Apprendre : une action volontaire et responsable :

énoncé d'une politique globale de l'éducation des adultes

dans une perspective d'éducation permanente :

Partie I

Partie 1, Partie 2, Partie 3, Partie 4, Partie 5, Partie 6, Appendices

Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA), 1982

 

TABLE DES MATIÈRES
Chapitre premier
1.1 L'éducation des adultes d'hier à aujourd'hui: quelques points de repère
1.1.1 Les années 1850-1900
1.1.1.1 Le contexte socio-économique
1.1.1.2 L'éducation (1850-1900)
1.1.1.3 La formation et le milieu agricole
1.1.1.4 La formation des travailleurs et des travailleuses
1.1.1.5 Les initiatives dans le domaine social et culturel
1.1.2 Les années 1900-1950
1.1.2.1 Le contexte socio-économique en 1900
1.1.2.2 La situation de l'enseignement
1.1.2.3 L'éducation dans le monde agricole
1.1.2.4 La formation dans le milieu coopératif de 1900 à 1950
1.1.2.5 Le milieu industriel
1.1.2.6 Le monde de la culture
1.1.3 Les années 1950-1980
1.1.3.1 Un service public d'éducation des adultes
1.1.3.2 La formation dans le milieu industriel
1.1.3.3 La formation dans les organisations syndicales
1.1.3.4 Le secteur agricole
1.1.3.5 Le mouvement coopératif
1.1.3.6 Les organisations de citoyens
1.1.3.7 Le secteur culturel
Notes
Chapitre 2
1.2. L'éducation des adultes d'aujourd'hui à demain
2.1 Le contexte des années 80: éléments de prospective
1.2.1.1 Les effets de la récession économique
1.2.1.2 L'avènement de nouvelles technologies et les exigences des marchés de travail
1.2.1.3 Les besoins des entreprises et les besoins des salariés
1.2.1.4 Les transformations sociales et la crise des valeurs
1.2.2 Les liens éducation-travail-loisirs
1.2.3 Le développement du potentiel humain et l'apprentissage innovateur
1.2.4 L'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente »
1.2.4.1 L'éducation permanente: un projet essentiellement critique
1.2.4.2 L'articulation entre le discours et la pratique en éducation permanente
1.2.5 La démocratisation: une orientation fondamentale de l'éducation des adultes
1.2.5.1 Les buts prioritaires poursuivis par la démocratisation
1.2.5.2 Les nouvelles perspectives de la participation
1.2.5.3 Quelques indications méthodologiques quant au champ d'étude de l'éducation des adultes
Recommandation
Notes

TABLEAUX :

Tableau 1 : La formation des travailleurs au 19e siècle
Tableau 2 : Quelques sociétés littéraires ou culturelles
Tableau 3 : Capital investi dans les fermes (milliers de dollars)

Tableau 4 : Évolution du mouvement coopératif
Tableau 5 : Nombre de bibliothèques en 1938 au Québec

Tableau 6 : Évolution du mouvement coopératif
Tableau 7
Tableau 8 : les assises de la politique d’éducation des adultes

Première partie : L'éducation des adultes d'hier à demain

1.1 L'éducation des adultes d'hier à aujourd'hui: quelques points de repère

1.2 L'éducation des adultes d'aujourd'hui à demain

Chapitre premier

1.1 L'éducation des adultes d'hier à aujourd'hui: quelques points de repère

Voici à peine vingt ans que l'on tente de préciser la signification du concept d'éducation des adultes, mais en ce domaine comme dans tant d'autres, la pratique a largement devancé la théorie, et l'on ne peut qu'être frappé de l'abondance des expériences qui se sont succédé au Québec depuis le milieu du 19e siècle.

Elles ont répondu à des besoins de nature différente selon le contexte socio-économique dans lequel elles étaient élaborées. Enfin, elles ont pris des formes diverses, selon qu'elles émanaient du milieu anglophone ou francophone; on ne peut donc les étudier sans tenir compte, au préalable, du fait que les deux communautés fondatrices ont évolué historiquement, chacune à sa façon. Il ne faut toutefois pas faire l'erreur de croire que ces deux groupes forment chacun un bloc monolithique. Ils sont tous deux formés d'une élite politique et économique et d'un ensemble de groupes aux idéologies et aux intérêts divers.

Pour comprendre l'évolution de l'éducation des adultes, pour en analyser les principaux problèmes ou pour proposer des réformes, il est nécessaire de la situer dans sa perspective historique. Cet aperçu a pour objet de permettre aux lecteurs du présent rapport de mieux évaluer le bien-fondé de certaines recommandations. Ce survol historique, loin d'être exhaustif, cherche plutôt à présenter des points de repère qui permettront aux lecteurs d'apprécier à leur juste valeur certaines initiatives originales qui ont marqué l'évolution de l'éducation des adultes au Québec. Cet aperçu sommaire permet aussi de dégager les tendances et les faits porteurs d'avenir.

Nous avons distingué trois grandes périodes dans l'histoire de l'éducation des adultes. La première, de 1850 à 1900, peut être définie comme une période d'expériences spontanées d'éducation des adultes. La seconde, de 1900 à 1950, se caractérise par l'organisation des expériences passées, et la troisième, de 1950 à nos jours, est marquée par l'institutionnalisation de l'éducation des adultes.

1.1.1 Les années 1850-1900

1.1.1.1 Le contexte socio-économique

En 1851, le Québec compte 890000 habitants dont 75% de francophones et 25% d'anglophones. En cinquante ans, la population va doubler, malgré l'émigration de près d'un demi-million de personnes. En 1901, cette population s'élève à 1 650 000 habitants, et le pourcentage de francophones a même augmenté; il est passé à 80%. En 1901, on recensait encore un million de ruraux. Bien qu'en chiffres absolus la population rurale se soit accrue de trois cent mille âmes entre 1850 et 1901, son importance relative a diminué; elle ne représente plus, à la fin du siècle, que 60% de la population. Ces ruraux demeurent en très grande majorité des Canadiens français, puisque les immigrants anglophones vont surtout grossir la population des villes. En 1871, 50% des anglophones se retrouvent dans la région de Montréal. Au milieu du 19e siècle, dans la province de Québec, deux élites  coexistent  et  se  partagent  le  pouvoir politique:   une bourgeoisie anglophone capitaliste, déjà bien enracinée, une bourgeoisie francophone naissante constituée principalement de membres des professions libérales. La bourgeoisie anglophone, attachée à la couronne britannique et demeurée conservatrice, manifeste cependant, sur le plan économique, des tendances libérales; la bourgeoisie francophone, de son côté, est plutôt conservatrice. En effet, le mouvement libéral, laïque et nationaliste, qui l'aébranlée dans la première moitié du siècle, a perdu ses porte-parole lors des événements de 1837.

...l'agriculture est d'origine divine,... elle a été enseignée à l'homme par Dieu lui-même, au temps où il devait jouir d'un immortel bonheur sur cette terre; que le travail manuel qu'elle exige est encore pour l'homme une source de jouissance ; que l'agriculture est également la sauvegarde des familles et des nations; enfin qu'elle offre une carrière noble, féconde, intellectuelle et scientifique digne d'occuper les meilleurs et les plus solides esprits.

Source: Edouard Barnard, Journal d'Agriculture, février 1879, p.8.

À côté de ces deux groupes, il faut signaler l'existence d'une troisième force qui va jouer un rôle prépondérant dans les destinées de la province: l'Église catholique. À la suite de la reconnaissance de sa légitimité par les autorités britanniques, elle s'est restructurée à partir de 1840, grâce surtout à l'action de Mgr Bourget qui, afin de renforcer le pouvoir clérical, fait venir de France des religieux et des religieuses. Ce nouveau « personnel » religieux importera au Québec l'idéologie ultramontaine qui se caractérise par une volonté d'établir la suprématie du pouvoir religieux sur le pouvoir civil. Il faut, toutefois, éviter de confondre les ambitions politiques du haut clergé avec l'activité sur le terrain des curés de paroisse. Le mouvement libéral se réorganise, et la vie politique du Québec se déroule parmi des affrontements de plus en plus violents, qui opposeront les conservateurs solidaires de l'Église et les libéraux qui réclament à grands cris des transformations politiques, économiques et sociales.

Parallèlement aux transformations sociales, se développe, à partir de 1850, le processus d'industrialisation et d'urbanisation. Le développement industriel s'explique, en partie, par la position géographique de la province. Le Québec se dote d'une infrastructure industrielle, qui complète celle des États-Unis. La bourgeoisie anglophone, qui contrôle les rouages économiques, définit cette orientation. Les industries de produits alimentaires et de produits pharmaceutiques, du cuir, du textile et du vêtement se multiplient. Cette restructuration économique s'effectue à l'avantage de la bourgeoisie canadienne-anglaise, qui s'affirme aussi dans le secteur bancaire et dans celui des assurances. Parallèlement, s'accentue la mainmise économique étrangère, britannique d'abord, puis américaine à la fin du siècle. L'industrialisation nécessite la mise en place d'un réseau de communications qui permette la circulation des biens et des marchandises. Ce réseau ne peut être créé sans l'accord des différentes régions qu'il va relier et sans une mise de fonds considérable. C'est dans ce contexte qu'émerge l'idée d'une éventuelle union des colonies de l'Atlantique. La Confédération, créée en 1867, devait favoriser la construction de l'Intercolonial pour relier Halifax aux centres commerciaux de la vallée du Saint-Laurent, assurer une protection politique contre la menace expansionniste des États-Unis, permettre d'ouvrir les vastes étendues de l'Ouest à la colonisation, et enfin résoudre les problèmes économiques qu'entraîne l'abandon, par la métropole britannique, des politiques protectionnistes à l'égard de ses colonies.

Les industries qui se développent dans ce nouveau cadre politique ont besoin d'une main-d'oeuvre abondante. Celle-ci sera fournie tant par l'immigration provenant surtout d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse, que par le mouvement de migration d'une partie de la population des campagnes vers les villes. En effet, l'agriculture subit des changements importants. Les moyens de production se modernisent, et la culture céréalière cède le pas à l'élevage des animaux de boucherie et surtout au développement de l'industrie laitière. De plus, l'appauvrisement des terres oblige de nombreux cultivateurs à se déplacer vers les villes ou vers de nouveaux territoires. Enfin, la conjonction de ces phénomènes, renforcée par des crises économiques cycliques, explique le mouvement d'émigration de milliers de Canadiens français, attirés vers les États-Unis et l'Ontario par les emplois et les salaires. On estime, qu'entre 1871 et 1901, la province a perdu 630 000 habitants" (1) L'Église, que ces déplacements de population inquiètent, tente par ses interventions d'enrayer l'hémorragie. Elle prêche le retour à la terre et encourage la colonisation. Dès 1840, de nouvelles régions s'ouvrent à l'exploitation agricole: par exemple, les comtés de Beauce et de Dorchester; en 1850, le Saguenay et la Mauricie; à partir de 1870, les Laurentides, autour de Saint-Jérome, et finalement le Témiscamingue, en 1883. Ce mouvement de colonisation, dirigé par des prêtres-colonisateurs, est toutefois freiné par la mauvaise qualité des sols, les difficultés de communication et surtout l'absence de marché pour les produits agricoles. Essentiellement l'oeuvre de Canadiens français, la colonisation est une croisade nationaliste autant que religieuse. Rappelons, à ce propos, les paroles de Mgr Labelle: Emparons-nous du sol, pour assurer la survivance de la race et l'expansion de la chrétienté (2)

Pendant la seconde moitié du 19e siècle, s'est développée peu à peu l'éducation des adultes. Elle est née, entre autres, des insuffisances du système scolaire, la grande majorité des fils d'agriculteurs et d'ouvriers n'ayant pas accès à l'enseignement élémentaire. Mais elle a été également une « réponse » aux changements technologiques sociaux et culturels qui ont agité le Québec durant cette période.

Dès le départ, l'éducation des adultes, nous le verrons, s'est difficilement laissée enfermer dans des institutions de type scolaire; les principales réussites, tant dans le monde agricole qu'ouvrier, ont été des initiatives souples (cercles agricoles), variées (Mechanic's Institute), respectant les obligations des adultes.

La question de l'enseignement élémentaire a suscité au cours de la première moitié du 19e siècle de nombreux débats et, malgré quelques tentatives pour mettre en place un système public d'enseignement, le Québec, en 1840, n'a pas de véritable système scolaire. C'est au cours de la période de l'Union (1840-1867), que le Bas-Canada va se doter peu à peu d'un enseignement public dont les structures en sont encore au stade embryonnaire.

1.1.1.2 L'éducation (1850-1900)

En 1842, on dénombre dans le Bas-Canada (3) 804 écoles primaires accueillant 4 935 élèves, ce qui est peu pour une population d'environ 700 000 habitants, dont 111244 enfants âgés de 5 à 14 ans. Pour pallier cette situation, le gouvernement adopte, en 1841, la Loi de l'éducation, qui crée les commissions scolaires et le poste de surintendant de l'Instruction publique. En 1845-1846, cette loi est modifiée; on reconnaît dorénavant l'importance du rôle joué par le clergé dans l'instruction primaire et l'on définit le pouvoir des commissions scolaires de percevoir les sommes nécessaires au soutien des écoles(4). L'adoption de cette loi permet d'accroître le nombre d'écoles primaires. En 1866, on en compte 3 589 pour 178 961 élèves.

Convaincu de l'importance de la formation des maîtres, le surintendant de l'Instruction publique, P.J.O. Chauveau, réussit à fonder, en 1857, trois écoles normales. Dans le but d'attirer et de garder de bons candidats, il met sur pied une caisse de retraite pour les enseignants et demande que soit améliorée leur rémunération. Il fonde, par ailleurs, le Journal de l Instruction publique et son pendant anglais, le Journal of Education, dont il essaie de faire des instruments de formation pédagogique et d'information professionnelle pour le corps enseignant(5).

En 1867, les provinces obtiennent la confirmation de leur pouvoir exclusif en matière d'éducation. L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est, en effet, assorti de garanties en faveur des deux communautés « confessionnelles » alors reconnues, les catholiques et les protestants, ce qui permet, uniquement au Québec cependant, la création d'une structure bilingue d'enseignement. En 1868, P.J.O. Chauveau crée le ministère de l'Instruction publique dont il est le premier titulaire, et propose, l'année suivante, de modifier la composition du Conseil de l'Instruction publique que les catholiques dominaient, et qui avait pour tâche, depuis 1859, de conseiller le Surintendant de l'Instruction publique(6). Cette modification entraîne la création de deux comités confessionnels (l'un protestant et l'autre catholique). C'est l'aboutissement du travail acharné des catholiques et des protestants qui n'avaient cessé, depuis des années, de travailler à étendre leur emprise sur le champ de l'éducation au détriment des pouvoirs du gouvernement. En 1875, une nouvelle loi abolit le jeune ministère de l'Instruction publique et établit l'autonomie de chacun des deux secteurs. Il existera donc, dorénavant, deux systèmes scolaires à peu près indépendants. De plus, la loi confie à l'Église catholique une responsabilité considérable, faisant de chaque évêque un membre de droit du comité catholique. Les comités catholique et protestant assument donc la responsabilité des écoles publiques et celle des commissions scolaires. Concrètement, du coté protestant, les écoles publiques dispenseront l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire tandis que du coté catholique, elles dispenseront l'enseignement primaire. La réforme de 1875 aura des répercussions importantes sur le système scolaire du Québec jusqu'en 1964. Soulignons, enfin, qu'entre 1870 et 1900, le nombre des écoles primaires passe de 4 063 à 5 863, et que le nombre des enseignants a doublé(7). Comme le soulignent les historiens Linteau, Durocher et Robert, durant ces années, le nombre d'élèves passe de 223 014 à 314 727. Le cours élémentaire se divise en cours primaire et en cours modèle et il doit exiger quatre ou cinq années d'études. Les jeunes quittent l'école vers l'âge de 10 ou 11 ans, après leur première communion, et les inspecteurs déplorent constamment le manque d'assiduité des écoliers(8).

L'Église reconnaît l'importance de l'enseignement primaire, mais elle s'en occupe accessoirement, dans le cadre de l'enseignement religieux, considérant que, pour les classes pauvres, c'est l'éducation religieuse qui prime.

Du coté anglophone, l'objectif poursuivi par l'enseignement primaire est tout aussi religieux (c'est la connaissance des valeurs sociales inscrites dans la Bible) mais les moyens d'enseignement vont différer. Ainsi, on utilise beaucoup plus la lecture(9) et cet apprentissage aura pour conséquence une véritable alphabétisation des élèves. Malgré l'intérêt de la communauté anglophone pour l'instruction publique, il n'existe, à Montréal, en 1866, que trois écoles publiques protestantes, qui comptent 740 élèves et 15 enseignants, alors que les écoles privées accueillent plus de 3 000 enfants et engagent plus de 80 enseignants. C'est le même type d'enseignement qu'on dispense aux adultes et aux jeunes par l'entremise du « Sunday School Movement », ce qui entraîne les mêmes conséquences. De plus, au sein des groupes d'étude de la Bible, les adultes vont apprendre à participer à la vie associative de la communauté anglophone, ce qui a permis à celle-ci de s'enrichir et de se perpétuer.

L'Église catholique consacre tous ses efforts à la formation des élites canadiennes-françaises dans ses collèges classiques. Entre 1665 et 1911, sont fondés au Québec 21 collèges classiques(10) , dont un, anglais catholique, le « Loyola Collège », fondé en 1896. L'objectif premier de ces collèges est de former des prêtres... Cependant, on ne refuse pas d'y admettre même ceux... qui veulent faire un cours classique pour embrasser plus tard une carrière libérale(11). Toutefois, certains critiquent, dès le début du 20e siècle, le caractère trop traditionnel de la formation donnée dans les collèges, où la science et l'économie sont quasi absentes. En réponse à ces critiques, le clergé exprime clairement ses positions. Reprenons les propos de l'abbé Camille Roy, du Séminaire de Québec:

Outillons-nous donc, puisqu'il le faut, fondons des écoles de hautes études pratiques ; que nos gouvernements suppléent à l' initiative privée qui manque de ressources ; développons même, en ce sens utilitaire, l'enseignement de nos universités. Mais ne demandons pas... à nos collèges classiques... de se transformer en usines où l'on prépare les apprentis de tous les métiers.(12)

C'est d'abord la communauté anglophone protestante qui se dote d'instruments d'enseignement supérieur. Dès 1821, l'Université McGill est fondée; le « Bishop College » le sera en 1843. La première université française, l'Université Laval, ne voit le jour qu'en 1852; elle reçoit, en 1876, une charte pontificale et elle est dirigée par les prêtres du Séminaire de Québec. Tout au long de son histoire, elle sera soucieuse d'affirmer son indépendance face à l'Etat.

Là, au cercle, celui qui possède quelques connaissances en fait d'agriculture, se fait un devoir et un bonheur d'en faire part aux autres.

Source: Gazette des Campagnes, 29 décembre 1887.

* En plus, il faut se rappeler que la précarité des moyens financiers des agriculteurs ne leur permettaient pas de s'offrir de telles préoccupations.

Les bienfaits des expositions sont généralement retirés par nos meilleurs cultivateurs, capitalistes et autres personnes possédant des terres en bon ordre, tandis que ceux qui ont réellement besoin d'instruction et d'encouragement sont virtuellement exclus.

Source: Firmin Létourneau, Histoire de l'agriculture (Canada-Français), Oka, 1959, p. 113.

1.1.1.3 La formation et le milieu agricole

Très démuni au plan scolaire, le monde rural disposera, à la fin du 19e siècle, non seulement d'un réseau d'écoles, mais aussi, de fermes de « démonstration », de journaux spécialisés et de nombreux cercles agricoles qui permettront la diffusion des connaissances. En dehors des écoles, ces cercles vont constituer un outil privilégié de formation pour les agriculteurs. Ils mettent en avant un mode d'apprentissage basé sur le travail de groupe, mieux adapté que le travail scolaire au mode de vie des cultivateurs. C'est au sein des cercles d'études que prendront naissance les syndicats et coopératives agricoles.

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, le monde rural passe d'une agriculture autarcique à une agriculture de marché. La croissance démographique conduit non seulement à l'exode, mais aussi à une restructuration des fermes familiales. Le goût de la nouveauté ou le « défi » interviennent bien peu comme éléments de motivation pour l'apprentissage et pour le changement dans ce milieu rural canadien-français de la fin du 19e siècle, où la « survivance », la « conservation » et la résistance tendent à l'emporter sur « l'ouverture » et l'adaptation*. Dans ce contexte, la paroisse est un tout: c'est le cadre du travail, des activités communautaires et de la formation. La transmission d'un savoir de base se fait dans la famille, et par elle: on confie des tâches de plus en plus complexes et de plus en plus de responsabilités. Dans ce milieu rural, la formation est donc tout le contraire d'une formation de type scolaire, où la théorie et la pratique souvent se rejoignent difficilement. L'agriculteur accorde d'autant plus d'importance à un apprentissage que celui-ci peut lui être utile dans ses activités quotidiennes. Il s'initie aux changements par l'information, la « démonstration » et la discussion de groupe, si cela peut répondre à ses propres besoins.

Entre 1850 et 1860, le gouvernement et, encore davantage, l'Église, conscients des problèmes que pose la modernisation de l'agriculture, s'efforcent de cerner les besoins des agriculteurs en matière de formation. On implante un réseau d'écoles supérieures d'agriculture et de fermes modèles, à partir de l'infrastructure existante des collèges et des séminaires. Les autorités provinciales sont fortement influencées par la pensée agriculturiste qui prévaut depuis l'Union. C'est une idéologie qui amalgame le patriotisme canadien-français, la religion catholique et l'activité agricole. Le discours officiel alimente néanmoins une idéologie éducative élitiste qui favorise l'émergence d'une catégorie d'agriculteurs, futurs leaders de leur milieu. L'exemple et la compétition seront les deux principaux éléments sur lesquels s'appuiera la formation des agriculteurs.

Pendant toute cette période, divers « agents » diffuseront de nouvelles connaissances. Les écoles d'agriculture dispensent un enseignement de type traditionnel, à la fois théorique et pratique, mais la pratique n'intervient que comme illustration de la théorie déjà enseignée. Les « écoles de laiterie » vont non seulement former des éleveurs, mais aussi contrôler les produits laitiers; l'expérience des fermes-écoles nous apprend donc qu'un certain type d'éducation des adultes, né de nécessités économiques et techniques, satisfaisait un certain nombre d'agriculteurs en s'adaptant au rythme de la vie rurale et en répondant aux impératifs du changement.

A cette date (1913), on a confié à l'agronome un territoire bien défini: le comté. On l'a institué l'unique professeur titulaire dans ce milieu. Il est à peu près libre de choisir les modalités de travail que lui commandent le milieu, le tact et la prudence. Il doit se faire des amis, organiser son programme.

Source: Gustave Toupin, « Évolution de l'action agronomique depuis 1912 », Agriculture, 1949, p. 258.

Les connaissances nouvelles n'ont pas été diffusées uniquement par voies institutionnelles. Les agronomes, les journalistes et les conférenciers ont été eux aussi des diffuseurs de connaissances. Deux journaux ont occupé une place primordiale dans la propagation de nouvelles idées: la Gazette des Campagnes, organe officieux des milieux catholiques, et le Journal d'Agriculture canadien, journal officiel du gouvernement provincial. Les conférenciers, pour leur part, vulgarisaient les techniques agricoles, commentaient les articles de journaux, et les manuels d'agriculture dont ils étaient souvent les auteurs. Ils furent les pionniers de l'animation rurale, et leur action s'est amplifiée grâce à la multiplication des collèges d'agriculture et des cercles agricoles. Ces cercles, qui prirent naissance dès 1882, constituent, en fait, une réponse du milieu agricole aux différentes formules éducatives qui lui sont proposées.

Leur origine tient à une conjonction de phénomènes d'ordres bien différents: l'état lamentable de l'agriculture au point de vue technique et économique, la nécessité de reconvertir la production, la diffusion des connaissances nouvelles et certainement le zèle d'animateurs locaux et de propagandistes. Les cercles furent constitués au moment où la notion « d'agriculteur-modèle » était battue en brèche et où les modèles communautaires et coopératifs se dessinaient. L'éducation entre pairs qu'ils favorisaient est définie dès 1880. Dans un article du Journal d'Agriculture, traitant des cultivateurs affiliés aux cercles, on dit qu'ils s'entraident de bien des manières par des achats en commun, diminuent beaucoup les dépenses de chacun, tout en s'assurant de meilleurs achats(13). Ils s'instruisent mutuellement, et profitent des expériences des uns et des autres..., le professeur ou l'inspecteur d'agriculture devenant celui que l'on consulte de temps à autre selon les besoins d'information(14). Les cercles avaient le souci de mettre au point un type de formation qui ne soit pas « déconnecté » de la vie réelle. Ils ont ainsi trouvé une formule qui alliait la formation des agriculteurs et l'amélioration de leurs conditions d'existence. Il faut en souligner l'originalité. Les cercles connaissent un succès immédiat. En 1883, il en existe 43, ils seront au nombre de 530 au début du 20e siècle. En 1900, ils regrouperont environ 43 000 membres. Les cercles agricoles ont élaboré un modèle d'éducation des adultes reposant sur une volonté d'éducation populaire.

1.1.1.4 La formation des travailleurs et des travailleuses

A) Les écoles de métiers

L'industrialisation favorise la mécanisation et la division du travail; un nombre grandissant de travailleurs et de travailleuses est amené à effectuer des tâches souvent monotones et ingrates. Dans une ville comme Montréal, la masse des prolétaires augmente rapidement durant la deuxième moitié du 19e siècle. Les quartiers les plus populeux sont ceux de l'est où habitent une majorité d'ouvriers canadiens-français(15). Dans ces quartiers, le taux de mortalité est plus élevé, le niveau d'instruction plus bas, et les revenus plus faibles que dans les autres quartiers. La mécanisation change aussi la nature du savoir technique. Pour répondre aux besoins de l'industrie, il devient nécessaire d'organiser la formation professionnelle d'un certain nombre de travailleurs et travailleuses. Le gouvernement et quelques entreprises prennent certaines initiatives, mais, dans l'ensemble, l'enseignement spécialisé demeure inadéquat(16)La période 1869-1907 sera néanmoins marquée par la fondation des écoles de métiers, sous l'égide du Conseil des arts et manufactures, et par la création des écoles du soir du gouvernement dirigé par Mercier.

Tableau 1 : La formation des travailleurs au 19e siècle

1800 Cours du soir des sociétés ou instituts d'artisans.

1828 Création du « Montréal Mechanic's Institute ».

1846-1856 Création de collèges industriels.

1859 Création de l'Académie commerciale catholique (1859-1872).

1868 Création de l'école du soir de la Société Saint-Vincent-de-Paul.

1869 Création du Conseil des arts et manufactures (1869-1928).

1870-1879 L'abbé Chabert crée l'Institution nationale des beaux-arts.

1872 Organisation des écoles de métiers du Conseil des arts et manufactures.

1874 Création de l'École polytechnique à Montréal.

1887 Création des écoles d'industries à Montréal; affiliation de l'École polytechnique à la succursale de l'Université Laval à Montréal.

1889    Dépôt du Rapport de la Commission royale d'enquête sur les relations entre le capital et le travail. Création du Conseil du travail de Montréal.

1890- 1892 Le gouvernement Mercier crée officiellement les écoles du soir.

1890    Création de plusieurs clubs ouvriers à Montréal.


Créé en 1869, le Conseil des arts et manufactures, structure gouvernementale financée par l'État, par des industries locales et par des conseils municipaux, organise des écoles de métiers à partir de 1872. Ces écoles s'adressent à des artisans manufacturiers, généralement de jeunes apprentis, et se spécialisent dans l'enseignement du dessin industriel. Certaines compagnies, seules ou en collaboration avec le Conseil des arts et manufactures, élaborent, par ailleurs, des programmes de formation pour leurs employés: par exemple, le Canadien Pacifique organise des cours dans les usines Angus. Ces cours visent à la fois la moralisation et la formation technique, s'étalent sur quatre ou cinq ans et ont lieu pendant les heures de travail et le soir(17).

En 1889, le gouvernement libéral d'Honoré Mercier crée officiellement les écoles du soir. Dans les années qui ont précédé, des membres des Chevaliers du travail et d'autres syndicalistes ont revendiqué pour améliorer les conditions de vie des travailleurs et pour une meilleure éducation. À l'encontre de ces idées progressistes, les éléments conservateurs protestent contre l'adoption éventuelle d'une loi en faveur de l'instruction obligatoire et gratuite. La création des écoles du soir se révèle être un compromis entre ces deux positions. Ces écoles, qui s'adressent aux francophones et aux anglophones, ont pour but de permettre aux travailleurs d'avoir accès à l'enseignement ou de compléter leur instruction élémentaire de base. Leur principal attrait réside dans le fait qu'elles soient gratuites. Elles sont donc accessibles à l'ensemble des ouvriers, et certains saisiront là l'occasion de parfaire leur formation. L'Église voit d'ailleurs d'un bon oeil la multiplication des écoles du soir, qui ont, selon ses promoteurs, une fonction de moralisation et de contrôle social(18). En effet, l'éducation des travailleurs, dans ce contexte, vient contribuer à les éloigner des associations syndicales. Le programme d'études proposé par les écoles du soir comprend l'enseignement du français, de l'anglais, de la géographie, de l'histoire, de la comptabilité, du dessin industriel et de la lecture. Le choix des cours est laissé à la discrétion des travailleurs. La seule exigence pour être admis à ces cours est d'avoir 16 ans.

Rapidement, on crée huit écoles du soir à Montréal. Elles remportent aussitôt un vif succès. En moins d'une semaine, on enregistre plus de 5 000 inscriptions(19) . Devant l'intérêt que suscite ce système d'enseignement, le gouvernement augmente son aide financière et recrute de nouveaux professeurs afin de répondre à la demande. En l'espace d'un an, on ouvre, sur l'île de Montréal, 30 écoles du soir fréquentées par 7 734 élèves et dirigées par 17 principaux et professeurs(20). On en retrouve aussi dans la région de l'Estrie et dans les villes de Joliette, Saint-Jérôme, Sorel, etc. Cependant, les écoles du soir vont être confrontées rapidement à un problème majeur: l'abandon des cours par les travailleurs qui, fatigués de leur journée de labeur, étaient peu disposés à suivre des cours du soir, et peu disponibles pour poursuivre des études en soirée. Cette explication n'est, toutefois, pas entièrement satisfaisante, étant donné l'empressement des étudiants à s'inscrire à ces cours. On peut présumer que le « type » d'enseignement dispensé a rebuté une majorité d'étudiants.

En 1891, lorsque le gouvernement conservateur prend le pouvoir, il remet immédiatement en question l'existence des écoles du soir en en abolissant la gratuité. Le clergé, qui pourtant appuyait cette expérience, n'intervient pas dans cette décision, s'opposant en fait à toute forme d'instruction obligatoire gratuite. Dans ce nouveau contexte, le nombre d'inscriptions diminue considérablement; c'est ainsi que l'on justifiera, en 1892, l'abandon de ce programme. Cette expérience des écoles du soir, bien que n'ayant duré que trois ans, reste importante car c'est l'une des rares initiatives du gouvernement du Québec dans le domaine de l'éducation professionnelle, et une expérience d'éducation des adultes développée dans le milieu ouvrier.

B)    Le « Montreal Mechanic's Institute »

Dans le milieu anglophone, on s'est très tôt intéressé à la formation des travailleurs. Le « Montréal Mechanic's Institute », créé en 1828, est la première institution d'éducation destinée aux travailleurs industriels. Il constitue le prolongement colonial de l'expérience britannique dans ce domaine. Ce sont des notables, issus de la communauté anglophone, qui ont lancé ce projet et en ont assumé la direction au cours des ans. Le « Montréal Mechanic's Institute » est conçu comme un instrument qui devait permettre de faire face aux changements économiques, culturels et sociaux. L'Institut donne, entre autres, des cours du soir d'alphabétisation aux travailleurs, artisans et journaliers, majoritairement anglophones, afin de leur permettre de répondre adéquatement aux besoins des industries naissantes. En 1840, l'Institut élargit ses activités et donne des cours du jour destinés aux fils des membres de l'Institut. Le « Montréal Mechanic's Institute » dispense des cours de grammaire, d'arithmétique, de français, d'architecture, de mécanique et de dessin. De plus, dans les locaux mis à la disposition de l'Institut, on retrouve un collège technique, une bibliothèque, un cabinet de lecture, une salle de conférences et un musée. Comme on le voit, les activités de l'Institut ne se réduisent pas à dispenser des cours techniques, mais tendent plutôt à s'inscrire dans une démarche plus large, qui est éducative, sociale et culturelle. Par exemple, dès 1843, l'Institut organise une exposition industrielle. La salle de lecture devient un des centres culturels les plus importants à Montréal; des conférences et des concerts y sont régulièrement présentés. La tradition qu'a instaurée cet institut favorisera, en 1906, la création du « Montréal Technical Institute ».

C)    « Young Men's Christian Association » (YMCA)

Le YMCA est une institution vouée à l'éducation des adultes. Il est conçu sur un modèle britannique. Celui de Montréal, fondé en 1851, est le premier à voir le jour en Amérique du Nord. Il a permis de développer un vaste réseau de services répondant aux besoins des jeunes travailleurs. Plus qu'une simple association, le YMCA est devenu une véritable institution, et peut même être qualifié de mouvement social et éducatif. Le YMCA est fondé par un groupe de jeunes hommes motivés par un désir d'évangélisation. Il s'adresse uniquement à la communauté anglophone et offre des services éducatifs, sociaux et spirituels. En effet, les activités proposées comprennent l'étude de la Bible, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, des conférences religieuses et littéraires et une formation civique. Une bibliothèque comprenant une salle de lecture pour les journaux et les périodiques est ouverte. On met de nombreuses années à définir la fonction principale que le YMCA devait assumer. On hésite entre une fonction plus sociale ou plus évangélisatrice.

Au début du 20e siècle, les choix se clarifient et le YMCA élabore un programme comprenant quatre volets: religion, activités sociales, activités physiques et éducation. Vers les années 1870, le YMCA s'intéresse tout particulièrement aux besoins de ses membres travaillant dans le monde du commerce, et organise des cours spéciaux à leur intention. On va plus loin: un programme complet de formation en économie est élaboré pour répondre aux besoins des jeunes adultes. Cette section commerciale de l'association va continuer à se développer pour, finalement, se transformer et donner naissance au Collège Sir George Williams. Un des principaux soucis du YMCA est d'atteindre les jeunes directement dans leur lieu de travail. Ainsi, l'association crée en 1867 une section « Chemin de fer », dans le quartier de la Pointe Saint-Charles, non seulement pour faire connaître aux employés des chemin de fer les textes bibliques, mais aussi pour leur enseigner la lecture, la grammaire, etc. En somme, c'est la volonté évangélisatrice d'un groupe de jeunes qui a permis l'implantation et le développement du YMCA.

Tableau 2 : Quelques sociétés littéraires ou culturelles

1824

Québec Literary and Historical Society*

1825

Montreal Natural History Society*

1828

Bibliothèque des avocats* (bilingue)

1832-1834

La Société Saint-Jean-Baptiste*

1844

L'Institut canadien

1851

Young Men's Christian Association*

1858

La Société historique de Montréal

1874

Young Women's Christian Association*

1893

Le Conseil des femmes de Montréal.


1.1.1.5 Les initiatives dans le domaine social et culturel

La vie « associative » a connu un développement considérable. Les associations bénévoles auront plusieurs tâches à remplir, étant donné l'absence de services sociaux structurés ou institutionnalisés et l'ampleur, la nouveauté et la diversité des besoins sociaux et éducatifs. Les liens familiaux et sociaux, tels qu'ils étaient vécus dans le cadre d'une vie traditionnelle à la campagne, s'affaiblissent dans une société urbanisée. Les individus se retrouvent isolés dans les villes. Les francophones ont tendance, semble-t-il, à se replier sur eux-mêmes depuis l'échec politique de 1837. L'idée d'association, que prônent bon nombre d'organes libéraux de presse, prend toute sa signification. Il faut, selon eux, remplacer la concurrence qui ruine les uns et enrichit les autres, par le concours qui enrichit tout le monde(21). De plus, au niveau culturel, la création des associations va être d'autant plus importante que les activités proprement culturelles sont fort rares dans la mesure où, hors de l'Église, il n'y a pas de lieu où se forme l'identité sociale et ethnique. Aussi, chez les francophones, il n'y a point de théâtre, ...de concerts, ...de sociétés savantes, ...de cercles.(22) Les anglophones semblent être les premiers à avoir mis sur pied tout un ensemble d'associations d'entraide, de sociétés scientifiques, historiques ou littéraires, dont les plus prestigieuses sont la « Montréal Natural History Society », véritable centre de recherche scientifique et la « Québec Literary Historical Society ».

Les « associations littéraires », ou « associations culturelles » à recrutement volontaire et à but non lucratif, s'inspirent autant de l'expérience des « Mechanic's Institutes » que du mouvement des cabinets de lecture d'Europe occidentale. On les connaît sous différentes dénominations: « institut littéraire », « institut d'artisans », « association de bibliothèques ». Leur modèle est « l'Institut canadien ».

De 1840 à 1870, on assiste à la création d'une centaine de ces associations. On les retrouve sur les grandes voies de communication, le long du Richelieu, des nouvelles lignes de chemin de fer. Les « instituts » sont un phénomène urbain. Ils sont soutenus par les cotisations des membres, les abonnements à la bibliothèque, la générosité publique et des subventions gouvernementales intermittentes. Leur originalité vient du fait qu'ils se définissent comme un lieu d'instruction, d'éducation mutuelle et de progrès général, sans distinction de classe, de fortune, de rang, de religion ni de langue.

L'Institut canadien de Montréal, fondé en 1844, est celui qui a eu le plus de rayonnement. Les membres, principalement des marchands, des commis-marchands et des gens des professions libérales, étaient, en 1871, au nombre de 776(23). L'Institut abritait une bibliothèque qui possédait près de 11 000 volumes en 1879. Il s'agissait principalement d'ouvrages qui prônaient des idées libérales. Une « salle des nouvelles » fut ajoutée à la bibliothèque à partir de 1855; on pouvait y consulter jusqu'à 110 périodiques. On y organisait des conférences et des discussions hebdomadaires. Ce sont elles qui ont principalement contribué au rayonnement et à la politisation de l'Institut canadien de Montréal. Ces discussions étaient organisées sous forme de débats: les membres, une semaine à l'avance, choisissaient un sujet d'actualité; un orateur défendait telle thèse et l'autre, la thèse opposée, puis la salle exprimait son point de vue par un vote.

Les bibliothèques sont un autre instrument de formation sociale et culturelle. Pendant tout le 19e siècle, on assiste à l'émergence d'une grande variété de bibliothèques privées de tous genres et à la création de bibliothèques publiques au début du 20e siècle. Dès le départ, la bibliothèque est un instrument de formation aux mains des élites naissantes: la bourgeoisie commerciale, industrielle et professionnelle. Il ne faut pas oublier que la majorité de la population était analphabète. De plus, l'histoire des bibliothèques met en relief la différence entre la communauté francophone et la communauté anglophone, en ce qui touche leur évolution culturelle et les orientations de la formation de leurs lecteurs adultes. D'une part, le milieu anglophone de la province, directement lié à la mère-patrie et aux colonies anglaises du sud, se dote de bibliothèques ouvertes sur le monde et organisées selon des techniques scientifiques. D'autre part, le milieu francophone, totalement coupé de la France, replié sur lui-même, mettant toutes ses énergies à résister à l'anglicisation, reste dominé culturellement par l'influence de l'Église, qui contrôle très strictement le choix des livres garnissant les bibliothèques. Ce clivage entre les deux communautés va se perpétuer jusqu'à l'aube du 20e siècle. Vers 1900, le philanthrope américain, Andrew Carnegie, offre à toutes les provinces son appui financier pour la construction de bibliothèques publiques gratuites. Seule la province de Québec refusera son aide.

Le demi-siècle qui s'étend de 1850 à 1900 est une période de mise en place d'éléments de structure économique, politique, sociale et éducative qui vont s'organiser pendant la période suivante. L'économie capitaliste a jeté ses bases: l'industrialisation et l'urbanisation. L'État s'est donné un cadre politique: la Confédération. La bourgeoisie a forgé des instruments pour asseoir son pouvoir. La masse des agriculteurs et des nouveaux ouvriers est confrontée aux changements. C'est dans ce contexte, et pour répondre à de nouveaux besoins, qu'est née l'éducation des adultes au Québec. Elle est déjà, à ce moment, source de rattrapage scolaire, ferment de contestation, élément de développement économique, culturel et personnel. Ses tensions et ses contradictions prennent forme.

1.1.2 Les années 1900-1950

1.1.2.1 Le contexte socio-économique en 1900

Le processus d'industrialisation amorcé au cours de la seconde moitié du 19e siècle se poursuit, appuyé par le parti libéral qui gouverne, au niveau fédéral comme au niveau provincial, durant presque toute la période de 1900 à 1950. Prospérité et ouverture au progrès sont deux thèmes largement diffusés par les dirigeants politiques de l'époque. Entre 1896 et 1913, trois facteurs contribuent à la prospérité économique du Canada: la mise en valeur de l'ouest du Canada, le développement d'un réseau ferroviaire et la poussée industrielle en Ontario et au Québec(26). L'exploitation des richesses naturelles va profondément modifier la structure industrielle québécoise. En quelques années, les secteurs de l'hydro-électricité, des pâtes et papiers, de l'électro-métallurgie, de l'électro-chimie et des mines vont connaître un développement considérable. Il s'ensuit que l'infrastructure manufacturière, mise en place pendant la deuxième moitié du 19e siècle et s'appuyant principalement sur l'industrie légère (chaussure, textile, vêtement) et sur l'industrie lourde (fer, acier, matériel de transport), connaît d'importants réaménagements(27). L'État, sous les gouvernements libéraux, contribuera largement au développement industriel.

Tableau 3 : Capital investi dans les fermes (milliers de dollars)

 

1931

1951

Dépenses totales

877

1 339

Dépenses en machineries

97

211

Source: Diane Lessard, « L'agriculture et le capitalisme au Québec », L'Étincelle, Montréal, 1974, p. 38.

L'urbanisation se poursuit à un rythme accéléré. En 1901, 36% de la population du Québec se retrouve en milieu urbain; en 1931, ce pourcentage passe à 60%. Les anglophones, malgré une présence importante dans certains comtés ruraux, se concentrent de plus en plus à Montréal, tout comme la majorité des immigrants d'autres origines. La crise de 1929 va contribuer à accélérer l'exode rural. C'est par milliers que les ruraux viennent à Montréal, dans l'espoir d'un sort meilleur. La population urbaine de l'île de Montréal passe de 345 000 habitants en 1901 à près d'un million en 1931(28).

Le monde agricole, lui aussi, subit des transformations importantes. L'étendue moyenne des fermes passe de 96 acres en 1901 à 125 acres en 1921. Ce mouvement de concentration est lié à la mécanisation qui permet d'exploiter de plus vastes superficies. Le pourcentage des dépenses allouées à la machinerie augmente beaucoup plus rapidement que le capital global investi dans l'exploitation des fermes.

La crise économique qui se poursuit au cours des années 30 freine le développement industriel du Québec. Elle frappe les exportations de bois et de papier vers les États-Unis et ralentit dramatiquement l'activité commerciale et manufacturière. Les petits producteurs connaissent des jours difficiles à cause de l'écart qui existe entre les prix des biens de production et les prix agricoles. Alors qu'autour des grands centres des fermes se développent, à la périphérie, les agriculteurs ont peine à survivre. Dans ce contexte économique perturbé, le gouvernement et le clergé encouragent, à nouveau, les mouvements de colonisation, y voyant une solution pour enrayer le chômage et la pauvreté. Des milliers de personnes vont se déplacer vers de nouvelles terres.

Dès 1940, plusieurs patrons constatent avec effroi, qu'ils ne peuvent accepter tel ou tel contrat parce qu'il n'y a pas de main-d'oeuvre qualifiée.

Source: Ovila Bélanger, ptre, La formation professionnelle dans les centres d'apprentissage (Thèse de maîtrise, Relations industrielles, Université Laval, 1949), p. 58.


L'entrée en guerre du Canada, en septembre 1939, et le développement de l'industrie de guerre qu'elle engendre, permet une reprise économique d'envergure et donne l'occasion à Ottawa de resserrer son emprise sur le système politique canadien. Le deuxième conflit mondial, par ses besoins militaro-industriels, contribue grandement aux transformations qui se produisent dans l'industrie québécoise(29). L'effort de guerre place momentanément les fabriques de textiles au premier rang du secteur manufacturier, à cause de la forte demande des Forces armées canadiennes et des pays alliés. Mais, dès la fin de la guerre, l'industrie du bois et du papier reprend la première place dans la valeur brute de la production manufacturière au Québec(30). Cette période se caractérise par l'exploitation accélérée de nos richesses naturelles par du capital américain surtout.

Les politiques du gouvernement provincial, influencées par celles du gouvernement fédéral, amènent les hommes politiques québécois à légiférer dans les domaines du travail, de l'éducation, de la santé, de la famille, de l'habitation. Ils gouvernent un Québec dans lequel les transformations économiques ne cessent d'entraîner une remise en question des valeurs véhiculées par l'élite traditionnelle et le clergé.

En 1941, le Québec est la province la plus urbanisée du Canada. À lui seul, le centre urbain de Montréal regroupe plus du tiers de la population totale du Québec. L'urbanisation liée à une industrialisation intensive n'est pas sans créer des problèmes sociaux. Cette situation contribue à l'augmentation des effectifs syndicaux. Bon nombre de travailleurs adhèrent à la Confédération des travailleurs catholiques du Canada. Mais la majorité, particulièrement dans la région de Montréal, choisit les syndicats internationaux de métiers ou industriels, d'origine américaine(31). Jusqu'à la grève de l'amiante, en 1949, les syndicats nationaux catholiques ne regrouperont guère plus de 30% des forces syndicales québécoises. Les travailleurs et travailleuses connaissent pour la plupart des conditions de vie qui se détériorent davantage de jour en jour.

Les revendications des femmes, pour la reconnaissance de leurs droits politiques, qui avaient débuté dès la fin du 19e siècle, vont s'élargir aux revendications économiques et sociales. En effet, la venue massive des femmes sur les marchés de travail lors du second conflit mondial entrainera une modification de leur rôle traditionnel et des revendications de droit au travail et mettra en évidence l'absence de certain droits, éducatifs, juridiques et sociaux.

L'Église, entre 1900 et 1950, élargit ses structures d'encadrement, tout particulièrement en milieu urbain. On assiste à l'organisation de mouvements d'action catholique d'où sortiront plusieurs leaders de la Révolution tranquille et à la création de l'École sociale populaire qui, pendant plus de 40 ans, va concourir à diffuser le message idéologique de l'Église.

1.1.2.2 La situation de l'enseignement

Si la situation économique connaît de profonds bouleversements, le système scolaire, par contre, n'a guère changé. Il existe des écoles primaires publiques dont le cours ne dure que quatre ans, ouvertes aux garçons et aux filles. En 1922, la Loi de l'Instruction publique est modifiée afin de restructurer le primaire. L'enseignement élémentaire, maintenant d'une durée de six ans, est divisé en sections inférieure, moyenne et supérieure. Par cette loi on accorde droit de cité aux « matières ménagères » dans les écoles primaires, mais à titre facultatif seulement.(32) La formation qui y est donnée comprend: la religion, la grammaire, l'arithmétique, l'histoire et la géographie. De plus, on ajoute à l'enseignement primaire proprement dit, deux années d'études, appelées cours primaire-complémentaire. En 7e et 8e années, l'élève peut choisir les options suivantes: industrielle, commerciale agricole ou ménagère (33).

Ce n'est qu'en 1929 qu'est acceptée la création d'un cours primaire-supérieur d'une durée de trois ans. Toutefois, ce cours ne permet pas d'accéder aux études supérieures. C'est là une sérieuse lacune du système scolaire public catholique(34). Malgré ces améliorations du système d'enseignement la plupart des enfants des milieux ouvriers et populaires continuent de quitter l'école très tôt, afin « d'aller travailler ». Une Commission d'enquête présidée par Lomer Gouin indiquait, en 1926, que 94% des enfants catholiques quittent l'école après la 6e année(35). Il faudra attendre 1943 pour qu'une loi sur l'instruction publique obligatoire soit votée. Cette loi était l'aboutissement des revendications d'organisations ouvrières entre autres, qui, depuis l'époque des Chevaliers du travail, réclamaient un système scolaire public au Québec.

Les milieux aisés canadiens-français peuvent, quant à eux, envoyer leurs enfants dans les institutions supérieures dirigées par des membres de l'Église catholique. Les « collèges classiques » et les universités se développent. Ces dernières, dès le début, offrent des programmes destinés aux adultes. Des cours postscolaires sont offerts à l'École supérieure de Sainte-Anne-de-la-Pocatière à partir de 1913. L'École des Hautes Études Commerciales donne des cours du soir aux adultes dès 1917. L'Université McGill établit un Service « d'extension » de l'enseignement en 1927, et en 1929, l'Université de Montréal suit l'exemple de l'université anglophone en ouvrant une École du Tourisme. À l'Université Laval, les services d'éducation populaire remontent à la création de l'École des Sciences sociales en 1932. S'adres-sant au « grand public », cette école offrait un éventail assez impressionnant de cours du soir. La faculté des Sciences sociales créée, elle, en 1944, mettra en place en 1951, un service extérieur d'éducation sociale nommé Centre de Culture populaire de l'Université Laval. Enfin, en 1942, le collège Sainte-Marie à Montréal offre un baccalauréat ès Arts pour adultes.

Dès la fin du 19e siècle, on assiste à la mise sur pied d'institutions destinées spécifiquement aux femmes. Ainsi en 1882, les Ursulines fondèrent la première école d'enseignement ménager, l'École ménagère de Roberval(36). S'appuyant sur l'enseignement ménager et agricole pratique, l'école qui cherche à former des femmes de colons, vise non seulement à donner aux jeunes filles une éducation morale, mais aussi à leur apprendre l'économie domestique. L'école prend rapidement de l'ampleur tout en s'assurant un grand succès tant auprès du clergé qu'auprès du gouvernement. Convaincu de l'importance d'une telle éducation féminine, le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère de l'Agriculture, aide financièrement les écoles ménagères et leur accorde des subventions.

Entre 1905 et 1907, sont créées 3 nouvelles écoles ménagères: l'École de Saint-Pascal, l'École de Sainte-Anne-de-Bellevue du « Macdonald Collège » et les Écoles ménagères provinciales. Si l'École de Roberval est importante pour l'histoire des écoles d'enseignement ménager, c'est réellement l'École de Saint-Pascal qui va permettre la naissance d'un mouvement d'enseignement ménager et l'implantation de structures propres à ce type d'enseignement dans le système scolaire de la province de Québec. En 1909, la Loi de l'instruction publique est modifiée afin de permettre aux écoles ménagères de relever des écoles normales et ainsi de bénéficier des mêmes droits. Les écoles offrent donc une formation ménagère et agricole intégrée au cours dit « classique » de l'institution; c'est ce que l'on nommera le cours classico-ménager. Concrètement le programme intègre des enseignements sur l'hygiène, la pédagogie familiale, la science du ménage, l'apiculture, l'agriculture, la botanique, la comptabilité domestique et agricole, la musique, les arts, etc.

En 1910-1911, une adaptation du programme classico-ménager est appliquée dans quelques écoles primaires. En effet, le gouvernement provincial, qui juge l'expérience des écoles ménagères de Roberval et de Saint-Pascal intéressante, accepte d'inscrire dans le programme des écoles primaires une variante du projet d'enseignement ménager. L'école normale primaire classi-co-ménagère est fondée en 1913, et vise à former des « institutrices pour les enfants du peuple », capables d'enseigner le programme classico-ménager dans les écoles primaires. Le mouvement des écoles ménagères prend rapidement de l'ampleur sous l'oeil bienveillant de l'Église et de l'État.

Le ministère de l'Agriculture met également sur pied, en 1923, le Service d'économie et d'arts domestiques que dirige Alphonse Désilet, agronome. Le Service est responsable de la promotion de l'apprentissage des tâches domestiques auprès des femmes par le biais de conférences, de démonstrations dans les cercles de fermières (fondés à cette époque), dans les expositions artisanales et par la publication de la revue La Bonne Fermière. En 1926, a lieu le premier Congrès pédagogique provincial de l'Enseignement ménager qui va permettre d'uniformiser les principes et les méthodes pédagogiques de cet enseignement. À cet effet, on assiste, en 1929, à la récupération de l'enseignement ménager par le Département de l'Instruction publique, ce qui confirme le sérieux que l'on commence à prêter à ce genre d'éducation(37).

Parallèlement au développement des écoles ménagères pour jeunes filles, on assiste à la création d'établissements ménagers postscolaires et à la mise sur pied de cours populaires destinés à la population adulte. Par exemple, des écoles ménagères spéciales s'adressent aux jeunes filles et aux femmes de tous les milieux et elles n'exigent aucune formation minimale. Administrées par des sociétés privées, des communautés religieuses, le curé de la paroisse, la commission scolaire ou la municipalité, ces écoles visent à compléter l'éducation familiale des femmes, tout particulièrement celle des ouvrières et des fermières.

Ce cours n'a pas été conçu pour répondre à telle tendance psychologique ou à telle vocation privilégiée, mais uniquement en vue d'obtenir un développement maximum de cet humain qui est homme et femme.

Source : Mémoire des collèges classiques de jeunes filles à la Commission Royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, 1954, p. 27.

De 1882 à 1950, les écoles ménagères québécoises ont formé approximativement 35 000 élèves alors que, dans le même temps à peu près (1908-1954), les collèges classiques féminins ont décernés moins de 2 000 diplômes.

Source: M. Pérusse, « Autrefois, naguère, aujourd'hui; l'instruction au féminin », dans Education Québec, janvier 1979, p. 16.


Si l'enseignement ménager a connu un certain essor, l'enseignement classique pour jeunes filles a connu quant à lui, des débuts difficiles. Ainsi le premier « collège classique » pour jeunes filles n'apparaît qu'en 1908 grâce à l'initiative des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame et d'une laïque, Marie Gérin-Lajoie. L'éducation qui y est offerte s'inspire des principes humanistes. En somme, contrairement à l'éducation donnée dans les écoles ménagères, laquelle se veut « très féminine », l'éducation des « collèges classiques » pour jeunes filles, beaucoup plus rigoureuse, vise à former intellectuellement les futures épouses de l'élite. Au cours des années, le nombre de « collèges classiques » s'accroît, tout comme le nombre des inscriptions; toutefois, l'expansion de ce réseau est beaucoup moins rapide que celle des écoles ménagères.

1.1.2.3 L'éducation dans le monde agricole

De 1900 à 1920, la formation destinée aux agriculteurs se caractérise par une « mise en forme » des initiatives du siècle précédent et leur reconnaissance officielle par les pouvoirs publics. Le travail des cercles agricoles, tout comme le travail des agronomes et des conférenciers, est enfin reconnu par le gouvernement. Dans une conjoncture économique favorable à l'agriculture, le gouvernement provincial apporte son appui à la formation des cadres agricoles, à la recherche, à la diffusion des techniques et des connaissances nouvelles. L'éducation des agriculteurs est centrée sur la rationalisation du travail et l'utilisation des machines agricoles. Les écoles d'agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, d'Oka et le Macdonald Collège, dont le rôle est de former des agronomes et des cadres techniques, connaissent un nouvel essor en s'affiliant à des universités. Le gouvernement fédéral, entre 1911 et 1921, leur accorde même, en vertu de la Loi sur l'enseignement agricole, des subventions suffisamment élevées pour leur permettre de construire des bâtiments plus importants, de s'outiller et d'accroître leur clientèle. « L'École de laiterie » de Saint-Hyacinthe va aussi jouer un rôle important dans la formation des agriculteurs; à partir de 1912, le certificat qu'elle délivre est rendu obligatoire pour quiconque veut exercer une activité dans l'industrie laitière.

Au cours de cette période, le développement des cercles agricoles ralentit: leur nombre se maintient autour de 400. En 1893, la Loi des cercles agricoles leur avait permis de se regrouper en société coopérative. Leur caractère éducatif s'estompe peu à peu et leur rôle se borne progressivement à assumer des tâches d'organisation et d'exécution de directives des associations professionnelles et du ministère. Leurs activités vont être très ponctuelles et limitées.

À partir des années 20, les initiatives de l'Église et de l'État vont s'accentuer en éducation agricole. L'Église agit principalement dans trois domaines: elle permet aux jeunes adultes d'acquérir une formation agricole dans les « écoles moyennes » qu'elle met à leur disposition; elle lance l'Action catholique en milieu rural; elle apporte même son concours au développement du syndicalisme agricole, pour s'opposer à la mise en place d'un syndicalisme neutre.

L'Union catholique des cultivateurs (U.C.C.), fondée en 1924, devient l'un des principaux agents d'éducation des adultes dans le milieu agricole. Elle met à la disposition des agriculteurs les outils d'éducation suivants: des journaux et des livres, un service de cours à domicile, des chantiers-écoles coopératifs en milieu forestier, des stages de formation sociale, des émissions de radio et un centre de formation rurale. Le journalisme agricole est une des méthodes privilégiées par l'U.C.C. pour atteindre un plus grand nombre de cultivateurs. Dès sa parution, le journal hebdomadaire, La Terre de chez-nous, publie des « cours à domicile ». Entre 1929 et 1968, 43 cours sont publiés. Un cours se divise en une vingtaine de leçons, chacune publiée sur une page de l'hebdomadaire. L'étudiant doit répondre aux questions et passer avec succès un examen écrit du Service des cours à domicile pour obtenir un diplôme. Cette formule a permis de délivrer annuellement environ mille six cents diplômes entre 1930 et 1947. Ces cours portaient sur différents sujets, entre autres, l'agriculture, l'économie rurale, la coopération, les caisses populaires, le crédit et la comptabilité agricole, la gestion de la ferme, le civisme et le syndicalisme etc.

Par ailleurs, dès 1932, l'U.C.C. entreprend une action de sensibilisation et de formation par la voix des ondes. Des chroniques, des causeries et des « conférences de radiophonie rurale » sont présentées sur les ondes de Radio-Canada et de CKAC. Ces émissions rejoignent cependant surtout la région montréalaise. Dans les années 40, l'U.C.C. conçoit et réalise elle-même ses émissions, mais, par la suite, elle se contentera de surveiller et critiquer la programmation destinée au monde rural, apportant son concours à l'élaboration des contenus. Afin de donner à ses membres une formation syndicale et économique, une information sur la doctrine sociale de l'Église ou encore sur les conventions collectives, l'U.C.C. organise également des retraites sociales. En 1953, une vingtaine de retraites, regroupant environ mille cinq cents cultivateurs et bûcherons, ont été organisées. Ces retraites permettent d'initier les participants à leur rôle de leaders du monde rural. L'Union poursuit la même action à travers les chantiers coopératifs de paroisses, très actifs à partir de 1940. Enfin, l'U.C.C. met sur pied, en 1951, le Centre de formation rurale de Sherbrooke qui se définit comme: une école de sciences sociales, économiques et politiques, à la disposition des ruraux qui veulent rester dans le milieu (...)une école de formation des chefs ruraux(38). Le programme d'enseignement, comprend non seulement des cours théoriques, mais aussi des débats, des forums, des conférences, des improvisations et ce, afin de développer toutes les facultés de l'élève, futur propagandiste et animateur dans son milieu.

L'État, de son côté, ne reste pas inactif. Il accorde son aide à de nombreux organismes populaires et subventionne les études qu'entreprennent des milliers de jeunes adultes issus du monde agricole. On crée douze écoles moyennes d'agriculture dont les objectifs sont de donner une formation professionnelle aux jeunes cultivateurs, de les initier aux sciences naturelles et de compléter leur éducation et leur instruction générale. Entre 1910 et 1937, des cours d'agriculture sont organisés par le Département de l'Instruction publique à l'intention des inspecteurs d'écoles. Ces cours ont pour objectif la ruralisation de l'enseignement, afin de mieux l'adapter aux réalités du milieu agricole. À partir de 1937, le Secrétariat de la Province organise des écoles du soir en milieu rural. En plus des mathématiques, du français et de l'anglais, on donne des cours de calcul appliqué à l'agriculture, de comptabilité et d'arpentage.

En 1937, le ministère de l'Industrie et du Commerce crée le Service de l'aide à la jeunesse pour appliquer l'entente fédérale-provinciale sur la formation professionnelle. Ce projet permit l'organisation d'une mine-école qui donne des cours pratiques de six mois à des chômeurs qui pouvaient ensuite trouver un emploi dans la région. En 1941, le Service de l'aide à la jeunesse est placé sous la juridiction du Secrétariat de la Province et connaît une certaine expansion. Il accorde des subventions aux organismes privés qui organisaient des sessions intensives pour leurs membres: agriculture, coopération, organisation des loisirs et éducation physique. Le Service met en place un « plan d'initiation de la jeunesse » qui se concrétise principalement par la fondation d'une école ménagère à Upton, dans le comté de Bagot. Une importante division des cours de culture populaire est créée au sein du service. Un grand nombre d'associations vont bénéficier de cette nouvelle structure qui leur offre du personnel enseignant, des allocations et aussi des bourses permettant d'organiser des « camps d'été », des retraites, des écoles, des réunions ou des cours radiodiffusés. En plus de cette forme de collaboration avec des organisations autonomes, le Service organise ses propres « cours de l'aide à la jeunesse » avec la collaboration du ministère de l'Agriculture.

La Division des agronomes du ministère de l'Agriculture met, pour sa part, à la disposition des cercles, des associations professionnelles et des différents mouvements, tout un éventail de cours, de conférences, de démonstrations, de visites de fermes, de soirées, de rencontres où les agronomes sont d'abord des animateurs et des vulgarisateurs. Ces derniers parcourent leur comté en offrant un appui technique aux agriculteurs désireux de modifier leurs méthodes de travail. Le Service de l'économie et des arts domestiques du même ministère a pour mission de diffuser les sciences ménagères et agricoles auprès des femmes rurales. Quant au Service de l'enseignement agricole, il offre, entre autres, des séances de formation théorique et pratique destinées aux jeunes agriculteurs.

Ainsi au cours de la première partie du 20e siècle, on peut constater que l'Église, avec l'aide et la coopération du gouvernement provincial, a littéralement couvert la province d'un réseau très serré d'institutions et d'associations ayant pour mission l'éducation des agriculteurs. Ce travail de pénétration du monde rural a permis à de nombreux hommes et femmes d'apprendre à assumer des responsabilités à tous les niveaux.

Du côté de la communauté anglophone, c'est dès 1907 qu'est créé le Collège Macdonald de l'Université McGill qui regroupe une école normale, une école ménagère et une école d'agriculture. Son objectif est de permettre l'enseignement professionnel, le développement communautaire, l'aide technique et la formation des adultes du milieu rural. Le Collège Macdonald connaîtra un succès immédiat à cause de l'intérêt que les anglophones manifestent, en général pour les innovations technologiques. En relation étroite avec les Ontariens et les Américains, ils ont par le fait même accès plus rapidement aux nouvelles méthodes d'exploitation de l'agriculture.

Le Père Georges-Henri Lévesque, en 1942, écrit: L'éducation coopérative doit être à la fois, et une formation intellectuelle ou instruction, et une formation morale et sociale. Pourquoi? Parce que c'est tout l'homme qui est assumé par l'idéal coopératif.

Source : Conseil supérieur de la coopération (quatrième congrès général des coopérateurs), L'éducation dans le mouvement coopératif, Québec, 1943, pp. 12-13.


1.1.2.4 La formation dans le milieu coopératif de 1900 à 1950

Le mouvement coopératif prend son essor au début du siècle. Au cours des années, il a permis aux gens à revenu modeste d'accéder à la propriété et au contrôle d'entreprises variées selon une formule adaptée à leurs ressources(39). Les coopératives ont été des écoles pratiques de formation administrative pour les membres des conseils d'administration et pour les sociétaires qui devaient se doter d'outils pour pouvoir réellement intervenir lors des débats en assemblée générale. Les membres ont ainsi appris à participer plus activement à la vie économique et sociale de la communauté. Dans l'esprit de leurs promoteurs, les coopératives devaient être d'abord des instruments de formation de l'être humain.

Pendant toute cette période, la doctrine coopérative demeure la même; elle dénonce les effets néfastes de l'extension du capitalisme; jusqu'en 1930, on met l'accent sur la pratique de la coopération. Avec la crise économique s'amorce une période de réflexion sur la formule coopérative, qui s'accompagne d'un intense effort d'éducation. La misère qui sévit alors fait craindre une radicalisation des classes laborieuses. Pour contrer une éventuelle mobilisation, l'Eglise et l'État vont favoriser le développement des coopératives.

A) Le coopératisme et l'apprentissage de l'économie de marché (1900-1929)

En se spécialisant dans l'industrie laitière, un bon nombre de fermiers ont accru leur dépendance à l'égard du monde extérieur pour des produits de première nécessité, que ne pouvait plus leur fournir, désormais, l'industrie domestique. L'amélioration des moyens de transport permet un élargissement des réseaux de distribution; les régions les plus éloignées — la Gaspésie, le Lac Saint-Jean — sont désormais reliées aux principaux marchés. Le commerçant local subit la concurrence des grands magasins qui ont trouvé le moyen de pénétrer dans les campagnes par le moyen des catalogues. La consommation de biens s'intensifie. L'argent circule davantage. Par contre, il n'existe à peu près pas de banques à l'époque dans le milieu rural et les institutions des villes prêtent essentiellement aux commerçants et aux industriels. Les notaires, certains rentiers et les marchands généraux avancent de l'argent aux cultivateurs sur billet ou sur hypothèque. Lorsque l'emprunteur se retrouve dans l'impossibilité de rembourser son créancier, il est souvent aux prises avec des usuriers qui profitent alors de la situation.

C'est dans ce contexte qu'apparaissent les coopératives d'épargne et de crédit et les coopératives agricoles, qui sont également devenues des instruments d'éducation des classes laborieuses. La coopérative a pour ancêtre les sociétés de secours mutuels, qui avaient vu le jour à la fin du 19e siècle, tant chez les anglophones que chez les francophones(40). Tout en venant en aide aux familles éprouvées, les sociétés de secours mutuels ont favorisé les échanges entre leurs membres. C'est, cependant, avec la fondation, en 1900, de la Caisse populaire de Lévis par Alphonse Desjardins que la formule coopérative s'implante dans les institutions de la province de Québec.

Alphonse Desjardins, sensible aux problèmes d'endettement des travailleurs va étudier les expériences européennes de démocratisation du crédit et conçoit son projet de caisse populaire d'épargne et de crédit. Comme beaucoup de ses contemporains, il considère que le problème de l'endettement trouve son origine dans l'imprévoyance des individus, celle-ci étant aggravée par leur manque d'éducation économique. La caisse populaire doit être une véritable école de formation économique. Dès le départ, l'implantation des caisses populaires s'est faite avec l'appui des curés. Elle n'aurait pu se réaliser sans eux, Alphonse Desjardins considérait, du reste, le curé comme la principale autorité sociale de... la paroisse(41). Une grande partie du clergé se montre par ailleurs très sensible aux objectifs moraux de l'oeuvre des Caisses. Dans les 171 caisses fondées entre 1900 et 1920(42), 126 curés occupent un poste en tant que directeur ou membre du conseil d'administration. La publication du Catéchisme des Caisses populaires, en 1911, contribuera à la diffusion de la doctrine coopérative dans la population. Cette doctrine n'implique pas cependant un rejet global du capitalisme et elle fait appel au sentiment nationaliste.

La coopérative permet aux agriculteurs de faire des achats en gros et d'organiser, sur une base communautaire, la vente des produits de la ferme. Très rapidement, les coopératives vont se regrouper en trois organismes principaux: la Société coopérative des fromagers de Québec, fondée en 1910, le Comptoir coopératif de Montréal, en 1913, et la Société coopérative des producteurs de semences du Québec, en 1914.

La fusion de ces trois organismes donne naissance, en 1922, à la Fédérée. Ces organismes s'étaient dotés d'une mission éducative. Par exemple, le Comptoir coopératif, qui approvisionnait les cultivateurs en marchandises, avait pour mission de : travailler au progrès religieux, intellectuel, social et économique de ses membres en prenant à coeur leurs intérêts matériels(43). Préoccupé surtout d'instruction professionnelle, il essaiera d'inculquer à ses membres les notions élémentaires de la science agricole, et toutes les connaissances qui s'y rapportent, depuis la comptabilité jusqu'à la législation(44). Mais ne s'improvise pas coopérateur qui veut. Ainsi en 1923, un projet des pêcheurs gaspésiens échoue; Mgr Ross, qui s'était fait le promoteur des coopératives de pêcheurs, écrivait à ce propos: nous avons voulu faire des coopératives avant de former des coopérateurs(45). C'est pourquoi, après 1930, on accordera une attention toute spéciale à la formation des coopérateurs.

B) Le mouvement coopératif: (1930-1950)

La crise des années 30 mettra en lumière le rôle idéologique que peut jouer la coopération. Dans un de ses cours, Gérard Filion écrivait précisément que la doctrine coopérative peut relever le niveau de vie des classes laborieuses et ainsi les détourner des idées subversives(46). Les mutuelles, les caisses populaires et les coopératives agricoles se multiplient donc et on applique la formule à de nouveaux secteurs: les pêches, la forêt, la consommation et l'habitation. Cet âge d'or du coopératisme se prolonge jusqu'au début des années 50.

La question de la coopération est le thème de la 15e session des Semaines sociales du Canada, en 1937. Deux ans plus tard, on met sur pied le Conseil supérieur de la coopération qui réunit les différents organismes - coopératives, institutions d'enseignement, organismes gouvernementaux, associations professionnelles - qui s'intéressent à l'éducation coopérative. À partir de ce moment, le Conseil assure lui-même la diffusion de la doctrine par, entre autres, des conférences, la publication de la revue Ensemble et l'organisation d'un congrès annuel. En 1943, le thème du congrès porte sur l'éducation dans le mouvement coopératif. Les participants de l'atelier traitant des coopératives agricoles, tout en reconnaissant que les conférences ont rendu de précieux services par le passé, affirment alors que le cercle d'études reste la meilleure méthode pour diffuser une éducation coopérative pratique. Les délégués reconnaissent cependant la nécessité d'avoir des chefs pour diriger les cercles. Ils proposent donc de créer une École de formation de chefs d'équipe, qui sera mise sur pied, l'année même, à Sainte-Agathe-des-Monts(47). L'École organise des stages d'une durée d'un mois. Les candidats sont choisis par les paroissiens qui doivent défrayer le coût du cours. La majorité des stagiaires sont des cultivateurs, mais il y a aussi quelques ouvriers, des commerçants ainsi que des prêtres. L'âge des participants varie entre 19 et 55 ans. Le programme porte sur les principes généraux de la coopération, de l'organisation, du fonctionnement et de l'administration des coopératives, de la doctrine sociale de l'Église, de l'éducation populaire et surtout de l'organisation et du fonctionnement des cercles d'études paroissiaux et, enfin, sur l'apologétique.

Tableau 4 : Évolution du mouvement coopératif

 

1929

1934

1939

1944

1949

Mutuelles-incendie

175

256

282

305

a

Caisses populaires

125

183

476

852

1068

Coopératives agricoles

75

136

300

500

645

Coopératives de consommation

(quelques-unes)

50

125

223b

Coopératives de pêche

1

5c

8

36

38

Coopératives forestières

1

20

67

Coopératives d'habitation

6

44e

Coopératives d'électricité

2

27

Coopératives étudiantes(g)

18

59

Source: Gaston Deschênes, « Le mouvement coopératif est-il cyclique? », La Revue Desjardins, 44,4, 1978, p. 18.

La formule pédagogique, adaptée à la clientèle, consiste en deux heures d'étude en commun et environ 45 minutes d'étude en particulier pour chaque heure de cours dispensée. Le temps consacré à l'étude individuelle est réduit au minimum, car la plupart des élèves n'ont pas l'habitude de la lecture. Ils travaillent en équipe, et chacun des membres est tour à tour président et secrétaire, de manière à se familiariser avec son futur rôle de leader. Lors de l'évaluation du stage, six mois après sa tenue, on constata que 15 paroisses sur 19 avaient tiré profit de l'enseignement reçu et s'étaient imprégnées du message coopératif. Rapportée par la revue Ensemble, l'expérience fut reprise dans cinq régions, l'année suivante(48).

Le Service social-économique de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, fondé en 1938, a aussi permis la mise sur pied de coopératives, notamment avec des groupes de pêcheurs. Les promoteurs de cette école croient en l'instruction qui prend sa racine dans les faits quotidiens et se termine dans l'action. Les professeurs rattachés au Service forment d'abord des chefs, qui retournent ensuite dans leur milieu organiser des cercles d'études orientés vers l'action pratique. On estime que le Service a rejoint environ 40 000 adultes, en 1948, à travers diverses activités, conférences, réunions de chefs d'équipe, etc. L'action des cercles d'études aboutit à la création de près de 175 coopératives dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie. D'autres types de coopératives seront également mises sur pied: des coopératives forestières, de consommation et d'habitation. Après 1950 cependant, on assiste à une diminution du nombre des coopératives, alors que le capital investi dans ces institutions ne cesse d'augmenter. Une ère de relative prospérité commence et l'on sent moins le besoin, semble-t-il, de se « serrer les coudes ».

Pendant ces 50 années, le mouvement coopératif s'est organisé et s'est enraciné. Les pionniers ont du faire beaucoup de travail de propagande pour faire pénétrer dans les mentalités la doctrine coopérative. Les différentes fédérations se sont dotées de services d'éducation pour permettre et favoriser une participation éclairée des membres à la vie de la coopérative. Les cercles d'études dirigés par des leaders issus du milieu ont été un cadre privilégié de formation. Dans un Québec encore peu scolarisé, la discussion s'est avérée une formule pédagogique très efficace.

Mais au cours des années, le projet coopératif, qui exigeait de la part des intéressés une implication personnelle et une participation des membres s'est trouvé confronté à une certaine apathie de la population. De plus, la gestion des coopératives est devenue de plus en plus compliquée, exigeant une formation toujours plus poussée. Le fossé ne cesse de s'élargir entre les membres et les dirigeants. Avec la création d'entreprises spécialisées dans le secteur agro-alimentaire et l'apparition des grandes chaînes d'alimentation, les entreprises coopératives vont faire face à une concurrence à laquelle elles avaient échappé auparavant. À l'aube des années 60, les coopératives vont devoir repenser leur action et le type de formation qu'elles avaient mis au point.

1.1.2.5 Le milieu industriel

Ce sont les difficultés que connaît le milieu industriel à recruter des ouvriers spécialisés qui vont inciter certains membres d'associations patronales à demander l'intervention du gouvernement fédéral dans le secteur de l'éducation. En 1909, le gouvernement fédéral met sur pied une Commission royale d'enquête sur l'enseignement industriel et technique. Le Québec remet immédiatement en cause le mandat de cette commission, se réclamant de son droit exclusif de légiférer en matière d'instruction publique. Les provinces anglophones réagissent autrement, considérant qu'on doit relier l'enseignement professionnel et technique au commerce, secteur de compétence fédérale.

En 1913, les conclusions du rapport final favorisent l'intervention d'Ottawa dans la formation technique, notamment en ce qui a trait au financement. En 1919, le gouvernement fédéral promulgue une « Loi ayant pour objet de favoriser l'enseignement technique au Canada », qui prévoit le versement aux provinces de subventions annuelles, après signature d'une entente avec chacune d'elle. Jusqu'en 1929, seule l'Ontario va réclamer sa part et bénéficier pleinement de ce programme. En fait, malgré ces quelques initiatives, ce n'est qu'au lendemain de la crise économique de 1929 que le gouvernement fédéral intervient sérieusement dans le champ de la formation professionnelle. En 1931, il adopte une loi sur « l'enseignement professionnel qui n'est toutefois pas promulguée en raison de la dépression économique qui sévit. En 1937, une entente sur la formation professionnelle impliquant le versement de subventions par Ottawa est signée entre le Québec et le gouvernement central. Les deux paliers de gouvernement cherchent, par cet accord, à lutter contre le chômage et à procurer une aide aux jeunes adultes. Enfin, en 1942, une loi sur la coordination de la formation professionnelle est sanctionnée par le gouvernement fédéral, afin d'entreprendre des projets de formation professionnelle à l'intention des militaires et des chômeurs.

Du coté du gouvernement provincial, dès le début du 20e siècle on se penche sur la formation des travailleurs. En 1907, une loi créant les « corporations » des écoles techniques à Montréal et à Québec est sanctionnée ; elle permet de fonder, à coté des quelques écoles privées mises sur pied par des industriels, les écoles techniques publiques, régies par des « corporations » autonomes et subventionnées par le gouvernement provincial et les municipalités. L'enseignement dispensé dans ces écoles vise essentiellement à répondre aux besoins du marché et à procurer aux étudiants qui suivent des cours du jour pendant trois ans, des postes de direction dans l'industrie. Elles reçoivent les sortants du primaire, francophones et anglophones, qui ont complété leur sixième année, vers l'âge de quatorze ou quinze ans, et les élèves des écoles industrielles qui ont reçu, après leurs études primaires, une formation de deux ans dans le métier de leur choix. La formule semble répondre adéquatement aux exigences de l'industrie, puisque les diplômés de ces écoles ne chôment pas. Des cours du soir sont aussi organisés à l'intention des ouvriers et des apprentis déjà engagés dans l'industrie et qui veulent acquérir un supplément de formation.

Au milieu des années 20, plusieurs commissions scolaires mettent sur pied des écoles d'arts et métiers. Il en existe deux types: celles qui offrent strictement une initiation artisanale(49) et celles qui donnent les cours de métiers mais dispensent aussi les premières années de l'enseignement technique. Or ces dernières vont entrer en conflit avec les écoles techniques publiques qui se considèrent comme seules habilitées à donner la formation technique. On aboutit ainsi à une situation assez cocasse: certaines écoles d'arts et métiers donnent une partie de l'enseignement technique, mais elles ne peuvent décerner de diplôme de technicien. Le gouvernement du Québec subventionne ces écoles dont certaines se limitent à l'organisation de cours du soir.(50)

Si les gouvernements et les milieux industriels se préoccupent de la formation professionnelle des travailleurs, certains groupes tentent d'offrir à la classe ouvrière une formation plus générale et diversifiée. L'éducation des travailleurs va être au coeur de nombreux débats syndicaux et autres. Chaque syndicat international se dote de services d'éducation. D'autres organisations, tel le « Frontier Collège », ont pour objectif d'offrir une formation de base qui est en fait une scolarisation, a posteriori, aux travailleurs éloignés des centres urbains, mineurs, bûcherons, cheminaux; en 1920, certains membres de la communauté anglophone, sensibilisés aux problèmes sociaux, fondent le « Montréal Labor Collège » qui se dote d'une salle d'études, d'une bibliothèque, d'un restaurant et de locaux pour les réunions des syndicats. Cette expérience qui dure quatre ans a pour objectif la structuration d'un mouvement ouvrier organisé. Ses membres veulent lutter pour la démocratie populaire, la paix et le socialisme(51). Les réunions du Comité d'aide à l'U.R.S.S. et du « Labor Forum » s'y tiennent. Les travailleurs peuvent y suivre des cours d'économie marxiste, d'histoire du mouvement ouvrier et de culture générale. Albert Saint-Martin y donne des cours d'économie politique mais dans l'ensemble, peu de Canadiens français fréquentent le Collège...(52). Plusieurs néo-québécois y suivent des cours de langue anglaise. Le « Montréal Labor Collège » est, durant cette période, en relation avec l'University Settlement qui offre aux femmes des quartiers pauvres un lieu où prendre une tasse de thé et une collation, se reposer et se divertir(53).

Quelques années plus tard, en 1925, Albert Saint-Martin fonde l'Université ouvrière. Au début, les activités de l'Université se limitent à l'organisation de conférences, le dimanche. Afin de faire participer les travailleurs et les travailleuses qui assistent à ces conférences, Saint-Martin donne des cours sur l'art oratoire, la manière de se présenter et de s'exprimer en public. On crée aussi une bibliothèque(54). Les samedis soir sont consacrés aux divertissements. On organise des soirées populaires et on monte des pièces de théâtre. L'Université ouvrière et le « Montréal Labor Collège », sont des établissements progressistes voués entièrement aux intérêts des travailleurs. Des ouvriers et des chômeurs y acquièrent (...)des habiletés et certains éléments de culture générale que les universités et collèges classiques monopolisent et qu'ils ne transmettent alors qu'aux enfants des classes supérieures(55). L'Université ouvrière qui se taille une solide réputation d'anti-cléricalisme se verra attaquée de tous les côtés par le clergé et disparaît au début des années 30.

C'est au cours des années 30, au moment où l'économie est en pleine crise, que se structurent plusieurs organisations ouvrières. Les conditions de travail sont pénibles, les horaires sont longs et les salaires bas. Peu à peu les « unions » vont offrir des cours, afin que les travailleurs et les travailleuses apprennent à connaître et à défendre leurs droits. Par exemple, dès 1936 le « International Ladies Garment Workers Union's Montréal » (I.L.G.W.U.) organise des cours, portant sur les syndicats, la politique, l'histoire et l'économie. Les participantes à ces sessions de formation, tant anglophones que francophones, pouvaient, lors d'une même session, apprendre à lire et à discuter d'un sujet d'actualité. Un autre exemple est le Conseil des métiers et du travail de Montréal, représentant les « unions » de métiers, qui prendra à plusieurs reprises position en faveur de la démocratisation de l'enseignement. En 1916, il s'associe momentanément au Parti ouvrier et crée un journal, The Labor World/Le Monde Ouvrier. De 1916 à nos jours, le journal présente aux travailleurs syndiqués et à tous ses lecteurs, une information favorisant leur éducation syndicale et autre. Par ailleurs, les syndicats internationaux de métiers regroupant la majorité des travailleurs syndiqués sont, par l'entremise de leur Comité exécutif provincial affilié au Congrès des métiers et du travail du Canada, très actifs au Québec. Ainsi, en 1937, ils organisent la Fédération provinciale du travail du Québec (1937-1957). La Fédération, en faveur de l'enseignement gratuit et obligatoire jusqu'à seize ans, demande au gouvernement d'accorder des bourses d'études aux enfants des travailleurs et des travailleuses.

En dehors du gouvernement, de certaines organisations ouvrières et des leaders ouvriers, l'Église se préoccupe également de la formation des travailleurs industriels. Elle favorise la création d'organisations sectorielles s'adressant à une élite de travailleurs. Elle va, par exemple, appuyer la constitution de cercles d'études dont le premier est fondé à Québec, en 1915. Le Cercle Léon XIII verra le jour à Montréal, en 1918; il acquiert rapidement une grande notoriété publique. Leur objectif est d'abord de répandre la doctrine sociale de l'Église, toute autre matière étant une préoccupation mineure pour les aumôniers chargés d'éduquer les membres(56), lors des réunions ou des conférences. Le terrain d'action est la paroisse ou, dans les régions moins industrialisées, plusieurs paroisses. Par ces cercles, on vise à diffuser la pensée catholique dans les « unions ouvrières », afin de préparer des chefs en leur donnant une formation morale et intellectuelle et de façonner des apôtres clairvoyants, convaincus et tenaces(57). On consacre également beaucoup d'énergie à lutter contre le neutralisme des syndicats internationaux et contre le communisme. Lorsque la Confédération des travailleurs catholiques du Canada est fondée en 1921, les Cercles s'y associent. Ils ne sont alors qu'au nombre de cinq tandis qu'on peut compter déjà une centaine de syndicats catholiques. Vingt ans plus tard, les cercles seront au nombre de quarante. Ils ne s'adressaient toutefois qu'à une minorité de travailleurs catholiques syndiqués. Les Cercles d'études se sont davantage souciés de la formation de dirigeants syndicaux que de celle des membres.

Ainsi, au cours des premières décennies du vingtième siècle, on assiste à l'émergence de nombreuses initiatives dont les objectifs étaient essentiellement de former les travailleurs. L'adaptation de la main-d'oeuvre aux besoins industriels et commerciaux est la caractéristique de cette époque. C'est ainsi que le gouvernement du Québec a mis sur pied un réseau d'écoles techniques et spécialisées dispensant un enseignement de plus en plus lié aux besoins de la production. Le gouvernement fédéral a utilisé la formation professionnelle pour s'implanter dans le secteur de l'éducation, de juridiction provinciale. Parallèlement, se sont développées plusieurs expériences populaires d'éducation des travailleurs. Des petits groupes de militants, dont les activités ne sont guère prisées par les dirigeants politiques et l'Église, tentent d'informer et de former les travailleurs montréalais. Le haut clergé, quant à lui, préfère intervenir auprès d'une certaine élite ouvrière et diffuser ainsi sa doctrine sociale.

1.1.2.6 Le monde de la culture

Du début du siècle aux années 40, deux cultures continuent de coexister au sein même du groupe canadien-français: l'élite continue à se nourrir d'une culture livresque d'inspiration gréco-latine, tandis que le peuple possède une culture orale d'inspiration paysanne. Cette dernière a pu se constituer et demeurer vivante, le plus souvent à l'abri des influences extérieures, grâce à la solidité des institutions villageoises. Les Québécois possédant peu de livres et d'écoles ont réussi à développer une culture originale basée sur le conte, la chanson et la discussion; culture où le curé a joué un rôle tout à fait spécial: profondément engagé dans la vie profane de la paroisse... il joue... le dimanche au prône, le même rôle que l'annonceur dans les média d'aujourd'hui(58).

À partir des années 20, la radio a largement contribué à maintenir une cohésion entre ceux qui restent sur « la terre » et ceux qui s'expatrient « en ville ». Grâce à la radio, les nouveaux venus en ville vont pouvoir sauvegarder des liens culturels avec leur lieu d'origine; d'où le succès des radio-feuilletons comme « Un homme et son péché » ou celui des émissions folkloriques; ces deux types d'émissions permettaient de poursuivre en ville, la tradition des veillées familiales.

C'est en 1929 que commence le long débat sur la compétence en matière de communication. En effet, le gouvernement dirigé par Alexandre Taschereau pose la question de la création d'une radio nationale pour le Québec.

La « Loi relative à la radiodiffusion en cette province » est sanctionnée le 4 avril 1929. Un jeune député, Maurice Duplessis, s'y oppose, de crainte que le gouvernement n'intervienne trop dans le secteur de l'éducation. Ottawa réclame l'avis de la Cour suprême sur la constitutionnalité de la nouvelle loi ; la Cour suprême se prononce en faveur du gouvernement fédéral : la loi est inconstitutionnelle. La province de Québec soumet sa cause au Conseil privé de Londres qui, le 9 février 1932, entérine le jugement de la Cour suprême. Treize ans plus tard, le gouvernement du Québec revient à la charge avec, cette fois, Maurice Duplessis à sa tête. On peut lire dans le « discours du trône » du 13 mars 1945 que: L'éducation est du ressort des provinces, la radio est essentiellement éducative, les provinces ont consé-quemment le droit de se prévaloir d'une radio provinciale... c'est donc le droit, le devoir du Québec de faire connaître sa population, sa mentalité, sa vraie figure et de faire entendre ses revendications. Et personne ne peut le faire que des Québécois par l'entremise d'une radio québécoise.

La « Loi autorisant la création d'un service provincial de radiodiffusion » est sanctionnée le 20 avril 1945 avec l'accord de tous les partis. Elle institue l'Office de la radio du Québec qui, toutefois, ne deviendra réalité que 23 ans plus tard, avec la création de Radio-Québec. À partir de 1945, le Québec comme les autres provinces, en matière de communications, laisse l'initiative au gouvernement fédéral.

Des émissions à caractère éducatif sont toutefois inscrites à la programmation de postes privés et de Radio-Canada. Les émissions agricoles, comme le Réveil Rural, à Radio-Canada, en 1937 vont permettre aux écoles d'agriculture de diffuser leur enseignement réservé aux fermiers et ce, sur leur lieu de travail. De 1941 à 1956, Radio-Collège va constituer une expérience pratiquement unique d'utilisation des ondes radiophoniques à des fins clairement éducatives. Son mandat est, sans équivoque, d'initier le grand public à diverses disciplines comme complément aux études. Sa naissance s'explique par le contexte politique québécois. Dans les autres provinces, Radio-Canada, télévision nationale d'Etat, travaille en collaboration avec les différents ministères de l'Éducation, par l'intermédiaire du « School Broadcast », pour produire des émissions scolaires. Au nom de l'autonomie provinciale en matière d'éducation, le Québec n'a jamais voulu signer d'entente avec Radio-Canada. Devant le refus de collaborer des autorités provinciales, Radio-Canada abandonne l'idée de mettre en ondes des cours destinés aux élèves de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire et s'oriente vers l'éducation des adultes. Radio-Collège connait un très grand succès, même si elle s'adresse plus particulièrement à un public instruit, imprégné de culture classique.

À côté de la radio et des journaux, d'autres outils de formation sont à la disposition de la population: les associations littéraires et historiques et les bibliothèques. Jusqu'à l'aube des années 60, les bibliothèques ont poussé au petit bonheur, sans loi directrice, sans plan d'ensemble, sans coordination des efforts, sans aide gouvernementale...(59). Il n'existe pas au Canada de loi nationale sur les bibliothèques publiques. Certes, l'Université McGill, fonde en 1904, la « McGill University Library » chargée de la formation des bibliothécaires, mais il faudra attendre 1937 pour voir la création d'une école française de bibliothécaires à Montréal. Il aura fallu l'acharnement et le bénévolat de nombreux religieux et laïques pour maintenir en vie les bibliothèques. Au Canada, dans les années 30, quatre personnes sur cinq n'ont pas accès à des services de bibliothèques. Au Québec, la situation est encore plus désastreuse.

Malgré tout, les bibliothèques et les bibliothécaires tentent d'intéresser les gens au livre. Nous prendrons comme exemple un projet de la Bibliothèque de Montréal qui inaugure, en 1945, une série de conférences intitulée « Votre auteur préféré ». Ce projet est mis sur pied grâce à une première subvention de 500 $ des autorités municipales. La Bibliothèque de Montréal voulait ainsi jouer le rôle d'un véritable centre culturel et stimuler la lecture dans le milieu. Jusqu'en 1954, il y aura dix causeries par année qui obtiendront un très grand succès auprès d'un public avide de rencontrer des auteurs canadiens. Germaine Guèvremont, Marius Barbeau, Robert Cho-quette se présentent tour à tour à cette tribune. Les conférences de la Bibliothèque de Montréal se terminent en 1954, victimes de la concurrence d'un nouveau mode de communication, la télévision.

Bien sûr, plusieurs manifestations dignes de mention se tenaient à Montréal. Des sociétés et des associations comme l'Alliance française, le Club musical et littéraire, la Société d'étude et de conférences, la Société des écrivains et j'en passe méritent d'être louées pour l'organisation de conférences, de travaux littéraires, de soirées de théâtre, de musique. Mais il faut bien l'avouer, tout cela était considéré, par la majorité des gens, comme un luxe et on y retrouvait une classe de privilégiés.(60)

Tableau 5 : Nombre de bibliothèques en 1938 au Québec

Dans les années 50, sans se faire trop d'illusions, certains pionniers essaient d'intéresser la province à l'établissement d'un réseau de bibliothèques. Ainsi Raymond Tanghe, conservateur de la bibliothèque de l'Université de Montréal écrivait : // est vain de croire que le projet de création de bibliothèques suscitera un tel enthousiasme qu'il y ait risque d'être débordé. Nous devons, au contraire, nous attendre à rencontrer une apathie, une indifférence et une ignorance que seul un prosélytisme alerte et persévérant pourra surmonter(61). Et il ajoutait: Nous croyons recevoir l'appui de l'épiscopat et du clergé pourvu que les bibliothèques se conforment dans le choix des livres aux vues de l'Eglise(62).

Enfin, l'ouverture vers l'extérieur va marquer la vie culturelle de l'époque. La guerre amène le Québec à s'intéresser davantage à ce qui se passe à l'extérieur. L'information s'internationalise et chacun se sent concerné. Les équipes de l'Office national du film créé en 1939, sillonnent le Québec apportant dans les villages des reportages sur le Canada durant la dernière guerre et des documentaires. Ceux qui reviennent d'Europe, en rapportent des idées neuves. Les écrivains et les peintres profitent de l'après-guerre pour aller se ressourcer à Paris. Confrontée aux réalités européennes, la vie culturelle d'ici semble pour certains trop étriquée. Les artistes québécois contestent la rigidité des cadres esthétiques aussi bien que politiques et religieux dans lesquels ils ne peuvent plus s'exprimer. La signature du Refus global constitue la manifestation la plus importante de cette volonté de faire éclater les frontières de l'imaginaire.

La période 1900-1950 demeure marquée par les deux grandes guerres et par la crise, événements qui appellent une nouvelle organisation de la formation professionnelle. Là, comme dans les communications, le gouvernement fédéral prend une place de plus en plus grande alléguant des préoccupations « nationales ». Les travailleurs et les travailleuses tentent de mieux s'organiser et les coopératives par leurs préoccupations éducatives viennent donner de nouveaux outils à différents groupes sociaux dont les agriculteurs. Les réseaux culturels et populaires voient eux aussi dans l'éducation des adultes une source de promotion de leurs idéaux et d'élargissement de l'accès à l'éducation.

1.1.3 Les années 1950-1980

La matière de ce chapitre se prête difficilement à un traitement historique, étant donné que la période abordée est très récente; de plus, certains sujets seront étudiés de façon plus exhaustive dans les différentes parties du présent rapport. Nous nous limiterons donc à en tracer les grandes lignes et à montrer l'originalité de certaines démarches.

En 1951-52, moins de la moitié des catholiques dépassent le cours élémentaire.

Source: Jean-Pierre Charland, L'enseignement spécialisé au Québec, 1867 à 1965, thèse de doctorat, Faculté des Lettres, Université Laval, 1981, p. 235.

Le régime Duplessis, au pouvoir sans interruption, de 1944 à 1959, va marquer la province du sceau du conservatisme et du laisser-faire économique. L'après-guerre se caractérise par un retour à la prospérité. Les salaires augmentent, le niveau de vie s'élève, le taux de chômage est contenu. Bref, on entre de plein pied dans l'ère de la consommation de masse. L'économie québécoise se développe toutefois sur des bases structurellement déficientes, à cause, entre autres, des faiblesses du secteur secondaire et d'une dépendance économique importante. On assiste à une diminution de la main-d'oeuvre dans le secteur primaire, conséquence d'une augmentation de la productivité. L'évolution du secteur secondaire est marquée par la présence américaine dans les industries liées à l'exploitation des richesses naturelles et par le déclin de l'industrie légère provoqué par la tendance à la concentration et par la concurrence étrangère.(63)

Le gouvernement de Duplessis trouve ses appuis, principalement auprès des milieux conservateurs de la société, des élites traditionnelles et auprès d'un grand nombre de cultivateurs. La pensée politique du chef de l'Union nationale implique le maintien de l'ordre social et des traditions, le maintien des privilèges du clergé et de son emprise sur les systèmes scolaire et hospitalier et, évidemment, une lutte ouverte contre les communistes et les anticléricalistes. Son gouvernement se fait le champion de l'autonomie provinciale.

Socialement et culturellement, c'est pour plusieurs la « grande noirceur ». D'une part, des milieux conservateurs, dans le domaine culturel, essaient de freiner l'ouverture de la société québécoise aux nouveaux courants de pensée modernes, lesquels traversent d'ailleurs tout l'Occident et, d'autre part, une partie de plus en plus large de la population conteste certaines valeurs morales qui nuisent à l'épanouissement de la culture québécoise.

Le processus d'industrialisation se poursuit et entraîne une demande accrue de gestionnaires et de professionnels. Les nouveaux besoins socio-économiques mettent en lumière le caractère dysfonctionnel d'une idéologie cléricale, corporatiste et anti-libérale, sur laquelle le gouvernement unioniste s'appuie. Devant cette situation, certains représentants de la classe ouvrière vont s'allier avec des éléments de la bourgeoisie pour renverser le gouvernement.

Le Parti libéral prend le pouvoir en 1960. Il met en avant une idéologie prônant la rationalisation de l'économie et la nécessité de la planification étatique. C'est sous l'impulsion de cette volonté de réforme, aussi générale qu'ambigüe, qu'une vague de changements rapides va entraîner des transformations importantes des institutions sociopolitiques et des différents appareils d'éducation, de culture et de communication(64). Le secteur de l'éducation en sortira transformé de fond en comble. En 1961, une Commission royale d'enquête est mise sur pied (Commission Parent), dont le mandat est de proposer un système d'enseignement susceptible de résoudre les problèmes énormes auxquels le Québec est confronté. En peu de temps l'éducation était devenue une réalité significative. La part consacrée à ce secteur dans l'ensemble du Canada est passée de 4,4% du produit national brut en 1960 à 9% en 1970; au Québec elle passera de 5,5% en 1965-1966 à 9,3% en 1971-1972. Les dépenses brutes du gouvernement québécois en éducation ont quadruplé de 1962-1963 à 1971-1972. On dépensait 308 millions de dollars en 1962-1963 alors qu'on dépensera 1 322 millions de dollars neuf années plus tard. Le pourcentage des dépenses publiques en éducation par rapport à l'ensemble du budget du gouvernement québécois demeura cependant assez stable, autour de 25%, durant la première partie de la décennie des années 60 pour s'élever ensuite jusqu'à 30,1% en 1971-1972. De 1964-1965 à 1971-1972, la population étudiante jeune au niveau secondaire s'accroît dans une proportion de 90%. La population étudiante dite « régulière » des institutions post-secondaires passe durant la même période de 63 000 à 142 000, soit une augmentation de 125%.(65) Un Comité spécial d'étude sur l'éducation des adultes est créé en 1962 et placé sous la présidence de Claude Ryan. Il a pour tache spécifique d'élaborer un plan d'ensemble de la politique que le gouvernement doit suivre pour contribuer à l'oeuvre d'éducation des adultes que poursuivent, dans la province, de nombreux organismes publics et privés(66) .En 1964, sont créés le ministère de l'Éducation et le Conseil supérieur de l'éducation.

Dans une perspective de démocratisation réelle, le ministère appuie toute sa politique sur la participation organique des collectivités locales et régionales, des administrateurs scolaires et des enseignants, au développement cohérent de l'éducation au Québec.(67)

1.1.3.1 Un service public d'éducation des adultes

Suite au dépôt du Rapport du Comité Ryan (1964), dont les recommandations sont largement reprises par le Rapport Parent, se développe peu à peu un secteur public d'éducation des adultes: des services d'éducation des adultes sont créés dans les commissions scolaires et les cégeps*. Les universités ouvrent grandes leurs portes aux étudiants à temps partiel, majoritairement adultes; enfin, les budgets alloués à l'éducation des adultes augmentent considérablement**. Le gouvernement fédéral, par le biais surtout du financement de la formation professionnelle, intervient de plus en plus en éducation des adultes. En effet, on considère qu'entre 1960 et 1980 le gouvernement central a contribué pour plus de 80% des sommes allouées à l'éducation des adultes(68). Les commissions scolaires et les cégeps dispensent les cours de formation professionnelle, à plein temps et à temps partiel, commandés par les commissions de formation professionnelle, suite aux achats et au financement de ces cours par le gouvernement fédéral, en très grande partie.

* Il existe actuellement 79 services d'éducation des adultes dans les commissions scolaires et 46 dans les collèges d'enseignement général et professionnel.

** La clientèle adulte des commissions scolaires passe à 144 000 inscriptions-matières en 1965-1966 et à 294 000 dès 1967-1968. Elle poursuit, depuis, un accroissement plus lent mais non moins continu (environ 409 340 étudiants inscrits en 1980-1981). L'accroissement de la clientèle des cégeps est encore plus marqué, celle-ci passe de 8 000 à 32 800 adultes de 1967-1968 à 1970-1973, soit une augmentation de 40%. En 1980-1981, elle était de 56 000. Au niveau universitaire, les seules inscriptions aux cours crédités des services d'éducation des adultes sont passées de 31 000 en 1971 à 44 000 en 1974-1975. Le nombre d'étudiants à temps partiel était de 92 000 en 1979.

En 1966, la création de la Direction générale de l'éducation permanente (D.G.E.P.) au sein du M.E.Q. permettra une centralisation et une coordination des unités administratives intervenant dans le domaine de l'éducation des adultes. La nouvelle Direction, qui devient la D.G.E.A. en 1973, regroupe les services d'éducation populaire, les cours de formation professionnelle, à l'exception de ceux qui relèvent du ministère du Travail dans le cadre de la Loi d'aide à l'apprentissage et des cours du soir de formation générale. Très rapidement, la Direction met aussi sur pied un certain nombre de grands projets. L'Opération Départ est une vaste entreprise visant à inventorier les ressources et les besoins du Québec dans les domaines de l'éducation des adultes et du recyclage scolaire et professionnel. Dans le cadre de ce même projet,  l'équipe de l'Opération Départ de Montréal entreprend une réflexion sur l'éducation permanente devant permettre d'élaborer une politique globale québécoise d'éducation destinée aux adultes. Le Projet Sésame met de l'avant de nouvelles techniques pédagogiques adaptées à l'enseignement des adultes (dynamique de groupe, animation sociale, école active).

En même temps, est lancé le projet Tévec, dans la région du Saguenay-Lac St-Jean, de Chibougamau et de Chapais. Cette expérience pilote durera deux ans. Officiellement, le projet Tévec était un projet d'éducation globale se situant dans le contexte d'un développement socio-économique et devant, pour se réaliser, s'appuyer sur une participation structurée de la population de la région. Malgré la mise en place d'une structure de participation, l'utilisation de la télévision et la présence d'animateurs, le programme s'est avéré être avant tout un projet de scolarisation destiné à une population, jugé par d'aucuns, mal adapté aux besoins de la société québécoise. Malgré certaines limites de l'expérience, cet effort de formation socio-académique a rejoint de nombreux adultes. Le rapport final, remis en juillet 1970, propose au ministre de l'éducation d'élaborer, pour l'ensemble du Québec, un projet d'éducation aux adultes mettant à profit les méthodes pédagogiques utilisées dans l'expérience Tévec.

S'appuyant sur ces conclusions, sur la réflexion menée dans le cadre de l'Opération Départ et du Projet Sésame, on met sur pied le programme Multi-media de formation pour le développement des ressources humaines du Québec. Le programme Multi-media s'inscrivait dans la foulée des différentes expériences menées entre 1967 et 1970. Le projet initial s'adressait spécifiquement aux adultes des milieux défavorisés et/ ou populaires qui, jusque là, étaient trop souvent oubliés ou marginalisés par les autres projets d'éducation. Il visait à répondre à des besoins spécifiques de formation: besoins de formation technique, besoins de formation culturelle, socio-économique ou d'éducation populaire, besoins de communication et de participation. Pour y parvenir, le projet devait adopter une stratégie éducative tout à fait nouvelle, basée sur une formule de participation globale des milieux « cibles » et sur l'utilisation maximale des média d'information. Toutefois, les bonnes intentions du projet initial de Multi-media n'ont pas su se traduire dans la réalité. En effet, selon plusieurs, c'est un programme sensiblement différent qui devient opérationnel dès 1972(69). La réaction des organismes qui, quelques mois auparavant, s'étaient montrés satisfaits du projet initial, ne s'est pas fait attendre et c'est avec violence que l'on a dénoncé le programme édulcoré de la D.G.E.A. En fait, le programme Multi-media ne s'adressait plus spécifiquement aux adultes des milieux défavorisés et il réduisait à sa plus simple expression la participation des intéressés à l'élaboration et la gestion du programme.

Ainsi le programme Multi-media, qui s'est implanté à Montréal, au Saguenay-Lac St-Jean et au Nord-Ouest québécois, se heurte à de nombreuses difficultés. Par exemple, les commissions scolaires accueillent mal l'idée d'une structure parallèle. Des représentants de certaines organisations populaires(70) critiquent violemment le peu d'espace laissé à la participation des gens impliqués et le fait que les milieux défavorisés ne soient plus prioritairement les populations cibles. Après une existence houleuse, le projet Multimedia prit fin en 1978. Peu de bilans ont été faits de ce projet qui avait néanmoins un potentiel novateur peu ordinaire.

Parallèlement, l'Université du Québec est créée le 18 décembre 1968, sous le signe de l'accès et de l'ouverture au milieu. Régionalisée, elle donne lieu à la création d'établissements universitaires à Montréal, à Trois-Rivières, à Chicoutimi, puis à Rimouski, à Hull et à Rouyn. La création de la Téléuniversité, en 1972, traduit la volonté de l'Université du Québec de faciliter l'accès à l'enseignement universitaire, par une intervention hors campus, à distance. Coïncidant avec la fermeture des écoles normales, la création de l'Université du Québec est marquée par l'accès massif des enseignants à l'université.

En liaison avec le ministère de l'Éducation (D.G.E.A.) et souvent de leur propre chef, les commissions scolaires, les cégeps et les universités ont mis sur pied et développé des structures, des services et des approches pédagogiques conçus à l'intention des adultes. Par exemple, le programme S.E.A.P.A.C. (Service éducatif d'aide personnelle et d'animation communautaire) débute en 1972 et s'inspire des initiatives prises quelques années plus tôt par certaines commissions scolaires régionales qui avaient mis sur pied des services d'orientation, d'information et d'animation communautaire. C'est aussi le début de l'implantation des programmes par objectifs et de l'enseignement individualisé dans la formation générale, et d'une approche centrée sur les conditions de vie et les rôles sociaux en éducation populaire et de la formation sur mesure dans les cégeps (particulièrement en formation professionnelle). Grâce à un financement plus important de la D.G.E.A., le programme S.E.A.P.A.C. s'est développé dans l'ensemble du Québec, en fonction de deux volets: le support à l'action communautaire et l'aide personnelle. De leur côté, des universités ont créé des services de promotion collective dont les objectifs sont d'ouvrir l'université aux groupes qui y ont eu peu accès. À cet effet, par exemple, l'Université de Montréal, dans le cadre de la F.E.P., et l'Université du Québec à Montréal, dans le cadre des services de promotion collective, participent à des projets élaborés en collaboration avec des organismes populaires et des syndicats.

1.1.3.2 La formation dans le milieu industriel

Dans la seconde moitié du 20e siècle, la question de la formation de la main-d'oeuvre est plus que jamais associée au développement économique. Les gouvernements, les entreprises, les organisations ouvrières et patronales vont déployer beaucoup d'efforts pour adapter la force du travail aux besoins des marchés. Selon une enquête de Statistique Canada réalisée en 1969-1970, 150 104 travailleurs québécois participaient à des activités de formation dans l'entreprise, à ce moment. En effet, sur 10 255 entreprises touchées, 1 582 d'entre elles déclaraient avoir organisé, durant cette année, des programmes de formation. Le seul secteur directement subventionné de la formation dans l'industrie regroupait, en 1972-1973, quelque 22 200 travailleurs et travailleuses au Québec. (71)

A) Les relations fédérales /provinciales

Le Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels (Rapport Tremblay) au Québec indique qu'au début des années 1950 le gouvernement fédéral fournissait 4% du budget total de l'enseignement professionnel de la province. Très tôt, nous l'avons signalé dans le chapitre précédent, le gouvernement fédéral s'est ingéré dans un champ de juridiction provinciale: l'éducation, par le biais de l'enseignement technique. Le gouvernement fédéral justifie son intervention dans l'enseignement professionnel en disant qu'il ne s'agit que de techniques, et que les techniques sont partout les mêmes.(72).

De 1955 à 1957, il entreprend la classification des différentes institutions d'enseignement professionnel au Canada(73). Puis, en 1960, il sanctionne la Loi sur l'aide à la formation technique et professionnelle. Pour remédier au sous-emploi causé par le ralentissement économique généralisé à la fin de la décennie 50, Ottawa présente aux provinces neuf programmes de formation. Des accords facultatifs peuvent être entérinés par les provinces, pour une période de six ans. La participation fédérale aux frais est de 50% pour la formation professionnelle de niveau secondaire (15-19 ans), 75% pour les chômeurs, et de 100% pour les militaires et les fonctionnaires fédéraux. Cette loi, qui présente un programme complet de formation technique et professionnelle, vise à la fois les jeunes et les adultes. Il en résulte deux accords bilatéraux : le premier, sur la formation technique et professionnelle et le deuxième, sur la promotion professionnelle par l'apprentissage. Le Québec signe le premier accord en septembre 1961, mais il refuse le second. La loi fédérale conduit à une certaine réorganisation des services au sein du ministère de la Jeunesse du Québec. La création de la division des cours de formation professionnelle répond justement aux exigences de l'accord fédéral-provincia(74). D'un autre côté, le gouvernement canadien crée le Conseil consultatif national de la formation technique et professionnelle, qui prévoit organiser des recherches plus approfondies en matière d'enseignement professionnel.

Pendant les années 50, le coût moyen annuel de la formation professionnelle, dans les écoles d'enseignement spécialisé, va doubler.

Source: Jean-Pierre Charland, L'enseignement spécialisé au Québec, 1867 à 1965, op. cit., p. 262.


La modification de la Loi de l'aide à la formation technique et professionnelle, en 1963, vise essentiellement la majoration de la contribution fédérale(75). Enfin, jusqu'en 1966, l'action du gouvernement fédéral influence l'évolution de l'enseignement technique et professionnel des jeunes et des adultes dans le cadre du système scolaire et de programmes bilatéraux. Cela lui permet de mettre en place son programme de formation de la main-d'oeuvre.

B) L'enseignement technique et spécialisé

Au cours des années 50, les cours de formation professionnelle se donnent dans les écoles techniques, les écoles d'arts et métiers, les centres d'apprentissage, les écoles de protection de la jeunesse, les écoles d'agriculture, les instituts familiaux pour les jeunes filles et les écoles professionnelles privées(76). En 1958, l'enseignement spécialisé passe du ministère du Bien-être social et de la Jeunesse au ministère de la Jeunesse. Celui-ci dispense l'essentiel de la formation professionnelle. Il supervise les cours du jour, du soir, et des cours spéciaux au sein des écoles techniques et de métiers spécialisés(77).

C'est une époque florissante pour ces écoles. En 1960, la refonte du système d'éducation influe profondément sur le secteur de la formation professionnelle. Dès janvier 1961, le Québec dispense des cours aux chômeurs, grâce à un accord qu'il a signé avec le gouvernement fédéral. Plus de 8 000 élèves s'y inscrivent, entre avril 1961 et mars 1962. Cet accord entre Ottawa et Québec ne se limite pas à la formation car il implique la réorientation de chômeurs susceptibles de répondre aux besoins spécifiques des marchés de travail (78)

En 1961, le Comité d'étude sur l'enseignement technique et professionnel, présidé par Arthur Tremblay, est formé. Dans leurs mémoires rédigés en collaboration, la Confédération des syndicats nationaux (C.S.N.) et la Fédération des travailleurs du Québec (F.T.Q.) demandent que la scolarité soit obligatoire jusqu'à 16 ans et recommandent la création d'un Conseil supérieur de la formation professionnelle.

En 1962, la Direction générale des études de l'enseignement spécialisé intègre, dans ses structures, le Service des cours pour les travailleurs sans emploi et le Programme de cours d'orientation et de rationalisation du travail'(79). Trois ans après, le gouvernement crée le Service de reclassement de la main-d'oeuvre, qui a pour fonction la mise en marche d'actions spéciales et temporaires à l'égard de groupes de travailleurs victimes de licenciements collectifs(80). À cette époque, 133 entreprises déclaraient posséder des programmes de formation. (81)

Enfin, en 1964, le ministère de l'Éducation se charge de l'enseignement professionnel. La grande réforme démarre, l'intégration des instituts de technologie débute en 1967 et, celle des écoles d'arts et métiers, l'année suivante(82).

C)    Les centres d'apprentissage

En 1945, le gouvernement provincial avait promulgué la Loi de l'aide à l'apprentissage et à la mise en valeur du capital humain. Cette loi offrait à l'entreprise privée le pouvoir de créer un système d'apprentissage mieux adapté à ses besoins. Elle permettait, par l'entremise des comités paritaires et des commissions d'apprentissage, de créer un réseau de centres d'apprentissage qui offraient une formation professionnelle à un grand nombre d'apprentis. Les commissions d'apprentissage, composées généralement de représentants patronaux et ouvriers, sont, à toutes fins utiles, des « corporations » privées.

Les commissions s'occupent de l'administration des centres d'apprentissage, des conditions d'apprentissage et de la durée des programmes d'études, en collaboration avec le comité paritaire réglementant le métier concerné. Dans les centres, on accorde une priorité incontestable à l'étude pratique des métiers. La formule obtient très rapidement du succès. Dès 1945, on compte 14 commissions d'apprentissage dans les secteurs de l'industrie du bâtiment, de la chaussure, de l'imprimerie, de la coiffure, de l'horlogerie et de l'automobile. Elles rejoignent près de 175 000 jeunes travailleurs, par l'entremise des centres d'apprentissage(83). Lorsqu'un Comité d'étude sur la formation professionnelle par l'apprentissage, créé par le gouvernement Lesage, remet, en 1965, ses deux rapports, l'un majoritaire, l'autre minoritaire, il y a 18 commissions d'apprentissage au Québec. Contre toute attente, ce sont les recommandations du rapport minoritaire représentant la position des fonctionnaires gouvernementaux, qui sont mises en application au détriment de celles du rapport majoritaire, préconisées par les représentants issus du monde du travail. Résultat: le dernier centre d'apprentissage est fermé en 1969, car une nouvelle législation sur la formation professionnelle voit le jour.

D)    La formation des chefs d'entreprise

À la même époque, les organisations patronales se préoccupent, quant à elles, de la formation de leurs membres. L'Association professionnelle des industriels, créée en 1943, prend le nom de Centre des dirigeants d'entreprise en 1966. Dès ce moment, le Centre travaille à la création d'un programme de formation qui vise à doter les hommes d'affaires et les cadres des entreprises de connaissances dans les domaines de l'administration et de la gestion, pour qu'ils puissent s'adapter aux exigences nouvelles de rationalisation du travail. De 1964 à 1967, quelque 800 personnes, appartenant à 262 entreprises, participent aux stages organisés dans ce contexte (84). Les Chambres de commerce organisent aussi des cours qui rejoignent l'entreprise.

1.1.3.3 La formation dans les organisations syndicales

Pendant cette période, les syndicats vont poursuivre leur action en faveur d'une politique d'accessibilité universelle à l'enseignement. Ils vont aussi travailler à l'amélioration de l'enseignement technique et spécialisé. Enfin, ils vont intensifier leur travail d'éducation ouvrière. Au début des années 50, le Congrès canadien du travail (1940-1956) organise divers programmes de formation pour les syndiqués des unions industrielles et met sur pied des écoles ouvrières qui tiennent des sessions durant les fins de semaine. Sa « constituante » provinciale, la Fédération des unions industrielles du Québec (1952-1957) perçoit l'éducation comme une condition essentielle au développement de la collectivité aussi bien qu'un moyen de promotion individuelle(85) et souligne, dans un document de 1954, l'insuffisance des subventions versées aux universités québécoises comparativement à la situation qui prévaut en Ontario. La classe ouvrière est la plus lésée par cet état de choses, car l'accès aux études supérieures devient réservé aux classes fortunées.(86) La Fédération met alors en avant, auprès de ses « constituantes », l'établissement d'un réseau d'écoles du soir et d'un calendrier de journées d'étude dans les centres industriels du Québec(87). On y traite de problèmes techniques comme la négociation des conventions collectives, le règlement des griefs, mais aussi de l'histoire du syndicalisme, des problèmes économiques du Canada et des pays sous-développés. Pour ce travail de formation, la Fédération obtient la coopération active du Centre de recherches en relations humaines, du Service de l'extension de l'enseignement de l'Université de Montréal et du Centre de culture populaire de l'Université Laval.

La Fédération a même produit une émission hebdomadaire à la radio, intitulée « Les travailleurs au micro »(88). En somme, on voit, vers 1955, se dessiner certaines tendances visant à permettre aux travailleurs de se réapproprier et de revaloriser leur propre culture(89).

La Fédération des travailleurs du Québec née en 1957, de la fusion de la Fédération provinciale du travail du Québec et de la Fédération des unions industrielles du Québec présente, elle aussi, un programme éducatif en deux parties, l'une s'adressant aux simples membres et l'autre, aux militants.

En 1958, lors de la présentation au surintendant de l'Instruction publique d'un mémoire rédigé en collaboration, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada et la Fédération des travailleurs du Québec réitèrent l'importance qu'elles accordent à l'éducation comme facteur de promotion sociale pour les travailleurs et leurs enfants. Elles écrivent, dans ce mémoire, qu'il existe une étroite relation entre le degré d'instruction, le chômage et les possibilités de mobilité sociale(90).

En 1959, la Fédération des travailleurs du Québec se dit consciente: (...) de la nécessité d'assurer la meilleure éducation possible à tous les citoyens de cette province, sans quoi ils ne pourront participer à la mise en valeur de ses ressources innombrables, et les progrès techniques auxquels nous assistons présentement en feront de complets déclassés.(91) Elle réclame donc l'enseignement gratuit à tous les niveaux: primaire, secondaire, universitaire et spécialisé. En 1961, est mis sur pied le Collège canadien des travailleurs, par l'Université de Montréal et l'Université McGill, et par la C.S.N. et le C.T.C.

Les syndicats catholiques

La Confédération des travailleurs catholiques du Canada avait créé, en 1938, la Fédération des cercles d'études afin de coordonner le travail d'éducation de ses « constituantes ». Les programmes d'éducation initialement axés sur la doctrine sociale de l'Église, vont s'adapter à l'évolution de la centrale syndicale. Petit à petit, on privilégie une formation technique visant l'efficacité des militants en tant qu'organisateurs et administrateurs syndicaux. L'éducation ouvrière prend forme dans le cadre d'une certaine politisation étroitement liée à des grèves historiques. On en vient à parler de culture ouvrière.

En 1948, la C.T.C.C. se dote d'un Service d'éducation et, pour cela, on ne craint pas de se servir des techniques éprouvées d'éducation populaire, comme les forums, les commissions, les questionnaires, le cinéma, etc.(92) Globalement,   ce  Service  oriente  les programmes  d'éducation  ouvrière, présente des programmes spéciaux d'éducation pour les grévistes, fournit la documentation nécessaire et des professeurs, et appuie les initiatives des conseils centraux. Il tente de créer un réseau de comités d'éducation syndicale à travers toute la province(93).

La Confédération des travailleurs catholiques du Canada avait éprouvé l'urgence de former ses militants durant les années 40, au lendemain des campagnes d'organisation des unions internationales. De 1949 à 1953, le Service d'éducation cherche à se donner une orientation mieux définie. À partir de 1950, il met sur pied des écoles d'action ouvrière où s'organisent des fins de semaine d'études s'adressant aux initiés ayant reçu une formation de base. Le Service d'éducation publie également une série de brochures, dont le Manuel d'éducation ouvrière. En 1952, elles étaient au nombre de dix(94). La C.T.C.C. crée, en 1952, son Collège du travail qui a pour objectif la formation sociale et économique des militants et des permanents. Le Collège élabore des cours d'histoire des idéologies et d'histoire de l'action politique du mouvement ouvrier dans le monde(95). On évalue, quelques années après sa création, que la qualité des programmes, l'atmosphère de travail le situent, (...) au sommet des organismes pour la formation des militants syndicaux(96).

En 1955, le Service d'éducation inaugure les « Ateliers de travail en éducation » s'adressant aux membres des comités d'éducation qui évaluent les programmes de la centrale et étudient de nouvelles techniques de formation syndicale(97). De plus, le Service publie un bulletin d'éducation, Notes et nouvelles. Par ailleurs, on décide de diffuser le journal de la centrale, Le travail, à tous les syndiqués. On en vient même à penser que les agents de diffusion, comme la presse, sont les seuls moyens pour atteindre la masse et l'éduquer.(98)

En 1958, on organise pour la première fois une session d'étude pour les cols blancs. En 1960, on inaugure les cours de formation syndicale par correspondance(99). À partir de 1961, le Service d'éducation développe certains services, entre autres, un bureau d'étude du crédit et du budget familial, un bureau d'étude scientifique du travail, un bureau de formation économique, un centre de documentation(100).

Vers 1965, le Service d'éducation sera en pleine expansion. Cependant l'enseignement, souvent trop technique ou à caractère trop sociologique, a fait des mécontents. De plus, sa situation financière place souvent le Service d'éducation dans une position précaire.

Après avoir réclamé le droit à l'instruction publique gratuite, la C.S.N. s'intéresse plus spécifiquement, à partir des années 60, à l'éducation des adultes qui doit permettre à ceux qui le désirent d'améliorer leurs compétences ou d'en acquérir de nouvelles(101). Ce qui n'empêchera pas, au cours de la dernière décennie, un nombre grandissant de militants de la C.S.N. de remettre en question la notion de promotion sociale individuelle rattachée, entre autres, au système d'éducation.

Après avoir gagné le droit d'aller à l'école, la classe ouvrière se rendit cependant vite compte que l'instruction acquise par ce moyen n'était pas adaptée à ses besoins réels et ne lui permettait pas d'assurer sa promotion collective.(102)

Au cours des dernières décennies, l'agriculture du Québec est passée du stade artisanal au stade industriel. (...) Par ailleurs, et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, nous avons l' impression que le secteur de la formation professionnelle agricole aux adultes est, quant à lui, passé du stade industriel au stade artisanal.

Source : Pour être « Maître de notre développement »: la formation, U.P.A., Montréal, 1980, p. 2.


1.1.3.4 Le secteur agricole

La population agricole n'a cessé de décroître au cours du 20e siècle. En 1961, elle représentait un peu plus de 11% de la population totale, soit environ 600 000 agriculteurs vivant sur environ 100 000 fermes. En 1981, ces derniers ne représentent plus que 5% de la population et sont répartis sur 40 000 fermes.

Au cours des 20 dernières années, les agriculteurs ont du faire face à une conjoncture économique de plus en plus difficile. À la suite des recommandations du « Rapport Parent » et de celles du « Rapport Lettre », en 1963, sur la formation professionnelle agricole, l'enseignement destiné aux agriculteurs se transforme de fond en comble et est intégré à l'ensemble du système scolaire. Cette intégration se fera, hélas, trop rapidement. Du jour au lendemain, les écoles moyennes sont fermées et les commissions scolaires prennent la relève. Dans les collèges, deux programmes sont élaborés: l'un, par le ministère de l'Éducation, et l'autre par le ministère de l'Agriculture, et la responsabilité partagée entraine des conflits. Actuellement, les deux ministères révisent leurs programmes. Pour ce faire, le ministère de l'Éducation s'est adjoint un comité consultatif formé de producteurs agricoles, en vue d'adapter son programme collégial et secondaire aux réalités actuelles de l'agriculture. Le ministère de l'Agriculture, quant à lui, est à la recherche de nouvelles formules pédagogiques.

Beaucoup d'efforts sont investis dans l'éducation des adultes, mais la multiplication des structures et le manque de concertation des différents niveaux d'intervention vont plutôt jouer contre une amélioration de la formation des agriculteurs. En 1966, la D.G.E.P. du M.E.Q. engage un agronome pour réorganiser l'enseignement destiné aux agriculteurs adultes. Un Comité consultatif provincial, composé de représentants du ministère de l'Agriculture, de l'U.C.C. et du M.E.Q., est formé pour l'élaboration de cours postscolaires agricoles. Il constitue la première structure d'enseignement agricole pour les adultes. Le premier objectif des cours organisés dans ce cadre est de pallier le manque de formation initiale des agriculteurs dans le domaine précis de l'agriculture. Dès la seconde année, en 1968-1969, 4 000 personnes s'inscrivent et les organismes d'enseignement sont débordés. Pour répondre à la demande, les cours sont donc enregistrés sur cassettes avec l'aide du Bureau pour l'aménagement de l'Est du Québec et Radio-Québec; leur diffusion dans les régions est rendue possible grâce au concours d'animateurs, tous agriculteurs.

Entre 1970 et 1977, le nombre d'adultes inscrits à ces programmes diminue d'environ 12% (103). Les agriculteurs réclament des activités de courte durée etplus spécialisées. Toutefois, de son coté, la D.G.E.A. alloue des sommes au prorata du volume d'activités de chaque institution d'enseignement. Dans ce contexte, les institutions ont tout avantage à organiser des activités de formation de longue durée et ce, bien souvent, au détriment des demandes des agriculteurs.

Jusqu'en 1978-1979, le gouvernement fédéral verse des allocations aux travailleurs autonomes. Les agriculteurs les utilisaient pour compenser les pertes subies par le manque à gagner dû au temps qu'ils passaient en dehors de leur ferme lorsqu'ils suivaient des cours. Ces allocations ont aidé ceux qui voulaient bénéficier d'une formation. Réagissant contre la politique d'austérité du gouvernement fédéral, la D.G.E.A. décide également, en 1979, de réserver des crédits spéciaux pour la formation des agriculteurs à temps partiel. Malgré cet effort et en dépit d'une amélioration des formules pédagogiques et des contenus, l'éducation proposée aux agriculteurs reste bien en deçà des besoins réels du milieu. Ces besoins sont, par ailleurs, difficiles   à  cerner,   car  les   Commissions  de  formation  professionnelle (C.F.P.) et les Centres d'emploi et d'immigration du Canada (C.E.I.C.) qui effectuent, aux niveaux provincial et fédéral, le travail d'identification de ce genre de besoins, pénètrent moins dans le milieu agricole que dans le milieu urbain. Quant aux commissions scolaires, l'importance qu'elles accordent à l'éducation des agriculteurs varie en fonction des comités agricoles chargés d'orienter leurs décisions.

Si on doublait l'emploi des fertilisants, ceci entraînerait un accroissement de la production variant entre dix et quatorze pourcent ; si on augmentait du double le degré de scolarité des agriculteurs, ceci entraînerait une augmentation de la production d'environ quarante pourcent.

Source: L'enseignement professionnel agricole au Québec, U.P.A., 1er juin 1977, 19 p.

La clientèle est de plus en plus jeune, la moyenne d'âge est passée, de 1974 a 1977, de 44 ans à 39 ans. Elle est plus instruite et plus intéressée à suivre des cours pratiques que des cours généraux ou d'introduction. Enfin, la proportion de femmes inscrites aux cours augmente régulièrement, bien qu'elles représentent encore moins de 10% des étudiants adultes (104).

À l'heure actuelle, face aux transformations rapides de la réalité du monde agricole, et afin qu'il existe une véritable concertation entre tous les organismes travaillant dans le domaine de la formation des agriculteurs, le ministère de l'Agriculture réclame la suppression des intermédiaires, la reconnaissance des instituts de technologie, et il veut leur donner un statut qui leur permettrait d'être financés directement, et ce, de manière à tenir compte des aspirations et des besoins locaux tout autant que des orientations générales de l'agriculture québécoise.

De son côté, l'Union des producteurs agricoles qui représente la totalité des agriculteurs, fait des revendications de portée plus générale. Selon les membres de ce syndicat, la formation, pour réussir, doit être ancrée dans la réalité vécue par les adultes, de même qu'être globale, dans la perspective d'une éducation permanente.

1.1.3.5 Le mouvement coopératif

Dans les années 60, dans le contexte du développement et de l'institutionnalisation de la formation des adultes, le Mouvement coopératif Desjardins ne tarde pas à poser des gestes importants, telle la création de l'Institut coopératif Desjardins. C'est une expérience originale, qui favorise l'utilisation d'une pédagogie de participation. L'I.C.D. apparaît à une époque où la science et la technique envahissent tous les secteurs de l'activité et touchent tous les individus. Face au gonflement de la structure bureaucratique, l'I.C.D. veut former des citoyens en mesure de réagir. Entre 1963 et 1970, l'I.C.D. a accueilli 25 000 stagiaires.

Les secteurs les plus développés du mouvement coopératif (caisses populaires, coopératives agricoles, compagnies d'assurance) accordent une attention spéciale à la formation de leur personnel. Par exemple, depuis 1976, le Mouvement Desjardins a créé trois programmes de formation destinés aux dirigeants élus des divers conseils, aux gestionnaires et aux employés des caisses populaires. En 1979, il y consacre 5,5$ millions. En dehors des revues Ma Caisse populaire et La Revue Desjardins, destinées au public, il n'existe pas de programmes de formation destinés aux membres et au public en général. Dans le secteur financier, qui regroupe, en plus des caisses populaires, les caisses d'établissement et les caisses d'entraide économique, les programmes d'éducation sont intégrés à des programmes de relations publiques, d'information et de mise en marché. Enfin, dans le secteur agricole, les mécanismes de communication entre le membre et sa coopérative prennent le plus souvent la forme d'assemblées d'information ou de bulletins de liaison.

Tableau 6 : Évolution du mouvement coopératif

 

1954

1959

1964

Mutuelles-incendie

245

237

225

Caisses populaires

1 130

1 194

1292

Coopératives agricoles

600

507

415

Coopératives de consommation

175

a

a

Coopératives de pêche

28d

29d

25d

Coopératives forestières

53

50

80

Coopératives d'habitation

50e

67e

22f

Coopératives d'électricité

50

58

Coopératives étudiantes(g)

50

a

20

Source: Gaston Deschênes, « Le mouvement coopératif est-il cyclique? », La Revue Desjardins, vol. 44, no 4, 1978, p. 18.

À l'exemple des caisses populaires Desjardins, les secteurs non fédérés"05', qui ne disposent pas des ressources financières que procure le regroupement des coopératives locales, se préoccupent aussi de la formation de leurs membres. Diverses formules sont utilisées: discussions, cours sur la coopération, soirées d'information, « assemblées de cuisine ». La formation « sur le tas » est privilégiée, tout comme la participation active des membres.

Quant aux coopératives de consommation, regroupées au sein de la Fédération des magasins coop, elles mettent l'accent sur l'éducation des consommateurs. En 1970, on dépensait 20% des surplus d'opération à des fins éducatives. Par exemple, le Journal coop est un moyen privilégié d'éducation. C'est la Fédération des magasins coop qui a mis sur pied, en 1970, l'Institut de protection et d'information du consommateur, organisme voué à la défense des intérêts du consommateur. En se mettant à l'écoute de ce dernier, en l'informant sur la nutrition, l'étiquetage, l'économie familiale, etc., en prenant sa défense, l'I.P.I.C. voulait permettre à ses membres de devenir des consommateurs avertis. En 1980, la Division de la promotion coopérative de la Fédération produit du matériel didactique, fournit des conseils et collabore avec les coopératives locales à des projets éducatifs.

Dans les universités, on ne demeure pas en reste. L'Université de Sherbrooke crée, en 1967, une chaire de coopération. En 1968, l'Université Sir George Williams offre un cours de coopération. Ces cours s'adressent surtout aux cadres. Enfin, depuis 1970, certaines universités tentent de développer l'enseignement et la recherche sur la coopération, sous tous ses aspects, en offrant des programmes de formation ou d'aide technique aux gens du milieu coopératif. Ainsi, l'Institut de recherche et d'enseignement pour les coopératives de l'Université de Sherbrooke (I.R.E.C.U.S.) succède, en 1976, à la chaire de coopération, et offre, depuis 1979, un programme de certificat à l'intention des gestionnaires, cadres et dirigeants des coopératives(106).  Il offre aussi un programme de perfectionnement plus souple où l'équipe d'animateurs se déplace pour aller rencontrer les coopéra-teurs dans leur milieu. La Faculté d'éducation permanente de l'Université de Montréal a également créé un programme de certificat en coopération, en 1977, qui s'adresse à une clientèle plus large englobant tous ceux qui s'intéressent au phénomène coopératif.

La Télé-université de l'Université du Québec offrait quant à elle, en 1974, à 4 500 personnes, un cours d'initiation à la coopération. Comme complément aux cours télévisés, des séminaires sont organisés sur la base d'ateliers d'une journée avec animateurs et portent sur des thèmes liés à la réalité coopérative régionale. Ce cours a été dispensé à bon nombre de femmes, de coopérateurs, d'élus ou de membres du personnel des coopératives. Dans l'ensemble, les programmes offerts par les universités s'adressent plus au personnel de direction du mouvement coopératif qu'aux membres. Ces programmes répondent aux besoins des institutions coopératives qui, pour faire face à la concurrence des entreprises privées, doivent pouvoir compter sur un personnel efficace et formé.

Maintenant que le mouvement coopératif est solidement implanté au Québec, se dessine un renouveau dans le domaine de l'éducation coopérative. Dans le cadre de la Conférence socio-économique sur la coopération tenue à Montréal en février 1980, le gouvernement provincial a clairement affirmé sa volonté d'appuyer l'action du mouvement coopératif. L'École nationale d'administration publique offre, d'ailleurs, un cours de coopération aux fonctionnaires.

À l'instigation des principales fédérations coopératives, le Conseil de la coopération du Québec a, pour sa part, publié les résultats d'une recherche sur les activités de formation et d'éducation coopérative. La Fédération des magasins coop, qui a toujours apporté une attention particulière à l'éducation, vient, quant à elle, d'annoncer la mise sur pied d'un programme de perfectionnement à l'intention des administrateurs élus des coopératives. De telles initiatives sont susceptibles de favoriser une certaine reprise en main des coopératives par les coopérateurs.

1.1.3.6 Les organisations de citoyens

L'émergence d'organisations populaires principalement préoccupées par l'éducation et/ou la culture populaire s'inscrit dans la dynamique générale des mouvements populaires. C'est à Montréal que sont apparus les premiers comités de citoyens, en réaction contre l'inertie des représentants municipaux face aux problèmes urbains. En effet, au cours du 20e siècle, le tissu urbain s'est transformé substantiellement, afin de s'adapter aux nouvelles fonctions que Montréal doit assumer pour favoriser le développement du capital et permettre une concentration des activités économiques. C'est précisément dans ce contexte qu'apparaissent les comités de citoyens dans les quartiers du sud-ouest de Montréal, les plus touchés par la détérioration de l'environnement.

Les premiers comités se mobilisent sur des problèmes relatifs au logement, aux loisirs, à la santé, aux services municipaux et à l'éducation. Les revendications portant sur les questions scolaires ont trait non seulement aux problèmes d'aménagement, de construction de locaux, d'élargissement du nombre de cours, mais aussi à la redéfinition de l'éducation(107). ... puisqu'on demandait aussi des cours d'éducation populaire de même que des modifications aux cours de recyclage pour les chômeurs et assistés sociaux. (108).

Ainsi, à ce moment, la question de l'éducation, sans être posée en termes clairs et définis, s'inscrit tout de même concrètement dans les pratiques, les luttes et les mobilisations des comités de citoyens.

Les années 1968-1969 voient surgir un nouveau « questionnement » sur le rôle et la portée des pratiques des comités de citoyens. Rappelons que deux grandes tendances s'affrontent sur la question de l'action dans le milieu populaire. Pour certains, le passage à l'action politique est inévitable et nécessaire, face au plafonnement des pratiques défensives des comités de citoyens, ce qui va entraîner une rupture de plus en plus grande de la part de ces groupes face à l'État, devenu l'ennemi principal. Pour les autres, la question du choix politique s'avère prématurée, et l'on préfère s'en tenir au travail de quartier, tout en développant l'aspect « service » des interventions des groupes populaires. En ce sens, l'action de ces derniers veut s'orienter vers la solution de problèmes locaux par les citoyens eux-mêmes et non plus sous l'impulsion ou sous le leadership d'un animateur. De plus, les objectifs d'éducation des comités de citoyens cèdent le pas à des objectifs de gains matériels. Ce courant au sein des organisations populaires se développe rapidement, surtout au début des années 70 et ce, notamment grâce à l'injection de sommes importantes du gouvernement fédéral sous le couvert des Programmes perspective jeunesse ou d'initiative locale (P.I.L.).

Parallèlement à ce bouillonnement au sein des organisations populaires, s'effectue un regroupement d'organisations intervenant dans le domaine de l'éducation. L'Institut canadien d'éducation des adultes joue, à cet effet, un véritable rôle de catalyseur.

Dès 1949, l'Institut, qui existe depuis 1956(109) amorce un travail de sensibilisation auprès d'un certain nombre de groupes populaires, en vue notamment de permettre à ceux-ci de se rapprocher, de mieux se connaître et de tenter de définir les perspectives de l'éducation populaire. C'est ainsi que peu à peu se structure le Carrefour des groupes populaires composé d'une trentaine d'organismes s'occupant de culture et d'éducation populaire. L'assemblée générale de l'I.C.E.A. de 1970, à laquelle les groupes populaires sont invités à titre d'observateurs, va permettre à ces derniers de prendre conscience de leur importance et de l'enjeu fondamental que représentent les formes non scolaires d'éducation. Mais, ce n'est réellement que l'année suivante que les groupes populaires se font entendre. Suite à de nombreuses discussions, l'I.C.E.A. fait siennes les réflexions des organisations populaires sur le droit des milieux défavorisés à une éducation qui leur convienne, et adopte comme priorité de travail: le développement social des milieux défavorisés(110)

Ces nouvelles pratiques, davantage circonscrites, amènent les groupes existants, au début des années 70, à établir de nouveaux rapports à l'éducation, en saisissant l'importance de la formation et de l'information. Pour les organisations intervenant dans le domaine de l'éducation populaire, la décennie 70 est la période privilégiée pour se regrouper et se mobiliser autour des problèmes propres au secteur de l'éducation. C'est dans ce contexte qu'est mis sur pied, en 1971, le Centre de formation populaire. Le C.F.P. se définit comme un carrefour ouvert aux militants des milieux ouvriers et populaires. Il offre à ses membres des sessions de formation, organise des débats et journées d'études, et leur fournit différentes publications. Par ailleurs, à partir de 1970, la Commission des écoles catholiques de Montréal appuie la création de six centres d'éducation populaire sur son territoire, dont les objectifs sont la promotion collective des milieux populaires.

Au cours de la dernière décennie, les organisations ont systématisé leurs revendications et luttes autour de problèmes et questions précises, tel le problème du financement de l'éducation populaire. Dès 1972, l'I.C.E.A. publie, à la demande des organismes populaires, un mémoire sur Le financement des organismes d'éducation populaire par le gouvernement provincial, qui propose une série de mesures visant la redéfinition de l'éducation populaire de façon à permettre le financement d'activités éducatives originales caractéristiques de ce type d'éducation, (...) l'extension des subventions publiques (...) à des ensembles de projets (...) une classification des organismes assortie d'un système d'accréditation et de subventions statutaires, (...) et enfin ...(une révision des)... barèmes employés à l'heure actuelle pour l'appréciation du coût des projets, les normes du ministère de l'Education ne correspondant absolument plus à la réalité des années soixante-dix(111).

Si ces propositions ne se sont pas concrétisées, la publication du mémoire a quand même eu pour effet de sensibiliser la population et le gouvernement aux besoins des groupes. Ainsi, le M.E.Q., à partir de 1974, augmente peu à peu son financement au chapitre de l'éducation populaire autonome, mais cela n'a pas entrainé un changement radical des politiques de financement, s'il faut en croire le document publié par l'I.C.E.A. en 1977.

À la fin de cette décennie, ces organisations se sont donné une définition de l'éducation populaire autonome, qui a pour base la promotion collective des milieux populaires par la « prise en charge collective du milieu et « l'action collective de transformation du milieu »(112).

Parallèlement au développement des organisations populaires se structurent et se regroupent des associations de femmes. Plusieurs surgissent comme groupes de pression face aux gouvernements et réussissent à rassembler un nombre élevé de femmes. Les années 60 et 70 peuvent être caractérisées par l'élargissement des revendications des femmes, qui touchent désormais l'ensemble des conditions spécifiques d'oppression et d'exploitation dont elles sont victimes, aussi bien dans la société en général que dans leur vie privée.

Jusqu'à la fin des années 60, les principales revendications des organisations féministes ont visé l'égalité avec les hommes. Par la suite se développe un courant plus radical cherchant à aller aux sources de l'oppression des femmes et réclamant, entre autres, le droit pour les femmes de définir ce qu'elles veulent touchant leur santé, leur éducation, leurs loisirs, etc. Enfin, plus récemment, se sont multipliées des organisations de femmes intervenant dans différents secteurs et mettant en avant des revendications plus larges pouvant toucher toutes les femmes: pensons aux revendications contre la violence ou la pornographie. Afin de mener à bien ces luttes, les regroupements de femmes (A.F.É.A.S., F.F.Q., Comités de la condition féminine des centrales syndicales, etc.) se sont donné des outils de formation et d'information qui ont permis, dans une certaine mesure, une prise de conscience par les femmes et par certains hommes, de la situation faite à plus de la moitié de la population. En 1973, le gouvernement crée le Conseil du statut de la femme. Cet organisme d'étude et de consultation met sur pied des services de documentation, de recherche et d'information destinés aux femmes. Dorénavant, les gouvernements ne pourront plus aussi facilement faire fi de la réalité et des demandes des femmes.

1.1.3.7 Le secteur culturel

Des années 50 à 80, le Québec s'est grandement développé culturellement. Après un long cheminement, tous les domaines de la culture (peinture, chanson, poésie, théâtre, roman et cinéma) vont apporter leur contribution à la définition d'une identité culturelle originale chez les francophones, ce qui amène les Québécois anglophones à redéfinir la leur part rapport aux États-Unis et au reste du Canada anglais. À partir de 1967, des liens plus étroits, et surtout plus égalitaires, vont se nouer avec la France. On assiste à la création de super-structures, tel le ministère des Affaires culturelles en 1961. La télévision devient le principal moyen de connaissance du monde pour la plupart des individus de toute condition(113). Radio-Canada va produire des émissions éducatives, comme « Point de Mire » ou « Sciences et réalités ». Télévision à mandat éducatif, Radio-Québec voit le jour en 1969.

Les bibliothèques, de leur côté, connaissent un essor remarquable même s'il reste beaucoup de travail à faire dans ce domaine. En 1959, le Québec se dote enfin d'une législation en matière de bibliothèques publiques. Les bibliothèques se sont modernisées, elles ont adopté des méthodes scientifiques de gestion. Des bibliothèques centrales de prêts (B.C.P.) ont été organisées sur le territoire. Elles sont au nombre de dix en 1980. À la suite des Lois 22 et 63, la Loi 101 vient, en 1977, confirmer le caractère spécifique de la province. On fait un effort pour redéfinir et valoriser les acquis du passé. Télé-université, sensible à la qualité de la langue et à la connaissance du patrimoine, dispense des activités sur le patrimoine et lance, en 1978, en même temps qu'elle inaugure l'année du français, les cours « Français pour tous, français pour tout ». Enfin, de nombreux groupes populaires, des organisations ouvrières, et des radios et télévisions communautaires travaillent à valoriser une culture qui se veut québécoise.

Conclusion

C'est dans ce contexte, et pour répondre aux pressions de plusieurs milieux qui demandaient une politique globale de l'éducation des adultes, que le gouvernement du Québec créait, en janvier 1980, la Commission d'étude sur la formation professionnelle et la formation socioculturelle des adultes, en lui confiant le mandat d'élaborer cette politique.

L'histoire du développement de l'éducation des adultes, dont nous avons donné ici un aperçu(114), n'est qu'une longue suite de tentatives de réponses à des besoins collectifs ou individuels. Entre 1850 et 1900, nous avons pu retracer de nombreuses expériences d'éducation des adultes, surtout dans le milieu agricole, qui visent à outiller la population. Entre 1900 et 1950, se structurent, s'organisent et se systématisent les expérimentations en éducation des adultes. Les lieux d'éducation foisonnent. Les populations touchées sont de plus en plus diversifiées et le gouvernement fédéral, à la faveur de la crise et de la guerre, occupe le champ de la formation professionnelle. Enfin, plus près de nous, au cours des 20 dernières années, se sont institutionnalisées la majorité des pratiques d'éducation destinées aux adultes. Alors que jusque là la formation se faisait surtout dans des lieux liés au travail ou à la vie associative, l'institution scolaire, à la faveur de la réforme en éducation, a pris une place prépondérante que nous évoquerons dans les différentes sections du rapport concernant le monde scolaire. Parallèlement au mouvement d'institutionnalisation en éducation des adultes, sont apparues en milieu urbain des organisations autonomes et populaires qui renouent avec les pratiques d'éducation populaire et qui semblent porteuses d'avenir. Cependant, les coupures budgétaires effectuées dans le budget de l'éducation des adultes en 1980 ont sérieusement compromis tous ces efforts, mais elles appartiennent au présent, et nous en ferons état plus particulièrement dans le chapitre sur le financement.

Notes

  1. J.  Hulliger, L'enseignement social des évêques canadiens de 1891 à 1950,Montréal, Fides, 1958, p. 34-35.
  2. J. Hulliger, op. cit., p. 64.
  3. Les informations suivantes sont tirées de l'ouvrage, P.A. Linteau, R. Durocher,J.C. Robert, Histoire du Québec contemporain, Montréal, 1979, Boréal Express,p. 239-250.
  4. L.P. Audet, Le système scolaire du Québec, Beauchemin, Montréal, 1969, p. 18.
  5. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 240.
  6. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 242.
  7. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 245.
  8. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 245.
  9. N. Mair, Quest for Quality in the Protestant Public Schools of Québec, C.S.E.,1980, p. 71.
  10. Par exemple, en 1635 est fondé le Collège des Jésuites à Québec; suivent: leSéminaire de Québec (1663), le Petit Séminaire de Québec (1668), le Collège deSt-Hyacinthe (1811), les Collèges de Ste-Thérèse et de Chambly (1824), le Collègede l'Assomption (1832),  le Collège de Joliette (1846).  Les Jésuites fondent leCollège Ste-Marie (1850).  En  1853 sont fondés les Collèges de Ste-Marie deMonnoir et de Lévis, etc.
  11. William Ryan, The Clergy and Economie Growth in Québec, (1896-1914),PUL, Québec, 1966, p. 224.
  12. William Ryan, op. cit., p. 225.
  13. Journal d'agriculture, juillet 1880, p. 91, cité dans Bruno Jean « Les idéologieséducatives agricoles (1860-1890) et l'origine de l'agronomie québécoise », Cahiersde l'Institut supérieur des sciences humaines, Québec, no 7, 1977, p. 28.
  14. Idem.
  15. Jean-Pierre Charland, L'enseignement spécialisé au Québec, 1867 à 1965, thèsede doctorat, Faculté des lettres, Université Laval, 1981, p. 25.
  16. J.P. Charland, op. cit., p. 17.
  17. J.P. Charland, op. cit., p. 25.
  18. R. Heap, « Un chapitre dans l'histoire de l'éducation des adultes au Québec: lesécoles du soir, 1889-1892 », dans Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 34,no 4, mars 1981, p. 617.
  19. R. Heap, op. cit., p. 605.
  20. R. Heap, op. cit., p. 610.
  21. « De l'association », La Minerve, 5 juin  1843, dans  Yvan Lamonde, Lesbibliothèques de collectivités à Montréal 17e et 19e siècle; sources et problèmes,Montréal 1979, p. 364.
  22. Létourneux, L.O., « La société canadienne », 1845, dans Yvan Lamonde, op.cit., p. 363.
  23. Yvan Lamonde, « Culture de masse au Québec au XIXe et XXe siècle »,Research McGill, 21 janv.-fév. 1975, p. 14-20.
  24. Yvan Lamonde, ibid, p. 4.
  25. Céline Robitaille-Cartier, Livre, bibliothèque et culture québécoise,A.S.T.E.D., 1977, p. 341.
  26. Les  informations  suivantes sont tirées de l'ouvrage de P.A.  Linteau,  R.Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 350 et suivantes.
  27. II semble que le Québec du début du XXe siècle a bel et bien atteint le staded'une société industrielle où la production des biens manufacturés représente l'élément moteur de l'économie. Comme le souligne André Raynauld: « le problème duQuébec n'est pas celui d'un retard de croissance mais celui d'une croissance dont lescaractéristiques structurelles et démographiques sont différentes de celles de certainesautres provinces du pays ». Nous faisons nôtre l'explication donnée par Linteau,P.A., Durocher, R., Robert, J.C, op. cit., p. 378-379.
  28. Jean Hamelin, Jean Provencher, Brève histoire du Québec, Montréal, BoréalExpress, 1981, p. 120.
  29. Mario Dumais,  « L'Economie québécoise contemporaine », dans RodrigueTremblay, dir., l'Economie québécoise, histoire, développement, politique, Montréal, P.U.Q., 1967, p. 115.
  30. François-Albert Angers et Roland Parenteau, Statistiques manufacturières duQuébec, 1665-1948, Montréal, Institut d'économie appliquée, H.E.C., 1966, p. 158.
  31. Jacques Rouillard, Histoire de la CSN (1921-1981), Montréal, Confédérationdes Syndicats Nationaux et éd. Boréal Express, 1981, p. 113.
  32. Mgr. A. Tessier, « Les écoles ménagères au service du foyer », dans MichèleJean, Québécoises du 20e siècle, Montréal, Quinze, 1977, p. 161.
  33. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 533-534.
  34. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 534.
  35. P.A. Linteau, R. Durocher, J.C. Robert, op. cit., p. 534.
  36. Les informations de cette section sont tirées de la thèse de doctorat de NicoleThivierge,  L'enseignement ménager familial au  Québec,   1880-1970,  UniversitéLaval, Québec, mai 1981, 562 pages.
  37. N. Thivierge, op. cit., p. 171.
  38. J.M. Couet, agronome, L'instruction et l'éducation des jeunes ruraux, trente-et-unième cours à domicile, année 1956-57, U.C.C. Montréal, 106 p.
  39. Yvon Daneau,  « Caractéristiques du mouvement coopératif québécois », Lemouvement coopératif du Québec et l'éducation des adultes, Montréal 1970, Lescahiers de l'I.C.E.A., nos 10-11., p. 24.
  40. Voir Gaston Deschênes, « Le mouvement coopératif est-il cyclique? », LaRevue Desjardins, vol. 44, no 4, 1978, p. 17.
  41. Yves Roby, Alphonse Desjardins et les caisses populaires 1854-1920, MontréalFides, 1964, p. 92.
  42. Yves Roby, op. cit., p. 125.
  43. Anatole Vanier, Le comptoir coopératif, Montréal, 1916, p. 9 (brochure no 55de l'Ecole sociale populaire).
  44. Anatole Vanier, op. cit., p. 7.
  45. Eustache-G. Sergerie, Les bienfaits de la coopération chez les pêcheurs gaspé-siens, thèse de maîtrise, Commerce, Université Laval, 1950, p. 30.
  46. Gérard Filion, Notions élémentaires de coopération, Montréal, Librairie deL'U.C.C, 1939, p. 21-22.
  47. Voir Conseil supérieur de la coopération (quatrième congrès général des coopé-rateurs), L'éducation dans le mouvement coopératif, Québec, 1943, p. 69-70.
  48. Voir Léopold Godbout, prêtre, Ecole populaire de coopération, Québec, Conseilsupérieur de la coopération, (1944), p. 71.
  49. Jean-Pierre Charland, L'Enseignement spécialisé au Québec, 1867 à 1965, thèsede doctorat, Faculté des lettres, Université Laval, 1981, p. 167-168.
  50. Jean-Pierre Charland, op. cit., p. 171.
  51. Marcel Fournier,  Communisme et anti-communisme au Québec 1920-1950,Laval, Québec, éd. coopératives Albert Saint-Martin, 1979, p. 14.
  52. Claude Larivière, Albert Saint-Martin,  militant d'avant-garde (1865-1947),(Laval, Québec ed, coopératives Albert Saint-Martin, 1979), p. 133.
  53. Marcel Fournier, op. cit., p.. 15.
  54. Claude Larivière, op. cit., p. 17-18.
  55. Claude Larivière, op. cit., p. 21.
  56. Gilles  Laflamme,  L'éducation syndicale à la  Confédération des syndicatsnationaux (thèse de maîtrise, Relations industrielles, Université Laval, 1965), p. 28-29.
  57. Wilfrid Côté, ptre., L'éducation ouvrière dans les syndicats catholiques dudiocèse de Sherbrooke de 1918 à 1956 (Rome,  Instituto Scientiarum SocialiumPontificese Universitatis Gregorianae, 1965).
  58. Marcel Rioux, Les Québécois, Le Seuil, Paris, 1974, p. 38.
  59. Gérard Martin, « La direction des bibliothèques publiques du Québec », inLivre, bibliothèque et culture québécoise, ASTED, 1977, tome 2, p. 651.
  60. Blanche Faucher, « Votre auteur préféré » à la Bibliothèque de Montréal, inLivre, bibliothèque et culture québécoise, op. cit., p. 389.
  61. Raymond Tanghe,  Pour un système cohérent de bibliothèques au Canadafrançais, Fides, 1952, p. 15.
  62. Raymond Tanghe, op. cit., p. 61.
  63. Denis Monière, Le développement des idéologies au Québec, Québec/Amérique, Montréal, 1977, p. 293.
  64. I.C.E.A., L'éducation des adultes est-elle plus qu'un « business » à rentabiliser?, mémoire soumis à la C.É.F.A., décembre 1980, p. 13.
  65. Paul Bélanger, « L'éducation des adultes au Québec ou le difficile projet d'uneéducation permanente », Éducation permanente, mars-avril 1977, no 38, p. 47.
  66. Rapport du comité d'étude sur l'éducation des adultes, (Rapport Ryan), 1964,p. IV.
  67. M.E.Q., Premier rapport du ministre de l'Éducation, Québec, 1965, p. 9.
  68. I.C.E.A., « Pour une démocratisation de l'éducation des adultes », dans Dixéléments-clé, no 2, 1980, p. 3.
  69. Pour comprendre ce qui se passa durant ces deux années voir France Lagacé,Multi-Media, thèse de maîtrise, Université de Montréal, 1974.
  70. « Multi-media n'est plus », dans l'I.CE.A., volume 7, nos 3-4, 1971, p. 16.
  71. Paul Bélanger, op. cit., p. 49.
  72. Jean-Pierre Charland, L'enseignement spécialisé au Québec, 1867 à 1965, thèsede doctorat, Faculté des Lettres, Université Laval, 1981, p. 266-267.
  73. Jean-Pierre Charland, op. cit., p. 268, et Jean Dansereau, Aspects constitutionnels des programmes de formation de la main-d'oeuvre, Québec, Direction généralede l'éducation des adultes, 1973, p. 19.
  74. Jean Dansereau, op. cit., p. 13; André Petit, La formation professionnelle desadultes; historique et évolution de l'expérience québécoise dans le contexte canadien, thèse de maîtrise, Relations industrielles, Université Laval, 1972, p. 171.
  75. André Petit, op. cit., p. 137.
  76. Jean-Pierre Charland, op. cit., p. 241-246.
  77. Jean-Pierre Charland, op. cit., p. 246-268-373.
  78. André Petit, op. cit., p. 169.
  79. André Petit, op. cit., p. 244.
  80. Yvon Pineau, Politiques gouvernementales se rapportant à la formation desenseignants du secteur professionnel de 1940 à 1969, thèse de maîtrise, Sciences del'éducation, Université de Montréal, 1978, p. 84.
  81. Yvon Pineau, op. cit., p. 256.
  82. Rémi Gagné, « Le service de formation et son action », Cahiers de l'1.CE.A.,nos 8-9, p. 50-51.
  83. Charles E. Thérien, « Aide à l'apprentissage », Relations Industrielles, volume7, no 4, septembre 1952, p. 289.
  84. Louis-Marie Tremblay, Idéologies de la C.S.N. et de la F.T.Q. 1940-1970,Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1972, p. 204.
  85. Louis-Marie Tremblay, op. cit., p. 204.
  86. Jean Gauthier, L'éducation ouvrière dans la région de Montréal, thèse demaîtrise, Relations industrielles, Université de Montréal, 1955, p. 30.
  87. « Notre histoire, Le monde ouvrier, décembre 1977, à l'occasion du vingtièmeanniversaire de la Fédération des travailleurs du Québec, p. 12; on peut égalementconsulter Jean Gauthier, op. cit., p. 28.
  88. Jean Gauthier, op. cit., p. 35.
  89. Jean Gauthier, op. cit., p. 20.
  90. Louis-Marie Tremblay, op. cit., p. 207.
  91. « Notre histoire », Le monde ouvrier, décembre 1977, à l'occasion du vingtièmeanniversaire de la Fédération des travailleurs du Québec, p. 8.
  92. Wilfrid Côté, prêtre, L'éducation ouvrière dans les syndicats catholiques dudiocèse de Sherbrooke de  1918 à  1956,  Rome.  Instituto Scientiarum SocialiumPontificiae Universitatis Gregorianae, 1965, p. 72.
  93. Wilfrid Côté, prêtre, op. cit., p. 10-12.
  94. Gilles  Laflamme,  L'éducation  syndicale à la  Confédération  des syndicatsnationaux, thèse de maîtrise, Relations industrielles, Université Laval, 1968, p. 61-62.
  95. Fernand Jolicoeur, La formation syndicale à la C.S.N., Montréal,  Serviced'éducation de la C.S.N., 1966, p. 2; Gilles Laflamme, op. cit., p. 65-67-86.
  96. Wilfrid Côté, prêtre, op. cit., p. 85.
  97. Gilles Laflamme, op. cit., p. 70.
  98. Wilfrid Côté, prêtre, op. cit., p. 100.
  99. Gilles Laflamme, op. cit., p. 70.
  100. Gilles Laflamme, op. cit., p. 59.
  101. Gilles Laflamme, op. cit., p. 72, 76-77, 80.
  102. Louis-Marie Tremblay, op. cit., p. 91.
  103. Fernand Jolicoeur, op. cit., p. 5.
  104. Mémoire présenté à la C.É.F.A. par la Direction générale de l'enseignement,ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, Québec, décembre1980, p. 17.
  105. « L'Institut coopératif Desjardins 1963-1969 », La Revue Desjardins, vol. 35,no 3, mars 1969, p. 56.
  106. Les coopératives d'habitation, les coopératives étudiantes, les coopérativesfunéraires, les coopératives de taxi, les coopératives de travail, les clubs d'alimentsnaturels, les comptoirs alimentaires et les garderies coopératives.
  107. Voir Claude Pichette, « La chaire de coopération de l'Université de Sherbrooke », Le mouvement coopératif et l'éducation des adultes, Montréal, 1970, p. 172.
  108. Voir Francine McKenzie, « Coop-001 : un projet de promotion de formationprofessionnelle », La Revue Desjardins, vol. 41, no 4, p.  19-22, et Conseil de lacoopération du Québec, Recherche sur les activités de formation et d'éducationcoopérative, (SA., cl980), p. 269-270.
  109. Comme le souligne P. Hamel dans sa revue de la littérature portant sur lesmobilisations populaires, certains auteurs, Anne Légaré, Luc Martin et Robert Mayerétablissent une typologie des champs d'intervention des comités de citoyens. Dansson étude, Anne Légaré qui analyse l'intervention des comités de citoyens actifsjusqu'à l'automne 1968,  établit que leurs champs de revendication peuvent êtreregroupés sous cinq thèmes à savoir les questions scolaires, les services municipaux,les problèmes de logement,  les loisirs et la santé.  (...) Dans un article sur lescomités de  citoyens rédigé à  la  même époque,  Luc Martin et Robert Mayerétablissent un découpage similaire. Ils distinguent comme suit les principaux champsde revendication: a) domaine du bien-être social b) santé c) éducation et travaild) logement et rénovation urbaine e) loisirs. Hamel Pierre, Analyse des pratiquesurbaines revendicatives à Montréal (1963-1976),  Portée et limites de l'actionpolitique autour de la question du logement, thèse de doctorat, Faculté d'aménagement, Université de Montréal, mai 1979, p. 201.
  110. Hamel, P., op. cit., p., 202.
  111. Comme l'indique un court texte produit par l'I.C.E.A l'I.C.E.A. constitua de 1960 3 1967, un élément-clé de promotion d'un système public d'éducation des adultes. Amené à exercer un rôle critique face à la mise en place des structures, l'I.C.E.A. depuis 1969, a centré de plus en plus ses efforts d'abord sur l'éducation des adultes face au développement des milieux défavorisés, puis sur la promotion de l'éducation populaire autonome..., I.C.E.A., Présentation de l'I.C.E.A., Montréal, 1977, p. 1-2.

  112. L'I.C.E.A. de cette époque est fortement aiguillonné par les groupes populaires qui y font une entrée remarquée à l'Assemblée annuelle de 1971 tenue au Manoirl'Estérel. Pour la première fois, l'I.C.E.A. est confronté avec les groupes populaires.  Après un débat extrêmement houleux,   l'Institut se donne une priorité: ledéveloppement social des milieux défavorisés. C'est le premier virage important deson histoire et son action s'en trouve sensiblement modifiée. L'I.C.E.A., Documentde travail, Assemblée générale d'orientation, décembre 1980, Montréal, p. 6.
  113. Jean Cazeneuve, « L'homme télé-spectateur », p. 93, dans Réginald Grégoire,La télévision et les valeurs dans le projet éducatif,  gouvernement du Québec,Conseil supérieur de l'éducation, 1978, p.21.
  114. Ces points de repère historiques sont tirés d'un travail préparé par la Commission qui sera publié sous forme d'annexé.
  115. Chapitre 2

    1.2. L'éducation des adultes d'aujourd'hui à demain

    Le système éducatif n'est pas une réalité isolée, mais un des rouages du système social, une des institutions que se donne le système social pour remplir un certain nombre de fonctions dont, en particulier, celle d'assurer sa « reproduction ». Il ne peut donc être question de le changer indépendamment de tout le contexte socio-politique, dont il est étroitement dépendant.

    Source: Bertrand Schwartz, L éducation demain, Aubier-Montaigne, Paris, 1973, p. 49.

    L'éducation des adultes ne peut être conçue et organisée en vase clos, uniquement selon sa propre logique et ses propres impératifs. Nous l'avons vu précédemment, elle est dépendante du contexte général dans lequel elle s'insère. Les repères historiques qui précèdent nous ont montré que, depuis les débuts de l'éducation des adultes jusqu'à tout récemment, sa principale raison d'être a été, quelle que soit l'époque, de répondre à des besoins ponctuels et à des changements de tous ordres, économiques la plupart du temps, mais aussi sociaux, politiques et culturels. En raison des transformations profondes qu'a subies notre société ces dernières années, il importe plus que jamais de tenir compte de ces réalités dans l'élaboration d'une politique d'ensemble dans le domaine de l'éducation des adultes.

    1.2.1 Le contexte des années 80: éléments de prospective

    Parce qu'elle se veut réaliste et fonctionnelle à court et à moyen terme, la politique que nous proposons tient compte des nouvelles réalités de l'économie et des marchés de travail, ainsi que de l'évolution récente du Québec. Le bref tableau qui suit indique les mutations marquantes qui ont eu des incidences sur les orientations de l'éducation des adultes, et cet exercice nous fait réaliser à quel point le champ de l'éducation des adultes intègre toutes les dimensions humaines. Nous y reviendrons plus loin.

    1.2.1.1 Les effets de la récession économique

    Le Québec, comme toutes les sociétés industrialisées d'ailleurs, traverse actuellement une période économique de plus en plus difficile; récession, inflation, chômage sont devenus des mots familiers dans les conversations. On parle de « crise économique », de « stagflation ». Les citoyens et citoyennes du Québec sont forcés de composer avec une réalité financière précaire et instable. En dehors des indicateurs économiques classiques (taux d'inflation, taux de chômage, taux d'intérêt, indice des prix à la consommation, etc.), les gens sont moins confiants et renvoient souvent à des situations nouvelles, qui les touchent quotidiennement et qui contrastent avec la période de croissance économique, de plein emploi et d'aisance budgétaire du début des années 70, et encore plus des années 60. L'abondance a eu ses heures de gloire et il semble bien que ce n'est pas dans un avenir immédiat qu'un retour à cette période s'effectuera.

    Pensons à la hausse vertigineuse des prix des aliments et du pétrole, à la baisse du pouvoir d'achat, à la dévaluation du dollar, à l'augmentation des loyers et des taux hypothécaires, etc. La situation est inquiétante pour la travailleuse et le travailleur moyen du Québec qui subit plus durement les contraintes de cette détérioration économique. Certaines catégories de personnes ont vu leur situation s'aggraver, les bénéficiaires de l'aide sociale, les chômeurs, les personnes retraitées, les jeunes travailleurs et travailleuses, les employés au salaire minimum ou vivant en deçà du seuil de la pauvreté, les familles monoparentales, etc. Cette situation ne fait malheureusement qu'amplifier les inégalités sociales.

    55% des adultes participent à des activités éducatives au Québec.

    Source: C.É.F.A., Sondage sur les adultes et leurs activités éducatives, annexe 2, 1981, tome 1.

    Bref rappel méthodologique du sondage entrepris dans de cadre des travaux de la Commission:

    Le sondage s'est effectué en deux phases distinctes à l'aide de quatre questionnaires différents.

    La première phase consistait à élaborer un modèle d'échantillonnage de façon à représenter la population âgée de 17 ans et plus, dans neuf des dix régions administratives du Québec. A l'aide de la méthode du hasard systématique, on a tiré 14 000 numéros de téléphone des annuaires téléphoniques de toutes les régions administratives du Québec, à l'exception de la région 10 (Nouveau-Québec) qui a été exclue de l'échantillon pour respecter les contraintes budgétaires.

    Les réformes proposées par cette politique d'ensemble tiennent compte, autant que faire se peut, non seulement du contexte de restrictions budgétaires qu'impose l'économie actuelle, mais aussi de la part de responsabilités des différents partenaires sociaux engagés dans l'éducation des adultes, l'État, les institutions scolaires bien sûr, les entreprises privées et publiques, le mouvement syndical, le mouvement coopératif, les regroupements populaires, enfin les citoyens et citoyennes du Québec.

    Aujourd'hui, et plus que jamais, l'éducation des adultes fait partie intégrante de la vie sociale, professionnelle, culturelle et politique d'un nombre grandissant d'individus et de groupes. Or, cette nouvelle réalité, combinée à celle du contexte économique, touche des clientèles diverses et suscite de multiples attentes de la part des individus et des groupes auxquels doit répondre l'éducation des adultes.

    Elle (...) est confrontée aujourd'hui à des besoins de formation nés du chômage et avec des problèmes négatifs tels que ceux de la jeunesse, des femmes et de la mise prématurée à la pension. De l'adaptation conquérante et de la promotion, elle passe aux priorités défensives de la prévention, de la consolidation, de la conversion et de la compensation.(1)

    En outre, l'éducation des adultes intéresse de plus en plus les organismes professionnels et les entreprises. Certains facteurs, dont la portée dépasse largement les limites du territoire québécois, ont contribué à cet intérêt au cours des dernières années ; les restructurations d'entreprises se sont amplifiées, entraînant des concentrations et des diversifications de production, l'émergence de nouvelles technologies et une internationalisation de la production. Les employeurs, devant ces faits, ont déjà commencé à investir dans la formation de leurs propres employés et dans la formation de nouveaux types de spécialistes et d'experts.

    Des 12 495 cas constituant l'échantillon définitif, 8 856 personnes (70,9%) ont accepté de compléter l'entrevue. Les entrevues téléphoniques, d'une durée moyenne de dix minutes chacune, ont été effectuées par les interviewers professionnels du Centre de recherche sur l'opinion publique (C.R.O.P.) entre le 10 novembre et le 2 décembre 1980, à partir d'un questionnaire d'une quarantaine de questions.

    La deuxième phase consistait à tirer un deuxième échantillon de l'échantillon d'analyse de la première collecte. On voulait obtenir un total d'environ 2 400 entrevues complétées lors de la deuxième collecte; soit environ 600 entrevues pour chacun des quatre groupes de répondants (en formation de type professionnel, de type social et culturel, de type autodidactique, et ceux qui n'avaient entrepris aucune activité éducative de formation). Les taux de réponses pour cette deuxième phase varient entre 68,8% et 74,8%.

    Les entrevues téléphoniques, là encore d'une durée moyenne de dix minutes chacune, ont été réalisées également par C.R.O.P. et elles se sont déroulées entre le 6 et le 22 mai 1981.

    1.2.1.2 L'avènement de nouvelles technologies et les exigences des marchés de travail

    L'informatique, le secteur énergétique, la métallurgie nucléaire et l'industrie spatiale ont emboîté le pas aux grandes mutations technologiques du début du siècle (automobile, avion, télévision, etc.). Le développement de la bureautique, de la robotique, de la télé-informatique et d'autres technologies de pointe vont produire de nouveaux emplois, très spécialisés et nécessitant une solide formation de base et de plus en plus une formation étalée sur toute la vie. Ces emplois requièrent déjà une adaptation des contenus de formation en éducation des adultes. Cette adaptation devra s'accélérer si nous voulons offrir des programmes qui correspondent aux innovations technologiques et industrielles et conserver notre rang et notre réputation mondiale en la matière.

    Dans le contexte de récession économique que nous vivons, un point important semble affecter considérablement les travailleuses et travailleurs, c'est la dégradation continue du niveau de l'emploi. Qu'il s'agisse des jeunes à la recherche du premier emploi, des moins jeunes insérés professionnellement ou encore des plus âgés dont la tâche devient désuète, la perspective du chômage possible fait désormais partie de l'horizon social de la plus grande partie des travailleurs(2). D'autre part, les jeunes, avec d'autres catégories sociales vulnérables (les femmes, les personnes handicapées, les immigrants, etc.) sont le plus souvent embauchés en dernier et mis à pied en premier, en période de crise. D'ailleurs, pour certains, les sombres perspectives d'emplois justifient quelquefois la poursuite indéfinie des études... Or, l'éducation des adultes ne devrait pas servir de palliatif au chômage. Elle peut néanmoins constituer un instrument utile, tant pour les jeunes que pour les adultes, afin de favoriser la réorientation des personnes disponibles vers les secteurs d'emplois les plus prometteurs. En ce sens, on peut penser que la situation de l'emploi faite aux jeunes les amènera à y recourir périodiquement dans le futur.

    Des 2,6 millions de personnes qui se joindront à la population active d'ici à 1990 au Canada, 1,7 million, soit plus des 2/3 d'entre elles, seront des femmes.

    Source : Emploi et immigration du Canada, L'évolution du marché du travail dans les années 80, juillet 1981, p. 2.

    Récemment, deux groupes fédéraux d'étude sur l'évolution du marché du travail pour les années 80 ont fait ressortir quelques points saillants : plus de femmes se joindront à la population active, le nombre de jeunes travailleurs ira en diminuant, il y a actuellement un manque de travailleurs spécialisés dans certains secteurs de pointe et une pénurie de main-d'oeuvre, en particulier en ce qui concerne les secteurs de l'informatique, de la physiothérapie, de l'ergothérapie, de la gestion et de l'administration, de l'analyse financière et de l'ingénierie(3). Les domaines de la fabrication, de l'entretien et de l'usinage seraient aussi des secteurs d'emplois « déficitaires » en main-d'oeuvre(4).Ajoutons à ces faits la nouvelle structure des emplois qui se modifie continuellement avec l'apparition de nouvelles technologies et de nouvelles industries rendant désuets certains secteurs d'emplois.

    Si le Québec veut réaliser tout son potentiel économique, il devra tirer pleinement partie de ses ressources humaines et les former aux emplois qui seront accessibles au cours des années 80. Or la présente politique de l'éducation des adultes tient compte de ces nouvelles réalités: d'une part, les besoins de nouvelles clientèles telles que les femmes, les personnes handicapées, les jeunes travailleurs, les immigrants, etc., et, d'autre part, les besoins spécifiques des clientèles traditionnellement défavorisées par rapport à la formation, c'est-à-dire, les travailleuses et travailleurs non spécialisés ou non qualifiés et souvent chômeurs, avec peu ou pas du tout de scolarité (analphabètes) et exempts de protection face aux changements des marchés de travail(5). Devant la nécessité de travailleuses et de travailleurs hautement qualifiés et spécialisés pour les années 80, il faudra donc insister sur deux priorités en regard de la formation: d'abord, sur une formation initiale adéquate, mais également sur le recyclage et le relèvement des compétences. Il faudra, par l'intermédiaire, entre autres, de l'éducation des adultes, contribuer à combler les pénuries de main-d'oeuvre là où elles se font sentir.

    L'introduction de la micro-électronique dans le travail de bureau touchera principalement les femmes, puisque ce sont elles qui forment la masse des travailleurs et des travailleuses de bureau. Ceci entrainera les conséquences suivantes: - la déqualification de la majorité des tâches qui leur sont dévolues. -  la diminution du nombre d'emplois et la mise en chômage d'un nombre considérable de femmes. -  le développement d'une nouvelle forme de travail à domicile ; les mini-ordinateurs pouvant être installés dans leurs foyers, elles seront alors payées au rendement.

    Source: Céline St-Pierre, « Une 2e révolution industrielle », Presse Libre, no 5, juillet-août 81, p. 7.

    Dans des secteurs tels que le travail de bureau (banque, assurances, fonction publique, etc.) on s'attend à ce que dans les prochaines années, la bureautique - ou informatisation des tâches - réduise d'environ 30% le volume d'emplois.

    Source: Ibidem.

    Par ailleurs, les changements technologiques apportés dans certaines entreprises et touchant certaines catégories d'emploi entraîneront, nous l'avons dit, une transformation importante de la structure de demande de main-d'oeuvre. Si bien que certains groupes, par exemple, les femmes employées de bureau, rencontreront de sérieuses difficultés à conserver ou à trouver un emploi. Tel que dit le souhaiter le comité d'étude du ministère de l'Emploi et de l'Immigration, il faudra compter sur ces femmes pour assurer le dynamisme des secteurs spécialisés de l'emploi. Pour ce faire, il faudra d'abord leur ouvrir les portes dans les domaines où les nouvelles technologies font leur marque et, assurer leur compétence par une formation adéquate et accessible.

    Les études entreprises par ces groupes de travail du gouvernement fédéral ont fait ressortir à nouveau plusieurs lacunes concernant la formation dite professionnelle. De nombreuses recommandations ont été faites sur ce point. On préconise, par exemple, un programme visant à améliorer la mobilité professionnelle et sectorielle des travailleurs et des travailleuses ainsi que des mécanismes de recyclage, pour faire en sorte que, dans la mesure du possible, les travailleurs et les travailleuses de divers secteurs d'emplois possèdent un ensemble de compétences qui puissent satisfaire aux exigences d'un certain nombre de professions et de secteurs et, par conséquent, assurer leur polyvalence dans ces professions et secteurs. La Commission a du tenir compte de ces orientations dans l'élaboration de sa politique d'ensemble parce qu'il apparaît évident aujourd'hui que les liens emploi-formation deviennent de plus en plus étroits et sont appelés, dans l'avenir, en raison de l'engagement grandissant des entreprises dans ce secteur, à l'être davantage.

    En outre, à côté d'un petit nombre d'emplois très qualifiés que vont offrir les industries de pointe, il se produit de plus en plus, dans certains emplois, une véritable déqualification du travail et une intensification de l'émiette-ment des tâches, qui contribuent à dévaloriser le travail salarié pour un grand nombre de travailleurs et travailleuses. L'éducation des adultes devra donc, non seulement tenir compte de cette réalité, mais aider à mieux outiller l'adulte, afin qu'il puisse développer son potentiel et mieux participer aux orientations et aux changements du système économique dans lequel il vit.

    L'éducation des adultes pourrait également être influencée par le développement important de la sous-traitance, qui caractérise déjà plusieurs secteurs économiques, le travail intérimaire, et l'émergence, ces dernières années, d'une économie dite « souterraine » que stimule actuellement la pression fiscale directe exercée sur les revenus et le gonflement fiscal du prix des produits. Le Bureau international du travail estime quant à lui, que 5% ou plus de la main-d'oeuvre s'adonne à des activités non déclarées, proches du troc, ou du type « paiement de main à main ». On ne connaît cependant pas les effets que peut avoir le développement de ce type d'économie pour l'éducation de demain(6). Ce qu'il faut se demander, c'est quelle en sera l'influence sur la demande de formation par les adultes intéressés.

    1.2.1.3 Les besoins des entreprises et les besoins des salariés

    L'éducation des adultes: un outil indispensable pour bon nombre de travailleuses et travailleurs.


    Il est peu probable que les années à venir soient des années de plein emploi, si l'on prend en considération les pronostics en cette matière qu'ont fait les organismes internationaux comme l'O.C.D.E. et le Conseil économique du Canada, de même que l'Office de planification et de développement du Québec. Les efforts pour développer les horaires flexibles, les semaines comprimées ou les emplois à temps partiel, de même que le développement des nouvelles technologies ne sauront probablement pas venir à bout d'un chômage dont les causes sont multiples. Bien que cela ne doive pas être son but premier, l'éducation des adultes semble déjà un instrument essentiel aux personnes en quête d'emploi, et il n'y a plus de doute que son rôle prendra de plus en plus d'importance dans l'avenir. Cependant, l'éducation des adultes a trop souvent servi, dans les programmes fédéraux surtout, à « camoufler » une partie du chômage et il ne faut pas qu'une politique de l'éducation des adultes, visant un plus grand accès aux catégories qui n'ont pu en bénéficier, contribue à accentuer ce phénomène. L'éducation des adultes, dans une perspective d'éducation permanente, devra contribuer à développer, chez l'individu chômeur, une reprise de sa confiance en lui et en ses possibilités et le désir de se préparer à un métier, car son statut est pénible à supporter, économiquement et psychologiquement, surtout si la formation n'est pas utilisable dans ses rôles sociaux, dont celui de travailleur et de travailleuse, à cause d'emplois inexistants.

    L'entreprise est de plus en plus intéressée à développer, à l'intérieur de ses murs, la formation de certains de ses travailleurs (cadres professionnels et ouvriers qualifiés surtout). Elle doit non seulement adapter ses salariés aux nouvelles technologies utilisées dans l'entreprise, mais également développer l'innovation et la recherche pour lutter contre la concurrence. De plus, elle doit faire en sorte qu'un climat « sain » y règne, afin de limiter au maximum les conflits de travail, l'absentéisme, et d'autres problèmes du même type.

    La formation dans l'entreprise, parce qu'elle est, dans la plupart des cas, décidée et contrôlée par l'employeur, répond d'abord aux besoins économiques de l'entreprise et moins souvent à ceux des salariés, même si la formation peut leur permettre de conserver leur emploi et de mieux produire, avec les avantages salariaux qui en découlent. Certes, il existe des expériences où employeurs et employés se sont entendus sur les contenus et les volumes de formation, mais ils ne représentent encore que des cas limités.

    Dans la plupart des cas, la formation qui se donne dans les moyennes ou grandes entreprises a pour but ou bien de répondre ponctuellement à des besoins d'adaptation aux nouvelles techniques productives, ou de donner suite à des revendications syndicales, ou bien de perfectionner les cadres dans la gestion de l'entreprise. L'objectif est « utilitaire » (perfectionnement des compétences techniques, formations ponctuelles à la sécurité des employés, familiarisation avec de nouvelles méthodes administratives, etc.). Certes, l'éducation des adultes doit être pensée en fonction du développement économique du Québec et des priorités des marchés du travail, qu'elle soit dispensée par les entreprises et/ou par le réseau scolaire, ou par formule mixte, mais cela devrait se faire davantage en conformité avec les besoins à la fois des salariés et des employeurs.

    {...)on doit éviter le danger, sous l'impulsion de certaines circonstances, d'imprimer à l'éducation une orientation qui soit trop fortement inspirée par un désir de développement économique de la collectivité.

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, Quelques jalons pour une politique de /'éducation des adultes, Commission de l'éducation des adultes, 1977, p. 8.

    Si l'on veut assurer le développement économique du Québec, nous devrons également assurer celui de ses travailleurs et travailleuses. Par conséquent, il importe de ne plus considérer ces derniers strictement sous l'angle de la « main-d'oeuvre » et dans une perspective de rentabilité économique, mais d'abord et tout autant comme des personnes à part entière qu'il faut outiller et dont la formation aura des répercussions sur l'ensemble de la société. Cette vision plus large du développement suppose néanmoins, pour les entreprises et pour les autres partenaires sociaux, qu'il faille à présent tendre à apprendre à travers le travail et non seulement pour le travail.(7)

    De plus, la Commission croit avantageux de miser davantage dans l'avenir sur la perspective des « emplois communautaires », c'est-à-dire sur la reprise en main, par les premiers intéressés (les chômeurs, les jeunes sans travail, les personnes âgées, etc.) du développement communautaire. Il faudra de moins en moins compter sur les grandes entreprises et l'État pour absorber les montées de chômage. Ce sont plutôt les petites entreprises et la mise sur pied de projets locaux collectifs qui assureront une réponse adéquate aux personnes « sans travail ». Les regroupements à petite échelle représentent, croyons-nous, une voie nouvelle à explorer (voir Troisième partie, chap. 3).

    1.2.1.4 Les transformations sociales et la crise des valeurs

    Après la situation de plein emploi et de croissance économique continue que nous avons connue à la fin des années 60 et jusqu'au début des années 70, le Québec est maintenant en proie à de sérieuses difficultés, sans pouvoir espérer de changements dans l'immédiat. Aussi, cette période difficile, non seulement pour le Québec mais pour l'ensemble des pays occidentaux industrialisés, a enclenché une série de transformations sociales et une remise en question profonde des valeurs traditionnelles. Dans la société superspécialisée qui est la nôtre, où les institutions ont grossi considérablement et où l'on parle de plus en plus de déshumanisation des rapports humains, la « surorganisation », normalement produite par l'esprit technocratique, est renforcée par la « rationalisation » issue de la crise (...).(8) Malgré les facilités qu'offrent les moyens de communication de masse, l'isolement social est de plus en plus réel, par manque de véritables relations interpersonnelles engageant l'identité de l'individu au-delà de la promiscuité urbaine et des camaraderies stéréotypées(9) au travail ou pendant les loisirs.

    La prolifération des mondes parallèles, religieux ou récréatifs, et la contre-culture notamment, refuges artificiels dans lesquels des femmes et des hommes se protègent et se rassurent contre cet isolement « déshumanisant », n'est sûrement pas étrangère à ce sentiment d'impuissance.

    Pour contrer en partie à cet isolement social, le développement accéléré de l'appareil d'État québécois ces dernières années a voulu fournir des chances nouvelles d'intervention et de consultation des citoyens et citoyennes. Or, les individus ont effectivement développé, à l'égard de la gestion et de l'organisation étatiques, des attentes beaucoup plus élevées que ce qu'ils anticipaient pour la période antérieure (avant les années 70). Les gens craignent d'être désappropriés des mécanismes de pouvoir et sont à la recherche de défis et d'occasions de réussites collectives. Ils se regroupent pour toutes sortes de motifs, surtout en situation de crise ou de problèmes aigus: logements, rénovation urbaine, consommation, écologie, féminisme, etc. Ces groupes, comités ou associations, se constituent dans le but premier de participer aux décisions qui les intéressent sur les plans économique, social, culturel et politique en fonction de leurs conditions de vie et de travail. C'est un peu la naissance d'une nouvelle conscience collective(10) et une façon de concrétiser le « small is beautiful ». Cependant, la plupart du temps, l'individu se retrouve insatisfait et démuni devant les résultats de ses interventions, et ce, autant au plan politique qu'au plan du travail, de la santé, des finances, de la culture et de l'éducation. Ses aspirations à une véritable démocratisation des processus décisionnels sont souvent frustrées. De plus, cette volonté d'intervenir fait souvent prendre conscience aux individus qu'ils sont mal outillés pour le faire, leur participation étant parfois déficiente en raison même d'une information inadéquate ou d'une formation incomplète ou non pertinente pour comprendre et expliquer la vie économique, politique et sociale dans laquelle ils sont engagés.

    Les individus, et même les groupes organisés, ressentent un sentiment d'impuissance à l'égard des vastes mécanismes sociaux qui les conditionnent et qui menacent leur identité. Par conséquent, une réaction de plus en plus vive ressort de ces expériences et l'on revendique la décentralisation (primauté de la responsabilité et du pouvoir local) et la régionalisation. Des valeurs nouvelles surgissent. Les gens recherchent de plus en plus la pertinence, la cohérence dans leur vie privée et dans leurs projets collectifs. Ils n'acceptent plus d'être coincés entre une vie urbaine hachée, chaotique et un monde organisé aussi froid que sa logique bureaucratique.(11)Ils cherchent à harmoniser leur cadre de vie et désirent se donner des réponses concrètes à leurs interrogations sur l'avenir de leur vie familiale, sociale, professionnelle et culturelle.

    D'aucuns commencent à réagir en recomposant la trame de leurs expériences les plus fondamentales : vie intérieure, rapports quotidiens, cadres de vie, régime de travail, cheminement éducatif, options politiques. Ils cherchent des liens plus congrus entre leurs manières de vivre, leurs idées et leur affectivité, entre leur travail, leurs loisirs et leur vie sociale.(12)

    Il est clair aujourd'hui que l'individu se sent tiraillé dans le contexte social et politique actuel ; contexte qui évolue constamment et dont les structures essentielles se heurtent à des valeurs et à des modes de vie nouveaux. En contrepoids aux incertitudes engendrées par cette évolution, l'éducation des adultes peut offrir des possibilités intéressantes de réalisation dans le travail, la vie associative et la culture, pour ceux et celles qui désirent s'assurer plus d'emprise et de responsabilité face à l'avenir.

    L'éducation des adultes répond à un besoin réel des citoyens ordinaires : le besoin de mener une vie plus complète et plus satisfaisante, dans laquelle ils se rapprochent davantage de l'objectif consistant à tirer le meilleur parti de leurs capacités humaines, ainsi que des richesses de leur environnement naturel et historique. (13)

    Sur un autre plan, la Commission croit fermement à la participation des adultes dans le développement de la vie culturelle du Québec, comme forme privilégiée d'épanouissement de la personne. Il apparaît légitime de considérer le système éducatif comme un lieu important de participation à la vie culturelle. L'éducation des adultes, nous le rappellerons souvent au cours du présent rapport, ne se limite pas aux frontières du monde scolaire. Bien au contraire, il faut faire éclater ces frontières, et donner une place de choix aux autres milieux éducatifs. Nous pensons, entre autres, aux nombreuses ressources éducatives qu'offrent les organismes de la vie sociale et culturelle, par exemple, les mass-media, les musées, les centres d'art, les bibliothèques publiques, les conservatoires, les « maisons de la culture », etc. Le Québec a connu, depuis quelques années, un développement particulièrement riche de ce côté, et il importe de mettre ces ressources au service de tous et de toutes.

    1.2.2 Les liens éducation-travail-loisirs

    L'éducation des adultes doit embrasser tous les aspects de la vie de l'individu: c'est ce qu'une politique doit être capable de prévoir.

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation. Quelques jalons pour une politique de l'Education des adultes, Commission de l'éducation des adultes, 1977, p. 8.

    La meilleure façon, pour le monde de l'éducation, de se soucier du développement économique, social et culturel du Québec est d'abord de se soucier de celui de la personne. Une politique de l'éducation des adultes doit chercher à tout mettre en oeuvre pour intégrer l'ensemble des besoins et des expériences vécues par les adultes.

    La vie de l'adulte évolue dans des situations des plus diversifiées qui constituent ce que l'on pourrait appeler l'encadrement des intérêts, des motivations, des attentes; ces situations se situent aussi à l'origine des besoins et des aspirations. Il y a donc nécessité de ne pas limiter les services éducatifs à la satisfaction d'un seul volet de l'éventail des besoins possibles, si important soit-il relativement aux autres.(14)

    Il faut apprendre à apprendre, apprendre à chercher, à poser et résoudre des problèmes.

    Source: Jean-Claude Forquin, « Les composantes doctrinales de l'idée d'éducation permanente d'après un ensemble de publications de l'Unesco », dans Humanisme et entreprise, no 115, juin 1979, p. 28.

    De plus en plus, l'éducation des adultes constitue un moyen pour répondre à des besoins inhérents à l'évolution sociale. Que ce soit en vue du perfectionnement ou du recyclage professionnel, de l'apprentissage d'une technique artisanale ou d'un approfondissement de la connaissance psychologique, l'adulte qui décide de participer à une ou des activités éducatives le fait ou pour solutionner un problème ou pour mieux s'outiller face aux transformations de son environnement. En ce sens, nous pensons qu'il n'y a pas d'éducation neutre. L'adulte n'est prêt à se former que s'il peut espérer trouver une réponse à ses problèmes dans sa situation. Encore faut-il qu'il aperçoive une perspective de changement, qu'il y en ait une, et qu'il en ait conscience.(l5)

    En regard des valeurs nouvelles qui se forgent dans notre société (sécularisation, éclatement de la famille, valorisation des rôles de la femme, revendications écologiques, etc.), les individus et les groupes éprouvent le besoin constant de se renouveler, de s'adapter au changement. Or, en matière d'éducation, l'approche pédagogique traditionnelle renvoie à un savoir théorique et encyclopédique qui est aujourd'hui dépassé et inapproprié. Les gens qui désirent participer à des activités éducatives ont une soif de-réponses concrètes et tangibles face aux transformations sociales: ils veulent s'approprier des savoirs, et non plus le « Savoir ». C'est une volonté de mettre fin au protectionnisme savant et dit « scientifique du savoir » et de s'ouvrir sur le monde qui semble le plus se dégager des aspirations des adultes.

    À la recherche de l'individu « multidimensionnel »...

    Il n'est pas facile de viser un tel accomplissement humain, car la société actuelle expose l'individu, de toutes parts, à des facteurs de division, de tension, de conflit.

    Tout concourt à le dissocier, que ce soit la division de la société en classes, ou la parcellisation et l'aliénation du travail, ou l'opposition factice entre travail manuel et travail intellectuel, ou la crise des idéologies et l'effritement des mythes collectifs, ou les dichotomies entre le corps et l'esprit, entre les valeurs matérielles et les valeurs spirituelles.(16)

    Il s'agit de désenclaver la vie quotidienne par rapport au champ de la culture « légitime », de lier les choses apprises aux situations et aux urgences de la vie concrète, d'incorporer le savoir dans la dialectique du travail et du loisir (...).

    Source: Jean-Claude Forquin, op. cit., p. 15.

    Apprendre est d'abord une expérience éminemment personnelle...

    L'éducation ne doit plus être coupée de la vie et du travail.

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, l'État et les besoins de /'éducation. Pour le vrai monde et pour tout le monde, juin 1979. p. 21.


    Le système scolaire isole les différentes facettes de la personnalité et cloisonne les situations de vie ; il ne respecte pas la pluralité de la nature humaine, condition nécessaire pour que l'individu ait la chance de se développer d'une manière satisfaisante, pour lui-même et pour les autres(17) L'éducation des adultes doit tenir compte de la multiplicité des besoins et des expériences de l'individu et ce, dans toutes ses dimensions de producteur, de consommateur, de citoyen, d'électeur, de parent, etc. La reconnaissance du caractère « multidimensionnel » de l'individu entraîne une transformation importante des pratiques éducatives; l'adulte est de moins en moins objet, de plus en plus sujet de son activité éducative. Il faut, poser en principe que l'enseigné est au centre de l'acte éducatif, qu'à mesure qu'il mûrit, il doit être de plus en plus libre de décider par lui-même ce qu'il veut apprendre et aussi où il veut s'instruire et se former.(18)

    Le nouveau rôle de l'éducateur d'adulte.

    Un des éléments majeurs de la problématique de la politique pour les adultes (...) implique la nécessité pour les éducateurs de remettre en cause des démarches pédagogiques généralement en usage et de concevoir, par voie de conséquence, la « direction des apprentissages » dans une perspective nouvelle qui place les adultes au coeur même du processus éducatif. Cela n'est pas facile, surtout quand la tradition veut qu'il y ait, d'un côté, ceux qui savent et, de l'autre, ceux qui ne savent pas.

    Source: ministère de l'Éducation, L'école s'adapte à son milieu, 1980, p. 26.

    Dans ce contexte, l'éducateur d'adultes voit son rôle passablement modifié dans cette problématique. Confronté désormais à des adultes qui apportent des expériences de vie et de travail spécifiques, des attentes et des besoins précis, il est appelé davantage à aider ceux-ci dans leurs démarches d'apprentissage qu'à transmettre ses savoirs dans le cadre de programmes préfabriqués. Plus généralement, l'enseignant doit jouer désormais un rôle d'animateur et de « facilitateur » culturel.(19) II doit privilégier les méthodes heuristiques plutôt que le dogmatisme, le formalisme ou la mémorisation encyclopédique et mettre l'accent sur la « pédagogie du problème »(20) en s'assurant, toutefois, de la maîtrise des. connaissances.

    À la recherche de l'individu polyvalent...


    Il ne suffit pas de rendre l'individu maître et possesseur du savoir; encore faut-il qu'il soit outillé pour affronter diverses expériences qui se présenteront, notamment dans sa vie professionnelle. La formation initiale fait en sorte que très tôt, les jeunes acquièrent une spécialisation à laquelle ils se destinent très tôt avec peu de possibilités de mobilité. Cette pratique va aujourd'hui à contresens des exigences de l'appareil économique et de la croissance industrielle. L'éducation des adulte vise à assurer, plus spécialement en ce qui touche la formation reliée à l'emploi, une plus grande polyvalence des individus. Dans le contexte économique de transformations technologiques que nous connaissons, il importe d'assurer une formation multidisciplinaire et non cloisonnée, car rares seront ceux qui conserveront le même type d'emploi durant toute leur vie active. Il faut donc, afin d'assurer le développement de la société, orienter les programmes et les modèles éducatifs en vue de rendre les adultes plus responsables, et surtout plus dynamiques et innovateurs dans leur vécu. Se contenter d'une majorité de simples exécutants, c'est se priver de possibilités d'avancement, de l'imagination créatrice nécessaire à la production de nouveaux savoirs scientifiques ou technologiques. Cela correspondrait sans contredit à un gaspillage du potentiel des individus et des groupes dont les chances éducatives sont aujourd'hui plus grandes et plus diverses.

    (...) la permanence de l'éducation est objectivement nécessaire car les progrès scientifiques et techniques rendent rapidement incomplète ou même périmée toute formation dans tous les domaines. Un régime éducatif qui ne serait pas capable d'assurer les adaptations nécessaires deviendrait un frein à l'activité économique.

    Source: Bertrand Schwartz, L'éducation demain. Aubier Montaigne, Paris, 1973, p. 15, (préface d'Henri Janne).

    Qu'est-ce que le taylorisme? Un mode d'organisation du travail qui vise à:

    - séparer la conception du travail de sa réalisation

    - diviser les travaux d'exécution autant qu'il est nécessaire pour parvenir à des opérations courtes, définies, standardisées.

    Ces principes partent de l'idée que tout homme livré à lui-même sera inefficace et qu'il convient de l' encadrer étroitement de gens chargés de penser pour lui (...).

    Source: Pierre Jardillier, L'organisation humaine du travail. P.U.F., Paris, 1973, p. 18.

    Les pratiques du taylorisme ont, dans le passé, contribué à rendre les gens plus dépendants et à appauvrir la société de leur capacité d'innover. L'appauvrissement didactique, intellectuel, mais aussi physique et matériel, qu'a engendré le taylorisme devrait diminuer, si l'éducation des adultes contribuait, pour sa part, à permettre l'épanouissement du potentiel créateur et innovateur de tous et toutes. Certes, rendre les individus plus outillés, c'est d'une part, courir un certain risque de remise en question et de contestation, mais d'autre part, faire participer tous les partenaires à un processus de formation ou dans un projet social, c'est en même temps s'assurer la collaboration de tous les intéressés. C'est, en dernière instance, garantir l'avancement de l'idéal démocratique.

    1.2.3 Le développement du potentiel humain et l'apprentissage innovateur

    Considérée en elle-même, la personne doit acquérir la connaissance de sa nature propre et viser au développement de ses puissances physiques, intellectuelles, morales et spirituelles.

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, op. cit. p. 9.

    Être peu scolarisé de nos jours entraîne presque automatiquement l'exclusion sociale et des difficultés multiples à mener une vie complète et satisfaisante. L'éducation des adultes offre la chance à ceux et celles qui le désirent de compléter une formation initiale inachevée et de se donner une formation de base (nous reviendrons plus longuement sur ce concept à la deuxième partie de ce rapport). Elle offre encore plus, car l'éducation d'un individu n'est pas terminée lorsqu'il quitte l'école pour se mettre à travailler. L'éducation est un processus qui se poursuit tout au long de la vie. Aussi, l'éducation des adultes ne saurait être axée uniquement que sur des considérations d'ordre économique; elle doit aussi viser l'épanouissement global de la personne. En permettant à l'individu d'acquérir à la fois l'autonomie personnelle et le sens des responsabilités, elle contribue ainsi au développement social, économique et culturel du Québec. Par conséquent, elle ne doit plus être considérée comme un luxe réservé à quelques élites, mais bien comme une nécessité permanente pour tous, nonobstant les classes sociales, le sexe ou l'origine ethnique. À la base de cette conception de l'éducation, se trouve le droit fondamental de tout individu à l'auto-actualisation.

    Ce droit répond aux aspirations éducatives et culturelles de chaque personne et à la réalisation des conditions qui lui permettent de se développer sa vie durant dans le cadre de son travail, de sa vie familiale ou de ses activités de loisir.(21)

    Pour la Commission, le développement du potentiel humain est la pierre angulaire d'une politique de l'éducation des adultes, car il signifie pour les individus et les groupes: apprendre à identifier, organiser et exercer son pouvoir sur sa vie de tous les jours. Comme le dit Schwartz, ce qu'il faut chercher en  fin  de  compte  c'est une  éducation qui  intègre toutes les perspectives de la vie globale de l'individu (22). L'autre voie que privilégie la Commission, en dehors de la formation de base, pour atteindre cet objectif central, est le principe de l'autoformation qui vise à redonner à toute personne le droit d'organiser sa propre formation (23).

    Ce qui (...)fait, en dernière analyse, que la personne est considérée comme sujet d'éducation, c'est l'émergence et le développement en elle-même d'un projet d'éducation. Quelles que soient les circonstances à l'origine de ce phénomène, ou que la personne conçoive son projet par elle-même ou avec l'aide d'autres personnes, ce qui est important, et probablement ce qui constitue une des caractéristiques essentielles du processus, c'est que son projet soit le sien propre et qu'elle entende le mener à terme.(24)

    La « performance » dans la vie ; une donnée qu'on ne peut évacuer dans nos sociétés et qui demande à connaître un nouveau sens. Equiper les gens dans la vie, c'est aussi leur assurer la capacité de se revaloriser et d'augmenter leurs compétences dans toutes les sphères de la vie.

    Parler de développement du potentiel humain et de l'apprentissage innovateur, c'est non seulement parler de l'amélioration de la compétence dans la vie professionnelle, mais aussi dans la vie sociale, familiale et culturelle. C'est finalement contribuer au développement global de la collectivité.

    Cette volonté de privilégier des objectifs de performance dans la vie — qui exige qu'on s'attache à modifier la pratique et par conséquent, qu'on ne se préoccupe pas seulement de l'épanouissement de l'individu mais aussi du perfectionnement des rôles et de l'organisation du système des structures. Cette volonté a pris une importance croissante, non seulement dans des domaines spécialisés de /'éducation des adultes — formation des enseignants en cours d'emploi, formation industrielle et commerciale — mais dans l'éducation des adultes toute entière(25)

    La Commission abonde dans le même sens que le Conseil de l'Europe quant à cette notion de « performance dans la vie » dont l'objectif serait tourné à la fois  vers l'extérieur et vers l'intérieur. Cette  approche comporte deux facettes: celle qui est tournée vers l'épanouissement personnel, et celle qui est tournée vers l'éducation elle-même. De façon plus explicite, l'éducation des adultes doit veiller « à développer les rôles que les individus peuvent jouer dans la vie » et à « développer les institutions, les systèmes et les structures à l'intérieur desquels les gens vivent. » D'autre part, dans son souci de favoriser l'épanouissement personnel, l'éducation des adultes doit s'interroger:

    si les rôles qu'elle assigne aux adultes en tant qu'apprenants entravent ou favorisent leur épanouissement en tant que personnes ; si les structures et les méthodes organisationnelles de ses institutions et de ses systèmes entravent ou favorisent l'épanouissement personnel qu'elle souhaite promouvoir(26)

    Ces objectifs de compétence et d'épanouissement dans les différentes situations de vie de l'adulte doivent s'accompagner d'une volonté de rejoindre particulièrement ceux et celles qui n'ont pas accès aux ressources éducatives. En conséquence, la Commission accorde une importance particulière dans sa politique aux personnes qui ont été marginalisées au plan éducatif, et ce, en vue de mieux les outiller et de leur fournir, au minimum, une formation de base dans l'avenir. Leur proportion doit être augmentée dans l'ensemble des participants à l'éducation des adultes. Elles constituent les groupes cibles de cette éducation et occupent, de ce fait, une place prioritaire dans les choix politiques de la Commission.

    L'innovation: un pivot important pour l'avenir en éducation des adultes.

    L'idée de « l'apprentissage innovateur », expression issue d'un rapport au Club de Rome(27) répond aux objectifs privilégiés par cette politique d'ensemble et renforce l'argument de la nécessité, pour le Québec, de développer au maximum le potentiel des individus et des groupes. Opposant l'idée d'apprentissage innovateur à celle de l'apprentissage conservateur, le même rapport avance que pour la survie à long terme, plus particulièrement aux époques où se produisent des troubles, des changements ou des ruptures avec le passé, un autre type d'apprentissage est encore plus nécessaire. C'est le type d'apprentissage qui peut apporter le changement, le renouveau, la restructuration et la reformulation des problèmes — celui que nous appellerons « l'apprentissage innovateur ».(28)

    La Commission constate, comme plusieurs témoins de l'évolution au Québec, un besoin pressant de réévaluer et de perfectionner l'ensemble des processus classiques d'apprentissage, processus qui sont pour la plupart du temps en retard sur l'évolution sociale actuelle. Tel que l'articulent les auteurs précités, pour les membres de cette Commission, le mot apprentissage prend un sens nouveau et, doit être entendu dans un sens large qui dépasse ce qu'impliquent les notions conventionnelles d'instruction et de formation scolaire. Pour nous, l'apprentissage est une approche, à la fois  de la connaissance et de la vie, qui met en valeur l'initiative humaine. Elle englobe l'acquisition et la pratique de connaissances, d'attitudes et de méthodologies nouvelles, nécessaires à la vie dans un monde fait de changement. L'apprentissage est le processus qui prépare à aborder des situations nouvelles.(29) Cela implique la maîtrise de concepts, de savoirs et d'habiletés transférables.

    Il n'est plus réaliste aujourd'hui de s'appuyer sur un apprentissage de type classique (encyclopédiste, conformiste, passif) à une époque où les gens prennent de plus en plus conscience des moyens qu'ils ont d'appuyer ou de contrecarrer des mesures décidées d'en haut.(30) On doit viser plus que l'adaptation au changement que permettrait les apprentissages conservateurs; il leur faut à présent anticiper et surtout participer. Ces notions d'anticipation et de participation seront largement reprises dans les chapitres et parties qui suivent, car elles représentent des objectifs prioritaires pour nous. Plus particulièrement, la participation constitue en soi une assise de la politique d'ensemble de l'éducation des adultes, et nous croyons que l'innovation et la créativité permettront de découvrir et de mettre en place des formes nouvelles de participation responsable.

    1.2.4 L'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente »

    Vers une définition de l'éducation des adultes comme outil de développement du potentiel des individus et des groupes.

    Nous sommes loin de l'époque où il fallait faire vite pour assurer aux jeunes, avant la fin de leur cours élémentaire, l'essentiel de ce qu'ils devaient posséder pour entrer dans la société des adultes. Ce qui est exigé maintenant par la vie et par les changements de la société et de la technologie ne peut plus être contenu dans les limites d'un degré d'étude ni dans celles d'une période du développement de l'individu.

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, op.cit., p. 24.


    Il serait vain de prétendre que l'éducation des adultes est la panacée à tous les maux actuels (chômage, crise des valeurs, etc.) ni même qu'elle constitue à elle seule une réponse suffisante. Néanmoins, elle représente un lieu privilégié pour mieux outiller les individus et les groupes face à la complexité et à la rapidité des changements que nous vivons. L'éducation des adultes devrait être considérée comme un des moyens permettant aux individus l'accès au développement de leur potentiel tel que visé et favorisé optimalement par notre société.

    Située dans une perspective d'éducation permanente, une politique d'ensemble de l'éducation des adultes doit mettre de l'avant le droit fondamental de tous les adultes à l'éducation. Ce droit équivaut, en outre, à un investissement social essentiel pour une population plus consciente et pouvant mieux exercer ses responsabilités collectives. Tenant compte du peu de place qu'on a jusqu'à présent consentie à l'éducation des adultes dans le système scolaire, la Commission croit justifié d'exiger que soit garanti le droit à l'éducation pour les adultes du Québec au moyen d'une loi-cadre susceptible de mieux assurer cette reconnaissance.

    Ceci postule, que chaque Québécois et Québécoise puisse avoir droit à une formation de base lui permettant d'acquérir une connaissance adéquate de soi et de son environnement, d'établir des relations appropriées et organisées avec les autres, de gagner sa vie par un travail créateur et adapté à ses capacités et intérêts, d'exercer sa liberté et d'assumer ses responsabilités sociales ou collectives. Tel que nous le verrons dans la prochaine partie, la formation de base en éducation des adultes comprend les informations, les connaissances et les habiletés nécessaires à la prise en charge personnelle de son destin et à l'accomplissement des rôles sociaux fondamentaux (citoyen, travailleur et travailleuse, consommateur, conjoint, parent, etc.) pour tout individu désireux de le faire.

    L'éducation des adultes répond à des définitions multiples : elle est le substitut à l'éducation première pour une très grande part des adultes dans le monde ; elle est le complément de l'éducation élémentaire ou professionnelle pour de nombreux individus qui n'ont reçu qu'un enseignement très incomplet ; elle prolonge l'éducation de ceux qu'elle aide à faire face aux exigences nouvelles de leur environnement ; elle perfectionne l'éducation de ceux qui possèdent une formation d'un niveau élevé; elle constitue enfin un mode d'épanouissement individuel pour tous. Tel de ces aspects peut être plus important que tel autre, mais tous ont leur raison d'être partout. Il n'est plus possible ni de limiter l'éducation des adultes au niveau rudimentaire, ni de l'enfermer dans le cadre d'une éducation « culturelle » à l'usage d'une minorité.

    Source: Edgar Faure, Apprendre à être, Unesco, Fayard, 1972, p. 231-232.

    L'éducation des adultes c'est l'atout que chacun ajoute à son jeu pour le renforcer dans l'action collective projetée.

    Source: gouvernement du Québec, M.E.Q.. D.G.E.A., op. cit., p. 30.


    Bref, l'éducation des adultes représente un instrument privilégié d'épanouissement de l'individu, pris dans la globalité de ses fonctions de travail, de loisirs, de vie civique, de vie familiale. Parce qu'elle s'adresse à des adultes aux prises avec des problèmes et des besoins définis, l'éducation des adultes, plus que toute autre entreprise éducative, doit être conçue comme une contribution majeure à la compréhension et à la résolution de ces problèmes et besoins. Par ailleurs, nous percevons le champ de l'éducation des adultes comme l'ensemble des activités et expériences éducatives auxquelles l'adulte est soumis. Ainsi donc, notre définition n'inclut pas uniquement les activités officielles et scolaires, mais également tout le travail éducatif extra scolaire, dans la vie associative, les associations et corporations professionnelles, les entreprises, le mouvement syndical, les média, etc. Cette pluralité de lieux éducatifs invite à une modification des visées de l'éducation des adultes et, tel que nous l'avons déjà précisé, celle-ci devrait tendre moins à l'accumulation de connaissances à caractère encyclopédique qu'à l'approfondissement des connaissances-outils, et assurer un maniement plus aisé et plus rigoureux des diverses méthodes, instruments et langages qui permettent le développement du sens critique, ainsi que l'esprit d'analyse et de synthèse.(31)

    L'objectif général de l'éducation des adultes, c'est-à-dire le développement global de la personne, suppose, en conséquence, qu'elle s'efforce, dans ses programmes et méthodes pédagogiques, d'apprendre aux individus à apprendre, de les amener progressivement à être les maîtres et les artisans de leur apprentissage, de privilégier une éducation en liaison étroite avec la vie et d'offrir à chacun une méthode, une cadence et des formes d'enseignement qui lui conviennent en propre.(32)

    Parce qu'elle allie l'ensemble des éléments ci-dessus mentionnés, la Commission fait sienne la définition de l'« éducation des adultes » de l'Unesco: l'ensemble des processus organisés d'éducation, quels qu'en soient le contenu, le niveau et la méthode, qu'ils soient formels ou non formels, qu'ils prolongent ou remplacent /'éducation initiale dispensée dans les établissements scolaires et universitaires et sous forme d'apprentissage professionnel, grâce auxquels des personnes considérées comme adultes par la société dont elles font partie, développent leurs aptitudes, enrichissent leurs connaissances, améliorent leurs qualifications techniques ou professionnelles ou leur donnent une nouvelle orientation, et font évoluer leurs attitudes ou leur comportement dans la double perspective d'un épanouissement intégral de l'homme et d'une participation à un développement socio-économique et culturel équilibré et indépendant.(33)

    1.2.4.1 L'éducation permanente: un projet essentiellement critique

    Envisager l'éducation comme un processus se poursuivant toute la vie...

    Le rapport part d'un constat : l'approfondissement, dans nos sociétés actuelles, du fossé qui sépare la complexité croissante du monde et sa compréhension par l'homme.

    Source: J. W. Botkin et al., op. cit., p. XII (préface).

    Le droit naturel à l'éducation et au développement de la personne sont au coeur de toute la pensée sur l' éducation permanente et en constituent le fondement ; il ne s'agit pas ici d'un individu désincarné et irréel, mais d'un individu en situation, membre d'un groupe social lui-même en situation. L'actualisation de la personne doit être pensée dans ce cadre.

    Source: René Hurtubise, L'université québécoise du proche avenir, Hurtubise, H.M.H., 1973, p. 50.

    L'éducation permanente est aujourd' hui ce que l'école pour tous était, dans nos sociétés en 1880, mieux qu'un projet, une utopie.

    Source: Pisani, Plan national d'éducation permanente, Hommes et Citoyens, Paris, 1968.

    L'éducation des adultes ne peut toutefois être considérée en elle-même. Elle constitue un sous-ensemble organisé et intégré dans un projet éducatif global, c'est-à-dire « l'éducation permanente ». Devant la rapidité des changements de la société, les modifications engendrées par l'innovation technologique dans la répartition de la main-d'oeuvre, la crise des valeurs humaines, etc., l'éducation doit devenir une dimension normale dans la vie des individus. L'adulte doit être éduqué à la vivre comme une composante de sa « nature » sociale et la société doit organiser la réponse à ce besoin partout présent dans l'espace et dans le temps, en un mot, dans la vie...(34)

    En raison de l'évolution sociale, économique et culturelle, l'éducation doit donc favoriser au maximum l'éveil et la stimulation du dynamisme des hommes et des femmes, et ce, à tous les âges de leur vie et dans l'ensemble de leurs activités. Bref, l'éducation doit être permanente à la fois comme moyen de compréhension d'un environnement en perpétuelle mutation, et parce que la personne elle-même change.(35)

    Consciente que l'éducation permanente reste un objectif à atteindre, la Commission, dans un souci d'efficacité et de réalisme, privilégie un discours et des pratiques de l'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente », entendant par là, non pas un bouleversement en profondeur de toutes les institutions et structures scolaires tel que le supposerait un véritable système d'éducation permanente, mais plutôt un ensemble de réformes qui auront pour effet, à court et à moyen terme, de « tendre vers » un système intégré d'éducation permanente au Québec. Ce principe d'éducation permanente désigne un projet global où l'éducation, loin de se limiter à la période de scolarité, doit s'élargir aux dimensions de l'existence vécue, s'étendre à toutes les compétences et à tous les domaines du savoir; pouvoir s'acquérir par des moyens divers et favoriser toutes les formes de développement de la personnalité.(36) Car l'éducation permanente suppose que les processus éducatifs dans lesquels sont engagés, au cours de leur vie, sous quelque forme que ce soit, les enfants, les jeunes et les adultes de tous âges, doivent être considérés comme un tout. (37)

    Ces prémisses appellent de profondes transformations de nos sociétés car, il n'est pas aisé de renverser des habitudes de faire et de penser qui ont toujours été dans le sens d'une espèce de synonymie entre éducation et jeunesse : on pense et on agit comme si la période de la jeunesse était la seule qui pouvait être réservée à l'éducation.(38)

    L'intégration éducation-vie active « dans une perspective d'éducation permanente ».


    Élaborer une politique d'ensemble de l'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente » signifie briser les cloisons étanches d'abord entre les temps pour apprendre et les temps pour travailler, entre les lieux de formation et les lieux de vie et de travail, entre les types de formation, les spécialités et les professions. Par ailleurs, le système scolaire n'épuise pas la réalité éducative de la société. Il se développe, en dehors de ce réseau institutionnel, des pratiques éducatives et des actions collectives qui font surgir des connaissances nouvelles, des problématiques ignorées ou peu exploitées des milieux enseignants. Ce sont à des besoins différents que répondent d'un coté l'activité scolaire et de l'autre l'éducation hors école, par exemple, celle qui est donnée par les milieux populaires autonomes, les entreprises, etc. En définitive, la politique proposée incite non seulement à la reconnaissance et à une réunion de toutes les entreprises éducatives, institutionalisées ou non, mais elle implique, en outre, une harmonisation de leurs activités. Considérant ce qui a déjà été dit sur le concept « d'éducation permanente », la Commission retient donc la définition suivante comme étant celle qui reflète le mieux ce qu'englobe cette expression: projet global qui vise aussi bien à restructurer le système éducatif existant qu'à développer toutes les possibilités formatives en dehors du système éducatif; dans un tel projet, l'homme est agent de sa propre éducation par l'interaction permanente entre ses actions et sa réflexion(39).

    L'éducation permanente n'est donc pas, non plus, synonyme de /'extension de la durée de l'éducation, voulût-on la prolonger de l'enfance à la vieillesse. Permanente, l'éducation le devient dans la mesure où elle couvre, non seulement tout les âges de l'homme (...) mais toutes les sphères de son activité.

    Source: Gaétan Daoust, Paul Bélanger, L'université dans une société éducative. De l'éducation des adultes à l'éducation permanente, Les Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 1974, p. 195.

    L'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente » englobe donc tous les apprentissages et toutes les interventions éducatives, scolaires et extra-scolaires. Elle invite les individus et les groupes à la prise en charge et à la maîtrise progressive de leur développement intégral. Elle doit permettre, d'autre part, à tous les adultes de poursuivre et de réaliser leur projet éducatif, de manière autonome et responsable, en ayant recours aux ressources les plus diverses. L'éducation des adultes deviendrait, dans ces conditions, partie intégrante d'un système d'éducation permanente.

    L'éducation des adultes « dans une perspective d'éducation permanente » commande des réformes dans le système scolaire mais également des transformations dans chacun des secteurs de la société. C'est une invitation à laquelle sont conviés l'ensemble des intervenants de la société.

    Certes, il n'est pas question d'entreprendre pour l'éducation des adultes, le même type de réforme que celle que nous avons connue durant les années 60. Un système scolaire a déjà été mis en place. Il s'agit maintenant de mettre en oeuvre une volonté politique qui apportera des réformes qui élargiront le cadre et la place limitée faite à l'éducation des adultes, et, pour ce faire, de revoir certains programmes, certaines méthodes, certaines orientations, certains objectifs, certaines priorités, et surtout, le cadre juridique, et ce, dans une perspective d'éducation permanente. Cette démarche doit tenir compte des besoins et exigences spécifiques des adultes et des ressources offertes par l'ensemble des lieux de formation, y compris celles du système scolaire. Une harmonisation des ressources éducatives, dans et hors du système scolaire serait déjà, selon la Commission, un pas en avant.

    1.2.4.2 L'articulation entre le discours et la pratique en éducation permanente

    Du discours... à la pratique: la politique des petits pas.


    Dans le chapitre précédent, il a été rappelé que, durant les années 50 et 60, le champ de l'éducation des adultes s'est institutionnalisé. Cette institutionnalisation a ouvert un vaste marché de formation répondant surtout à des besoins de scolarisation, de perfectionnement ou de recyclage professionnel. Or, à partir de cette même période, a émergé à la périphérie des appareils scolaires et contre eux, un mouvement socio-éducatif qui se veut porte-parole d'un certain nombre d'usagers permanents d'une éducation appelée négativement informelle ou non formelle par les pédagogues, les professionnels de ces appareils.(40) Ce mouvement, appelé éducation permanente, .. .s'attaquait à l'hégémonie scolaire, au lien institué de façon quasi exclusive entre les appareils scolaires et l'éducation. Ce lien réduisait pratiquement l'éducation légitime à celle donnée par ces organismes scolaires. Le mouvement s'élevait contre le monopole, l'exclusivité de ce lien: il existe des formations valables hors de l'école.(41) Cette période s'est caractérisée par un discours utopique, où l'éducation permanente était définie, non comme une organisation ou comme un ensemble de principes, mais, d'abord et avant tout, comme une utopie.

    Même si ce sont toujours des thèmes identiques que reprend le discours actuel sur l'éducation permanente, il n'a pas tout à fait le même sens que celui des années 60-70. Il a gardé peu de choses du caractère marginal et non structuré qu'il avait. En « s'internationnalisant », il est devenu central et dominant:  à partir des années  70,  des organismes internationaux,  des gouvernements, des institutions de coordination et d'établissement de politique dans divers secteurs (...) adoptent l'expression, (...) éducation permanente et en font la clef de voûte,  le cadre,   le principe des politiques éducatives à venir, à échelles sectorielle, nationale et mondiale.(42)

    Confrontée aux organisations instituées, scolaires, politiques et économiques, la pratique, quant à elle, se bute à de vieilles méthodes, à des programmes inadaptés. Tant qu'on se limitera à vouloir assimiler ou à intégrer l'éducation des adultes à celle des jeunes, les services d'éducation des adultes aux institutions scolaires, à refuser la spécificité de l'adulte, enfin à reconnaître pleinement le besoin d'une éducation étalée sur toute la vie et pour tous, le discours innovateur de l'éducation permanente ne pourra jamais s'articuler dans la réalité.

    C'est en vertu de cette volonté d'allier la pratique au discours que la Commission insiste sur la reconnaissance de l'éducation des adultes, « dans une perspective d'éducation permanente », comme outil de développement du potentiel humain et comme lieu privilégié d'épanouissement de la personne. Pour ce faire, la Commission en avant, dans une optique de démocratisation, trois moyens principaux: assurer l'accès pour tous à l'éducation des adultes, dans une perspective d'égalisation des chances; transformer l'image et les pratiques pédagogiques; revoir les mécanismes de participation à l'éducation des adultes.

    1.2.5 La démocratisation: une orientation fondamentale de l'éducation des adultes

    Par leur nature même, toute action éducative et chaque mesure prise dans ce domaine sont essentiellement prospectives. Essayer de prévoir tes avenirs possibles de l'éducation est absolument nécessaire dès qu'on entreprend la réforme des systèmes éducatifs existants, c'est-à-dire dès qu'on s'engage dans une planification de l'éducation. Planifier signifie faire des choix, prendre des options sur l'avenir. Mais planifier signifie également prévoir les mesures nécessaires à la mise en oeuvre d'une volonté politique. Toute planification de l'éducation présuppose l'existence d'une volonté politique, car elle vise la réalisation d'un projet de société.

    Source: Charles Hummel, L'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain, P.U.F., Unesco, Paris, 1977, p. 184.


    Une perspective d'éducation permanente invite les individus et les collectivités à la prise en charge et à la maîtrise progressives de leur développement intégral dans les différentes situations de vie, professionnelle, familiale, sociale, civique ou autre. Or, tel qu'il est actuellement organisé, le système d'éducation au Québec offre peu de possibilités quant à cet aspect. Très tôt, la Commission a été amenée, par ses nombreuses consultations, à se pencher sur les insatisfactions de certains groupes et individus qui se reconnaissent peu ou pas du tout dans les rouages actuels de l'éducation des adultes. Leurs principales revendications s'adressaient, il va sans dire, au système scolaire comme premier dispensateur d'activités éducatives. Même adapté aux adultes, ce dernier continue trop souvent d'exclure ou d'être difficilement capable de rejoindre certaines catégories de personnes moins favorisées. Les chances sont inégales devant les occasions de développer son potentiel. Malgré l'existence du droit inaliénable pour tous à l'éducation, la réalité montre qu'il existe un important décalage entre le droit et le fait.

    Des caractéristiques communes :

    •   une faible scolarité

    •   un manque d'information un certain isolement

    •   des difficultés de regroupement

    •   un manque de ressources pour s'organiser

    Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, L'état et les besoins de l'éducation, rapport 1979-1980, 1980, p. 164.


    Il faut certes reconnaître les efforts et les progrès considérables accomplis depuis vingt ans au Québec afin de démocratiser l'accès des adultes aux activités éducatives pour les adultes. Pourtant, une bonne partie des catégories suivantes de la population ont été immanquablement négligées, voire oubliées: les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes, certains groupes d'immigrants, les populations des régions éloignées et des quartiers urbains défavorisés, les jeunes travailleurs qui ont quitté l'école avant la fin des études secondaires, les assistés sociaux, les salariés à faible revenu, les chômeurs.

    Dans les faits, toute /' organisation scolaire répond encore à une stratégie de promotion individuelle, profitable d'abord aux classes bien nanties. Et parce qu'elle est un lieu de sélection sociale, elle bloque la promotion collective des milieux populaires et ouvriers: l'école publique est une machine qui distribue des cours, qui produit peu de professionnels et de cadres, davantage des techniciens et beaucoup de manoeuvres. Cette réalité, les autorités responsables l'admettent difficilement. Pourtant, de l'élémentaire à l'université en passant par l'éducation des adultes, les inégalités persistent, tenaces !

    Source: I.C.E.A., Pour une école publique, au service de l'éducation populaire, juin 1979, p. 6


    D'autre part, le système scolaire a laissé de nombreux insatisfaits dans certains milieux et certains groupes de la population car, en plus de contribuer à la reproduction des inégalités sociales, il s'est avéré jusqu'à présent peu ouvert aux alternatives éducatives qu'offrent d'autres milieux. On offre peu de reconnaissance et peu de soutien aux groupes, pourtant de plus en plus nombreux et diversifiés, qui privilégient des pratiques éducatives non traditionnelles ou non formelles. Ainsi l'éducation populaire, par laquelle de nombreux individus et groupes mènent des actions conduisant à une prise de conscience de leurs conditions de vie et de travail, est peu reconnue comme lieu important d'apprentissage et de développement du potentiel humain.

    Malgré certaines expériences porteuses d'avenir, les pratiques d'enseignement, la structure rigide des programmes, le système de diplômation et le rôle des éducateurs font aussi obstacle à une véritable démocratisation de l'éducation des adultes. Ils instaurent une relation de dépendance de l'adulte à l'égard des institutions d'enseignement, des éducateurs et du savoir institué qui nuit à son plein épanouissement qui enfreint le respect de ses expériences de vie et qui surtout ne favorise pas son autonomie, sa capacité de décision et de prise en charge.

    L'élaboration d'une politique d'ensemble de l'éducation des adultes doit tenir compte de ces obstacles à la démocratisation: inégalités d'accès, non-reconnaissance de l'éducation faite en dehors du système scolaire, non-reconnaissance des acquis des individus, causée soit par des pratiques éducatives hiérarchisées, soit par un cloisonnement des formations et des savoirs.

    Actualiser le concept de démocratisation de l'éducation des adultes signifie pour la Commission revoir les structures, les modalités et les pratiques éducatives, pour que le contenu soit plus près de la réalité et surtout qu'il mette en cause l'ensemble des milieux responsables (le système scolaire, les entreprises, les groupes populaires, les syndicats, les associations et les corporations, etc.).

    Nous reconnaissons aujourd'hui que le concept de démocratisation de l'éducation a sensiblement évolué en très peu de temps. (...) Plus récemment, le souci qui s'est manifesté est celui de dispenser un enseignement vraiment utile par le choix des matières, par les applications professionnelles possibles et par la formation du jugement personnel et social. Ainsi, pour aujourd'hui et pour demain, « la démocratisation de l'éducation » suppose une participation réelle à l'apprentissage et la compréhension(43).

    Un rappel : les priorités de la Commission.

    La Commission, à la parution de son document de travail « Hypothèses de solutions », au printemps 81, avait formulé, on s'en souviendra, 13 principes directeurs indiquant sa volonté de démocratiser l'éducation des adultes. Un regroupement de ces principes a clairement fait ressortir une constante majeure que nous avons placée au centre de notre analyse, et autour de laquelle s'est articulé l'ensemble de la politique: il s'agit du développement du potentiel humain. Présent partout dans ce rapport, de façon explicite ou implicite, la Commission le considère comme le pivot autour duquel s'articule l'ensemble de ses considérations. Ce concept renvoie à la prise en compte de la multiplicité des rôles que la personne est appelée à jouer dans la vie et au continuum qu'il peut y avoir entre l'éducation, le travail et les loisirs. Miser sur le développement du potentiel des individus et des groupes, c'est contribuer à optimaliser les capacités non exploitées que chacun possède en lui, et c'est investir, en définitive, de façon certaine dans le développement global du Québec.

    Par conséquent, cette volonté de démocratiser l'éducation des adultes exige la poursuite de trois buts: assurer un plus grand accès, dans une perspective d'égalité des chances en éducation; transformer l'image et les pratiques qui accentuent actuellement les liens hiérarchiques et qui sclérosent les possibilités d'apprentissage innovateur et la volonté de prise en charge; enfin, encourager la participation à tous les niveaux d'enseignement et au pouvoir de décision partout où il se fait de l'éducation pour les adultes. Schématiquement, nous pourrions parler de la démonopolisation des savoirs et de la déscolarisation de l'éducation, du décloisonnement des savoirs et des formations, mais aussi d'une éducation « participative » car il ne peut y avoir de démocratie éducative sans participation(44).

    Tableau 7

    Principe directeur

    Orientation

    Trois buts

    Le développement du potentiel humain

    La démocratisation

    L'accessibilité

    La transformation de l'image et des pratiques

    La participation

    Rapprocher l'acte éducatif du milieu où se vivent les diverses expériences.

    L'objectif de démocratisation de l'éducation des adultes dans une perspective d'éducation permanente embrasse finalement tous les aspects de la vie. Or, l'éducation doit offrir des services qui, avant d'être des réponses précises à des demandes formulées par l'adulte, proposent quelques démarches aptes à mieux armer l'individu pour l'aider à faire face à ses situations de vie(45). Démocratiser signifie donc « conscientiser », « responsabiliser » et « outiller » adéquatement l'adulte face au développement et aux changements de la société dans laquelle il vit. C'est d'ailleurs cet aspect que le ministre Camille Laurin mettait en avant quand il disait: On ne peut séparer le sens, l'objectif de /'éducation permanente de l'objectif général de nos sociétés qui est la conscientisation de chacun de nos citoyens à ses problèmes personnels, aux questions éternelles qui le confrontent, aux problèmes de ses relations avec son entourage, avec son environnement, avec son milieu. On ne peut séparer l'objectif de l'éducation permanente de la réflexion sur la dialectique qui doit s'engager entre l'individu et lui-même, entre l'individu et son milieu. On ne peut séparer l'objectif de l'éducation permanente de l'objectif de nos sociétés modernes, qui sont axées sur la participation de chacun des citoyens à l'élaboration, à la construction de son milieu, aux prises de décisions qui le concernent. On ne peut séparer l'objectif de l'éducation permanente du projet de société qui vise à responsabiliser chaque citoyen en ce qui concerne son devenir, en ce qui concerne l'assomption de son destin.(46)

    Pour l'éducation des adultes elle (la démocratisation) peut se concevoir sous deux formes, d'un côté, par la possibilité donnée aux individus de compenser, à l'âge adulte, les inégalités d'accès aux différents niveaux et formes des systèmes scolaires existants — ici on rejoint l'égalité des chances — d'un autre côté, sur un plan différent, par la culture en tenant compte, dans la mise en oeuvre du processus éducatif, des problèmes réels des individus dans leur vie quotidienne.

    Source: Conseil de l'Europe, Organisation, contenu et méthodes de l'éducation des adultes, Strasbourg 1977, p. 17.

    Dans cette perspective, le système éducatif ne peut avoir le monopole de l'éducation et toutes les activités éducatives, qu'elles soient formelles ou non formelles, doivent être reconnues sur une base égale. De plus, comme le signalait l'Union des producteurs agricoles dans son mémoire à la Commission, la formation doit être globale et viser à outiller la personne de façon à ce qu'elle puisse:

    • analyser et faire ses propres synthèses dans un monde caractérisé par la surabondance de l'information,
    • juger par elle-même des situations qui la confrontent quotidiennement,
    • se situer vis-à-vis des  choix  sociaux de plus en plus nombreux et complexes qui nous concernent tous (47).

    Un bilan qui commande des changements dans les pratiques, les modèles et les structures.


    Or, Paul Bélanger, directeur de l'Institut canadien d'éducation des adultes, nous rappelle que nous n'en sommes pas encore là. Selon lui, un bilan des réalisations de l'éducation des adultes depuis une dizaine d'années débouche sur un diagnostic dégageant cinq traits majeurs : une formation initiale un peu plus accessible mais non réaménagée dans une perspective d'éducation permanente, une orientation prédominante en éducation des adultes en terme d'adaptation de la main-d'oeuvre, une accessibilité limitée à la formation ultérieure sauf pour certains programmes de lutte au chômage conjoncturel ou saisonnier, une nette marginalité des expériences de promotion collective et un faible support des structures publiques aux expériences autonomes réalisées dans cette perspective .(48)

    Une politique globale et cohérente doit prévoir des orientations, des objectifs et des moyens pour remédier à ces problèmes. Ce bilan des principaux obstacles à la démocratisation et au développement de l'éducation permanente commande des réformes, voire des transformations importantes des mentalités et des pratiques traditionnelles dans le champ spécifique de l'éducation des adultes.

    Des préalables à la démocratisation : la formation de base et l’autoformation.

    La Commission met en avant deux conditions minimales à une véritable démocratisation : une formation de base pour tous et un projet éducatif planifié en fonction de l'autoformation.

    De quelle formation de base s'agit-il? À quoi et à qui est-elle destinée? Qui devrait la dispenser? etc. Ce sont quelques-unes des questions qui seront examinées dans la partie qui suit ce chapitre. Disons que globalement, elle viserait à faire profiter les adultes qui n'auraient pu le faire des réformes scolaires et des ressources qui s'offrent à eux afin de leur assurer certaines connaissances minimales indispensables à la participation à la vie sociale, politique et économique. Elle vise à combattre l'analphabétisme et à mieux outiller ceux et celles qui ont peu de scolarité.

    La perspective d'éducation permanente place la personne et le groupe au centre du projet éducatif. Elle les reconnaît souverains dans la détermination de leurs orientations, dans le choix de leurs options et de leurs activités éducatives. La démocratisation passe aussi par une nouvelle conception de la relation enseigné-enseignant. Même s'il a, la plupart du temps, recours à des ressources extérieures, l'adulte ou le groupe devient seul maître de sa démarche. Bref, il importe, par ce principe, de revaloriser l'autonomie et la responsabilité de ceux qui apprennent, de les considérer comme sujets, pour assurer l'émergence et le développement d'un projet éducatif qui leur soit personnel et original.

    1.2.5.1 Les buts prioritaires poursuivis par la démocratisation

    Les consultations de la Commission, les tournées régionales, les mémoires, les recherches internes, le colloque, les rencontres individuelles nous ont permis de dégager des points majeurs à l'égard du champ de pratique de l'éducation des adultes. Tel que précisé plus haut, ces démarches ont abouti à une série de recommandations, d'objectifs ou de « remèdes » à mettre en oeuvre à court et à moyen terme. Bien qu'ils soient analysés en profondeur au cours des parties et chapitres qui suivent, nous les présentons très brièvement ici, afin qu'il s'en dégage déjà un portrait d'ensemble indicatif.

    Égalité ne signifie plus la même éducation pour tous, mais la meilleure éducation pour chacun.

    Charles Hummel, op. cit., p. 188.

    Parmi les principaux problèmes à résoudre, on peut noter la difficulté éprouvée par le système d'éducation à rejoindre les adultes les plus démunis de notre société.

    Source: Gouvernement du Québec, M.E.Q., L'école s'adapte à son milieu, avril 1980, p. 16.


    A) L'accessibilité : d'abord réduire les inégalités d'accès les plus flagrantes à l'éducation des adultes.

    L'angle d'approche de la Commission étant l'adulte, considéré dans toutes ses dimensions, nous avons voulu cerner les différents aspects qui entravent son accès aux activités éducatives. Nous sommes forcés de constater aujourd'hui que la stratégie issue du Rapport Parent visant à égaliser les chances d'accès à l'éducation n'a pas complètement réussi. Bien que l'égalité d'accès ne signifie pas l'égalité des chances et, même si les inégalités sociales ne peuvent être corrigées par une politique de l'éducation des adultes, nous voulons au moins, contribuer à amenuiser certaines inégalités par des mécanismes correctifs. Le sondage que nous avons effectué auprès des adultes démontre un lien réel entre la situation socio-économique et la participation à des activités éducatives. Notre but est de réduire progressivement les inégalités d'accès et la marginalité des sous-scolarisés. Même si tous les adultes bénéficiaient d'une même possibilité d'accès aux services éducatifs, ils n'en profiteraient pas tous de la même façon car le système scolaire, même adapté aux adultes, continue d'exclure ou d'ignorer certaines catégories moins favorisées. Le système scolaire, même adapté aux adultes, a des limites dans ses capacités de satisfaire des besoins éducatifs de certains milieux et de certains groupes de la population. En plus de contribuer à la reproduction des inégalités sociales, il s'avère incapable de respecter et de soutenir les options éducatives qu'ont créées différents groupes, particulièrement des milieux défavorisés, dans la prise en charge collective de leur devenir.(49)

    Des groupes cibles ont été identifiés, et c'est d'abord pour eux que des efforts de démocratisation et de plus grande accessibilité doivent être tentés.

    Viser une plus grande accessibilité implique, par le fait même, le décloisonnement entre les types de savoirs et de formations et l'élargissement de la reconnaissance des acquis. Il faudra revoir certaines pratiques qui font que plusieurs types d'apprentissage ne sont pas reconnus, et que le diplôme est souvent utilisé comme un moyen de sélection négative, tant sur les marchés de travail qu'à l'intérieur du système d'enseignement.

    B) Transformer l'image et les pratiques

    La démocratisation de l'éducation n'est possible qu'à la condition qu'on se libère des dogmes de la pédagogie traditionnelle.(50)

    La recherche d'une alternative à la conception traditionnelle de l'éducation scolaire mise sur un certain nombre de transformations. Les interrelations entre éducation et vie que la perspective d'éducation permanente suggère, supposent un nouveau type de savoir qui va à rencontre de la tradition scolaire, livresque et encyclopédique coupée de la vie sociale et concrète que nous connaissons. De ce point de vue, les rapports habituels maître/élève devraient être substantiellement modifiés et, dans la mesure où il exprime encore une relation de dominant à dominé, l'enseignement traditionnel doit être reconsidéré.

    Les adultes se plaignent du peu de marge de manoeuvre que leur offre l'école, c'est-à-dire le système scolaire: Tout va de haut en bas: la définition des besoins et des objectifs, la programmation, l'allocation des ressources et la reconnaissance des acquis de formation échappent à l'individu et aux instances locales. Ces instances ont comme fonction essentielle d'ajuster les individus et leurs besoins aux réponses prédéfinies. C'est le cas de l'orientation, de la pédagogie, de l'évaluation.(51)

    Comme le suggère le Conseil de l'Europe: Le nouveau type d'éducation adéquate empiétera fréquemment sur les frontières traditionnelles qui séparent les disciplines ou les professions. La possibilité d'une plus grande souplesse est l'une de ses principales caractéristiques, qui apparaît particulièrement évidente dans l'éducation postscolaire. Il ajoute que dans une société où les progrès scientifiques et techniques apportent des procédés intellectuels et instrumentaux qui se succèdent avec une extrême rapidité et qui impliquent à chaque fois l'usage de connaissances nouvelles il faut former des êtres polyvalents et non des spécialistes ! Ceci implique l'invention d'un nouveau code universel permettant à l'individu de comprendre,... les grandes lignes de tous les secteurs de la connaissance et de structurer ces éléments dans la vie quotidienne.

    Source : Éducation permanente, Principes de base, Strasbourg, 1973, p. 8-9-10.


    Il faut donc travailler à une déscolarisation du processus éducatif, c'est-à-dire à la reconnaissance des divers types d'apprentissage qui se font tant à l'extérieur que dans l'école, et ce, avec le souci constant de cohérence et de complémentarité dans la fonction éducative. Si la Commission se préoccupe particulièrement de la reconnaissance et du respect de la diversité des groupes et des catégories d'adultes, elle a également été soucieuse, dans une perspective de transformation de l'image et des pratiques, de reconsidérer les clivages artificiels qu'on a créés entre les différents types de formation. La personne est un être « global » et en quête d'unité et d'intégration dans ses démarches. Le cloisonnement entre la formation dite « générale » et la formation dite « professionnelle » correspond davantage à des impératifs économiques et administratifs et à des lieux de formation qu'aux besoins de développement personnel.

    Il faut, nous semble-t-il, miser sur une formation générale de base et une formation professionnelle polyvalente capable d'affronter et de s'adapter à une demande d'emploi non planifiée et non planifiable par les autorités d'ici. Bien plus, faute de pouvoir jouer à fond sur la demande, peut-être la collectivité québécoise aurait-elle intérêt à jouer sur l'offre et à développer une éducation forte, capable d'influencer en retour la demande, c'est-à-dire de devenir un facteur de développement économique et social. Ce n'est pas le développement d'une formation polyvalente qui constitue un véritable danger de gaspillage mais le retour, dans notre contexte économique particulier, à une formation professionnelle étroite des jeunes et des adultes.)

    Source: I.C.E.A., mémoire présenté à la C.É.F.A., p. 25.


    Nos réflexions sur ce cloisonnement des savoirs et sur la structuration du système scolaire en niveaux nous amènent à proposer une nouvelle organisation qui renvoie davantage à l'entièreté de la personne, à son besoin de développement global et à la réalité spécifique des cycles de vie de l'adulte.

    Plusieurs des mémoires soumis à la Commission ont soulevé cette question et certains travaux parus au Québec au cours des dernières années se sont prononcés dans le même sens. Mentionnons, par exemple, le Rapport Éducation et travail qui disait: Seule une formation polyvalente,(...)pourra, moyennant le décloisonnement des secteurs et des programmes, assurer cette formation intégrée et ouverte, à la fois professionnelle, personnelle et sociale, qui permettra d'affronter les défis, non seulement de la mobilité professionnelle et sociale, mais de /' adaptation continuelle à la vie dans les multiples rôles qu'elle exige(52).

    Pour la Commission, quel que soit le type de formation: « formation académique » ou « formation par projet » que nous allons expliciter dans la quatrième partie, chapitre 1 tout particulièrement, la formation des adultes doit nécessairement s'entendre comme une formation intégrée et ouverte qui comprendra de l'éducation technologique, de l'éducation de base tout autant que sociale et culturelle, de l'éducation économique et politique. Ainsi la formation, reliée ou non à l'emploi, devra nécessairement comprendre ces quatre dimensions dans des proportions variables selon les situations, les étapes et les besoins de formation de l'adulte durant sa vie.

    1.2.5.2 Les nouvelles perspectives de la participation

    Lorsqu'on parle habituellement de participation des citoyens, on désigne souvent la participation qui a été, dans le passé, plus consultative et politique que réellement effective, c'est-à-dire le privilège qu'on veut donner aux citoyens et aux associations diverses d'être consultés par l'État avant qu'une décision qui les concerne ne soit prise. (53)

    La participation « consultative » a toujours existé, mais le débat actuel porte, en fait, sur l'opportunité et sur les moyens d'étendre cette participation. Telle que nous l'entendons, elle doit raviver l'idée de démocratisation de l'éducation des adultes, c'est-à-dire inventer des mécanismes et revoir les structures, de façon à rendre cette idée opérationnelle. Il faut aujourd'hui assurer l'accès et la participation des adultes à toutes les ressources collectives d'éducation, dans et hors de l'école, en tout temps et en tout lieu, sans l'obligation d'avoir une formation antérieure officiellement reconnue. En effet, assurer le plein exercice de droits démocratiques, en matière d'éducation, c'est aussi garantir aux intéressés leurs droits dans la gestion même de l'entreprise à laquelle ils sont associés, et leur participation à la définition des politiques d'éducation.(54)

    C'est toute la question du pouvoir de l'adulte qui est ici mise en question, car l'aspiration à une véritable participation s'oppose aux systèmes où les décisions sont prises en haut sans procédures d'intervention de la base et sont traduites en exécution descendant d'échelon en échelon(55). Toutefois, les possibilités de participation dépendent, non pas uniquement mais principalement, et de plus en plus, de la capacité de maîtriser l'information. Ces deux notions vont de pair et doivent être menées de front. Le droit à l'éducation ne se limite plus à la possibilité de fréquenter l'école, mais il doit être assorti du droit de chaque individu de participer pleinement à la gestion et à l'organisation de son environnement. Cela suppose qu'il dispose des outils nécessaires à cette fin, soit les connaissances pertinentes lui permettant une participation efficace. Ces conditions de la participation, être outillé et être informé, renvoient à la responsabilité sociale de tous les individus et groupes. Décentraliser les services éducatifs destinés à la collectivité et favoriser la participation des collectivités locales et régionales à l'orientation et à la gestion des services sont des priorités qui font partie des objectifs de la Commission. En définitive, participer signifie, selon nous, assurer une voix au chapitre aux individus, aux groupes et aux communautés dans la prise de décisions à tous les niveaux, à la détermination des besoins, à l'élaboration des programmes d'études, à l'exécution des programmes et à leur évaluation.

    1.2.5.3 Quelques indications méthodologiques quant au champ d'étude de l'éducation des adultes

    Dès le début de nos travaux, nous avons été confrontés à un problème majeur: délimiter le champ, évaluer le nombre réel de participants à l'éducation des adultes, définir clairement ce que l'on entend par « adulte » et par « activité éducative ». Nous croyons important, à ce stade-ci du rapport, d'en préciser les contours. Il a fallu, dans un premier temps, faire l'inventaire des différentes définitions fournies soit par les organismes internationaux, soit par des auteurs qui ont spécifiquement écrit sur le sujet, soit par des organismes gouvernementaux, etc.

    Comme nous le disions précédemment, l'éducation des adultes renvoie à une réalité et à un champ beaucoup plus vastes et plus complexes que la seule éducation dispensée aux adultes sous les formes scolaire et institutionnelle. Les activités éducatives des adultes touchent une panoplie de domaines et de lieux, et les motifs pour lesquels les adultes entreprennent de telles activités sont des plus variés: se recycler, obtenir une promotion, se perfectionner dans son emploi, développer des habiletés et connaissances dans un secteur, par simple goût ou curiosité, compléter un programme d'études antérieures, apprendre et se qualifier dans de nouvelles tâches ou un métier, reprendre, confiance en soi, acquérir des savoir-faire immédiats en continuité directe avec des situations, vécues dans la famille. résoudre des problèmes individuels ou collectifs, s'outiller pour mener des luttes sociales dans son quartier ou son entreprise.

    Ces quelques dimensions reliées au phénomène de la participation illustrent à la fois les multiples occasions qu'ont les adultes de se prévaloir des possibilités éducatives, la difficulté d'évaluer l'ampleur de cette participation et de procéder à une mesure précise du nombre ou des caractéristiques de l'ensemble des participants.

    Quant au nombre réel de Québécois et Québécoises poursuivant à un moment donné des activités en éducation des adultes, il varie en fonction des définitions retenues: définition de l'adulte, définition de l'éducation des adultes, du champ de l'éducation, etc. Dans certains textes, on parle de 400 000 adultes, dans d'autres de 800 000, et parfois on se contente d'écrire qu'« un grand nombre d'adultes »s'inscrivent en formation à un moment spécifique de leur vie lorsqu'il est possible de le quantifier.

    En effet, à la pénurie de renseignements complets et significatifs vient s'ajouter une autre difficulté majeure à laquelle on se heurte quand il s'agit d'étudier systématiquement le phénomène de la participation à l'éducation des adultes ; cette difficulté est celle des définitions retenues pour tenter de cerner des termes-clés, notamment ceux d'adulte et d'activité éducative: quels critères utiliser pour définir l'adulte? Quelle activité peut être qualifiée d'éducative? Il n'existe, à ce jour, aucune définition qui fasse consensus sur la question(56).

    Pour l'Unesco, seraient adultes toutes personnes considérées comme telles par la société dont elles font partie(57). Or, une telle définition, si elle fait consensus, ne résout pas le problème, puisqu'elle laisse la porte grande ouverte à toutes les définitions. En dehors d'une définition basée sur un critère d'ordre administratif, comme celui de l'âge ou celui du statut d'étudiant à temps partiel, ou celui de la fin de la scolarité obligatoire, il existe des définitions élaborées à partir d'indices de passage à la vie adulte comme, par exemple, le fait de l'expérience acquise sur le marché du travail, le fait d'être capable de subvenir à ses besoins, de vivre séparé des parents, d'avoir des responsabilités familiales, d'être responsable comme citoyen et électeur, d'être une personne dont le statut régulier n'est pas d'être étudiant.

    Quant à la définition de l'activité éducative, elle varie en fonction du champ même de l'éducation des adultes. À la limite, toute activité peut présenter un aspect éducatif. Cependant, il est important de différencier l'activité éducative des activités récréatives et des apprentissages inconscients et dus au hasard. La délimitation n'est pas toujours facile. Quand l'objectif premier est d'apprendre un sport, un art, une technique, des habiletés et connaissances, cela fait partie intégrante de l'éducation des adultes. Par contre, pratiquer un sport ou une technique, lire un livre, écouter une émission d'information à la radio ou à la télévision ne relève pas en soi, selon nous, de l'éducation des adultes.

    En dépit des diverses formes qu'elle peut prendre, d'une manière générale, l'activité éducative qui se déroule dans le milieu scolaire est facilement identifiable. Dans les milieux extra-scolaires (syndicats, entreprises, églises, associations volontaires, agences gouvernementales, etc.), les formes que prend l'activité éducative échappent souvent aux catégories habituellement utilisées. Mais ce sont surtout les activités éducatives de type autodidactique ou l'appropriation de nouvelles connaissances ou habiletés que se donne un groupe de citoyens engagés dans un projet qui sont les plus difficiles à cerner. L'individu ou le groupe, comme le signalait Gisèle Leblanc, dans la mesure où il apprend progressivement à résoudre les problèmes auxquels il fait face, poursuit une activité éducative(58). Mais dans bien des cas, il identifiera son action de cette façon. Précisons que la Commission, tout au long de ses travaux, a tenu à considérer les activités éducatives de type autodidactique comme étant des activités éducatives caractéristiques d'un bon nombre d'adultes, et c'est précisément pour cerner l'ampleur bien souvent insoupçonnée du phénomène que nous avons inclus, au même titre que les activités de type professionnel, général, social et culturel, ce genre d'activités éducatives. Ceci reflétant, à notre avis, la réalité de l'éducation des adultes du Québec, ce qui a, d'ailleurs, été confirmé par notre sondage sur les adultes québécois et leurs activités éducatives (59).

    * La Commission, soucieuse d'éviter le danger que les ressources de l'éducation des adultes dans les établissements publics ne servent à pallier les effets négatifs du système des jeunes, juge important de mettre cette condition à la définition de l'adulte.

    La Commission consciente que tout choix renferme une part d'arbitraire, et afin de ne pas être limitative dans ses définitions et de les rendre opératoires, a retenu les définitions suivantes :

    Adulte:

    Toute personne n'étant plus soumise à la fréquentation scolaire obligatoire au Québec, et qui a interrompu ses études depuis au moins un an*.

    Activité éducative :

    Toute activité systématique et organisée dont le seul ou le principal but est l'acquisition ou le développement de savoirs (connaissances, habiletés, attitudes) nécessitant de la part de l'adulte un effort délibéré pour y parvenir.

    Activité éducative autodidactique:

    Des démarches éducatives où la personne reste libre de choisir non seulement son rythme d'apprentissage, l'organisation de son temps, le recours à divers moyens et ressources d'apprentissage, mais également les objectifs ou, tout au moins, les méthodes de son éducation et de son auto-évaluation.

    L'ensemble de nos propositions vise à actualiser un droit qu'on commence à reconnaître aux adultes. Cette reconnaissance, pour être effective, doit être accompagnée d'une série de mesures incitatives et de transformations de pratiques qui ont été le plus souvent conçues pour les jeunes.

    Recommandation

    La Commission recommande:

    1. Que l'on reconnaisse, dans les principes et dans les faits, le droit des adultes à l'éducation, sans distinction de sexe, d'âge, ni d'occupation;

    en conséquence, que ce droit soit affirmé et défini dans une loi-cadre.

    Tableau 8 : les assises de la politique d’éducation des adultes

    Notes

    1. Conseil de l'Europe, Développement de l'éducation des adultes, Strasbourg,1980, p. 4.
    2. Claude Dubar, Formation permanente et contradictions sociales. Éditions sociales, Paris, 1980, p. 209.
    3. Gouvernement du Canada, ministère de l'Emploi et Immigration, Rapport dugroupe d'étude de l'évolution du marché du travail, juillet  1981.  Chambre desCommunes du Canada, groupe de travail parlementaire sur les perspectives d'emploipour les années 80, Du travail pour demain, Ottawa, 1981.
    4. Gordon Betcherman. Les pénuries de travailleurs qualifiés, Conseil économiquedu Canada, 1980.
    5. Nous parlons « des » marchés de travail en conformité avec la thèse de lasegmentation du marché du travail. Nous y reviendrons à la Partie 3, chapitre 2.
    6. « La société souterraine », Bilan économique et social 80, p. 123. Par économiesouterraine,  on  entend  toutes  les  activités  non  déclarées,   la vente  de  produits« fabriqués à la maison », troc de services, etc.
    7. Conseil de l'Europe, Le programme de Sienne, Strasbourg, 1980, p. 15.
    8. Conseil de l'Europe, op. cit., p. 7.
    9. Ibid., p. 8.
    10. Léon Dion, La prochaine révolution, Léméac, Montréal, 1973, p. 263.
    11. Jacques Grand'maison, Au seuil critique d'un nouvel âge, Ottawa, Léméac,1978, p. 171.
    12. Idem.
    13. Conseil de l'Europe, op. cit., p. 43.
    14. Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation. Quelques jalonspour une politique de l'éducation des adultes.  Commission de l'éducation desadultes, 1977, p. 8.
    15. Bertrand Schwartz, Une autre école, Flammarion, la rose au poing, Paris, 1977,p. 70.
    16. Edgar Faure, Apprendre à être, Fayard, Unesco, 1972, p. 176.
    17. Ibid., p. 177.
    18. Ibid., p. 249.
    19. Jean-Claude Forquin, « Les composantes doctrinales de l'idée d'éducation permanente d'après un ensemble de publications de l'Unesco », dans Humanisme etentreprise, no 115, juin 1979, p. 28.
    20. Ibid., p. 13.
    21. René Hurtubise, L'université québécoise du proche avenir, Hurtubise HMH,Montréal, 1973, p. 50.
    22. Bertrand Schwartz, op. cit., p. 14.
    23. Gaston Pineau, Pour une éducation permanente del'organisation. Université deMontréal, F.E.P., juin 1979, p. 30.
    24. Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, op. cit., p. 6.
    25. Conseil de l'Europe, op. cit., p. 58.
    26. Idem, p. 58.
    27. J.W. Botkin, M. Elmandjra, M. Malitza, On ne finit pas d'apprendre, rapportau Club de Rome, Pergamon, Paris, 1980, p. 17.
    28. Idem, p. 17.
    29. Ibid., p. 14.
    30. Ibid., p. 18.
    31. Unesco, Développement de l'éducation des adultes, Paris, 1975, p. 10.
    32. Fédération des cégeps, Vers une politique globale de l'éducation des adultes,p. 17.
    33. Unesco, Recommandations sur le développement de l'éducation des adultes,p. 3.
    34. Bertrand Schwartz, op. cit., p. 14.
    35. Bertrand Schwartz, Une autre école, Flammarion, 1977, p. 98.
    36. Unesco, op. cit., p. 3.
    37. Idem.
    38. Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, op. cit., p. 4.
    39. Unesco, op. cit., p. 3.
    40. Gaston  Pineau,  Les combats aux frontières des organisations,  Science etCulture, Montréal, 1980, p. 19.
    41. Ibid., p. 20.
    42. Gaston Pineau, Éducation ou aliénation permanente, Dunod, Science et Culture, Paris, 1977, p. 167.
    43. Edmund J. King, « La démocratisation de l'enseignement secondaire » dansL'éducation en devenir, Presses de l'Unesco, Paris, 1975, p. 132-133.
    44. Charles Hummel, L'éducation d'aujourd' hui face au monde de demain, Unesco,Paris, 1977, p. 119.
    45. Gouvernement du Québec, C.S.E.,  Quelques jalons pour une politique del'éducation des adultes, 1977, p. 9.
    46. Camille Laurin, L'éducation permanente, projet de société, causerie présentéedans le cadre du colloque tenu par l'A.C.D.E.A.U.L.F., septembre 1977, p. 10.
    47. Union des producteurs agricoles, Pour être maître de notre développement : laformation: mémoire présenté à la C.E.F.A., 1981, p. 9.
    48. Paul Bélanger, « L'éducation des adultes au Québec ou le difficile projet d'uneéducation permanente » dans Éducation permanente, no 38, mars-avril 1977, p. 58.
    49. Conseil supérieur de l'éducation, op. cit., p. 165.
    50. Edgar Faure, op. cit., p. 86.
    51. Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, op. cit., p. 165.
    52. Gaétan  Daoust,   Pierre  Amyot  et  autres,  Éducation  et  travail,   MontréalH.M.H., 1978, p. 186.
    53. Guy Rocher, « La participation et les institutions politiques au Québec, dansQuébec 1960-1980, La crise du développement, H.M.H., Montréal, 1973, p. 102.
    54. Edgar Faure, op. cit., p. 90.
    55. Conseil de l'Europe, op. cit., p. 26.
    56. On retrouve des définitions différentes de l'adultes dans:
      • Le Code civil (définition de la majorité),
      • La Loi sur la formation et qualification professionnelle de la main-d'oeuvre,
      • Les procédures administratives de certaines universités — de la Fédération descégeps. Des règlements du M.E.Q.-D.G.E.A. à l'usage des commissions scolaires(cahier II des procédures administratives 1979-1980), etc.
    57. Unesco, Recommandations sur le développement de l'éducation des adultes,p. 3.
    58. Un point de  vue  sur la  recherche  en  éducation  des  adultes.   RechercheC.É.F.A., Annexe IV.
    59. Les adultes québécois et leurs activités éducatives. Sondage C.E.F.A., 1981,Annexe 2, livres 1 et 2.