans la catégorie des « conquêtes sociales » au même titre que les garanties contre la maladie et les régimes de pensions de vieillesse, le problème est donc d'organiser le dispositif pour le rendre efficace tant du point de vue social que du point de vue individuel.(34)

De nombreux problèmes d'application et surtout un faible pourcentage de bénéficiaires ont grandement entaché cette « conquête sociale ».

Le congé-éducation pose certains problèmes dans son application.

La France, par exemple, est au prise avec un congé-éducation qui bénéficie aux cadres surtout ou aux plus scolarisés. Une pléthore d'institutions privées de formation drainent la majorité des fonds de la taxe aux entreprises. De plus, un manque d'information et la complexité, pour un grand nombre de travailleurs et de travailleuses, des dédales administratifs et formulaires de toutes sortes à remplir, font que peu de salariés revendiquent et exercent effectivement le droit à ce congé.

Le fait que des organisations syndicales assurent elles-mêmes l'information sur le congé-éducation a amené un plus grand nombre de travailleurs à en bénéficier, c'est le cas de l'Italie et de la Suède. Catherine Lecave signale, dans son étude sur l'Italie, que les militants syndicaux formaient le plus gros des inscriptions en 1973, mais, en 1977, les salariés constituaient 77% du groupe des bénéficiaires; les autres étant des travailleurs marginaux, des chômeurs, des femmes hors du marché du travail.(35) Les syndicats, jouant un rôle majeur dans la gestion des congés, s'occupent avec certains groupes d'enseignants de faire de la publicité pour des cours, par voie d'affichage et de tracts dans les quartiers urbains et dans les entreprises.(36) En Suède, les organisations syndicales jouent depuis longtemps un rôle majeur dans l'aménagement des conditions de travail dans l'entreprise, ce qui les a amenés à se préoccuper de la formation de leurs membres. Ils ont revendiqué et obtenu de participer aux décisions dans ce domaine et ont toujours appuyé fortement le congé-éducation.(37)

Nonobstant certains efforts entrepris par la partie syndicale, d'autres facteurs font que les travailleurs et travailleuses ne sont pas incités à revendiquer ce droit, dont la faible répercussion du congé-éducation sur la promotion des salariés se vérifie surtout pour les non-cadres. De plus, ceux qui ont gardé un mauvais souvenir de l'école ne voient guère comment, une fois adultes, ils pourraient espérer quelque chose d'un retour à l'éducation des adultes du système public.

Par ailleurs, comme nous l'avons signalé au début de ce chapitre, les petites entreprises éprouvent beaucoup de difficultés à libérer leurs travailleurs aux fins de congé-éducation. Ces entreprises, en dehors de la formation sur le tas, ne font pas de formation durant les heures de travail, et rarement l'employeur acceptera la demande de congé d'un travailleur. 11 faut dire qu'en période de crise de l'emploi, il est peu probable que l'employé cherche à prendre un congé-éducation qui risque de se terminer par un « congé de son employeur »; surtout dans le cas d'employés non syndiqués.

Dans tous les pays, très peu d'efforts ont été faits jusqu'à ce jour pour étendre ce congé de formation payé à d'autres catégories de travailleurs (travailleurs et travailleuses à temps partiel, à domicile, dans une entreprise familiale et même au foyer).

b) Le congé-éducation comme politique des entreprises

Le congé-éducation: politique de formation de certaines entreprises.

Le congé-éducation : réponse aux besoins du système économique.

La situation au Royaume-Uni et aux États-Unis ne donne pas lieu à de véritable congé-éducation avec reconnaissance d'un droit individuel, bien que, comme le fait remarquer Pierre Paquet(38), de nombreuses politiques de congé-éducation existent en fait dans ces pays.

Au Royaume-Uni, le congé-éducation est presque exclusivement accordé dans un but professionnel et destiné avant tout à répondre aux besoins du système économique. Les lois de 1964 sur la formation industrielle et de 1973 sur l'emploi et la formation ne se préoccupent pas du droit individuel à l'éducation mais du volume et de la qualité de la formation comme un investissement national.(39) Si bien que l'employeur a toute latitude pour refuser un congé-éducation s'il considère qu'il n'a pas intérêt à l'accorder. De plus, il est également libre de le financer ou pas. En général, les travailleurs qui vont en congé de formation sont des travailleurs sélectionnés pour répondre aux besoins de formation des entreprises.

Quant aux États-Unis, l'I.C.E.A. faisait remarquer que ce pays, considéré comme le plus riche au monde, n'a pas cru bon de se donner un programme global d'éducation des adultes et encore moins de congé-éducation payé(40). Le professeur Herbert Levine précise cependant, dans le cadre des travaux sur le congé-formation de l'O.C.D.E., qu'en dépit du fait que l'on n'a pas encore réussi à mettre en place l'appareil national de planification, qui créerait, administrerait et évaluerait les programmes relatifs à la formation, les moyens d'instruction offerts aux États-Unis aux travailleurs et à leurs familles soutiennent honorablement la comparaison avec ceux qui existent effectivement dans la plupart des pays.(41)

L'examen de la situation américaine doit donc tenir compte des nombreuses politiques et pratiques de formation existantes: formules d'apprentissage, de formation en général, pratiques courantes de remboursement de frais de scolarité, caisses de formation du genre « fonds de pension », etc.

Le congé-éducation est sous contrôle quasi exclusif de l'employeur.

Cependant, les politiques de congé-éducation aux État-Unis sont en général restrictives. L'O.C.D.E. signalait qu'en 1976, 138 entreprises privées américaines ont accepté aux termes de conventions collectives, d'octroyer des congés-éducation au million de travailleurs et travailleuses qu'elles emploient.

Les objectifs des congés sont d'abord et avant tout la formation professionnelle liée immédiatement à l'emploi ou inscrite dans un plan de carrière : la réintégration des bénéficiaires dans leur emploi ainsi que la garantie de leur ancienneté et de leurs bénéfices marginaux sont généralement  assurées. La « plupart » des congés-éducation seraient payés, si la formation était agréée par l'employeur, sauf pour la formation syndicale; ainsi ce sont les syndicats qui paient les congés-éducation des quelques 20 à 30 000 représentants qui participent à des sessions de formation syndicale. Les « appareils de formation » peuvent être aussi bien l'entreprise ou les institutions publiques d'enseignement.

Source: I.C.E.A. pour le compte du ministère de l'Éducation, Congés-éducation, travaux d'approfondissement, document no 8.

Les réglementations internes des entreprises américaines relatives aux congés s'appliquent surtout aux salariés ayant un certain minimum d'ancienneté dans l'entreprise. Les organismes publics et les entreprises privées octroyent ce type de congés pour favoriser 1) l'acquisition d'une formation et d'un avancement professionnels, 2) la poursuite d'études universitaires axées sur une progression professionnelle et 3) l'acquisition d'une formation syndicale.

La réintégration dans leur emploi des travailleurs et travailleuses qui prennent ces congés d'étude est en général garantie dans une certaine mesure. Ils gardent presque toujours leurs droits d'ancienneté et dans certains cas, ces droits continuent même de s'accumuler pendant la durée des congés. Leurs droits à la pension et aux diverses prestations d'assurances sont apparemment maintenus dans la plupart des entreprises qui offrent de tels congés.

Les possibilités de congés d'études offertes dans le secteur privé américain ne résultent pas d'une législation fédérale ou d'un Etat. Il semble qu'aucun organisme législatif n'ait jamais envisagé une telle législation aux États-Unis. Dans le secteur public, il existe en revanche des lois, décrets présidentiels et règlements de la fonction publique qui prévoient l'octroi de congés d'étude pour les fonctionnaires désireux d'améliorer leur efficacité professionnelle ou de se préparer à assumer de plus grandes responsabilités. La loi sur la formation des fonctionnaires (Public Law 85-507), le décret-loi 10800, des directives présidentielles et des règlements de la fonction publique peuvent être cités pour illustrer ceci. Les administrations des États offrent également des possibilités d'instruction et de formation à leurs employés.(42) De plus, la durée de ces congés-éducation peut varier de quelques jours à un an et plus.(43)

Le Canada n'a pas ratifié la Convention internationale du travail sur le congé-éducation.

B) Le congé-éducation au Canada

Au Canada, il n'existe pas de politique de congé-éducation et le gouvernement canadien n'a pas ratifié la convention no 140 de l'Organisation internationale du travail (O.I.T.), mentionnée précédemment.

En 1976, le Congrès du travail du Canada (C.T.C.) a fait une déclaration de principe analogue à la recommandation de l'O.I.T. sur le congé-éducation payé et depuis lors, plusieurs syndicats ont négocié des clauses relatives au congé-éducation, entre autres, les Travailleurs unis de l'automobile, le Syndicat des métallos, l'Association internationale des machinistes, le Syndicat canadien de la fonction publique, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, l'Union canadienne des ouvriers unis des brasseries et autres.(44)

Les associations d'employés de bureau et de travailleurs professionnels ont été particulièrement actives dans ce domaine. Par ailleurs, la question du congé-éducation a fait des percées depuis longtemps chez les enseignants, les infirmières, les professeurs d'université et les fonctionnaires.

Rappelons enfin qu'un projet de loi sur le congé-éducation a été déposé récemment au Nouveau-Brunswick(45) et le Conseil supérieur de l'éducation au Québec a recommandé au gouvernement provincial de prendre des mesures à cet égard.(46) Plusieurs commissions canadiennes, chargées de s'occuper de divers aspects de l'éducation, ont recommandé que des mesures soient prises au sujet de l'éducation continue et du congé-éducation.(47)

a) Le congé-éducation : les principales conclusions de la Commission Adams

En mai 1978, fut créée par le gouvernement fédéral la Commission d'enquête sur le congé-éducation et la productivité. Cette commission remit son rapport en juin 1979. Elle fournissait pour la première fois certaines données relatives au congé-éducation à partir d'un échantillon représentatif d'entreprises à travers le Canada. Aucune donnée spécifique sur le Québec n'a été rendue publique jusqu'à maintenant. Nous résumerons(48) ici les principaux résultats obtenus par la Commission Adams.

Moins de 10% des entreprises ont déclaré avoir un plan ou une politique de congé-éducation. Toutefois, celles-ci regroupent 40% du total des employés concernés par l'enquête. L'analyse plus détaillée, par catégorie d'employés, montre que les cadres, spécialistes et gestionnaires jouissent d'une meilleure situation : un peu plus d'entreprises déclarent des programmes à leur intention; la proportion de cadres (54,6%) couverts par ces plans est nettement plus élevée que la moyenne. À l'inverse, les travailleurs de la catégorie « autres » (employés et ouvriers qualifiés et non qualifiés) sont moins nombreux que la moyenne (32,6%).

Par ailleurs, la proportion de travailleurs qui ont bénéficié d'un congé-éducation en 1978 est assez limitée. Si l'on ne retient que les entreprises où de tels plans existent, le pourcentage atteint 1,0% des travailleurs. Si l'on considère plutôt l'ensemble des travailleurs concernés par l'enquête, il est alors de 0,4%. Là encore se superposent des écarts assez marqués entre bénéficiaires, selon leur catégorie occupationnelle.

Les cadres, spécialistes et gestionnaires sont ceux qui profitent le plus de ces programmes. Ils représentent 37,8% des bénéficiaires alors qu'ils composent 16,3% de la main-d'oeuvre dans les entreprises où ces plans sont en vigueur. À l'inverse, les travailleurs de la catégorie « autres » qui comptent pour 56,8% de la main-d'oeuvre de ces entreprises fournissent 34,8% des bénéficiaires.

Peu de travailleurs profitent dans les faits d'un congé-éducation. On peut toutefois se demander quelles sont les caractéristiques de ces quelques milliers de travailleurs (10 368 au total).

59% des bénéficiaires ont entre 35 et 54 ans (cette tranche d'âge représentait au moment de l'enquête, en décembre 1978, à peu près 36% de l'ensemble des travailleurs rémunérés) et 41% ont entre 20 et 34 ans (43% des travailleurs rémunérés se situaient dans cette tranche d'âge en décembre 1978). À toutes fins utiles, les travailleurs de moins de 20 ans ou de plus de 55 ans se trouvent exclus de ce bénéfice. L'analyse par catégorie d'employés fait ressortir des situations assez différentes cependant. Une forte majorité des cadres (88%) et des employés de bureau (84%) bénéficiant de congés-éducation ont entre 35 et 54 ans. Mais la quasi totalité des travailleurs de la catégorie « autres » (96%) appartiennent à la tranche des 20 à 34 ans.

Les femmes sont légèrement sur-représentées (38%) parmi les bénéficiaires car elles comptent pour 33% de la main-d'oeuvre dans les entreprises où de tels congés existent. Cet écart est dû au nombre plus important de femmes (46%) ayant obtenu un congé-éducation dans la catégorie des cadres, spécialistes et gestionnaires.

Deux secteurs (services et administration publique) regroupent à eux seuls les 9/10 des travailleurs ayant obtenu un congé-éducation en 1978. Tous les autres secteurs réunis dépassent à peine les 10%.

Dans la plupart des cas (8,7% des entreprises, couvrant 35,9% de la main-d'oeuvre totale) ces congés sont offerts aux employés dans la mesure où il s'agit d'une formation reliée à l'emploi. S'il s'agit de formation syndicale ou encore de formation générale ou sociale, les possibilités diminuent nettement: moins de 14% des employés sont touchés par de tels congés. L'analyse par catégorie d'employés montre que les cadres, spécialistes et gestionnaires sont mieux couverts que la moyenne, à la fois pour la formation reliée à l'emploi (49%) où la moyenne est de 35,9%, et pour la formation générale ou sociale (22,5% contre une moyenne de 13,7%). Les travailleurs de la catégorie « autres » sont défavorisés, peu importe le genre de formation.

Les trois quarts des congés-éducation accordés en 1978 s'étalaient sur une période de six à neuf mois, coïncidant « avec la durée de l'année scolaire ». Cette situation s'applique particulièrement aux employés de bureau (89%) et aux travailleurs de la catégorie « autres » (85%). Parmi les cadres, spécialistes et gestionnaires cependant, une quantité non négligeable d'employés (33%) ont reçu une formation plus longue.

Dans la majorité des cas ces programmes ont été implantés unilatéralement par l'employeur (7,9% des entreprises couvrant 28,6% de la main-d'oeuvre totale). La mise en place d'un programme ou d'une politique de congé-éducation, suite à la négociation d'une convention collective ou encore suite à une autre forme d'entente, est sensiblement moins fréquente. Le détail de l'analyse par catégorie d'employés montre que les programmes mis en place par l'employeur seul servent mieux les cadres, spécialistes et gestionnaires (45% sont concernés) que les employés de la catégorie autres (21%). Mais à l'inverse, l'on rejoint mieux ces derniers (10,5%) que les cadres (4,4%) par des congés lorsqu'ils font l'objet de négociation dans une convention collective.

Parmi les conditions les plus fréquentes dont sont assortis les congés-éducation, on note la rémunération partielle ou totale du travailleur (5,5% des entreprises, concernant 21,9% de la main-d'oeuvre totale de l'enquête) et le paiement, en tout ou en partie, des frais de scolarité (6,1% des entreprises impliquant 27,2% des employés). Pour ces deux types de mesures, les cadres et les employés de bureau sont plus avantagés que les travailleurs de la catégorie « autres ».

Sur le principe du congé-éducation, l'unanimité se fait; pour tout le reste, les divergences sont très fortes.

En ce qui concerne les oppositions ou les consensus sur ce sujet controversé du congé-éducation, le rapport Adams signale que dans les mémoires déposés à la Commission: il n'y a pas eu d'importante opposition de principe au congé-éducation.

Les représentants des travailleurs, du patronat et des enseignants ont exprimé l'avis qu'un certain laps de temps passé loin du travail à des fins éducatives pouvait être enrichissant dans certains cas particuliers en vue d'atteindre des objectifs précis. Le principal sujet de controverse porté devant la Commission Adams concernait la nécessité d'une initiative gouvernementale. Des représentants du mouvement syndical et de nombreux spécialistes de l'éducation étaient d'avis que les occasions d'éducation et de formation offertes à l'heure actuelle étaient insuffisantes.(49) Par ailleurs, en général, les représentants du patronat estiment que l'éducation est une responsabilité individuelle et sociale et qu'il ne faut pas s'attendre à voir l'industrie se charger de tout le poids financier du congé-éducation.(50) Dans l'ensemble, les représentants du patronat ont exprimé l'avis que le droit universel au congé-éducation n'était pas la solution appropriée aux problèmes existants.(51)

Dans son rapport, la Commision Adams a recommandé entre autres la ratification de la convention no 140 de l'O.I.T. : ... Nous recommandons que le gouvernement canadien ratifie la convention no 140 de l'Organisation internationale du travail. Ce faisant, le Canada démontrerait son engagement aux buts que nous venons de mentionner et reconnaîtrait que le congé-éducation est une méthode appropriée et parfois même nécessaire pour réaliser ces objectifs. Pour se conformer à la convention, le Canada devra énoncer et appliquer une politique destinée à promouvoir l'octroi d'un congé-éducation payé aux fins de formation à tous les niveaux, d'éducation générale, sociale et civique d'éducation syndicale.(52) On recommandait également le droit à un congé pour la formation syndicale, un congé de jour aux fins d'alphabétisation, et un régime enregistré du congé-éducation.

Le congé-éducation au Canada: un dossier en suspens..

Or, deux ans après le dépôt de ce rapport, on s'interroge encore sur les suites données à ces recommandations, les membres n'ayant pu s'entendre sur la nécessité d'un droit général au congé-éducation. La Commission s'était limitée à proposer que le gouvernement suive les développements dans l'industrie et, si le besoin général de congé à des fins éducatives acceptables se faisait sentir dans l'avenir, la possibilité d'établir un droit général en ce sens devrait être étudié(53).

S'il n'existe pas de politique de congé-éducation au Canada, si cette idée n'a guère fait de chemin ces dernières années du côté gouvernemental, ceci ne veut pas dire que le gouvernement fédéral n'a pas mis en avant des politiques de formation de la main-d'oeuvre. Au contraire, nous verrons plus explicitement dans la sixième partie de ce document que ce fût la porte qu'il emprunta pour s'immiscer dans l'éducation de juridiction provinciale et ce, depuis de nombreuses années.

Voyons donc brièvement les politiques de formation professionnelle mises en avant par le gouvernement fédéral.

b) Les politiques de formation professionnelle du gouvernement fédéral

La conjoncture de la fin des années 50 a amené l'État à exercer un contrôle plus systématique sur les marchés de travail et à mettre en place des programmes qui se voulaient une politique « active » de la main-d'oeuvre(54).

En 1966, suivant en cela les propositions faites par l'O.C.D.E. en 1964 en vue de développer une politique active de main-d'oeuvre, le gouvernement fédéral crée le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. Ce ministère est appelé à remplir deux rôles majeurs : développer une connaissance complète des conditions des marchés de travail; mettre sur pied un réseau d'agences aptes à fournir des services adéquats aux travailleurs et aux employeurs (les centres de main-d'oeuvre).

L'année suivante le gouvernement adopte une Loi sur la formation professionnelle des adultes, appelée « Bill C-278 ». Cette loi met fin aux programmes à frais partagés avec les provinces qui dataient de 1960, dans le cadre de la Loi d'assistance à la formation technique et professionnelle. Ces programmes à frais partagés étaient au nombre de dix. Le plus important concernait la formation des chômeurs que le gouvernement fédéral finançait jusqu'à 75%. Il y avait également un programme de formation en industrie, l'aide au recyclage, au perfectionnement, à l'apprentissage d'un métier, etc.

Il s'agissait là de la première tentative d'envergure de la part du gouvernement fédéral pour faire face aux problèmes économiques en termes de politique de main-d'oeuvre.

Avec la Loi C-278, le gouvernement fédéral affirme sa juridiction sur la formation professionnelle des adultes; c'est lui qui finance entièrement cette formation. Le fédéral assume dorénavant les responsabilités en ce qui concerne le perfectionnement et le recyclage de la main-d'oeuvre sur les marchés de travail. Se trouve alors créé le programme de formation de la main-d'oeuvre du Canada (P.F.M.C.) sous la responsabilité du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration.

Cette loi accorde aux centres de main-d'oeuvre du Canada des responsabilités importantes dans le domaine de la formation professionnelle des adultes (F.P.A.):

Ce programme fédéral (P.F.M.C.) vise les cours de formation en institution et les cours de formation en industrie.

La formation en institution est généralement assurée dans les écoles techniques, les commissions scolaires et les collèges communautaires. La formation en industrie est centrée sur l'entreprise et les stagiaires font partie du personnel, du moins pendant la période de formation. Le gouvernement fédéral rembourse à l'entreprise la plupart des dépenses qu'entraîne la formation ainsi que le salaire des stagiaires en formation (jusqu'à un montant maximum de 130 $/semaine). Les provinces en sont responsables et fournissent aux entreprises l'aide nécessaire pour procéder à l'analyse des besoins, pour établir les plans de formation, pour superviser la qualité de la formation et en réaliser la reconnaissance. Au Québec, les tâches sont partagées entre les Centres de main-d'oeuvre du Québec et des conseillers des commissions scolaires mandatées par la D.G.E.A.

La formation en industrie poursuit différents objectifs :

- formation en cours d'emploi afin que des travailleurs recevant une formation en institution acquièrent les normes de productivité requises ; - formation  en  cours  d'emploi  pour pallier la pénurie  de  travailleurs qualifiés ;

- formation en cours d'emploi pour perfectionner les travailleurs de manière à faire face aux changements technologiques ou aux modifications dans la production.

À partir de 1970, le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration accorde plus d'importance au programme de formation en industrie. Le Conseil économique du Canada, dans son huitième exposé annuel (1971), critiquait la politique en cours consistant à s'appuyer presque exclusivement sur la formation en institution.

Au programme de formation en industrie vient s'ajouter le programme de formation en cours d'emploi en décembre 1971, dans le cadre du plan spécial de stimulation de l'emploi. Le gouvernement rembourse alors 75% du salaire des stagiaires participant à ce programme. Les stagiaires doivent être des chômeurs et être sélectionnés par les centres de main-d'oeuvre. Le gouvernement ne rembourse pas les frais de formation. On prévoit alors 20 $ millions pour ce programme, mais très vite le budget est augmenté à 50 $ millions.

Ces deux programmes qui relèvent de la formation en industrie sont cependant différents. Dans le premier cas, il s'agit d'une subvention à l'employeur visant la formation des travailleurs et travailleuses dans l'entreprise; dans l'autre cas, il s'agit de stages subventionnés en entreprise, c'est-à-dire une aide à l'embauche des sans-travail pour leur permettre de réintégrer les marchés de travail. Il s'agit plus d'une stratégie pour contrer la hausse du taux de chômage qu'un réel programme de création d'emploi ou de formation professionnelle.

En 1974, ces programmes seront refondus en un seul, le programme de formation industrielle de la main-d'oeuvre du Canada (P.F.I.M.C.). Cette même année, il y a signature d'un accord fédéral-provincial sur la formation professionnelle des adultes et cet accord prévoit la formation d'un comité fédéral-provincial de main-d'oeuvre au Québec, pour gérer cet accord et se répartir les responsabilités en matière de formation professionnelle. Cet accord sera prolongé jusqu'en mars 1978, renouvelé en 1978-1979, prolongé jusqu'en 1981 puis renouvelé pour un an.

Le P.F.I.M.C. a pour buts de remédier au problème de pénurie de main-d'oeuvre spécialisée, de prévenir les licenciements attribuables aux changements technologiques, d'augmenter les possibilités d'emploi pour les chômeurs qui ne disposent pas de toutes les compétences requises à l'exercice d'une tâche et enfin, d'encourager les employeurs à engager et à former certaines clientèles cibles(55).

En 1979, est venu s'ajouter un autre programme de formation dans les métiers en pénurie de main-d'oeuvre spécialisée (F.M.P.M.S.) soumis aux mêmes mécanismes de coordination et de contrôle qui prévalent dans le cas du P.F.I.M.C. Ce programme a pour but d'encourager les employeurs à entreprendre et maintenir des activités de formation dans les métiers spécialisés ou professions similaires hautement spécialisées de cols bleus qui souffrent de pénurie chronique au Canada à cause du manque de développement national de compétences pour répondre aux besoins de l'industrie )(56).

C) Le congé-éducation au Québec

Québec n'a pas de politique de congé-éducation et le débat sur cette formule demeure ouvert.

Au Québec, le fait de ne pas avoir de législation relative au congé-éducation ne signifie pas que tous les travailleurs et travailleuses soient privés de ce type de congé. Un certain nombre d'entreprises, publiques et privées, offrent à leurs salariés des congés avec rémunération durant les heures normales de travail. Par contre, comme le faisait remarquer Pierre Paquet dans un article récent, dans l'ensemble, le congé-éducation payé, lorsqu'il existe, se trouve sous le contrôle quasi exclusif de l'employeur, sauf en matière de formation syndicale.(57) C'est souvent l'entreprise seule qui décide qui pourra en bénéficier, décidant également de la durée ou de la nature du congé. Comme le faisait remarquer l'auteur, il ne s'agit pas alors d'un droit de l'individu lui permettant de choisir la formation répondant à ses propres besoins et aspirations .(58)

a) Dans les sondages de la Commission

Deux sondages réalisés dans le cadre des travaux de la Commission nous apportent un certain éclairage sur cette question. En effet, notre sondage sur les pratiques de formation en entreprise au Québec(59)nous révèle que la formation donnée durant les heures de travail, que ce soit des cours, des stages ou des sessions, est en général de courte durée.

Tel qu'en témoigne le tableau suivant, la formule le plus souvent retenue par les entreprises concernées a été le bloc de formation, de plus d'une journée mais de moins de trois mois consécutifs à temps plein. 70,5% des entreprises ont dispensé, de cette façon, leurs activités de formation pendant les heures de travail. Vient ensuite, dans une proportion de 61,7%, des entreprises qui ont dispensé de la formation moins d'une journée à la fois, mais échelonnée sur plusieurs semaines ou mois (ex. : cours d'une demi-journée pendant plusieurs semaines). La formule qui a finalement été la moins retenue par les entreprises est celle d'une formation de longue durée, c'est-à-dire de plus de trois mois consécutifs à temps plein, comme par exemple, les années sabbatiques ou les congés-formation, 13,5% des entreprises seulement l'ayant utilisée.

Tableau 26 : Répartition des entreprises déclarant des activités de formation dispensées durant les heures de travail, selon leur durée

Durée de la formation

N

%

Activités de courte durée

Formation de moins d'une journée à la fois, mais échelonnée sur plusieurs semaines ou mois

185

61,7

Bloc de formation de plus d'une journée mais moins de 3 mois consécutifs à temps plein

212

70,5

Activités de longue durée

Formation de plus de 3 mois à temps plein

50

13,5

Ces pourcentages ne peuvent être additionnés, plus d'une réponse étant possible. Ajoutons que chacun d'eux a pour base le nombre des entreprises de l'échantillon ayant de la formation durant les heures de travail et qui ont fourni les informations requises. (N = 300). Source:  C.E.F.A.,Sondage sur les pratiques de formation en entreprise, Québec,

* Cf. quelques éléments de méthodologie de ce sondage rappelés dans la première partie de ce rapport et dans l'annexe 2, pour l'ensemble des résultats.

Il ressort du sondage sur les activités éducatives au Québec* que plus du tiers des adultes qui font des activités éducatives directement reliées à un emploi ont obtenu un congé de leur employeur durant l'année 1979-1980. Les hommes bénéficiaient davantage que les femmes de ce type de congé (38% contre 29%). Dans le cadre d'activités sociales et culturelles, 10% seulement ont bénéficié de congé dont 15% chez les hommes et 5% chez les femmes.

Par ailleurs, on remarque que 92% des adultes, qui ont obtenu un congé de leur employeur, en ont eu un de moins de 3 mois. Seulement 6% des adultes ont obtenu un congé pour des activités éducatives de plus de trois mois à plein temps.

En outre, notre sondage révèle que la presque totalité des bénéficiaires de congés de courte ou de plus longue durée retrouvent leur emploi au retour dans une proportion de 96%, conservent presque tous leur ancienneté (96%) et leurs avantages sociaux (95%) et ont reçu, pour la plupart, leur plein salaire (91%).(60)

b) Dans les conventions collectives

Une façon de cerner un autre aspect de cette réalité a été d'aller vérifier quelles étaient les modalités prévues à cet effet dans les conventions collectives du Québec.(61)Le fichier d'analyse des conventions collectives du Centre de recherche et de statistique du marché du travail (C.R.S.M.T.) comprend l'ensemble des conventions collectives inscrites au fichier et dont l'analyse était complétée en décembre 1980. Ce fichier contenait 3 772 conventions analysées, impliquant 556 532 employés. Il s'agit des conventions collectives conclues en vertu du Code du travail québécois, qui ont été reçues par le C.R.S.M.T. après le 1er mai 1979, et qui n'ont pas encore été renouvelées, ainsi que des conventions déposées antérieurement au bureau du Commissaire général du travail et expirant le 30 juin 1980 ou postérieurement.

* Définition du congé-éducation au Ministère : Un congé accordé au salarié qui désire compléter ou parfaire sa formation académique ou technique.

Généralement ce type de congé est au moins partiellement rémunéré et il est accordé pour une période déterminée tombant pendant les heures de travail.

N.B. : Ceci exclut le congé-éducation pour éducation syndicale

Source : Manuel de codification des conventions collectives du ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du Revenu.

Comme le faisait remarquer Real Morissette(62) du ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du Revenu, dans un article sur les clauses de formation dans les conventions collectives du Québec, ce fichier ne recouvre pas parfaitement l'univers des conventions collectives en vigueur au Québec.(63) Le fichier d'analyse codifie la présence ou l'absence de différents types de mesures relatives à la formation des salariés, savoir: le congé sabbatique, le congé-éducation*, les mesures de recyclage en cas de changement technologique, ainsi que les mesures favorisant la formation ou le perfectionnement sans référence au changement technologique. L'auteur précise dans l'article que:

plus de 40% des conventions comportent au moins une disposition relative à la formation et surtout que ces conventions englobent près de 70% des employés. Si l'on accorde un tant soi peu de signification à ces données, il serait difficile de soutenir que les questions relatives à la formation ne préoccupent pas les parties aux négociations. De même, il serait hasardeux de prétendre que le congé-éducation ne fait pas l'objet de préoccupations en tant que tel, puisque 11,3% des conventions touchant 38,6% des employés comportent des dispositions à cet effet.(64)

Tableau 27 : Mesures de formation. Présences des mesures spécifiques

 

Conventions

Employés  

 

N

%

N

%

Congé sabbatique

22

0,6

13 032

0,3

Congé éducation

425

11,3

215051

38.6

Recycl. ch. tech.

617

16.4

162 254

29,2

Formation perfectionnement

1 067

28,3

323 301

58,1

Présence de mesure(s) de formation

1 528

40.5

386 987

69,5

Absence de mesure de formation

2 244

59,5

169 987

30.5

Total

3 772

100

556 532

100

* N.B.: Le présent tableau indique le nombre et la proportion des conventions où ces différentes mesures sont présentes ainsi que le nombre et la proportion des employés visés. Source: Real Morissette, « Les clauses de formation dans les conventions collectives au Québec », Le marché du travail, vol. 2, no 4, avril 1981, p. 53.

Comme le précise l'auteur, ces données ne portent évidemment que sur les travailleurs syndiqués. Or, on estime généralement que ceux-ci ne représentent qu'environ 35% de la main-d'oeuvre. De plus, le fichier nous informe sur la présence de dispositions relatives à la formation mais il ne fournit pas d'indications quant à l'utilisation qui en est faite. Parmi les employés visés, nous ne savons pas combien ni quels types de salariés bénéficient des différentes mesures. À l'inverse, on sait que des travailleurs peuvent bénéficier d'avantages pour leur formation même si la convention qui les concerne ne leur accorde aucun droit en ce sens.(65)

Par ailleurs, la grille d'analyse des conventions collectives ne nous permet pas d'isoler les dispositions des conventions collectives qui ont trait spécifiquement à la formation syndicale(66). Real Morissette précise cependant que le permis d'absence pour activité syndicale, que l'on retrouve dans une majorité de conventions (78,5% des conventions, 86,1% des employés), se réfère à des activités de formation telles la participation à des congrès et à des sessions ou stages de formation syndicale. Toutefois, ces absences ne sont rémunérées par l'employeur que dans une faible proportion des cas (12,2% des conventions; 12,3% des employés).

Dans le cadre de la formation syndicale, les permis d'absence font très souvent partie des clauses de congé pour activités syndicales et non des clauses de congé-éducation.

Ces absences sont de courte durée (moins d'une semaine en général). Les conventions restreignent le nombre d'employés pouvant s'absenter simultanément pour l'ensemble de l'entreprise, et pour chacun des départements. Elles imposent souvent une limite maximum au nombre de jours d'absence qui peuvent être accordés au cours d'une année. L'accessibilité à ces permis d'absence est le plus souvent liée à une désignation expresse par le syndicat et une demande préalable doit être présentée formellement à l'employeur, en respectant un délai prescrit (une semaine ou 15 jours à l'avance). Certaines conventions soulignent la possibilité de bénéficier d'un congé de longue durée aux fins de formation syndicale.(67)

En octobre 1980, 430 conventions collectives, sur un total de 3 770 conventions inscrites au fichier, comportaient une ou des dispositions relatives au congé-éducation, (soit 11,4%) touchant 41% des salariés. Les vérifications faites par Real Morissette, suite au constat que le fichier ne recouvrait pas l'entier des conventions collectives du Québec, et qu'il comportait, par le fait même, certaines distorsions, le porte à croire que les données générales tirées du fichier, ... tendent à sous-estimer la présence de clauses de formation pour l'ensemble des conventions. En effet, le type de conventions qui y sont sous-représentées se classent dans des catégories où le taux de présence de clauses de formation est plus élevé que la moyenne. C'est le cas notamment d'une partie des conventions renouvelées dans le cadre de la dernière ronde des négociations dans le secteur public et para-public. (68)

Pour de plus amples informations, cf. Annexe 4, La clause congé-éducation dans les conventions collectives du Québec, octobre 1980.

L'examen détaillé(69)des conventions collectives que nous avons regroupées en regard des congé-éducation, exception faite des congés pour activités syndicales, révèle que, dans près des trois quarts des conventions analysées, on prévoit un congé, mais sans solde (73% des cas), dans 13% des cas, un congé payé aux fins d'éducation et, dans 14% des cas, on mentionne seulement que le congé peut être avec ou sans solde. Peu de conventions prévoient des dipositions de remboursement de frais de scolarité (15% des cas). La durée du congé est précisée dans un peu plus de la moitié des conventions (65% des cas) et quand elle est précisée, il s'agit, dans 63% des cas, de congé d'un an ou moins.

Dans 90% des clauses, on mentionne que le pouvoir décisionnel en matière d'octroi du congé relève de l'employeur. En général, les modalités de réintégration du salarié au retour de son congé (76% des cas) ne sont pas précisées. On ne précise pas non plus, dans la plupart des conventions (90% des cas) si l'employé doit avoir un temps de service quelconque dans l'entreprise pour bénéficier d'un congé. Ce qui est certain, c'est que, dans le cas des congés avec solde, on remarque que deux dispositions sont généralement signalées expressément: qui décide et, dans quel cas on octroie ce congé.

Le congé-éducation dans les conventions collectives: une réalité « sur papier ».

En effet, dans 93% des clauses, on précise que c'est l'employeur qui décidera de l'octroi du congé avec solde et, dans le tiers des cas, que les études doivent être pertinentes à l'emploi.

Pour les autres dispositions: les personnes éligibles, la durée du congé, l'obligation de réintégrer le travailleur à son poste, le maintien des avantages sociaux, etc., elles sont très rarement précisées. Ce qui laisse supposer que, lorsqu'il y a un congé-éducation avec solde, la marge de manoeuvre laissée à l'employeur pour imposer ses critères est très grande. C'est beaucoup moins le cas pour les congés sans solde où très souvent ces dispositions sont précisées.(70)

c) Le congé-éducation à travers la consultation et les mémoires soumis à la Commission

Lors de la consultation et, dans les nombreux mémoires déposés à la Commission en décembre 1980, plusieurs ont recommandé des mesures relatives au congé-éducation.

Les partisans du congé-éducation

Plusieurs mémoires venant d'institutions d'enseignement, de corporations professionnelles ou d'organismes de coopération ou de développement régional(71) se sont prononcés en faveur du congé-éducation. Reconnaissant que l'adulte a à la fois le fardeau des obligations familiales, sociales, de travail, auquel vient s'ajouter celui des études, on réclame la possibilité pour ce dernier de bénéficier d'un congé d'étude rémunéré durant le temps de travail. Certains souhaitent qu'on ne limite pas ce congé à des études reliées à l'emploi actuel, à de la formation dite « professionnelle » seulement, ou à des catégories de travailleurs. Ce sont les syndicats(72) dans leurs mémoires à la Commission qui ont le plus développé cet aspect rappelant que le congé-éducation était à leur yeux une condition pour démocratiser l'éducation des adultes. On réclame non seulement un congé-éducation pour l'ensemble des travailleurs et travailleuses, sans discrimination, mais aussi pour les chômeurs et chômeuses et les femmes à la maison. On précise que ce congé ne doit pas affecter les droits acquis de l'employé, qui devra retrouver son poste au retour de son congé, non plus que les prestations de chômage.

Certains mémoires estiment qu'il faudrait encourager les structures patronales et syndicales à inclure dans leurs ententes de travail le concept du congé de perfectionnement payé. Un mémoire précise qu'un congé-éducation devrait s'adresser tout particulièrement aux travailleurs et travailleuses immigrants soumis à des cadences « inhumaines » de travail.

Les opposants au congé-éducation

Pas de congé-éducation qui soit une simple mesure légale qu'on s'empresse de détourner de ses objectifs premiers, mais un train de mesures concrètes qui ouvriront la voie vers un véritable congé-éducation.

Mais il n'y a pas que des partisans du congé-éducation qui se soient prononcés devant la Commission. Certains sont foncièrement contre(73), estimant que la proposition d'un congé-éducation rémunéré est l'exemple même de la confusion entre des mesures sociales et des objectifs économiques. C'est en général le point de vue du patronat qui considère que le congé-éducation rémunéré est une mesure sociale, donc du ressort de l'État et des citoyens et non de l'entreprise. Si cette mesure est imposée sous forme d'une taxe à l'entreprise, c'est, dit-on, en définitive l'employé ou le consommateur qui en paiera les frais, puisque les entreprises pourraient généralement le déduire de leur prévisions salariales et/ou l'ajouter à leur prix. Ce qui fait dire à ces intervenants qu'en fait le congé-éducation payé est une autre mesure sociale dont l'entreprise ne veut pas assumer les frais.

La Commission croit que le congé-éducation est une mesure économique et sociale, et aussi un moyen de réduire les inégalités en matière d'éducation des adultes. Par contre, le contexte économique actuel, les problèmes soulevés dans l'application de cette mesure dans certains pays, et des besoins encore plus criants d'accès à la formation pour certaines catégories d'adultes, le fait que les syndicats n'en ont pas fait leur cheval de bataille ces dernières années, incitent la Commission à recommander qu'on s'attaque d'abord à des mesures préalables, minimales, si l'on veut qu'un jour, au Québec, le congé aux fins d'éducation soit une réalité et non une simple mesure légale qu'on s'empresse de détourner de ses objectifs premiers. Parmi ces mesures, la Commission accorde priorité à celles qui devraient permettre aux travailleurs et aux travailleuses non qualifiés des entreprises du secteur privé, d'avoir accès à la formation durant, et même en dehors, des heures de travail.

Faire que la formation des travailleurs ne soit pas la clause qu'on sacrifie en période de négociation, comme autrefois le congé maternité.

Notre sondage sur les activités éducatives nous a confirmé que ceux et celles qui profitaient le plus de l'éducation des adultes sous toutes ses formes étaient fortement scolarisés, à revenus élevés, et concentrés dans certaines régions (Montréal, Québec, Saguenay), et nos travaux révèlent que la formation donnée en entreprise est « élitiste », collée à la tâche, définie par l'employeur, et sert plus les intérêts de l'entreprise que ceux des salariés. D'où la nécessité de développer, chez le travailleur et dans les syndicats, une réelle volonté de gérer la formation paritairement avec l'employeur. Les employeurs doivent accepter, non seulement dans l'intérêt de leurs travailleurs mais également dans le leur, de développer la formation donnée en entreprise, de l'élargir à d'autres aspects que celui de la tâche et de faciliter le développement du potentiel de la main d'oeuvre. L'innovation, la créativité, le travail bien fait, le « coeur à l'ouvrage » ne peuvent venir de travailleurs aliénés, robotisés, exploités, sans perspectives d'avenir.

Constatant la difficulté pour certaines petites entreprises de donner de la formation, même sur le tas, à leurs salariés, nous préférons proposer des mesures concrètes, simples, relativement accessibles à tous, pour remédier à cette faiblesse et préparer le terrain à un éventuel congé-éducation payé à l'ensemble de la population.

Nous nous limitons, dans cette section, à recommander au gouvernement du Québec de prendre les mesures pour que soit ratifiée la Convention no 140 de l'Organisation internationale du travail sur le congé-éducation payé.

Par contre, un grand nombre de recommandations pour faciliter l'accès à la formation en milieu de travail, pour « élargir » la formation dite « professionnelle » et faciliter la participation des travailleurs à la formation qui les concerne, apparaissent dans différentes parties de ce rapport, surtout dans les chapitres consacrés au monde du travail et dans la sixième partie traitant de l'organisation de l'éducation des adultes.

3.3.3 Les inégalités d'accès à la formation en dehors des heures de travail

Certaines entreprises qui encouragent leurs travailleurs à des activités de formation en dehors des heures de travail acceptent en tout ou en partie les frais encourus. Dans l'enquête de la Commission Adams(74), on relève que, parmi les dispositions financières prévues, peu d'entreprises canadiennes offrent un remboursement en tout en en partie des frais de scolarité (6%), ou rémunèrent partiellement ou totalement un congé-éducation (5,5%). Rappelons aussi que l'on prévoit le remboursement des frais de scolarité dans seulement 15% des clauses analysées de conventions collectives québécoises. À l'occasion du sondage sur les pratiques de formation en entreprises au Québec, nous avons analysé tout particulièrement ce type de pratique; les données portées à l'attention du lecteur sont issues de ce sondage.(75)

Le remboursement des frais de scolarité : une pratique courante des employeurs.

Ainsi, on constate que 51% des entreprises de 20 employés et plus remboursent les frais de scolarité d'une formation effectuée en dehors des heures de travail. Ces entreprises touchent 85% de la main-d'oeuvre totale. Le pourcentage de travailleurs et travailleuses qui ont bénéficié de cette pratique représente 6% de l'ensemble des bénéficiaires d'activités de formation (36%). Seulement 11% des entreprises n'offrent à leurs employés qu'un remboursement de frais de scolarité; ces entreprises ne rejoignent que 4,5% de la main-d'oeuvre totale et moins de 1% de l'ensemble des bénéficiaires.

Les secteurs où cette pratique est faible sont: le textile, la construction, les services.

La proportion d'entreprises qui remboursent en tout ou en partie les frais de scolarité est plus élevée dans des entreprises de production de services

(secteurs de l'administration publique (93%), de l'éducation 87,5%, de la finance 75%) que dans celles de production de biens: les mines (54%), les aliments, boisson, tabac et caoutchouc (51%).

Tout comme pour la formation durant les heures de travail, analysée précédemment, la taille et les actifs des entreprises ont une grande influence sur l'étendue de telle pratique. Alors que seulement 38% des petites entreprises (20 à 99) accordent ce type de support, 89% des grandes entreprises (500 et + ) le font.

L'effet de la syndicalisation semble se faire sentir sur ce type de pratique.

Quant au statut des entreprises, on constate que 81% des entreprises du secteur public et parapublic remboursent les frais de scolarité contre 46% seulement dans le secteur privé.

Là encore des distinctions entre entreprises privées s'imposent. Ce sont les entreprises intégrées qui se rapprochent le plus du secteur public avec 65% d'entre elles qui accordent un remboursement des frais de scolarité alors que seulement 32% des entreprises indépendantes le font.

Alors que pour la formation durant les heures de travail l'effet de la syndicalisation sur l'étendue de la formation était très faible, dans le cas des remboursements de frais de scolarité, la syndicalisation semble jouer davantage. On constate, en effet, que 56% des entreprises qui ont du personnel syndiqué ont utilisé cette pratique comparativement à 46% des entreprises où le personnel n'est pas syndiqué.

3.3.4 Des obstacles à l'accès à la formation issus de certaines pratiques

Nous avons mis en évidence dans les différentes sections qui précèdent certains obstacles à l'accès à l'éducation comme la segmentation et la sexisation du marché du travail. La taille et le statut de l'entreprise, la composition de sa main-d'oeuvre, le secteur de production, interviennent en effet quant à l'accès à une formation dispensée par les employeurs. Bien d'autres obstacles existent. Nous en avons retenus trois types: les pratiques des corporations professionnelles, la réglementation dans certains métiers et, l'organisation du travail.

Dans le cadre de son mandat, la Commission avait à se pencher sur les conditions d'admission à l'exercice de métiers ou de professions. Considérant que la réglementation de certains métiers, les métiers de la construction surtout, ainsi que certaines pratiques des corporations professionnelles nuisent à l'accès à ces métiers ou professions, la Commission entend analyser la situation et faire des recommandations susceptibles de corriger de telles situations.

3.3.4.1 Les corporations professionnelles

Chaque fois que nous cessons d'assumer un aspect de nous mêmes ou de notre vie, un professionnel s'en empare pour en faire sa raison d'être et son gagne-pain.

Source: Jacques Dufresne, « La déprofessionnalisation », Critère, no 25, juin 1979, Montréal, p. 123.

Le professionnalisme est l'édifice idéologique qui prétend que le professionnel possède seul la compétence spécifique qui le rend apte à donner un service de qualité dans son champ d'exercice afin de légitimer le contrôle qu'il exerce sur le marché et les privilèges qu'il en retire.(76)

Une des caractéristiques de notre système économique c'est d'avoir provoqué la mise en marché de services qui autrefois étaient dispensés bénévolement dans les familles ou dans la communauté. Les enfants, les personnes âgées, les malades, les infirmes mais aussi l'ensemble des citoyens à un moment quelconque de leur existence sont ainsi pris en charge par des professionnels.

Ivan Illich a dénoncé férocement cette organisation sociale qui rend les individus de plus en plus incapables de s'occuper d'eux-même et parallèlement de plus en plus dépendants d'une multitude de professionnels. Ce qui fait dire à ce dernier que dans tout domaine où peut être inventé un besoin humain, ces nouvelles professions mutilantes s'arrogent le statut d'experts exclusifs en bien public.(77)

Le docteur Maurice Jobin condamne lui aussi L'hyperspécialisation et la surprofessionnalisation, auxquelles la civilisation industrielle avancée nous a conduits, et qui portent en elles-mêmes, leur propre condamnation. Se payer beaucoup de médecins, fussent-ils hyper spécialisés, cela devient très coûteux pour une société et n'améliore pas vraiment la santé de l'ensemble de la population. De même, l'abondance d'urbanistes ne semble pas rendre nos villes moins laides. Et les ingénieurs qui ont suggéré de répandre du calcium sur nos autoroutes contribuent largement à la destruction des écosystèmes. Mais, heureusement, des couches de plus en plus nombreuses de la population prennent conscience des contradictions où nous conduit la professionnalisation à outrance. Si les architectes détruisent l'environnement par leurs constructions, si les enseignants empêchent chacun de s'éduquer lui-même, si la médecine rend malade, à un coût élevé, quelque chose quelque part devra changer. Et la population commence à souhaiter ces changements.(78)

Parmi les nombreuses professions existantes au Québec, trente neuf sont organisées en corporations professionnelles et régies depuis 1973 par le Code des professions

LES CORPORATIONS PROFESSIONNELLES AU QUÉBEC

 I. Les corporations professionnelles d'exercice exclusif:

Pourtant au Québec, divers groupes de personnes sollicitent de plus en plus la reconnaissance professionnelle de leur activité mais également l'octroi d'un statut de corporation professionnelle.

Le corporatisme professionnel est un phénomène caractéristique du contexte nord américain. Alors que la grande majorité des professionnels sont des salariés, regroupés, de plus en plus, dans des organisations syndicales, très souvent employés de l'État et qu'au morcellement des activités de travail correspond l'éclatement des champs de connaissances, on peut se demander, à quel besoin réels correspond, de nos jours, la corporation professionnelle?

Précisons d'abord qu'il existe deux statuts juridiques fort différents en ce qui a trait aux corporations professionnelles. Certaines ont un statut juridique de « corporation à titre réservé » (diététistes, psychologues, conseillers d'orientation, conseillers en relations industrielles, etc.) où les membres ne détiennent que le monopole d'un titre professionnel et où l'adhésion est volontaire.

D'autres, ont un statut « d'exercice exclusif » qui confère aux membres de la corporation professionnelle le monopole d'un titre et d'un champ d'activité. À titre d'exemple: les médecins, les avocats, les notaires, les pharmaciens, les comptables agréés, les ingénieurs, etc.

Selon le Code des professions (article 26): le droit exclusif d'exercer une profession ne peut être conféré aux membres d'une corporation que par une loi ; un tel droit ne doit être conféré que dans les cas où la nature des actes posés par ces personnes et la latitude dont elles disposent en raison de la nature de leur milieu de travail habituel sont telles qu'en vue de la protection du public, ces actes ne peuvent être posés par des personnes ne possédant pas la formation et la qualification requises pour être membres de cette profession.(79)

II. Les corporations professionnelles à titre réservé :

Source: Office des professions, Québec, 1981.

Il est significatif qu'au nom d'une meilleure protection du public, mais également à cause des difficultés de recrutement, la majorité des corporations à titre réservé, soutenues par le Conseil interprofessionnel du Québec, ont réclamé d'être transformées en corporations d'exercice exclusif. Quels sont donc les pouvoirs de ces dernières ?

C'est la corporation qui délivre le permis requis d'un professionnel, soit pour poser les actes relevant de sa profession, comme c'est le cas pour toutes les professions d'exercice exclusif, soit pour porter le titre réservé à ses membres comme c'est le cas pour les professions à titre réservé. Pour obtenir un tel permis, le candidat doit, dans le secteur de sa future profession, détenir un diplôme ou avoir reçu une formation qui sont reconnus comme donnant ouverture au permis. En outre, il doit satisfaire à un certain nombre de conditions dite « supplémentaires » qui sont déterminées par la corporation dont il deviendra membre et approuvées par le gouvernement(81).

Au nom de la protection du public, la corporation contrôle donc l'admission à l'exercice de la profession et peut également intenter des poursuites contre ceux qui exercent illégalement la profession ou utilisent illégalement le titre de professionnel. Elle peut élaborer certains règlements relatifs à la pratique de la profession; en général elle dispose d'une revue ou d'un journal professionnel pour ses membres et elle fournit de l'information au public ou aux clientèles habituelles. Enfin, elle peut assurer des activités de perfectionnement et de recyclage à ses membres.

En 1974, à l'aide d'un questionnaire détaillé, l'Office a cerné les domaines d'action traditionnels des corporations professionnelles. Dans le domaine des activités de perfectionnement et de recyclage des membres, organisées par la corporation professionnelle, on constate que sur 29 corporations, 12 (41%) avaient offert des activités de formation continue à leurs membres et 17 (59%) n'avaient rien offert du tout(82). Les caractéristiques qui expliquent ces différences sont par ordre décroissant :

Les corporations qui ont été constituées avant 1922 ont un niveau d'activité (de formation) plus élevé que les corporations plus récentes

Les corporations dont le revenu annuel est de 150 000 $ et plus ont un niveau d'activités de formation plus élevé que celles qui disposent d'un revenu inférieur

Les corporations qui comptent 35% et plus de leurs membres en pratique privée ont un niveau d'activité plus élevé que celles dont les membres sont majoritairement employés d'entreprises, d'établissement ou d'institutions.

Les corporations dont les membres ont une clientèle composée en majorité d'individus ont un niveau d'activité plus élevé que celles dont les membres ont une clientèle composée en majorité d'entreprises, d'établissements ou d'institutions

Les corporations à « exercice exclusif » ont un niveau d'activité plus élevé que celles à « titre résersé »

A un degré moindre, les corporations comptant 1 100 membres et plus tendant à atteindre un niveau plus élevé d'activité que les moins nombreuses. (83)

La participation à des activités de formation n'est pas obligatoire au Québec comme elle l'est dans certains états américains. Le début sur l'obligation pour le renouvellement du permis de pratique dans certaines professions reste très épineux. Certaines études américaines citées dans le mémoire de l'Office des professions sont loin de faire l'unanimité sur la participation obligatoire à des activités de formation continue comme gage de la compétence des professionnels.

Néanmoins, les connaissances théoriques et pratiques des professionnels, les techniques utilisées, les progrès de la science dans certains secteurs, les changements technologiques importants, l'utilisation ou la découverte de certains matériaux, les besoins d'information de la population, les modifications sur les marchés de travail, les revendications de certains groupes pour une ré-appropriation de leur santé par exemple, font que les professionnels, s'ils veulent garder leur compétence et assurer la qualité de leurs services, doivent non seulement se mettre à jour plus souvent qu'autrefois, mais parfois reviser grandement leurs pratiques.

Le code des professions a départagé les responsabilités des établissements d'enseignement et des corporations professionnelles.

* L'Office a été mandaté par le ministre responsable de l'application des lois professionnelles en février 1979 pour émettre un avis sur les conditions supplémentaires et le fonctionnement des comités de formation. Instaurés en application de l'article 184 du Code des professions, pour constituer un mécanisme de collaboration entre les corporations professionnelles et les établissements d'enseignement du Québec, ces comités éprouvent de sérieuses difficultés de fonctionnement.

Avant 1973, les corporations pouvaient réglementer l'admission aux études, fixer la durée des cours, participer à l'élaboration et à surveillance des examens, créer des écoles décernant des diplômes qui donnent accès à un permis ou à un certificat de spécialiste.

L'adoption du Code des professions a permis de partager les responsabilités des établissements d'enseignement et des corporations professionnelles. Celles-ci n'exercent plus qu'un rôle consultatif dans le secteur de l'enseignement.

Vis-à-vis de la formation, on se trouve donc devant les possibilités suivantes: en vertu du Code des professions, la formation donnant accès à une profession peut être sanctionnée 1) par un diplôme reconnu par le gouvernement, 2) par un diplôme délivré par un établissement d'enseignement hors du Québec, mais dont l'équivalence est reconnue par la corporation ou, 3) par une formation reconnue équivalente par la corporation. De plus, les corporations professionnelles peuvent, par règlement approuvé par le gouvernement, exiger des conditions supplémentaires d'admission à une profession(84).

Selon l'Office des professions

Le régime actuel des condition supplémentaires soulève de réelles difficultés. Les cours de formation professionnelles que plusieurs corporations exigent de leurs candidats et dont la durée peut, dans certains cas, s'étendre à 3 ou 4 ans, ont tendance à se multiplier. Les établissements d'enseignement sont peu enclins à intégrer dans leurs programmes des stages que certaines corporations imposent actuellement à leurs candidats au terme de leurs études. L'utilité des examens professionnels fait l'objet de contestations. En outre, le financement de certaines conditions supplémentaires devient une charge onéreuse pour plusieurs corporations. Par ailleurs, la fonction des conditions supplémentaires n'ayant jamais été définie, une certaine ambiguïté entoure la raison d'être de bon nombre d'entre elles. A cause de cette ambiguïté, il y a lieu de se demander si en exigeant certaines conditions supplémentaires les corporations n exercent pas des responsabilités qui relèvent des établissements d'enseignement, si elles ne surchargent pas le programme d'études de leurs candidats, si elles n'allongent pas indûment la durée de la formation professionnelle, ce qui a pour conséquences d'accroître les coûts de celle-ci et d'écourter la période de productivité des professionnels en retardant leur accès au marché du travail.(85)

L'Office des professions signale plusieurs exemples: ainsi, chez les médecins, la corporation leur impose /'examen professionnel du Conseil médical du Canada (L.C.M.C.) qui n'est pas exigé des candidats détenant un diplôme reconnu par le gouvernement. De même, chez les infirmières et les infirmiers ainsi que chez les optométristes, il sont soumis à des examens professionnels portant sur des contenus théoriques et pratiques et dont la durée s'étend sur deux jours sinon davantage. On comprend que les pharmaciens et les ingénieurs imposent aux candidats qui viennent de l'extérieur du Québec, un examen professionnel portant sur les lois et la réglementation professionnelles au Québec. Par contre, on ne voit pas pourquoi, dans les cas que nous avons signalés, les corporations professionnelles imposent à des candidats dont elles ont reconnu l'équivalence des diplômes avec eux qui sont déterminés par le gouvernement un traitement « différent », plus sévère que celui qui est imposé aux candidats qui détiennent un diplôme reconnu par le gouvernement. C'est la notion même d'équivalence de diplôme qui est mise en cause dans ces cas.(86)

II semble que des corporations aient une certaine méfiance à l'égard de la formation pratique dispensée par les établissements d'enseignement, d'où la tendance à soumettre leurs candidats à des examens professionnels et à des conditions supplémentaires de formation. Probablement fondée dans certains cas, cette « méfiance » n'exclut pas la volonté de certaines corporations d'autoprotéger leur champ de pratique par un contingentement issu d'exigences inflationnaires conditionnelles au droit d'exercer. On peut douter que cette attitude soit toujours motivée par la nécessaire protection du public. Quoi qu'il en soit, dans certains cas, elle ferme indûment des marchés de travail professionnel, freine la mobilité, verticale ou horizontale, et fait obstacle à l'innovation.

Les conditions supplémentaires varient d'une corporation à l'autre. On peut les classer en quatre catégories :

Ces conditions supplémentaires compliquent l'accès à certaines professions.

Les exigences de formation, exercent une influence sur le nombre de personnes ayant accès au permis ou au certificat de spécialiste des corporations. Ces exigences peuvent encore favoriser la concentration des professionnels dans les milieux urbains et contribuer à maintenir les services professionnels à des prix que les consommateurs de services, individuellement ou collectivement, ne pourront ou ne voudront pas payer.

Les conditions supplémentaires sont souvent imposées pour retreindre l'accès à une profession.

* Compilations effectuées par le Service de la recherche de l'Office des professions à partir des données obtenues auprès des universités Laval, Montréal et du Québec.

** Compilations effectuées par le Service de la recherche de l'Office des professions à partir des « Formulaires financiers de fonctionnement des universités », complétés par les universités pour le ministère de l'Éducation en 1975-1976.

*** « Le contingentement peut être défini comme la fixation, par une institution d'enseignement, d'un nombre maximum d'étudiants pouvant être accueillis dans un programme d'études au cours d'une année déterminée ». Définition adoptée par la Commission de l'enseignement supérieur de l'éducation. Pelletier Renée, « Trois problèmes urgents au niveau universitaire », Informeq, août-septembre 1976, p. 11.

**** Compilations effectuées par le Service de la recherche de l'Office des professions à partir des textes suivants: Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec. Du collège à l'université, 1977-78, et Guide du finissant des collèges, 1977-78.

Source: Mémoire de l'Office des professions à la C.E.U.. 1979. p. 17.

78,4% des professionnels étaient concentrés dans les régions de Québec et Montréal en 1977.

Source: Office des professions du Québec, Mémoire à la Commission d'étude sur les universités. 1979. p. 18.

C'est d'ailleurs le point de vue de Gordon Kaiser, qui dans une conférence sur l'accès aux services professionnels mentionnait que le prix des services professionnels est surtout lié à une restriction de l'offre de main-d'oeuvre professionnelle. Cette restriction s'exercerait au moment de l'admission aux programmes de formation conduisant aux professions.(88)

Comme le faisait remarquer l'Office des professions dans son rapport à la Commission d'étude sur les universités, les programmes universitaires sanctionnés par un diplôme donnant accès aux corporations se caractérisent à la fois par des taux d'admission* plus bas (36% contre 51%) et par des dépenses de formation** plus élevées (3 555$ contre 2 348$). En outre, 27% des programmes universitaires conduisant au permis d'une corporation sont officiellement contingentés par les universités*** comparativement à 3% seulement des autres programmes du même niveau****.

Sans discuter les intentions qui ont pu créer un tel phénomène, l'Office estime que les exigences de formation ont contribué, par la hausse des dépenses de formation, à limiter l'offre de main-d'oeuvre professionnelle apte à satisfaire les besoins de la population.(89)

L'Office mais aussi la Commission d'étude sur les universités croient qu'il est difficile de justifier un contingentement des admissions aux études. Ce peut être dans certains cas un remède temporaire au chômage, cependant comme le signale l'Office des professions « cela empêche la recherche de nouveaux débouchés et freine l'innovation. Mais, chose plus importante encore, cette limitation a des répercussions à la fois sur la disponibilité de professionnels au service de la population, sur leur répartition géographique et sur le prix exigé pour leurs services(90).

Comme le signalait la Commission d'étude sur les universités (C.E.U.): Les justifications fournies sont à peu près toujours les mêmes : pour les universitéscoûts élevés de la formation (les équipements), manque de locaux, difficultés d'organiser les stages, exigences pédagogiques... ; pour les corporationsprévention du chômage éventuel, maintien de laqualité... Toutes ces raisons sont un peu minces si l'on considère l'ensemble des programmes contingentés.(91)

Les statistiques d'admission des universités en octobre 1980 révélaient qu'il est deux fois plus difficile d'entrer dans un programme contingenté que dans un programme non contingenté. Ainsi, le taux d'admis est de 46,4% pour les programmes contingentés contre 87,1% pour les programmes non contingentés.(92)

II est également précisé que dans les programmes contingentés, c'est en sciences de la santé qu'il est le plus difficile de se faire admettre: 29,7% d'admis alors que les taux varient entre 44% et 54% dans les autres programmes contingentés. (93).

Les pratiques de contingentement nuisent à l'accès aux professions.

Les conséquences des pratiques de contingentement sont sérieuses et vont à l'encontre des objectifs d'accessibilité avancés par la Commission. C'est d'ailleurs aux mêmes résultats qu'arrivait la C.E.U. qui reconnaît que ces pratiques ont souvent pour effet d'éliminer les individus de classes défavorisées et ceux qui ont eu un cheminement discontinu(94). C'est le cas de l'ensemble des adultes. De plus, bien que plusieurs programmes professionnels soient offerts à Chicoutimi, Trois-Rivières et Hull, la concentration de programmes professionnels à Québec, Montréal et Sherbrooke fait que l'on retrouve relativement peu d'étudiants venant des régions excentriques du Québec. D'où le nombre relativement peu élevé de praticiens dans ces régions.

Les corporations professionnelles sont trop souvent des « chasses gardées ».

Le conflit récent de l'Ordre des ingénieurs avec les finissants de l'École de technologie supérieure (E.T.S.) soulevé depuis le décret pour reconnaître ces professionnels et leur conférer le titre d'ingénieurs, nous amène à nous demander, jusqu'où l'on peut entériner ce mouvement corporatisant et le cloisonnement des formations qu'il commande. La situation des comptables est assez similaire. Selon Francine Bernard et Pierre J. Hamel, sur environ 50 000 travailleurs en comptabilité au Québec il y a parmi eux 10 000 « professionnels » et on constate une dégradation de l'emploi des comptables non professionnels... parallèlement à un raffermissement de la fonction des comptables professionnels(95). Parmi ces professionnels cependant, il existe de sérieuses différences. Ceux qui exercent la prestigieuse et lucrative fonction de vérificateurs publics sont les comptables agréés (environ 6 000), dont la scolarité des membres est de niveau universitaire et qui sont regroupés dans une corporation d'exercice exclusif. Les comptables en administration industrielle et les comptables généraux licenciés dont les membres ont une scolarité de niveau collégial font partie des corporations à titre réservé. Or, depuis bientôt dix ans, ces derniers réclament que la législature leur reconnaisse le droit de partager le monopole de la pratique de vérification externe ou « publique » des bilans d'entreprises, monopole que détiennent depuis 1946 les comptables agréés.

Les exigences accrues de scolarité de la part des corporations de comptables agréés accentuent le cloisonnement artificiel dans la profession.

En définitive, au fur et à mesure que le fossé des connaissances s'amenuise entre certains types de professions, les revendications pour avoir droit aux mêmes privilèges vont en s'accentuant.

La Commission déplore ce mouvement, et partage les craintes exprimées en ce sens par la Commission d'étude sur les universités. Il nous semble urgent d'opter effectivement pour la déprofessionnalisation, donc aussi pour le décloisonnement des professions: l'interdisciplinarité, le partage des responsabilités, la collaboration et la mobilité interprofessionnelles. Cette option suppose que l'on implique le plus largement possible le public aux services qu'il requiert. Enfin, elle permet de freiner une surspécialisation des tâches professionnelles dont les conséquences tendent à morceler toujours plus l'individu, à l'assujettir à une nombre accru d'experts et finalement, à techniciser la vie. Comme le faisait remarquer le docteur Jobin, Il s'agit, pour ceux qui disposent d'un savoir, d'en assurer, à travers l'ensemble des gestes de la vie et des activités de travail, la plus large diffusion possible. C'est la transmission, le partage des connaissances qui permettra à des individus de se prendre en charge.(96)

3.3.4.2. La réglementation de certains métiers

Lors de notre tournée de consultation à travers la province et à l'occasion de dépôt de mémoires à la Commission, nous avons reçu de nombreux témoignages d'un malaise profond vis à vis d'un manque de formation ou du type de formation offert à de nombreux travailleurs et travailleuses, tout particulièrement dans les métiers de la construction. Sans vouloir prétendre remettre en question certaines lois en ce domaine, tel n'est pas notre mandat, nous ne pouvons passer sous silence les difficultés que pose la réglementation de certains métiers.

Dans la partie suivante qui traite de la transformation des approches et des pratiques pédagogiques nous aborderons les problèmes que posent aux salariés mais également aux employeurs la quasi absence de formation dans certains métiers ou la piètre qualité de la formation dispensée dans d'autres.

Caractéristiques de la réglementation

Il n'y a pas que les professionnels qui cherchent a protéger l'exercice de leurs professions. On retrouve cette caractéristique également dans certains métiers, mais c'est là le ministère du Travail et non la corporation qui contrôle la réglementation des métiers.

Elle est régie par trois types de dispositions: les lois à caractère général, les lois visant des activités spécifiques, les conventions collectives adoptées par les employeurs et les salariés pour être ensuite extensionnées par décret.

La caractéristique commune de ces réglementations est de contrôler l'accès à l'exercice d'un métier pour s'assurer que le travailleur respecte des exigences professionnelles préalablement définies. Les modalités de ce contrôle sont multiples: licence, permis, certificat de qualification, carte de compétence, examen professionnel... Le contrôle de la qualification ne comprend pas nécessairement une vérification de connaissances ou d'aptitudes, et l'exigence d'une période d'apprentissage n'est pas systématique.

La Loi sur la formation et la qualification professionnelle de la main-d'oeuvre (Bill 49) adoptée à la hâte en fin de session le 13 juin 1969 a remplacé la loi de l'aide à l'apprentissage de 1945 qui avait mis sur pied des comités paritaires et des commissions d'apprentissage dans les régions.

Par exemple, dans l'industrie de la construction, les principales décisions relatives à la formation professionnelle appartenaient aux comités paritaires. En fait, ils contrôlaient les examens de qualification, délivraient des carnets d'apprentissage et des cartes de compétence pour les métiers de leur juridiction dans leur région. C'est donc dire qu'il existait un système étanche de formation professionnelle régional, chaque système étant indépendant des autres. C'est pourquoi, par exemple, les cartes de compétence n'étaient pas tranférables d'une région à une autre, empêchant ainsi systématiquement la mobilité de la main-d'oeuvre d'une région à une autre.(97)

* Rapport du Comité d'étude sur l'éducation des adultes (Rapport Ryan), Québec, ministère de la Jeunesse. 1962, 1 v.

Rapport du Comité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel (Rapport Tremblay), Québec, ministère de la Jeunesse, 1962, 3 v. Rapport du Comité d'étude sur la formation professionnelle par l'apprentissage (Rapport Lair). Québec, ministère du Travail. 1965, 2 v. Rapport du Comité d'étude sur la coordination de la formation professionnelle de la main-d'oeuvre (Rapport Savard). Québec, ministère du Travail, 1968, 50 p.

Source: Office de la construction, Pour une politique de formation professionnelle de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, octobre 1980, Document de travail, p. 11 et 12.

La mutiplicité des comités paritaires et des métiers concernés (147 comités paritaires au Québec en 1964), l'impossibilité relative d'assurer une certaine uniformisation et la coordination qu'exigeaient les marchés de travail, le degré de spécialisation presque inutile que reconnaissaient les comités paritaires, le mode de contrôle de la qualification professionnelle et une tendance sérieuse à un certain nivellement provincial des normes dans l'industrie québécoise de la construction menèrent à une révision complète des mécanismes de formation professionnelle durant les années 60. Les rapports Ryan, Tremblay, Lair et Savard* conduisirent au « Bill 49 ».

Les axes principaux de la Loi sont les suivants:

Le développement des relations salariés/employeurs en matière d'emploi et de formation:

Par rapport aux métiers réglementés, l'article 30 de la Loi, et les différents décrets gèlent les conditions et normes afférentes à l'exercice et à l'apprentissage de certains métiers. La Loi définit un seul modèle-type d'intervention.

La Loi est conçue plus en fonction du contrôle des activités professionnelles qu'en fonction des besoins des travailleurs et travailleuses pour accéder à la formation professionnelle.

Nombre de C.F.P. au Québec: II Source : Communication-Québec

L'uniformisation des conditions d'admission à l'exercice des métiers et professions :

La Loi prévoit, par son article 30, une normalisation des conditions d'accès aux métiers et de reconnaissance de la qualification et les examens, en ouvrant aux salariés des perspectives de modalité provinciale. La Loi prévoit que des règlements peuvent être adoptés pour:

Plus spécifiquement pour l' industrie de la construction

Fondamentalement, ce Bill 49 (Loi 51 des statuts de 1969) changeait une structure régionale (régions des décrets) par une autre structure régionale (régions administratives), sauf pour le grand Montréal. En effet, suite à l'adoption de la Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction (Bill 290), imposant un système de négociation sectorielle (provinciale à tous les métiers de la construction) dans l'industrie de la construction et suite à l'adoption en 1967 de la Loi sur la formation professionnelle des adultes à Ottawa, le « Bill 49 » visait à la provincialisation des conditions et normes de la formation professionnelle dans cette industrie et à une certaine uniformisation de la formation au niveau de toute l'industrie de la construction(98).

La nouvelle Loi n'a donc pas résolu le problème de cohérence de la réglementation dans son ensemble, puisqu'elle n'a été appliquée que pour un nombre restreint de métiers et qu'elle n'a pas fondamentalement modifié la nature des normes requises pour obtenir l'attestation de compétence nécessaire à l'exercice d'un métier

La situation actuelle ne fait pas que des heureux.

La Loi sur la formation et la qualification professionnelle de la main d'oeuvre a été rapidement suivie de l'adoption des règlements no 1 et no 2 le 20 octobre 1971 (A.C. no 4793).

Ces règlements prévoyaient l'obligation d'être titulaire d'un certificat provincial de qualification ou d'une carte d'apprentissage pour l'exercice de 24 métiers de la construction (Règlement no. 1) et de 4 métiers spécifiques exercés en dehors de la construction (électricien, tuyauteur, mécanicien d'ascenseurs, opérateur de machines électriques). Ces règlements ont été amendés substantiellement à quelques reprises depuis leur adoption initiale.

La formation professionnelle dans la construction change ainsi d'aspect. En effet, les C.F.P., même si elles sont composées de représentants du monde patronal et du monde syndical dans une région donnée, représentent un système beaucoup plus centralisé et beaucoup moins fonctionnel, avec l'avantage cependant d'instaurer un régime provincial de formation professionnelle et permettre, du moins théoriquement, une meilleure perspective d'ensemble(99).

...« Il y a trop d'intervenants:

II y a le ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre de qui normalement relèvent toutes les politiques de main-d'oeuvre. Il délègue des mandats à ses techniciens et technocrates. Il y a la Direction générale de la main-d'oeuvre qui elle parle avec les techniciens et les technocrates du ministère du Travail. Il v a aussi la Direction régionale de la main-d'oeuvre qui elle reçoit les directives de la Direction générale. Il y a aussi le Comité consultatif provincial qui lui conseille la Direction générale de la main-d'oeuvre. Il y a aussi les Comités consultatifs régionaux qui conseillent les Directions régionales de la main-d'oeuvre. Il y a aussi les centres de main-d'oeuvre du Québec.

Et puis il y a :

Les Commissions de formation professionnelle qui elles administrent les centres de formation professionnelle. Il v a le ministère du Travail et de la Main-d' oeuvre :

II y a le ministère de l'Éducation ; II y a le ministère des Affaires sociales ; II y a le ministère de l'Industrie et du Commerce.

Il y a aussi l'autre intervenant :

Le gouvernement Fédéral avec ses centres de main-d'oeuvre et ses comités conjoints de la main-d'oeuvre... Personne toutefois ne travaille à l'intérieur d'une politique globale de la main-d'oeuvre où se retrouverait un programme de formation professionnelle.

Source : La Fraternité unie des charpentiers-menuisiers d'Amérique, locaux 136 7-52, 1064, 1427, 2090, F.T.Q.. mémoire soumis à la C.É.F.A., octobre 1980, p. 8 et 9.

Les CF.P. regroupent pour une même région tous les secteurs qui ont besoin de formation professionnelle. — Leurs responsabilités sont l'organisation de la formation, la publicité, la préformation et l'évaluation des cours. Ce sont des structures qui dépendent du M.E.Q. et de ses institutions pour les programmes d'enseignement, choix de professeurs, locaux, programmes, etc., et du M.T.M.O. pour le financement (surtout des fonds publics fédéraux à travers la Loi sur la formation professionnelle, « Bill C278 » de 1967, revisée en 1972, loi qui voyait entre autres à la formation des apprentis).

Le M.T.M.O. devient prépondérant; il délivre les cartes et carnets d'apprentissage et devient le principal contrôleur de la réglementation des métiers. Les C.F.P. avaient le mandat de conclure des ententes avec des institutions d'enseignement et des entreprises et celui de dispenser des cours d'apprentissage et de formation.

Mais ces responsabilités des C.F.P. et par le fait même du ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre furent grandement réduites par la mise sur pied d'un comité inerministériel de régie pédagogique de la formation professionnelle de la main-d'oeuvre (C.I.R.P.) qui consacra le caractère bicéphale de la gestion du programme de formation professionnelle (accord M.E.Q. — M.T.M.O., 1972). Le M.T.M.O. avait, entre autres, la responsabilité dans la connaissance des besoins de l'économie, la certification de la qualification professionnelle, l'évaluation postformation et le M.E.Q. la formation des jeunes et l'établissement des politiques de formation et qualification professionnelles.

Or, cette « entente » se traduisit par une décennie de mésententes. Le C.I.R.P. cessa de fonctionner en 1975 enlisé dans ses mécanismes structurels et fonctionnels tout à fait inapplicables. Comme le faisait remarquer Michel Bellavance,

Trop de personnes à trop de niveaux devinrent impliqués, par la force des choses, dans la communication d'informations, de directives, de commandes de formation, etc.(100)

En 1977, un comité interministériel chargé d'évaluer l'entente arriva à un constat d'échec. Plusieurs organismes firent le même constat. La T.R.E.A.Q. dans un document d'évaluation en 1977 fut très sévère vis-à-vis des C.F.P. qualifiés d'« incompétents », soulignant que les candidats à la formation professionnelle sont obligés de subir deux types d'examens pour les même types d'apprentissage, compte tenu que le M.E.Q. a la responsabilité d'émettre les certificats d'études et le M.T.M.O. celle de reconnaître la qualification professionnelle.

L'apprentissage est obligatoire dans chaque métier et l'ensemble du métier-constitué le cadre de l'apprentissage actuel (5,01 a et b du règlement no 1) dans la constrution.

Source: Gazette officielle du Québec, 30 avril 1976, 108e année no 21, p. 2937.

Tableau 28 : Règlement relatifs à l'apprentissage

Métiers

Périodes d'apprentissage (1)

Charpentier-menuisier

3

Poseur de lattes

3

Grutier

1

Opérateur de pelles

 

mécaniques

1

Opérateur d'équipement lourd

1

Mécanicien de machines

 

lourdes

3

Monteur d'acier de structure

2

Chaudronnier

3

Serrurier de bâtiment

2

Ferrailleur

1

Ferblantier

3

Couvreur

1

Peintre

3

Poseur de revêtements souples

1

Calorifugeur

3

Plâtrier

3

Cimentier-applicateur

2

Briqueteur-maçon

3

Carreleur

3

Mécanicien de chantier

3

Électricien

4

Tuyauteur

4

Mécanicien d'ascenseur

5

( 1 ) Chacune des périodes équivaut à 2 000 heures d'apprentissage

Source: « Règlement particulier no 1 relatif à la formation et à la qualification professionnelle de la main-d'oeuvre et s'appliquant à l'industrie de la construction ». Gazette officielle du Québec, 108.21 (30 avril 1976). p. 2951-2952.

En dehors de la construction, il existe 28 secteurs d'activité (automobile, coiffure, meuble, verre plat, etc.) où par décret, pour l'ensemble de la province ou certaines régions seulement, l'exercice du métier est réglementé. Pour certains de ces métiers, on demande une carte de compétence (coiffure dans les Laurentides, métallurgie, verre plat...) et certains de ces métiers, sont « contingentés ». Mais les problèmes les plus sérieux que les travailleurs rencontrent avec la réglementation de certains métiers c'est nettement dans la construction où 23 métiers sont réglementés(101).

En effet, la formation professionnelle dans l'industrie de la construction passe par l'apprentissage d'un métier. Mais l'apprentissage est entendu dans un sens très restrictif. Il s'agit pour l'apprenti de cumuler des heures de pratique sous la responsabilité d'un compagnon qui connaît le métier. Or, comme le faisait remarquer un intervenant lors des journées régionales de consultation : un gars se fait embaucher comme menuisier ou apprenti, une fois sur le « job », il se débrouille avec les moyens du bord. Qu'un apprenti travaille toujours sous la surveillance d'un compagnon compétent, ça c'est dans les livres. Ici en Gaspésie on est loin de tout, y compris des règlements.

Toute personne de 16 ans ou plus peut devenir apprenti. Si elle n'a aucune formation professionnelle pertinente au métier choisi, elle devra faire le nombre de période requis. Si elle a suivi des cours de formation professionnelle pertinents, elle obtiendra des crédits d'apprentissage conformément aux barèmes établis. Elle recevra du ministère du Travail une carte d'apprentissage, pièce d'identité attestant notamment que le détenteur est un apprenti dans le métier désigné, et un carnet d'apprentissage où seront inscrits ses périodes d'apprentissage.

Selon les métiers, les exigences pour la durée de l'apprentissage sont très variables. Ils varient de 2 000 heures pour un ferrailleur à 6 000 heures, pour un peintre, ou 8 000 heures, pour un électricien et même, 10 000 heures pour un mécanicien d'ascenseur. Beaucoup contestent d'ailleurs la durée de tels apprentissages qui constitue parfois une mesure de contingentement sous le couvert plus noble de la protection du public. C'est d'ailleurs ce qui nous amène à demander que soient réexaminées les périodes de formation requises à la certification dans certains métiers.

À la fin de ses périodes, l'apprenti est tenu de se présenter à l'examen de qualification au plus tard un mois après la fin de l'apprentissage. Mais comme le faisait remarquer la Fraternité unie des charpentiers-menuisiers d'Amérique dans son mémoire à la Commission: La formation se faisant au hasard sur les chantiers sous une surveillance de qualité inégale, il en résulte que des salariés n'arrivent pas à passer l'examen de qualification, lequel est fait en fonction de l'existence d'un système de formation. Alors le salarié fait appel au conseil d'arbitrage et reçoit, en général une attestation d'expérience lui permettant de travailler (uniquement) dans la partie de son métier qu'il connaît(102)

Les taux de salaires de l'apprenti varient de 50 à 85% du salaire du travailleur qualifié

Cependant dans le Règlement no 1 il est précisé que « l'attestation d'expérience » est un document que le ministère délivre exceptionnellement et qui atteste que le détenteur a exercé un métier « en tout ou en partie » (103).

Quand l'apprenti a rempli toutes les exigences, il peut effectivement exercer le métier pour lequel il s'est qualifié.

La réglementation des métiers dans la construction: un labyrinthe où même Ariane s'y perdrait!

C'est au début du processus surtout que l'on bloque l'accès. En effet pour recevoir son carnet et sa carte d'apprentissage, l'individu doit être titulaire du certificat temporaire de classification d'apprenti émis en vertu du règlement relatif au placement des salariés dans l'industrie de la construction (Arrêté en conseil no 3282.77 du 28 septembre 1977). C'est l'Office qui émet ce certificat et il n'est émis que s'il y a pénurie de main-d'oeuvre dans le métier et la région où ira l'apprenti.

Ainsi à compter du premier juillet 1978, tout salarié doit obtenir un certificat de classification délivré par l'Office pour travailler dans l'industrie de la construction, et tout employeur ne peut employer que des salariés détenant un tel certificat. Par ailleurs, les entreprises, dans les métiers réglementés, sont obligées de transmettre à l'Office tous les avis d'embauché et les mises à pied qu'elles ont effectuées. C'est à partir de ces informations que l'Office autorisera le recours a un apprenti dans une région donnée.

Or, au secondaire par exemple, un bon nombre de jeunes orientés vers le secteur professionnel suivent de la formation dans des métiers réglementés comme charpentier-menuisier ou dans des métiers autres que ceux de la construction mais régis par les décrets (comme la coiffure) en ignorant les possibilités d'emploi dans ces métiers. Ils découvrent à leur dépend que leurs chances d'être embauchés un jour comme apprenti sont presque nulles. Tout comme pour certaines professions, on peut s'interroger sur les motifs d'un tel contingentement.

Les employeurs dans la construction et les syndicats estiment que les institutions scolaires ne connaissent pas les possibilités de débouchés sur les marchés de travail et forment plus de travailleurs que ces marchés ne peuvent en absorber. D'où, selon les syndicats, la nécessité de limiter l'accès à certains métiers si l'on veut que les ouvriers actuels de la construction gagnent leur vie. Ils s'appuient sur des statistiques, qui effectivement, laissent songeur. Il faut reconnaître que l'industrie de la construction est un secteur très particulier. Il n'y a pas d'uniformité du milieu de travail comme dans les autres secteurs d'activités. L'activité est morcelée et localisée. Le salarié vit des périodes de chômage fréquentes entre les différents projets. De plus, les fluctuations cycliques et saisonnières sont très importantes.

En mai 80, il y avait pour l'ensemble de l'industrie de la construction 54,2% de compagnons (54 309), 13,6% d'apprentis (12 912) et 32,2% de travailleurs non qualifiés (29 361). Tous les métiers ont été touchés par la diminution des activités de construction. Les plus touchés parmi les métiers réglementés étant les charpentiers-menuisiers, les électriciens, les tuyauteurs où l'embauche est aléatoire. En 1980, les salariés de la construction ont effectué près de 1 029 heures en moyenne durant l'année comparativement à 1 070 en 1979, 26% seulement des salariés ont pu être actifs toute l'année. Le revenu moyen en 1980 était de 13 614$ et de 16 954$ chez ceux qui avaient travaillé plus de 500 heures(104).

Par contre, nombreux sont les citoyens qui ont cherché un électricien ou un plombier pour effectuer des travaux et se sont vu répondre qu'il faudrait attendre un mois et parfois plus aucun n'était disponible. Il faut dire que l'organisation du travail dans les métiers de la construction suscite de sérieuses interrogations. Le fait qu'il faille passer par des compagnies pour recruter un travailleur de métier, que ces déséquilibre entre l'offre et la demande et à mécontenter la population qui se tourne vers le travail au noir, florissant dans le secteur de la construction. Paradoxalement, de jeunes chômeurs cherchent désespérément des emplois.

Cet aspect de la pratique fait que les statistiques concernant les heures officiellement travaillées et les revenus qui y correspondent sont, dans la construction, à prendre avec quelques réserves.

En effet, comme le signale le mémoire de l'Association de la construction de Montréal et du Québec: Il existe des pénuries de main-d'oeuvre dans certains métiers et dans certains secteurs de l'industrie de la construction pendant que, dans d'autres, il existe des excédents de main-d' oeuvre(105). C'est le cas des couvreurs, des calorifugeurs (contrairement aux électriciens, aux tuyauteurs ou aux charpentiers-menuisiers).

Des changements sont prévisibles dans la formation de certains travailleurs à des métiers. Ces changements seront-ils orientés par le gouvernement fédéral ou par une véritable politique de main-d'oeuvre québécoise? Le projet du ministre canadien Lloyd Axworthy d'une « Loi nationale sur la formation » et d'un « programme national de formation » risque d'être la réponse à cette question.

Les pénuries de cols bleus spécialisés semblent tout particulièrement inquiéter le gouvernement fédéral qui vient de publier deux rapports axés sur les pénuries d'emplois(106).

Ainsi, dans le rapport Axworthy-Dodge, on signale que dans les années 80: La croissance la plus élevée dans les professions hautement spécialisées devrait surtout se faire sentir dans le secteur de la construction en raison de la forte croissance projetée dans le domaine de la construction non résidentielle(107), et on précise ensuite que: nos projections de la demande indiquent cependant que les secteurs manufacturiers et de la construction accuseront une croissance relativement forte jusqu'en 1990, de sorte qu'il faudra intensifier la formation de ces professions.(108)

II semble bien qu'une bonne partie des fonds fédéraux consacrés à la formation professionnelle dans le cadre des accords fédéraux-provinciaux seront effectivement consacrés à la formation de cols bleus très spécialisés, entre autres dans la construction.

Il faudra affecter davantage de ressources au système canadien de formation aux métiers de cols bleus hautement spécialisés, en particulier aux métiers industriels.

Source: Rapport Axworthy-Dodge, Op. cit., p. 185

Ceci confirme qu'il est grand temps que soit repensé, dans le cadre d'une politique de main-d'oeuvre québécoise, tout le système de formation conduisant à la maîtrise de ces métiers.

Déjà le fédéral, dans le rapport Axworthy-Dodge envisage certaines modifications, comme une année de formation intensive initiale dans des établissements de formation, hors du contexte de travail avant la période d'apprentissage ou au début de celle-ci, méthode, dit-on dans le rapport, qui a largement fait ses preuves, en Europe par exemple (109).

On prévoit un allongement à 104 semaines au lieu des 58 semaines prévues antérieurement pour certaines formations spécialisées et un financement direct aux employeurs. (110)

Dans le rapport Allmand (111), on rappelle les critiques formulées devant ce comité à l'égard des programmes canadiens d'apprentissage:

Afin de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre spécialisée, la durée des programmes d'apprentissage devrait être ramenée à deux ou trois ans dans toute la mesure du possible, et la formation devrait correspondre plus étroitement aux besoins réalistes de /'industrie, au lieu de répondre simplement à des exigences de durée fixe. Ces changements devraient être apportés avec le consentement des syndicats et du patronat.

Source: Du travail pour demain. Les perspectives d'emploi pour les années 80, Ottawa 1981, Rapport du Comité Allmand, p. 85. Recommandation no 27.

Autant de défis que doit relever non seulement le secteur de la construction mais l'ensemble des métiers. La revalorisation du travail manuel que prônent les employeurs, l'État et les travailleurs et travailleuses eux mêmes, passe par un accès plus large à ces métiers et par une formation adéquate. Nous verrons dans la quatrième partie que le contenu de la formation chez les gens de métiers laisse très souvent à désirer.

3.3.4.3 L'organisation du travail

Malgré certains efforts consentis par le patronat et les syndicats pour l'amélioration de la qualité de vie au travail ces dernières années(113), le taylorisme n'est pas disparu de l'organisation du travail. Au contraire, comme l'a mis en lumière entre autres, Harry Braverman(114), la division du travail a gagné rapidement le secteur tertiaire accentuant la subdivision des tâches et la hiérarchie des emplois. Le travail parcellaire, la coupure radicale entre préparation, exécution et contrôle sont autant de phénomènes qui techniquement et économiquement se justifient de moins en moins(115).

Si le taylorisme ne se justifie plus, il s'applique quand même. L'école secondaire par exemple, avec son minutage en période de 45 ou 60 minutes, ne prépare-t-elle pas les jeunes aux cadences de travail qu'ils risquent de trouver quand ils seront en emploi? Même les soins infirmiers, comme le relatent Hélène David et Colette Bernier, n'ont pas échappé au système de minutage. Cette organisation du travail a contribué beaucoup à l'absentéisme, aux grèves, à la piètre qualité des produits ou des soins et à la rotation du personnel dans certains lieux de travail.(116)

A) Les horaires

L'objectif premier du taylorisme était la rentabilité. C'est également cet objectif que poursuivent les entreprises qui utilisent du personnel en équipes successives.

Il faut signaler cependant qu'il y a eu des efforts ces dernières années pour assouplir les horaires de travail (journées comprimées, horaires variables, etc.) mais ce n'est encore bien souvent qu'à titre expérimental, dans certaines entreprises et pour certains travailleurs.

Il faut rentabiliser le matériel. Cependant les travailleurs et travailleuses qui subissent ces horaires sont dans l'ensemble pénalisés. Comme le signale Colette Bernier dans une étude sur le travail en équipe(117), ce genre de travail a des répercussions importantes sur la santé physique et psychologique de certains salariés. La fatigue à la longue s'accumule surtout chez les travailleurs et travailleuses de nuit. C'est ainsi que de nombreuses entreprises dans le secteur public, para-public (santé) et privé (papier, mines et métallurgie, télécommunication) fonctionnent 24 heures sur 24 avec deux, mais le plus souvent, trois équipes de salariés. Il est fréquent que ces équipes travaillent sur une base rotative (une semaine de jour, de soirée, puis de nuit).

Or, il est difficile, pour l'employeur, d'organiser de la formation durant les heures de travail avec des équipes rotatives et c'est encore plus compliqué pour l'employé d'entreprendre de la formation en dehors de l'entreprise avec de tels horaires de travail. Les horaires des institutions scolaires étant de jour et/ou de soir, mais jamais rotatifs. Ce qui a fait dire à plusieurs intervenants dans notre sondage sur les activités éducatives, que les horaires de travail ont été des obstacles à la pratique d'activités éducatives (33%). La seule alternative reste la formation à distance ou par correspondance, solution qui ne convient pas nécessairement à tous.

C'est d'ailleurs ce que faisait remarquer le Syndicat local des métallos des industries Valcartier dans son mémoire à la Commission : Plusieurs travailleurs ou travailleuses, même s'ils le voulaient, ne pourraient pas suivre des cours parce qu'ils travaillent sur des équipes rotatives... Les écoles et cégeps ne connaissent pas les plaisirs et les avantages du travail par équipes rotatives. (118)

Tableau 29 : Répartition de la population active par niveau d'instruction, en pourcentage, Québec 1980, moyennes annuelles.

45% des adultes n'ont pas fait d'activités éducatives entre septembre 1979 et décembre 1980.

31% avaient sept ans et moins de scolarité contre 10.5% dans le cas de ceux qui faisaient des activités éducatives.

Source: C.E.F.A.. Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives. Québec 1981, Annexe 2, Partie 1.

Mais il n’y a pas que les horaires rotatifs pour limiter l'accès à de la formation. Dans le secteur privé les horaires de travail sont souvent très longs (restauration, vente au détail, etc.), surtout quand viennent se greffer de fréquentes heures supplémentaires, dans le secteur de la construction par exemple.

Il est donc peu probable que le travailleur ou la travailleuse, après une longue et pénible journée de travail, conserve encore de l'énergie pour étudier. Quant à la travailleuse, sa situation est encore moins satisfaisante, puisqu'il lui reste en rentrant du travail, tout le travail ménager à accomplir. En effet, même s'il y a de plus en plus de tentatives de collaboration aux tâches ménagères parmi les couples, certaines études révèlent que c'est surtout le fait dans la classe moyenne(119).

B) Inégalités d'accès selon le type de travail effectué

Pendant longtemps, on a associé absentéisme et femmes, et absentéisme et manque d'intérêt pour le travail, dans le cas des jeunes surtout. Or, des études en sociologie du travail démontrent que l'absentéisme est davantage lié au type d'emploi effectué qu'au fait d'être femme ou jeune. En effet, plus l'individu a un emploi qui ne correspond pas à sa formation, un emploi mal payé, routinier, sans promotion ou sans perspective d'avenir, physiquement pénible, etc., plus il s'absente de son travail, invoquant la maladie ou d'autres prétextes.

Il en est de même de l'accès à de la formation en dehors des heures de travail. Plus le travailleur a un emploi pénible physiquement ou aliénant, emploi qui le « vide » de son énergie, physiquement ou moralement, moins il aura le goût ou l'énergie de sacrifier le peu de loisirs qu'il a pour aller acquérir une formation en dehors de ses heures de travail. D'autant plus que, très souvent, ce travailleur « vient de loin ». Il est en général très peu scolarisé, souvent ses expériences scolaires ont été négatives ou peu encourageantes. Il ne sera pas incité à recourir à un supplément de formation, sachant qu'au départ il devra y consacrer beaucoup de temps sans espérer un résultat immédiat. En conséquence, ce sont les plus scolarisés des travailleurs et travailleuses qui entreprennent ou poursuivent de la formation.

Conclusion

De multiples facteurs expliquent l'inégalité des travailleurs et travailleuses à la formation: la segmentation et la sexisation des marchés, les priorités et les intérêts des employeurs, la réglementation de certains métiers, les pratiques de certaines corporations professionnelles, l'organisation du travail elle-même, etc.

Au cours des dernières années, les restructurations d'entreprises se sont amplifiées partout dans les pays industrialisés entraînant des concentrations et des diversifications de production, l'émergence de nouvelles technologies et une mondialisation de la production.

Parmi les nouvelles technologies, l'informatique a connu un développement accéléré au cours des dernières années dans les pays industrialisés. Les progrès technologiques et l'abaissement du rapport prix-rendement avec la venue des microprocesseurs, ouvrent une ère nouvelle dans le domaine du traitement et de la diffusion de l'information sous toutes ses formes.

Tous les secteurs risquent d'être plus ou moins touchés par l'informatisation. Les services des postes ont vu s'implanter le code postal, les banques et les caisses, les systèmes inter-banques ou inter-caisses. Les écrans cathodiques et les machines à traitement de textes envahissent les bureaux. De sorte que la bureautique et la robotique risquent d'entraîner la mise à pied d'un grand nombre de travailleurs et surtout de travailleuses. Les employeurs ne prennent pas toujours la peine de former leurs employés en vue de ces nouvelles technologies ; certains préfèrent recourir à de nouvelles recrues et licencient le personnel parfois vieillissant de leur entreprise. Ces victimes de licenciement, sans qualification ou qualifiés dans un métier devenu désuet, risquent évidemment de connaître des périodes de chômage assez longues avant de retrouver un emploi.

Une volonté politique s'impose.

Une responsabilité sociale de l'entreprise est nécessaire, Une implication syndicale est urgente.

Une politique de main-d'œuvre s'impose.

Chapitre 5, article 45

45. a) Sauf dans le cas d'entreprise à caractère saisonnier ou intermittent, tout employeur qui, pour des raisons d'ordre technologique ou économique, prévoit devoir faire un licenciement collectif, doit en donner avis au ministre dans les délais minimaux suivants:

Dans un cas de force majeure ou lorsqu'un événement imprévu empêche l'employeur de respecter les délais ci-dessus, il doit aviser le ministre aussitôt qu'il est en mesure de le faire.

Source: Arrêté en conseil numéro 717 du 24 février 1970, publié dans la Gazette officielle du Québec le 7 mars 1970.

Cette conjoncture met en relief la nécessité de la formation et aussi celle d'une politique de main-d'oeuvre harmonisée aux autres politiques québécoises. Les employeurs doivent contribuer à réduire les impacts sociaux négatifs de restructurations et des effets des nouvelles technologies en donnant le plus de chances possibles à leurs employés (hommes et femmes) de se recycler rapidement, soit en leur facilitant l'accès à l'éducation des adultes, soit en développant les services de formation pour tous leurs employés, dans l'entreprise, durant les heures de travail. Par ailleurs, une politique en matière de fermeture d'usine s'impose car la législation actuelle (art. 45, Loi 49 sur la formation et la qualification professionnelle de 1969) « n'a pas de dents »(120).

Cet article, qui n'a suscité aucun débat parlementaire, rédigé à la hâte et inscrit dans une loi sanctionnée « à la vapeur » comme l'a fait remarquer Jean Sexton de l'Université Laval, présente de nombreuses faiblesses.

Ainsi, l'avis de licenciement ne touche que les entreprises de 10 employés et plus. Or, comme le signale Michel Gauquelin, les licenciements individuels ou à raison de moins de dix salariés, représentent de loin le plus grand volume de licenciements(121). Le cas de force majeure inscrit dans la loi est une échappatoire facile à utiliser pour la bonne raison signale André Lemelin qu'il peut être difficile de départager ce qui est ou n'est pas un cas de force majeure(122).

Quant à l'amende prévue, elle est très faible si bien qu'il est parfois plus avantageux de payer l'amende que de participer au comité de reclassement qui peut être exigé par le ministère et dont le financement est assuré en partie par l'employeur.

Contrairement à la plupart des législations européennes, au Québec comme le signale Gisèle Tremblay, on s'attaque aux effets c'est-à-dire qu'on crée un comité de reclassement pour reclasser les travailleurs et travailleuses licenciés alors que dans d'autres pays, la période d'avis de licenciement permet de trouver avec l'entreprise des solutions pour éviter les licenciements; on s'attaque donc d'abord aux causes(123) plutôt qu'aux effets. De plus, comme c'est le cas en France, les employeurs sont tenus de justifier les licenciements qu'ils prévoient devoir effectuer pour obtenir du ministère du Travail l'autorisation de procéder.

Pour l'année 1979-1980, 209 avis ont été donnés au Ministre et visaient 9 693 salariés et 196 ont été décelés, après une enquête du ministère touchant 10 386 salariés. Ces employeurs n'avaient pas avisé le Ministre de ces licenciements.

Source : Rapport annuel du M.T.M.O.S.R.Q., 1979-1980, Éditeur officiel, Québec, p. 87.

Le licenciement individuel est presque toujours un traumatisme pour les individus, le chômage étant l'épreuve de la solitude. Quant aux licenciements collectifs, en plus des conséquences individuelles, ils ont souvent comme effet de déstabiliser toute une région surtout s'il s'agit d'une fermeture d'usine ayant pratiquement le monopole de l'emploi dans une région ou d'un licenciement qui affecte un grand nombre de travailleurs et travailleuses (ex. : les usines Wayagamak du Cap-de-la-Madeleine en 1977, I.T.T. Rayonier à Port-Cartier, etc.).

Le fait qu'un certain nombre d'entreprises n'offrent pas de formation ou seulement de la formation sur le tas, ou encore très collée à une tâche précise, explique le fait qu'un bon nombre de salariés, très peu scolarisés, et peu qualifiés sont très dépendants de leur employeur et d'un type d'emploi donné. En cas de faillite ou de licenciement, les chances des travailleurs et travailleuses de se réorienter vers un autre type d'emploi sont très minces et les coûts sociaux qui en résultent, très importants. Parmi les mesures à mettre en place, une législation en matière de fermeture ou licenciement de salariés devrait comprendre l'obligation pour les employeurs, avec le soutien de l'État, de procurer une formation intensive (recyclage ou autre) aux employés qui le désirent durant les heures de travail et ce, ayant leur licenciement. Ceci dit, la formation n'est pas la « panacée » universelle. Des mesures économiques s'imposent.

En l'occurrence, les préavis de licenciement devraient être plus longs pour permettre aux employés de « voir venir ». Le préavis devrait être envoyé au ministère mais en même temps au syndicat et aux travailleurs et travailleuses concernés. L'employeur devrait justifier sa politique de licenciement ou de fermeture.

Tableau 30 : Taux de chômage par groupes d’âge et de sexe, moyenne annuelles, Québec 1980.

Tous les employés ne choisiront peut-être pas de vendre à nouveau leur force de travail. Certains, les plus âgés, préféreront peut-être prendre une retraite anticipée mais l'employeur qui a utilisé ces employés pendant des années pour faire « tourner » son entreprise ne peut se contenter de « jeter après usage » cette force de travail (le cas de Cadbury pas exemple en 1978). Certains stages de préparation à la retraite aideraient certainement un bon nombre de travailleurs et travailleuses à ne pas envisager leur départ de l'usine comme une catastrophe.

Cependant, les pertes d'emplois ne passent pas toujours par des licenciements. Un bon nombre d'employeurs se contenteront de ne pas remplacer ceux qui partent. Ce recours à « l'érosion naturelle » pénalise non seulement les chômeurs et les chômeuses mais les jeunes entrant sur les marchés de travail, puisque le volume d'emplois n'augmente pas.

En effet, même si les jeunes sont nettement plus scolarisés qu'il y a dix ans, ils sont souvent embauchés en dernier et mis à pied en premier, en période de crise, si jamais ils ont eu la chance de trouver un emploi. Devant les sombres perspectives d'emploi, certains, qui ne prennent pas la voie de l'assistance sociale, poursuivent indéfiniment des études... n'importe quelles études. Or, l'éducation des adultes ne doit pas déguiser le chômage ou lui tenir lieu de soupape.

Le développement des ressources pétrolières dans l'ouest du pays, l'incitation financière qu'envisage le gouvernement fédéral en matière de mobilité de main-d'oeuvre, le manque de débouchés dans les province de l'est, accentuent l'exode des jeunes adultes vers l'ouest, suscitent des espoirs souvent non fondés et accroissent, de toute façon, les inégalités entre les provinces canadiennes.

Il faut dire que la concurrence pour les emplois existants est de plus en plus vive; la syndicalisation contribue surtout à protéger les travailleurs en emploi, à faire en sorte que leur ancienneté soit reconnue et que leur soit assurée une certaine sécurité d'emploi. De plus, les femmes qui autrefois avaient tendance à se retirer des marchés de travail avec la naissance d'un premier ou d'un second enfant, le font de moins en moins. Non seulement le taux d'activité des femmes a considérablement augmenté ces vingt dernières années, mais également leur niveau de scolarisation, même si dans l'ensemble de la population les femmes restent moins scolarisées que les hommes.

Les ouvertures vers de « bons emplois » sont de plus en plus rares pour les jeunes hommes et femmes. Quant aux emplois qualités que génèrent certaines technologies nouvelles, ils ne peuvent concerner qu'un petit nombre d'entre eux: les plus qualifiés. Or, ce n'est pas le cas de la majorité des jeunes et il n'y a pas adéquation entre scolarisation et qualification. Il ne peuvent « débuter » et avoir un même temps 5 à 10 ans d'expérience derrière eux; les employeurs n'investiront dans la formation d'un jeune que s'ils sont certains que ceci leur sera avantageux.

Or, que dit-on des jeunes? Qu'ils sont instables, revendicateurs, peu sérieux dans le travail, plus prêts à prendre un jour de congé qu'à faire du temps supplémentaire, etc. S'ils ne sont pas tous « allergiques » au travail, selon l'expression du docteur Jean Rousselet(124), d'aucuns n'en demeurent pas moins, comme l'a démontré Pierrette Sartin (125), réfractaires à certains types de travail. Le fait d'être plus scolarisés que leurs parents, de voir les immenses conquêtes de la technologie (spatiale, nucléaire, etc.), les amènent à refuser, de plus en plus, un travail aliénant, déshumanisant qui ne fait nullement appel à leur intelligence et à leurs connaissances, un travail qui, s'il épuise de moins en moins physiquement les individus, les « vide » moralement. Ces jeunes refusent de vire uniquement pour travailler estimant que le travail doit être un moyen de s'épanouir, de développer ses connaissances et talents de créer, de se sentir utile et non pas d'être assujetti. Il est pénible, pour un grand nombre de jeunes, d'être chômeurs ou assistés sociaux à 20 ans.

Nous avons réfléchi aux possibilités d'emploi qui s'offrent aux jeunes adultes du Québec. La situation économique n'est guère brillante, il est vrai, mais le « laisser faire » en la matière serait très dommageable pour notre société québécoise.

En effet, il en coûte beaucoup, économiquement et socialement, de laisser ainsi les jeunes adultes au chômage ou à l'aide sociale. D'après les données du ministère des Affaires sociales, il y avait en avril 1981, environ 42 000 bénéficiaires de l'aide sociale, âgés de moins de 25 ans et déclarés « aptes au travail ». Même si les prestations mensuelles individuelles sont très peu élevées (122$), annuellement les sommes consacrées à cette catégorie de bénéficiaires s'élèvent à peu plus de 60 millions de dollars.

Budget d'opération alloué en 1980/81 à l'enseignement secondaire public: 3 071 900$, à l'enseignement collégial public: 599 271 500$, aux universités: 795 686 900$.

Source: Gouvernement du Québec, Conseil du trésor. Budget 1980-1981, Crédits pour l'année financière se terminant le 31 mars 1981, Éditeur officiel du Québec, Québec, premier trimestre 1980, p. 11-1.

Les jeunes de 15 à 25 ans représentent près de 50% de l'ensemble des chômeurs du Québec.

De plus, l'ensemble de la population investit dans l'éducation des jeunes des sommes énormes — près d'un tiers du budget de la province en 1980-1981 était consacré à l'éducation — dont les chômeurs instruits ne sauraient constituer un indice de rentabilité.

Les programmes d'aide à l'emploi tant fédéraux que provinciaux se sont multipliés ces dernières années. Le message inaugural du 9 novembre 1981 parle de moyens supplémentaires, comme celui de bon d'emploi et de Chantier jeunesse. Force nous est de reconnaître que les programmes existants, dont le rendement est parfois fort discutable, n'ont pas réussi à éponger le surplus de chômage qui existe chez les moins de 25 ans.

Mais plus encore que les coûts économiques, ce sont les coûts sociaux d'une telle situation qui sont dramatiques. Comme nous l'avons signalé précédemment, près de la moitié des chômeurs sont des jeunes de 15 à 25 ans. Toutes les études sociologiques sur le chômage sont unanimes : il existe très peu de « chômeurs heureux de l'être ». Substantielle ou non, l'allocation de chômage ne dure qu'un temps et conduit à l'aide sociale. Plus que jamais, Félix Leclerc a raison: La meilleure façon de tuer un homme, c'est le payer à ne rien faire. Nous hypothéquons nos générations futures. Quand près de 175 000 jeunes sont chômeurs, c'est non seulement le présent mais l'avenir qui est en danger.

Les effets désastreux du chômage sont fort nombreux. En plus d'une perte de connaissances et d'habiletés acquises, du manque de confiance en soi, ressentis par plusieurs, certains chômeurs et chômeuses voient leur santé se détériorer. Les dépressions, l'alcoolisme, l'assujettissement aux drogues, la hausse de criminalité et même le suicide peuvent dans certains cas, compter parmi les conséquences néfastes d'un chômage prolongé. Contrairement à ce que pense Illich, le chômage n'est « créateur » que pour très peu de gens(126).

Si nous voulons sortir de ce marasme, il faut compter sur l'ensemble du potentiel humain, et d'abord sur les capacités d'innovation et de créativité de la relève. Car, si nous payons cher aujourd'hui le gaspillage éhonté de nos matières premières, nous payerons encore plus cher demain celui des ressources humaines de notre société québécoise.

C'est pourquoi la Commission, soucieuse du développement du potentiel humain, propose que l'on développe au Québec, dans la perspective de l'insertion aux marchés de travail, un Service communautaire volontaire pour les jeunes adultes qui ne sont pas aux études et qui n'ont pas d'emploi. Nous pensons qu'il serait beaucoup plus valorisant pour les jeunes et les moins jeunes, qui sont chômeurs ou assistés sociaux et qui ont les capacités de travailler, d'offrir leurs services à la collectivité, moyennant une rémunération. En effet, toute la générosité, l'initiative, l'esprit inventif que l'on rencontre chez un grand nombre d'entre eux pourraient être mis à contribution dans des emplois communautaires, comme l'aménagement des parcs, le nettoyage des rivières, l'organisation d'activités communautaires, l'embellissement des rues, la protection de la faune, de la nature, les différentes formes de récupération et recyclage du papier, la participation à l'alphabétisation et à la formation de base, l'aide aux personnes âgées, etc. Une formation devrait être associée à ce Service communautaire, afin que tous tirent grand profit de cette expérience. Ce Service communautaire serait l'occasion pour plusieurs de se valoriser, de se rendre utile, de découvrir des talents d'organisateurs, de gestionnaires ou d'autres. Il devrait amener ces adultes à développer leur sens des responsabilités et de prise en charge, en plus de contribuer à revaloriser l'esprit communautaire et à accroître, de façon sensible, le volume d'emplois au québec.

Au moment où la Commission avait entamé la rédaction des recommandations relatives au Service communautaire, elle a pris connaissance du rapport récemment publié par le Député de Ste-Marie, M. Guy Bisaillon(127). Bien qu'à plusieurs égards, ce rapport sur un Service national ait été jugé intéressant, la Commission s'en démarque, notamment en ce qui a trait au caractère obligatoire du Service proposé. Les recommandations que nous faisons s'inscrivent dans la reconnaissance du droit à la formation pour les adultes, droit qui ne prend véritablement son sens que relié à celui du droit au travail pour tous. Nos recommandations impliquent que le Service communautaire remplace les programmes existants de création d'emplois et de placement étudiant, de même que les projets annoncés dans le dernier message inaugural.

Recommandations

La Commission recommande :

  1. Que l'on encourage des modes de formation à temps partagé entre les études et le travail.
  2. Que les travailleurs et les travailleuses qui recourent à ces modes d'étude ne soient pas pénalisés dans leurs possibilités de promotion, leur ancienneté et leurs avantages sociaux.
  3. Que tout travailleur ou toute travailleuse qui utilise ce mode de formation ne voit pas sa charge normale augmentée pour autant.
  4. Que les personnes travaillant régulièrement à temps partiel aient accès, durant les heures de travail, à une formation autre que la formation reliée à leur emploi, suivant les modalités définies par le comité de formation.
  5. Qu'afin d'assurer aux travailleurs et aux travailleuses les moins scolarisés l'accès à la formation, l'on prenne les moyens pour que ceux-ci puissent compléter leur formation de base, telle que définie par la Commission.
  6. Que les cols bleus et les employés de soutien administratif et technique, hommes ou femmes, aient accès à la formation durant les heures de travail, tout comme les autres catégories d'employés, et que cette formation ne soit en aucune façon limitée à la formation sur le tas.
  7. Que les programmes de formation tiennent compte des conditions de vie des personnes ayant des charges de famille(enfants en bas âge ou d'âge scolaire).
  8. Qu'on abolisse l'âge limite pour les programmes de formation des cadres de la Fonction publique (actuellement fixé à 35ans dans le cas de Formacadre), afin de ne pas pénaliser les femmes de niveau d'emploi dit « professionnel » et qui ont tardivement repris le travail.
  9. Que les démarches nécessaires soient entreprises pour que soit ratifiée la convention no 140 de l'Organisation internationale du travail portant sur le congé-éducation.
  10. Que soit reconnu, dans la Loi sur l'éducation des adultes, le droit du travailleur et de la travailleuse, à temps partiel ou à temps complet, de s'absenter sans solde de son travail pour des fins de formation, suivant les modalités définies par le comité de formation.
  11. Que le ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité   du  revenu,   revoie  le  manuel   de  codification  des conventions collectives du Québec,  afin que soit également codifié le congé aux fins de la formation syndicale. Que soient également  repensés  les  regroupements par grands  secteurs:public, parapublic, péripublic et privé, utilisés par le ministère, catégories qui reflètent mal la réalité du congé-éducation à travers les conventions collectives du Québec.

Les corporations professionnelles

    La Commission fait siennes deux des recommandations que l'Office des professions faisait à la Commission d'étude sur les universités, notamment:

  1. « Que les établissements d'enseignement qui dispensent des programmes de formation sanctionnés par des diplômes donnant accès aux corporations, mettent en place des structures d'accueil et d'enseignement permettant l'admission d'un plus grand nombre d'étudiants adultes ou à temps partiel dans ces programmes. »
  2. « Que les établissements d'enseignement diffusent auprès des étudiants de l'information sur les prévisions des besoins en main-d'oeuvre dans les divers secteurs d'activité professionnelle régis par les corporations. »
  3. Que les corporations professionnelles intéressées préparent tout particulièrement  leurs  membres  à  l'exercice  des  rôles spécifiques qu'ils ont à jouer auprès des adultes et prévoient, en conséquence, des activités de formation continue appropriées.
  4. Que, afin de faire un lien avec les pratiques professionnelles,
    • le Conseil des universités et le Conseil des collèges supervisent la révision périodique des programmes professionnels ;
    • l'on étudie le cheminement des finissants et les emplois qu'ils occupent en regard de la formation qu'ils ont reçue.
  5. Que, sous réserve des conclusions de la consultation engagée par l'Office des professions, le Code des professions soit modifié de façon à confier à l'Office des professions:
    • un rôle supplétif de contrôle des conditions supplémentaires imposées  par certaines  corporations  à leurs  membres pour accéder à l'exercice des professions;
    • la responsabilité d'adopter des règlements d'équivalence de diplômes et de formation, et ceci, en harmonisation avec le système de reconnaissance proposé.

  6. Que,  dans le cadre de l'élaboration de programmes de perfectionnement,   les   institutions   publiques   d'enseignement collaborent étroitement avec les corporations.
  7. Que les corporations « d'exercice exclusif » assurent le financement du perfectionnement de leurs membres.

Les métiers réglementés

  1. Que l'on profite des ralentissements saisonniers de l'activité dans certains métiers pour offrir aux travailleurs et aux travailleuses du recyclage et du perfectionnement dans les diverses facettes du métier qu'ils exercent.
  2. Que les apprentis aient accès aux connaissances et « habiletés » requises pour l'exercice de leur métier dans son ensemble et que cette formation soit comptabilisée dans leurs périodes d'apprentissage.
  3. Que l'on prenne les mesures nécessaires pour informer les clientèles intéressées sur l'évolution du marché du travail dans les secteurs qui les occupent.
  4. à la majorité des voix : Que les systèmes d'apprentissage des métiers soient réévalués en fonction des exigences de l'acquisition de ces métiers et en fonction de la protection du public plutôt que dans une perspective de contingentement.
  5. Proposition minoritaire de monsieur Claude Desmarais

    En remplacement de « plutôt que dans une perspective de contingentement », je formule l'ajout suivant: « tout en tenant compte des besoins de la main-d'oeuvre et du chômage prévisible dans ces métiers pour déterminer le nombre d'apprentis à admettre ».

    Divergence d'opinion de monsieur Michel Blondin

    Je reconnais, que, pour le plus grand bien des travailleurs concernés et du public utilisant leurs services, l' apprentissage dans les métiers réglementés est à réexaminer, afin d'améliorer la formation que ces travailleurs reçoivent, de leur assurer la maîtrise des multiples facettes de leur métier, et de les préparer à faire face aux nombreux changements technologiques à venir.

    Cependant, dans un contexte de chômage aigu et d'une très lente reprise économique, il est socialement sain et fondé qu'on se soucie de répondre à tous les besoins prévisibles de main-d'oeuvre, sans multiplier le nombre d'apprentis au-delà des besoins prévisibles de l'industrie de la construction; ce qui n'aurait comme effet que de multiplier le nombre de travailleurs recevant de l'assurance-chômage et, au pire, le nombre de ceux qui recevraient de l'assistance sociale. Ce n'est pas en multipliant le nombre d'apprentis au-delà des besoins prévisibles de main-d'oeuvre qu'on apportera une solution réelle aux problèmes actuels de chômage. A cet égard, le ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, par ses politiques des marchés de travail, a un rôle important à jouer.

  6. Que le système d'octroi de cartes de compétence soit réévalué, en conséquence, par le ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu.
  7. Que le ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu s'assure de la pertinence et de la validité des méthodes d'examen de qualification utilisées pour tester les« habiletés » et les connaissances des apprentis. Que le contenu, contrôlé par examen, soit cohérent avec le contenu appris encours d'apprentissage.

Les fermetures d'usines ou les licenciements collectifs

  1. Que, dans le cadre des lois et des règlements relatifs aux fermetures d'usines et aux licenciements collectifs, les entreprises fassent connaître d'avance au comité de formation, entre autres, leur intention de licencier des travailleurs et des travailleuses, afin que ce comité puisse leur offrir la possibilité de compléter leur formation,  leur recyclage ou l'apprentissage d'un nouveau métier.
  2. Que le comité sectoriel régional ou la commission régionale du travail soit associé à l'élaboration de ces programmes, de façon à préciser les besoins de main-d'oeuvre et de formation de cette main-d'oeuvre dans la région intéressée.
  3. Qu'enfin, l'organisme central et le C.R.É.A. (Centre régional d'éducation des adultes) consacrent prioritairement les sommes  nécessaires  à  la  formation  des  travailleurs  et des travailleuses  concernés,   en  vue  de  leur réinsertion  sur les marchés de travail, soit à travers le comité de formation de l'entreprise, soit à travers le comité sectoriel régional approprié.
  4. Que les entreprises et les associations de travailleurs et de travailleuses cherchent les accommodements d'horaires et de régimes pédagogiques qui permettraient aux  salariés et aux salariées qui le désirent de poursuivre des études.
  5. Que les institutions scolaires montrent plus de souplesse d'adaptation  à  ces  réalités  du  monde  du  travail  et,  qu'en conséquence, une plus grande variété d'horaires de cours soit développée.
  6. Que les recommandations formulées dans ce chapitre n'entravent en aucune manière la négociation de nouvelles ententes patronales-syndicales résultant en des modalités innovatrices et généreuses en matière de formation dans le milieu du travail.

Le service communautaire

  1. Que soit créé un service communautaire volontaire d'une durée de deux ans pour les 18 à 30 ans qui ne sont pas aux études et sans emploi.
  2. Que, tout en visant de façon prioritaire les 18-30 ans, ce service soit étendu progressivement à des volontaires plus âgés et sans emploi:  victimes de mises à pied,  responsables de familles monoparentales, prématurément retraités, etc.
  3. Qu'en élaborant la programmation de ce service communautaire qui vise non seulement l'insertion au travail mais aussi le développement des ressources humaines,
    • l'on prévoie, quel que soit le projet, des activités de formation, de perfectionnement ou de recyclage pour les personnes qui s'y engagent;
    • que ces activités soient reconnues ;
    • que, le cas échéant, notamment pour les personnes touchées par le droit à la formation de base, l'on reconnaisse, à titre de travaux pratiques, les tâches effectuées dans le cadre du service communautaire ;
    • que les stages prévus en formation professionnelle, de tous les niveaux, coïncident, en tout ou en partie, selon la durée, avec le service communautaire.

  4. Que ce service communautaire remplace les programmes existants de création d'emplois et de placement étudiant réservés aux personnes de 18 à 30 ans.
  5. Que l'on « rapatrie », pour instaurer ce service, toutes les sommes que le gouvernement fédéral alloue à ces programmes.
  6. Que l'on recouvre intégralement les sommes que le gouvernement fédéral économiserait grâce à l'existence d'un service communautaire.
  7. Que les participants au service communautaire soient rémunérés sur la base du salaire minimum, avec prime d'éloignement, s'il y a lieu.
  8. Que, quelle que soit l'autorité sous laquelle le service communautaire sera placé, l'on associe étroitement responsable de l'éducation des adultes à son instauration, à l'élaboration de sa programmation et de ses politiques opérationnelles, de même qu'à toute la question de la formation inhérente à ce service.
  9. Que les activités à caractère communautaire mises sur pied par l'entreprise soient admissibles à ce programme.
  10. Proposition minoritaire de madame Francine C. McKenzie Que, durant la première année de son existence, ce service soit facultatif; que, par la suite, sans être obligatoire, il devienne conditionnel à V octroi de prestations d'assurance-chômage ou d'aide sociale. Que la privation de prestations, pour celui ou celle qui s'y refuse sans raison sérieuse, n'excède pas deux ans.

Notes

  1. Conseil de l'Europe, Actualité d'une politique d'éducation permanente «Le programme de Sienne », Conseil de la coopération culturelle, Strasbourg, 1980, p. 7.
  2. Emploi et Immigration Canada 1981, L'évolution du marché du travail dans les années 80, et Du travail pour demain. Les perspectives d'emploi pour les années 80,Rapport Allmand. Canada, 1981.
  3. A.M. M'Bow, Allocution à la Conférence mondiale tripartite sur l'emploi, la répartition du revenu,  le progrès social et la division internationale du travail, Genève, 19 juin 1976, Genève, UNESCO, 1976.
  4. Conseil de l'Europe, Actualité d'une politique d'éducation permanente, op. cit.,p. 8.
  5. Claude Dubar, Formation permanente et contradictions sociales, Éditions sociales, Paris, 1980, p. 206.
  6. J. Ghislain, « Théorie économique et marché du travail », revue Interventions critiques en économie politique, volume 6, hiver 1981, p. 136-137.
  7. O.C.D.E., Situation actuelle du congé-éducation, Paris, 1976, p. 15.
  8. Cf. les caractéristiques des emplois secondaires dans l'article d'Hélène David« L'organisation du travail, enjeu de la lutte des classes », Travailler au Québec, colloque de l'Association canadienne de sociologie et d'anthropologie de langue française (l'A.C.S.A.L.F.)   1980,  Éditions Albert Saint-Martin,  Montréal   1981.p. 22.
  9. Benjamin Coriat, « Différenciation et segmentation de la force de travail dans les industries de procès », dans La division du travail, colloque de Dourban, Éditions Galilée, Paris, 1978, p. 119.
  10. Jacques Magaud, « Vrais et faux salariés », Sociologie du travail, Éditions du Seuil, Paris, volume 1, 1974, p. 1-18.
  11. La formation offerte dans le cadre des politiques de main-d'oeuvre aux niveaux fédéral et provincial sera examinée un peu plus loin dans ce chapitre ainsi que dans la sixième partie de ce rapport quand on traite de l'organisation centrale en matière d'éducation des adultes.
  12. Ce type de formation sera analysé dans la section suivante.
  13. Cf.:
    • Enquête menée par Statistique Canada au nom du ministère de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, couvrant la période du 1er juillet 1969 au 30 juin 1970.
    • Enquête menée par Statistique Canada, couvrant l'année civile 1973.
    • Enquête menée pour le compte de la Commission d'enquête sur le congé-éducation et la productivité, couvrant l'année civile 1978 (Commission Adams).
    • Enquête menée par le Conseil économique du Canada (dont certains résultats partiels ont été diffusés en 1980) couvrant l'année 1979.

  14. Voir Chapitre 3 sur les caractéristiques des entreprises dans l'Annexe 3 sur les pratiques de formation en entreprise, op. cit.
  15. Le remboursement des frais de scolarité sera traité dans la prochaine section sur la formation en dehors de l'entreprise.
  16. Voir l'appendice 1 de l'annexe 3, le rapport préliminaire no 1 du Centre de sondage de l'Université de Montréal, p. 23-30.
  17. Ibidem, appendice 1, p. 28.
  18. Gordon Betcherman, Les pénuries de travailleurs qualifiés, chap. 7, p. 117-119(à paraître).
  19. Si 17% des entreprises ne donnent qu'une formation « sur le tas », 52,5% des entreprises donnent une formation « sur le tas » et une formation organisée (durant et/ou en dehors des heures de travail).
  20. Se rappeler que l'on a exclu les activités d'apprentissage de notre analyse.
  21. Dans la partie suivante traitant de la transformation de l'image et des pratiques éducatives,  dans  le  chapitre  sur  les éducateurs d'adultes,  nous  ferons état des ressources humaines utilisées par les entreprises québécoises.
  22. Dans le chapitre 3 de la sixième partie de ce rapport, nous ferons état des ressources financières investies dans la formation par les entreprises au Québec.
  23. Voir le chapitre 3 de l'annexe 3, Sondage sur les pratiques de formation en entreprise, op. cit.
  24. Claude  Dubar,  Formation permanente et contradictions sociales,  op.  cit.,p. 143.
  25. O.C.D.E., Situation actuelle du congé-éducation. C.E.R.I., Paris, 1976, p. 9.
  26. Pour une analyse de la genèse de ces questions nous référons les lecteurs au document de  1976 de l'O.C.D.E.  (Situation actuelle... ou à l'étude réalisée par l'Institut canadien d'éducation des adultes (I.C.E.A.) pour le compte du ministère de l'Éducation en 80 et qui analyse également les pratiques nationales dans six pays:l'Italie, les États-Unis, la France, la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, la Suède. Congés-éducation, travaux d'approfondissement, Document no. 8, préparé par l'I.C.E.A.
  27. Voir O.C.D.E., L'éducation récurrente: une tendance moderne, C.E.R.I.,Paris,   1973;  O.C.D.E., Situation actuelle du congé-éducation, C.E.R.I.,  Paris,1976; O.C.D.E., L'éducation récurrente: une stratégie pour une formation continue, C.E.R.I., Paris, 1973.
  28. Commission canadienne de l'Unesco, Recommandation sur le développement de l'éducation des adultes adoptée à la conférence générale tenue à Nairobi (Kenya),novembre 1976, Ottawa, février 1980.
  29. Congé-éducation, document no. 8, op. cit., p. 11, dans le cas de l'Italie c'est un droit individuel mais exercé dans un cadre collectif (banque de 150 heures).
  30. O.C.D.E., Situation actuelle du congé-éducation, op. cit., p. 25 (il faut signaler cependant qu'en Suède et en France, le droit au congé n'est pas automatiquement accompagné du droit au maintien de la rémunération).
  31. Congé-éducation, document no. 8, op. cit., p. 13.
  32. Situation actuelle du congé-éducation, op. cit., p. 101.
  33. Situation actuelle du congé-éducation, op. cit., p. 40-41.
  34. Ibidem, p. 43.
  35. Catherine Lecave, « Les 150 heures en Italie » dans Actualité de la formation permanente. Centre Info, Paris, no 37, nov.-déc. 1978.
  36. O.C.D.E., Congé-éducation, document no 8, op. cit., p. 11.
  37. Ibidem, p. 36.
  38. Pierre Paquet, « De l'école (usine) à l'usine (école). Le congé-éducation payé »,dans Travailler au Québec, op. cit., p. 131.
  39. I.C.E.A., Congés-éducation, op. cit., p. 13.
  40. Idem.
  41. O.C.D.E., Situation actuelle du congé-éducation, op. cit., p. 49.
  42. Idem, passage tiré de la section sur l'analyse du congé-éducation aux États-Unis, p. 51.
  43. I.C.E.A., Congés-éducation, document no 8, op. cit., p. 16-17.
  44. Voir « Le congé-éducation payé », Le travailleur canadien, no 21, juin 1976;« Paid Leave for Auto Workers », The Labour Gazette, juin 1977, p. 245 ; « Congé-éducation payé », Information syndicale, janvier 1978.
  45. Projet de loi no 76. Code des normes de l'emploi, 4e session, 48e législature, Nouveau-Brunswick, 27 Elizabeth II, 1978, alinéas 60. 61, 62.
  46. Rapport au Ministre de l'Éducation, Éléments d'une politique d'éducation des adultes dans le contexte de l'éducation permanente, Québec, Conseil supérieur de l'éducation, 1978.
  47. cf:   le Rapport de  la  Commission  d'enquête sur le  congé-éducation  et la productivité, Ottawa, juin 1979, p. 5-6 et 21.
  48. Cette section est tirée presque intégralement de l'annexe 3: Les pratiques de formation en entreprise, chapitre 2. Québec 1981.
  49. Ibidem, p. 10.
  50. Ibidem, p. 13.
  51. Ibidem, p. 14.
  52. Rapport de la Commission d'enquête sur le congé-éducation, op. cit., p. 241-242.
  53. Ibidem, p. 253.
  54. Pierre Dandurand. L'Etat et la formation professionnelle des adultes. Université de Montréal, Librairie de l'Université de Montréal, 1975-1976. p. 24.
  55. Nous référons le lecteur au chapitre 3 de la cinquième partie qui traite du financement, pour connaître les modalités et les coûts de ces divers programmes fédéraux.
  56. Canada, Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, Direction générale de la formation de la main-d'oeuvre. Division du développement du marché du travail. Formation dans les métiers en pénurie de main-d'oeuvre spécialisée ,document de base pour les consultations fédérales-provinciales, mai 1979, p. 6.
  57. Pierre Paquet, « De l'école (usine)..., op. cit., p. 141.
  58. Idem.
  59. Voir rappel méthodologique du sondage dans la section précédente.
  60. Données du Sondage sur les adultes et les activités éducatives au Québec. 1981,Annexe 2, Tableaux II 78 à II 83, deuxième partie.
  61. Pour de plus amples détails se reporter à l'annexe 4, La clause du congé-éducation dans les conventions collectives du Québec, octobre 1980.
  62. Real Morissette, agent de recherche à la direction des conditions de travail et rémunération du Centre de recherche et statistique sur le marché du travail.
  63. Real Morissette, « Les clauses de formation dans les conventions collectives au Québec », Le marché du travail, vol. 2, no. 4, avril 1981, p. 53.
  64. Ibidem, p. 56.
  65. Ibidem, p. 57.
  66. Ibidem, p. 53.
  67. Idem.
  68. Ibidem, p. 57.
  69. Cf. : Annexe 4 sur la clause du congé-éducation, op cit..
  70. Le fait que le fichier du ministère ne recouvre pas l'univers des conventions ne nous permet donc pas de présenter le tableau complet de ce qui est prévu en matière de  congé-éducation  dans  les  conventions  collectives  au  Québec.   Cependant,   il présente le tableau exhaustif des clauses des conventions codifiées par le ministère sous la rubrique: congé sabbatique et congé-éducation.
  71. Mémoires présentés à la Commission d'étude sur la formation professionnelle et socioculturelle des  adultes  par:   Université de Montréal,  Faculté de l'éducation permanente;   Université  de Montréal,   section  d'andragogie  de  la  Faculté des sciences de l'éducation; Ordre des infirmiers et infirmières du Québec, Montréal;Office franco-québécois pour la jeunesse,   Montréal ;  Ordre des  ingénieurs du Québec;  Conseil  de  la  coopération  du  Québec,   Québec; Jean-Marie  Scuvée, Cantley ; Conseil régional de développement de l'Est du Québec ; La Maison d'Haïti, Montréal.
  72. Mémoires présentés à la Commission d'étude sur la formation professionnelle et socioculturelle des adultes par: Confédération des syndicats nationaux, Montréal, p.32; Fédération des travailleurs du Québec, Montréal, p. 44-45; Conseil du travail de Québec, p. 18; Centrale des syndicats démocratiques, Montréal, p. 42.
  73. Mémoires présentés à la Commission d'étude sur la formation professionnelle et socioculturelle des adultes par le Conseil du patronat du Québec et la La Chambre de commerce de la province de Québec, Montréal.
  74. J. Roy, Adams et autres, l'éducation et le travailleur canadien, Ottawa, Travail Canada, Juin 1979, p. 194.
  75. Les pratiques de formation en entreprise, op. cit., annexe 3, chapitre 4.
  76. France Laurendeau, « Dégradation du travail et professionnalisme », Travailler au Québec, op. cit., p. 260.
  77. Ivan Illich, Le chômage créateur, édition du Seuil, Paris, 1977, p. 47.
  78. Jean Proulx, Démédicaliser la vie, point de vue de Maurice Jobin dans « La fin des professions », revue Critère, no 25, Montréal, p. 109.
  79. L'évolution du professionnalisme au Québec, Office des professions, 1976, p.19.
  80. Ibidem, p. 56.
  81. Idem.
  82. Ibidem, p. 36.
  83. Ibidem, p. 49.
  84. Office des professions du Québec, Rapport annuel, 1980-1981, mai 1981.
  85. Ibidem, p. 30.
  86. Office des professions du Québec, Avis, Les conditions supplémentaires au diplôme ou à la formation de base et les comités de la formation, Québec, 1980,p. VIII.
  87. Office des professions du Québec, La formation des professionnels, mémoire présenté à la Commission d'étude sur les universités, p. 127-128.
  88. Micheline Boivin, « Les professions et le gouvernement », revue Critère, no 25,Montréal, juin 1979, p. 91.
  89. Office des professions du Québec, Avis — Les conditions supplémentaires, op.cit., p. 131.
  90. Mémoire de l'Office des professions à la C.E.U., op. cit., p. 17.
  91. Ibidem, p. 18.
  92. Secrétariat de la conférence des recteurs, Statistiques d'admission au trimestre de l'automne 1980, 18 septembre 1981, p. 19.
  93. Ibidem, p. 23.
  94. Rapport du Comité d'étude sur l'université et la société québécoise, C.E.U.,Gouvernement du Québec, mai 1979, p. 46.
  95. Francine Bernard et Pierre J. Hamel, « Les professionnels de la comptabilité au Québec » dans Travailler au Québec, op. cit., p. 276.
  96. Jean Proulx, op cit., p. 11.
  97. Office de la construction, Pour une politique de formation professionnelle de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, octobre  1980, Document de travail, p. 1-10.
  98. Ibidem, p. 12.
  99. Ibidem, p. 14.
  100. Michel Bellavance, « La formation professionnelle des adultes, second regard sur la jungle administrative », É.N.A.P., septembre 1981, annexe no 4, p. 40.
  101. Les vitriers font désormais parti des métiers réglementés par décret et n'entrent plus dans les métiers relevant de la construction.
  102. La Fraternité unie des charpentiers-menuisiers d'Amérique, locaux: 134, 752,1064,   1427,   2090   (F.T.Q.),   La formation  professionnelle  et  le   charpentier-menuisier, octobre 1980, p. 107.
  103. Article 1 du Règlement no 1 dans la construction, Gazette officielle..., op. cit., p. 2 934.
  104. Analyse de l'industrie de la construction au Québec,   1980, Office de la construction, juin 1981.
  105. L'Association de la construction de Montréal et du Québec, Mémoire soumis à la C.É.F.A., décembre 1980, p. 5.
  106. Emploi et Immigration Canada, L'évolution du marché du travail dans les années 1980, juillet 1981, p. 61.
  107. Ibidem, p. 72.
  108. Ibidem, p. 72.
  109. Ibidem, p. 184.
  110. Ibidem, p. 186.
  111. Du travail pour demain,  Les perspectives d'emploi pour les années '80,Rapport Allmand, Ottawa 1981, 180 p.
  112. Du travail pour demain, op. cit., p. 84.
  113. Voir Maurice Boisvert et autres, La qualité de vie au travail, regard sur l'expérience québécoise, les éditions Agence d'arc inc, Les Presses H.E.C., Ottawa 1980,    461 p.
  114. Harry Braverman, Travail et capitalisme monopolisteLa dégradation du travail au 20e siècle, Paris, Maspéro, 1976, 360 p.
  115. L'organisation du travail et ses formes nouvelles, collectif, C.E.R.E.Q.documentation française, Paris, 1977, p. 69.
  116. Un exemple: « Le minutage des soins infirmiers », par Hélène David et Colette Bernier, dans A l'ouvrage:l'organisation du travail au Québec, I.R.A.T., Montréal, 1981,   p. 14-15.   
  117. Colette Bernier, « Le travail par équipes », Montréal, I.R.A.T., Bulletin no 5,1979.
  118. Mémoire du Syndicat local des Métallos des industries Valcartier, Local 7114,déposé à la C.É.F.A., décembre 1980, p. 6.
  119. André   Michel,   Activité professionnelle   de   la femme   et  vie   conjugale, C.N.R.S., Paris, 1974, 190 p.
  120. Voir 15e congrès de la F.T.Q., Contre la fatalité des fermetures d'usines, 2décembre 1977, le dernier colloque F.T.Q. sur les fermetures et les licenciements;Pertes d'emplois: Mobilisation, février 1981; Ministère du Travail et de la Main-d'oeuvre,  La  clef dans  la porte,   Travail Québec,  Québec,  volume   15  no  2,septembre-octobre 1979, le numéro au complet; Les fermetures et les licenciements collectifs, 17e congrès de la F.T.Q., novembre 1981 ; Les licenciements, les éviter, les réglementer, les compenser, par Lise Poulin-Simon et Zaida Nunez, I.R.A.T.,bulletin,  no   13,  Montréal,  février  1979;  « Les fermetures d'établissements  au Québec »: nécrologie optimiste ou optimisme nécrologique? » par Jean Sexton, 33eCongrès des relations industrielles de /'Université Laval, 1978.
  121. Michel Gauquelin, «Des chiffres sérieux », Travail Québec, op. cit., p. 24.
  122. André Lemelin, « La législation québécoise: trois petits paragraphes », Travail Québec, op. cit., p. 6.
  123. Y. Gisèle Tremblay, « Les législations européennes: empêcher les fermetures sauvages », Travail Québec, op. cit., p. 37, l'auteur reprend l'étude de l'I.R.A.T.,op. cit., bulletin no 13.
  124. Dr. Jean Rousselet, L'allergie au travail, Le Seuil, 1974.
  125. Pierrette Sartin, Jeunes au travail, jeunes sans travail. Les Éditions d'organisation, Paris, 1977, 188 p.
  126. Ivan Illich, Le chômage créateur, Éditions du Seuil, Paris, 1977.
  127. Guy Bisaillon, député de Sainte-Marie, Document préparatoire à la présentation d'un projet de loi visant à établir un service national au Québec, Québec, le 3décembre 1981, 58 p.

Chapitre 4

3.4 Les inégalités d'accès à l'éducation qui relèvent du milieu culturel

Introduction

L'éducation des adultes dans une perspective de développement du potentiel humain vise à accroître l'autonomie des individus et des collectivités. Cette autonomie n'aura de sens que dans la mesure où elle s'harmonisera avec le développement social, économique et culturel de la société. En effet, tour à tour, les ressources sociales, économiques et culturelles peuvent agir tantôt comme support, tantôt comme multiplicateur de l'activité éducative des adultes du Québec et contribuer, chacune à leur façon, au développement du potentiel humain. Dans cette section, nous nous limiterons au milieu culturel, nous tenterons d'en cerner les contraintes et les virtualités, lesquelles ont une incidence sur l'accès à l'éducation des adultes.

Il y a à peine 50 ans, la vie culturelle du Québec était largement caractérisée par le mécénat, et le développement de la culture était financé par et pour l'élite. Elle se voulait gratuite et désintéressée, mais son accès était restreint, ne serait-ce qu'au niveau des valeurs, des intérêts et des goûts auxquels elle renvoyait. Pour une large partie de la population québécoise, urbanisée de fraîche date, c'était le règne d'une culture morcelée entre, d'une part, des traditions paysannes encore vives, centrées sur la famille et la religion, et, d'autre part, un nouveau cadre de vie urbain, avec son anonymat et son travail parcellisé. Cette culture, morcelée et dominée, a réagi très tôt à la spécialisation trop étroite et à l'élimination des travailleurs les moins aptes ou les plus âgés, à la concentration de l'industrie et aux contraintes de la vie urbaine, en prenant conscience de l'unité de la personne, de la diversité et de la solidarité humaines(1). Déjà, cette époque connaissait des pratiques d'éducation et d'autoformation collectives (théâtres amateurs, cercles d'étude, etc.).

Principaux organismes culturels et para-culturels provinciaux:

Office de la langue française

Radio-Québec

Régie des services publics

Ministère des Affaires culturelles

Ministère d'État au développement culturel

Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche

Au cours des années 50, au niveau politique, on aborde ici, comme dans plusieurs pays(2), le thème de la « démocratisation de la culture »(3) Ce thème prenait appui sur d'importantes transformations au sein de la société québécoise: réduction du temps de travail et mécanisation de celui-ci, développement des mass-media, consommation de masse, industrialisation et urbanisation croissantes. De plus, la scolarisation obligatoire, depuis 1943, de même que les réalisations en matière de loisirs et de culture populaire avaient pour effet de créer de meilleures conditions pour la diffusion de la culture. C'est aussi à cette époque que se situe l'impact idéologique du Refus global. Toutefois, la démocratisation de la culture était alors davantage entendue comme l'accès à la « grande » culture ou comme la consommation de produits culturels, alors que le loisir (qui se définit toujours par rapport au travail) n'avait pratiquement pour seule fonction que de rendre viable une condition humaine d'abord absorbée par un travail souvent sans intérêt et fastidieux'4'.

Principaux organismes culturels fédéraux :

Là comme ailleurs, l'intervention de l'État devait s'accentuer: création du Conseil des arts par le gouvernement fédéral, à la suite du rapport de la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et sciences au Canada (Commission Massey-Lévesque, 1949-1951), création, en 1961, du ministère des Affaires culturelles par le gouvernement provincial, création de nombreux organismes, autant provinciaux que fédéraux (ex.: Office national du film, Radio-Canada, Radio-Québec, Conseil de la culture, etc.), témoignant d'une présence de plus en plus marquée de l'État dans le domaine de la culture.

Il fallut attendre la fin des années 60 pour voir l'idée de « démocratisation de la culture » remise en question et celle de « démocratie culturelle » faire son apparition, notamment grâce au développement de l'anthropologie. Ainsi, critiquant le Rapport Parent fondé sur un modèle culturel dominant de rationalité, d'individualisme et de spécialisation fonctionnelle, le Rapport Rioux déclarait: ...Comme ce sont justement ces impératifs socioculturels qui commandent le choix des modes de connaissance et des disciplines à privilégier dans le système d'enseignement, il est évident qu'on fera des choix différents dans la structuration d'un système d'enseignement, selon qu'on sera guidé par ceux de la société industrielle de type libéral ou par ceux de la société de participation.(5)

Ce rapport ouvrait une nouvelle période de réflexion dont la problématique reste encore très féconde: ...Le sens profond de la démocratisation de l'enseignement, pouvait-on y lire, va bien au-delà de ce qu'on entendait naguère par ce terme. Il va sans dire que dans un premier temps, il a fallu prendre des mesures pour faire en sorte que le plus grand nombre d'individus ait accès à l'enseignement et à la culture. Ce qui voulait dire qu'on rassemblait des individus dans des écoles ou des salles de concert et qu'on leur apprenait ce qu'il fallait qu'ils connussent pour passer pour des personnes cultivées. Dans ce genre de processus, les connaissances et les oeuvres d'art sont inculquées à des être qui n'ont aucunement participé à leur création. Les connaissances et la culture s'élaboraient en vase clos et étaient transmises au plus grand nombre. Il était probablement inévitable que, dans un premier temps de démocratisation, il en fût ainsi. Avec le développement des sciences, des techniques et des média de communication, les mécanismes de ce type de transmission ont été mis à jour ; on s'est rendu compte que, pour qu'il y ait vraiment démocratie, il fallait que les individus collaborent activement à l'acquisition des connaissances et de la culture. En d'autres termes, la notion de démocratie politique (égalité de tous les citoyens devant la loi) et de démocratie sociale (abolition des classes sociales) s'est étendue à celle de démocratie culturelle. Dans certains de ses aspects, la démocratie culturelle sous-tend tous les autres aspects de la démocratie, parce qu'elle a trait au sens et aux finalités de l'activité humaine (culture-code) et au désir de création qui est apparu sur terre avec l'homme (culture-dépassement). (6)

De même, l'articulation que ce rapport établissait entre éducation et culture conserve encore toute sa pertinence, notamment en ce qui concerne la formation de base : .. .Si culture veut dire relations avec le monde extérieur, il est de toute nécessité d'équiper l'homme pour qu'il puisse vraiment entrer en relation avec le monde, non seulement par l'entremise des mots, mais à travers tous ses sens, à travers tous les modes de connaissance.(7)

Ou encore, en ce qui a trait au décloisonnement des formations que nous aborderons dans la quatrième partie: ...Ce décloisonnement des connaissances et des techniques qu'on observe dans la société devra tôt ou tard se répercuter dans les structures de V enseignement et hâter la création d'interrelations entre les différentes disciplines et les facultés et départements qui les enseignent. Le développement de la technique a toujours retardé à se manifester dans les structures des systèmes d'éducation. Les enseignants, ayant été eux-mêmes scolarisés à quelques décennies d'intervalle de leurs étudiants, résistent fortement aux pressions que la société globale exerce sur eux pour que les transformations du milieu se répercutent au niveau des enseignements et des pédagogies.(8)

La démocratie culturelle est davantage dirigée vers l'activité que vers l'oeuvre, vers la participation que vers la consommation. Aussi, la démocratie culturelle admet la multiplicité des cultures: celles de tous les groupes, de toutes les classes, de toutes les communautés, dont chacun des membres est à la fois agent et acteur. Son objectif est le développement des individus et des collectivités et, par là même, de la société. Alors qu'auparavant la culture s'identifiait à un ensemble d'oeuvres et d'activités artistiques et esthétiques, la démocratie culturelle fait davantage référence à la culture comme à un mode de vie.

L'émergence de la notion de démocratie culturelle ne signifie pas pour autant que les conceptions précédentes n'aient plus aucune influence. Au contraire, les oppositions culture de masse/culture d'élite, culture d'« establishment »/contre culture (ou culture alternative), culture traditionnelle/culture d'avant-garde, culture populaire/grande culture, culture bourgeoise/-culture prolétarienne, culture universelle/culture « nationale » illustrent le fait que la culture est un terrain privilégié où s'expriment les contradictions sociales. Ces oppositions permettent donc de concevoir la culture comme un puissant outil de transformation et de démocratisation de la société. Par contre, la culture n'est pas un simple outil de reproduction de l'ordre existant ou encore une force de changement volontariste pouvant faire abstraction des conditions matérielles d'existence dans lesquelles vit encore la majorité de la population.

Les difficultés de mise en oeuvre de la démocratie culturelle dans le contexte nord-américain.

La démocratie culturelle, qui prend appui sur l'autodétermination des individus et des groupes, ne bénéficie pas des meilleures conditions matérielles à sa mise en oeuvre dans le contexte nord-américain. En effet, la concentration des média, la pénétration de la culture américaine, via le cinéma, la cablodistribution, la presse écrite, la musique et, bientôt, la télévision payante, la faiblesse des réseaux de distribution québécois, la présence importante du gouvernement fédéral dans le domaine de la culture (ex: formation d'un comité d'étude de la politique culturelle fédérale en 1980 et publication d'un Livre blanc en 1982), l'importance grandissante des industries culturelles (cinéma, musique, spectacle, télévision, radio, etc.) qui tendent à monopoliser le marché des biens culturels et à fabriquer les goûts du public, sont autant de facteurs défavorables à un véritable développement par la base de la production culturelle, donc de la démocratie culturelle. En effet, la démocratie culturelle ne se définit pas seulement comme l'accès aux biens culturels mais aussi comme la maîtrise et le contrôle de ce secteur d'activités par les collectivités.

De même, la démocratie culturelle se heurte à ce que l'on peut appeler la « culture mosaïque ». Cette culture mosaïque est le produit direct du système scolaire et de l'influence des mass-media sur nos sociétés (on a même été jusqu'à parler de « société du spectacle »). Ainsi, les jeunes d'aujourd'hui « savent » et « connaissent » beaucoup de choses, reçoivent beaucoup d'informations et ont accès, de diverses façons, à toutes les richesses de notre culture. Cependant, ces informations et ces connaissances ne sont pas resituées dans une problématique, historique et temporelle, qui permettrait une maîtrise et un contrôle de la culture et de son développement par la base. Cet éclatement de la formation culturelle des jeunes et de celle d'une bonne partie de la population adulte n'est pas sans inconvénients. Par exemple, à la culture mosaïque correspond un modèle de production culturelle dont le contrôle est presque exclusivement entre les mains des industries culturelles de masse (disque, mode, télévision, publicité, radio, cinéma, etc.); univers où on ne peut guère parler de démocratie. Ainsi, la culture mosaïque, qui évacue la « grande » culture plutôt qu'elle ne la banalise, se définit dans l'instant et non en continuité historique; elle récupère la fête populaire, valorise le grégarisme et appartient davantage à ses promoteurs qu'à ses consommateurs spectateurs.

On considère que la multiplication des espaces sociaux autonomes et la diversification des centres de pouvoir sont des composantes du pluralisme et de la démocratie. C'est pourquoi la décentralisation de la gestion et le fait de localiser l'administration de la culture dans des entités territoriales aussi concrètes et réduites que possible - régions, municipalités, quartiers - sont perçus comme des facteurs d'équilibre et de participation démocratique.

Bien que la notion de démocratie culturelle fasse son chemin, tous ne s'entendent pas sur les modalités de la mise en pratique de cette notion: développement culturel, besoins culturels, action culturelle, animation culturelle, demande culturelle, planification culturelle, coopération culturelle, innovation culturelle, droit à la culture, etc., sont autant de termes empruntés aux sciences sociales qui ont été utilisés ces dernières années de façon plus ou moins pertinente. Plus récemment encore, les débats entourant la décentralisation, la participation via les regroupements locaux, le développement de la culture par la base et l'effacement de l'animation, au profit de la prise en charge et de l'autodétermination des individus et des groupes, sont venus compléter le tableau des questionnements concernant la mise en oeuvre d'une véritable démocratie culturelle.

Parmi les modalités de mise en oeuvre de la démocratie culturelle, la notion de développement culturel est certainement celle qui a reçu le plus d'attention(9). Ainsi, la politique québécoise du développement culturel, distinguant deux versants à la culture: le milieu (langages, croyances, institutions) et l'horizon (création, accomplissement intellectuel et spirituel, prise de conscience), en vient à identifier les principaux lieux de production d'une telle culture (ex. : système d'éducation, moyens de communication de masse) dans une perspective de qualité de vie et de maîtrise du destin des collectivités. De plus, la politique québécoise du développement culturel met de l'avant les orientations suivantes: le respect de la diversité des voies d'accès à la culture, la cohérence entre les politiques relatives aux divers secteurs de la culture et le souci du développement culturel collectif et ce, non seulement de la promotion des individus.

Faisant la genèse de la notion de développement culturel, Fernand Dumont reste critique à l'égard de celle-ci, notamment lorsqu'elle est prise au sens de production. Il écrit: En somme, la culture a quitté l'existence commune; on ne lui reconnaît plus formes et structures que dans les enceintes où des organisations la planifient et la produisent.(10)

Il souhaite l'avènement d'une culture davantage tournée vers les genres de vie et réinsérée dans les pratiques scolaires, le travail et la vie privée. À cet égard, l'éducation des adultes lui semble être une voie prometteuse: ...L'extraordinaire essor de l'éducation des adultes et de l'éducation permanente est plus révélateur encore. Il atteint des milieux sociaux et des âges beaucoup plus diversifiées que l'ancienne scolarisation. Surtout, il suscite une conjonction des apprentissages et des motifs d'apprendre d'une extrême variété. (...) Tout cela demeure ambigu: s'agit-il d'une plus grande emprise de l'école sur la société ou d'une invasion de la vie quotidienne dans l'école? Le fait que l'on se pose la question montre au moins que l'école n'est plus ce qu'elle était. Les fissures se multiplient dans les vieilles barrières. La culture scolaire se réinsinue dans la vie, et vice-versa.(11)

3.4.1 L'éducation et la culture: complémentarité et spécificité

Dans notre société, on peut observer la coexistence de trois champs culturels distincts: celui de la culture populaire (locale, communautaire ou de base), celui de la culture de masse, et celui de la « culture cultivée » (artistique, intellectuelle, esthétique, etc.). Dans ces trois champs, culture et communications se révèlent inséparables. Conséquemment, il faut considérer la culture de masse, surtout supportée par les mass-media, comme un fait social d'une signification toute particulière pour l'éducation des adultes. D'une part, il est avancé(12) que la culture de masse représente presque 85% de l'ensemble de tous les phénomènes culturels de nos sociétés; d'autre part, on va même jusqu'à parler de la télévision comme d'une « grande école du soir », dans la mesure où les Québécois et les Québécoises regardent la télévision en moyenne de 23 à 25 heures par semaine(13).

Il arrive que ces faits puissent laisser croire à une relation d'équivalence entre éducation et communication et nous faire perdre de vue le caractère particulier de l'éducation dans le grand tout de la culture de masse. Certes, l'arbre est dans ses feuilles, mais un émondage bien fait n'a jamais nui à sa croissance! Nous ne pouvons faire ici l'économie d'une clarification des liens qui unissent et distinguent éducation et culture.

3.4.1.1   La culture, lieu d'apprentissage

Tout d'abord, il faut se rappeler que l'éducation n'a pas le monopole des apprentissages d'un individu et encore moins celui du développement du potentiel humain. L'apprentissage désigne à la fois les modes et les actes individuels d'acquisition ou de développement des connaissances, des habiletés et des attitudes. Ces apprentissages s'étendent de la naissance à la mort. On apprend en divers lieux et de diverses façons, et ce, parfois même à son insu (Ex. : perception subliminale). Dans cette mesure, la diffusion de la culture, en tant que lieu d'information, de création, de divertissement et de communication, peut favoriser, fournir et multiplier les situations d'apprentissage. Par exemple, le divertissement, même si le but recherché est la détente, peut nous instruire sur la vie et les moeurs.

De plus, l'interactivité, prise au sens d'échange dans les deux sens, n'est pas une condition nécessaire à l'apprentissage. On peut très bien apprendre seul devant son poste de télévision sans qu'un quelconque échange avant, pendant ou après l'émission ne soit nécessaire. Ceci ne présume pas de la qualité de ces apprentissages: ceux-ci pouvant être émancipateurs et créateurs, tout comme ils peuvent être synonymes de dressage et de conditionnement.

3.4.1.2   L'éducation, une volonté et une intention conscientes

Le processus éducatif, tout comme la diffusion de la culture, favorise, fournit et multiplie les situations d'apprentissage. Il s'en distingue dans la mesure où il a, comme principal objectif, un développement systématique et qualitatif des connaissances, des habiletés et des attitudes de l'individu, du groupe ou de la collectivité. L'éducation vise donc l'atteinte d'objectifs explicites, identifie les étapes et les moyens pédagogiques pour y parvenir et vérifie (dans son sens le plus large) si ceux-ci ont été effectivement atteints. Recherchant un développement qualitatif, l'éducation en vient à s'interroger sur les valeurs, la pertinence sociale de telle ou telle connaissance, de telle ou telle habileté et sur les priorités de développement des individus, des groupes et de la société. En ce sens, nous pouvons accueillir favorablement la riche réflexion du Rapport MacBride sur les liens qui unissent et distinguent l'éducation et la communication: L'éducation est donc à la fois plus et moins que la communication. Lorsqu'elle fait défaut, comme dans le cas de l'analphabétisme, les capacités de la communication s'en trouvent réduites. Si elle se développe, elle élargit la base de la communication. Toute discussion portant sur la nécessité de remédier aux déséquilibres de la communication ne peut, par conséquent, ignorer l'importance de l'éducation universelle et de l'amélioration de la qualité de l'éducation et des possibilités éducatives.(14)

Ainsi, afin que la relation entre éducation et culture soit riche et positive, il est nécessaire de tenir compte de la nature spécifique des deux notions.

3.4.1.3 L'éducation et la culture, une approche non scolarisante

Dès qu'on parle du potentiel éducatif des média ou de l'utilisation des ressources culturelles comme supports ou multiplicateurs de l'action éducative, est-ce à dire que la démarche doit être formelle, scolaire ou didactique? Non, dans la mesure où l'éducation ne vient que qualifier, systématiser et faire de l'apprentissage le but principal; cela ne veut pas dire, pour autant, que cette démarche doive nécessairement prendre la forme d'un cours ou d'un exposé magistral. Ainsi, on peut très bien imaginer que toutes les activités éducatives ou culturelles, quels qu'en soient la forme, l'endroit ou le support, peuvent être considérées comme un lieu de coexistence, d'alternance et d'échange entre des objectifs spécifiques tantôt à la culture, tantôt à l'éducation: détente et effort, divertissement et animation, création et formation. Par exemple, un musée peut, sans laisser de côté ses objectifs de conservation et d'acquisition de collections, intégrer un programme d'animation culturelle dans lequel l'éducation du public joue un rôle important. C'est la coexistence. De même, une activité éducative peut aussi, pour un moment, occuper toutes les possibilités d'un médium culturel. C'est l'alternance. De même, l'éducation peut aussi être détente, occasion de rire, d'émouvoir et de divertir. C'est l'échange.

Cette façon de considérer les médiums culturels comme lieux de coexistence, d'alternance et d'échange avec des approches éducatives, est susceptible de permettre une ouverture de l'éducation vers les multiples facettes non cognitives de la vie. En effet, l'éducation au Québec, étant largement dominée par des préoccupations comme comprendre, raisonner et abstraire, a pour effet et privilégier le langage verbal, la maîtrise de concepts et la logique du discours. Certains aspects de la vie, tels que l'appréciation, les sensations, les expériences et les valeurs morales, esthétiques et spirituelles, pourraient ainsi, par le biais des divers médiums culturels, conquérir davantage leur place en éducation. En 1968, le Rapport Rioux constatait déjà cette dichotomie:

Ces processus non cumulatifs, au rang desquels se rangent la sensorialité, la sensibilité, la spontanéité, l'art, la moralité, sont renvoyés dans la vie quotidienne où, d'ailleurs, les techniques sociales viennent les y pourchasser.(15) Cela demeure une réalité toujours actuelle si l'on considère un récent rapport du gouvernement fédéral qui suggère de : ...modifier sensiblement la répartition des ressources du système postsecondaire et favoriser une expansion dans le domaine du génie (particulièrement dans les industries primaires, les industries manufacturières permanentes, la construction de grands ouvrages, l'électronique et la biotechnologie), une expansion de la formation technologique dans les collèges, une diminution des ressources consacrées aux arts en général et aux disciplines liées à /'enseignement, à l'éducation et à l'administration publique, une expansion sélective des cours de formation à l'intention des diplômés dans certains secteurs des sciences pures, afin de stimuler la recherche et le développement, une expansion sélective des cours offerts dans les collèges et des cours menant à la maîtrise et au doctorat en administration des affaires.(16)

Certes, une telle orientation, fondée sur la seule rationalité technique, ne peut que contribuer à perpétuer l'opposition entre travail et culture, avec les conséquences que cela entraîne vis-à-vis du décloisonnement en éducation des adultes.

Par contre, l'introduction d'un processus éducatif dans la culture signifie des choix de valeurs et, à la limite, un choix de société. En effet, on a vu que la culture favorise, fournit et multiplie les situations d'apprentissage, ceux-ci pouvant être dressage, conditionnement, innovation ou actualisation des connaissances, des habiletés et des attitudes. Or, l'intervention de l'éducation dans la culture, loin de signifier une perte de son caractère spécifique, amène des choix et une systématisation des situations d'apprentissage diffusées par la culture.

Cet impact éducatif peut varier en degré et en intensité partant du fait que les médiums de la culture peuvent centrer leur démarche, sans que cela soit linéaire et exclusif, sur l'émetteur (ex. : le créateur, l'artiste, le témoin interviewé, le reporter), ou bien sur le support ou le vecteur (ex. : faire de la « belle » télévision, ou un beau spectacle, bref la forme artistique, théâtrale ou esthétique en général) ou encore le récepteur(17) (ex.: déclencher une attitude ou un comportement tels que faire rire, acheter un produit, la publicité informative et commerciale en général) et, enfin, sur l'objet qui peut être information, communication, création, récréation ou formation. Par exemple, le cinéma, la radio, la télévision, le livre, la danse, l'artisanat peuvent être assortis, tour à tour et à divers degrés, à des préoccupations d'esthétisme, de didactisme, de divertissement, d'animation, de formation et d'information.

L'intervention de l'éducation n'a pas à modifier cet ordre des choses, mais à en préciser l'intention de départ, à susciter les apprentissages et l'autonomie qui serviront à l'individu ou au groupe à décoder ou utiliser l'information, le loisir, l'oeuvre, et vérifier si cette démarche a atteint son (ou ses) objectif(s). Cette vérification est tantôt formelle (évaluation, feed-back, groupe témoin, etc.) dans le cas où l'objet d'apprentissage est le but premier de la diffusion culturelle, ou informelle dans les autres cas (atteinte de groupes-cibles, profil de clientèle, changement des goûts ou des modes de vie).

L'insertion de l'éducation dans la culture consiste donc tout d'abord à bien cerner le contexte de l'action éducative, à l'aide d'intervention, d'animation et de recherche portant sur la psychologie et sur les valeurs des individus et des groupes à se rejoindre (ex.: leur manière d'apprendre, leurs aspirations, leurs perceptions des éducateurs) et leur réalité sociale et culturelle (ex. : scolarité, niveau de vie, utilisation du temps, profession, résidence, loisir, etc.). Cette première phase peut se concevoir à partir des priorités, de groupes cibles, ou encore répondre à des projets autonomes suscités par des individus ou groupes.

Dans un deuxième temps, des objectifs éducatifs, sociaux et culturels, peuvent apparaître: par exemple, la valorisation de l'expérience des gens, la solidarité internationale, la prévention dans le domaine de la santé, la bonne alimentation, le retour ou l'intégration sur les marchés de travail, l'abaissement des coûts sociaux, etc. Ces objectifs, rappelons-le, peuvent être élaborés par des individus ou des groupes ou bien par diverses instances de la société: priorités politiques et économiques, besoins d'un ministère, d'une entreprise ou d'un syndicat. Une fois la population identifiée, les objectifs circonscrits,  la démarche éducative qui veut s'appuyer sur les médiums culturels peut alors préciser ses concepts et sa stratégie générale. Finale-ment, au dernier rang, intervient le choix du médium culturel le plus apte à permettre l'atteinte des objectifs poursuivis(18). Ce type de démarche, qui est le propre d'un diffuseur ou d'un dispensateur de culture ou d'éducation, permet et rend possible une démarche où des individus ou des groupes identifient leurs propres besoins de formation et les moyens pour y parvenir.

Ce type de démarche commande certaines formes d'ouverture et d'accessibilité aux populations cibles et à ceux et celles qui veulent entreprendre des apprentissages autonomes. Ce sont ces questions que nous allons maintenant aborder à travers certains secteurs clés de la vie culturelle: média, bibliothèques, musées, loisirs.

3.4.2 Les inégalités d'accès aux média

3.4.2.1 La situation actuelle

Le Québec possède une solide infrastructure en ce qui a trait aux média. Pour les imprimés, on dénombre, au Québec, en 1981(19), 12 quotidiens, dont 2 anglophones, 18 hebdomadaires nationaux et 3 bimensuels ou mensuels, 165 hebdomadaires régionaux et 15 bimensuels ou mensuels, 21 journaux éthiques, 23 revues et magazines d'informations générales, environ 116 revues, magazines et bulletins d'informations spécialisées et 12 journaux communautaires subventionnés(20). Pour les média électroniques, on dénombre 118 stations de radio, dont 76 diffusent sur bande MA et 42 sur bande MF, 14 diffusent en anglais, 3 sont polyglottes, 2 inuk(21), une est amérindienne(22), 14 peuvent être considérées comme radios communautaires(23) et on compte 6 réseaux de radio. On dénombre 24 stations de télévision réparties à travers la province avec leurs multiples réémetteurs, 5 réseaux de télévision (2 anglais, 3 français) et 17 télévisions communautaires subventionnées(24). Ces chiffres ne rendent pas compte de la forte pénétration des média américains via les 130 câblodistributeurs enregistrés auprès de la Régie des services publics en 1978.

Ces chiffres tendent à démontrer que le Québec est loin d'être une société sous-équipée, de façon générale, en termes de média écrits et électroniques. Ceci ne fait pas abstraction des média qui peuvent connaître certaines difficultés (ex.: difficultés de la presse d'information)(25), des concentrations qui s'yopèrent, des restructurations qui s'y préparent (ex.: Télidon, la télévision payante, etc.) avec l'introduction de nouvelles technologies telles que la télématique(26), ou encore des changements liés à la fibre optique ou à d'autres technologies en développement.

À cette puissance de diffusion semble correspondre une égale puissance de réception: par exemple, au Québec, en 1976(27), sur un total de 1 832 000 ménages, 1 811 000 d'entre eux possédaient au moins un récepteur radio, 1 784 000 au moins un récepteur de télévision et, 1 771 000 au moins un appareil téléphonique. De plus, en 1974, 441 106 ménages étaient desservis par des titulaires de permis de télédistribution, alors que 1 122 537 ménages sont situés dans une zone desservie par un câblodistributeur. Enfin, les 12 quotidiens tiraient en moyenne à 1 180 000 pour un jour de semaine(28).

Malgré l'ampleur des moyens en place, on ne peut pas dire que, de façon globale et abstraction faite des autodidactes, il y ait une forte interaction entre les lieux où l'on dispense de l'éducation aux adultes (école, entreprise, syndicat, groupes populaires ou communautaires, etc.) et les divers média. Ici et là, on peut observer certaines initiatives: le journal La Presse a publié et continue de publier des cours en collaboration avec le Cégep Marie-Victorin; Le Devoir publie régulièrement des cahiers spéciaux; certains cours de la Télé-université sont diffusés par Radio-Québec; il existe un projet conjoint de Radio-Québec et des centrales syndicales pour produire une série d'émissions sur l'histoire du mouvement ouvrier; CBF-FM diffuse la série « J'ai une histoire » produite par le S.G.M.E. Ajoutons à cela la collaboration entre Télé-métropole et le service d'éducation permanente de l'U.Q.A.M. pour la production d'émissions dans le cadre de la série « Sciences et Technologie », l'expérience de Téléduc (station radio entièrement éducative offrant des cours de niveau collégial) à Trois-Rivières en collaboration avec l'U.Q.T.R., des cégeps et des commissions scolaires et aussi des informations publicitaires. Ces quelques exemples, aussi positifs soient-ils, démontrent qu'il reste encore beaucoup à faire en ce domaine et que les occasions peuvent se multiplier, si on s'en occupe un peu.

La Loi no 4 (Loi sur la programmation éducative, 1979) définit ainsi ce qu'il faut entendre par « programmation éducative »

2. Pour les fins de la présente loi, l'expression « programmation éducative » désigne tout programmation ou toute partie de programmation :

conçue de façon à être présentée à la fois dans un contexte susceptible de permettre aux auditoires auxquels elle est destinée la poursuite d'une formation par l'acquisition ou par l'enrichissement des connaissances, ou l'élargissement du champ de la perception, et dans des conditions telles que cette acquisition ou cet enrichissement des connaissances, ou cet élargissement du champ de la perception puisse être surveillé ou évalué;ou

destinée à fournir des renseignements sur les cours d'étude dispensés, ou à présenter des événements spéciaux de caractère éducatif au sein du système d'éducation.

Seul Radio-Québec a une mission entièrement éducative de par la Loi qui l'a créé. Outre la faible interaction avec les milieux de l'éducation des adultes, dont nous venons de faire état, il semble que l'on ignore encore, au Québec et ailleurs, ce que l'on entend par programmation éducative. Si l'éducation à distance, que nous aborderons dans la quatrième partie, commande une programmation éducative, les autres domaines d'application d'une telle notion semble plus difficiles à circonscrire. Ainsi, on dira que tout est éducatif, que communication et éducation ne font qu'un, qu'il faut de l'interactivité (i.e. une communication dans les deux sens), qu'on ne peut demander aux média ce qu'il ne peuvent pas donner, et ainsi de suite. La clarification d'une telle notion est donc essentielle si l'on veut atteindre certains objectifs susceptibles d'accroître l'accès à l'éducation des adultes, à savoir l'utilisation optimale de l'ensemble des ressources éducatives et la répartition équitable des ressources éducatives dans l'ensemble du territoire.

Au Québec, seule la Régie des services publics est habilitée à déclarer éducative (en vertu de la compétence constitutionnelle du Québec en éducation) une programmation ou une partie de programmation qui lui est soumise en vertu de la Loi no 4. À cet effet, la Régie des services publics émettait une ordonnance, le 16 mars 1981, enjoignant Radio-Québec de se conformer à son mandat de télévision éducative. Pour ce faire, la Régie dégageait quelques pistes de réflexion, afin que Radio-Québec développe sa programmation éducative. En voici quelques-unes: renforcer les liens avec le monde de l'éducation, évaluer ou surveiller les retombées éducatives de la programmation, amorcer le processus qui conduira à la présentation d'émissions répondant aux besoins d'éducation économique et sociale, fournir des renseignements sur les cours d'étude dispensés ou présenter des événements spéciaux de caractère éducatif au sein du système d'éducation, utiliser des soutiens aux émissions éducatives (systèmes multi-media), négocier avec diverses catégories de détenteurs de droits de suite, identifier la place à accorder aux régions dans les prochaines auditions, départager « besoins éducatifs » et « attente » du public, et déterminer les publics visés (ex. : les analphabètes). Ainsi, la Régie invitait Radio-Québec à être plus qu'un simple porteur d'ondes mais un véritable maître d'oeuvre en matière de télévision éducative.

La problématique de la Régie, qui appuie ces pistes de réflexions, est à plusieurs égards intéressante. Rappelant que les ministres de l'Éducation des provinces canadiennes ont rejeté, en 1969, la définition trop scolaire et traditionnelle de la programmation éducative proposée par le fédéral et étant donné que l'éducation des adultes permet de considérer l'éducation comme étant plus que l'enseignement scolaire, la Régie retenait le terme « éducatif » dans son entendement le plus large ; En somme, éducatif au sens large constitue la réponse québécoise à ceux qui voulaient rétrécir leur champ éducatif; ce ne saurait être un argument en faveur de ceux qui veulent confondre éducatif et culturel ou encore, sur un autre plan, éducatif et affaires publiques(29) S'appuyant sur l'interprétation de la Loi, notamment l'article 2 a), la Régie proposait la démarche éducative suivante:

3. Une programmation éducative doit:

Dans le cadre de cette démarche, la Régie accordait beaucoup d'importance à la première étape, celle de la conception. Entre autres, elle suggérait une plus grande collaboration entre Radio-Québec et les groupes du milieu (ex: syndicats, corps de métiers, etc.) afin de partir du besoin éducatif vécu en le traduisant en objectif de communication, processus qui devrait par la suite faciliter l'évaluation.

À partir de cette problématique de base, la Régie dégageait un certain nombre de points de repère quant au rôle spécifique des média en éducation (ex: actualisation des connaissances, information sur les possibilités de formation auprès du public, atteinte de publics-cibles tels que les analphabètes), au feed-back (surtout utile à l'éducateur), aux possibilités d'intégration dans des systèmes multi-media, aux problèmes des droits de suite, à la publicité de prestige, à l'adaptation de la démarche éducative aux caractéristiques des populations visées, à l'établissement d'une grille d'objectifs à atteindre, au cadre de l'émission (qui ne doit pas se substituer au contenu), aux reprises d'émissions, à l'accès aux émissions produites pour le réseau scolaire, à l'ouverture aux approches non disciplinaires et informelles.

La problématique de la Régie se terminait sur l'identification de ce qu'elle présentait comme étant des « tendances lourdes » ou des faits « porteurs d'avenir ». On y parle d'un éventuel concurrent de Radio-Québec, à savoir la deuxième chaîne de Radio-Canada, des 40 canaux disponibles par le biais de la câblodistribution, de la présence du grand réseau éducatif américain PBS, de TV Ontario qui semble vouloir assurer le leadership en matière de télévision éducative française, de la fonction économique exercée par l'éducation dans une société en proie au vieillissement, des générations montantes de plus en plus aptes à exiger de la télévision autre chose que l'évasion ou la pure détente, de la montée des « drop-out » et des mésadaptés scolaires qui n'ont pas de formation de base, d'une plus grande pénétration de l'infrastructure technologique dans l'enseignement. Tous ces faits justifient, selon la Régie, que Radio-Québec accentue sa vocation et son caractère éducatifs.

Cette démarche de la Régie n'est pas unique en son genre. Ainsi, aux États-Unis, dès le début des années 70, la « Commission on Instructional Technology »(31), qui avait pour mandat d'évaluer la technologie en éducation, recommanda la création d'un Institut national de l'éducation (établi par le Congrès entre les départements de Santé, d'Éducation et de Bien-être et se rapportant directement à l'assistant-secrétaire à l'Éducation) au sein duquel on créerait un institut national de la technologie éducative qui verrait à la recherche, au développement, à l'utilisation des équipements, à leur inventaire, au développement des systèmes et à l'entraînement des personnels. En outre, cet institut pouvait s'appuyer sur des centres régionaux. Plus près de nous, en 1980, un rapport du comité de travail du C.M.P.D.C. (Comité ministériel permanent du développement culturel), qui étudia la pertinence d'une radio éducative pour le Québec, examina, lui aussi, cette notion de « programmation éducative »(32).

Ainsi, les conclusions, fort détaillées et précises, de la Régie des services publics en ce qui concerne les relations entre éducation et communication constituent un apport substantiel à un débat qui en est, somme toute, encore à ses débuts. Si le mandat de la Régie était d'examiner la programmation de Radio-Québec à la lumière de la Loi no 4, la Commission, pour sa part, croit utile d'élargir les perspectives du débat et d'examiner, dans ce cadre, les liens qui unissent les mass-media à l'éducation et la culture à l'éducation.

3.4.2.2 Les média, une école insoupçonnée?

Qu'un lien existe, et même plusieurs, entre l'éducation des adultes et les mass-media, nul n'en doute. 11 est indéniable que l'omniprésence de la communication et le déversement d'un flot d'informations de toutes sortes sur les citoyens engendrent un nouveau milieu ambiant qui, s'il n'est pas plus éducatif, crée l'illusion d'une libre circulation de l'information et d'un libre accès aux connaissances. Même lorsque les contenus ne sont pas éducatifs, l'impact l'est et l'action des média est d'autant plus déterminante qu'ils ne se contentent pas de diffuser la culture, mais ils choisissent et créent son contenu.(33)

La Commission note cependant que cette relation, réelle et féconde, ne justifie pas tous les espoirs et toutes les promesses que certains ont voulu investir en elle. Mieux vaut, dès lors, pour lever les ambiguïtés et pour éviter les déceptions, dégonfler un certain nombre de mythes et de malentendus. Une fois ce déblaiement effectué, la Commission pourra formuler plus aisément ses propositions sur la mise à contribution des mass-media à des fins d'éducation des adultes.

Répéter, par exemple, que les mass-media sont une école insoupçonnée, c'est répandre et accréditer une expression chatoyante, mais équivoque. La formule, en effet, perpétue un malentendu. Elle laisse entendre qu'on peut éduquer sans s'en apercevoir, former autrui comme par inadvertance, devenir éducateur sans même s'en donner la peine. Telle n'est pas tout à fait notre conception.

Certes, et nous l'admettons volontiers, n'importe quoi, depuis le deuil jusqu'au coucher du soleil, peut provoquer chez un certain nombre d'individus, prêts à en bénéficier, un enrichissement ou un épanouissement très proche du profit éducatif. On parle depuis assez de siècles de « la grande école de la vie » pour que cette évidence soit considérée comme acquise... Il en découle que le système éducatif ne peut plus prétendre au monopole de l'éducation. De ce fait, s'il faut réviser les fonctions de l'école, a fortiori faut-il rehausser nos critères d'exigence à l'endroit des média, si tant est qu'on attache encore quelque importance à l'avènement d'une « société éducative ». L'enjeu est d'autant plus serré que les mass-media les plus puissants sont aux mains de l'entreprise privée, fortement influencés par les intérêts commerciaux et ceux de la publicité, et d'abord axés sur le divertissement.

On ne saurait pourtant en déduire que tout est éducatif. On ne devrait surtout pas en conclure qu'une collectivité pourrait considérer comme ses principaux éducateurs ceux des mass-média qui n'éduquent qu'accidentellement, que sporadiquement, qu'à leur insu. Ce serait confier au hasard ou à la chance la poursuite d'un objectif vital. En somme, les mass-media peuvent éduquer si et quand ils le veulent. Ils ne deviennent pas éducatifs du seul fait que certains individus en extraient, à l'occasion et par leurs propres forces, un épanouissement ou un enrichissement.

Paradoxe à noter: le service des transcriptions d'émissions est plus développé à Radio-Canada qu'à Radio-Québec.

Il serait pourtant excessif et même ridicule d'aller trop loin dans cette veine. On ne saurait nier, en effet, que les mass-media ont un impact énorme sur les valeurs: ils les renforcent, les modifient, les sclérosent plus puissamment parfois que l'école et la famille. À cet égard, il est juste d'affirmer que « l'on ne diffuse pas impunément ». Nous doutons simplement que cet impact des mass-media soit toujours ou même surtout éducatif. Considérer les mass-media comme des ressources éducatives analogues ou semblables à l'école, c'est, une fois de plus, susciter des espoirs assez mal fondés, les mass-media, en effet, ne se comparent que difficilement à l'école. D'une part, ils n'ont, contrairement à elle, que très rarement, un but éducatif. D'autre part, il est plus exceptionnel encore que le mass-media consente à des collaborations et à des combinaisons que l'école offre naturellement: exposés oraux et travaux écrits, recherches personnelles et encadrements, évaluations par les pairs ou par l'enseignant, etc. Là où l'école cherche ou consent à diversifier ses méthodes et ses ressources, celui-là préfère le plus souvent jouer en solo. On aurait tort d'en faire une ressource éducative comparable à l'école. Cependant, affirmer cela ne signifie aucunement que les média n'ont aucune responsabilité sociale, en général, ni aucune contribution à apporter à l'éducation des adultes, en particulier.

3.4.2.3 Qu'en est-il de la télévision éducative?

Les observations concordent : la télévision, si elle est seule, ne réussit pas grand-chose d'éducatif. En cheville avec l'écrit et avec des ressources pédagogiques décentralisées, elle peut beaucoup.

Nouvelle panacée, la télévision pourrait, selon ses prophètes, rendre faciles tous les apprentissages et, euphoriques tous les enseignements. Elle serait, pour peu qu'on lui demande, une éducatrice née. Encore là, la promesse est outrancière et l'attente vouée à la déception. Depuis 1965, en dépit de plusieurs tentatives, parfois heureuses, d'utiliser la télévision dans le cadre de l'éducation « formelle », il faut bien avouer qu'on n'a pas vraiment réussi à domestiquer cette technologie. Souvent, avons-nous été déçus: productions interminables, coûteuses, pas toujours séduisantes, souvent désuètes lorsque venait enfin le moment de les diffuser. Dans l'ensemble, les réalisations éducatives ont été en deçà du discours prometteur des années 60 sur les pouvoirs merveilleux du petit écran. Force est de constater que, par exemple, la télévision n'a pas constitué un support majeur en éducation aux adultes. Utile comme adjuvant et peut-être même indispensable comme instrument de sensibilisation, la télévision, même entre les mains des meilleurs pédagogues et des réalisateurs les plus ingénieux, ne parvient que difficilement à accomplir seule une mission proprement éducative. Elle a donc sa place dans une stratégie éducative, mais on ne doit pas lui demander ce que pourrait donner un effort multi-media.

En face de ceux qui attendent trop des mass-media, on trouve ceux qui n'en attendent rien. Les motifs ne manquent d'ailleurs pas à ceux qui voient ou qui établissent un fossé infranchissable entre l'éducation des adultes et les mass-media. Certains allèguent qu'ils appartiennent le plus souvent à des intérêts privés dont l'éducation n'est pas le premier ni même le deuxième souci. D'autre ne voient pas comment des techniques orientées vers le grand nombre peuvent servir utilement à des démarches éducatives particulières.

Il suffit, à ce stade, d'éviter les verdicts péremptoires; la suite de nos réflexions explicitera ce que nous attendons exactement des mass-media. Retenons simplement que l'impact, bon ou mauvais, des mass-media sur les aspirations des citoyens est trop considérable pour qu'un État moderne s'en désintéresse et qu'il s'en remettre aveuglément aux seuls intérêts privés. Ce qu'ils peuvent donner, il faut le leur demander. S'ils rendent impossible la tâche de l'éducation, il faut leur rappeler l'existence de limites à ne pas franchir.

3.4.2.4 La véritable « nature » des mass-media

Pour éviter les malentendus et les déceptions dont nous venons de faire mention, un premier remède s'impose: bien se remémorer les caractéristiques fondamentales des mass-media. Un rapide coup d'oeil suffit, en effet, à révéler de quoi ils sont capables et à quelles fonctions ils seront toujours, par définition, inaptes.

A) La loi du plus fort

Parler, écrire, produire des films ou des bandes magnétoscopiques, c'est déjà imposer son point de vue.

Dès lors qu'il existe, le mass-media vise à diffuser. Diffuser des émissions d'affaires publiques ou des éditoriaux, diffuser des pages sportives ou des entrevues audiovisuelles, peu importe, mais diffuser. Du coup, s'établit entre ce diffuseur et celui qui l'écoute, le lit ou le regarde une relation qui est toute à l'avantage du diffuseur. Le diffuseur, en effet, choisit les thèmes, décortique l'événement selon sa grille de valeurs, définit le tempo, privilégie les analystes ou les baladins... L'autre ne peut qu'accepter ce qu'on lui propose et tenter d'en faire son profit. C'est la loi du plus fort. On ne saurait en faire abstraction quand on traite des mass-media.

B)    La loi du nombre

Un mass-media, c'est, par définition, un média que la masse veut utiliser.

Si un mass-media existe et diffuse, c'est qu'une multitude de lecteurs, d'auditeurs ou de téléspectateurs comptent sur lui. Il y a presque tautologie à le rappeler. Cette loi exerce son emprise de façon de plus en plus draconienne. On sait, en effet, à quelle voracité en sont arrivés les grands mass-média: ils disparaissent lorsque leur font défaut les foules immenses d'abonnés, d'habitués, de clients. L'alternative est nette: ou bien on satisfait le grand nombre, ou bien c'est la mort. Pour le mass-media, il n'est pas de troisième option.

C)    La loi du médium

La télévision vend bien les automobiles et la bière, moins bien l'alimentation et le logement.

Beaucoup d'autodidactes doivent leur culture à l'écrit; combien, à la radio? combien, à la télévision?

Là encore, l'observation n'a que valeur de rappel: le recours à un mode ou à une technique de diffusion force nécessairement celui qui écoute, lit ou regarde, à s'adapter. Auditeurs, téléspectateurs et lecteurs acceptent, bon gré mal gré, pour le meilleur et pour le pire, la loi du médium. L'écrit, à titre d'exemple, a ses exigences et ses limites. Il demande énormément à l'imagination et à la capacité de concentration, mais il permet à chacun de procéder à son rythme, de revenir en arrière s'il le désire, de mettre à la compréhension du texte autant de temps qu'il le souhaite. Dans toute diffusion, il y a recours à une technique particulière et, partant, adaptation obligatoire de l'usager à cette technique.

Voilà donc trois lois, celle du plus fort, celle du nombre, celle du médium, auxquelles ne peut se soustraire celui qui fait appel aux mass-media. Trois lois dont on peut, tout au plus, tempérer ou accroître l'influence.

Les mass-media ne naissent pas démocrates. Ils le deviennent si la société l'exige avec suffisamment de lucidité et de doigté.

3.4.2.5 L'accès aux mass-media passe par leur démocratisation

Ces caractéristiques des mass-media ne vont pas toutes, loin de là, dans le sens d'une meilleure démocratie. Pour que ces techniques de diffusion soient quand même mises au service de la société, les pouvoirs publics, un peu partout à travers le monde, ont jugé nécessaire, au nom du bien commun, d'édicter certaines règles à l'intention des mass-media. Dans nombre de cas, l'autonomie des mass-media s'en est trouvée réduite de façon regrettable. Dans d'autres cas, dont le nôtre, l'encadrement sociopolitique respecte davantage le droit des mass-media à leur pleine liberté que le droit des citoyens à des mass-media divers et à vocations diverses. Dans l'ensemble, nos pouvoirs publics laissent, en effet, jouer librement deux des trois lois déjà identifiées: loi du plus fort, loi du nombre. Celles-ci comportent pourtant, lorsqu'on les laisse imposer leurs logiques sans contrainte aucune, de graves inconvénients sociaux.

Ainsi, la loi du plus fort joue ici librement, c'est-à-dire trop souvent à l'encontre de ceux qui lisent, écoutent ou regardent. En effet, on a laissé diminuer jusqu'à un niveau critique le nombre de quotidiens. Dans la grande majorité des régions du Québec, il est désormais anachronique de parler de concentration puisque le monopole s'est instauré. De la même manière, on a laissé les réseaux regrouper une proportion croissante d'hebdomadaires, de stations radiophoniques et de stations de télévision.

En 1979:

11 quotidiens au Québec

tirage : 1 000 000 environ

25 hebdos A-l

tirage : 250 000

47 hebdos « journaux Sélect

tirage : 700 000 environ

L'État ne doit pas gérer ni contrôler les mass-media. Il doit cependant veiller à ce qu'ils existent et existent nombreux.

Cette évolution a rendu la supériorité des mass-media, par rapport à leurs clientèles, plus accusée et plus inquiétante. La distance entre le citoyen et ses mass-media croît, en effet, au fur et à mesure que se restreint le nombre de propriétaires et d'entreprises de diffusion. On a complètement perdu de vue, en cours de route, qu'une des meilleures manières de contrer le caractère dominateur, abrupt, brutal, écrasant du mass-media, c'est de présenter au public une diversité de mass-media. L'Etat, sur ce terrain, a péché et pèche par omission et pusillanimité.

Il faut cependant, sur ce terrain, être aussi clair que possible. Certains, en effet, crient au meurtre dès que le mot « État » apparaît près du mot « mass-media ». Nous tenons, dans un souci de démocratisation, à ce que les mass-media jouissent de la plus grande liberté possible. D'autre part, nous croyons que l'État ne brime aucunement la liberté des mass-media en veillant à ce qu'ils soient nombreux. À titre d'exemple, l'État aide les journaux en leur accordant des tarifs postaux préférentiels (courrier de telle ou telle classe) et les propriétaires de journaux n'ont jamais songé à se plaindre d'une telle mesure. C'est dans cette direction qu'il faut chercher à accroître la diversité des mass-media et à rapprocher la collectivité d'un contexte plus éducatif.

La règle d'or pour l'agence de publicité, c'est le « coût par millier » (C.P.M.). Moins il en coûte pour atteindre mille personnes, plus un mass-media attire les agences.

La loi du nombre et de la quantité joue, elle aussi, pleinement dans notre contexte. Certes, les mass-média tendent déjà, selon leur logique propre, à élargir constamment leurs auditoires. On renforce cependant cette tendance en laissant jouer à la publicité le rôle de source unique de financement. La Commission sait fort bien qu'il n'est pas facile, dans notre contexte, de procéder autrement. Elle note cependant qu'une telle façon de faire (et de laisser faire) achève de faire des mass-media des instruments difficiles à utiliser à des fins éducatives. La quantité, en effet, importe dès lors infiniment plus que la qualité. On se préoccupe plutôt du nombre « d'expositions » du message que de la compréhension, de la distance critique et de la rétention auxquelles l'individu a pu arriver. Rien dans ce processus n'est particulièrement favorable à l'épanouissement et au perfectionnement de ceux et celles qui veulent apprendre et se cultiver.

Télévision d'abord, éducation ensuite ». déclare le P.D.G. de Radio-Québec.

Cette logique enclenche d'ailleurs un cercle vicieux: le diffuseur, qui a prouvé son aptitude à rejoindre le plus grand nombre, obtient des ressources financières supérieures à celles qu'obtient son rival moins efficace, et la roue tourne à son avantage. Quantité achète moyens, qui achètent quantité, qui... Les mass-media, financés non par la publicité mais à même les fonds publics, pourraient, il est vrai, fonctionner en dehors de cette « logique de la quantité ». Il ne semble pourtant pas que ce soit le cas: de larges tranches de la programmation de Radio-Québec et de Radio-Canada dépendent, en effet, de façon patente, de ce « syndrome de la cote d'écoute », dont traitait notre document « Hypothèses de solutions ».

Les gouvernements ont créé et maintiennent encore des dizaines de revues sans toujours savoir à qui elles servent. On commence à peine, au Québec, à les évaluer sérieusement. C'est par dizaines de millions que le Québec manifeste sa confiance à l'égard de la télévision éducative, alors que la radio éducative remplirait peut-être cette mission de façon plus efficace et plus économique.

On parle de concentration, alors que le monopole est chose faite.

Il n'est pas certain non plus que les pouvoirs publics utilisent toujours les techniques de diffusion selon leurs véritables lignes de force. Ceci étonne (et scandalise). On s'attendrait, en effet, puisque les mass-media financés par l'Etat n'ont pas à placer le but lucratif en tête de leurs valeurs, à ce qu'ils privilégient telle technique selon le service public qu'ils en attendent. On s'attendrait, par exemple, à ce qu'ils fassent confiance à la télévision éducative si, et seulement si, cette technique est, de par sa nature, la plus apte à générer les bénéfices éducatifs que l'on recherche. De même pour l'écrit. De même pour la radio. Dans les faits, il en va différemment. La télévision, pour revenir à elle, fait l'objet d'un véritable culte de la part des pouvoirs publics québécois, alors que bien peu d'expériences la qualifient comme l'instrument éducatif par excellence. Bien au contraire.

Dans le cas des mass-media appartenant à des capitaux privés, le respect ou l'oubli de cette « loi du médium » ne soulève pas les mêmes questions. Le but, en effet, n'est pas ici d'utiliser telle technique à son maximum d'efficacité, mais à son maximum de rentabilité. On peut assurément affirmer que cet objectif est atteint...

Deux tendances, par conséquent, émergent:

3.4.2.6 Des tendances à infléchir

Celui qui peut tout décoder trouvera son profit même dans l'émission culturelle et l'enseignement informel. Celui qui a moins d'entraînement aura besoin d'un apprentissage plus formel. La recherche sur les auditoires de la télévision éducative le confirme.

Un médium est chaud lorsqu'il prolonge un seul des sens et lui donne une « haute définition », il ne laisse à son public que peu de blancs à remplir ou à compléter. Les médias chauds, par conséquent, découragent la participation ou l'achèvement, alors que les médias froids au contraire les favorisent.

McLuhan, Pour comprendre les médias, p. 39-40. On peut ne pas aimer cette réponse, mais il faut poser cette question.

Ce qui précède précise les enjeux et limite la marge de manoeuvre. Pour obtenir des mass-media ce qu'ils peuvent donner à l'éducation des adultes, il faut, contrairement à ce que veulent les tendances actuelles, les amener à accorder préséance à la qualité et au respect de l'individu et des communautés et à respecter le potentiel spécifique de chaque technique de diffusion. Il s'agit d'être efficace avec cette approche éducative en fonction des résultats visés en termes d'apprentissages et des clientèles cibles à atteindre.

A) Le respect de chacun

Les mass-media, en raison de leur nature affirmative, péremptoire, assurée, ne respectent guère que les forts. Ces traits sont plus accusés dans la télévision et beaucoup moins évidents dans l'écrit (où les choix sont plus nombreux); ils n'en demeurent pas moins discernables dans tous les mass-media. Pour amener le mass-media à s'adresser de façon plus utile et moins écrasante aux gens moins structurés, il faut presque exiger de lui un apprivoisement auquel il se résigne mal. Il faut lui apprendre à ne pas parler de la même manière à tout le monde: il peut déferler comme d'habitude si le public visé comprend surtout des gens autonomes, mais il doit, face aux moins habitués, réduire le rythme, répéter, résumer.

De tels objectifs obligent les responsables de l'éducation des adultes à déterminer soigneusement quels besoins ils entendent satisfaire par le recours aux mass-media et quelles couches sociales ils souhaitent servir en premier lieu. S'ils visent des groupes capables d'une large autonomie, des interventions d'allure plus libre sont possibles; s'ils s'adressent plutôt à des groupes moins aguerris, il devront ou bien recourir aux mass-media les moins agressifs ou bien véhiculer des contenus plus nets et formellement mieux définis.

Un beau but de Guy Lafleur, on prend le temps de le voir et le revoir sous tous les angles. Pourquoi pas la même insistance sur une bonne question

Le Québec prétend éduquer par le mass-media le moins éducatif. Est-ce la bonne stratégie? Ce n'est en tout cas pas la panacée miraculeuse qui réglerait facilement tous les problèmes des approches pédagogiques.

Si, par exemple, on entend recourir malgré tout à la télévision pour favoriser les progrès éducatifs dans les couches sociales les moins biens équipées, il faudra donc, courageusement et lucidement, domestiquer la technique et l'astreindre à des lenteurs, à des douceurs, à des répétitions, à des résumés qui ne sont pas aujourd'hui son rythme favori. On notera à cet égard la parfaite pédagogie utilisée par certains pour expliquer au grand public les finesses du sport ou les missions spatiales américaines: reprises, caméras autonomes, graphiques, entrevues explicatives entre les périodes de jeu, bilans en forme de « trois étoiles », conversation entre l'expert-media et l'ex-athlète professionnel... Il suffirait de les imiter.

B)    La qualité avant tout

Plus l'auditoire s'élargit, plus le message se nivelle par le bas. La bêtise d'un « commercial » devient énorme quand on le répète à un voisin.

Pour renverser les tendances lourdes déjà identifiées, il faudra encore exiger d'autres virages des mass-media. On ne saurait, en effet, si l'on veut éduquer par leur entremise, les laisser succomber à volonté à leur manie d'ameuter et de rameuter les foules. Ou bien ils résistent mieux à cette tendance — pourtant irrésistible — de toujours chercher un public élargi, ou bien l'éducateur devra ne leur demander désormais qu'un rôle plus modeste. La deuxième hypothèse paraît nettement plus probable. En effet, la logique des mass-media les incite à toujours amplifier leurs auditoires, alors que la poursuite d'objectifs éducatifs exige, au contraire, que les messages soient modelés avec une précision croissante sur les besoins et sur les aspirations d'auditoires définis des publics cibles circonscrits et bien identifiés. Dans un cas, on aura donc tendance à amenuiser le contenu du message de manière à le rendre acceptable et agréable au plus grand nombre possible. Dans l'autre cas, au contraire, on voudra préciser le message jusqu'à se rapprocher le plus possible des besoins identifiés.

La BBC a sensibilisé l'Angleterre à l'analphabétisme. Elle a laissé à d'autres le soin d'y remédier.

Il ne faut donc pas s'étonner si autant d'auteurs et de praticiens estiment que la télévision, pour ne parler que d'elle, ne devrait être mise à contribution à des fins éducatives que si l'on a besoin de sensibiliser un vaste public et que s'il s'agit de « rabattre » de larges publics vers les ressources éducatives indépendantes des mass-media mais harmonisées et concertées avec eux.

C)  Un potentiel propre à chaque technique

Les caractéristiques propres à chaque technique de diffusion ne constituent pas, bien au contraire, des difficultés du même ordre. Il importe ici, en effet, non pas de demander aux mass-media des efforts qui leur sont presque contre nature, mais de les laisser enfin obéir à leur logique interne. Il n'est pas dit, cependant, que les choix technologiques effectués à des fins éducatives aient toujours été les bons et il n'est surtout pas dit qu'on doive les maintenir contre vents et marées.

Il convient ici de rappeler sommairement, sans tomber dans un « mcluhanisme » doctrinal, ce qu'on peut raisonnablement attendre aujourd'hui des diverses techniques utilisées par les mass-media:

C'est ainsi que l'enseignement télévisé qui consistait à projeter un cours magistral sur des écrans de télévision suspendus dans une salle de classe a été un échec total, il a suffit, dans certaines universités, de créer des cuticules équipés de petits moniteurs TV pour favoriser une réception individuelle et de modifier le style des cours, demeurés cependant magistraux, pour rendre ce type d'enseignement valable (l'Université McGill à Montréal fait des expériences concluantes dans ce sens depuis déjà plusieurs années.

Jean Cloutier, La communication audio-scriptovisuelle à l'heure des self-medias, p. 235.

Le choix du media, télévision, radio ou écrit, dépend de l'objectif qu'on s'est fixé, de l'auditoire choisi, des ressources pédagogiques et techniques dont on dispose. Ce choix doit donc s'effectuer après cette délimitation de l'objectif et de l'auditoire. S'amouracher d'abord d'un media et lui imposer ensuite des gestes dont il est incapable, c'est gaspiller son temps, son énergie et les fonds publics.

Contre un budget d'à peine plus de 1 S million par an, le Québec obtient, grâce aux media communautaires, de précieuses indications sur ce que pourrait être une communication différente.

Radios communautaires :

Le Regroupement des organismes de communication communautaires au Québec (R.O.C.C.Q.) réunit 19 télévisions communautaires.

D) Un espoir chez les media communautaires

En pratique, il semble bien que les media communautaires aient souvent été ceux qui remplissaient le mieux les conditions identifiées:

ils s'efforcent de combler le fossé entre les media et les citoyens en invitant ceux-ci à participer à la programmation et à la production ;

ils desservent des publics suffisamment identifiables et circonscrits pour que programmation et production correspondent généralement de près aux besoins des populations visées;

ils réajustent présentement d'heureuse façon leurs choix technologiques, diminuent leur dépendance à l'égard du media lourd et coûteux qu'est la télévision et misent davantage sur une radio plus légère et moins complexe.

Cependant, il faut noter, comme le faisait notre cahier d'hypothèses de solutions, que l'impact des media communautaires demeure assez réduit, en dépit de tentatives et d'efforts répétés depuis quelques années. Mais il ne faut pas oublier qu'ils fonctionnent souvent avec très peu de moyens et qu'ils font face à des media privés dont les ressources financières, la puissance de diffusion et la capacité de production ne sont en rien comparables aux leurs. Pourtant, et malgré cette concurrence, à la « David contre Goliath », certaines radios communautaires (ex.: C.I.B.L., Radio centre-ville, etc.) réussissent à rejoindre, dans leur rayon de diffusion, une population allant, à certains moments, jusqu'à 30% de l'auditoire potentiel. Enfin, en ce qui concerne certaines populations cibles (ex.: Haïtiens, Portuguais, Amérindiens, gens des quartiers populaires, population des régions périphériques, etc.), dans une perspective de prise en charge et de promotion collective, les media communautaires ont développé une riche expertise! En ce sens, et dans le cadre de l'éducation des adultes, l'expérience des media communautaires doit être mise à contribution. Ils ont fait la preuve de leur capacité d'éveiller, de sensibiliser et de véhiculer les aspirations de leur milieu.

Quant le Québec parle de subventionner les programmations éducatives, les media communautaires mettent l'accent sur leurs vertus éducatives. On ne peut les blâmer, mais il faudrait bien s'entendre sur les termes...

Toutefois, malgré le caractère séduisant de cette alternative, on ne saurait en faire dès maintenant la solution de remplacement. Non seulement la portée de ces media demeure par trop limitée, mais ils continuent encore d'osciller entre de larges fonctions de communicateurs et un rôle plus spécifiquement éducatif. Cette oscillation dépend sans doute des politiques gouvernementales de subvention beaucoup plus que d'un flottement idéologique des media communautaires. Ceci invite pourtant à attendre qu'ils aient donné à leur rôle propre une orientation plus définie. En outre, d'un point de vue éducatif, peu d'entre eux ont une approche multimedia.

On ne doit cependant pas perdre de vue qu'ils sont aujourd'hui à peu près les seuls à satisfaire aux exigences que comporte l'éducation des adultes par les media, surtout à cause des paramètres indispensables qu'ils respectent: besoins des auditoires, objectifs, approches, techniques et supports spécifiques, évaluation, etc.

3.4.2.7 Bilan et orientations

Nonobstant le rôle et l'impact des media individuels (ex.: la télématique) dont la problématique a été logée dans une autre section du rapport, la Commission constate que:

Beaucoup de colloques sur Télidon. Peu de cours prêts à être utilisés, par de budgets, peu de professeurs intéressés ou mobilisés à la constitution de cours télématisés ou de banques de données.

Ne serait-il pas plus sage (...)de céder à un département de recherches d'une université (...)le soin d'effectuer, avec des moyens même sommaires, les sondages nécessaires ?

Gilles Proulx, Pour une radio réformée, 1973, p. 68.

3.4.3 Les inégalités d'accès aux bibliothèques et aux centres de documentation

3.4.3.1 La situation actuelle

Le service de bibliothèques publiques du ministère des Affaires culturelles dénombrait'351, en 1979, 121 bibliothèques réparties à travers le Québec (109 bibliothèques municipales et 10 bibliothèques centrales de prêts). Au Québec, 615 municipalités, sur plus de 1 500. disposaient de services de bibliothèques, dont 502 par le biais des bibliothèques centrales de prêts. Ces services peuvent potentiellement rejoindre environ 77% de la population totale du Québec. La population du Québec n'ayant pas accès aux services d'une bibliothèque (environ 23% de la population totale) était à près de 70%, concentrée dans 830 municipalités de moins de 5 000 habitants(36). Quant aux utilisateurs des services de bibliothèques, on en dénombrait 1 111694,au Québec, en 1979, et le nombre des prêts s'élevait à 14 165 643, ce qui porte la moyenne nationale à 2,9 livres par tête, par année. A côté de ce réseau de bibliothèques, il convient aussi de mentionner les nombreux centres de documentation qui existent pour répondre à des besoins particuliers (recherches, femmes, syndicats, etc.).

Si l'on compare ces chiffres avec ce qui se fait ailleurs, on observe qu'en 1977, le Québec disposait, en moyenne, d'un livre par habitant, l'Ontario, de 2,5 et le Danemark(37), de 5. Au Québec, les prêts par habitant étaient en 1977, de 2,1. En Ontario, ils étaient de 6,3 et, au Danemark de 13,2. Enfin, au Québec, on dénombrait, toujours en 1977, 136 bibliothécaires, 1 023 en Ontario et 1 750 au Danemark. Finalement, les investissements représentaient 3,80$ par habitant au Québec, 12,98$ en Ontario et 35,36$ au Danemark.

Ces chiffres, qui laissent sous-entendre un rattrapage du Québec dans ce domaine, expliquent peut-être en partie l'importance du développement des bibliothèques centrales de prêts ces dernières années. En effet, les bibliothèques centrales de prêts ont débuté en 1961 dans la Mauricie. Durant 15 ans, elles ne furent que trois, alors que sept ont été créées au cours des cinq dernières années et qu'une nouvelle sera bientôt ouverte dans les Laurentides. De plus, on remarque que la moyenne de prêts par habitant des bibliothèques centrales de prêts est, annuellement, de 3,8 livres (la moyenne provinciale est de 2,9). Ces bibliothèques prêtent aussi des disques et des oeuvres d'art et elles s'occupent également d'animation du milieu.

3.4.3.2. Les bibliothèques et l'éducation des adultes

Les bibliothèques, en tant que ressources éducatives, peuvent donc contribuer à accroître le rôle de l'éducation des adultes dans notre société. C'est d'ailleurs ce que reconnaissait déjà, en 1962, Keith Crouch, lors d'une conférence prononcée devant l'Association des bibliothécaires du Québec: Logiquement et pratiquement, la seule institution permanente qui peut assurer la continuité de l'éducation des adultes dans chaque localité, c'est la bibliothèque publique dont (sic) l'accès est gratuit et que soutiennent les impôts. Elle a d'abord l'avantage d'être ouverte à tous, sans distinction de race, de religion, de condition économique ou sociale, de métier ou de profession, d'âge ou de sexe. Ceux qui la fréquentent ne sont pas forcés de le faire ; ils y vont de leur plein gré. Elle favorise entre les hommes la communication la plus large et la plus profonde. Ses collections doivent être universelles et représenter tous les points de vue. Elle doit encourager les gens à penser par eux-mêmes, sans tenter de leur dire quoi penser.(38)

Dans le cadre de cette conférence, Keith Crouch voyait la bibliothèque comme un centre de communication d'idées, un lieu d'animation communautaire et culturelle, accessible démographiquement et géographiquement. De plus, il accordait une attention particulière à la formation des bibliothécaires :

La formation des bibliothécaires doit donc les préparer à utiliser ces nouvelles techniques du groupe d'étude, dont le but essentiel est de favoriser directement ou indirectement une utilisation plus efficace qu'auparavant des ressources éducatives dont les bibliothèques disposent. Fondamentalement, il s'agit ici d'inclure dans les cours de bibliothéconomie une préparation spéciale aux techniques d'organisation et de direction de groupes d'étude et à la technique d'amélioration de la lecture chez les adultes. La possession de ces techniques est essentielle pour que la profession de bibliothécaire ait vraiment tout son sens dans notre société.(39) À côté du rôle des bibliothécaires, il y a aussi celui des bénévoles qui, du point de vue de la participation et de la prise en charge du milieu, peuvent contribuer à développer des approches pédagogiques visant à maîtriser la bibliothèque, ses codes, ses classifications et ses secrets. Ils peuvent, s'ils sont mis à contribution, aider à ouvrir et à démystifier la bibliothèque.

Le rôle du bibliothécaire est fondamental. Voici ce qu'endit la province de Saskatchewan: Library is the title given positions within the Provincial Library for which all or part of the responsibility is to plan or conduct adult education programs. These positions are located, organizationally, within the Library Development Branch of the Provincial Library. Library consultants devote from 65 to 75 percent of their time to performing adult educator functions. About two-thirds of that time is spent in direct guidance of learners, performing teaching, advising and counselling functions. A small amount of time is spent in administering program. The balance is on design and promotion of programs, performing need identification, coordinating and planning functions. Meetings, workshops and seminars are the most frequently used methods. Individual consultations are used somewhat less frequently.

Re.: W.B. Whale, Adult Education in Saskatchewan.

Si, traditionnellement, la bibliothèque était considérée comme un lieu de conservation du livre et de préparation de fiches, la bibliothèque moderne se définit davantage comme un agent de promotion de la lecture, de diffusion de l'information et de changement social et culturel(40). En effet, d'une part, la bibliothèque elle-même évolue et intègre de nouvelles techniques (informatique, audiovisuel, animation, marketing) et, d'autre part, elle doit entretenir de nouveaux rapports avec le milieu environnant. Cette évolution récente de la bibliothèque impose une nouvelle orientation de la formation et du perfectionnement de son personnel. On voit maintenant le bibliothécaire comme un conseiller, un animateur, un promoteur et un agent de changement culturel et social. Dans un tel contexte, le bibliothécaire a besoin d'une formation qui puise à de nouvelles sources: psychologie, sociologie, marketing, animation, recherches culturelles et animation; cette dernière fonction étant particulièrement importante, s'il est vrai que la bibliothèque doit devenir un lieu de rencontre, de communication, d'échanges et de critiques, non seulement des thèmes littéraires mais des sujets d'actualité, des problèmes sociaux ou des activités artistiques.

3.4.3.3. L'accès aux bibliothèques

En 1972, paraissait le Manifeste de l'Unesco sur la bibliothèque publique qu'endossent bon nombre des intervenants du milieu des bibliothèques. On peut y lire ce qui suit: La bibliothèque publique illustre la foi de la démocratie en l'éducation pour tous et à tout âge, ainsi qu'en l'aptitude de chacun à apprécier les réalisations de l'humanité dans le domaine du savoir et de la culture. La bibliothèque publique est le principal moyen de donner à tous le libre accès au trésor des pensées et des idées humaines et aux créations de l'imagination de l'homme.(41)

Au Québec: à Rivière-du-Loup, la bibliothèque publique logeait depuis neuf ans dans un complexe scolaire — loisirs (Foyer Patro) qu'elle quitta en 1964 pour aménager dans une maison du centre-ville. Un an après le déménagement, le nombre de ses prêts passa de 9 060 à 37 451 et le coût d'opération par prêt passa de 0,61 $ à 0,26$

Au Québec, la bibliothèque publique a un statut de service municipal. C'est au conseil municipal qu'elle propose son plan de développement et c'est lui qui octroie les ressources financières. Afin de réaliser un mariage harmonieux de l'éducation des adultes et des bibliothèques publiques, il faut obtenir la participation de celles-ci et des municipalités à toute structure de consultation de l'éducation des adultes.

Au Québec: à Aima, la bibliothèque municipale, située l'an dernier dans une institution d'enseignement, avait 2 215 usagers à qui elle a prêté, au cours de 1971, 29600 volumes. Cette bibliothèque déménagea dans le centre-ville commercial en mai 1972; dans l'espace de six mois, elle doublait sa clientèle et avait prêté 48 800 volumes.

Le développement du potentiel éducatif des bibliothèques publiques se heurte cependant à deux problèmes: d'une part, le ministère des Affaires culturelles ne prévoit pas de personnel d'animation rémunéré pour une municipalité de moins de 5 000 habitants et, d'autre part, il semblerait que les expériences de fusion entre les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires n'ont presque pas fonctionné, à cause de la nature particulière de chacune d'entre elles. Ceci réduit le rôle des bibliothèques publiques en éducation des adultes car leur collection est davantage tournée vers les besoins de lecture des utilisateurs dans le cadre d'activités de détente et non de formation. S'il faut distinguer les deux problématiques, en termes de lieux physiques, il est par contre possible d'envisager que les utilisateurs puissent avoir accès aux deux types de bibliothèques dans le cadre d'ententes de services.

Plusieurs expériences reliées à la localisation et aux horaires des bibliothèques révèlent que ces questions sont importantes du point de vue de l'accessibilité et des coûts de fonctionnement. Ainsi, les bibliothèques, qui fonctionnent dans des lieux et des endroits peu accessibles et hors des circuits que les citoyens utilisent pour s'adonner à leurs activités quotidiennes, ont des performances beaucoup plus réduites que les bibliothèques qui logent à l'enseigne du métro, des centres commerciaux et communautaires, des avenues commerciales, et à proximité des lieux de loisirs, etc. Enfin, la question des horaires pose un problème qui touche de près bon nombre d'adultes au Québec.

En ce qui concerne les régions périphériques et les clientèles captives (ex. : personnes âgées ou handicapées), les bibliobus et les biblioroutes, actuellement en pleine croissance au Québec, sont des services indispensables dans le cadre d'une politique d'accessibilité. Pour les personnes aveugles, les banques de livres-cassettes, qui sont le fruit d'un travail bénévole intense, méritent un soutien accru de la part des organismes publics. Enfin et paradoxalement, mentionnons que les bibliothèques doivent aussi tenter de rejoindre les analphabètes et de leur faciliter l'apprentissage de la lecture. Les livres à gros caractères à l'usage de ceux qui souffrent de troubles visuels ont servi, avec succès, certains analphabètes désireux d'apprendre à lire. Il faudrait donc allouer aux bibliothèques les fonds nécessaires à de telles acquisitions.

Compte tenu de la vaste mission que la Commission propose en formation de base, incluant une campagne d'alphabétisation, il conviendrait d'explorer plus en détail le rôle complémentaire que pourraient jouer les bibliothèques à l'intérieur de ces priorités.

Quelques bibliothèques et centres de documentation ayant des expériences d'animation avec le milieu environnant:

Il convient aussi de mentionner l'expérimentation de liens de complémentarité entre l'éducation à distance et les bibliothèques, dont la Télé-université, avec le cours d'initiation à la vie économique du Québec, a donné un exemple; le développement du prêt inter-universitaire (fruit d'un travail de concertation de la C.R.E.P.U.Q.); les échanges entre municipalités et universités; l'informatisation des données sur la base d'un réseau québécois des bibliothèques.

En somme, il faut viser à faire des bibliothèques, des lieux d'éducation des adultes en les rendant physiquement accessibles, bien sur, mais aussi en accentuant leur potentiel d'animation communautaire. La créativité peut trouver là un riche terrain d'expérimentation de nouvelles façons de supporter les autodidactes et d'harmoniser les activités éducatives d'un quartier, d'une ville ou d'une région avec le développement de la bibliothèque. Parmi les modalités susceptibles d'être mises en oeuvre pour ce faire, notons: la formation de comités d'usagers, le développement des échanges entre bibliothèques, l'encouragement donné aux expositions d'art et aux auditions musicales, etc. Ces modalités, et combien d'autres, une fois le processus enclenché, peuvent faire en sorte que la bibliothèque soit réellement un lieu de rencontre, de réunion, d'animation et de vie culturelles.

3.4.4 Les inégalités d'accès aux musées, aux conservatoires et aux maisons de la culture

3.4.4.1   Un bref aperçu de la situation

Il existe actuellement 54 musées disséminés dans le Québec, dont 16 à Montréal, qui sont accessibles au grand public(42). En ce qui a trait à la fréquentation de ceux-ci, le musée qui reçoit le plus grand nombre de visiteurs est certes le Musée des beaux-arts de Montréal, avec ses 233 046 visiteurs en 1979-1980(43). Vient ensuite le Musée d'art contemporain avec 54 000 visiteurs.

Deux musées au Québec jouissent du statut de musée d'Etat: le Musée d'art contemporain à Montréal et le Musée du Québec à Québec. Outre les musées répertoriés, il existe un certain nombre de musées et de centres d'exposition indépendants (universités, communautés religieuses, particuliers) et d'organismes à vocation paramuséologique (ex. : aquarium, planétarium, jardin zoologique, jardin botanique, centre d'interprétation de la nature, etc.).

Parmi les principaux intervenants dans le domaine de la muséologie au Québec, outre les musées, centres d'exposition et organismes susmentionnés, notons les divers organismes à vocation régionale, tels les conseils de la culture, les associations touristiques régionales, les conseils régionaux de développement et les associations diverses de loisirs scientifiques ou socioculturels, la Société des musées québécois, qui regroupe plus de 80 institutions muséologiques et plus de 200 travailleurs de musées, le ministère des Affaires culturelles qui est un important bailleur de fonds via la Direction des musées privés et centres d'exposition, le secteur parapublic, notamment les centres de recherche et les universités qui interviennent surtout au plan de la recherche, et, finalement, le secteur privé dont l'intervention ne peut certes être négligée (recherche, financement, enrichissement des collections, participation aux conseils d'administration, etc.).

Les musées d'État et le Musée des beaux-arts ont d'importantes collections, un personnel professionnel varié (scientifique, technique, administratif et d'animation). Ces musées font état de problèmes tels que: locaux et matériel inadéquats, personnel insuffisant, manque de formation. Les autres musées(44) varient en importance et aussi en intérêt. Certains musées n'ont, comme personnel permanent, qu'une « personne-orchestre ». D'autres musées n'ont qu'un embryon de collection mais reçoivent des expositions (ex. : Musée régional de Rimouski). Par contre, quelques musées, comme le Musée du Séminaire de Sherbrooke, ont des collections importantes et variées.

Jusqu'à maintenant, on s'est principalement efforcé de créer un réseau d' établissements qui a surtout favorisé l'accès physique aux musées ; mais l'accès physique compte pour peu de chose si, en même temps, n'existe pas l'accès intellectuel, - et c'est le problème auquel il faut s'attaquer le plus rapidement possible.

Source : Québec, Musées et muséologie au Québec, nouvelles perspectives, une hypothèse de travail du ministère des Affaires culturelles, 1979. p. 7-8.

3.4.4.2 Une politique d'accès aux musées du Québec

Dans le cadre d'une politique de l'éducation des adultes, dont le développement du potentiel humain est un objectif central et la formation de base (développement de l'autonomie et du sens critique) un moyen important, le rôle des musées, tout comme celui des autres ressources éducatives, est essentiel. Le musée peut jouer un rôle de déclencheur au plan des apprentissages, de support aux activités éducatives, de vulgarisateur des connaissances et, enfin, d'outil pour se réapproprier l'histoire et intervenir dans le présent. La notion d'accès mérite, cependant, d'être approfondie, car elle dépasse les questions d'horaires, de financement ou de formation du personnel, bien que ces divers éléments fassent partie d'une politique d'accès.

La Commission croit que les mesures physiques et matérielles d'accès aux musées doivent s'inscrire dans une problématique plus large fondée sur la démocratisation et la prise en charge, par les citoyens, du développement de la muséologie au Québec.

La plupart des musées que nous connaissons au Québec sont de type « traditionnel »: on s'y occupe principalement de la conservation d'objets dans le but d'enrichir sa connaissance du passé. La relation qui s'établit entre le spectateur et l'objet exposé est passive: interdiction de toucher aux objets, sacralisation et mystification des objets exposés, qui impliquent un conditionnement avant de visiter le musée. Ainsi, pour répondre à cette contradiction, les musées suédois ont créé des « salles d'activités »: Cette notion de « salle d'activités » a fait son chemin dans plusieurs pays. Car ... rien ne remplace et ne remplacera jamais l'impact de l'objet réel, ce qu'on ressent en voyant ou, mieux encore, en prenant entre ses mains l'oeuvre d'un grand artiste ou un outil manié par quelqu'un il y a des milliers d'années. L'excitation que provoque ce genre d'expérience se traduit notamment par d'intéressants travaux d'enfants, par le désir des élèves de revenir au musée pour y faire d'autres découvertes, et aussi d'aller ailleurs explorer d'autres domaines du savoir. Les adultes, de leur côté, apprécient l'enrichissement que cela leur apporte et l'élargissement de leurs horizons(45)

L'objet exposé demeure le centre d'intérêt, mais alors qu'autrefois on insistait surtout sur les fonctions traditionnelles de sauvegarde et de présentation, on se préoccupe maintenant davantage de l'effet que produit cet objet sur l'imagination de ceux qui viennent le voir, le public lui-même, les écoliers comme les adultes, participent à la préparation de la collection.

Tiré de: R. Marcousé, « La transformation des musées dans un monde en transformation », Unesco, Musées, imagination et éducation, Paris, 1973, p. 22.

Le musée « traditionnel » prend souvent en charge l'histoire « officielle » au détriment de la petite histoire. Un musée ouvert sur le milieu et s'intéressant davantage à la participation du public devrait mettre l'accent sur l'aspect éducatif et sur la valorisation du milieu ambiant. En ce sens, il devrait s'appuyer davantage sur les citoyens que sur l'État. Quelques expériences intéressantes, reliées à ces préoccupations, ont actuellement cours au Québec. Il s'agit du Centre régional d'interprétation de la Haute-Beauce, du projet de musée du voisinage dans le quartier Centre-sud à Montréal (la Maison du Fier-monde), du Musée-pilote à La Pocatière, ou encore de l'écomusée de Pointe-du-Moulin, qui intègre la conservation d'objets à une dynamique de réappropriation du passé et du patrimoine par des moyens tels que l'animation, la fête, la pratique d'activités sur place, etc. Ces expériences récentes, qui s'inspirent des « neighbourhood muséums » aux États-Unis et des écomusées en France (parc d'Armorique, projet du Cogles et musée de Bretagne) témoignent d'une volonté de la population de s'impliquer à tous les niveaux importants de la gestion d'un musée: cueillette d'informations, dons et orientation du musée. Évidemment, cette orientation appelle une revalorisation des fonctions d'animation, de recherche, d'éducation, d'interprétation et de diffusion du musée par rapport à ses fonctions traditionnelles, et toujours essentielles, de conserver et de collectionner: Cette insistance sur la participation, la découverte personnelle, l'activité créatrice (musique, danse, art dramatique, ainsi que certains domaines connexes comme l'archéologie, l'histoire et la géologie) est typique de l'approche « ouverte », c'est-à-dire des méthodes actives, qu'on préconise maintenant pour l'éducation, au musé comme à l'école.(46)

Est-ce à dire que, dans les musées « traditionnels », rien n'a été fait pour revaloriser les fonctions d'animation, d'éducation, de recherche, d'interprétation et de diffusion? Non, bien sûr. Par exemple, le Musée des beaux-arts a, depuis deux ans, un secteur d'éducation relatif aux adultes. Des recherches sont entreprises afin d'élaborer des outils pédagogiques adaptés aux différentes clientèles des musées (étudiants, enfants en garderie, personnes âgées, personnes handicapées), des méthodes actives d'éducation combinant l'enseignement visuel et l'enseignement conceptuel sont tentées (ex.: cassette-guide), des regroupements d'usagers sont favorisés (clubs d'enfants, centres pour adultes), afin de répondre à des besoins particuliers ou pour traiter de questions d'intérêt particulier, et plusieurs expositions itinérantes ont été organisées.

Aucune institution universitaire québécoise n'offre une formation officielle en muséologie.

La Commission est consciente qu'une revalorisation des fonctions d'animation, d'éducation, de recherche, d'interprétation et de diffusion du musée, dans le cadre plus général d'une politique d'accès fondée sur la démocratie et la prise en charge par les citoyens du développement de la muséologie au Québec, fait nécessairement appel à une conception de la formation du personnel des musées et à un mode de fonctionnement des musées de type ouvert et systémique. Sur ce dernier point, la Commission accueille favorablement la notion de réseau d'institutions muséologiques mise de l'avant par la Société des musées québécois (47). La création d'un tel réseau peut agir comme multiplicateur des ressources: diffusion des collections, expertise des intervenants, communication des recherches et accès plus grand du public. De plus, la Commission croit que ce réseau peut s'ouvrir à des organismes éducatifs (école, collège, organisme d'éducation populaire) ou conjuguer ses interventions avec d'autres ressources éducatives telles que bibliothèques, cinémathèques, mass-media, etc..

La formation et le perfectionnement du personnel muséologique peuvent aussi fournir l'occasion d'un rapprochement entre le musée et le secteur de l'éducation des adultes en général. Bien que la conception et l'identification des besoins de formation du personnel des musées appartiennent aux intervenants du secteur de la muséologie, la présence et la coopération, avec des services d'éducation aux adultes, par exemple, favoriseraient, certes, un enrichissement mutuel.

3.4.4.3 Les musées et l'éducation des adultes

L'accès aux musées du Québec ne relève pas seulement d'une problématique qui serait propre aux musées. La Commission croit que les musées, dans le cadre d'un système ouvert et interactif comprenant l'ensemble des ressources éducatives, peuvent multiplier leur propre impact auprès du public et ainsi contribuer à une oeuvre commune: le développement du potentiel humain.

À ce titre, on peut imaginer des expériences d'expositions itinérantes faites en coopération avec des musées, des services culturels, des bibliothèques, des services d'éducation des adultes, des artistes et autres intervenants. Dans un autre ordre d'idées, on peut songer à l'impact des moyens de communication de masse et des possibilités que ceux-ci ouvrent pour que les adultes aient accès aux musées et à leur collection. La télévision, le cinéma, la radio et les media écrits offrent autant d'occasions (émission, reproduction, publicité, etc.) de rendre accessible la richesse de nos musées. Des recherches visant à développer les virtualités éducatives des mass-media à l'égard des musées devraient être entreprises.

L'éducation des adultes, dans tous ses aspects, peut aussi fournir autant d'occasions de participation directe: découverte personnelle et activités créatrices dans tous les domaines connexes à la muséologie (musique, danse, art, archéologie, histoire, géologie, sciences, etc.). Le musée peut être plus qu'une ressource parmi d'autres permettant aux adultes d'apprendre: il peut être un pont entre la pédagogie et la culture.

Nombre de conservatoires au Québec : 7 (Montréal, Québec, Trois-Rivières, Chicoutimi, Rimouski, Hull, Val d'Or).

Nombre d'orchestres symphoniques professionnels et subventionnés au Québec: 3 (O.S.M., O.S.Q., O.J.Q.).

En Ontario: 39.

3.4.4.4 Les conservatoires et l'éducation des adultes

Spécialisé dans le domaine des arts d'interprétation, le conservatoire est avant tout une école de formation professionnelle complète de compositeurs, de chanteurs, d'instrumentistes et d'acteurs.

Cette vocation lui confère un certain nombre de spécificités dont: 1) la formation intensive qui, dans le cas de la musique — le niveau scolaire n'ayant rien à voir avec le niveau musical — requiert le continuum intégral de la formation, c'est-à-dire du début des études au niveau supérieur terminal; d'où l'objectif poursuivi de la double nécessité d'admission et de sortie par voie de concours; 2) la promotion par excellence, qui implique un cursus individualisé où l'étudiant doit prouver qu'il maîtrise un niveau avant d'accéder à un niveau supérieur; 3) la gratuité scolaire pour un accès démocratique; 4) la sélectivité, le dépistage des talents, les contraintes liées à l'âge et à l'instrument (acuité de l'ouïe et développement musculaire), la difficile réussite dans une carrière et, enfin, l'impératif de l'excellence commandent une pratique sélective plutôt qu'ouverte; 5) l'autonomie du régime pédagogique, en vertu de laquelle le conservatoire élabore, dispense et évalue ses programmes en faisant appel aux compétences du milieu et qui découle des autres aspects spécifiques.

Toute légitime qu'elle soit, cette vocation de former des musiciens et des gens de théâtre gagnerait, même au nom de la poursuite de l'excellence, à s'élargir officiellement et effectivement aux rôles d'animation de la vie artistique et de développement culturel de la société.

Plusieurs moyens sont envisagés à la Direction des conservatoires du ministère des Affaires culturelles, moyens qui sont de nature à transformer l'univers clos des conservatoires en ferment de vie artistique indispensable à la dynamique culturelle et à l'avènement d'une société éducative. Ces intentions de régénérescence des conservatoires et de leur environnement sur le territoire, comme d'ailleurs bien d'autres projets à teneur culturelle, n'ont pas encore ému le Trésor public. De sorte qu'il est à craindre qu'elles ne se concrétisent pas et que la réputation d'élitisme qui auréole le conservatoire ne se perpétue.

3.4.5 Les inégalités d'accès aux loisirs

Le secteur du loisir a une incidence certaine sur une politique de l'éducation des adultes. Ainsi, le loisir contribue lui aussi à développer le potentiel humain car il est, tout comme l'éducation des adultes, occasion de créativité, d'information, de détente, de communication et de formation. Cependant, la Commission est loin de considérer qu'il existe une équivalence théorique et pratique entre les termes loisir et formation.

The American Association for Leisure and Récréation advertises itself as an « action-oriented organization dedicated to improving the quality of American life through the development of school, community and national programs of leisure services and récréation éducation.

Source: P. Cross, Adults as Learners, Jossey-Bass, San Francisco, 1981, p. 24.

Le loisir, qu'il soit activité sportive ou sociale, collection de timbres, camping, bricolage, tourisme ou autres, constitue autant de façons et d'occasions d'apprendre pour un adulte ou un groupe d'adultes. D'où la « dimension éducative » du loisir. La formation, quant à elle, a pour premier objectif l'apprentissage et vise à atteindre celui-ci de façon systématique et organisée. Ce caractère systématique et organisé de l'activité de formation dépend tantôt de la responsabilité de l'individu ou du groupe, tantôt d'organismes qui peuvent offrir des services avec cette intention. Que des adultes décident, à travers une activité de loisir, de  se donner une formation quelconque, on ne peut que souhaiter que ce genre de démarche se multiplie et reçoive tout le support nécessaire des organismes publics.

Quant aux organismes de loisirs qui offrent des activités de formation, c'est-à-dire qui ne visent pas tout d'abord la pratique comme telle d'un loisir, mais l'acquisition de connaissances, d'habiletés et d'attitudes visant à la pratique éventuelle d'un loisir (ex: faire de la plongée sous-marine et apprendre la plongée sous-marine), la Commission croit que le loisir, vu sous cet angle, doit faire partie d'une politique d'ensemble de l'éducation des adultes. En cela, la Commission souscrit à la distinction apportée par le Conseil régional des loisirs de la Rive-sud: Somme toute, /' objectif premier d'une activité dite de formation serait de favoriser /'organisation d'une connaissance, d'une technique ou d'une habileté, alors que celui d'une activité de loisir serait de favoriser l'expression et l'utilisation de ces connaissances.(48)

Quelques dates récentes :

Liste des membres du R.O.N.L.Q. au mois de juin 1981 :

Ces distinctions s'imposent. Elles sont souvent à la source de dédoublement des activités de formation, de conflit de juridiction entre ce qui est « loisir » et ce qui est « éducation ». De plus, une même activité de formation, dispensée tantôt du côté loisir, tantôt du côté éducation, peut donner lieu à des contenus identiques mais à des critères d'embauché (et de salaires...) différents en ce qui concerne les éducateurs, et à une tarification différente en ce qui concerne les usagers. Ces distinctions s'imposent aussi, du fait que les activités de formation du secteur du loisir font souvent appel aux mêmes ressources physiques, matérielles et humaines que les activités de formation du secteur de l'éducation (ex.:écoles, bibliothèques, musées, centres culturels, etc.). La concertation, la collaboration et l'harmonisation entre les intervenants du secteur du loisir et ceux du secteur de l'éducation des adultes sont préférables à une situation de concurrence et ce, pour le plus grand bien des adultes qui entreprennent des activités de formation ou de loisir.

3.4.5.1 La situation actuelle du loisir

Les années 60 ont vu la montée de couches professionnelles de tout genre issues de la catégorisation « rationnelle » de l'activité humaine exercée par l'Etat. Les dédoublements de services, les chasses gardées, le cloisonnement entre les secteurs et la dépendance des individus et des groupes à l'égard des structures et des experts de tout acabit sont quelques-uns des résultats de ces façons technocratiques et bureaucratiques de concevoir le développement économique, social et culturel. Le loisir et l'éducation n'ont pas échappé à ces tendances. Il serait temps, pour le bien commun, de voir à la répartition et à la complémentarité des rôles, des programmes et des intervenants entre l'éducation et les loisirs.

Le secteur du loisir au Québec apparaît aussi complexe et diversifié que le secteur de l'éducation des adultes, ce qui n'est pas peu dire. Ainsi, le fichier d'adresses du Regroupement des organismes nationaux de loisir du Québec (R.O.N.L.Q.) compte présentement près de 8 000 adresses d'intervenants dans le secteur du loisir: municipalités, institutions d'enseignement, conseils régionaux, fédérations, bibliothèques, organismes volontaires et bénévoles, etc. Avant la création récente du R.O.N.L.Q., trois confédérations nationales regroupaient plus de 100 fédérations nationales de plein air, de sport, ou de tourisme social ou socioculturels. Actuellement le R.O.N.L.Q. regroupe 42 organismes qui se répartissent autour de cinq tables: socioculturel, tourisme, socio-éducation, plein air et sport. Il existe aussi plus de 15 conseils régionaux de loisir regroupés au sein d'une conférence (C.O.R.L.Q.). En outre, quatre universités et six cégeps offrent des programmes de formation particuliers au loisir. Grosso modo, il y aurait plus de 180 000 personnes impliquées dans l'organisation du loisir au Québec: 150 000 de celles-ci seraient « bénévoles » et 30 000 salariées, dont plus de 80% travaillent à temps partiel. À ce portrait quantitatif, il faudrait aussi ajouter que, qualitativement, le secteur des loisirs est en pleine mutation, notamment à la suite de nombreuses consultations et interventions du gouvernement du Québec (547 mémoires après la publication du Livre vert, Prendre notre temps, en 1977, tournées régionales, etc.), dont la création, en septembre 1979, du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (M.L.C.P.).

Ce tour d'horizon du loisir public, parapublic et à but non lucratif, ne doit pas nous faire perdre de vue que, malgré tout, environ 90% de l'offre de services en matière de loisir provient de l'entreprise privée à but lucratif: récréathèques, roulathèques, ciné-parcs, cinémas, théâtres, centres de plein air, centres de conditionnement physique, télévision, radio, discothèques, auberges, hôtels, motels, clubs, tavernes, brasseries, camping, véhicules motorisés, agences de voyage, compagnies de transport maritime, terrestre, aérien, etc. Et, plus récemment, on observe la multiplication de centres de formation privés: danse, yoga, relaxation, aiguille, etc. Cette omniprésence du loisir commercial rend d'autant plus impérieux le besoin de concevoir, d'orienter et de caractériser le secteur public, parapublic, et à but non lucratif du loisir, par une prise en charge par les individus et les groupes de leurs activités de loisir. Pour ce faire, la vitalité et le dynamisme des organismes bénévoles et volontaires, qui, à maints égards, s'apparentent aux organismes bénévoles et volontaires de l'éducation des adultes, sont essentiels.

En 1975-1976, le sport occupait 37% du budget total du Haut-commissariat à la jeunesse, aux loisirs et aux sports, alors que le socioculturel ne recevait que 8%.

Source : Organismes nationaux de loisir socioculturel, Pour une véritable réforme du loisir culturel, 1981.

Le portrait de la situation actuelle du loisir ne serait pas complet sans un mot sur la politique du loisir découlant du Livre blanc du gouvernement'41". Cette politique s'articule autour de quatre grands axes: celui du citoyen, centre et priorité de la politique du loisir; la municipalité, maître d'oeuvre; le principe des fédérations et associations partenaires de l'État et des municipalités; enfin, le principe de l'égalité des secteurs du loisir. Cette politique a soulevé plusieurs interrogations chez les intervenants du loisir, tant du point de vue des conceptions qui la sous-tendent que des contraintes qui surgissent pour sa mise en application. Ainsi, la notion de citoyen retenue dans le Livre blanc reste ambiguë, quand on sait que la majorité de la population ne peut accéder au loisir sans couper dans des biens essentiels ou s'endetter, ou encore, quand les enquêtes indiquent que les plus gros usagers de services gratuits en loisir (comme en éducation des adultes d'ailleurs), dispensés par les organismes publics, proviennent des catégories sociales les mieux nanties (50). De même, le principe de l'égalité des secteurs du loisir n'est certes pas facile à réaliser, car il sous-tend un rattrapage de plusieurs secteurs (ex. : le socioculturel) dans un contexte de restrictions budgétaires. C'est peut-être là une des raisons qui expliquerait pourquoi les organismes nationaux de sports se sont retirés en novembre 1980 du R.O.N.L.Q., donc peu après sa création à l'été de la même année.

Dans le cadre d'une politique d'accès à l'éducation des adultes, qui ne peut faire abstraction de tout le secteur du loisir, la Commission tient à reconnaître le rôle du loisir en tant qu'outil complémentaire de développement du potentiel humain. Pour ce faire, la Commission croit que cette complémentarité doit se traduire par une concertation des intervenants. Cette concertation devrait englober le partage des rôles, des équipements, des ressources humaines et surtout de la programmation, et s'inscrire dans la perspective d'une éventuelle politique du temps libre au Québec.

Mais alors qu'on insistait sur la démarche avec le citoyen, poursuit-il, il semble qu'on veuille maintenant entreprendre la réforme par le haut, à l'envers, tout simplement parce que ça coûte moins cher. C'est contredire le principe même de la réforme qui devrait partir du citoyen. Le monde du loisir se retrouve maintenant dans un climat d'ambiguïté, d'incertitude et de quasi-démobilisation, car les bénévoles sont écoeurés. Le gouvernement devait faire connaître il y a déjà longtemps son enveloppe budgétaire, nécessaire pour la réforme. Non seulement, elle n'est pas connue, mais on en est venu à penser qu'elle n'existe même pas.

Source: L. Lacroix, « Un bilan peu flatteur... », La Presse, 9 mars 1981.

3.4.5.2 La concertation scolaire-municipale

La concertation scolaire-municipale est au coeur d'une politique d'accès qui concerne à la fois l'éducation des adultes et le loisir en général. En effet, le coût des équipements et des ressources humaines que l'on retrouve dans l'un et l'autre des secteurs est supporté par les mêmes contribuables. Théoriquement, il va donc de soi que les citoyens aient accès à ces services, tantôt pour leur formation, tantôt pour leurs loisirs. Du point de vue du citoyen, cela va de soi. Cependant, pour le gestionnaire, cela n'est pas aussi simple. Ainsi, pour caricaturer un peu, il arrive que la poussière du scolaire coûte moins cher à ramasser que la poussière du loisir. Autrement dit, « qui paie le concierge? » De plus, la concertation scolaire-municipale fait partie du mandat de la municipalité en tant que maître d'oeuvre en matière de loisir. Si la concertation scolaire-municipale est appelée à se développer et à se diversifier dans un contexte de complémentarité entre le loisir et l'éducation des adultes, il convient de situer dans sa juste perspective ce concept de « maître d'oeuvre ».

Le terme de concertation scolaire-municipale n'est pas neuf. C'est en 1964 qu'on le voit apparaître lors d'un congrès organisé par la Confédération des oeuvres de loisirs de la province de Québec dont le thème était l'organisation des loisirs et la commission scolaire.

Avant les années 60, c'était surtout le clergé qui s'occupait du loisir. Ainsi, ce sont les paroisses qui prenaient en charge l'implantation d'équipements comme les centres de loisirs et c'est à l'initiative du clergé que naquit l'Oeuvre des terrains de jeux (O.T.J.). Cet engagement de l'Église devait s'estomper au début des années 60 au profit de l'État et des municipalités, bien que l'Église ait tenté de privilégier l'école dans ce transfert de responsabilités. En 1967, la Loi des fabriques exigeait le retrait des conseils de fabrique de toute administration de biens pouvant servir à des fins de loisir.

En dollars, les municipalités utilisaient 30 millions pour les fins de loisir en 1968, 180 millions en 1978 et 211 millions en 1980, ce qui représentait un service de 8 $ per capita en 1968, 40 $ en 1978 et 45 $ en 1980.

Source: Union des municipalités du Québec, Mémoire à l'intention de la Commission d'étude sur la formation des adultes, juillet 1981.

L'intervention plus marquée de la municipalité dans le secteur du loisir à partir des années 60 tenait à plusieurs facteurs : expérience dans la gestion de divers équipements et espaces, tels que parcs publics, piscines publiques, tennis, etc.; augmentation des besoins de la population en loisir due à la diminution absolue du nombre d'heures de travail par jour et par année; poussée démographique de l'après-guerre; et augmentation des budgets de l'État en matière de loisirs(51). A ce mouvement venait s'ajouter le support de nouveaux spécialistes formés dans les universités américaines, qui prônent la prise en charge par la municipalité de la coordination des programmes de loisir dans les communautés locales, compte tenu que les municipalités se donnaient une plus grande responsabilité par rapport à la qualité de vie de leurs résidents. En pleine montée de la technocratie, cette prise en charge du loisir par les municipalités faisait l'affaire des milieux de l'éducation qui étaient aux prises avec des organismes privés de loisirs, qui n'avaient ni la stabilité ni les garanties de continuité voulue pour qu'on leur confie ou qu'on leur vende un équipement public scolaire152'.

Jusqu'alors le ministère de l'Éducation intervenait peu dans les conflits locaux qui opposaient les conseillers municipaux et les commissaires d'école. Ce n'est qu'en 1971 que le ministre de l'Éducation faisait un objectif de la perméabilité des lieux scolaires à la communauté. Dès lors, de la simple collaboration, on passait à la concertation. Celle-ci allait prendre la forme spécifique de protocoles d'entente entre les municipalités et les corporations scolaires, notamment en ce qui concerne l'implantation de certains équipements majeurs, tels que les piscines et les « arénas ». Déjà en 1974, le Haut-commissariat à la jeunesse, aux loisirs et aux sports inventoriait 300 de ces protocoles; en 1978, on en dénombrait plus de 500(53). On estime à plus de 850(54), aujourd'hui, le nombre d'ententes scolaires-municipales à cet effet.

Dans l'ensemble, ces protocoles, parfois très élaborés, portent presque exclusivement sur l'accès aux équipements. À ce titre, la Commission croit qu'il y a lieu d'explorer des voies d'élargissement de ces ententes à d'autres domaines: harmonisation des politiques, des réglementations et des programmations en vue de permettre une utilisation optimale des ressources humaines et des équipements communautaires.

Cette préoccupation de plusieurs gestionnaires à préserver l'intégrité de leur univers de fonctionnement respectif les amène à développer une attitude essentiellement comptable en matière de concertation et à être réticents à négocier des accords de partage, d'autant plus si ceux-ci dépassent le cadre strict des équipements pour impliquer des ressources humaines et leur programmation

Tiré du Rapport final du Comité interministériel sur la concertation scolaire-municipale en matière de loisir, 1978, p. 38.

Le Regroupement des organismes nationaux de loisir du Québec met aussi en lumière le fait que la réforme du loisir arrive à un bien mauvais moment, alors que les dépenses publiques sont plafonnées.

« C'est pourquoi » dit cet organisme dans son document, le ministre du Loisir a reporté en 82-83 le versement des enveloppes globales. Mais, présentement, il cherche à constituer une enveloppe globale significative, satisfaisante pour l'Union des municipalités, au risque de sacrifier quelques principes...

En effet pour ce faire, l'Etat s'apprête à couper dans les programmes nationaux afin de constituer cette fameuse enveloppe globale... Comment alors l'Etat entend-il aller de l'avant quant à la promotion de la santé, le développement de la créativité, l'accessibilité des espaces naturels, la pratique d'un véritable tourisme social, si les programmes nationaux sont dilués dans l'enveloppe globale? D'autre part, quelles garanties aurons-nous que ces priorités seront respectées par les municipalités ?

Source: D. Morin, « La réforme du loisir risque d'être une vaste fumisterie », La Presse, 12 septembre 1981.

Cet élargissement des protocoles d'ententes scolaires-municipales devra tenir compte de l'actuel contexte municipal. Ainsi, la réforme de la démocratie municipale, la réforme de la fiscalité (Loi 57), la création par la Loi 125 de municipalités régionales de comté (M.R.C.), et la décentralisation de l'éducation des adultes, dans un contexte de restrictions budgétaires, de vieillissement de la population, de volonté des femmes d'obtenir et d'utiliser davantage de services, de changements des goûts et des valeurs des citoyens, de revalorisation du rôle des bénévoles et de présence croissante de l'entreprise privée dans le secteur du loisir, modifieront de fond en comble la scène municipale du loisir: au chapitre de la tarification mais aussi, et surtout, de la redéfinition des rôles des intervenants les uns par rapport aux autres. Concrètement, les difficultés financières actuelles risquent fort de reléguer le loisir au dernier rang des priorités, entrainant comme conséquence un accès limité aux loisirs pour les moins bien nantis.

Parmi les difficultés qui surgiront dans le cadre d'un élargissement des protocoles d'ententes, il convient d'en mentionner quelques-unes. C'est un secret de polichinelle qu'il existe, dans le domaine du loisir, des lacunes, voire même un certain obscurantisme de la part des administrations municipales. C'est pour combler ces lacunes et cet obscurantisme que le gouvernement du Québec a lancé, ces dernières années, des programmes de subvention d'activités socioculturelles, notamment dans le loisir scientifique. La notion de maître d'oeuvre est donc « relative » pour les municipalités, car l'État veut rester le « gardien et le promoteur des intérêts collectifs » et poursuivre des « objectifs nationaux ».

Selon la Fédération québécoise des services socioculturels, la concertation municipale est:

Source: Rapport des journées d'étude sur « Le loisir, l'école et la municipalité », avril 1981.

Dans un autre ordre d'idées, l'élargissement de la concertation scolaire-municipale soulève le problème du sens et de la portée que l'on donne au mot « concertation » et par là au terme accessibilité. Pour certains, la concertation apparaît comme un moyen, pour d'autres, c'est une fin. Un équipement n'est pas « accessible » du seul fait qu'on puisse l'utiliser le jour ou la nuit. Encore faut-il que la programmation et son contenu soient adaptés au milieu, que des objectifs soient identifiés et qu'on en favorise l'accès à certaines catégories de la population. Ainsi, l'utilisation des « arénas » à plus de 90% par une population mâle et jeune tend à confirmer l'hypothèse de comportements particuliers et pose les problèmes de la discrimination sexiste, d'âge, et socio-économique dans l'accès aux loisirs et, par conséquent, à la formation qu'il faut acquérir pour pratiquer ceux-ci.

Ainsi, une politique d'accès ne peut s'élaborer sans tenir compte des études sur l'utilisation des principaux équipements et des habitudes de loisir des Québécois et des Québécoises. À cet effet, un sondage réalisé en 1978 révélait que 94% de la population adulte du Québec avait consacré une moyenne de 15,8 heures par semaine à l'écoute de la télévision et que 83% de cette même population avait « absorbé » 16,4 heures d'écoute radiophonique pendant une semaine de novembre 1977(55). De plus, ce sondage révélait qu'en matière de loisir culturel et social, le cinéma, l'assistance à des joutes ou matchs, les visites d'expositions et les spectacles de scène figuraient parmi les principales activités de loisir socioculturel des Québécois et des Québécoises. Du côté des sports, le ski de fond, la bicyclette et la natation figuraient parmi les principales activités sportives de la population.

Un sondage semblable(56), mené en 1979 pour le compte du Service de la recherche de la Direction générale des arts et des lettres du ministère des Affaires culturelles, fait état des préférences suivantes des Québécois et des Québécoises en matière de loisir: tout d'abord, le sport, la lecture, le plein air (camping, chasse et pêche) et les activités reliées à la maison (jardinage, bricolage, couture, télévision, radio, disque), ensuite, les activités sociales (visite de parents ou d'amis, jeux, âge d'or, etc.) et, finalement, les activités culturelles. De plus, ce sondage fait état de problèmes d'accès à diverses activités de loisir liées aux régions éloignées et à la taille des municipalités.

Une politique d'accès se situant dans un axe de complémentarité entre le loisir et l'éducation devrait-elle privilégier une programmation fondée sur la conception d'un citoyen utilisant son temps libre à la télévision ou au sport? La situation décrite par des sondages, bien que réelle, traduit-elle une demande sociale (c'est-à-dire « les gens veulent du sport ») ou est-ce là le résultat d'une politique établie « d'en haut » (c'est-à-dire « du pain et des jeux »)? Ces questions et les tendances observées à travers les sondages soulèvent donc la délicate question de la définition des besoins: entre les secteurs (sport versus culture) et à l'intérieur d'un secteur (élite versus masse). La concertation scolaire-municipale, dans la mesure où elle s'élargirait à la programmation, à la tarification, à la complémentarité des rôles et aux conditions de travail des intervenants, etc., devra inévitablement aborder le problème de la définition des « besoins » et, partant de là, celui des priorités de développement et de l'affectation des ressources financières.

La détermination des besoins ne peut donc pas faire abstraction des situations économiques, sociales et culturelles des individus et des groupes d'usagers. Afin que cette sensibilité à la situation sociale, économique et culturelle des adultes se manifeste dans le processus de concertation scolaire-municipale, la Commission croit qu'une participation active des individus et des groupes d'usagers est essentielle. Pour ce faire, il sera important de faire une place, dans un processus décisionnel transparent, aux organismes bénévoles et volontaires, à l'expertise des organismes nationaux de loisir, et au débat social sur les orientations et les priorités: Somme toute,  nous pourrions résumer ainsi notre « vision »: un citoyen, centre et objet principal de la démarche de tous les intervenants, des organismes volontaires près du citoyen et susceptibles d'être des réalisateurs privilégiés, et enfin des organismes publics au service du citoyen et des groupes dont il fait partie.(57)

3.4.5.3 Une politique du temps libre

Une politique d'accès visant le développement du potentiel humain doit se situer dans un continuum loisir-éducation-travail où l'utilisation qualitative du « temps libre » constitue un indice important de la nature, des rapports entre le loisir, l'éducation et le travail. Cette utilisation qualitative du « temps libre » est appelée à prendre des proportions encore plus importantes au cours des prochaines années, compte tenu des développements à venir du côté de l'automatisation (robotique, bureautique, etc.). Aurons-nous, d'un côté des travailleurs et des travailleuses qualifiés, très productifs et disposant somme toute d'un temps libre très riche et diversifié, et, de l'autre, des chômeurs, des travailleurs et des travailleuses peu spécialisés disposant de loisirs dont ils ne savent que faire.

Ces dernières années, on a célébré la venue de la « société du loisir », ou plus modestement on a fait du temps libre un lieu de prise en charge par les adultes de leur promotion personnelle et collective: ... s'il y a un lieu vraiment personnalisé d'apprentissage, de développement et de formation, c'est bien le temps libre et le loisir qu'il permet.(58)

La Commission considère qu'une politique du temps libre pourrait constituer une façon pertinente d'intégrer et d'harmoniser les secteurs du travail, du loisir et de l'éducation dans une perspective de développement du potentiel humain. Une telle politique permettrait de pousser encore plus loin le principe de l'autodétermination des individus et des groupes, face à une société de plus en plus complexe.

Une telle politique du temps libre n'est pas du domaine de la science-fiction! Déjà, on a introduit des horaires variables dans plusieurs lieux de travail; la plupart des emplois nouvellement créés sont à temps partiel; le travail à la pige est très répandu et les études en cours sur cette question révèlent que la plupart des salariés(es) aspirent à une réduction des heures de travail sans perte de revenus.

L'impact d'une politique du temps libre sur l'accès à la formation et aux loisirs serait considérable, non seulement pour accroître la demande des services déjà existants, mais aussi pour rendre possible la production, par les individus et les groupes, de projets personnels et communautaires, de projets d'autoformation et de projets culturels.

Conclusion

Les pages qui précèdent, bien qu'elles ne touchent pas tous les aspects du vaste domaine de la culture, indiquent, néanmoins, l'importance que la Commission attache aux rôles complémentaires de l'éducation et de la culture. Les ressources éducatives, humaines et matérielles, ne s'arrêtent pas aux portes des écoles ! Elles sont multiformes et cohabitent avec d'autres missions (ex. : information, création, détente, divertissement, consommation, production, etc.) qui se rattachent d'emblée au développement du potentiel humain. C'est en ce sens que la Commission croit que l'éducation des adultes peut se développer en symbiose avec des ressources éducatives qui ne relèvent pas du système scolaire: les mass-media, les musées, les bibliothèques et les loisirs.

Une telle cohabitation ne va pas sans difficulté, mais l'enjeu en vaut la peine. Si les adultes, à travers leurs aspirations personnelles et collectives, sont réellement au coeur des préoccupations d'intervenants qui agissent sur l'un ou l'autre des aspects du développement humain, il ne fait pas de doute que l'harmonisation des missions, à laquelle la Commission fait appel, sera bien accueillie par ceux-ci.

Une telle orientation renvoie aussi à une façon toute particulière de concevoir l'accès aux ressources éducatives. L'accès dont il est question ici n'est pas que physique. Il est aussi intellectuel, social, économique et culturel, et s'appuie sur la démocratisation et la prise en charge par les individus et les groupes de leurs aspirations éducatives et culturelles. La Commission est consciente qu'une telle orientation agit à contre courant à bien des égards.

Devant une culture envahie par la commercialisation, la consommation, le professionnalisme, le technocratisme, la bureaucratie et les discriminations socio-économiques de toutes sortes, on peut croire naïfs ou idéalistes ceux pour qui le développement est aussi culturel et éducatif et qui misent sur l'implication de la population pour l'accélérer. Pourtant, il faut admettre que notre société ne peut se développer en privilégiant les seuls aspects quantitatifs du développement économique et social, car cela risque de se payer de coûts sociaux très lourds. Nous devons aussi réintroduire des aspects qualitatifs dans le développement économique et social, rejoignant par là une composante essentielle du développement du potentiel humain.

Recommandations

La Commission recommande :

Les media

  1. Que, tant et aussi longtemps que l'interprétation judiciaire des pouvoirs en matière de communication sera celle que l'on sait, le Gouvernement du Québec mandate spécifiquement l'organisme central responsable de l'éducation des adultes pour intervenir systématiquement auprès du C.R.T.C. pour toutes les questions ayant trait directement ou indirectement à la programmation et aux ententes des media électroniques.
  2. Que le Gouvernement veille à maintenir ou à élargir, autour des citoyens et des groupes, le pluralisme des sources d'information et la diversité des analyses.
  3. Qu'à des fins éducatives, le Gouvernement entreprenne les démarches qui s'imposent pour obtenir des mass-media électroniques appartenant à l'entreprise privée la collaboration que devraient normalement offrir ceux qui utilisent les ondes publiques.
  4. Que le Gouvernement veille à ce que l'action des mass-media soit évaluée autrement que selon les seuls intérêts financiers  ou  commerciaux  des  propriétaires  et  des  agences  de publicité, qu'il ne se laisse pas entraîner à évaluer l'utilité de ses propres mass-media selon les seuls critères quantitatifs de l'entreprise privée.
  5. Qu'en conséquence, l'Institut de la recherche sur la culture, en collaboration avec les départements universitaires concernés, mette au point des grilles d'évaluation des programmes des media électroniques susceptibles de constituer une alternative au verdict de la « cote d'écoute » et à l'évaluation faite par les diffuseurs et les commanditaires.
  6. Que les organismes éducatifs et culturels conjuguent, aux niveau régional et local, leurs efforts pour exiger des media électroniques commerciaux qu'ils assument de façon manifeste la responsabilité sociale et culturelle qu'ils devraient se reconnaître en tant qu'utilisateurs des ondes publiques.
  7. Qu'à ces titres, ces media tiennent les « promesses de réalisation » soumises au C.R.T.C. lors de l'obtention ou dure nouvellement de leur permis; qu'ils fassent valoir à leurs commanditaires leurs exigences en matière de programmation;qu'ils veillent à ce que celles-ci ne soient pas assujetties aux seules lois du marketing; enfin, qu'ils diversifient leurs services et rehaussent le niveau de leurs émissions.
  8. Que le Gouvernement du Québec veille à ce que les media de masse ou communautaires, dont la programmation est considérée comme éducative par la Régie des services publics, se conforment à l'esprit et à la lettre de la Loi no 4 sur la programmation éducative.
  9. Que la stratégie publique de recours aux media de masse à des fins éducatives par le Gouvernement du Québec tienne compte davantage de ce qu'on peut raisonnablement attendre de chaque technique; que l'on encourage le recours à la radio et qu'on  s'interroge,  par conséquent,  sur le bien-fondé d'une intervention éducative confiée à la seule télévision.
  10. Que Radio-Québec se mette à l'écoute des besoins éducatifs et fasse une place de choix dans sa grille des programmes aux émissions requises pour l'éducation des adultes; qu'elle accorde  à  la programmation  régionale l'importance qui lui revient.
  11. Qu'en plus des émissions « scolaires » (éducatives formelles) que Radio-Québec se doit de diffuser en vertu de sa loi constitutive, elle prévoit une programmation éducative informelle :
    • visant à l'accès du plus grand nombre aux savoirs culturels, scientifiques technologiques ;
    • répondant aux besoins d'éducation sociale, économique, politique ;
    • favorisant le développement de la pensée critique et de la conscience internationale ;

      qu'elle invente et mette au point, à cette fin, des modalités stimulantes et efficaces pour traiter l'information de façon à atteindre ces objectifs.

  12. Compte tenu de sa vocation éducative, que Radio-Québec se mette délibérément à l'abri de toute pression commerciale en s'interdisant quelque forme de publicité que ce soit.
  13. Que les media de masse et les media communautaires soient présents aux commissions régionales devant présider à la formation des centres régionaux d'éducation des adultes.
  14. Que le Gouvernement du Québec encourage, par des subventions accrues, le développement des media communautaires dont la programmation est à teneur éducative, dans la mesure où ces media se conforment à la Loi no 4 sur la programmation éducative et ont réellement le souci d'élargir leur auditoire.
  15. Que  les  organismes  éducatifs,  notamment le C.F.D.,soient attentifs au développement qui s'amorce de la radio par câble et sensibilisent les cablôdistributeurs à des utilisations possibles de ces radios pour des fins éducatives.
  16. Que le ministère des Communications et l'organisme responsable de l'éducation des adultes proposé par la Commission fassent conjointement l'étude critique des projets télématisés engagés et qui mobilisent des entreprises de communications, des organes d'information et des maisons d'éducation; que cette étude insiste tout particulièrement sur les possibilités réelles d'utilisation de la télématique à des fins éducatives, sur les contraintes qui y sont liées et sur les problèmes qu'elle soulève; qu'elle explore les possibilités éducatives de la privatique; que les résultats de cette étude soient rendus publics dans les meilleurs délais.

Au sujet de la télévision payante

  1. A la majorité des voix
  2. Etant donné que celle-ci menace directement notre culture en ouvrant grande la porte aux productions américaines et en nivelant par le bas la qualité de la production cinématographique;

    étant donné que cette télévision draînera vers les entreprises de distribution des fonds publics qui pourraient sûrement être utilisés à meilleur escient;

    Que le Gouvernement du Québec envisage la possibilité de décréter un moratoire sur toute forme de développement de la télévision payante en territoire québécois.

Les bibliothèques et les centres de documentation

  1. Que, dans la perspective de l'éducation permanente mise en avant par la Commission, l'on reconnaisse de façon effective le rôle déterminant pouvant être joué en matière d'éducation des adultes par les bibliothèques et, plus largement, par le livre et la documentation.
  2. Que l'accès aux bibliothèques publiques, de même qu'aux bibliothèques scolaires de tous les niveaux, soit systématiquement facilité, notamment par des horaires compatibles avec les temps libres des adultes.
  3. Sachant que le succès d'une bibliothèque tient d'abord et avant tout au leadership du bibliothécaire, que l'on s'occupe de façon prioritaire du perfectionnement des bibliothécaires du réseau  des  bibliothèques  publiques  en  mettant  l'accent  sur l'animation culturelle, l'accueil et l'encadrement des individus et des groupes publics plutôt que sur les seuls aspects techniques  reliés  à la bibliothéconomie ;  que  les programmes  de bibliothéconomie actuellement offerts par quelques universités et collèges soient repensés en ce sens.
  4. Que, pour faciliter l'accès aux ressources documentaires et bibliographiques existantes, le Gouvernement donne suite au projet de télé-informatisation des données documentaires du réseau québécois des bibliothèques.
  5. Compte tenu du peu de succès obtenu, tant au Québec qu'aux États-Unis, par le jumelage des bibliothèques scolaires et publiques,   que  l'on  favorise  plutôt,  dans  la mesure  du possible et au gré des constructions nouvelles envisagées, la mitoyenneté de la bibliothèque et du musée ou encore du centre culturel.
  6. Que, dans un effort concerté pour optimaliser l'utilisation de la documentation existante, l'on encourage les échanges de services entre les bibliothèques publiques et scolaires, de même que le recours aux services existants: bibliothèque centrale de prêts, bibliobus, biblioroute (pour les personnes retenues à la maison), etc.
  7. Que  les bibliothèques publiques et scolaires  s'ouvrent délibérément  aux  projets  éducatifs  menés  dans  les  groupes volontaires d'éducation des adultes, offrent et adaptent, le cas échéant, leurs services à ces groupes.
  8. Que les institutions scolaires explorent le concept de programmes d'études pouvant être faits substantiellement en bibliothèque par les adultes qui le souhaitent ou qui ont déjà développé l'habitude de la lecture; que l'on prévoie, pour ces étudiants, des services d'encadrement (guide ou « tuteur » de lecture) et d'évaluation appropriés.
  9. Que les universités et les collèges collaborent plus étroitement  avec  les  municipalités  pour  intensifier l'accès  à la documentation spécialisée et étrangère dans les bibliothèques publiques.
  10. Que les municipalités veillent tout particulièrement au développement de la bibliothèque et du goût de la lecture et s'abstiennent d'imputer au budget du « livre » tous leurs programmes socioculturels.
  11. Que l'animation culturelle, l'accueil et l'encadrement des usagers : toutes fonctions indispensables à la transformation des bibliothèques et à leur ouverture sur leur milieu, continuent d'être mises en relief par le ministère des Affaires culturelles, et que la volonté de transformation engagée dans le sens des besoins individuels et collectifs se traduise aussi par l'octroi de crédits suffisants.

Les musées

  1. Que, dans une perspective de complémentarité et d'utilisation des ressources, l'on reconnaisse la fonction éducative du musée et l'importance de son apport dans la formation des adultes.
  2. Que, dans une perspective d'accès, les musées modifient leurs horaires pour accommoder le plus grand nombre possible d'utilisateurs.
  3. Que, dans une perspective de complémentarité et d'utilisation des ressources,  les institutions muséologiques reçoivent l'appui financier nécessaire à la formation d'un personnel qualifié et permanent et à la poursuite d'une fonction éducative pertinente leur permettant un engagement dans la vie éducative et culturelle de leur milieu.
  4. Que la recherche muséologique, indispensable à une intervention adaptée aux différentes catégories d'adultes québécois, soit stimulée afin de trouver les outils nécessaires à une intervention de qualité.
  5. Que l'action muséologique, en matière de science et de technologie, repose sur les éléments suivants:
    • la reconnaissance du fait que la culture scientifique et technique s'insère dans la culture générale;
    • l'extension de l'action muséologique à l'étendue du territoire québécois, dans un contexte de souplesse et d'accès;
    • l'utilisation maximale des équipements déjà existants;
    • une approche systémique et ouverte dans la préparation et la présentation des « exhibits ».
  6. Que soient créés, à la demande des régions, des centres régionaux de science et de technologie ;
    • que les régions décident de la forme, de l'emplacement et des fonctions de ces centres,  et que l'on mette l'accent sur le recyclage de bâtiments anciens ;
    • que l'on obtienne, pour ce faire, la collaboration des organismes et des institutions qui oeuvrent déjà, dans la région, en muséologie scientifique et dans les domaines connexes;
    • que l'on procède à l'inventaire du patrimoine industriel et technique de la région afin d'en exploiter les virtualités muséo-graphiques.

Les conservatoires

  1. Que, dans le cadre de la politique que le ministère des Affaires culturelles compte établir, l'on redéfinisse le rôle des conservatoires de musique et d'art dramatique en reconnaissant leur nécessaire contribution à l'animation de la vie artistique et au développement culturel de la collectivité.
  2. Que,  dans le respect de sa vocation première d'école professionnelle, le réseau des conservatoires s'engage dans la vie  socioculturelle  du  Québec  et  se  rapproche  de  milieux défavorisés au plan artistique.
  3. Que le Conservatoire de musique du Québec soit doté de moyens lui permettant d'actualiser pleinement son projet d'un réseau de professeurs affiliés et itinérants visant à combler les lacunes d'intervention et de rayonnement sur le territoire; qu'il puisse s'acquitter, en conséquence, du perfectionnement et du recyclage des professeurs visés par ce programme.
  4. Que le Conservatoire de musique du Québec dispose de moyens financiers accrus, de façon à multiplier les « classes de maîtres », les « exercices pédagogiques » (concerts, pièces dramatiques), gratuits et ouverts au public, à stimuler la diffusion des oeuvres et des interprétations des professeurs et des étudiants, à compléter la palette instrumentale dans les régions, à promouvoir la formation de troupes de théâtre et d'ensembles musicaux.
  5. Que les facultés de musique
    • assouplissent leurs conditions d'admission quant à l'âge, defaçon à permettre à un plus grand nombre d'adultes de poursuivre des études de premier cycle universitaire dans les domaines n'exigeant pas  une  formation préalable  intense,  comme en musicologie et en didactique ;
    • prennent les mesures qui s'imposent pour accroître les services à la collectivité et l'animation du milieu.

Les loisirs

  1. Que, dans la perspective de l'éducation permanente mise en avant par la Commission, l'on reconnaisse l'importance des loisirs dans l'épanouissement des individus et le développement des ressources humaines du Québec.
  2. Que le comité interministériel permanent sur la concertation scolaire-municipale en matière de loisir récemment créé au Québec  vise  à  assurer,  en collaboration avec  les  instances régionales et locales, l'harmonisation des politiques, des réglementations et des programmes des divers ministères et organismes, en vue de permettre une utilisation optimale des ressources humaines et des équipements communautaires sur le territoire québécois.
  3. Que, dans le respect de la maîtrise d’œuvre des municipalités en matière de loisir, des modèles variés de concertation scolaire-municipale (comprenant les institutions des trois niveaux d'enseignement) soient explorés en fonction de la volonté locale  de  collaboration  et en  vue  de  favoriser l'accès  aux ressources collectives.
  4. Que les municipalités répartissent de façon équitable les budgets consacrés à la formation entre les loisirs culturels et les loisirs sportifs.
  5. Qu'en songeant en particulier aux petites municipalités, soient aplanies les difficultés d'ordre juridique empêchant ou entravant la concertation entre les municipalités et les organismes scolaires.
  6. Qu'étant donné l'importance des bénévoles en loisir et de la formation relative à leur action communautaire, les responsables municipaux des loisirs et ceux des services de l'éducation aux adultes assurent, en étroite collaboration, la formation continue requise à cette forme de bénévolat.

Notes

  1. Cf. : Antoine Léon,  « L'éducation permanente, évolution des concepts et des fonctions », dans Traité des sciences pédagogiques de M. Debess et G. Mialaret,Paris, P.U.F., 1968, p. 20.
  2. Cf.: José Vidal-Beneyto,  « Politiques culturelles et démocratie ». Le mondediplomatique, avril 1981, p. 14-15.
  3. C'était la thèse retenue par la Commission Massey-Lévesque qui enquêta de 1949à 1951, pour le compte du gouvernement fédéral, sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences.
  4. Cf. :  Gouvernement du  Québec,  La Politique québécoise du développement culturel, 1978, vol. 2, p. 188.
  5. Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission d'enquête sur l'enseignement des arts au Québec, 1968, tome [, p. 24.
  6. Ibid., tome II, p. 369.
  7. Ibid., tome I, p. 41.
  8. Ibid., tome I, p. 42.
  9. Cf. :  Gouvernement du  Québec,  La Politique québécoise du développement culturel, op. cit., p. 13.
  10. Fernand Dumont, « L'idée de développement culturel: esquisse pour une psychanalyse », Sociologie et sociétés, vol. 11, no 1, avril 1979, p. 24.
  11. Ibid., p. 28-29.
  12. José Vidal-Beneyto. op. cit., p. 14-15.
  13. Cf.: I.C.E.A., Les media; une école insoupçonnée, octobre 1980.
  14. Sean MacBride et alii. Voix multiples un seul monde, Unesco, 1980, p. 36.
  15. Rapport Rioux, tome I, p. 36.
  16. Gouvernement du Canada, L'évolution du marché du travail dans les années1980,  rapport  du  groupe  d'étude  de  l'évolution  du  marché  du  travail,   1981,p. 171-172.
  17. Tantôt une collectivité, un quartier, un individu, un groupe.
  18. Cela peut être la télévision, la radio, une bibliothèque, un musée, un centre de loisir, un centre culturel, un C.L.S.C, une école, etc. Il n'est pas dit. compte tenu des coûts et de l'efficacité éducative reconnu d'un médium, qu'il faille a priori privilégier l'un ou l'autre de ces médiums.
  19. Gouvernement du  Québec,  Répertoire des media québécois,  ministère descommunications, juillet 1981.
  20. Programme d'aide aux media communautaires, rapport du jury du P.A.M.E.C.,sept.   1980.  Ce chiffre ne fait donc pas état de la presse  syndicale,  féministe, écologique, politique, etc.
  21.  stations fonctionnent sans permis.
  22. Diffuse aussi en anglais et en français.
  23. Quatre autres projets connus sont en voie d'implantation et deux autres sont à l'étape de projet (re. : Programme d'aide aux media communautaires, op. cit.).
  24. P.A.M.E.C, op.cit.
  25. Cf. : J.P. Lafrance, « Le rapport Kent et la presse au Québec », Le Devoir, 16septembre 1981.
  26. Raccordement entre les media électroniques et l'informatique.
  27. Source: Annuaire du Québec, p. 19.
  28. Source: Répertoire des media québécois, passim.
  29. Ordonnance de la Régie des services publics du Québec, miméo, p. 113, 1981.
  30. Ibid., p. 125.
  31. To Improve Learning, Report by the Commission on Instructional Technology,R. R. Bowker Company, New York, 1970. D'ailleurs, la Régie se réfère à une étude qui a servi de cadre de référence à la Commission: W. Chu, G. Schramm, Learning from  Télévision  what the Research Says,   National  Association  of Educational Broadcasters, Washington, 1967.
  32. Gouvernement du Québec, Rapport du Comité de travail du C.M.P.D.C. surl'opportunité de la mise sur pied d'une radio à caractère éducatif au Québec, janvier1980, p. 44-52.
  33. Sean McBride, op. cit., p. 17-41.
  34. Robert Saucier, Les compléments circonstanciels de la télévision en éducation des adultes, Direction générale de l'éducation des adultes, ministère de l'Éducation, Québec, avril 1981, miméo.
  35. Source: Biblio-Contact, vol. 6, no 1, p. 16,18,19.
  36. II est à noter que les bibliothèques centrales de prêts rejoignaient tout de même490 municipalités de moins de 5 000 habitants en 1979.
  37. Le Danemark (population de 5 000 000 d'habitants en  1977) est considéré comme étant le pays disposant du meilleur réseau de bibliothèques publiques au monde. Chiffres cités dans J.O. Bertavelle, « The Public Libraries in Denmark »,Scandinavia Public Library Quarterly, vol. 12, no 1, 1979, pp. 45.
  38. K. Crouch, Les bibliothèques publiques et l'éducation des adultes, conférence prononcée le 9 juin 1962, à Sainte-Adèle, Québec, devant l'Association des bibliothécaires du Québec.
  39. K. Crouch, op. cit.
  40. Cf. : Gilbert Gagnon, « Le rôle du bibliothécaire dans son milieu et la fonction de la bibliothèque publique », Argus, janvier-février 1981, vol. 10, no 1.
  41. Manifeste de l'Unesco sur la bibliothèque publique, Bull, Unesco Bibl., vol.26, no 3, mai-juin 1972, p. 138-139.
  42. Québec,  ministère des Affaires culturelles, Direction des musées privés et centres d'exposition, Répertoire des établissements muséologiques du Québec, 1980.
  43. Musée des beaux-arts de Montréal, Rapport annuel 1979-1980, p. 5.
  44. Cf. : M.O. Jentel, Rapport sur la formation muséologique au Québec, ministère des Affaires culturelles, Direction des musées privés et centres d'exposition, juin1978, p. 58.
  45. Unesco, Musées, imagination et éducation, Paris, 1973, p. 10-11.
  46. R. Marcousé, « La transformation des musées dans un monde en transformation », Unesco, Musées, imagination et éducation, Paris, 1973, p. 20.
  47. Société des musées québécois, Réflexions et propositions sur l'avenir de lamuséologie au Québec, position de la Société des musées québécois sur le document du ministère des Affaires culturelles Musées et muséologies au Québec, mai 1980.
  48. Conseil régional des loisirs de la Rive-sud, Avis sur la formation des adultes,loisir et formation : vers une complémentarité, décembre 1980.
  49. Cf. : Gouvernement du Québec, On a un monde à recréer, Livre blanc sur le loisir au Québec, septembre 1979.
  50. Cf.: M. Bellefleur, R. Levasseur, Loisir Québec 76, Bellarmin-Desport, coll.Les Dossiers beaux-jeux, no 1, Montréal, 1976, p. 30-31 et 47.
  51. Cf. : Marcel Robidas, « Municipalité et loisir: une histoire en bref », Loisirs etsports, juin-juillet-août 1981.
  52. Cf.: Gouvernement du Québec, Rapport final, Comité interministériel sur la concertation scolaire-municipale en matière de loisir, décembre 1978, p. 12.
  53. Comité interministériel sur la concertation scolaire-municipale en matière de loisir, op. cit., p. 13.
  54. P. Bellemare, «Création d'un comité interministériel en matière de loisir », La Presse, 21 novembre 1981.
  55. Participation des Québécois aux activités de loisir, SORECOM inc, janvier1978, tableau 17.
  56. Camille Delude-Clift, Le comportement des Québécois en matière d'activitésculturelles de loisir, C.R.O.P. inc, septembre 1979.
  57. Conseil régional des loisirs de la Rive-sud, op. cit., p. 26.
  58. On a un monde à recréer, op. cit., p. 26.

Chapitre 5

3.5 Les disparités régionales et les inégalités d'accès à l'éducation

L'éducation des adultes doit contribuer à habiliter la population à une action commune et à l'implication la plus large possible de tout le milieu dans la définition des orientations, des projets, des priorités d'actions et dans les décisions fondamentales concernant le devenir de la collectivité. L'éducation des adultes doit être un support important au développement régional.

Cependant les régions n'ont pas toutes les mêmes atouts de départ.

Les disparités régionales sont le reflet d'un développement inégal entre les régions.

À l'inégale distribution des ressources physiques d'un territoire viennent souvent s'ajouter des disparités qui sont la résultante d'un développement socio-économique et culturel inégal entre les régions d'une même province. Dans le cas d'une confédération comme le Canada, ces disparités régionales ne sont que le reflet d'un développement lui aussi inégal entre les provinces. C'est ainsi que l'Ontario s'est « taillé la part du lion » au détriment du Québec, les provinces de l'Ouest, au détriment souvent des provinces de l'Est, etc..

Au Québec, il en a été de même pour Montréal qui s'est développé de façon tentaculaire, drainant une grande partie des ressources humaines et financières de la Province. Entre 1951 et 1971(1), la population urbaine du Québec s'est accrue de 80%. La région de Montréal a absorbé, à elle seule, près de 65% de cette augmentation et les sous-régions sud et nord de Montréal ont vu leur population croître de 155% et 193% respectivement. Depuis quelques années cependant, le rythme de croissance de la population urbaine a largement diminué. Toutefois, le phénomène de l'étalement urbain se poursuivra probablement encore plusieurs années, mais à un rythme beaucoup moins effréné.

Le développement n'a pas toujours été très harmonieux sur l'ensemble de l'île de Montréal où la population de l'Est et du centre est nettement plus défavorisée que la population du centre-ouest et de l'ouest. Quant à la ville de Montréal, par rapport à l'ensemble de l'île de Montréal, elle concentre la population au statut socio-économique le plus faible, avec cependant 38,5% de la population métropolitaine(2).

Compte tenu de ce développement inégal et des disparités qui en découlent. il s'ensuit des inégalités d'accès aux ressources éducatives, tant humaines que physiques ou matérielles, pour certaines populations ici ou là au Québec.

Les études sur les disparités régionales sont trop peu nombreuses.

On constate que les études sur les disparités régionales sont peu nombreuses, Québec justifiant souvent ce manque de recherches par un manque de données statistiques. Il est certain que le Bureau de la statistique du Québec (B.S.Q.) est tributaire des données d'Ottawa (Statistique Canada) et qu'il est parfois bien difficile de les désagréger au niveau des régions administratives du Québec, surtout si l'on s'attend à des données séparées par sexe et par sous-régions administratives. Néanmoins, les études, tant prospectives que celles qui sont faites dans le cadre du développement et de l'aménagement du territoire, comme celle de l'Office de planification et de développement du Québec (O.P.D.Q.), contribuent à mieux faire connaître les réalités des différentes régions du Québec.

Si les études sur les disparités régionales, en termes de répartitions de revenus et/ou d'activités économiques, sont peu nombreuses, elles sont quasi-inexistantes en termes d'accès aux ressources éducatives pour la population adulte du Québec. Notre sondage sur les activités éducatives a permis de lever un peu le voile sur les caractéristiques par régions administratives des adultes qui faisaient ou ne faisaient pas d'activités éducatives(3).

Par ailleurs, notre consultation à travers 18 régions du Québec et les nombreux ateliers auxquels elle a donné lieu nous ont permis de prendre conscience des problèmes que rencontrent des adultes dans des régions éloignées et économiquement défavorisées.

Nous évoquerons certains de ces problèmes d'accès à l'éducation rencontrés par des adultes, mais également plusieurs expériences positives mises en avant par divers intervenants en éducation des adultes pour tenter de corriger la situation.

3.5.1 La décentralisation des structures éducatives: une tendance qui doit s'accentuer

Décentraliser l'éducation des adultes, c'est redonner du pouvoir et des pouvoirs aux adultes dans les régions.

Dans le premier chapitre de la première partie de ce rapport, nous avons signalé que la tendance centralisatrice des différents gouvernements en matière d'éducation des jeunes avait également gagné l'éducation des adultes. La centralisation à Québec et la bureaucratisation que celle-ci a suscitée ont contribué, entre autres choses, à couper l'éducation des réalités de la vie quotidienne, à « déresponsabiliser » les collectivités régionales et locales, et à accentuer, dans les faits, les disparités régionales en matière d'éducation des adultes. En effet, les normes et standards établis par les fonctionnaires de Québec répondaient plus à des critères provinciaux que régionaux ou locaux. Il semble bien que les tendances centralisatrices aient connu leurs heures de gloire et que nous nous acheminons, les déficits gouvernementaux aidant, vers une décentralisation de certains pouvoirs et responsabilités.

Ainsi lit-on, dans Bâtir le Québec, que le gouvernement se dit animé d'une volonté de rapprocher les citoyens de la prise de décision et surtout de susciter le développement des régions ... conscient qu'il émerge une conscience régionale susceptible à moyen et à long terme de conduire à la prise en main, par les régions, de la responsabilité de leur propre développement(4).

Le développement régional prend de ce fait une grande importance dans les nouvelles stratégies politiques, sociales et surtout économiques que le gouvernement se doit de supporter. L'accent est mis, non seulement sur la revitalisation de zones rurales ou le développement de zones urbaines défavorisées, mais également sur l'aide aux régions industrielles qui font face à une récession économique.

C'est d'ailleurs ce point de vue qui a été mis en avant dans le fascicule no 1 publié par le Secrétariat à l'aménagement et à la décentralisation, dans lequel on peut lire: Il est devenu urgent de réviser la répartition des pouvoirs au sein de notre collectivité. Cette révision doit se faire en rapprochant des citoyens les pouvoirs de décision et en revalorisant les autorités les plus près d'eux pour assurer l'ensemble des services qui affectent la vie de tous les jours. Une telle révision implique, bien sûr, des moyens financiers adéquats mais aussi un nouveau partage des pouvoirs et des responsabilités. Cette révision, c'est la décentralisation.(5)

La décentralisation s'inscrit dans le développement régional et, en matière d'éducation des adultes, la décentralisation est une condition nécessaire de développement, si l'on veut qu'effectivement l'éducation des adultes, dans une perspective d'éducation permanente, réponde aux besoins des individus et des groupes, contribue au développement de leur potentiel humain et à un développement démocratique de la société québécoise.

C'est pourquoi dans la sixième partie de ce rapport, le modèle de structure en éducation des adultes, que la Commission expose et retient, est un modèle décentralisé qui devra s'inscrire dans le développement régional du Québec.

En effet, comme le mentionnait le Conseil de l'Europe, la décentralisation est la conséquence nécessaire de l'insertion de cette éducation dans la vie même, du principe d'autoformation, et de l'implication, dans toute formation, des services sociaux et culturels non-éducatifs. La finalité consistant à pourvoir l'homme de toutes ces capacités de réalisation (« Performance in Life Objective ») n'est concevable que dans un modèle décentralisé des structures éducatives.(6)

Des efforts ont été entrepris pour redistribuer le plus possible les ressources éducatives sur cet immense territoire qu'est le Québec. L'utilisation de plus de 300 centres d'éducation des adultes dans les écoles des commissions scolaires, les cégeps et le réseau de l'Université du Québec ont effectivement répondu à de flagrantes inégalités d'accès. Avant 1967, de nombreux jeunes devaient s'expatrier vers Montréal ou Québec pour entreprendre des études plus poussées; quant aux adultes, l'idée d'être obligés de quitter la région pour aller parfaire une formation, amenait un certain nombre d'entre eux à renoncer tout simplement à leurs projets éducatifs.

Comme le mentionnait la Commission d'étude sur les universités Le nombre, la localisation et l'orientation des institutions ont une très grande importance. En effet, la seule présence d'une université dans un lieu crée des possibilités concrètes d'accessibilité, elle est un facteur de culture et de dynamisme indéniable dans le milieu. En soi, la LOCALISATION GÉOGRAPHIQUE d'une institution (centre-ville, banlieue, région...), son ORGANISATION PHYSIQUE (un seul campus, des bâtiments dispersés, des sous-centres...) et son ORGANISATION ADMINISTRATIVE (le fonctionnement des services aux étudiants: bibliothèques, registrariat, cafétéria... et leurs horaires) constituent un choix social et politique qui facilite ou crée des obstacles à l'accessibilité.(7)

La création d'une multitude de centres d'éducation des adultes dans les écoles des commissions scolaires, les cégeps et le réseau de l'Université du Québec ont donc été des initiatives de première importance pour faciliter l'accès à des cours et à des études variées pour des populations des régions éloignées des grands centres.

3.5.2 Les principaux problèmes que rencontrent les adultes des régions éloignées

3.5.2.1 L'aspect démographique

La population du Québec se répartit très inégalement sur l'ensemble du territoire. Plus des deux tiers de la population habitaient en 1976 les régions de Montréal et de Québec. Par ailleurs, aucune autre région administrative ne représentait plus de 7% de l'ensemble de la population. La densité de population (i.e. le nombre d'habitants au km2 est quand même très faible, si l'on tient compte à la fois de l'étendue du territoire québécois et des écarts démographiques interrégionaux, exception faite de Montréal, bien sûr.

Tableau 31 : Population, densité et poids démographique des régions administratives du Québec, 1er juin 1976

Régions

Population

En pourcentage de la population du Québec

Densité (nb. d'hab. au km2)

Est du Québec

318 659

5,1

7,5

Saguenay/Lac Saint-Jean

284 903

4,6

2,6

Québec

888 611

14,3

24,2

Mauricie / Bois-Francs

422 648

6,8

9,2

Estrie

229 601

3,7

26,8

Montréal

3 540 635

56,8

114,0

Sud

972 250

15,6

82,2

Centre

2 115 884

33,9

2 863,8

Nord

452 501

7,3

17,6

Outaouais

270 819

4,3

5,1

Abitibi-Témiscamingue

151375

2,4

2.5

Côte-Nord

115231

1.9

0,4

Nouveau-Québec

11 963

0,2

0,0

Le Québec

6 234 445

100,0

4,6

L'Est du Québec comprend les divisions de recensement de Kamouraska, Rivière-du-Loup et Témiscouata qui ont donc été soustraites de la région de Québec. Source: Statistique Canada, recensement de 1976 et l'Office de planification et de développement du Québec (O.P.D.Q.), compilations. 1979. O.P.D.Q., Effets économiques du ralentissement de la croissance de la population du Québec, juin 1980. p. 130.

La répartition de la population sur le territoire, son rythme de croissance et son degré de vieillissement renforcent ou atténuent, selon le cas, les disparités régionales, particulièrement au niveau économique. Comme l'illustre Brault (8), une décroissance ou une croissance démographique lente a diverses conséquences économiques dans les régions telles que:

3.5.2.2 L'aspect économique

Par ailleurs, la structure socio-économique québécoise est largement caractérisée par ses disparités régionales.

Les régions éloignées : un vaste territoire mais relativement peu de monde.

Ainsi, les régions éloignées du Bas Saint-Laurent/Gaspésie (01), du Saguenay/Lac Saint-Jean (02). du Nord-Ouest (08), de la Côte-Nord (09) et du Nouveau-Québec (10) qui recouvrent un territoire énorme ne concentrent que 12,6% de l'ensemble de la population du Québec et comptent pour environ 10% de la production québécoise. Leur économie est surtout axée sur le secteur primaire : les mines et la forêt.

Plus spécifiquement, l'activité économique de la Côte-Nord repose sur les mines et la forêt, sur un secteur manufacturier axé sur le papier et l'industrie, sur la transformation des métaux et sur la production d'électricité. La Côte-Nord est une région-ressource par excellence: c'est une région ouverte qui exporte surtout à l'extérieur du Canada. Cette région constitue, avec la Baie-James, la seule région frontière du Québec.

Le Nord-Ouest est aussi une région-ressource par excellence. Cette région dépend d'abord des mines, ensuite de la forêt. Son secteur manufacturier, d'importance faible mais croissante, repose sur le bois, le papier et la transformation des métaux. C'est une région qui, du fait de l'éloignement de Montréal, subit l'attraction du nord de l'Ontario.

Le Saguenay-Lac Saint-Jean devient de plus en plus une région ressource. L'activité primaire reliée à la forêt et aux mines y prend de plus en plus d'importance. Son secteur manufacturier demeure important, même s'il a connu une croissance très faible; il est basé sur le bois, le papier et la transformation des métaux (l'aluminium, par exemple, à l'Alcan). L'importance de cette dernière industrie fait du Saguenay une région ouverte qui exporte surtout à l'extérieur du Canada.

L'activité économique du Bas Saint-Laurent-Gaspésie repose sur la forêt, les mines, ainsi que sur un secteur manufacturier axé sur le bois, le papier et les aliments et boissons. L'importance de cette dernière industrie dépend, d'une part, de la transformation du poisson et, d'autre part, de l'éloignement qui place les petites entreprises alimentaires de cette région à l'abri de la concurrence des grands centres urbains.

Tableau 32 : Taux d'activité et taux de chômage moyens en 1980 par région économique au Québec

Régions

Taux d'activité

Taux de chômage

L'ensemble du Québec

61.0

9.9

Bas Saint-Laurent/Gaspésie

52.4

12.9

Saguenay/Lac Saint-Jean

57.5

12.6

Québec

59.7

9.7

Trois-Rivières

57.4

12.8

Cantons de l'Est

60.4

10.6

Montréal

62.7

8.9

Outaouais

63.4

10.8

Nord-Ouest

55", 8

14,2

Côte-Nord/Nouveau-Québec

61.3

13.1

Source: Statistique Canada. La population active, no. 71-001.

Ces régions sont, plus que d'autres, victimes de la conjoncture internationale qui fait baisser ou monter les prix des matières premières, car elles sont souvent tributaires de quelques grandes entreprises qui monopolisent l'emploi dans la région. C'est pourquoi toute fermeture d'usine ou licenciement collectif devient vite catastrophique et les jeunes quittent la région, ce qui contribue à lui faire perdre le dynamisme qui lui restait. C'est le cas principalement de la Basse Côte-Nord et de la Gaspésie.

Les activités économiques régionales, étant, dans bien des cas, incapables de générer des emplois en nombre satisfaisant et des revenus annuels suffisamment élevés(9), il s'ensuit que ces régions connaissent les taux les plus élevés de chômage et les taux d'activité les plus bas. Ces disparités économiques, en plus de l'isolement, de la faible densité de population au km2, de la déficience du réseau routier, ont des répercussions indirectes sur l'éducation des adultes.

Tableau 33 : Inscriptions universitaires

 

1974-75

1979-80

U. du Q. à Chicoutimi

Étudiants à temps partiel

802

4 377

Étudiants à temps plein

1 132

2 025

U. du Q. à Rimouski

 

 

Étudiants à temps partiel

676

3 040

Étudiants à temps plein

683

1085

U. du Q. à Rouyn

Étudiants à temps partiel

748

3 776

Etudiants à temps plein

255

884

Source : Statistiques sur les inscriptions universitaires, cueillette annuelle. D.G.E.S., M.E.Q.. 1981.

Le Québec comprend 79 services d'éducation des adultes dans les commission scolaires pour couvrir l'ensemble des municipalités scolaires du territoire québécois.

3.5.2.3 L'aspect éducatif

Comme nous le mentionnions précédemment, la présence de l'Université du Québec dans les régions de Chicoutimi, Rimouski ou Rouyn y a facilité l'accès des jeunes et des adultes à l'éducation supérieure.

La Commission d'étude sur les universités rappelle que si la décentralisation est essentielle à un réel accès, cette décentralisation reste malgré tout difficile(10). En effet, même si les régions éloignées (01, 02, 08, 09, 10) avec, d'une part, l'éducation à distance, trois universités et plusieurs sous-centres, 24 commissions scolaires et plusieurs centres et 10 cégeps qui offrent des activités éducatives aux adultes, sont, compte tenu de la population totale couverte (12,6%), un peu mieux partagées en matière d'établissements éducatifs, les adultes de ces régions n'en éprouvent pas moins de sérieux problèmes d'accès à ces ressources éducatives, tant au niveau de la proximité des lieux que de la variété des types de formation.

A)    Manque de choix dans les programmes offerts

En effet, étant donné la faible densité de la population, le nombre d'étudiants par programmes est relativement restreint et ces étudiants ne peuvent avoir autant de choix que l'étudiant de Québec ou de Montréal. Si l'étudiant de Rimouski, de Chicoutimi ou de Rouyn a peu de choix, il devrait s'attendre à avoir au moins des possibilités de formation qui débouchent sur des besoins d'emploi dans sa région. Or, comme on l'a souvent déploré lors de notre consultation régionale, la formation offerte, et spécialement la formation de type professionnel, n'est pas articulée aux besoin spécifiques des régions. L'éducation des adultes n'est pas une fin en soi. Elle doit, entre autres choses, servir d'outil, de ressource, de moyen, pour développer le potentiel des régions, ce qui constitue un enjeu majeur pour les populations concernées. Avant d'enseigner quoi que ce soit, il importe de prendre en compte la réalité physique du milieu, la nature des industries en place, le potentiel d'emploi offert, etc.

B)    Des programmes peu adaptés aux réalités des régions

Si, « peu de choix au moins, « de bons choix »

Trop de cours préparent à des emplois non-disponibles dans les régions, ce qui favorise l'exode de la population vers les grands centres urbains. D'autre part, les gens sont souvent forcés de « s'expatrier » pour aller chercher les spécialisations dont ils ont besoin. Il est reconnu que les programmes de formation de type professionnel ne tiennent pas suffisamment compte de la conjoncture régionale des marchés de travail et sont peu axés sur le développement des ressources locales, qu'il s'agisse de la forêt, de la mer, de l'agriculture, des mines, du tourisme, etc.

Par contre, les modèles des centres locaux d'éducation des adultes (C.L.É.A.) de certaines commissions scolaires ont permis de rejoindre des populations et de répondre aux besoins exprimés en éducation populaire surtout. 11 faut aussi souligner comme une expérience intéressante la mise sur pied par l'Université du Québec à Rimouski, d'une maîtrise en développement régional. Ce sont là d'heureuses initiatives qui restent cependant encore trop marginales.

Lors de la consultation régionale dans le Bas Saint-Laurent, on a fait remarquer que le manque de ressources dans la région a plusieurs conséquences. Plusieurs programmes ne sont pas disponibles dans la région, ce qui oblige les adultes à se déplacer parfois jusqu'à Montréal pour les suivre. Le contenu de ces programmes n'est pas toujours adapté aux besoins de la région. Cette situation favorise l'exode de la population. Elle occasionne de plus des coûts supplémentaires que tous ne sont pas en mesure de supporter. Plusieurs travailleurs doivent s'éloigner de leur foyer pendant de longues périodes pour exercer leur métier ; c'est le cas notamment des pêcheurs et des forestiers. Il est difficile pour eux de s'éloigner de nouveau pour suivre un programme de formation pendant la saison morte. (11)

C'est ainsi que des travailleurs de la construction sont venus nous dire que, dans le secteur de la construction, on réclame une formation pratique et complète en chantiers-écoles. On insiste sur une formation complète car, pense-t-on dans la région, il est inutile de penser à une spécialisation. La spécialisation des ouvriers est justifiable dans les régions urbaines seulement. (12)

Dans le secteur forestier, on s'inquiète de l'absence de relève et de l'absence d'une formation pratique pour assurer la relève chez les jeunes. Dans l'exploitation forestière on a besoin de cours sur l'abattage des arbres, le dépannage mécanique, la sécurité, etc.

Des travailleurs et des travailleuses, dans le domaine des pêcheries, demandent par exemple la création d'un centre spécialisé de formation et des cours relatifs à la transformation des produits de la pêche, alors qu'en agriculture, on demande surtout des cours de gestion.

C) Des coûts plus élevés

Plus la clientèle diminue, plus les coûts d'éducation per capita augmentent.

Il va de soi qu'il en coûte plus cher pour offrir les services aux adultes des régions éloignées. Les dépenses d'immobilisation et d'entretien augmentent proportionnellement plus que les dépenses directement rattachées à l'enseignement, ce qui provoque la disparition de certains services. Ainsi la Direction générale de l'éducation des adultes (D.G.E.A.) signale, par exemple, pour les commissions scolaires, qu'il en coûte deux fois plus dans les régions éloignées pour assurer l'administration des services aux adultes que dans la région de Montréal afin de maintenir une structure éducative semblable(13). Par ailleurs, la diminution de la clientèle scolaire limite de plus en plus le choix dans les options professionnelles, entre autres. En somme, plus la clientèle diminue plus les coûts d'éducation per capita augmentent. Le personnel du milieu scolaire doit aussi s'ajuster en fonction de ces baisses de population; d'où augmentation des taux de chômage de la région. Enfin, les transports scolaires ne sont pas épargnés non plus. En effet, le nombre d'élèves transportés diminue, alors que le nombre de milles parcourus augmente ; ce qui se traduit par une augmentation des coûts per capita totaux(14). Avec l'augmentation générale des coûts (essence entre autres) et les récentes coupures budgétaires en matière d'éducation, l'écart entre les régions ne peut aller qu'en s'accentuant.

D) Un recrutement difficile de personnel qualifié

Un autre problème se pose aux milieux scolaires éloignés, c'est le recrutement d'un personnel de qualité. Les régions éloignées ne manquent pas seulement de médecins. Dans certains secteurs d'enseignement, il existe aussi de réelles pénuries. L'attrait des grands centres reste encore très fort chez la majorité des professionnels et, comme il existe très peu de mesures incitatives, rares sont ceux qui choisissent effectivement les campus éloignés.

La situation des éducateurs d'adultes dans ces régions n'est guère brillante. Tout comme leurs confrères des centres urbains, ils sont engagés à la pige en fonction de critères souvent arbitraires.

Les régions éloignées : un terrain de faible concurrence pour les professionnels.

Lors de notre consultation régionale, de nombreux intervenants ont soulevé ce problème. Ainsi dans certaines régions, on déplore que trop de formateurs soient recrutés à l'extérieur de la région. Sans nier leur compétence « académique », on trouve qu'ils manquent souvent de pratique. En insistant trop sur les diplômes académiques, on se prive de l'expérience, de la compétence et du savoir-faire de plusieurs personnes du milieu qui pourraient très bien devenir des agents de formation.(15) On attend des formateurs qu'ils soient sensibles aux besoins et à la situation particulière des adultes.(16)

D'aucuns estiment même qu'en terme de ressources humaines en éducation des adultes, les régions reçoivent d'ailleurs « les restes » et l'incompétence est, selon eux, monnaie courante. On reproche généralement aux responsables de ne pas utiliser davantage les ressources humaines du milieu.

Pourtant notre sondage pour l'ensemble du Québec nous révèle un taux de satisfaction élevé chez ceux qui font des activités éducatives, en ce qui concerne les contenus dispensés, les explications apportées par les éducateurs vis-à-vis de la charge de travail; par contre, un adulte sur deux déplore le manque de disponibilité des éducateurs et le manque de consultation sur les contenus(17).

E) Des normes administratives trop rigides et peu réalistes

Les normes facilitent le travail des fonctionnaires mais compliquent la vie des adultes en régions.

Même si nous avons signalé, au début de ce chapitre, la volonté politique qui semble se dessiner avec l'actuel gouvernement de décentraliser certains services et certains pouvoirs, il reste que cela n'est pas encore chose faite. Les normes du ministère de l'Éducation sont élaborées à Québec pour l'ensemble du Québec. De plus viennent se superposer les normes fédérales dans le cadre des programmes de main-d'oeuvre, normes qui tiennent compte cette fois du contexte canadien et qui sont loin des préoccupations des adultes gaspésiens ou de ceux de la Basse Côte-Nord, par exemple.

Ainsi, dans toutes ces régions, la moyenne d'un formateur pour 15 participants adultes (1/15) a été dénoncée comme totalement inadéquate et comme un facteur majeur d'inégalité d'accès à l'éducation des adultes. Par exemple, sur la Côte-Nord, en Gaspésie, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, dans le Nord-Ouest, les adultes doivent souvent parcourir des distances impressionnantes pour suivre une activité éducative. Dans ces conditions, il s'avère souvent difficile de regrouper un minimum de 15 personnes pour une même activité. Il faut cependant préciser que, dans bien des cas, certains administrateurs se servent de cette moyenne institutionnelle de 1/15, pour refuser une activité éducative à un groupe d'adultes.

Par ailleurs, il peut aussi se former des groupes de 10-12 adultes désirant accéder à une formation plus spécialisée, dans le cadre d'une situation de travail ou d'un projet communautaire par exemple: la moyenne 1/15 peut empêcher qu'on donne suite à leur demande. De plus, on voit difficilement une moyenne supérieure à 1/8 pour les personnes handicapées ou de 1/10 pour les analphabètes.

Les distances entraînent bien souvent des frais supplémentaires pour l'adulte et les allocations de formation ne tiennent pas compte de ces dépenses, ou les évaluent de façon insuffisante. Pour plusieurs groupes, et en particulier pour les femmes, il s'agit là d'un obstacle important: longues distances, auxquelles s'ajoute l'insécurité due aux conditions climatiques et à l'horaire de soirée, des moyens de transport à trouver, des frais supplémentaires (garde d'enfants)... En effet, les services d'appoint (garderies, cafétérias, etc.) sont encore plus rares en régions éloignées. On insiste également sur le fait que la programmation et les horaires en éducation des adultes ne sont pas suffisamment souples pour composer avec cette réalité (possibilité de reprendre des cours, des examens, etc.).

La distance a également pour effet d'imposer des lourdeurs administratives encore plus néfastes lorsqu'il s'agit d'identifier et de répondre aux besoins éducatifs dans des délais raisonnables. Les centres de décision sont éloignés des usagers et la consultation et la coordination entre les divers organismes et institutions est d'autant plus difficile. L'information circule également moins rapidement et, quand elle prend la voie des media écrits, il arrive que les adultes soient informés trop tard des ressources éducatives de leur milieu. Un problème d'information a été relevé à peu près dans toutes les régions visitées mais, dans les régions éloignées, ce problème prend une ampleur considérable. On insiste sur la nécessité d'utiliser tous les moyens disponibles pour rejoindre la population adulte: télévision, radio, journaux, brochures, etc.

F) Le peu d'accès aux ressources techniques (équipement et locaux)

Enfin, un autre problème auquel se heurtent les adultes des régions éloignées est le manque ou le peu d'accès au matériel technique, scolaire et d'apprentissage, sa désuétude dans bien des cas, et la non-disponibilité de locaux pour les activités éducatives.

Des édifices publics vides, les fins de semaine, et des adultes qui s'entassent dans un sous-sol d'église pour suivre des activités éducatives, est-ce logique?

Nous l'avons signalé dans les chapitres précédents, ce problème est ressenti un peu partout. Dans les régions éloignées cependant, le phénomène est plus marqué. En effet, étant donné la faible densité de population, il est plus difficile à Chibougameau, à Matapédia ou à Manicouagan de rentabiliser les équipements et les locaux. On ne peut donc les multiplier. Par contre, on pourrait en décupler l'utilisation. Or, le cloisonnement des différents lieux de formation, les normes administratives et financières font qu'il est difficile, parfois impossible pour un groupe, d'avoir accès à des locaux scolaires si ces adultes ne sont pas inscrits dans des activités offertes par l'établissement scolaire en question. Ces difficultés sont surtout ressenties par les associations, les syndicats, les regroupements de bénévoles qui dispensent des activités éducatives en dehors des institutions d'enseignement et qui, pour cette raison, ont peu accès aux ressources physiques et humaines disponibles dans les établissements scolaires de la région.

Dans une région éloignée, où les ressources sont relativement rares et onéreuses, la nécessité de la coordination, de la collaboration, de la concertation entre tous les intervenants dans le champ de l'éducation des adultes est indispensable. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point crucial dans un chapitre subséquent.

Prôner une réelle décentralisation de l'éducation des adultes, comme le fait la Commission, et ce, même au niveau local, n'a en fait de sens que si elle favorise l'intégration de toutes les ressources éducatives et culturelles au plan local.

3.5.3 Les disparités entre les régions éloignées

3.5.3.1 Quelques données du sondage

Toutes les régions éloignées ne vivent pas avec la même intensité ces différents problèmes. Selon notre sondage sur les activités éducatives, c'est au Saguenay/Lac Saint-Jean que l'on trouve la plus forte proportion d'adultes engagés dans des activités éducatives. Peut-être y vit-on les suites de l'opération Tévec qui a sensibilisé la population de la région à l'éducation des adultes?

Le Saguenay-Lac Saint-Jean: une région où l'on participe activement à l'éducation des adultes, sous toutes les formes.

Alors qu'entre septembre 1979 et décembre 1980, période couverte par notre sondage, 55% des adultes québécois avaient entrepris des activités éducatives (professionnelles, sociales et culturelles et autodidactes(18), au Saguenay-Lac Saint-Jean, la proportion était de 60% et, en Gaspésie, de 41%. La Côte-Nord, avec 54%, et le Nord-Ouest, avec 50%, ressemblent, à cet égard, à l'ensemble du Québec.

Les différences par type de formation varient également selon les régions. Ainsi la Côte-Nord, à cause du développement industriel de cette région et la forte demande en main-d'oeuvre qui en a découlé, a un pourcentage plus élevé (19%) que l'ensemble du Québec (17%) d'adultes qui font des activités de type professionnel. Le Saguenay-Lac Saint-Jean s'apparente à la moyenne québécoise. Par contre le Nord-Ouest et la Gaspésie sont en deçà avec 13%. Dans toutes les régions du Québec, la participation des hommes est plus élevée que celle des femmes, pour ce type de formation. En ce qui concerne les régions éloignées, c'est sur la Côte-Nord que les différences sont le plus marquées, ensuite vient le Saguenay-Lac Saint-Jean; quant à la région du Nord-Ouest ou de la Gaspésie, les différences de participation entre les hommes et les femmes sont peu marquées.

Pour les activités de type social et culturel, là également existent certaines différences de participation. La Côte-Nord et le Saguenay-Lac Saint-Jean sont proches de la moyenne du Québec qui est de 20%. Par contre, le Nord-Ouest avec 15%, et la Gaspésie avec 14% ont une participation inférieure à l'ensemble du Québec. Dans toutes les régions du Québec, la participation des femmes, cette fois, est plus élevée que celle des hommes. Les différences hommes/femmes sont relativement élevées dans la région du Nord-Ouest, un peu plus faiblement marquée dans la région de la Côte-Nord et de la Gaspésie. C'est dans la région du Saguenay que les différences hommes-/ femmes sont le plus prononcées (31% de femmes contre seulement 16% d'hommes s'adonnent à des activités éducatives de ce type).

Quant aux activités à caractère autodidacte, comparativement à la moyenne québécoise qui est de 39%, ce sont les régions de la Côte-Nord (32%) et surtout de la Gaspésie (26%) qui ont la proportion la plus basse. Le Nord-Ouest est assez proche de la moyenne avec 35%. Par contre, là encore, c'est le Saguenay-Lac Saint-Jean qui a la proportion la plus élevée, avec 43%. En général, les différences hommes/femmes, pour ce type d'activités, sont relativement peu marquées.

Il ressort de ces quelques données(19) que les deux régions qui semblent se différencier le plus en termes de participation à des activités éducatives sont le Saguenay-Lac Saint-Jean et le Bas Saint-Laurent-Gaspésie.

3.5.3.2 À titre d'exemple: le Saguenay-Lac Saint-Jean et la région du Bas Saint-Laurent-Gaspésie

Si le nombre de commissions scolaires du Saguenay-Lac Saint-Jean est moins élevé que dans le Bas Saint-Laurent-Gaspésie avec quatre seulement contre sept qui offrent des activités aux adultes, par contre, la population adulte totale sur le territoire, des quatre commissions scolaires du Saguenay-Lac Saint-Jean est de 193 795 adultes, alors que celle des commissions scolaires du territoire du Bas Saint-Laurent-Gaspésie est de 174 230 adultes(20).

De plus, les institutions privées d'enseignement ou possédant un permis de culture personnelle sont nettement plus nombreuses au Saguenay-Lac Saint-Jean.

Quand on compare également le nombre de bibliothèques publiques de ces deux régions, on constate que la région du Saguenay-Lac Saint-Jean a deux fois plus de bibliothèques que celle du Bas Saint-Laurent-Gaspésie et dessert par ses bibliothèques trois fois plus d'usagers(21). Ceci est dû en grande partie à la concentration urbaine qui est beaucoup plus élevée au Saguenay-Lac Saint-Jean que dans le Bas Saint-Laurent-Gaspésie.

Quant à la bibliothèque de l'U.Q.A.R. (Université du Québec à Rimouski) elle ne desservait qu'environ 2 000 usagers en 1978 comparativement à la bibliothèque de l'U.Q.A.C. (Université du Québec à Chicoutimi) qui en desservait 4 400(22).

Par contre le nombre d'usagers des bibliothèques des cégeps est relativement le même environ 10 000 pour chacune des régions(23).

Le Saguenay-Lac Saint-Jean: une structure d'âge avantageuse mais qui ne durera pas.

La Gaspésie est, nous l'avons dit, une région qui a un taux de chômage élevé, mais le Saguenay-Lac Saint-Jean connaît aussi des problèmes sérieux d'emploi, car le taux de chômage était, en 1980, assez voisin de celui de la Gaspésie (12,9% contre 12,5%) comparativement à la moyenne du Québec (9,9%).

Si l'on analyse la répartition par âge de la population, d'après les données du recensement de 1976, la région du Saguenay avait une population adulte totale légèrement supérieure à celle du Bas Saint-Laurent-Gaspésie (268 975 contre 227 835). Alors que l'âge moyen, dans l'ensemble du Québec était de 31 ans, celui des individus de la région gaspésienne était de 30 ans et celui du Saguenay-Lac Saint-Jean de 28 ans. La proportion de gens âgés est nettement moins importante au Saguenay-Lac Saint-Jean et c'est surtout entre 15 et 44 ans que les différences entre les deux régions sont les plus prononcées. Or, notre sondage nous a révélé que les catégories d'âge qui sont les plus susceptibles de participer à des activités éducatives sont justement, chez les hommes, celle de 35 à 44 ans et, chez les femmes, celle de 17 à 34 ans(24). On trouve donc là un facteur explicatif de la situation.

Quant à la scolarité moyenne de la population adulte du Québec elle était de 10,1 années. Au Saguenay, elle était de 10,2 et, dans la région du Bas Saint-Laurent-Gaspésie, de 9,3. C'est au niveau postsecondaire et universitaire que les différences sont le plus marquées(25).

Ces quelques données statistiques nous permettent de constater que la région du Saguenay-Lac Saint-Jean, tout en étant une région éloignée, est une région qui bénéficie d'une population relativement jeune, scolarisée, avec des ressources éducatives assez importantes et surtout un fort dynamisme local qui se manifeste à travers le mouvement coopératif, le mouvement syndical, les organismes populaires et les associations féminines et autres. En effet, le mouvement coopératif, en particulier, représente une force vive profondément enracinée, et ce, dans plusieurs secteurs économiques. En 1979-1980, on y dénombre 116(26)coopératives (excluant les coopératives financières), ce qui place cette région au troisième rang, après Québec et Montréal. Ces associations coopératives se concentrent surtout dans les domaines suivants: agricole, forestier, de la consommation et de l'habitation. Le mouvement syndical est également important dans la région du Saguenay-Lac Saint-Jean. Le taux de syndicalisation y est de 60%(27) selon l'O.P.D.Q. De plus, divers autres organismes de la région ont pris naissance afin de permettre à la population de participer à son propre développement. C'est le cas, notamment, du Conseil régional de développement (C.R.D.) et du Conseil régional des loisirs (C.R.L.). Les organismes peuvent agir d'autant plus efficacement, selon qu'il existe ou non de solides infrastructures d'éducation.

De plus, au-delà de la moitié de la population de la région est regroupée dans trois villes: Alma, Chicoutimi et Jonquière; alors que, dans le Bas Saint-Laurent-Gaspésie, les trois principales villes: Rimouski, Matane et Gaspé totalisent un peu plus de 1/5 de la population de la région seulement.

La dispersion de la population, comme nous l'avons signalé au début de ce chapitre, augmente les coûts pour la société, mais également pour l'adulte qui veut étudier, en nécessitant de longs et pénibles déplacements susceptibles de décourager de nombreux adultes d'entreprendre des activités éducatives.

3.5.4 D'autres disparités existent, mais...

Nous ne pouvons, dans ce chapitre, faire l'analyse de l'ensemble des disparités régionales et illustrer le problème à partir des régions éloignées, en montrant cependant que même là, des différences existent entre ces régions.

Même si elles ont une université sur leur territoire, les régions de l'Estrie, Mauricie-Bois-Francs, Outaouais et Québec présentent certaines inégalités d'accès à l'éducation. Notre sondage nous a révélé des taux de participation aux activités éducatives plus bas que ceux de la moyenne du Québec pour la Mauricie (48%) et l'Estrie (49%). Il faut dire que, dans ces régions et dans Montréal centre, le pourcentage de gens âgés de plus de 55 ans est le plus élevé au Québec(28) Or, l'âge est un facteur important dans la participation des adultes aux activités éducatives.

Montréal ne fait pas exception à cette règle. Néanmoins, en termes de ressources éducatives, elle est nettement privilégiée comparativement au reste de la province. Elle possède, sur l'ensemble de son territoire (régions 06 nord, sud et centre), 4 universités à vocation générale et 6 établissements universitaires à vocation spécifique, 21 cégeps et 34 commissions scolaires offrant des services aux adultes.

De plus, environ 50% des institutions privées d'enseignement, ainsi que 50% des bibliothèques publiques du Québec, sont concentrées dans la région montréalaise. À ces bibliothèques, il faut ajouter celles des universités et des 21 cégeps de la région.

Il est évident que la presque totalité des universités sont situées dans l'ouest ou dans le centre de la ville de Montréal. Cependant, même si le transport peut être relativement long pour certains étudiants, il n'est nullement comparable à ce que doit effectuer un étudiant de Saint-Félicien, par exemple, pour se rendre à l'Université de Chicoutimi, ou l'étudiant de Maria, ou celui d'une des petites villes de la Basse Cote-Nord.

C'est pourquoi, nous pensons que si nous voulons développer le potentiel humain des Québécois et Québécoises dans l'ensemble de la province, si nous voulons développer la recherche et l'innovation et contribuer ainsi à l'augmentation de la productivité et la compétitivité de nos entreprises, et particulièrement celle des P.M.E., si nous voulons développer nos ressources régionales et préparer adéquatement notre main-d'oeuvre actuelle mais aussi future, si nous voulons une reprise en main des activités des régions par les régionaux, il faut réduire, entre et dans les régions (zones rurales/zones urbaines), les inégalités d'accès aux ressources éducatives (humaines, physiques et matérielles). Comme de nombreux intervenants nous l'ont signalé, il faut aussi développer et surtout améliorer l'éducation à distance puisque, dans de nombreuses localités, il ne serait guère rentable, compte tenu de la population à rejoindre, de multiplier les établissements d'enseignement ou les sous-centres.

Développer et améliorer l'éducation à distance : la ressource éducative qui se « moque des distances ».

Non seulement les cours par correspondance qui connaissent un certain succès dans les villes minières, mais aussi l'enseignement à distance, veulent répondre davantage aux besoins des adultes et aux réalités régionales. Ainsi, en ce qui concerne les services actuels de la Télé-université, certains soulignent que le système est trop centralisé et pas suffisamment adapté aux besoins de la région; d'autres suggèrent que les programmes intègrent davantage des expériences pratiques (stages, visites, rencontres...) et qu'il soit possible d'entretenir des contacts avec les éducateurs. Nous développerons ce point dans la partie subséquente qui traite des approches pédagogiques.

Etant donné que les problèmes d'information semblent généralisés et particulièrement cruciaux en région rurale et excentrique, il importe de mettre à contribution tous les moyens disponibles (radio, télévision, dépliants, journaux, etc..) pour rejoindre la population. Le centre régional que propose la Commission (sixième partie de ce rapport) devrait être un outil essentiel à cet égard, si l'on veut effectivement réduire les inégalités d'accès à l'éducation des adultes.

Il faut être conscient que les disparités régionales accentuent les inégalités d'accès. Les lacunes au niveau des ressources éducatives (éducateurs, locaux, équipements spécialisés, programmes), des ressources financières (transport, etc.), des services de soutien à la démarche éducative (accueil et référence, orientation), sont autant de difficultés auxquelles viennent s'ajouter l'isolement géographique. De plus, ces facteurs interviennent avec plus d'acuité lorsqu'on parle de l'accès à l'éducation des adultes des personnes âgées et des retraités, des personnes handicapées, des bénéficiaires de l'aide sociale et des chômeurs, de la population analphabète et sous-scolarisée. Ces dernières populations (personnes à faible revenu et peu scolarisées) sont encore plus démunies si elles habitent les régions excentriques, où elles auront encore moins de chances d'avoir accès aux services et aux programmes qui leur sont destinés.

Il faudra que la concertation provinciale inter-niveaux des institutions anglophones tienne compte des services éducatifs à offrir aux groupes minoritaires anglophones en régions éloignées.

C'est également dans ces régions que se concentrent les populations autochtones qui réclament des programmes adaptés à leur réalité culturelle, économique et sociale. Les groupes minoritaires, tels les anglophones de la péninsule gaspésienne, se sentent injustement traités et marginalisés. Ils dénoncent le peu de services mis à leur disposition et réclament une personne qui, à l'intérieur de chaque structure, serait le « répondant moral » pour le groupe anglophone(29), proposition que la Commission endosse car leur faible nombre ne justifie pas une structure parallèle complète. Le problème est encore plus aigu pour la population anglophone de la Basse Côte-Nord. Ainsi, le Protestant Régional School Board of Western Québec, dans son mémoire à la Commission, souhaite que l'ensemble des institutions anglophones de tous niveaux se concertent afin de mettre leurs ressources éducatives en commun et mieux répondre aux besoins éducatifs exprimés par les populations anglophones des régions éloignées.

En effet, réduire les inégalités qui frappent encore plus les populations cibles, que nous avons décrites dans le premier chapitre de cette partie, ne veut pas nécessairement dire multiplier les ressources éducatives actuellement disponibles, mais mieux les harmoniser et les coordonner.

Au cours des dernières années, nous l'avons signalé, de réels efforts ont été faits pour agir sur les disparités régionales. Ainsi, les régions de l'Outaouais et de l'Abitibi-Témiscamingue se sont dotées de services universitaires, et seule la Côte-Nord ne bénéficie pas de la présence complète d'une université, même si l'Université du Québec à Chicoutimi (U.Q.A.C.) dispense des services dans plusieurs villes de la région.

De plus, l'implantation de l'Université du Québec s'est souvent accompagnée de la création de centres de recherche dont certains se sont axés sur les particularités régionales, comme l'océanographie à Rimouski, le Centre de recherche sur les pâtes et papiers à Trois-Rivières, ou sur l'économie nordique à Chicoutimi. La participation des institutions d'enseignement, universités, cégeps et commissions scolaires à la recherche régionale et aux innovations technologiques ne peut que contribuer à l'essor des régions. De plus, la formation d'une main-d'oeuvre spécialisée peut stabiliser les mouvements migratoires propres à ces régions.

Réduire les inégalités d'accès à l'éducation des adultes, ce n'est pas nécessairement multiplier ces ressources. c'est en optimaliser l'utilisation.

Optimaliser les ressources nécessite une « dé bureaucratisation » de l'éducation des adultes, la prise de responsabilités par les adultes et groupes d'adultes dans les régions, l'adaptation des institutions d'enseignement aux réalités régionales, la complémentarité et la mise en commun des ressources d'un territoire et enfin l'implication de tous les intervenants: syndicats, groupes populaires, associations, coopératives, institutions scolaires, entreprises, etc. Déjà un mouvement en ce sens s'est fait sentir dans plusieurs régions; ce sont quelques-uns de ces « faits porteurs d'avenir » que nous allons évoquer dans la dernière partie de ce chapitre.

3.5.5 Quelques « faits porteurs d'avenir »

C'est uniquement à titre indicatif et suggestif, et sans viser à être exhaustif, que nous rappelons ici quelques-unes des expériences positives que la consultation et la tournée régionale de la Commission ont permis d'identifier.

Québec-Sud: le Comité local d'éducation des adultes (C.L.É.A.) de la région de l'amiante

Le Service de l'éducation des adultes de la Commission scolaire régionale de l'Amiante a créé des comités locaux d'éducation des adultes qui regroupent divers intervenants du milieu. Ils interviennent dans le champ de la formation sociale et culturelle et souhaiteraient le faire en formation reliée à l'emploi. Même si les fonctions du comité local d'éducation des adultes ne sont pas clairement définies, on peut dire qu'il s'occupe de promouvoir l'éducation des adultes (information, recrutement), de suggérer des améliorations sur le plan pédagogique et organisationnel (moyens de recruter des formateurs dans le milieu), et qu'il cherche particulièrement à se gagner la collaboration des organismes du milieu (caisses populaires, chambres de commerce, clubs de chasse & pêche, cégeps...)

De plus, depuis 1978, le Service de l'éducation des adultes a réalisé une expérience fort intéressante d'animation de comités de citoyens dans 31 paroisses de la région. Cette démarche éducative a eu pour résultat tangible la production par les participants de 31 petites monographies sur autant de paroisses touchées.

Lac-Témiscamingue : des comités locaux d'éducation populaire (C.L.E.P.) et un comité régional

La Commission scolaire du Lac-Témiscamingue couvre un immense territoire très faiblement peuplé: 25 paroisses pour 17 250 habitants. Depuis 1975, son Service à l'éducation des adultes s'inspire de trois axes de développement:

Le mécanisme du comité régional, composé des responsables des comités locaux et d'un représentant du Service de l'éducation des adultes, et les comités locaux (au moins cinq membres élus en assemblée générale par la population locale), ont impliqué la population à toutes les étapes du processus éducatif. Ceux-ci gèrent, avec la commission scolaire les dossiers de l'«éducation populaire » et de « l'alphabétisation ». La formule des « ateliers ouverts » permet aux organismes et regroupements non-scolaires d'organiser sur leur propre base des activités éducatives en bénéficiant de contrats de service de la part de la commission scolaire. Cette dernière expérimente actuellement, avec la collaboration du cégep et de l'université, la mise en place d'un centre régional unique d'accueil et de référence.

Côte-Nord: concertation et coordination

Un des mémoires présentés à la Commission, provenant de la région 09, brosse le tableau du « combat pour la survie » des pionniers en éducation des adultes sur la Côte- Nord. Il décrit une réalité géographique contraignante: une bande côtière de 1 280 kilomètres sous deux fuseaux horaires, un peu plus de 100 000 personnes dispersées dans plus de 40 unités, villes et villages... Constatant l'absence du contrôle de la région sur le développement de l'éducation des adultes, l'absence de planification et de coordination régionale, cinq organismes de la région (trois commissions scolaires et deux cégeps) ont décidé d'unir leurs forces. La table de concertation /collaboration sert, entre autres, à faire l'inventaire des ressources et à établir des communications plus organiques entre les intervenants. Bref, elle tente ainsi d'être mieux équipée pour répondre aux besoins de la région.

Sherbrooke: Fer de lance

Même type d'expérience à Sherbrooke, où l'Université de Sherbrooke, le Collège de Sherbrooke, le Collège Champlain (campus Lennoxville), l'Eastern Township Régional School Board et la Commission scolaire régionale de l'Estrie se regroupent autour d'une même table dans le but de faire « plus et mieux » ensemble en éducation des adultes.

L'Institut de recherche et de développement de l'amiante (I.R.D.A.) travaille en collaboration avec l'entreprise et le gouvernement, à Sherbrooke.

Sherbrooke: Le Centre d'entreprises

De plus l'Université de Sherbrooke créait en 1980 son Centre d'entreprises qui avait comme objectifs :

Une telle initiative ne peut que combler les pressants besoins que nous ont signalés des dirigeants de P.M.E. qui réclament une formation en gestion et une relève qui connaisse les réalités de la région et de la P.M.E. D'ailleurs plusieurs centres d'aide à la P.M.E. ont commencé à voir le jour. Mentionnons aussi qu'il existe des regroupements d'entreprises ou d'organismes de développement qui unissent leurs efforts pour se donner des services en commun et préparer des projets, en Estrie, dans l'Outaouais et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, par exemple.

Conclusion

II existe, nous venons de le voir, des disparités entre les régions du Québec et à l'intérieur même de celles-ci. En général, les adultes des centres urbains sont relativement plus favorisés en termes d'accès aux ressources éducatives que les adultes des régions rurales et/ou des régions éloignées.

Trop souvent, c'est le groupe de participants qui doit se déplacer vers les ressources éducatives et non l'inverse. Cependant, certaines initiatives ont permis, au cours des dernières années, d'expérimenter de nouveaux modèles d'accès physiques aux ressources. Sur la Côte-Nord, par exemple, avec un peu d'imagination, on a pu pallier un manque de bibliothèques par des bibliothèques itinérantes. Ce sont donc les livres qui se déplacent et non les éventuels lecteurs, ce qui facilite grandement l'accès aux ouvrages.

En se concertant et en libérant les ressources des régions, on pourrait certes répondre à un plus grand nombre d'adultes désireux de poursuivre des activités éducatives. En ce sens, la mise en disponibilité, par les institutions éducatives, de locaux, d'équipement et de ressources éducatives, au profit de groupes autonomes de formation, constituerait un premier pas susceptible d'accroître les possibilités éducatives en région. Notre consultation régionale nous a laissé entrevoir qu'il existe de nombreuses possibilités de coordination et de concertation en région et de multiples expériences déjà en cours, le tout demandant cependant à être fermement supporté, appuyé et encouragé par une volonté politique clairement exprimée.

Recommandations

La Commission recommande :

  1. Que,  dans  l'application de  la politique québécoise de l'éducation des adultes, l'on reconnaisse l'éducation des adultes comme un outil important du développement régional.
  2. Que le pouvoir d'orientation et de décision en matière d'éducation des adultes soit largement décentralisé et assumé sur une base régionale.
  3. En tenant compte des possibilités de l'enseignement à distance et en cohérence avec ce que la Commission dit au sujet de cette forme d'intervention,
    • que le principe voulant que la ressource éducative se déplace, plutôt que le groupe des participants, soit respecté dans toute la mesure du possible;
    • que les allocations de formation versées aux adultes dans les régions éloignées tiennent compte des coûts supplémentaires liés à leur situation (transport, hébergement, etc.);
    • que les modalités d'attribution de subventions aux organismes d'éducation des adultes tiennent compte des particularités des régions éloignées.
  4. Que la programmation des activités, les horaires et les méthodes pédagogiques soient adaptés pour répondre aux exigences de souplesse que requiert la situation des adultes dans les régions éloignées: cycle saisonnier de travail, horaire intensif requérant moins de déplacement, méthodes moins dépendantes du modèle professeur-classe, cours semi-assistés, programmes de lecture individuelle, etc.
  5. Que, dans la mesure du possible, les organismes d'éducation des adultes soient tenus de faire appel aux ressources humaines de la région.
  6. Que la concertation provinciale inter niveaux des institutions anglophones tienne compte des services éducatifs à offrir aux groupes minoritaires anglophones dans les régions éloignées.
  7. Que la formation à distance attache une importance particulière aux besoins éducatifs identifiés par les régions éloignées .
  8. Que l'on s'abstienne de prescrire des normes nationales établissant des ratios professeur/adultes et qu'on laisse aux régions le soin de se doter de normes reflétant leurs réalités.

Notes

  1. Michel Brault, « Développement régional », Office de planification et de développement du Québec, Direction générale de la planification, Effets économiques duralentissement de la croissance de la population au Québec, juin 1980, p. 137.
  2. Office de planification et de développement du Québec, Les orientations dudéveloppement de Montréal, Québec, 1979, p. 31.
  3. C.É.F.A.,  Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives, Québec 1981, Annexe 2, Livres 1 et 2.
  4. Gouvernement du Québec, Bâtir le Québec, Énoncé de politique économique, Synthèse, orientations et actions, Éditeur officiel du Québec, 1979, p. 38.
  5. Québec, Secrétariat à l'aménagement et à la décentralisation, fascicule 1.
  6. Conseil de l'Europe, Développement de l'éducation des adultes, Strasbourg,1980. p. 114.
  7. Rapport de la Commission d'étude sur les universités, l'université et la société, Éditeur officiel du Québec, 1979, p. 16.
  8. Michel Brault, op. cit., p. 134 à 136.
  9. Office de planification et de développement du Québec, La problématique de l'Est du Québec région 01, Collection: les schémas régionaux, 1978, p. 272.
  10. Rapport de la Commission d'étude sur les universités, L'université et la société,op. cit., p. 17.
  11. C.É.F.A., Rapport des journées régionales, région du Bas Saint-Laurent, p. 64.
  12. C.É.F.A., Rapport des journées régionales, Résumé des journées régionales, la Gaspésie, p. 11-58.
  13. Gaétan Hardy, Évaluation des coûts de fonctionnement des commissions scolaires,  1973-1974 et 1976-1977, Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, Service d'études et projets, mai 1979.
  14. Office de planification et de développement du Québec, La problématique de l'Est..., op, cit., p. 108.
  15. C.É.F.A., Rapport des journées régionales, Résumé des journées régionales,Bas-Saint-Laurent, p. 11-65.
  16. Idem.
  17. C.É.F.A., Sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives, Québec, 1981, Annexe 2, Partie 2, points 2.5.11 et 3.5.11.
  18. Pour de plus amples détails se référer à l'annexe II sur les adultes québécois etleurs activités éducatives, op. cit., Livre II.
  19. Nous rappelons au lecteur que la région (0,10) du Nouveau Québec ne faisaitpas partie de notre échantillon de sondage.
  20. Gaétan Hardy, Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, op. cit., p. 7 à 15.
  21. Annuaire du Québec, 1977-1978, Statistiques des bibliothèques publiques par régions administratives, Québec 1975, p. 620.
  22. Annuaire des bibliothèques d'enseignement du Québec, 1978, p. 25-28.
  23. Idem.
  24. C.É.F.A., Sondage sur les adultes et leurs activités éducatives, op. cit.. livre II, chapitre 1.
  25. Gaétan Hardy, Population adulte 76, interrégions. Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, août 1981, p. 36 et 50.
  26. Gouvernement du  Québec,  ministère des Consommateurs,  Coopératives et institutions financières. Répertoire des coopératives du Québec. 1980, p. 7-9.
  27. Office de planification et de développement du Québec, La problématique duSaguenay/Lac Saint-Jean,  région 02,  Collection:  les schémas régionaux,   1978,p. 36.
  28. Gaétan Hardy, Population..., op. cit., p. 36.
  29. cf. C.E.F. A., Rapport des journées régionales, région de la Gaspésie, p. 11-57.
  30. cf. Rapport d'activités du centre d'entreprises (1980-1981), Estrie, Université de Sherbrooke, Document interne, 22 juin 1981.