Loi 186 sur la sécurité du revenu



Au début de l’été dernier, avant que ne prenne fin la session parlementaire, l’Assemblée nationale adoptait le controversé projet de loi 186 sur la réforme de la sécurité du revenu. De nouveaux mécanismes d’incitation au travail ont alors été mis en place et tendent de plus en plus à gagner du terrain sur le revenu minimum garanti. Le « Workfare » américain frappe à nos portes.

Des modifications sérieuses et particulièrement pénalisantes pour les clientèles ont été apportées à la Loi québécoise sur la sécurité du revenu durant les années 1988 et 1998. En deux lois, la 37 et la 186, et durant une décennie, les plus démunis de la société ont goûté à la médecine néo-libérale de dirigeants politiques qui focalisent sur la bonne santé des finances publiques, souvent au détriment de la vigueur des politiques sociales.

En adoptant, à la fin de juin dernier, le projet de loi #186 sur le soutien du revenu et en favorisant l’emploi et la solidarité sociale, le gouvernement catégorisait encore plus les assistés sociaux et mettait encore davantage l’accent sur la notion de l’employabilité. Tout au long du processus de consultation précédant sa sanction par l’Assemblée nationale, unanimement, les groupes québécois d’intervention sociale et communautaire ont dénoncé “ le manque de vision, le cynisme et le caractère de salissage envers les plus démunis ” du projet de loi. Selon eux, cette réforme faisait en sorte que l’insécurité du revenu persiste et que “ les jobs ” attendus demeurent des mirages.

In extremis, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Louise Harel, acceptait d’apporter un certain nombre d’amendements au texte de loi original dans la nuit précédant le vote. Entre autres, l’obligation pour les jeunes de 18-24 ans de suivre un parcours de réinsertion, une des mesures du nouveau régime jugée les plus discriminatoires et les plus critiquées par les divers groupes de pression, a été reportée d’un an, soit au premier septembre de l’an 2000. Cette disposition demeure toutefois en vigueur.

Marginalisation et appauvrissement

La Coalition nationale sur l’aide sociale s’est vivement opposée à ce parcours réservé à une catégorie de jeunes individus, qui est ainsi mise en marge et pointée du doigt par la loi. Dans un document d’analyse du projet, la Coalition ajoutait que, “ malgré quelques bonifications financières et certaines améliorations au niveau des recours, le projet de loi 186 perpétue et complexifie le système de sécurité du revenu et pousse encore plus loin la logique du “ Workfare américain”- introduite ici en 1988. En vertu de cette approche politique, tous les assistés sociaux sont obligés de travailler pour avoir le droit de recevoir une aide financière publique. La Coalition qualifiait le projet de la ministre Harel de “ totalement inacceptable ”. Car le principe du “Workfare ” sous-tend toute la notion de la culpabilité et des pénalités.

Dans le même sens, Alain Noël, professeur au département de science politique à l’Université de Montréal et coauteur du rapport sur la sécurité du revenu, intitulé “ Chacun sa part ” et rendu public en mars 1996, s'exprimait ainsi au sujet des mesures punitives et de la loi 186: “ On peut penser que le problème du chômage se résume à une absence de bonne volonté (ou à un manque d’incitations); on recourt alors à la logique du coup de pied au cul. Ou encore, on fait le constat d’un manque de place sur le marché ou d’une inadéquation entre les emplois à combler et les aptitudes de ceux qui cherchent un emploi; on travaille alors à créer des places et à aider ceux qui cherchent à les occuper. Avec le projet de loi 186, on opte plus clairement pour la logique de la pénalité (coup de pied au cul). Mais le chômage demeure élevé et les ressources vouées à l’insertion largement insuffisantes. Dans les circonstances, un seul résultat est possible: l’appauvrissement des personnes déjà les moins favorisées ”.

1998, la suite de 1988

En fait, depuis l'apparition du programme SUPRET (Supplément de revenus du travail) en1978, des mécanismes d'incitation au travail sont mis en place graduellement par le gouvernement et tendent à gagner du terrain sur la protection du revenu minimum garanti dans le domaine de la sécurité du revenu.

Les “ bouboumacoutes ” apparaissaient dans le décor en 1977. Ils allaient littéralement violer les domiciles des prestataires et manquer au plus élémentaire respect de leur vie privée. De plus, en laissant croire à une fraude généralisée du système de l’aide sociale, les « boubous » ont pavé la voie aux mesures d’employabilité.

Le ministère des Affaires sociales de l’époque s’est par la suite lancé dans une réforme de la sécurité du revenu en 1988. Son aboutissement fut l’adoption de la loi 37, à l’intérieur de laquelle, pour la première fois, figure tout un train de mesures d’employabilité, qui vont s’articuler autour du programme APTE.

APTE a véritablement ouvert la porte à la catégorisation et à la rémunération des bénéficiaires en fonction de leur aptitude au travail et de leur disponibilité. Par surcroît, les revenus minimes générés par les emplois souvent bidons du programme contribuaient davantage à appauvrir les clientèles en raison notamment des coûts entraînés par le fait de travailler. Dorénavant, il y avait les aptes dont les taux de prestation mensuelle variaient sensiblement au gré de leur participation à des programmes d'emploi.

En 1998, le programme d’Assistance-emploi vient prendre la place de APTE. Les structures des barèmes de ce programme s’apparentent grandement à celles qui avaient cours dans la loi précédente sur la sécurité du revenu, sauf que les contrôles ont été resserrés sur le plan de la disponibilité à l'emploi.

Dans un tel contexte, la Fédération des ACEF du Québec, dans une lettre adressée à Louise Harel, en date du 22 mai 1998, tenait à la ministre les propos suivants: “ Forcer les gens les plus défavorisés à faire n’importe quoi en échange de leurs prestations peut avoir des effets pervers plus importants que ceux qu’on voudrait corriger ”. Le développement d’activités purement occupationnelles, la substitution d’emplois, la création d’un sous-marché de l’emploi et la dévalorisation générale du travail salarié plongent les clientèles dans l’exclusion et favorisent l’émergence de ghettos d’emplois à l’intérieur desquels les conditions de travail sont dégradées, croit la Fédération.

Elle souhaite plutôt l’avènement d’une véritable politique de l’emploi tenant compte des particularités du marché du travail ( emplois intermittents, précarité, travail autonome, etc.). Une telle politique pourrait s’arrimer avec un système de protection sociale, de façon à ce que les bénéficiaires des programmes sociaux puissent accepter des emplois très précaires sans pour autant perdre la protection qui leur est assurée. Cette nouvelle structure pourrait prendre la forme d’une allocation universelle de citoyenneté, une sorte de revenu garanti, dont les modalités restent à définir.

La loi 186 a été adoptée au début de l'été 1998, mais le débat est loin d'être terminé.


Historique de l'aide sociale
Vers un durcissement progressif des programmes...

Avant 1921, l'aide sociale est assumée par des organismes privés (communautés religieuses, Société Saint-Vincent-de-Paul, etc.)

1921. Adoption de la Loi sur l'Assistance publique. En vertu de cette loi, l’État subventionne les organismes de charité et n'apporte pas de soutien direct aux citoyens défavorisés.

1929-1935. La crise économique. À cette occasion est adoptée en 1931 la loi remédiant au chômage. Il s'agit d'une loi temporaire pour faire en sorte que les plus démunis arrivent à manger en ces temps de misère.

1937. Loi d'assistance aux aveugles et Loi d'assistance aux mères nécessiteuses adoptées sous la pression des travailleurs.

1937. Loi du salaire raisonnable qui deviendra la Loi du salaire minimum. Après dix ans de grèves longues et ardues, dont celles de Noranda et du vêtement en 1934, celle du textile en 1937, etc., les travailleurs obtiennent gain de cause.

1940. Loi de l'Assurance-chômage, qui sera bonifiée au fil des ans, perdra des plumes à compter de 1977 et deviendra en 1996 la loi moins généreuse loi de l'Assurance-emploi.

1944. Les programmes d'allocations familiales.

1951. La Loi sur les pensions de vieillesse.

1956. L'assistance-chômage, bien-être social pour les gens qui n'ont pas droit aux prestations de chômage.

1969. La Loi sur l'Aide sociale. Des "allocations de survie" aux personnes défavorisées sont alors distribuées sans que le système soit réformé en profondeur. Le taux des prestations ne dépend pas des aptitudes et de la disponibilité au travail. Les prestataires de moins de trente ans reçoivent une allocation nettement plus basse et obtiendront la parité seulement en 1988.

1975. La Loi de l'Assurance-chômage se durcit. Une plus grande période de temps de travail est requise pour être admissible aux prestations.

1977. Des programmes de création d'emploi et de travail partagé sont ajoutés à la Loi de l'Assurance-chômage.

1978. À l'aide sociale, le premier programme d'incitation au travail SUPRET (Supplément de revenus du travail) est mis sur pied.

1988. Réforme de l'aide sociale. La loi 37 est adoptée. Les assistés sociaux sont alors catégorisés selon leur aptitude et leur disponibilité au travail. La notion de l'employabilité est véritablement introduite et prend forme.

1996. La Loi de l'Assurance-emploi remplace la loi de l'Assurance chômage. De 83% en 1989, le nombre de chômeurs couverts par le régime tombe à 42% en 1997. De plus en plus de gens privés de travail viennent grossir le rang des assistés sociaux.

Juin 1998. Autre réforme de l'aide sociale. Un autre pas est franchi dans la catégorisation des bénéficiaires. La notion de l'employabilité gagne du terrain.


Source : Réginald Harvey. "Loi 186 sur la sécurité du revenu : L'insécurité du revenu et les "job" mirages!". Changements vol. 8 no 1. Fédération des ACEF du Québec. Septembre 1998, p. 1-2.