Médiation familiale : les enfants sont les grands gagnants


Entrevue avec Lorraine Filion, travailleuse sociale et médiatrice

Lorraine Filion, qui est médiatrice et chef du Service d’expertise psychosociale et de médiation à la famille des Centres jeunesse de Montréal, fait un bilan somme toute assez positif des premiers mois d’existence du nouveau programme québécois de médiation familiale. Cela dit, elle aura de nombreux commentaires à faire sur les divers aspects de la loi lorsque viendra l’heure du premier bilan, cet automne.


Tout en reconnaissant d’entrée de jeu les gains acquis sur le plan de la qualité du climat familial grâce à la médiation, Lorraine Filion analyse lucidement la situation et pointe du doigt les points à améliorer pour rendre ce processus encore plus efficace.
Selon elle, le ministère de la Justice devrait notamment se pencher sur la situation particulière des gens à très faibles revenus qui n’habitent pas un territoire desservi par un Centre jeunesse. «Les gens qui habitent Rimouski, par exemple, doivent faire appel aux services d’un médiateur privé puisque aucun médiateur public ne travaille dans leur région. Le problème est que le ministère de la Justice ne paie que pour les six premières séances de 75 minutes lorsqu’on fait appel aux services d’un médiateur privé. Autrement dit, si la médiation entre les ex-conjoints dure au-delà de 7 heures et demie -- ce qui peut arriver -- ils devront payer eux-mêmes les 95 $ que coûte chaque séance additionnelle. Le système actuel devrait faire en sorte que les gens très pauvres puissent profiter de séances de médiation subséquentes gratuites et choisir la voie de la médiation sans être pénalisés financièrement, explique Mme Filion.


De l’information qui arrive trop tard

Parmi les autres défauts du système actuel, elle déplore que la séance d’information sur la médiation ne soit pas obligatoire plus tôt dans le processus judiciaire. En effet, la nouvelle loi indique clairement que les couples qui souhaitent divorcer doivent assister à une séance d’information sur la médiation avant que leur cause puisse être entendue devant un tribunal. Cependant, les ex-conjoints peuvent consulter leur avocat et effectuer le dépôt des procédures avant de se rendre à la séance d’information. « Dans certains cas, les ex-conjoints se rendent à la séance d’information de groupe après avoir reçu le document légal (requête) à l’intérieur duquel les uns et les autres se crêpent verbalement le chignon. La lecture de cette requête envenime le débat et vient jeter de l’huile sur le feu, fait remarquer Mme Filion. La médiatrice estime qu’il serait préférable que les gens soient contraints d’assister à la séance d’information avant de pouvoir entreprendre des démarches avec un avocat. «Ils pourraient alors faire leur choix entre la médiation et le système adverse (recours au processus judiciaire traditionnel) en toute connaissance de cause. Ils sauraient ce qu’est la médiation et ce que ça pourrait leur apporter. Actuellement, les gens qui se rendent dans les séances d’information de groupe y vont, je crois, pour remplir leurs obligations, car en réalité leur choix est déjà fait.»

Bien que Lorraine Filion tienne à dénoncer certaines failles du nouveau système -- dont le fait qu’il n’ait pas fait l’objet d’une importante campagne de promotion gouvernementale -- elle en reconnaît tout de même les grandes qualités. «Il était temps que l’on élargisse l’accès à la médiation. Le fait que le service soit offert gratuitement a permis à plus de couples d’en bénéficier. Mais, je crois que les plus grands gagnants du nouveau système, ce sont les enfants des parents qui ont opté pour ce mode de résolution de leurs conflits», soutient-elle.

Conseils d’experte

Enfin, Mme Filion insiste sur l’importance de s’inscrire tôt dans un processus de médiation pour négocier une séparation, surtout dans le but d’éviter aux enfants des peines et des douleurs supplémentaires inutiles. Elle donne aussi le conseil suivant aux couples qui pensent recourir à la médiation pour régler leur divorce: «Ils auraient avantage à bien choisir leur médiateur». Étant donné que le système actuel est encore tout nouveau, plusieurs médiateurs n’ont pas beaucoup d’expérience. Ils ont certes suivi un cours pour obtenir leur accréditation, mais ils sont encore en apprentissage. Bien que la loi stipule que les nouveaux médiateurs doivent être supervisés en début de carrière, quelques novices choisissent de voler de leurs propres ailes rapidement. «Demandez aux médiateurs qui vous intéressent de vous indiquer le nombre d’années d’expérience qu’ils détiennent dans ce domaine. S’ils ne font que commencer à pratiquer la médiation familiale, demandez-leur s’ils sont supervisés pendant vos rencontres. S’ils vous répondent que non, c’est mauvais signe...»

Il faut savoir que des médiateurs issus de cinq ordres professionnels différents pratiquent actuellement au Québec. Il s’agit de membres du Barreau du Québec, de la Chambre des notaires du Québec, de l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères en orientation du Québec, de l’Ordre des psychologues du Québec et de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec. Il revient à chaque couple de choisir un médiateur issu du domaine de son choix.


La médiation familiale, c’est quoi?

Depuis le 1er septembre 1997, les couples québécois ayant des enfants peuvent rencontrer gratuitement un médiateur, plutôt que d’avoir à recourir à des avocats pour négocier les différents aspects de leur séparation et de leur divorce: garde des enfants, division des biens, établissement de la pension alimentaire, etc. En effet, six séances de 75 minutes leur sont payées par le ministère de la Justice s’ils optent pour la médiation pour régler leurs différends. Dans le cas d’une révision de jugement, les conjoints ont droit à trois séances gratuites. Dans les villes du Québec où l’on trouve des Centres jeunesse, soit à Montréal, Laval, Québec et Lévis, il est même possible pour les couples avec enfants de bénéficier gratuitement de l’assistance d’un médiateur du Centre jeunesse pour tout le processus de médiation. Principal avantage de cette option : les coûts liés aux procédures de divorce sont alors beaucoup moins importants pour les conjoints.

Si certains couples choisissent volontairement de faire appel à un médiateur pour négocier une entente à l’amiable, d’autres choisissent de retenir les services d’un médiateur seulement après avoir assisté à une séance d’information sur la médiation. Rappelons que depuis septembre 1997, tous les couples voulant divorcer au Québec doivent obligatoirement assister à une séance d’information sur la médiation familiale avant que leur cause puisse être entendue par un tribunal.

Lorsqu’un couple choisit la voie de la médiation, c’est tout un processus qui s’enclenche. Lors de la première rencontre, le médiateur tente le plus souvent de comprendre le contexte dans lequel la séparation se vit ou s’est vécue. Il demande également aux deux parties d’exprimer leurs besoins et leurs attentes face aux négociations qui s’amorcent. Au terme du premier entretien, le médiateur dresse une liste des points qui devront faire l’objet de discussions lors de séances ultérieures. Grâce à cet exercice, les conjoints pourront parvenir à s’entendre sur tous les aspects les plus importants, tels que la garde des enfants, les droits de visite et le montant de la pension alimentaire. Une fois que les ex-conjoints en sont arrivés à un accord, le médiateur rédige le projet officiel d’entente. Celui-ci doit par la suite être soumis à un juge pour qu’il en vérifie la validité et lui confère un caractère légal.


Source : Marie-Anne Poussart. « Médiation familiale : Les enfants sont les grands gagnants / Entrevue avec Lorraine Filion, travailleuse sociale et médiatrice. » . Changements vol 8, no 1. Fédération des ACEF. Septembre 1998, p. 12-13.