Apprendre : une action volontaire et responsable :

énoncé d'une politique globale de l'éducation des adultes

dans une perspective d'éducation permanente :

Partie 2

Partie 1, Partie 2, Partie 3, Partie 4, Partie 5, Partie 6, Appendices

Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA), 1982

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

Chapitre premier

2.1 La formation de base au Québec: un aperçu

2.1.1 La scolarisation

2.1.2 Les populations les plus durement affectées

2.1.3 Une problématique qui touche de près les adultes qui ne s'engagent pas dans des activités éducatives

2.1.4 Un problème en voie d'être résolu?

2.1.5 L'inflation des diplômes

2.1.6 Les conséquences d'une formation de base déficiente

Chapitre 2

2.2 Une problématique à approfondir

2.2.1 La contre-productivité du système d'enseignement

2.2.2 La formation de base au Québec, une histoire toujours vivante

2.2.2.1 ... aux origines pas si lointaines

2.2.2.2 Le Rapport Parent

2.2.3 L'évolution des exigences

2.2.4 Quelques interventions mises en place pour développer la formation de base

Chapitre 3

2.3 La formation de base: une question d'actualité

2.3.1 La formation de base est un droit

2.3.2 La formation de base: un vitrail qui prend sa couleur à la lumière des objectifs

2.3.3 La recherche et le perfectionnement continu des éducateurs: éléments d'actualisation de la formation de base

2.3.4 La formation de base, une clé qui peut ouvrirplusieurs portes

2.3.5 La formation de base: à quoi sert-elle?

2.3.6 La formation de base: qu'en est-il de l'alphabétisation?

2.3.7 La formation de base: un pas vers l'éducation permanente

Recommandations

Notes

Deuxième partie : La formation de base dans une perspective d'autoformation : un outil indispensable à l'actualisation du potentiel humain au Québec

Introduction

Le cadre scolaire ne peut plus être la seule voie de réponse aux besoins éducatifs grandissants de notre société. La vie sociale et culturelle se complexifie. Les innovations technologiques prolongent, non plus seulement les fonctions physiques des humains mais aussi, et de plus en plus, leurs fonctions intellectuelles. Le continuum rural-urbain s'estompe grâce au développement des communications et de la mécanisation dans le travail agricole. À l'urbanisme centralisateur succède la multiplication de centres urbains périphériques. La portion du temps non consacré au travail augmente. Les mass-media multiplient les informations et les divertissements. Les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les minorités ethniques, les autochtones, les personnes handicapées réclament une place équitable dans la société. Les moyens de transport individuel et collectif contribuent au développement de nouvelles industries, de nouveaux loisirs (ex. : tourisme) et de nouveaux rapports internationaux. Les grands problèmes de notre époque (écologie, énergie, alimentation, etc.) ont un « cadre de référence » qui tient de plus en plus à une problématique mondiale... Ces quelques tendances suffisent à rappeler la place importante et changeante des besoins éducatifs des adultes dans notre société.

Dans un tel univers, ainsi bouleversé et en perpétuelle évolution, un pluralisme culturel prend forme, de nouvelles inégalités apparaissent, de nouvelles valeurs et attitudes surgissent, se confrontant aux anciennes, et de nouveaux rapports se tissent entre le travail et les autres situations de vie (famille, loisir, spiritualité et politique). Dans un tel contexte, un nouveau processus éducatif permanent s'impose non seulement pour réduire les écarts mais aussi pour tirer profit du potentiel émancipateur engendré par autant de transformations. Les tendances énoncées ci-dessus n'incitent pas à concevoir l'éducation des adultes comme un simple outil d'adaptation à celles-ci, mais bien plus comme un outil d'appropriation, individuel et collectif. Pour ce faire, l'éducation des adultes doit être autre chose qu'un « business » à rentabiliser ou un bien de consommation, et répondre à d'autres objectifs que ceux de l'adaptation sociale, de la conformité culturelle ou de la stricte rentabilité économique. Conséquemment, la politique qui s'y rattache doit, entre autres, contester les monopoles du savoir et viser à un meilleur partage de celui-ci, au décloisonnement des formations en fonction des besoins et du vécu des adultes, à une information adéquate des adultes et à la libération des ressources éducatives.

Une telle orientation réclame bien plus qu'une simple extension du modèle scolaire conçu à l'intention des jeunes. Elle invite l'ensemble des institutions sociales à intégrer la fonction éducative, mais surtout, elle appelle une prise en charge par les adultes eux-mêmes de leur processus de formation. Cette prise en charge s'oppose aux conceptions technocratiques, bureaucratiques, autoritaristes et instrumentalistes de l'éducation des adultes, et doit s'actualiser, en interaction, avec les besoins de la société et les changements qui s'y opèrent. Car, elle prend assise sur la vie même.

Tels sont, dans leurs grandes lignes, les liens dialectiques qui unissent et fécondent la relation entre la formation de base des adultes et leur formation autonome. Si la formation de base a, comme pierre angulaire, le développement du potentiel humain, et, pour « cadre de référence », la démocratisation de l'éducation, la réduction des inégalités, l'accès pour le plus grand nombre d'adultes à l'éducation et une mise à jour constante des connaissances et des habiletés des adultes, la formation autonome, pour sa part, renvoie aux capacités d'autodétermination des individus et des groupes, à leur vécu, à leur expérience et culture propres. Cette relation féconde est constante, car on ne saurait imaginer une formation de base décidée « d'en haut » faisant fi du vécu, de l'expérience, de la culture et de l'autodétermination des individus ou groupes intéressés par une telle formation. De même, une formation autonome ne saurait se passer de moments ou de ressources permettant d'actualiser le potentiel humain. La formation de base n'est donc pas une sorte de « prérequis » à la formation autonome: les changements sociaux imposent une actualisation constante des connaissances, habiletés et attitudes de tous et chacun dans une perspective d'appropriation critique et globale. Cette actualisation peut donc permettre de faire progresser le développement de la conscience sociale.

Les citoyens (...) qui comptent moins de neuf ans de scolarité contribuent pour 40% aux dépenses publiques appliquées aux universités ; leurs enfants ne représentent toutefois que 23% des étudiants des universités.

Source: Gouvernement du Québec, ministère de l'Education, Le financement des établissements et des activités universitaires, guide de discussion pour l'atelier de travail du colloque « Vers une politique québécoise des universités », Québec, octobre 1981, p. 15, miméo.

C'est dans cet esprit que la Commission fait de la formation de base une véritable priorité politique, pour le Québec des années 80, qui doit rejoindre ceux et celles qui ont le moins bénéficié de la réforme scolaire des années 60, tout en l'ayant largement financée. Cette priorité fournit un terrain privilégié pour expérimenter le décloisonnement des formations et la concertation de toutes les ressources éducatives, dans et hors du système scolaire.

Chapitre premier

2.1 La formation de base au Québec: un aperçu

Suite aux efforts considérables consacrés au développement des ressources humaines et matérielles, au cours des années 60, qu'en est-il de la formation de base des adultes québécois? Un examen de la scolarisation des adultes fournit une première appréciation. Toutefois, la scolarisation ne saurait constituer à elle seule un indicateur concluant concernant la formation de base des adultes au Québec. L'expérience acquise, la formation autodidactique, l'évolution du système d'enseignement, le caractère presque exclusivement cognitif de la scolarité sont autant de mises en garde et de nuances à ne pas perdre de vue au moment d'utiliser cet instrument de mesure pour l'évaluation de la formation de base des Québécois et Québécoises. Dans le cadre de cette analyse, d'autres indices et méthodes seront aussi utilisés.

La neuvième année de scolarité est généralement considérée comme étant le minimum acceptable dans notre société. Par exemple c'est à partir de ce niveau de scolarité qu'un individu pourra le plus souvent se trouver un emploi, quoique la fin du secondaire (11 ans de scolarité) soit de plus en plus requise quel que soit le type d'emploi. C'est aussi à ce degré de scolarité qu'on renvoie fréquemment pour définir l'analphabétisme fonctionnel. Cela n'exclut pas qu'il y ait des adultes ayant moins de neuf ans de scolarité qui sont loin d'être analphabètes fonctionnels, alors que des adultes plus scolarisés peuvent l'être, faute d'avoir maintenu dans leur vie pratique le transfert des connaissances et apprentissages réalisés antérieurement.

2.1.1 La scolarisation

En ce qui concerne le degré de scolarisation de la population adulte au Québec, les statistiques disponibles (1) révèlent qu'en 1976, plus de la moitié (51%) des adultes québécois n'avaient pas atteint la fin du secondaire (11 ans de scolarité). De plus, toujours en 1976, un adulte sur trois au Québec avait moins de 9 ans de scolarité, alors que dans le reste du Canada, seulement 23% de la population adulte avait moins de 9 ans de scolarité. On peut observer qu'en 1980, 70% de la main-d'oeuvre du Québec a un niveau d'instruction égal ou inférieur au secondaire (2) .

2.1.2 Les populations les plus durement affectées

Néanmoins, ces statistiques, faisant état du degré de scolarisation de l'ensemble de la population adulte au Québec, ne rendent pas compte de toute la réalité. En effet, chez les personnes âgées de plus de 35 ans, près de 35% ont 9 ans et moins de scolarité, alors que cette proportion est d'environ 16% chez les adultes de moins de 35 ans (3) . Dans les régions périphériques, environ 44% des adultes ont moins de 9 ans de scolarité, alors que cette proportion baisse à près de 30% dans les grands centres urbains, et encore faut-il distinguer entre certains quartiers... (4) . Parmi les minorités ethniques du Québec, près de 41% des adultes n'ont pas complété leur neuvième année de scolarité. Enfin, plusieurs populations adultes telles que les autochtones, les personnes handicapées, les détenus et les francophones unilingues ont un déficit scolaire plus élevé que l'ensemble des adultes au Québec. Pour certaines de ces catégories, le Rapport Allmand rapportait les chiffres suivants: en 1976, à l'échelle canadienne, 50% des Indiens et des Inuit, 55% des francophones unilingues et 89% de ceux et celles qui ne parlent ni anglais ni français ont moins de 8 ans de scolarité (5) .

2.1.3 Une problématique qui touche de près les adultes qui ne s'engagent pas dans des activités éducatives

Entre septembre 1979 et septembre 1980, le sondage mené par la Commission auprès d'un échantillon des adultes du Québec permet d'estimer à 45% la proportion d'adultes au Québec qui ne font pas d'activités éducatives. Si on compare les adultes qui ne participent à aucune activité éducative à ceux qui le font, les premiers sont plus susceptibles d'être (le premier pourcentage correspond aux adultes qui ne participent à aucune activité éducative et le deuxième pourcentage à ceux qui le font)

Nous avons dit que les adultes qui ne participent à aucune activité éducative ont en moyenne neuf années de scolarité. Les principaux diplômes « terminaux » obtenus par ces adultes sont: un diplôme d'études secondaires (17%), un diplôme d'études primaires (12%) et un diplôme de secondaire court ou d'une école de métier (13%). La proportion d'adultes n'ayant reçu aucun diplôme, certificat ou attestation d'études s'élève à 36%. De plus, 34% de ces adultes ont abandonné leurs études pendant ou au terme d'une année scolaire pour divers motifs: aider leurs parents (30%), travailler (25%) ou par dégoût de l'école (14%).

Ainsi les caractéristiques scolaires et socio-économiques des adultes qui ne font pas d'activités éducatives semblent peser lourdement sur leurs motivations à entreprendre ou non des activités éducatives.

2.1.4 Un problème en voie d'être résolu?

Dans le Rapport au Caucus des 27-28 août 1981 du comité sur la situation budgétaire, Août 1981, les 11 députés québécois signataires signalaient un texte appelé Document Bérubé dans lequel on prétend que le rattrapage (en éducation) est assuré.

On pourrait penser, de prime abord, que ces situations ne sont que des séquelles dont notre système d'enseignement viendra à bout, avec la montée des nouvelles générations. Pourtant, au moins 40% des étudiants quittent le secondaire sans le diplôme d'études secondaires (D.E.S.) (6) et 67% des jeunes ne poursuivent pas leur scolarité au-delà du secondaire (7) . De plus, les études effectuées sur le cheminement scolaire montrent que la classe sociale d'origine des élèves combinée aux résultats scolaires et à la qualité de la formation de ceux-ci, interviennent nettement dans l'abandon des études (8) . À ces problèmes des jeunes provenant du système d'enseignement dit « régulier » s'ajoutent ceux de l'absentéisme, du « décrochage », du vandalisme, de la prolifération des diverses formes d'inadaptation, des échecs de rendement et de la méconnaissance du monde réel (9) . On parle aussi d'analphabétisme pour ces jeunes et du nombre important d'entre eux qui ne sont pas outillés pour comprendre les rouages de la société et y assumer leurs rôles.

2.1.5 L'inflation des diplômes

Ces tendances, qui sont déjà inquiétantes en elles-mêmes, sont renforcées par un phénomène relativement nouveau appelé « l'inflation des diplômes » (10). En effet, là où une neuvième ou une onzième année donnait accès à tel ou tel emploi sur le marché du travail, on assiste depuis quelques années à une hausse des exigences de scolarité reliées à l'emploi ayant pour effet d'annuler, pour ainsi dire, une partie des gains de scolarité. Il n'est pas étonnant, dans un tel contexte, d'assister à une véritable course aux diplômes et aux crédits de la part d'individus désireux d'obtenir un emploi dont le seuil d'accès, en termes de scolarité, s'élève constamment. Ce phénomène d'inflation des diplômes qui, dans certains cas, crée du chômage, fait penser à un escalier roulant sans fin où tout le monde « monte », tout en restant à la même place (11) , seule une minorité parvenant à son but. Dans une telle situation, un abandon scolaire au niveau secondaire et même collégial a des conséquences qu'il n'avait pas, il y a quelques années, surtout quand ce phénomène se conjugue à celui de l'arrivée des jeunes du « bébé boom » sur les marchés de travail.

2.1.6 Les conséquences d'une formation de base déficiente

Le manque de formation de base est un sérieux handicap dans notre société, car il peut priver de certains renseignements indispensables dans des domaines tels que l'emploi, la citoyenneté et les droits, la santé et la sécurité, la consommation et les affaires communautaires, et les moyens de poursuivre son éducation. Ceux qui manquent de formation de base sont souvent incapables de se livrer aux activités suivantes:

Cf. : Gouvernement de l'Ontario, ministère de l'Éducation, L'éducation permanente : le troisième système, 1980, p. 40.


On sait que le « qui s'instruit s'enrichit » des années 60 a de moins en moins de prise sur la réalité. Par contre, on sait aussi que ceux et celles qui ne s'instruisent pas, s'appauvrissent. Ainsi, on constate que les plus scolarisés sont proportionnellement moins victimes du chômage que les moins scolarisés (12) . Par ailleurs, le niveau de scolarité légitime l'accès à l'exercice de la majorité des emplois et la formation scolaire générale favorise la mobilité professionnelle ascendante (13) en cours de carrière. Enfin, les phénomènes de dépendance et de marginalité sociales liés à l'analphabétisme ne sont pas négligeables dans le bilan des principales conséquences du déficit scolaire au Québec, en 1981.

Ces réalités ont aussi été reconnues par les membres du Groupe de travail parlementaire du gouvernement fédéral sur les perspectives d'emploi pour les années 80 (14) . Le Groupe de travail fait état de liens qui existent entre, d'une part, la sous-scolarisation et, d'autre part, le chômage, les emplois peu rémunérateurs, le racisme et la criminalité. Autant de problèmes qui viennent alourdir les coûts sociaux. De même, ce Groupe souligne avec insistance qu'il est presque impossible d'employer les adultes sous-scolarisés, étant donné que les techniques évoluent rapidement et que les procédés industriels se font de plus en plus complexes. Cela affecte, tout particulièrement, les jeunes sous-scolarisés qui voient diminuer leurs chances de se trouver un premier emploi et les travailleurs dont les emplois sont éliminés. Le Groupe de travail rappelle, enfin, que les recherches ont amplement démontré que le recyclage est plus rapide, plus efficace, et plus satisfaisant sur le plan personnel, pour les adultes qui n'ont pas cessé d'exercer leurs facultés d'apprentissage.

Chapitre 2

2.2 Une problématique à approfondir

Néanmoins, ces quelques données essentiellement centrées sur la scolarité ne rendent compte que d'une partie de la problématique entourant la formation de base dans notre société. Pour une bonne part cette problématique repose sur la critique du système d'éducation formelle (15) , l'évolution des exigences sur les marchés de travail et la configuration historique et socio-économique particulière du Québec. Il convient de faire la genèse d'une telle situation et d'identifier les différentes interventions mises en place pour remédier à cet état de fait.

2.2.1 La contre-productivité du système d'enseignement

Avec l'évolution des exigences reliées aux marchés de travail, l'un des facteurs importants qui expliquerait la persistance du problème de la formation de base dans nos sociétés est ce que l'on appelle la « contre-productivité » du système d'enseignement.

La plupart des sociétés occidentales ont, au cours des années 60, entrepris de coûteuses et importantes réformes scolaires. Ces réformes visaient l'accès à l'éducation, l'égalité des chances et la démocratisation de l'enseignement. Le Québec n'a pas été à l'écart de cette tendance générale et a, lui aussi, entrepris une importante réforme scolaire. Nous y reviendrons.

Les années 70 ont donné l'occasion de faire les premiers bilans de ces réformes scolaires. L'on y a démontré que, bien qu'il y ait eu une « massification » de l'enseignement, l'égalité des chances et la démocratisation de l'enseignement restaient des objectifs encore très lointains. Dès lors, on a parlé de « qualité de l'enseignement », de « renouveau pédagogique » définissant, à la baisse, les objectifs du système d'enseignement: l'égalité des chances devenait l'égalité d'accès. Le Québec aussi fit ses bilans, ce qui devait donner lieu, entre autre, au Livre Orange du ministère de l'Éducation, L'école québécoise, énoncé de politique et plan d'action, en 1979, pour les niveaux primaire et secondaire de l'enseignement public.

Les adolescents américains sont de plus en plus nombreux à avoir de la difficulté à lire et cela, parce qu'ils ne savent pas comment étudier, regardent trop la télévision et parce que les méthodes d'enseignement ne sont pas appropriées. C'est ce qui ressort d'une enquête menée par le « National Institute of Education » du Département américain de l'éducation, auprès de 109,000 élèves.

Source: La Presse, 18 novembre 1981.

Plusieurs auteurs (16) , se situant dans la problématique de l'éducation permanente, allèrent encore plus loin que ces bilans officiels: il fallait aussi identifier les principales faiblesses des systèmes d'éducation formelle existants. Rappelons-les:

Là encore, le système d'enseignement d'ici n'échappe pas à ces critiques. Ce bref survol mérite que l'on examine de plus près, et dans une perspective historique, la situation de la formation de base au Québec.

2.2.2 La formation de base au Québec, une histoire toujours vivante

Pour que l'éducation puisse être un véritable outil d'appropriation des changements démographiques, sociaux, technologiques, économiques et politiques qui bouleversent notre société, cela présuppose un solide « arrimage » entre l'éducation des jeunes et l'éducation des adultes, voire même une remise en question de la continuité linéaire dans laquelle on tente de les enfermer l'une par rapport à l'autre. De même, cette appropriation des changements doit tenir compte de tous ceux et celles, adultes ou futurs adultes, qui ne sont pas outillés pour participer à ces changements. Passer à côté de ces questions fondamentales ferait en sorte que le processus d'appropriation et d'autodétermination des adultes à l'égard des changements serait plutôt le fait de quelques-uns.

L'éducation des adultes au Québec, comme dans plusieurs pays d'ailleurs, s'est d'abord vu attribuer des fonctions curatives: alphabétisation, « extension » universitaire, mise à jour professionnelle, etc.. Bien qu'aujourd'hui son rôle ne soit plus conçu comme tel, il n'en demeure pas moins que l'éducation des adultes loge encore, en grande partie, à l'enseigne des palliatifs aux faiblesses du système d'éducation, aux déqualifications professionnelles et à l'adaptation aux changements de la vie sociale et culturelle en général. Les formations visant la reprise de confiance en soi, la réassurance personnelle, la récupération de connaissances et d'habiletés, le rattrapage et la mobilité occupent majoritairement les champs de pratiques de l'éducation des adultes. Aussi, la formation axée sur le développement du potentiel humain, vu sous l'angle d'un enrichissement culturel et de l'autonomie personnelle et communautaire, reste-t-elle, pour l'instant, le lot d'une infime fraction de la population québécoise.

L'instruction obligatoire fut introduite:

2.2.2.1 ... aux origines pas si lointaines

Avant même d'aborder la réforme scolaire des années 60, il convient de rappeler, comme nous l'avons signalé dans la partie précédente, que les élites cléricales et politiques québécoises ont longtemps repoussé l'idée d'instruction obligatoire et le développement d'un système d'enseignement public. Cette situation s'est d'ailleurs conjuguée avec certaines caractéristiques de l'économie québécoise, agricole, faiblement industrialisée et orientée vers l'exploitation des matières premières. Ces retards économiques et scolaires ont contribué au fait que le phénomène de l'analphabétisme chez les adultes de 40 ans et plus est plus élevé au Québec que dans les autres provinces canadiennes.

Cette situation singulière des adultes québécois au milieu des années 60 n'est pas passée inaperçue. Plusieurs programmes de développement, ayant, entre autres, pour objectif le rattrapage scolaire ou l'accès à la formation de ces populations adultes, furent mis en place, témoignant par là d'une prise de conscience de l'ampleur du problème par les intervenants et décideurs de l'époque.

2.2.2.2 Le Rapport Parent

Les auteurs du Rapport Parent, dans leur chapitre consacré à l'éducation permanente (17), constataient déjà que notre époque était caractérisée par l'explosion des connaissances, la mobilité professionnelle, l'importance du loisir et par l'évolution de la vie démocratique, économique et sociale. Cette nouvelle réalité faisait conclure aux auteurs qu'il fallait, pour vivre dans un monde en si rapide évolution, un bagage de connaissances plus considérable et une formation plus solide qu'autrefois. Pour ce faire, les cadres traditionnels de l'école devaient éclater: L'instruction et la formation de l'homme ne peuvent plus se parfaire à l'intérieur de deux ou trois niveaux d'enseignement. Il faut en arriver au concept de l'éducation permanente. (18)

Dans ce contexte, l'école se voyait confier le rôle de dispenser une formation de base (19) dans une perspective d'éducation permanente. « Désormais » l'éducation permanente devenait « une suite normale et nécessaire de la scolarité traditionnelle » dont le rôle était défini de la façon suivante: Ce sera le rôle de l'éducation permanente de compléter l'information du citoyen et de le réadapter sans cesse aux nouvelles conditions de l'organisationsociale. (20)

Ce rôle de l'éducation permanente n'était pas vu en soi, mais relié au développement des ressources humaines du Québec. Déjà, on avançait que le potentiel humain est la première des richesses naturelles et il faut le développer au maximum, soigner la formation de la jeunesse et parfaire celle de la population adulte (21)

Le Rapport Parent retenait donc une conception résolument moderne de l'éducation axée sur la polyvalence. On pouvait lire, dans ce rapport, que la conception moderne de l'éducation vise à préparer chaque individu à gagner sa vie par un travail utile et à assumer intelligemment ses responsabilités sociales. C'est là un droit et de l'individu et de la collectivité. Il ne suffit plus d'apprendre à l'enfant à lire, à écrire et à compter. Les tâches complexes et changeantes de l'industrie et des services réclamant qu'on assure à tous les enfants une éducation qui les prépare à entrer dans le monde du travail. Cette formation doit être assez polyvalente pour permettre une adaptation rapide aux changements technologiques. (22)

Ce concept de polyvalence, retenu par les auteurs du Rapport Parent, devait trouver dans l'école polyvalente le moyen de sa réalisation.

Ayant établi que l'adaptabilité de chaque travailleur, dans un monde où la technologie est en rapide évolution, exige une meilleure formation de base, les auteurs établissaient l'adéquation suivante entre spécialisation et formation de base: La spécialisation véritable s'appuie sur la formation générale, et celle-ci enrichit celle-là. (23)

Autrement dit, l'accès à une formation professionnelle de haut niveau était conditionné par un niveau élevé de formation de base. Cependant, le discriminant retenu par le Rapport Parent pour favoriser l'accès ou non d'un élève à une formation de base de haut calibre était la notion d'aptitudes: On évitera ainsi à ceux qui n'ont pas les aptitudes nécessaires pour y réussir de s'aventurer dans des études supérieures coûteuses pour eux et pour la société ; ils trouveront sur place le cours technique ou professionnel qui leur convient et se prépareront sans retard à gagner leur vie. Par contre on peut espérer qu'un plus grand nombre d'étudiants qui y sont aptes poursuivront les études préparatoires à l'université: dégagés des barrières qu'imposent trop souvent les enseignements parallèles sous des directions autonomes, les étudiants de milieu modeste, comme ceux dont l'éveil intellectuel a été tardif, trouveront après leur cours secondaire une voie d'accès naturelle aux études universitaires. (24)

En cela le Rapport Parent reprenait à son compte le discriminant basé sur le quotient intellectuel proposé quelques années auparavant dans le Rapport du Comité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel (Rapport Tremblay, 1962):

Or, les quotients intellectuels, comme d'ailleurs beaucoup d'autres traits physiques ou mentaux observés parmi des groupes considérables de sujets, ont cette particularité fondamentale qu'ils se répartissent selon une courbe de fréquence qui a toutes les propriétés mathématiques de la courbe des probabilités (nous soulignons). L'unede ces propriétés est que l'on peut déterminer la proportion de sujets qui atteignent ou dépassent tel quotient intellectuel donné. Ce sont ces proportions qui représentent pour nous l'estimation la plus plausible de la clientèle des divers niveaux de formation professionnelle que nous avons distingués. En effet, nous avons défini cette clientèle en fonction des niveaux de la formation générale prérequise à l'admission à chacun des niveaux de formation professionnelle qui apparaissent dans la structure proposée. Cette façon de définir la clientèle de l'enseignement professionnel, valable à l'échelle d'un système scolaire, équivaut à dire que les aptitudes académiques requises pour atteindre les niveaux de formation générale correspondant à chacun des niveaux de la formation professionnelle, constitue en même temps le critère pratique de l'évaluation des aptitudes propres à ces niveaux de formation professionnelle, dans le cadre des liaisons que nous avons établies entre la formation professionnelle et la formation générale préalable. (25)

Or, des études récentes (26) ont démontré que les tests d'aptitudes, notamment ceux mesurant le quotient intellectuel, mesurent en fait la réussite scolaire. On ne peut donc pas prétendre, à partir d'un tel raisonnement circulaire, que le quotient intellectuel ou les aptitudes cognitives en général soient la cause d'une bonne ou mauvaise performance scolaire. Les diverses études portant sur la réussite scolaire ont maintes fois démontré que les origines sociales, la situation économique, la motivation et les intérêts des individus influencent davantage la réussite scolaire que les aptitudes cognitives de ceux-ci.

Les études actuelles ne nous permettent pas d'évaluer l'impact qu'a eu cette politique sur les jeunes qui maintenant utilisent les services d'éducation des adultes. Cependant, à partir d'expériences actuelles d'individualisation dans les commissions scolaires, plusieurs jeunes adultes qui reviennent, après avoir été considérés comme des enfants à aptitudes scolaires réduites, à l'enseignement initial, réussissent très bien, lorsque les approches sont mieux encadrées et plus souples, et que leurs motivations sont fortes et que le milieu de formation leur redonne la confiance en eux qu'ils avaient perdue. Cette procédure était et reste discriminatoire du point de vue de l'accès à une véritable formation de base. A-t-elle contribué, d'une certaine façon, à maintenir l'éducation des adultes dans une fonction compensatoire?

Le Rapport Parent s'inscrivait donc dans un courant théorique spécifique. D'une part, le Rapport se réclamait formellement d'une idéologie égalita-riste, voulant rompre avec l'élitisme de la formation des humanités classiques,   mais  cette  idéologie  égalitariste  restait  largement tributaire  d'un modèle dominant fondé sur l'humanisme et l'adaptation aux changements, notamment technologiques. D'autre part, le Rapport Parent a fortement été marqué par le développement de la psychométrie. Durant la seconde guerre mondiale, les États-Unis ont beaucoup investi dans la recherche psychométrique; par la suite, ces recherches ont été utilisées par l'école et l'entreprise. Pas un seul enfant, au Québec, durant les années 60, n'a échappé à ces divers tests mesurant tantôt « l'intelligence », tantôt l'habileté technique ou encore tentant de préciser l'orientation professionnelle à poursuivre. En réaction à cette approche, sont apparus par la suite des services de « guidance » (orientation, services pédagogiques, etc.) plus individualisés et personnalisés.

Le Rapport Parent, qui se réclamait d'une idéologie égalitariste, ne put contribuer à mettre en place les moyens qui auraient pu réduire l'inégalité des chances face à l'éducation, ou, à tout le moins, éviter que l'école accentue ce problème. Cela tient, entre autres, au fait que le rapport s'est enfermé dans la méconnaissance des obstacles sociaux et des réalités sociales qui sous-tendent les divers types d'inégalités.

Dans le dossier de Québec-Science de septembre 1981, intitulé: « Robots. Les ouvriers de demain? », on fait état de deux rapports politiques qui réclament une intervention urgente face à l'envahissement imminent de la robotique dans l'industrie canadienne (en 1990, on estime que le marché de la robotique sera de 4 milliards aux États-Unis). Monsieur George Robertson, président de la Société de consultants Robertson, Nickerlson Itée, d'Ottawa, déclarait que: Sans les robots, tous nos avantages compétitifs par rapport aux autres nations industrialisées vont être perdus et notre avenir économique me paraît dramatique.

Que fait le Canada devant une telle situation ? Peu de choses répond le dossier.

2.2.3 L'évolution des exigences

Nonobstant les orientations proposées par le Rapport Parent (ex. : classification des jeunes en allégés, professionnel court, général, etc., rigidité des cadres de l'école, rattachement ambigu de l'éducation permanente à la scolarité traditionnelle), il n'est pas certain que, de façon générale, le problème de la formation de base eut été surmonté. En effet, il n'y a pas que les inégalités et la contre-productivité du système scolaire qui ont contribué à la situation que connaît actuellement la formation de base au Québec. Ainsi, l'évolution constante des exigences reliées à un emploi, à un métier, à une profession et aux différents marchés de travail en général a grandement contribué à l'obsolescence ou à l'inadéquation des apprentissages de base. Les tentatives gouvernementales, sectorielles ou privées pour tenter de prévoir ou seulement adapter les programmes d'enseignement à l'évolution des exigences de l'emploi n'ont pas donné, jusqu'à présent, de résultats probants (27) . À ce chapitre, d'ailleurs, le Québec n'a toujours pas sa politique de main-d'oeuvre et une stratégie de développement industriel. Et quand cela serait, on ne saurait escompter des succès miraculeux. En effet, le caractère difficilement prévisible ou trop ponctuel de ces nouvelles exigences ; les délais pour y faire face ; des structures scolaires non préparées à répondre à ces évolutions; les difficultés de traduire l'essentiel de ces évolutions dans des programmes d'enseignement; l'impossibilité de soumettre l'école aux stricts impératifs des marchés de travail; voilà autant de facteurs qui jouent sur l'adéquation entre la formation de base et la formation reliée à l'emploi qui s'est, plus souvent qu'autrement, résumée à une simple adaptation à la tâche ou à un processus de déqualification-requalification dont plusieurs catégories de travailleurs et de travailleuses faisaient les frais.

L'évolution des exigences, est un facteur tout aussi, sinon plus important que la contre-productivité du système d'enseignement en ce qui a trait à la persistance d'un problème de formation de base au Québec. Cela, même si la formation reliée à l'emploi dispensée par les entreprises est parfois plus englobante que la stricte formation de base. À l'opposé, il ne faudrait pas oublier les entreprises qui donnent une formation à rabais ou celles qui déclarent n'avoir « aucun besoin de formation ». Ces situations que l'on retrouve dans les secteurs de sous-traitance, d'emplois peu qualifiés et de travail au noir contribuent à maintenir une main-d'oeuvre sans qualifications et vulnérable face à toutes formes de changement.

2.2.4 Quelques interventions mises en place pour développer la formation de base

Les interventions sociales concernant la formation de base durant les années 60 à 70 ont été fortement marquées par le courant de l'animation sociale (28) . C'est l'époque de Tévec, où par le canal de l'animation sociale on tenta de rescolariser la population d'un territoire. C'est aussi l'époque des premières opérations de la nouvelle Direction générale de l'éducation permanente (D.G.E.P.), du ministère de l'Education du Québec.

Ainsi, l'Opération Départ dans les régions était basée sur une problématique de rattrapage de la scolarité du Québec par rapport à celle de l'Ontario. Parmi les contributions de ces premières expériences, notons: l'identification de groupes prioritaires, la volonté d'articuler la politique de rattrapage scolaire à d'autres politiques sociales et économiques, l'élargissement et l'enrichissement du concept de formation et parfois même la mobilisation des populations concernées.

Du coté des média, on a tenté, à travers des expériences telles que Tévec et Multi-media de mettre au service des populations adultes le potentiel éducatif des média, conjugué à d'autres moyens terrains, renouant avec la tradition de Radio-Collège et du Réveil rural (émission radiophonique de Radio-Canada destinée aux agriculteurs). Bien que la problématique, les objectifs et le champ d'intervention de ces projets n'aient pas toujours été clairement définis tant pour les artisans que pour les adultes, il n'en demeure pas moins qu'ils constituent une somme considérable d'acquis et d'expériences dont les aspects positifs n'ont malheureusement pas toujours été réinvestis par la suite.

Dans le milieu scolaire, il revient à la C.E.C.M., en cela suivie par de nombreuses autres commissions scolaires, d'avoir instauré les premiers programmes d'alphabétisation. La création de services éducatifs d'aide personnelle et d'animation communautaire (S.E.A.P.A.C), la création de programmes par objectifs (P.P.O.) rendent compte de diverses expériences et innovations mises en oeuvre afin de favoriser et rendre accessibles les apprentissages de base aux adultes. Au niveau collégial, la création de services à la collectivité dans certains cégeps, la signature de protocoles d'entente entre les institutions et les groupes du milieu, et les programmes de formation sur mesure ont très certainement contribué à favoriser l'accès de populations adultes à la formation et, conséquemment, à l'actualisation de leurs connaissances, habiletés et attitudes. Dans le même ordre d'idées, il faut aussi souligner l'ouverture des universités, depuis quelques années, aux organismes de la vie associative par des protocoles d'entente.

Les organismes communautaires, populaires, syndicaux, bénévoles et les « groupes spontanés » ont, eux aussi, contribué à l'actualisation de la formation de base de diverses populations adultes, généralement peu servies par le système d'enseignement public. En tant que lieux de reprise de confiance, de prise de conscience, de participation démocratique et d'innovations pédagogiques, ces organismes se sont avérés, à certains égards, les agents d'une prise en charge, active et critique, par les adultes et groupes d'adultes, des transformations sociales, culturelles, politiques et économiques actuelles. Que ce soit au moyen d'un colloque sur la pédagogie pour des parents de garderie, d'interventions auprès de femmes analphabètes immigrantes ou de cours de prise en charge, par les travailleurs, de leur santé et sécurité au travail, les formes et les champs d'intervention se sont multipliés, et on a su rester à l'écoute des aspirations et besoins des adultes intéressés. Le rôle de ces organismes, en ce qui a trait à la formation de base des adultes, ne peut être ignoré.

Plusieurs intervenants et programmes doivent aussi être mentionnés, à cause des dimensions spécifiques de la formation de base sur lesquels ils se sont concentrés. Que ce soit en matière d'éducation scientifique, économique, politique et historique; comme consommateurs, parents ou citoyens; dans le domaine de la santé, de la spiritualité et du développement personnel; on retrouve là de nombreux intervenants et de nombreux programmes publics, privés et communautaires qui sont offerts aux populations adultes.

Il s'est fait beaucoup, certes. Mais à elles seules, ni même réunies, ces expériences novatrices, qui ont eu un rayonnement limité, n'ont pas vaincu, par exemple, l'analphabétisme. Tout positif qu'ait été leur apport à la formation de base de certains groupes d'adultes, elles n'ont pas pu pénétrer les milieux récalcitrants ni transformer de façon sensible la situation des sous-scolarisés. Bref, ce portrait positif ne dégage pas une véritable politique de la formation de base des adultes du Québec pour les années à venir mais fait plutôt état des explorations et des expériences pouvant y conduire.

L'objectif d'outiller les adultes pour qu'ils puissent pleinement participer, et ce, de façon critique aux changements dans une perspective de développement social, économique et culturel, mérite que l'on s'arrête à certaines questions: de quelle formation de base s'agit-il ? Quels aspects de celle-ci faut-il privilégier? À quoi doit-elle servir? À quelles catégories d'adultes doit-elle tout d'abord s'adresser? Qui devrait la dispenser? Comment est-elle appelée à évoluer dans les prochaines années? Quel lien doit-il exister entre elle et d'autres volets de la formation? Entre elle et d'autres politiques sociales et économiques? Ce sont là quelques questions que nous allons maintenant examiner de plus près.

Chapitre 3

2.3 La formation de base: une question d'actualité

Le Adult Basic Education Review Committee Interim Report du Saskatchewan Continuing Education (1980), propose la définition suivante de la formation de base :

Adult basic éducation is the provision of learning opportunities designed to develop the social, academic and/or prevocational skills of adults with the objective of melting one or more of the following goals: I) To increase éducation for purposes of self-improvement. 2) To acquire the académie prequisites to enter technical, vocational, trade or other post-secondary training programs. 3) To prepare for employment. 4) To develop living and social skills.

« Formation générale de base », « formation initiale », « formation générale », « basic éducation », « alphabétisation fonctionnelle », autant de termes qui renvoient plus ou moins aux mêmes réalités. La formation de base est élastique et, comme du temps qu'il fait, tout le monde en parle, à sa manière.

Ainsi, il arrive qu'on centre davantage la formation de base des adultes sur l'apprentissage de rôles sociaux: rôle de consommateur, rôle d'acteur social, rôle de parent, rôle de citoyen, rôle d'utilisateur des mass-media (29) . Parfois, on privilégie ou singularise certains apprentissages reliés à la formation de base tels que l'accès au savoir scientifique (30) , la formation sociale (31) , les habiletés génériques (32) , l'apprentissage innovateur (33) , l'informatique (34) , la lisibilité (35) , l'alphabétisation (36) , etc.. À l'opposé, on retrouve des approches plus globales, tantôt fondées sur la psychologie des capacités et de motivations cognitives de l'adulte en fonction de ses différents rôles et aux différentes étapes de son existence (37) , tantôt sur l'épanouissement des potentialités humaines jamais achevées (38) , ou encore, sur la remise en question de la division actuelle, rigide et presque étanche entre éducation, travail, loisirs, par un retour à un mélange plus homogène de ces différentes activités aux diverses périodes de la vie (39) . Pour certains, la formation de base renvoie au « stock » élémentaire de connaissances et d'habiletés requises pour repérer aisément les sources d'information, accéder à des contenus techniques, etc. Enfin, récemment est apparu un modèle inspiré des situations de transfert (où une connaissance, une habileté acquises en génère, en facilite, en déclenche d'autres), dans le cadre d'un processus de formation fondé non plus sur l'enseignement, mais sur l'apprentissage (learning) (40).

Le ministère de l'Éducation de la Colombie Britannique dans un texte intitulé A Ministerial Policy on the Provision of Continuing Education in the Public Educational System of British Colombia, (mars 1980), retient la définition suivante: In general, adult basic éducation programs comprise activities through which participants acquire the basic skills in learning, reading, writing, spelling, listening, speaking, computation, and cultural compréhension which are required by adults to junction in a complex society. Effective approaches also emphasize additional skills and abilities which adults require in their everyday rôles as citizens, workers, parents, and learners.

Parmi les thèmes qui ont marqué la problématique de la formation de base, il en est un particulièrement important qui a donné, et donne encore, beaucoup de fil à retordre aux chercheurs dans le domaine de l'éducation. Il s'agit des rapports entre la formation de base et les apprentissages spécialisés. Ces rapports ont été construits ou proposés selon trois modèles (41) . Un premier modèle consacre l'antériorité et la supériorité de la formation générale par rapport aux apprentissages spécialisés. On a vu que ce modèle vient du Rapport Parent et a fortement marqué l'accès à des niveaux élevés de formation professionnelle. C'est le cas, entre autre, de la formation générale offerte aux adultes dans le cadre du P.F.M.C. et qui vise à les préparer à la formation professionnelle. Un autre modèle assimile l'approfondissement de l'apprentissage ou l'exercice d'un métier à une composante de la formation générale. Ce modèle, on le rencontre de façon développée dans les pays d'Europe de l'Est (42) et chez certains auteurs tels que Bertrand Schwartz (43) . Finalement, un dernier modèle souligne la complémentarité et l'alternance des fonctions remplies par la formation générale et les apprentissages spécialisés dans l'ensemble du processus éducatif. C'est à ce modèle que s'applique la notion d'éducation récurrente (44)

La Commission définit comme suit la formation de base: formation permettant l'acquisition des outils fondamentaux nécessaires aux adultes pour l'exercice de leurs divers rôles sociaux et pour la poursuite d'études ultérieures (cf. : recommandation sur les objectifs de la formation de base).

2.3.1 La formation de base est un droit

Nous considérons que les apprentissages de base constituent un minimum vital pour qu'un individu ou un groupe puisse être outillé, et puisse développer son potentiel dans le but de s'approprier les changements sociaux, économiques et culturels actuels. Ces adultes ou groupes d'adultes sont donc en droit de s'attendre à ce que la société leur fournisse les conditions physiques et morales qui leur permettront de faire ces apprentissages et d'être, à leur tour, dans la communauté, des individus responsables et non des êtres dépendants ou marginaux.

Le droit à une formation de base est le droit que chaque individu possède, quel que soit son âge ou sa condition matérielle, de pouvoir faire les apprentissages préalables à une actualisation, autonome et critique, de son potentiel dans toutes les sphères de l'activité humaine.

Ce droit, dans les faits, peut correspondre à l'équivalent de la fin des études secondaires. En disant cela, nous ne croyons pas que plus de 50% de la population adulte doive retourner sur les bancs de l'école. L'exercice de ce droit doit s'accompagner de mesures spécifiques telles que la reconnaissance des acquis d'expérience des adultes et un cheminement éducatif fondé sur un mode d'évaluation cumulatif, qui permet à l'adulte seul ou en groupe de savoir où il en est rendu dans sa formation à la lumière des objectifs poursuivis dans ou hors du système scolaire. Ainsi la formation n'a plus à être évaluée de façon traditionnelle (ex. : la notation) mais en relation avec la personne. Cela suppose, évidemment, un système modifié de certification et de reconnaissance et l'acceptation de contenus autres que disciplinaires.

De plus, l'exercice de ce droit doit tenir compte du milieu des populations à rejoindre et s'appuyer sur les organismes que ces populations se sont données. Ainsi, un groupe d'analphabètes ne recevra pas nécessairement sa formation dans une école; il se peut que le lieu de travail ou le quartier soient plus indiqués pour de tels apprentissages. De même, l'intervention auprès d'analphabètes néo-québécois peut très bien être faite par des formateurs ou des groupes de la même communauté ethnique. Des femmes désireuses de retourner sur le marché du travail pourraient, en groupe, définir leurs objectifs éducatifs et obtenir les ressources les plus pertinentes à la réalisation de leurs projets. De telles démarches, s'inspirant de la formation sur mesure ou la formation liée à l'action, peuvent s'appuyer sur des services d'accueil et référence, de support à l'action communautaire, ou des services à la collectivité.

L'existence du droit, pour tous les adultes, à une formation de base équivalant à la fin du secondaire ne signifie nullement la disparition du caractère volontaire de la formation des adultes. Tout au plus, s'agit-il de s'assurer que ceux et celles qui désirent poursuivre leur formation jusqu'à l'équivalent du secondaire puissent exiger les ressources et les services nécessaires pour ce faire, et les approches, les contenus, les lieux de ces formations se doivent d'être multiples et souples.

Nul doute que l'exercice de ce droit soit « rentable » pour une société, comme en fait foi cette expérience américaine: La formation de base peut se révéler un excellent placement. Pour l'un de ces programmes (The Opportunities Industrialization Centre) offert à Washington, D.C., qui a coûté $1,4 million au gouvernement, le revenu total des adultes qui ont trouvé un emploi au cours de la période visée s'est élevé à $8,4 millions. Au taux d'imposition de 30 pour cent, cela représente quelque $2,5 millions qui sont retournés au gouvernement sous forme d'impôts. Sans compter l'économie additionnelle de quelque $1,7 million de prestations de bien-être social et d'assurance-chômage versées auparavant aux 1 400 personnes inscrites aux programmes de formation. Le rendement d'un placement de $1,4 million a donc été de quelque $4,2 millions, soit un ratio rendement-coûts de 3:1 (45) .

2.3.2 La formation de base: un vitrail qui prend sa couleur à la lumière des objectifs

La formation de base n'est pas une fin en soi. Elle ne prend son sens qu'à travers la définition d'objectifs préalables. Ceux-ci peuvent viser la réduction du fossé entre travail manuel et intellectuel, la valorisation du travail en tant que composante d'un projet politique plus globale, la réduction des coûts sociaux et économiques engendrée par un état de dépendance, le développement de solidarités, l'amélioration par des collectivités de leurs conditions de vie et de travail, le décloisonnement et la mobilité dans le travail, etc.. L'identification de tels objectifs doit reposer sur une connaissance du milieu et la participation de groupes spécifiques d'adultes (ex. : analphabètes, personnes handicapées, femmes de retour sur les marchés de travail) à la définition de ceux-ci. Plus que tout autre domaine, la formation de base appelle la coordination des ressources, la concertation des intervenants, la participation des adultes et l'harmonisation avec les autres politiques sociales.

2.3.3 La recherche et le perfectionnement continu des éducateurs: éléments d'actualisation de la formation de base

La formation de base doit évoluer constamment. Ainsi, par exemple, tenant compte du fait que l'actualisation du potentiel humain de demain passe peut-être par l'acquisition, par tous les adultes, de structures cognitives rendant les individus capables d'évoluer dans un environnement informatisé, il faut que certains contenus de même que les méthodes reliés à la formation de base évoluent sans cesse. Pour ce faire, il est important de développer les méthodes d'évaluation et de recherche dans le champ de la formation de base qui s'appuie sur la formation continue des éducateurs. Ainsi, aux États-Unis (46) , on a développé considérablement les méthodes d'évaluation de programmes, les indices permettant de mesurer les impacts socio-économiques de ceux-ci et la communication de ces recherches (ex. : colloques, conférences, revues spécialisées, etc.). Les études et recherches américaines sur la participation et la non-participation des adultes, sur les systèmes de valeurs et de comportements, sur les comparaisons entre les valeurs véhiculées par les éducateurs et celles des utilisateurs, de même que sur les méthodes pédagogiques et l'utilisation des technologies éducatives dans la formation de base indiquent qu'il est pertinent de développer chez nous un tel niveau de préoccupation en le combinant aux pratiques déjà existantes. En ce sens, les différents colloques et moyens de liaison qui ont surgis ces dernières années (Alpha 80, Alpha Liaison, Alphabétisation populaire, Colloque les jeunes et le travail, etc.) ont été particulièrement significatifs.

2.3.4 La formation de base, une clé qui peut ouvrir plusieurs portes

La formation de base vise l'acquisition de grilles de lecture, de méthodes de travail et de « cadres de référence » ou d'analyse pour que les adultes qui entreprennent de tels apprentissages puissent comprendre et se situer par rapport à la réalité. Dans ce sens, les apprentissages dans le domaine de la formation de base doivent être transférables, c'est-à-dire, par leur caractère essentiel, s'ouvrir à l'universel. Ils doivent donc, suivant les situations, prendre appui sur un ensemble de théories et de concepts que ne contiennent par les découpages disciplinaires actuels.

Bien que le terme ait été galvaudé, nous pouvons parler ici de polyvalence. Surgie de la réforme scolaire des années 60, la polyvalence reste, pour plusieurs, entachée de l'image qu'en a faite le système scolaire, c'est-à-dire un terme que l'on a utilisé pour désigner l'utilisation multiple des écoles et des locaux, sans que cela veuille dire que les personnes qui fréquentaient ces lieux soient elles-mêmes « polyvalentes ». Pour d'autres, le terme « polyvalence » renvoie à celui que l'on utilise en milieu de travail pour désigner, par un euphémisme, la mobilité et l'adaptabilité que l'on exige d'un travailleur.

La polyvalence dont il s'agit ici n'a rien à voir avec la mobilité, l'adaptabilité, ou encore un ensemble de savoirs qu'il faut acquérir pour être bien formé. La polyvalence, telle qu'entendue ici, renvoie, d'une part, à l'acquisition — et non à la spécialisation — de connaissances, d'habiletés et de comportements visant à faciliter l'entrée dans divers secteurs du travail ou de la vie sociale, et aux possibilités de transferts entre ceux-ci et, d'autre part, à la liaison organique entre théorie, technologie et pratique.

Traduite en termes de programmes, de projets ou de démarches éducatives, la polyvalence vise donc à créer les meilleures conditions pour que l'adulte bénéficie d'une formation centrée sur l'autonomie et la flexibilité, dans une perspective d'appropriation et de promotion du changement social, économique et culturel relié à sa vie, aux actions qu'il pose et à son « futur anticipé ».

Les objectifs éducatifs de la formation de base visent, par exemple, à permettre à l'adulte: l'acquisition d'aptitudes cognitives de base (savoir lire, écrire, parler, calculer), la découverte de ses propres ressources, le développement de ses capacités d'apprentissage autonome, d'analyse, de sens critique, la résolution de problèmes spécifiques (ex.: lire un horaire d'autobus, rédiger son rapport d'impôt, etc.), l'acquisition de capacités d'action autonome, de décisions, de créativité et de croissance, l'approfondissement de ses divers rôles sociaux (parents, travailleurs, consommateurs, etc.), l'amélioration de ses relations aux autres, la sensibilisation, non seulement aux réalités de son environnement immédiat (ex. : santé), mais aussi aux réalités autres (ex. : développement de la conscience internationale).

La formation de base, telle que nous l'entendons, est donc différente de la formation générale. Elle en est un élément constituant, mais non un synomyme. Ses contenus peuvent se retrouver dans la formation générale mais, au niveau de la formation de base, leur extension se limite à l'outillage préalable nécessaire à l'acquisition de savoirs plus complexes.

Pour leur part, les programmes ou projets de formation de base devraient, selon certains auteurs, mettre l'accent sur l'acquisition des quatre langages considérés comme stratégiques pour fonctionner dans une société comme la notre (47) . Il s'agit du langage audiovisuel, du langage informatique, du langage technique et du langage économique et politique. Bien entendu, l'acquisition de ces langages présuppose l'acquisition du langage parlé, écrit et verbal, quoique ceci n'exclut pas que l'un et l'autre puissent se faire en même temps. Tout dépend des objectifs choisis par les intéressés.

La liaison organique entre la théorie, la technologie et la pratique, requiert le décloisonnement des formations. Pédagogiquement, cela peut se faire, comme nous l'avons indiqué plus haut, par une dynamique de résolution de problèmes, à la condition qu'elle permette les apprentissages requis. Or, si ces derniers ne sont pas strictement limités aux contenus informatifs ou techniques, ils pourront produire des capacités réelles de maîtrise de vie et de transfert à d'autres situations analogues (48) . Outre le fait de centrer la formation de base sur la résolution de problèmes, il faut aussi, comme nous le verrons, que ces apprentissages soient reconnus en termes de crédits d'éducation continue, et transférables, si l'adulte veut poursuivre des études ou faire reconnaître sa formation en milieu de travail.

2.3.5 La formation de base: à quoi sert-elle?

L'éducation a été le plus souvent une réponse à une crise ou à un défi spécifique auxquels devait faire face une société (49) . Bien sûr, au Moyen-Age, même si le clergé détenait le monopole de l'écriture, aucun désavantage économique n'était rattaché à l'analphabétisme. L'invention de nouvelles techniques d'impression, ayant pour résultat une diffusion plus grande de l'écrit, les mouvements de réforme, à la fin du Moyen-Âge et à la Renaissance, menant à la révolution industrielle, ont fait apparaître les premières inégalités de type socio-économique rattachées à l'éducation. Dès lors, des mouvements religieux accordèrent une grande importance aux rudiments de l'éducation (lire, écrire, calculer) et à la lecture de la Bible et, peu à peu, des pressions sociales, issues notamment des mouvements ouvriers, se firent sentir afin d'instaurer des écoles élémentaires accessibles à tous. À l'ère industrielle, les efforts nationaux de modernisation de l'agriculture et de l'industrie, au Québec comme dans bien d'autres pays, ne purent être menés à terme, sans qu'on se soucie de relever considérablement le niveau éducatif de l'ensemble de la population.

De nos jours, peut-on prétendre que la formation de base est assurée, grâce aux sommes considérables investies depuis plusieurs années dans la mise en place d'une vaste infrastructure scolaire primaire et secondaire? Nous croyons que non. Le problème auquel nous sommes confrontés, comme d'ailleurs toutes les sociétés technologiquement avancées, consiste à faire face à l'augmentation des connaissances qu'il faut absorber pour simplement vivre, contribuer à la communauté et sauvegarder l'esprit critique. La menace de voir s'élargir le fossé entre les experts de toutes sortes et le commun des mortels, et celle de la robotisation des esprits, avec les conséquences que ces dangers auraient sur la démocratisation de nos sociétés, sont trop graves pour n'en pas tenir compte. Dans un tel contexte, il faut viser à rendre les individus et les groupes autonomes. Cela s'impose, non pas à partir d'une quelconque vision technocratique ou messianique, . mais pour répondre à la volonté légitime, maintes fois exprimée par les individus et collectivités, de prendre en charge les changements économiques, sociaux et culturels auxquels on leur a traditionnellement tout simplement demandé de s'adapter.

Dans cette perspective, l'école et les ressources scolaires en général ne peuvent, à elles seules, répondre à ce défi. Jusqu'à un certain point, dans sa forme actuelle, l'école freine souvent le développement des apprentissages autonomes. Le moment est venu d'explorer de nouvelles voies, combinant l'enthousiasme volontaire, la « guidance » professionnelle ainsi que les supports institutionnels et l'apport étatique.

(...) dans le monde en développement, entre 1960 et 1975, les inscriptions ont doublé dans les écoles primaires et d'après l'Unesco, le nombre d'enfants de 6 à 11 ans non inscrits à l'école est tombé de 212 millions en 1970, à 121 millions en 1975. Pour la première fois, plus de la moitié des enfants du tiers monde appartenant à ce groupe d'âges vont à l'école, et pour la première fois notre planète compte un nombre plus grand d'alphabétisés que d'illettrés. (...)

2.3.6 La formation de base: qu'en est-il de l'alphabétisation?

La question de l'alphabétisation est évidemment intimement liée à la problématique générale de la formation de base. Certains contextes socio-économiques amènent même à confondre l'une et l'autre. Le 20e siècle a connu, de toutes les époques, les plus vastes programmes d'alphabétisation. Que l'on songe à la campagne d'alphabétisation des années 20 en U.R.S.S., à celle de la Turquie qui débuta en 1928 sous le nouveau régime républicain de Mustapha Kémal, à celle des Philippines qui débuta au début des années 30 sous l'égide du docteur Frank Lauback, dont les méthodes ont eu et ont encore une grande influence dans les programmes d'alphabétisation de plusieurs pays. Plus récemment, l'expérience cubaine des années 60 (50) , l'expérience malgache des années 70, le programme P.E.B.A.L. de la junte péruvienne du début des années 70 (51) , le plan national d'alphabétisation du Portugal de 1979 (52) et la campagne nicaraguéenne de 1980 (53) sont des efforts d'alphabétisation relativement connus de divers milieux québécois qui, dans certains cas, s'en sont inspirés (v.g. l'influence de Paolo Freire).

Mais toute médaille a son revers. Même si, en pourcentage le terrain gagné est considérable, chaque année la masse d'illettrés continue de grossir. Entre 1960 et 1970, dans le monde en développement, le nombre absolu d'hommes analphabètes a augmenté de 11 millions, tandis que, chez les femmes, la marge d'accroissement atteignait le chiffre alarmant de 44 millions.

cf.: Marcel Massé. « L'éducation et le progrès dans le monde », notes pour une allocution à Saskatoon le 25 septembre 1981, Agence canadienne de développement international, miméo, p. 2-3.

L'alphabétisation n'est pas le propre du tiers monde. L'Italie a plusieurs programmes d'alphabétisation, de même que la Grèce et l'Espagne. La campagne britannique du début des années 70, en fut une dont on retrouve peu d'exemples comparables dans les pays développés. Plus près de nous, aux États-Unis, plusieurs programmes d'alphabétisation d'envergure nationale ont été menés tels que Right to Read et ABE (Adult Basic Education), qui débuta en 1964 et recevait, en 1976, environ 184 000 000 $ provenant du gouvernement fédéral, des États, des villes et cités (54) . Au Canada anglais, on note plusieurs initiatives dans le domaine de l'alphabétisation: Frontier Collège, fondé en 1899, qui travaille dans des endroits isolés, certains programmes gouvernementaux, tant fédéraux que provinciaux, qui visent à rejoindre des populations spécifiques (détenus, bénéficiaires de l'aide sociale, adultes sous-scolarisés, etc.) et les bibliothèques, qui offrent leur propre programme d'éducation des adultes (55) . Sans compter les programmes d'alphabétisation importants actuellement en cours dans certaines provinces dont Terre-Neuve.

La déclaration pour une Campagne mondiale d'alphabétisation universelle de l'Unesco en 1963 fixait une limite de dix ans à la résorption de l'analphabétisme à travers le monde. Le Congrès mondial des ministres de l'Éducation à Téhéran en 1965 lança un appel à l'élimination complète de l'analphabétisme. Force nous est de constater que ces appels sont restés lettres mortes. Une véritable campagne à l'échelle mondiale pour éliminer l'analphabétisme demeure à l'état de projet.

Le Québec n'a jamais connu une mobilisation générale en matière d'alphabétisation. Le problème de la formation de base est, nous l'avons vu, trop complexe et multiforme pour que l'on puisse croire qu'une campagne axée sur les apprentissages de base, fut-elle bien orchestrée et soutenue, puisse en venir à bout. D'où notre choix d'une « mission » dans le domaine de la formation de base plutôt qu'une campagne. Nous pensons que des efforts patients, concertés et conjugués, et ce sur tous les plans (entreprise, école, syndicats, associations volontaires, bibliothèques, etc.), sont davantage susceptibles de donner des résultats probants à long terme. Cela n'exclut pas une campagne d'alphabétisation, celle-ci n'étant pas la panacée.

Les analphabètes fonctionnels forment cette partie de la population, âgée de 15 ans et plus, qui ne fréquente pas l'école à plein temps et dont le niveau de scolarité est inférieur à une neuvième année.

cf. : A.M. Thomas, Adult Basic Education and Literacv Activities in Canada 1975-76, p. 6.


Dans le cadre d'une telle mission, il est important de distinguer la formation de base de la problématique de l'alphabétisation. Nous avons vu que près d'un adulte sur trois au Québec a moins de neuf ans de scolarité, il s'agit d'un individu sur quatre, en excluant les individus de 65 ans et plus, qui, règle générale, participent peu à ce genre de campagne. C'est cette mesure que l'on utilise pour désigner ce que l'on appelle « l'analphabétisme fonctionnel ». Quant aux analphabètes complets, on utilise le plus souvent le critère de cinq années de scolarité ou moins pour les dénombrer. En 1976, on comptait environ 316 000 individus ou 6,75% de la population adulte du Québec ou encore 4,30% si l'on pondère en fonction de l'âge (65 ans et plus). De même on utilise aussi des indices tels que la classe sociale, la région, l'âge, la langue maternelle et l'origine ethnique pour les repérer et tenir compte de leurs spécificités. Car on n'alphabétise pas de la même façon des immigrants, des adultes de minorités ethniques, des assistés sociaux. S'il apparaît relativement facile de cerner, de façon précise, le phénomène de l'analphabétisme, il n'en va pas de même pour l'analphabétisme fonctionnel.

Un jour, dit Jean-Guy, 45 ans, je suis allé pour m'engager dans un hôpital et la secrétaire m'a donné une formule en me demandant de la remplir. En voyant cela, je me suis demandé comment faire : je ne pouvais pas lire la formule et j'étais trop gêné pour demander à la secrétaire de m'aider à la remplir. Alors j'ai trouvé une excuse pour m'éloigner et je me suis sauvé. J'en ai beaucoup raté des emplois à cause de cela.

Luc, 23 ans, pour sa part, dit que, s'il doit remplir des formulaires, il tente, lorsque les préposés l'acceptent, d'apporter les documents chez lui afin de les faire remplir par un parent ou un ami qui sait lire et écrire.

Dans le cas de Louise, 34 ans, qui dit pouvoir faire son épicerie toute seule, comme la plupart des analphabètes d'ailleurs, elle raconte qu'elle demande tout simplement « au boss de l'épicerie » de l'aider quand elle ne peut identifier des produits. Mais comme le fait remarquer Ginette, 34 ans, la plupart des produits sont facilement identifiables parce qu'ils portent généralement une image sur leur étiquette.


En effet, l'analphabétisme complet peut être vécu comme une différence et une carence qui affecte l'image de soi et l'ensemble des interactions avec le milieu environnant (56) . Quant à l'analphabétisme fonctionnel, il apparaît, à maints égards, comme une mesure définie « d'en haut » qui ne permet pas de rendre compte de toute la diversité qui se profile derrière ces adultes qui ont à peine une « neuvième année forte ». En effet, l'expérience de vie et de travail, l'autodidaxie, la culture populaire sont autant de caractéristiques qui ne sont pas prises en considération par la notion d'analphabétisme fonctionnel. De plus, cette notion laisse entendre que l'on ne peut établir à coup sûr une continuité entre l'analphabétisme complet et l'analphabétisme fonctionnel. À la notion d'alphabétisation fonctionnelle, la Commission préfère celle de formation de base dans la mesure où celle-ci fait place au vécu, à la culture, à l'expérience des adultes et qu'elle se concentre sur l'objectif de les outiller de façon critique face aux changements qui interviennent dans les diverses situations de vie et de travail. Vue ainsi, la formation de base se traduit à partir des besoins exprimés par les adultes, médiatisés tantôt par les services d'accueil et de référence ou les services à la collectivité, tantôt par les regroupements volontaires d'adultes. Elle ne fait intervenir l'aspect normatif, sur lequel est fondé l'alphabétisation fonctionnelle, que pour faciliter les situations de transfert d'apprentissages.

Alors que Jean-Guy assure, pour sa part, qu'il peut toujours signer un chèque qui lui parvient, il se dit cependant incapable d'en faire un lui-même. Jean-Paul, 55 ans, assure pour sa part qu'il ne sait pas « comment ça marche ».

Tiré de: M. Rondeau, « Un véritable handicap », dossier sur l'analphabétisme, La Tribune, Sherbrooke, 24 août 1981.

Une vaste mission portant sur la formation de base au Québec se devra donc de singulariser le problème de l'analphabétisme complet. Pour ce faire, l'alphabétisation devra bénéficier d'une légitimité particulière au sein de cette mission, c'est en ce sens que l'on peut parler d'une campagne d'alphabétisation. En outre, elle bénéficiera d'un engagement accru des ressources éducatives publiques dans le soutien des activités autonomes d'alphabétisation, c'est-à-dire celles dispensées par les groupes communautaires et populaires qui développent une intervention dans le domaine de l'alphabétisation. Cette campagne d'alphabétisation ne devrait pas faire appel, de façon déterminante, à la méthode de Lauback, « one to one », mais privilégier plutôt les regroupements d'analphabètes autour d'alphabéti-seurs issus ou impliqués dans le milieu. C'est localement que les solidarités entreront en jeu, que les « groupes Alpha » feront leur publicité et leur recrutement; au rythme spécifique de la croissance de chaque projet, dans les formes qu'ils choisiront et qui s'imposeront.

Nous croyons que la majorité, à cause de cette question de la honte, allait préférer la formule du « one to one ». En fait, ça n'a pas été le cas. La plupart des gens, immédiatement ou un petit moment après, ont choisi de se joindre à un groupe. Ils étaient attirés par le coté social du groupe, par les relations interpersonnelles qui y sont attendues.

N. Barnes, « La BBC dans la Campagne d'alphabétisation en Grande-Bretagne », Alpha 80, (sous la direction de J.P. Hautecoeur), M.E.Q.-D.G.E.A., Québec, 1981.


Une mission portant sur la formation de base qui, comme nous l'avons vu, accorderait un statut prioritaire à l'alphabétisation (dans le cadre d'une opération spécifique, compte tenu qu'une mise de fonds dans la formation de base ne peut faire abstraction du problème spécifique de l'analphabétisme), doit convier, dès le départ, toutes les ressources éducatives, à sa mise en oeuvre. Les média, notamment l'O.R.T.Q. (Radio- Québec), pourraient sensibiliser la population, mobiliser les analphabétiseurs et animer l'auditoire autour de grands thèmes prioritaires de la campagne. Dans divers milieux, des productions cinématographiques et théâtrales pourraient contribuer à préparer le terrain à l'intervention en suscitant des initiatives nouvelles et en mobilisant les ressources actives des localités. De même les entreprises, les institutions d'enseignement et les bibliothèques seraient conviées à cette campagne à titre de lieux-ressources. La production du matériel didactique relèverait d'abord des initiatives et ressources locales, bien que cela n'exclut pas à titre complémentaire un support, une production ou une généralisation des innovations de la part d'un organisme central.

Au début, cette campagne devrait connaître une phase d'expérimentation et de rodage sur une échelle restreinte (quelques régions ou projets) et donner lieu à un premier bilan des interventions dans le but de dégager des acquis et des orientations susceptibles de donner le coup d'envoi à une seconde phase qualitativement et quantitativement plus importante que la première. De plus, même si cette campagne porte sur l'alphabétisation, il serait important de ne pas perdre de vue qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une vaste mission portant sur la formation de base. Ainsi, la problématique de l'éducation populaire autonome et, par conséquent, les projets de formation de base portant sur d'autres aspects que les savoirs lire et écrire devraient éclairer les perspectives et les à-côtés de cette campagne. L'objectif premier demeure, rappelons-le, l'actualisation du potentiel humain dans le but d'outiller les adultes pour qu'ils puissent maîtriser, individuellement et collectivement, l'ensemble de leurs situations de vie et de travail.

Pour ce faire, la vaste mission portant sur la formation de base sera l'occasion d'articuler l'alphabétisation à la formation de base, et celle-ci à la formation générale. En ce sens, les objectifs actuels de la formation générale (pas assez précis, trop liés à la diplomation et aux disciplines reconnues pour obtenir un D.E.S. et rencontrer les préalables scolaires des niveaux supérieurs ou des spécialisations) devront être remis en question à la lumière des orientations dans le domaine de la formation de base. De la même façon, les lacunes de la formation de base des jeunes, devront être abordées. Ces modifications devraient se faire dans l'optique d'une formation fondamentale permettant un développement intégral de la personne, transférable dans sa vie quotidienne et la préparant à une vie en société, active, responsable, critique, harmonieuse, démocratique, participative et autonome.

La campagne d'alphabétisation se veut aussi un moyen privilégié pour que les adultes prennent en charge et contrôlent leur processus de formation. Pour ce faire, la campagne devra s'enraciner à la base et à partir des organisations qui ont un lien organique avec les adultes intéressés. Dans ce cadre, les institutions auront un rôle important de support à jouer. Elles doivent continuer d'offrir les actuels programmes, cours ou projets qui concernent l'alphabétisation ou la formation de base. Le réseau d'enseignement public aurait un rôle positif et dynamique à jouer dans le cadre d'une telle campagne, et cela signifie, entre autres, qu'il ne devrait pas y avoir perte de clientèle ou baisse du volume des activités dans les domaines de l'alphabétisation et de la formation de base. Toutefois, dans l'ensemble, la Commission considère que la campagne doit être l'occasion de développer des alternatives indépendantes et complémentaires avec les structures scolaires actuelles, lesquelles alternatives supporteraient la majorité (en volume et en coûts) des activités d'alphabétisation et de formation de base au Québec.

Sur un autre plan, cette campagne peut être aussi l'occasion de mettre volontairement à contribution les enseignants mis en disponibilité dans le réseau de « l'enseignement régulier », sans que cela n'affecte l'autonomie des organismes communautaires engagés. En effet, ceux-ci recruteront leurs compétences et éducateurs en toute autonomie, selon les critères qui leur sont propres. L'État peut se faire incitatif dans un tel contexte, en souhaitant une meilleure utilisation des enseignants mis en disponibilité ou encore, s'il investit davantage de fonds publics dans ce secteur, proposer aux organismes de collaborer avec des programmes de service de type communautaire destinés aux jeunes adultes de 18 à 30 ans et aux personnes à la retraite, service communautaire que nous décrirons à la fin de la prochaine partie de ce rapport.

Cette campagne n'est pas la panacée universelle et la Commission ne croit pas qu'elle résorbera totalement le problème de la formation de base et celui de l'analphabétisme complet. Tout au plus constituera-t-elle un effort collectif clairement identifié qui devrait, par la suite, contribuer au développement de l'esprit critique et à l'actualisation du potentiel humain dans notre société, dans le cadre d'efforts soutenus et à long terme.

2.3.7 La formation de base: un pas vers l'éducation permanente

L'accumulation des connaissances scientifiques, la croissance exponentielle du savoir humain, la désuétude d'une part et le renouvellement rapide d'autre part, des théories et des techniques font en sorte qu'aucune connaissance culturelle et aucune compétence professionnelle ne puissent être considérées comme définitivement acquises (57) . C'est d'ailleurs ce que reconnaît l'Unesco dans sa recommandation sur le développement de l'éducation des adultes: L'épanouissement de la personnalité humaine, notamment face à la rapidité des mutations scientifiques, techniques, économiques et sociales, exige que l'éducation soit considérée globalement et comme un processus permanent (58) .

Tel est, aussi, le diagnostic que pose un groupe de travail de l'Organisation de coopération et de développement économiques : On reconnaît de plus en plus la nécessité d'envisager l'éducation, et non seulement la formation professionnelle, comme un processus continu seul capable de fournir les moyens de faire face aux contraintes et aux aléas du changement (59) .

Ce constat général amène la plupart des organismes internationaux, tels que le Conseil de l'Europe (60) , à faire un examen critique des pratiques éducatives actuelles et de leur degré d'inadaptation à la nouvelle situation économique et sociale.

C'est au coeur de ces considérations que s'inscrit la problématique de l'éducation permanente, en ce qui a trait à la formation de base. Cette perspective suppose une augmentation des possibilités de formation de base en dehors du système de l'éducation formelle; une intégration au processus de la formation de base des services d'accueil et de soutien à la formation, de recherche, d'évaluation des activités par les adultes intéressés; une formation conséquente des éducateurs; une mise à contribution de l'ensemble des ressources éducatives de notre société, où qu'elles soient: écoles, bibliothèques, musées, entreprises, syndicats, centres communautaires, etc.. Elle suppose aussi que l'on définisse la formation de base à travers des objectifs éducatifs et sociétaux originant tantôt des adultes eux-mêmes, tantôt des priorités sociales (ex. : formation pré-emploi, campagne d'alphabétisation, prise en charge régionale, accès au savoir scientifique, etc.). La formation de base doit devenir une priorité politique, un droit inaliénable de tout adulte, afin qu'il puisse, tout au long de sa vie, travailler, être un citoyen responsable, remplir ses rôles sociaux, exprimer ses idées, participer aux enjeux des changements sociaux et accroître son autonomie en tant qu'individu et membre d'une collectivité.

Cette vision de la formation de base, dans une perspective d'éducation permanente, rend compte des tendances que l'on retrouve sur la scène canadienne (61) . De plus, elle permet de s'inscrire dans ce que le Club de Rome appelle une « problématique mondiale ». En effet, en 1970, plus du tiers de la population mondiale était analphabète. Cette situation, loin de se résorber, est le lot des pays du Tiers-monde où sévissent, à coté des problèmes d'analphabétisme, des problèmes de famine, de malnutrition, de sous-développement économique, de mortalité infantile, etc..

Cette perspective permet aussi d'entrevoir plus facilement l'arrimage qui peut et doit se faire entre l'éducation des jeunes et celle des adultes. La polyvalence, le décloisonnement des formations, le fait de partir du vécu des individus (62) , pour expliciter les objectifs poursuivis, ne devraient pas être l'apanage exclusif de l'éducation des adultes. Au contraire, l'éducation des jeunes peut être transformée de façon telle qu'elle s'arrime à celle des adultes, pour que les deux se complètent, s'éclairent et se stimulent réciproquement. L'éducation permanente, c'est aussi et surtout, comme on se plaît à le répéter partout depuis 15 ans, un projet de société.

La Commission estime cependant qu'en vertu du degré de richesse relative de notre société les adultes qui financent déjà le système d'enseignement gratuit des jeunes devraient avoir un droit équivalent à ces derniers quant à l'accès à une formation de base articulée et conçue par et pour eux. De plus, en prenant assises sur le fait que, depuis 15 ans, le programme fédéral (P.F.M.C.) donne un droit sélectif aux adultes d'utiliser 52 à 58 semaines de formation générale auxquelles peut s'ajouter la même durée pour une formation professionnelle de niveaux secondaire et collégial, la Commission considère que les adultes devraient avoir droit à 13 ans de formation de base équivalent aux 13 ans accordés gratuitement aux jeunes. Et ceci gratuitement pour l'élémentaire, le secondaire et le collégial. On doit aussi leur fournir les moyens qui facilitent et correspondent à leurs responsabilités de citoyens: allocations de formation, prêts et bourses (pour le niveau collégial, si la gratuité n'y est pas offerte aux adultes), mesures fiscales appropriées selon les cas, frais de garderie et de transport, etc., le tout harmonisé avec les autres mesures sociales, telles l'aide sociale, l'assurance-chômage et autres (voir chapitre sur le financement).

Recommandations

La Commission recommande:

2. Que les objectifs de la formation de base soient les suivants, et que, selon ses besoins, l'adulte en privilégie un ou plusieurs, aux différentes étapes de sa vie :

A) de façon générale:

B) de façon particulière:

3. Que,  dans une perspective d'éducation permanente,  soit reconnu à tout adulte le droit à une formation de base gratuite, comme on le fait pour les jeunes.

4.  Que l'on garantisse aux adultes, en vertu de ce droit, l'équivalent de 13 années de formation, acquises en milieu scolaire ou ailleurs, de façon formelle ou autrement.

5. Qu'une vaste mission de formation de base soit lancée et qu'elle comprenne, de façon spécifique, une campagne d'alphabétisation ;

6. Qu'on associe les milieux du travail à cette campagne d'alphabétisation et à cette mission de formation de base pour qu'ils recrutent des travailleurs et des travailleuses admissibles, libèrent du temps ou accordent d'autres formes de soutien.

7. Que,  dans le cadre des objectifs poursuivis sur le plan national pour cette action prioritaire, chaque région se dote d'un plan compatible avec sa réalité, et à la définition duquel les diverses ressources scolaires, communautaires et de l'entreprise auront été associées pour identifier le cadre, les activités et les méthodes de la campagne d'alphabétisation et de la mission de formation de base.

8.    Que les programmes de formation de base et d'alphabétisation à identifier soient:

9.    Que, en plus des ressources humaines déjà engagées dans la formation de base des adultes, auxquelles on devrait accorder une priorité d'embauché, l'on propose, aux personnes en disponibilité, le transfert librement consenti de leur sécurité d'emploi, afin de les recycler et les réorienter vers cette mission de formation de base.

10. Que l'on explore les moyens d'associer des jeunes adultes et des personnes à la retraite à cette mission, lesquels pourraient choisir,  en  y  étant préparés,  de  devenir alphabétiseurs  ou personnes-ressources en formation de base.

11. Que les média publics et privés, nationaux et régionaux, soient associés à cette campagne, notamment pour sensibiliser et animer la population, faciliter le recrutement et la formation des intervenants et informer les groupes cibles sur les possibilités qui s'offrent à eux.

12.   Que, dans ce contexte et étant donné la législation existante en matière de programmation éducative, Radio-Québec soit étroitement associée à la campagne d'alphabétisation et à la mission de formation de base proposées.

13.   Que, s'appuyant sur les expériences positives réalisées à ce jour en alphabétisation, l'on encourage et supporte les publications et les moyens de liaison sur ce sujet, de même que la production et la circulation d'outils pédagogiques.

14.   Que des recherches soient effectuées pour mieux cerner l'analphabétisme et aussi pour acccroître la pertinence de l'action des alphabétiseurs.

15.   Que, dans le cadre de l'éducation permanente, le ministère de  l'Éducation  entreprenne  les  études  qui  s'imposent pour cerner le phénomène de l'analphabétisme et du décrochage scolaire chez les jeunes et apporte au système d'enseignement régulier les correctifs en découlant.

16. Que l'on élabore, à partir des expériences en cours, les programmes de perfectionnement destinés aux alphabétiseurs;qu'ils leur soient dispensés dans le cadre de leur action d'alphabétisation.

17.   Que,  pour mieux  assumer cette vocation prioritaire de formation de base, les lieux publics soient recyclés, convertis en centres d'éducation des adultes, dotés d'équipements adéquats et accessibles en tout temps.

18.   Que   toute   campage   nationale   d'alphabétisation   tienne compte des situations de vie et de travail des adultes.

19.   Que les objectifs, les programmes et les activités de formation générale actuellement offerts aux adultes soient transformés pour rejoindre les orientations d'une formation de base, telle que définie et que cette formation fasse l'objet d'une reconnaissance conforme.

Notes

  1. Statistique Canada, recensement de 1976.
  2. Statistique Canada, cat. 71.001, décembre 1980.
  3. Statistique Canada, recensement de 1976.
  4. Statistique Canada, recensement de 1976.
  5. Gouvernement du Canada, Du travail pour demain, rapport du Groupe de travail parlementaire sur les perspectives d'emploi pour les années '80, Ottawa, 1981, p.77.
  6. Réginald Grégoire, La formation et l'insertion des jeunes de 15 à 18 ans dans la société: un défi pour toutes les institutions, Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, avril 1981, p. 57.
  7. Cf.: Mireille Lévesque, L'égalité des chances en éducation, Gouvernement du Québec C.S.E, 1979, p. 85-86.
  8. Ibidem, p. 37-45.
  9. Réginald Grégoire, op. cit., p. 29-65.
  10. André Allaire, Jean Renaud, Paul Bernard, « Qui s'instruit s'enrichit », Possi bles, vol. 3, nos 3-4, printemps 1979, p. 13-33.
  11. Ce phénomène fait de plus en plus l'objet d'une contestation sociale. Ainsi les étudiants du baccalauréat en psychologie à l'Université de Montréal ont, en 1980,contesté le fait que l'accès à leur profession soit basé dorénavant sur le niveau maîtrise.
  12. cf.: Statistique Canada, cat. 71.001, décembre 1980.
  13. Jean Renaud, Monique Berthiaume et Paul Bernard, Qualifications professionnelles et carrières: l'évolution du Québec des années '30 à nos jours, Communication présente au Colloque « Travailler au Québec », Québec 15-16 mai 1980.
  14. Gouvernement du Canada, Du travail pour demain, op.cit., p. 77.
  15. En Ontario, le groupe socio-économique à plus faible revenu est sous-représenté dans les programmes d'éducation permanente. On explique la situation de plusieurs façons :
    • Ceux dont les expériences scolaires n'ont pas été un succès peuvent être portés à éviter d'autres expériences.
    • Ceux qui ont une faible scolarité risquent plus souvent de se trouver dans des situations financières ou de travail tellement difficiles que la lutte qu'ils mènent pour vivre décemment leur laisse peu d'énergie pour poursuivre leur formation.
    • Les occasions de poursuivre sa formation peuvent être limitées ou nulles.
    • À quelques exceptions près, les adultes qui poursuivent leur formation doivent souvent en assumer le coût. cf. : Gouvernement de l'Ontario, ministère de l'Éducation, L'éducation permanente : le troisième système, Toronto, 1980, p. 41.
  16. Cf.: Timoty D. Ireland, Gelpi's view of Lifelong education, Department of Adult and Higher Education, University of Manchester, 1978, pp. 8-10, Jean-Claude Forquin, « Les composantes doctrinales de l'idée d'éducation permanente, d'après un ensemble de publications de l'Unesco, Humanisme et entreprise, no 115, juin 1979,p. 5-6.
  17. Gouvernement du Québec, Rapport de la Commission royale d'enquête surl'enseignementdans la province de Québec, tome II, 1964, p. 317-319.
  18. Ibid., p. 319.
  19. Le Rapport Parent utilisait indifféremment les expressions « formation généra-le » et « formation de base ».
  20. Ibid., p. 320.
  21. Ibid., p. 320.
  22. Ibid., Tome I, 1963, 1976.
  23. Ibid., p. 157.
  24. Ibid., p. 158-159.
  25. Gouvernement du Québec, Rapport du Comité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel, Tome 2, 1962, p. 14.
  26. Cf. : R.A. Rosenthal, L, Jacobson, Pygmalion à l'école. L'attente du maître et le développement intellectuel des élèves, Ed. Casterman, Paris,  1971. Aussi, S.Bowles, H. Gintis, « IQ in the US Class structure », Social Policy, 3, nos 4-5, 1971-1973, p. 65-96.
  27. Cf. : conférence de R. Carbonneau dans Les partenaires sociaux s'engagent ,Colloque '80 de l'Association provinciale des commission de formation professionnelle.
  28. Pour une analyse de cette période, cf. : Nicole Gagnon, « L'éducation des adultes: dix ans de travaux », Recherches sociographiques, XIII, 2, 1972.
  29. Conseil de l'Europe, Développement de l'éducation des adultes, Strasbourg,1980, p. 104-105.
  30. Gouvernement du Québec, ministère des Affaires culturelles, Rapport final dugroupe de travail sur les musées scientifiques,   1980, p.  5; Un projet collectif énoncé d'orientations et plan d'action pour la mise en oeuvre d'une politiquequébécoise de la recherche scientifique, Gouvernement du Québec, 1980, p. 22-23.
  31. Pour une convention éducation-travail, travaux d'approfondissement, document no 4, Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, 1980, p. 126-127.
  32. Gouvernement du Canada, Emploi et immigration, Habiletés génériques, étude basée sur les données de 1 600 travailleurs et surveillants qui ont relevé 588 outils utilisés dans 131 métiers, quatre cahiers, Ottawa, 1979.
  33. J.E. Botkin, M. Elmandjna, M. Malitza, On ne finit pas d'apprendre, Rapportau Club de Rome, Pergamon Press, 1980, p. 19.
  34. Denis Monière, « Une société conviviale ou robotisée? », Le Devoir, 17 août1981.
  35. La lisibilité linguistique et les cours de la Télé-université, Université du Québec,Télé-Université, Québec, 1980, miméo.
  36. I.C.E.A., 10 éléments-clés pour une démocratisation de l'éducation des adultes,cahier no 7, octobre 1980.
  37. Malcolm S. Knowles, The Modem Practice of Adult Education, New York,Association Press, 1970.
  38. Edgar Faure et alii, Apprendre à être, Unesco-Fayard, 1972.
  39. Patricia Cross, Adult as Learners, Jossey-Bass, 1981; Y. Guérard, S'adapter c'est survivre, notes pour une conférence donnée à l'Institut canadien de la retraite àMontréal, 19 mai 1981, miméo.
  40. Cf. : J.L. Lévesque, Un complément au système crédité : les unités d'éducationpermanente, D.G.E.P. Université de Sherbrooke, novembre 1981, miméo. Aussi,Québec, ministère de l'Éducation, D.G.E.A., Éducation des adultes et développement, 1981.
  41. Antoine Léon, « L'éducation permanente. Évolution des concepts et des fonctions », dans Traité des sciences pédagogiques de M. Debesse et G. Mialaret,P.U.F., Paris, 1978, p. 31.
  42. D.M. Savicevic, « Adult Education Systems in European Socialist Countries:Similarities and Différences », in Comparing Adult Education Worldwide, Jossey-Bass, 1981.
  43. Bertrand   Schwartz,   L'éducation   demain,   Aubier-Montaigne,   Paris,   1972,p. 121-150.
  44. O.C.D.E.,  Éducation et vie active dans la société moderne,  Paris,   1975,p. 19-32.
  45. Gouvernement de l'Ontario, ministère de l'Éducation, l'éducation permanente :le troisième système, Toronto, 1980, p. 45-46.
  46. D.M. Ewert, G.C. Whaples, « Assessing the Impact of Adult Basic Education:Some Methodological Considérations »; T. Shipp, « ABE providers and Consumers:an Analysis of Values », dans The 22nd Adult Education Research Conférence,Dekalb, Illinois, avril 1981.
  47. B. Schwartz, L'éducation demain, op. cit., p. 135-141.
  48. Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, D.G.E.A., Éducation des adultes et développement, 1981, p. 46-49.
  49. J. Kulich, « Adult Basic Education: a Historical Perspective », ContinuousLearning, C.A.A.E., nov.-déc. 1968.
  50. A.P.  Morales,  « The Literacy Campaign in Cuba », Harvard EducationalReview, Vol. 51,no 1, 1981.
  51. J.R.  Herrera, La formacion de recursos humanos en la reforma educativa permana, op. cit.
  52. Portugal, Ministério da Educaçao, Relatorio de sintese, trabalhos preparatoriospara o piano nacional de alfabetizaçao e educaçao de base dos adultos, Lisboa, Junho1979.
  53. R.F. Arnove, « The Nicaraguan National Literacy Crusade of 1980 », Comparative Education Review, State University of New York at Buffalo, Vol. 25, no 2, June1981.
  54. C. St.John Hunter, D. Harman, Adult Illiteracv in the United States, McGraw-Hill, New York, 1979, p. 63-72.
  55. Gouvernement du Canada, Du travail pour demain, op. cit., p. 78.
  56. Jean-Paul Hautecoeur, Médiation circonstantielle à la campagne... d'alphabétisation, 1981, miméo, p. 15.
  57. Jean-Claude Forquin, « Les composantes doctrinales de l'idée d'éducation permanente d'après  un  ensemble  de publications de l'UNESCO », Humanisme &Entreprise, no 115, juin 1979.
  58. UNESCO, Recommandation sur le développement de l'éducation des adultes. Commission canadienne pour l'Unesco, Ottawa, 1976, p. 2.
  59. O.C.D.E., Éducation et vie active dans la société moderne, Rapport du groupead hoc du Secrétaire général sur les rapports entre l'enseignement et l'emploi, Paris,1975, p. 7.
  60. Conseil de l'Europe, Le programme de Sienne, Strasbourg, 1980.
  61. L'éducation permanente : le troisième système, op. cit.
    • Gouvernement de l'Alberta, Access Alberta: Adult Illiteracy Project, Edmonton, 1979.

      Gouvernement de la Saskatchewan, Saskatchewan Continuing Education, Adult Basic Education Review Committee Interim Report, Regina, 1980.

      Gouvernement de la Colombie Britannique, Ministerial Policy on the Provision of Adult Basic Education Programs Including English Language Training in the Public Education System of British Columbia, Victoria, 1980.

      Gouvernement du Canada, Du travail pour demain, op. cit., p. 76-81.

      Gouvernement du Canada, rapport du Groupe d'étude de l'évolution du marché du travail, L'évolution du marché du travail dans les années 1980, Ottawa, 1981, p. 190-191.

  62. On peut lire à ce sujet: Gouvernement du Québec, Secrétariat permanent des conférences socio-économiques du Québec, Rapport du colloque les jeunes et le travail, complexe Desjardins, 15, 16 mars 1981, 1981, ch. 4.