Mémoire de l'Institut canadien d'éducation des adultes sur le projet de politique d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue
septembre 2001
L'adoption d'une politique d'éducation et de formation des adultes est attendue depuis plusieurs années par l'ICEA et de nombreux intervenantes et intervenants provenant du milieu. Dans cette introduction, nous soulèverons d'abord les raisons qui, pour nous, justifient l'importance accordée àune telle politique. Par la suite, nous définirons le sens des transformations que devra effectuer, selon nous, une telle politique d'éducation et de formation des adultes.
Le 18 mai dernier, le gouvernement du Québec rendait public un Projet de politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. Du même coup, il invitait les organismes concernés à lui faire part de leurs recommandations. Par le fait même, le gouvernement du Québec amorçait ainsi la dernière étape du processus d'adoption d'une politique qu'il avait initié en 1997 au moment de l'annonce de la réforme de l'Éducation Prendre le virage du succès. L'Institut canadien d'éducation des adultes (ICÉA) reconnaît toute la portée de la démarche devant mener le Québec àl'adoption d'une politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue.
Les exigences de cette nouvelle société du savoir qui prend son envol, les enjeux complexes d'inclusion que soulèvent nos sociétés pluralistes et, plus crucial encore, les défis que rencontre notre démocratie face aux lieux de pouvoirs de la mondialisation justifient que le gouvernement du Québec situe le rôle que peut jouer l'éducation et la formation des adultes dans le contexte d'aujourd'hui. En définitive, une politique publique d'éducation et de formation des adultes doit réactualiser le sens profond de la contribution du droit à l'éducation à la vie démocratique et à la justice sociale.
À ce sujet, nous éprouvons un sentiment d'urgence. Car, nous sommes inquiets du présent et de l'avenir de l'éducation et de la formation des adultes et, conséquemment, de l'état du droit àl'éducation au Québec. Depuis deux décennies, l'éducation et la formation des adultes connaissent un développement chaotique répondant presque exclusivement aux seules considérations économiques d'adaptation de la main-d'œuvre. Suite aux deux crises économiques qui ont frappé le Québec dans les décennies 80 et 90 et sous l'impulsion de l'Énoncéd'orientation et plan d'action gouvernementale en éducation des adultes de 1984, l'éducation et la formation des adultes sortent grandement éclatées, fragilisées et sans vision d'ensemble de leur rôle social, culturel et démocratique. Et, ce que nous déplorons, les gouvernements qui se sont succédés depuis le début des années 80 ont une part de responsabilité à cet égard.
Malgré les hauts et les bas de l'évolution de l'éducation et de la formation des adultes ces dernières années, il importe de nous rappeler qu'en tant que société, nous sommes redevables àcelles et ceux qui sont responsables des progrès immenses qui ont marqué le développement de l'éducation et de la formation des adultes au Québec depuis les années 60. Au fil des décennies, leur vision de l'éducation et de fa formation des adultes ainsi que leur engagement ont doté le Québec d'un important patrimoine éducatif composé d'un réseau public à la grandeur du Québec, d'une société civile porteuse d'une multitude d'initiatives éducatives et de l'expertise développée par des centaines de professionnelles et de professionnels de l'éducation dans toutes les sphères de l'éducation et de la formation des adultes. Ces acquis constituent un formidable levier de progrès pour la population du Québec. Il est de notre responsabilité de préserver ce patrimoine et de nous assurer de son développement en fonction des réalités changeantes de la population adulte québécoise et des défis nouveaux confrontant le Québec. Dans cet esprit, une politique d'éducation et de formation des adultes doit affirmer les moyens que nous entendons prendre pour assurer le développement de ce patrimoine.
À cette fin, le rapport final de la Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA, 1982) et la déclaration de Hambourg (1997) sont des sources majeures d'inspiration. Elles posent une vision riche et plurielle de l'éducation et de la formation des adultes, vision encore d'actualité. Rappelons que ces deux documents ont défendu avec intelligence, conviction et générosité, la finalité ultime de l'éducation et de la formation des adultes : le droit fondamental des personnes de pouvoir réaliser pleinement leur potentiel, leur créativité et à contribuer par leur citoyennetéactive au devenir de leur communauté et de leur société.
Dans le même ordre d'idées, nous constatons aussi qu'à deux occasions au cours des deux dernières décennies, les intervenantes et les intervenants du milieu de l'éducation et de la formation des adultes au Québec ont expriméun sentiment d'urgence quant àfa situation de l'éducation et de la formation des adultes. Au début des années 80, au moment de la Commission d'étude sur la formation des adultes, la Commission Jean, et au milieu, des années 90, àl'occasion des États généraux sur l'éducation, de nombreuses voix ont sonné l'alarme en dénonçant la vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes privilégiée par les différents gouvernements québécois. Il fut argué qu'en orientant principalement l'éducation des adultes et la formation continue en fonction d'impératifs économiques d'adaptation de la main-d'œuvre, les orientations des gouvernements faisaient fi du rôle unique et fondamental de l'éducation dans la réalisation du potentiel des personnes et de la nécessaire démocratisation de l'éducation que cela suppose.
Dans cet esprit, nous jugeons qu'il est plus que temps que le Québec donne un coup de barre important en effectuant une réforme en profondeur de l'éducation et de la formation des adultes pour se redonner un projet rassembleur, inspirant et mobilisateur et pour garantir que celui-ci réponde aux désirs d'éducation de la population adulte québécoise. Indéniablement, depuis deux décennies, le statut social, culturel et économique du savoir se trouve en pleine mutation. De plus en plus, le savoir occupe une place considérable et décisive dans tous les aspects de la vie des personnes et des collectivités. De plus en plus, il fait l'objet d'une volonté de commercialisation, ce qui en restreint l'accès. Dans un te! contexte, il devient impérieux de renouveler notre vision de l'éducation et de la formation des adultes.
Or, à ce sujet, la proposition gouvernementale est très en deçà de ce qu'on escomptait. Incidemment, nous estimons réductrice la vision de l'éducation et de la formation des adultes mise de l'avant par le Projet de politique du gouvernement du Québec. Par exemple, celui-ci oublie de larges pans de l'éducation des adultes et limite les questions de formation de la main-d'œuvre à des préoccupations d'adaptation de la main-d'œuvre présentement en emploi. À eux seuls, ces deux éléments réduisent sensiblement la portée d'une politique éducative qui devrait nécessairement présenter une vision large de la diversité de . l'éducation et de la formation des adultes.
De plus, nous sommes en désaccord profond avec l'idée réductrice que l'éducation des adultes ne nécessiterait que de simples ajustements. Au contraire, nous considérons que la situation de l'éducation des adultes au Québec exige beaucoup plus que le maintien du statu quo et des ajustements marginaux, comme le met de l'avant la proposition du gouvernement. Il est plus que temps, à notre avis, d'entamer une réforme en profondeur de l'éducation des adultes. Les enjeux de société confrontant l'éducation et la formation des adultes nous exhortent à relever les défis posés par le droit à l'éducation dans une société exigeant de manière continue de nouvelles connaissances de ses citoyennes et ses citoyens. Cette réforme en profondeur que nous souhaitons devrait faire du Québec une sociétéàl'avant-sc ène du droit àl'éducation et de l'éducation tout au long de la vie.
Dans notre mémoire, nous soulèverons, dans une première partie, certains des constats qui justifient que l'on amorce une réforme de l'éducation et de la formation des adultes. Dans une seconde partie, nous exprimerons notre analyse de la proposition gouvernementale. Enfin, dans une dernière partie, nous ferons valoir les modifications qui, selon nous, devraient être apportées au Projet de politique. Pour l'ICÉA, ces recommandations appellent autant de grandes décisions en matière d'éducation et de formation des adultes et chacune d'elles ouvre la voie à des changements nécessaires.
Nous souhaitons profondément que le Québec soit fort d'une vision de l'éducation et de la formation des adultes situant clairement celle-ci en fonction de valeurs sociales fondamentales. Cette vision devra miser sur les personnes dans le but de libérer leurs forces créatrices et productives. Elle devra également favoriser leur développement personnel et leur participation à la vie de leur collectivité. Dans toutes les dimensions de leur vie, les personnes doivent être la raison d'être d'une politique d'éducation et de formation des adultes.
Dans cet esprit, nous croyons que la situation présente de l'éducation et de la formation des adultes exige une réforme en profondeur.
Nécessairement, une politique d'éducation et de formation des adultes doit répondre àdes constats posés, aux enjeux qu'ils soulèvent et aux défis auxquels nous souhaitons répondre. Dans cette première partie, nous présenterons certaines des réalités qui justifient que nous apportions des changements significatifs ànos manières de faire en éducation et en formation des adultes.
Avant d'exprimer notre compréhension de la proposition gouvernementale de politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue, nous trouvons important de mettre en lumière certains constats caractérisant, selon nous, la situation actuelle de l'éducation et de la formation des adultes. Il est essentiel qu'une politique d'éducation et de formation des adultes identifie les principales réalités marquant l'éducation et la formation des adultes, puisque les enjeux qui nous confrontent, comme société, en matière d'éducation et de formation et les défis qu'il nous faut relever prennent racine dans ces forces qui façonnent notre situation. Plus particulièrement, nous considérons que certaines de ces réalités nous forcent à porter un regard nouveau sur les questions touchant à l'éducation et à la formation des adultes, pour être en mesure de trouver des solutions efficaces à des problèmes lourds de conséquence pour les personnes qui les vivent.
À ce sujet, nous considérons que le gouvernement devra compléter son Projet de politique pour inclure des éléments de constats de la situation actuelle de l'éducation et de la formation des adultes. De même, il devra poser avec plus de clarté les enjeux auxquels il veut s'attaquer. Enfin, le gouvernement aura aussi à dire sans ambiguïté les raisons qui motivent les propositions qu'il adoptera. Dans le but de contribuer àl'identification des enjeux auxquels font face l'éducation et la formation des adultes et des défis soulevés par ceux-ci, nous jugeons pertinent de souligner les principaux constats qui caractérisent les réalités éducatives vécues par la population du Québec, dans son ensemble. Pour nous, ces constats sont porteurs d'enjeux de société essentiels à notre époque et ils nous forcent àprendre de front des défis cruciaux pour les Québécoises et les Québécois.
Depuis la grande réforme de l'éducation des années 60, le Québec a fait des pas de géant en matière de scolarisation de sa population. Comme société, nous pouvons être fier du chemin parcouru. Pourtant, maigre ces succès, nous ne pouvons nous asseoir sur nos lauriers, parce qu'il nous reste toujours du travail à accomplir en matière de scolarisation de la population adulte du Québec. L'observation des plus récentes données sur le sujet devrait nous convaincre de redoubler d'ardeur.
Selon !es données les plus récentes tirées du recensement canadien de 1996, 35 % de la population adulte du Québec, c'est-à-dire, les personnes âgées de 15 ans et plus, avait entamé des études de deuxième cycle du secondaire, mais ne détenait pas un diplôme de secondaire cinq.1 Plus de 18 % de cette population de 15 ans et plus n'avait pas terminé une scolarité de premier cycle du secondaire (secondaire trois).2 Au total, c'est plus de 2 millions de québécoises et de québécois qui ne possèdent pas un diplôme de secondaire cinq.3 Environ 1.5 millions de ces personnes qui n'ont pas un secondaire cinq sont âgées entre 15 et 64 ans, c'est-à-dire qu'elles font toujours partie de la population active.4 Il y a dans la persistance de la faible scolarisation de la population du Québec un formidable défi éducatif qui questionne directement notre capacité collective à faire du droit à l'éducation une réalité la plus élémentaire : l'obtention d'une scolarité de base.
Une analyse plus pointue de ces données montrent clairement qu'au plan éducatif, le Québec présente des allures de société à plusieurs vitesses. Selon leur âge, les Québécoises et les Québécois n'ont pas tous bénéficiéd'une même scolarité. Alors que plus de 35 % des personnes âgées de 45 et plus n'avaient pas obtenu une scolarité du niveau d'un secondaire trois (soit 841 330 personnes), c'est 6 % de la population âgée de 15 à 44 ans qui n'avait pas atteint ce seuil de scolarité (soit 206 080 personnes).5 À l'autre bout du spectre éducatif, plus de 50 % des personnes ayant une scolarité de niveau postsecondaire partiel ou complété sont âgées entre 15 et 44 ans (soit 1 673 290), comparativement à un taux de 30 % pour celles et ceux qui ont 45 ans et plus (soit 738 365).6 Enfin, notons que 40 % des personnes n'ayant pas une scolarité équivalente à un secondaire trois avaient plus de 65 ans (soit 418 780 personnes).7
Cette situation se confirme lorsque l'on regarde les niveaux de scolarisation au sein d'un même groupe d'âge. Ainsi, seulement 6 % (206 080 personnes) des personnes âgées de 15 à 44 ans ne détenaient pas une scolarité de niveau d'un secondaire trois. Pour celles et ceux qui ont plus de 45 ans, ce taux grimpe à 35 % (841 330). Dans le même ordre d'idées, la moitié des personnes dont l'âge se situe entre 15 et 44 ans montrait une scolarité postsecondaire partielle ou complétée ( soit 1 673 290 personnes), alors que 31 % des personnes de 45 ans et plus détenaient un telle scolarité {soit 738 365 personnes).8
Il est clair, d'une part, que les efforts de scolarisation ont connu un certain succès. L'évolution du nombre de personnes qui ont entrepris ou complétédes études de niveau postsecondaire le démontre. Toujours selon les données du recensement canadien de 1996, c'est 42 % (soit 2 411 660 personnes) de la population québécoise de 15 ans et plus qui détient une scolarité postsecondaire partielle ou complétée. Cependant, en observant attentivement les niveaux actuels de scolarisation, on remarque que les vagues successives de jeunes ont été la cible d'une incitation plus grande à poursuivre leurs études au-delà de l'éducation obligatoire. Près de 70 % de ces 2 411 660 personnes étaient âgées entre 15 et 44 ans (soit 1 673 290 personnes), il devient donc flagrant que (a prise en compte des besoins de scolarisation de la population adulte âgée de plus de 45 ans devra faire l'objet d'une préoccupation sociale beaucoup plus importante.
De toute évidence, la question de la faible scolarisation de la population adulte québécoise nous place devant un important enjeu d'inclusion sociale et un défi urgent d'égalitédes chances. Au nom du droit à l'éducation, ce constat d'une population adulte faiblement scolarisée doit traverser de part en part la politique québécoise d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. Plus fondamental encore, les défis posés par cette réalité de faible scolarisation de la population doivent orienter d'une manière forte les actions du gouvernement. Au risque que la politique d'éducation et de formation des adultes, dans un contexte de société du savoir, laisse pour compte un grand nombre de Québécoises et de Québécois.
À sa manière, la faible scolarisation de la, population québécoise nous permet de saisir l'ampleur des besoins d'éducation. Mais l'évolution de notre monde questionne aussi le rôle de plus en plus stratégique que joue l'éducation des adultes. La complexité des sociétés d'aujourd'hui foisonne d'occasions d'apprendre. Les transformations fulgurantes de l'économie et du marché du travail nous viennent facilement à l'esprit. La réorganisation des processus de travail, l'introduction de nouveaux procédés et l'informatisation ont multiplié grandement les opportunités d'apprendre pour les travailleuses et les travailleurs. Un indicateur jette un éclairage révélateur sur l'impact de ces transformations en regard de la demande d'éducation. Entre 1990 et 1999, il s'est crééau Québec un total de 743 800 emplois9. 80 % de ces emplois furent obtenus par des travailleuses et des travailleurs ayant une scolarité de niveau postsecondaire partielle ou complétée (soit 596 700 emplois). Seulement 6 % de ces emplois bénéficièrent à des personnes ayant une scolarité inférieure à un secondaire cinq (soit 48 500 emplois). Des 527 600 emplois perdus pour la même période, 90 % étaient détenus par des personnes ayant une scolarité de niveau secondaire partielle ou complétée {soit 475 500 emplois).10
Dans le même ordre d'idées, les dernières années nous ont fait redécouvrir un autre lieu riche de possibilités d'éducation. Autant la marche Du pain et des roses. La marche mondiale des femmes contre la pauvreté, la démarche du Collectif de la loi cadre pour l'élimination de la pauvreté, le récent Sommet des peuples des Amériques ou l'apparition de nouvelles formations politiques (Regroupement pour une alternative politique et un éventuel parti des régions) ont vu leur essor et leur espoir de progrès social intimement liés à des activités d'éducation à la citoyenneté. Plus souvent qu'autrement, celles-ci étaient destinées à des personnes ayant peu accès au pouvoir politique. Chacune de ces manifestations sociales a révélé une profonde aspiration de participation citoyenne et un besoin d'éducation clairement exprimé s'est fait entendre.
Les transformations des lieux de travail et la reconquête des lieux de démocratie ne sont pas les seuls endroits qui suscitent une demande d'éducation de la part de la population. La vie en société nous interpelle quotidiennement. L'omniprésence des technologies dans notre vie, l'impact de nos modes de vie sur l'environnement, les questions essentielles posées à notre santépar une multitude de maladies inédites, ainsi que les rapports sociaux changeants sous l'effet du pluralisme de nos cultures constituent autant de phénomènes de sociétérecelant d'innombrables besoins d'éducation. Enfin, cette mondialisation qui rapproche les unes des autres les diverses populations de notre planète provoque à elle seule un défi d'éducation interculturelle essentiel à la défense et au renforcement de la paix et de la cohésion sociale au niveau planétaire.
Il est d'usage maintenant de parler de société du savoir. Sous cet angle, nous cherchons à mettre en évidence la place que prend l'usage du savoir dans nos vies. Mais, de plus en plus, un constat doit être effectué àl'effet que cette société du savoir doit donner lieu à une société éducative, c'est-à-dire, une société répondant aux demandes diversifiées d'éducation de sa population. Ce faisant, elle doit mettre la production et la diffusion du savoir au service d'une maîtrise du savoir par les personnes.
Au niveau de la participation de la population adulte àdes activités d'éducation, le Québec affiche un bilan qui laisse perplexe. En fait, le Québec est dans une situation paradoxale. Alors que les niveaux de scolarisation de la population adulte soulèvent des inquiétudes justifiées et que les opportunités d'éducation se multiplient dans la vie des gens, la participation des adultes à des activités éducatives diminue d'année en année. La publication de la dernière enquête du gouvernement canadien sur la participation à l'éducation et à la formation des adultes indique que le taux de participation de la population québécoise a connu une baisse de 33 % entre 1991 et 1997.11 De 27,4 % qu'il était en 1991, ce taux de participation de la population adulte québécoise se situait à 20,6 % en 1997.12 En comparaison, toujours en 1997, le taux canadien de participation à l'éducation et à la formation des adultes si chiffrait à 27,7 %, tandis que celui de l'Ontario était de 30,8 %.13 Ces données montrent qu'au niveau canadien, le Québec accuse un retard de plus en plus inquiétant au sujet de la participation de sa population à l'éducation et à la formation.
Plus précisément, les inscriptions aux secteurs des adultes des commissions scolaires ont chuté de 10 % entre 1994 et 1998.14 Alors qu'en 1994, on comptait 144 934 inscriptions à la formation générale des adultes dans les commissions scolaires, on en comptait 130 920 en 1998. Plus inquiétant encore, pour la même période, la participation des adultes aux services d'alphabétisation a pour sa part diminué de plus de 53 %. De 20 109 qu'elles étaient en 1994, les inscriptions en 1998 se chiffraient à 10 566.15 Bien qu'en 1996, plus d'un million de Québécoises et de Québécois ne possèdent pas une scolarité équivalente à un secondaire trois, on comptait seulement 42 366 inscriptions aux services d'éducation du premier cycle du secondaire,16c'est 4 % des personnes qui montrent un tel besoin d'éducation. Dans la même optique, des 988 260 personnes adultes n'ayant pas complétéleur deuxième cycle du secondaire, à peine 41 078 étaient inscrites aux services d'éducation des adultes pour le deuxième cycle du secondaire.17 Ici aussi, c'est àpeine 4 % de cette population.
Or, ces chiffres d'ensemble sur la participation à l'éducation des adultes cachent une réalité sociale et éducative inquiétante. La faible participation à l'éducation des adultes ne touche pas de la même manière l'ensemble de la population adulte. En effet, certains segments de la population adulte montrent des taux de participation significatifs. Tandis que plus de 40 % des personnes détenant un diplôme universitaire participaient à des activités d'éducation, seulement 15,6 % des Québécoises et des Québécois ayant terminé uniquement des études secondaires participaient à des activités d'éducation. En comparaison, pour les personnes n'ayant qu'une scolarité de niveau secondaire partielle, ce taux chute à12,2 %.18
De la même manière, les jeunes adultes et ceux au mitan de leur vie participent beaucoup plus à l'éducation des adultes. Ainsi, les jeunes adultes de 25 à 34 ans participent à plus de 33 % à des activités d'éducation. De même, les adultes au mitan de leur vie active ( de 35 à 54 ans) participent selon des taux d'environ 23 %. Pour les tranches d'âge de 55 ans et plus, la participation à l'éducation des adultes chute dramatiquement. De 9,5 % qu'il est pour les personnes âgées de 55 à 64 ans, ce taux de participation frôle l'inexistence pour les personnes de 65 ans et plus qui participent à 3,7 % à des activités d'éducation.19
Définitivement, la participation à l'éducation des adultes révèle une démarcation sociale dramatique au plan de l'exercice effectif du droit à l'éducation. Les personnes plus scolarisées poursuivent leur éducation, contrairement aux personnes faiblement scolarisées. Il découle directement de cette situation des enjeux capitaux d'équité et de justice sociale qu'il nous faut relever comme société, au risque de renforcer pour de nombreuses années ce Québec éducatif coupé en deux et de faire de cette société du savoir un mirage masquant d'inacceptables exclusions éducatives.
Devant un contexte marqué par une demande croissante d'éducation et une diminution des taux de participation, le Québec ne se retrouve pas démuni. En effet, il peut compter sur une grande richesse d'acteurs en éducation des adultes et une expertise diversifiée nourrie par près de quatre décennies d'engagement. Mais pour tirer pleinement profit de tout le potentiel de ces ressources, il faudra nécessairement nous doter d'une vision commune des défis à surmonter et préciser le rôle de chacun dans les stratégies d'action à poursuivre.
Les services publics d'éducation constituent la pièce maîtresse de nos ressources éducatives. Créé lors de la réforme de l'éducation des années 60, le réseau public d'éducation des adultes traduit le fait que l'éducation des adultes soit une composante de la mission éducative de l'État québécois. Dans cette optique, elle constitue un bien public institué au plan législatif par la Loi sur l'instruction publique, la Loi sur les cégeps et la Loi sur les universités.
En plus de ce système public d'éducation, l'État québécois a développé, au cours de la décennie 90, un réseau de services publics d'emploi qui supporte un volet d'activités de formation liée à l'emploi et de soutien financier aux personnes en cheminement de formation. Par l'adoption de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre (1995), la Politique active du marchédu travail (1995) et, d'une certaine manière, de la Politique de soutien au développement local et régional (1997), l'action publique en matière de formation s'est dotée d'une solide base institutionnelle. Des obligations législatives en matière de formation de la main- d'œuvre, des sommes financières consacrées àcette mission et des lieux d'orientation et de consultation régionale constituent l'architecture de cette intervention de l'État dans la formation de la main-d'œuvre.
Par ailleurs, l'État dispose d'un ensemble de politiques ministérielles lui permettant de renforcer son action en matière d'éducation et de formation des adultes : la Politique québécoise de la science et de l'innovation, la Politique muséale, la Politique de la lecture et du livre, la Politique de l'inforoute et la récente Politique de reconnaissance de l'action communautaire. Chacune de ces politiques ministérielles traite ou bien de l'un des champs de l'éducation et de la formation des adultes ou bien encadre les actions de l'État à l'égard de certains des acteurs œuvrant au sein de l'éducation et de la formation des adultes.
Par ailleurs, l'une des récentes politiques ministérielles récemment adoptée a un impact des p!us contraignants sur l'ensemble de l'action gouvernementale. L'adoption au printemps 2000 de l'énoncé de politique sur la gestion gouvernementale intitulé Pour de meilleurs services aux citoyens a réformé les modes de fonctionnement de l'administration publique. En introduisant un mode de gestion dit par résultat, le nouveau cadre de travail de l'administration publique exige de l'ensemble des ministères des nouvelles responsabilités. Le plus important de ces changements porte sur l'obligation, faite aux ministères, d'adopter un plan stratégique. Selon la loi sur l'administration publique, ce pian stratégique doit exprimer l'analyse, faite par les ministères visés, du contexte et des enjeux auxquels ils sont confrontés. Plus important, les ministères doivent maintenant, dans le cadre de ce plan stratégique, exprimer les orientations stratégiques poursuivies, les objectifs ciblés et les axes d'intervention privilégiés. Enfin, ces nouvelles contraintes législatives obligent les ministères àindiquer les résultats qu'ils souhaitent atteindre et le moment qu'ils planifient y arriver.20
À ce sujet, la politique sur l'administration publique est consciente que l'identification d'objectifs stratégiques déborde du cadre des réalités administratives pour toucher à des questions d'ordre politique. Car, dit-elle, Bien que cette planification, dont le contenu est surtout d'ordre politique, dépasse le cadre de la gestion administrative proprement dit, elle en constitue néanmoins la toile de fond et est nécessaire pour replacer la gestion administrative dans son contexte global.21
Ce nouvel environnement législatif encadre désormais toutes les actions de l'État. Sous un certain angle, il institue un changement aux règles du jeu déterminant l'identification des orientations du gouvernement.
En plus de la présence active de l'État, la société civile compte sur un grand nombre d'organisations poursuivant une mission d'éducation et de formation des adultes. Les milieux de l'action communautaire autonome et de l'éducation populaire accomplissent une tâche éducative essentielle depuis qu'ils ont pris leur essor dans les années 60 et 70. Non seulement ils constituent des creusets d'expérimentation et d'innovation en matière d'accompagnement et de pédagogie, mais ces organismes s'avèrent être des lieux uniques d'apprentissage de l'autonomie personnelle et de la participation citoyenne. Pour ces raisons, ils enrichissent largement notre capacité d'action collective en éducation et en formation des adultes en liant le droit à l'éducation à l'exercice concret de la citoyenneté.
Dans le même esprit que les organismes œuvrant au sein des mouvements de faction communautaire autonome et de l'éducation populaire, les syndicats soutiennent aussi une mission éducative qui joue un rôle capital pour des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs. Chacune des organisations syndicales offre àses membres un éventail de formation qui leur permet de faire l'apprentissage d'une participation autonome aux décisions touchant leur milieu de travail, en plus de les outiller pour intervenir dans les débats de sociétéanimant le Québec. Mentionnons aussi que le mouvement syndical, du fait qu'il représente la presque totalité des professionnelles et des professionnels en éducation, occupe une fonction fondamentale dans l'évolution de l'éducation et de la formation des adultes.
Enfin, un nouvel acteur éducatif prend une place de plus en plus importante, à savoir, les entreprises. C'est maintenant un acquis que le milieu de l'emploi est aussi un lieu d'éducation et de formation pour un grand nombre d'adultes. Par ['adoption de la Loi favorisant le développement et la formation de la main-d'œuvre (1995), le gouvernement du Québec a résolument engagé les entreprises à prendre la place qui leur revient en matière de formation de leurs employées et employés.
Dans les années à venir, il nous faudra effectuer collectivement un pas de plus en prenant conscience qu'il n'en tient qu'à nous pour que l'ensemble des milieux de vie des personnes deviennent des lieux potentiels d'éducation et de formation. L'utilisation croissante des technologies de l'information et de la communication accélérera cet élargissement des lieux d'éducation en permettant à la population de poursuivre, à son gré, des activités d'éducation et de formation. Les institutions culturelles jouent aussi un rôle important en contribuant à démocratiser plus largement l'accès à la culture. De par la portée des populations rejointes, les médias doivent être interpellés en regard de leur mission d'éducation de la population.
Réseau public d'éducation, services publics d'emploi, multiples interventions éducatives de l'État, sociétécivile animée par des organismes œuvrant dans les milieux de l'action communautaire autonome et de l'éducation populaire, mouvement syndical, entreprises, milieux de vie, nouvelles technologies de l'information et des communications, institutions culturelles et médias tissent une vaste toile d'acteurs en éducation et en formation des adultes. Comme société, nous devons faire nôtre la mission de reconnaître et de soutenir cette diversité des lieux, des occasions d'apprendre qu'ils rendent possibles, ainsi que des moyens d'apprentissage qui leur sont propres dans le but de faire du Québec une société éducative répondant aux plus hauts espoirs de sa population. Mais pour espérer cheminer collectivement vers cet objectif, il nous faudra élaborer une vision large, rassembleuse et inclusive de l'ensemble des sphères de l'éducation et de la formation des adultes. C'est à cette condition que nous pourrons prétendre nous attaquer aux défis éducatifs de notre époque.
L'expression de sociétédu savoir évoque l'horizon et les espoirs d'un nouveau monde. S'appuyant sur la multiplication des connaissances et leur diffusion à l'échelle de la planète par l'entremise d'une toile informatique nous reliant les uns aux autres au-delà des frontières, du temps et des distances, cette sociétédu savoir révèle de plus en plus une face cachée. En élevant au rang de nécessité, la maîtrise par chaque personne d'un volume toujours plus grand de connaissances, la société du savoir suscite des situations d'exclusion et provoque des inégalités criantes.
Nous évoquions plus haut les données touchant au niveau de scolaritéexigé des emplois créés au Québec entre 1990 et 1999. Rappelons ces faits. C'est 80 % de ces emplois qui furent obtenus par des travailleuses et des travailleurs ayant une scolarité de niveau postsecondaire partielle ou complétée. En 1999, les personnes n'ayant que des études secondaires partielles connaissaient des taux de chômage de l'ordre de 14,8 %. En comparaison, celles qui possédaient un certificat ou un diplôme d'études postsecondaires montraient un taux de chômage de 7,2 %.22 Ainsi, il devient évident qu'une exigence de scolarité élevée pèse de plus en plus lourd sur l'accès à l'emploi. Dans ce contexte, la réalisation du droit au travail inscrit à l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme apparaît désormais dépendante de la réalisation du droit à l'éducation. Voilà l'un des effets de cette sociétédu savoir.
Dans les cas les plus graves, cette situation pousse de nombreuses personnes à vivre pendant de longues années dans des conditions d'exclusion. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter les données touchant aux personnes comptant sur la sécurité du revenu pour vivre. Une grande majorité de celles-ci ne possède pas une scolarité de niveau secondaire cinq. En effet, les données les plus récentes du ministère de l'Emploi et de la Solidaritésociale indiquent qu'en avril 2001 94 % des personnes bénéficiant de la sécurité du revenus avaient une scolarité inférieure à un secondaire cinq.23 Plus révélateur du poids occupépar une scolarité de base, c'est plus de 68 % des bénéficiaires comptant plus de deux années consécutives sur la sécurité du revenu qui ne possédaient pas un diplôme de secondaire cinq.24
Évidemment, cet état de fait a des répercussions sur la richesse économique, sociale et culturelle des personnes. Une étude du ministère de l'Éducation chiffre à plus de 800 000 $. La différence de revenus sur l'ensemble d'une vie active entre une personne ne détenant qu'un diplôme de secondaire cinq et une personne possédant des études universitaires avec baccalauréat.25
Dans une réelle société du savoir, l'actualisation du droit à l'éducation devient une condition de nombreux autres droits, comme le droit au travail ou le droit à des conditions de vie décente. Dans le Québec d'aujourd'hui, comme dans celui de l'avant Révolution Tranquille, des milliers de personnes vivent des situations d'exclusion sur la base des connaissances qu'elles maîtrisent ou qu'elles ne maîtrisent pas. Il est urgent de renverser cette tendance. Pour ce faire, une réelle société du savoir doit aussi être une société éducative tournée vers les diverses réponses aux besoins grandissants d'éducation de la population.
Nous avons limité notre présentation à cinq constats qui nous semblaient les plus déterminants de la situation actuelle de l'éducation et de la formation des adultes et les plus porteurs des défis éducatifs à relever. Les recommandations que nous suggérerons plus loin répondront directement à ces constats. De ces constats, nous tirons une conclusion générale : les choses doivent changer. Conséquemment, le statu quo n'est pas une option en regard de l'éducation et de la formation des adultes. C'est pourquoi nous appelons à une réforme en profondeur de l'éducation et de la formation des adultes pour que dans l'avenir le droit à l'éducation soit véritablement un instrument de justice sociale. Dans un contexte de société éducative, c'est pour nous une question de lutte à l'exclusion.
La réalitéparie d'elle-même. Le faible niveau de scolarité d'un grand nombre de Québécoises et de Québécois ajouté à la multiplication des occasions d'apprendre dans chaque dimension de leur vie révèlent une demande potentielle d'éducation importante de la part de la population adulte. Une demande importante d'éducation qui ne trouve pas de réponse, selon les chiffres touchant au taux de participation de la population adulte aux activités d'éducation et de formation des adultes. Ce qui s'explique ma! étant donnée la diversité des ressources éducatives disponibles au Québec. Il résulte de cette situation qu'un nombre inacceptable de Québécoises et de Québécois peu scolarisés vivent dans des conditions d'exclusion et ce, 40 ans après la Révolution Tranquille. Un défi se profile au travers ces constats : faire en sorte que les Québécoises et les Québécois expriment davantage leurs besoins d'éducation et, pour mieux répondre à ces besoins, mobiliser l'ensemble des acteurs en éducation et en formation des adultes.
Des défis éducatifs fondamentaux nous interpellent en matière d'éducation et de formation des adultes. Face à des besoins de scolarisation significatifs qu'il nous faut combler et aux nombreuses opportunités d'éducation auxquelles il nous faut répondre, il importe de favoriser l'expression d'une demande d'éducation et de formation de la part de la population adulte et de répondre le plus adéquatement possible à celle-ci. À cette fin, nous devrons mobiliser l'ensemble des acteurs en éducation et en formation des adultes. Mais pour ce faire, il faudra nous doter d'une vision commune large et inclusive à partir de laquelle nous pourrons orienter les actions à accomplir. Notre capacité à prendre de front ces défis touchant à l'expression d'une demande éducative et la mobilisation autour d'une vision commune nous permettront de faire face à ces enjeux d'inclusion et de justice sociale qui sont de plus en plus liés à l'exercice effectif du droit à l'éducation pour une large part de la population adulte québécoise.
Depuis la publication de la proposition gouvernementale de Projet de politique d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue, plusieurs organismes ont jugéréductrice la vision de l'éducation et de la formation des adultes défendue par le gouvernement. Nous avons tiréles mêmes conclusions de notre analyse du Projet de politique. Dans cette deuxième partie, nous exposerons les grandes lignes de notre évaluation de la proposition gouvernementale dans le but de mettre en lumière les raisons qui nous amènent àconclure àce caractère réducteur de la vision du gouvernement.
Depuis de nombreuses années, un large mouvement au sein du monde de l'éducation et de la formation des adultes a relancé les gouvernements du Québec qui se sont succédés pour que soit adoptée une politique d'éducation et de formation des adultes. Au lendemain du dépôt, en 1982, du rapport de la Commission d'étude sur la formation des adultes (la Commission Jean), le milieu de l'éducation et de la formation des adultes avait fondé de grands espoirs sur les décisions que prendrait le gouvernement de l'époque. La vision de l'éducation et de la formation des adultes proposée par les commissaires siégeant à la commission correspondaient, dans une large mesure, à leurs idéaux.
Les attentes avaient alors été déçues, puisque le gouvernement réduisit à un énoncé d'orientation ce que tous souhaitaient être une politique. Plus particulièrement, beaucoup jugèrent éminemment réductrice la vision de l'éducation et de la formation des adultes proposée par le gouvernement. Depuis ce temps, de nombreux intervenants et intervenantes du monde de l'éducation et de la formation des adultes ont repris le bâton du pèlerin et ont saisi toutes les occasions possibles pour faire valoir au gouvernement l'importance de donner au Québec une politique d'éducation et de formation des adultes.
Pour plusieurs, l'annonce de la tenue des États généraux sur l'éducation est apparue comme une opportunité privilégiée de finalement prendre conscience de l'ampleur des besoins et de réaliser qu'il fallait une solution globale de l'ordre d'une politique gouvernementale. Il s'en fallut de peu que l'éducation des adultes ne sorte grande perdante des États généraux. Sauf que les efforts de sensibilisation et les interventions du milieu ont porté fruit, comme le montre la recommandation touchant à l'adoption d'une politique d'éducation des adultes. Lorsque la ministre de l'Éducation de l'époque, Mme Pauline Marois, a annoncé que la réponse du gouvernement aux États généraux prendrait la forme d'une réforme de l'éducation qui inclurait l'engagement d'adopter une politique d'éducation des adultes, un rendez-vous longtemps attendu se présentait à l'horizon.
Au printemps 1998, le gouvernement amorçait formellement une démarche de consultation devant le mener à l'adoption d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Présidé par M. Paul Inchauspé, ce processus s'est terminé à l'automne 2000 par le dépôt des recommandations de M. Inchauspéqui donna à ces dernières la forme d'une proposition de politique. En mai dernier, le gouvernement rendit public sa réponse aux propositions de M. Inchauspé et, par le fait même, aux 59 organismes qui lui avaient présenté un mémoire au printemps 1999. Ainsi, c'est avec énormément d'expectative que le milieu de l'éducation et de la formation des adultes attendait de prendre connaissance des décisions à venir du gouvernement du Québec.
Malheureusement, pour une large part, les espoirs auront été déçus de nouveau. Car le Projet de politique proposé par le gouvernement ne rencontre pas, sur plusieurs points, les aspirations de changement souhaité par de nombreux organismes, dont l'ICÉA. Pourtant, le gouvernement bénéficiait d'un riche éventail de réflexions. En premier lieu, il pouvait compter sur les éléments de consensus dégagés par M Paul Inchauspédans son rapport final, résumant les points de vue exprimés par des dizaines d'organismes lors des audiences d'avril 1999.26 26En deuxième lieu, il avait aussi en sa possession les recommandations que M. Inchauspé lui avait fait parvenir au terme de son mandat.27
Or, d'une manière générale, le Projet de politique soumis à la consultation par le gouvernement du Québec s'avère bien loin du compte. Car, non seulement il n'offre pas une vision d'ensemble clairement exposée des défis et des enjeux jugés prioritaires, mais plus inquiétant, il propose une vision extrêmement limitée de l'éducation et de la formation des adultes. Enfin, il conclut que !a situation actuelle de l'éducation et de la formation des adultes au Québec ne demande que des ajustements.
Pour bien comprendre les propositions du gouvernement, il faut se tourner du côté des réalités qui justifient, selon lui, l'adoption d'une politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. Principalement, on retrouve ces éléments de justification dans la première section du Projet de politique où le gouvernement explique le « choix crucial » qu'est, pour le Québec, l'adoption d'une politique gouvernementale de l'éducation des adultes.28 En résumé, pour le gouvernement, le Québec doit se doter d'une politique d'éducation et de formation des adultes pour être en mesure d'« assurer sa croissance économique » en comptant « sur le maintien et le rehaussement des compétences de sa population active », selon l'expression même des deux ministres responsables du Projet de politique.29
Au niveau des constats généraux, le gouvernement réalise bien que l'accès au savoir constitue de nos jours « une des conditions de développement culturel, social et économique »30. Dans cet esprit, il conçoit que le «rehaussement des compétences des individus » est essentiel à la lutte «contre la pauvreté et l'exclusion sociale ».31 Dans son analyse, il ne va pas aussi loin que M. Inchauspé qui, dans sa proposition de politique, avait mis en évidence plusieurs des aspects touchant ce rôle de plus en plus central du savoir dans la vie des individus.32 Il faisait ainsi écho aux mémoires soumis lors des audiences de 1999.33 Sur un autre plan, le gouvernement se préoccupe des conséquences économiques de l'évolution démographique du Québec. À ce sujet, il estime que « le vieillissement de la population active du Québec jumelé a la baisse du taux de natalité rend plus difficile le renouvellement de la main-d'œuvre ».34
En ce qui a trait plus particulièrement à la situation de l'éducation et de la formation des adultes, le gouvernement retient, àl'instar de la proposition de M. Inchauspé, deux grandes idées des États généraux, àsavoir, « la nécessité de la formation continue » et, à son sujet, le besoin de « développer une vision commune »35 . Il reconnaît que la « diversification des milieux éducatifs » offre à la population adulte de nombreuses possibilités « de compléter ou de poursuivre sa formation ».36 Dans cette optique, il souligne divers volets de son intervention en éducation et en formation des adultes, par exemple :
la mise en place de politiques culturelles, celle de la lecture et du livre, celle qui a pour objet la démocratisation de l'accès aux technologies de l'information et de la communication, de même que les interventions plus sectorielles en santé, en agriculture et dans les domaines du commerce, de l'industrie, de la sécurité publique, etc.37
Dans le premier document soumis en 1998 pour consultation38, le gouvernement traçait un portrait plus large des constats qu'il posait en matière d'éducation et de formation des adultes, même si, aux yeux de M. Inchauspé, cette «esquisse » était « très sommaire » et « partielle ».39 Il parlait plus en détail, à cette époque, des divers « lieux de la formation continue », des « effectifs rejoints » et des « investissements consentis ».40 Il poussait même l'analyse de la situation en exposant sa lecture de I' « évolution marquée » de l'éducation et de la formation des adultes.41 Chose surprenante, la ministre de l'Éducation de l'époque constatait que l'Énoncé d'orientation et plan d'action en éducation des adultes de 1984 « accordait la prioritéaux formations qualifiantes », « ce qui laissait peu de place à des programmes de formation répondant aux besoins de développement personnel, social et collectif ».42 Le Projet de politique de M. Inchauspéenrichit davantage ce «panorama de l'éducation des adultes » en relatant les grandes étapes de l'histoire de l'éducation des adultes pour en tirer certains constats de base.43 Plus spécifiquement, M. Inchauspé réitérait, quoique d'une manière plus directe, le constat fait par Mme Marois à l'effet que « l'éducation des adultes est de plus en plus définie comme une formation pour l'emploi au détriment d'une vision éducative plus globale».44
Ayant grandement restreint ses constats (importance du savoir, évolution démographique, diversité des acteurs), en comparaison avec son analyse de 1998 ou des travaux de M. Inchauspé, le gouvernement ne retient que quelques défis qu'il juge primordiaux pour l'éducation et la formation des adultes. D'une manière générale, les réalités découlant de la sociétédu savoir, des changements en cours, des transformations de l'économie et de la complexification de la vie sociale font en sorte que «l'adoption d'une politique gouvernementale de l'éducation des adultes revêt un caractère stratégique ».45 Aux yeux du gouvernement, le défi central de cette politique réside dans la capacité des Québécoises et des Québécois de « s'adapter à ces réalités » en recherchant une «formation de base suffisante et la mise à jour de leurs compétences ».46 Afin de relever ce défi « d'adaptation », le gouvernement juge qu'il faut «favoriser l'expression de la demande »47, « faire émerger une demande de formation continue »48 en adaptant « l'offre de services de formation ou de soutien à la formation aux divers contextes dans lesquels évoluent les adultes ».49 Plus concrètement, pour relever ce défi, le gouvernement estime que « tout n'est pas à refaire, loin de là»50. Ainsi, II s'agit plutôt de construire à partir de ce qui est déjà en place, de consolider certains dispositifs ou, encore, d'en réorienter d'autres ou de leur donner un nouveau souffle.51
Une stratégie se dégage de ces diverses affirmations du gouvernement justifiant l'adoption d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Ainsi, pour le gouvernement, devant l'enjeu d'une croissance économique à assurer, dans un contexte de démographie déclinante, il nous faudrait faire émerger une demande de formation continue de la part de la population active en consolidant et en réorientant les ressources éducatives en place afin de les adapter aux contextes de vie des adultes. Cette stratégie, toujours selon ce que l'on peut lire dans le Projet de politique, n'implique pas que tout soit àrefaire, « loin de là ». Il suffirait pour l'essentiel d'apporter des ajustements à ce qui existe déjà. Cet objectif de « renouvellement de la main-d'œuvre » répond précisément au constat posé au sujet du rôle stratégique joué par une politique de l'éducation des adultes dans un contexte de société du savoir et de mondialisation : assurer « que le Québec puisse améliorer sa position actuelle et demeurer à l'avant-scène des pays industrialisés».52
En définitive, cette vision des enjeux devant guider le développement à venir de l'éducation et de la formation des adultes est essentiellement de nature économique. Bien que les ministres reconnaissent que des connaissances de plus en plus diversifiées « sont désormais indispensables à la participation active des citoyens et des citoyennes à la vie sociale et économique du Québec »53, il n'en demeure pas moins que les quelques constats qu'ils proposent, et surtout l'enjeu principal qu'ils défendent, lient quasi exclusivement l'éducation et la formation des adultes à la croissance économique du Québec.
Les ministres signataires du Projet de politique sont clairs à ce sujet : « le Québec doit compter sur le maintien et le rehaussement des compétences de sa population active », puisque que le contexte démographique ne permettra pas « le renouvellement de la main-d'œuvre ».54 Et, au regard des stratégies à mettre en place, le gouvernement estime qu'il ne faut qu'apporter des ajustements, ce qui revient à proposer un statu quo. Un statu quo qui ne porte pas uniquement sur l'absence de perspectives de changements significatifs, mais qui constitue aussi une continuitéavec une vision de l'éducation et de la formation des adultes réduite avant tout à l'adaptation de la main-d'œuvre. M. Inchauspé le constatait en conclusion d'un survol de l'évolution récente de l'éducation et de la formation des adultes :
Les problèmes posés par l'emploi et les dispositions prises pour y répondre ont, au cours des dernières années, marqué profondément le champ de l'éducation des adultes et transformé son paysage.55
Au point où « l'éducation des adultes est de plus en plus définie comme une formation pour l'emploi au détriment d'une vision éducative plus globale ».56
Ce statu quo s'explique peut-être en fonction des constats partiels mis de l'avant par le gouvernement, mais il s'avère injustifié à la lumière des diverses réalités que nous avons exposées dans la première partie de ce mémoire. Le défi éducatif posé par les faibles niveaux de scolarité et les taux élevés d'analphabétisme, la multiplication des occasions d'apprendre au sein de la vie des personnes, les baisses des taux de participation à l'éducation, l'absence d'une vision commune et rassembleuse mobilisant la diversité des acteurs nous convainquent amplement que la situation présente doit changer. D'un certain point de vue, certains constats effectués par le gouvernement nous permettaient d'aborder ces défis. Cependant, au bout du compte, les enjeux de la croissance économique l'ont emporté et le gouvernement semblent être décidé à s'attaquer uniquement au problème posépar une population active qui déclinera au cours des prochaines années.
Essentiellement centré sur des considérations économiques axées sur le renouvellement des compétences de la main-d'œuvre, le Projet de politique limite sa vision des enjeux aux exigences de la croissance économique du Québec. Son objectif est d'adapter les services existants aux réalités de la population pour que celle-ci se forme davantage. Dans cet esprit, le gouvernement fait le constat que les défis devant nous, en matière d'éducation et de formation des adultes, se résument à la consolidation ou à la réorientation des services et des ressources au profit d'une réponse aux besoins de formation soulevés par les transformations de la société du savoir. Pour l'ICÉA, du fait que le diagnostic du gouvernement est incomplet, que les enjeux mis de l'avant sont limités et que les choix éducatifs sont partiels, le statu quo proposé est injustifié.
Le fait que !a proposition du gouvernement soit justifiée principalement par le besoin d'adopter une stratégie économique de renouvellement des qualifications de la main-d'œuvre a nécessairement un effet direct sur la vision de l'éducation et de la formation des adultes proposée. Le caractère limité du diagnostic offrait déjà une base restreinte àcette vision. De même que des enjeux centrés sur la seule croissance économique ne peuvent que restreindre une telle vision. Enfin, les défis focalisant sur l'adaptation des personnes aux réalités changeantes et sur une plus grande demande de formation continue de leur part circonscrivent définitivement une manière de concevoir l'éducation et la formation des adultes. Ainsi, sur la base des constats, des défis et des enjeux qu'il propose, le gouvernement dévoile malheureusement une vision limitée. C'est dans l'idée même qu'il se fait des orientations à poursuivre que le gouvernement aboutit à proposer surtout une vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes.
Ainsi, d'une manière globale, l'éducation et la formation des adultes « revêt un caractère stratégique pour le Québec ».57Cette dimension stratégique se traduit dans un projet qui, selon la volonté du gouvernement, consiste à « développer une vision commune »dans le but d'établir les bases de nouvelles formes de partenariats, de nouvelles alliances entre tous les acteurs, qu'ils viennent des milieux éducatifs, économiques, culturels ou communautaires.58
La finalité de ce projet réside dans « l'enracinement d'une véritable culture de formation continue ».59
À un niveau moins général, le gouvernement trace, au moyen de quatre principes, les balises devant encadrer les actions qui concrétiseront ce projet pour l'éducation et la formation des adultes. Il reprend les principes formulés par M. Inchauspé qui avait proposé une synthèse en quatre principes des diverses propositions défendues par les mémoires lors des audiences de 1999. L'affirmation, dans le premier principe, que l'accès au savoir contribue au développement du potentiel des personnes introduit le rôle fondamental du savoir au sein de ta vie des personnes. L'insistance faite dans le deuxième principe, à l'effet que le droit à l'éducation implique l'existence des conditions d'application de ce droit, exprime l'exigence centrale devant orienter les actions concrétisant une politique d'éducation et de formation des adultes. La reconnaissance, dans le troisième principe, de la responsabilité première de l'État en éducation et en formation des adultes, et, dans le quatrième principe, des responsabilités de la société civile, instituent les deux acteurs de base de l'éducation et de la formation des adultes. En regard de ces deux principes, le Projet de politique soulève certaines précisions quant au rôle respectif de ces deux acteurs. D'un côté, l'État se voit assignée la responsabilité centrale en matière d'éducation et de formation des adultes. Il est précisé, au sujet de cette responsabilité de l'État, qu'elle doit miser « sur fa concertation et le partenariat ».60De son côté, la sociétécivile est approchée en fonction de son rôle dans la « mise en oeuvre de l'éducation des adultes ».61 Ainsi, l'État, dans la réalisation de sa responsabilité centrale, doit donc se concerter avec la société civile en recherchant avec elle un partenariat dans la mise en œuvre de l'éducation et de la formation des adultes.
En résumé, l'énoncé de principes proposé par le gouvernement pourrait offrir un cadre selon lequel l'État et la sociétécivile, au nom du développement du potentiel des personnes, seraient responsables de créer des conditions d'application du droit à l'éducation. Quoique, à cette fin, le sens du partenariat espéré tend àrestreindre la participation de la sociétécivile à la «mise en oeuvre » de l'éducation et de la formation des adultes.
Jusque là, la conception que se fait le gouvernement de l'éducation et de la formation des adultes peut donner lieu à diverses possibilités. Les perspectives larges envisageables dans les principes énoncés permettent de concevoir, au nom du droit à l'éducation, une vision mobilisant l'ensemble de la société dans le but de favoriser le développement du potentiel des personnes en leur garantissant l'accès au savoir. L'appel à « l'enracinement d'une culture de la formation continue » peut apparaître comme une ligne directrice guidant le travail de l'ensemble des intervenantes et des intervenants dans leur sphère d'action spécifique. Autrement dit, cette culture de la formation continue pourrait constituer le cadre pour cette vision commune dont l'élaboration constitue le premier défi du Projet de politique.
Ceci dit, plusieurs des éléments justifiant pour le gouvernement, la nécessité d'une Politique de l'éducation des adultes, nous permettent de saisir plus concrètement la manière dont le gouvernement entend appliquer cet énoncé de principes et, du même coup, préciser sa vision de l'éducation et de la formation des adultes. En premier lieu, l'analyse selon laquelle les personnes doivent « s'adapter à ces réalités » résultant de la « société du savoir » et des «changements actuels » détonne en regard du potentiel d'affirmation des personnes implicite dans les deux premiers principes. En effet, ces principes faisaient, de l'application du droit à l'éducation, une condition de réalisation du potentiel des personnes par l'accès au savoir. Il y a là, de toute évidence, une approche dépassant largement une seule perspective d'adaptation. En deuxième lieu, le principal défi tiré de cet appel à l'adaptation réside dans l'accroissement de la « demande de formation continue ». D'une certaine manière, l'objectif d'adaptation trouve un appui dans cette exhortation à susciter une demande d'éducation et de formation qui prend, sous cet angle, une tournure bien précise en lien avec la prioritéaccordée àl'adaptation à un monde en transformation. En troisième lieu, un second défi portant sur la nécessité d'ajuster l'offre de services aux conditions de vie des adultes constitue un autre type d'appel àl'adaptation. Cette fois, ce sont les intervenantes et les intervenants responsables de répondre aux demandes de formation provenant des adultes qui sont interpellés. Ici, les troisième et quatrième principes portant sur les principaux acteurs de l'éducation et de la formation des adultes trouvent une clé de lecture de la volonté du gouvernement. Enfin, en quatrième lieu, la préoccupation gouvernementale au sujet du renouvellement des compétences de la main-d'œuvre dans un contexte démographique de vieillissement de la population active révèle, dans toute sa cohérence, l'orientation effectivement principale du Projet de politique.
En substance, dans un souci de renouvellement des qualifications de la main-d'œuvre active, le gouvernement juge que le défi central confrontant l'éducation et la formation des adultes consiste àinciter la population active à rechercher les formations lui permettant de s'adapter aux réalités changeantes. Et, à cet effet, les intervenantes et les intervenants en éducation et en formation des adultes se votent incomber la responsabilitéd'adapter leur offre de formation à la disponibilité des individus.
Bien que les grandes lignes des principes mis de l'avant favorisaient un éventail de possibilités d'action en matière d'éducation et de formation des adultes, le gouvernement restreint ces dernières en proposant uniquement une stratégie d'adaptation des personnes aux changements en cours dans le but d'assurer la croissance économique du Québec. À cet égard, les quatre orientations indiquant les voies d'action privilégiées par le gouvernement confirment cette volonté. Ayant cheminé de principes larges àune problématique unique d'adaptation de la main-d'œuvre, la proposition gouvernementale conclut par des avenues d'action offrant une réponse ciblée : amener les travailleuses et les travailleurs à se former davantage.
C'est autour de la première orientation que s'organise la réponse du gouvernement au problème qui le préoccupe, c'est-à-dire, l'adaptation d'une main-d'œuvre vieillissante afin d'assurer la croissance économique du Québec. Constituant un appel au maintien et au rehaussement du niveau de compétences des adultes, cette première orientation veut répondre au défi d'ancrer une culture de la formation continue.62 De plusieurs manières, cette première orientation apparaît comme la clé de voûte de la vision gouvernementale de l'éducation et de la formation des adultes. D'abord, portant sur la formation en lien avec l'emploi, les préoccupations exprimées se consacrent uniquement aux personnes occupant un emploi. Ensuite, des catégories particulières de personnes en emploi sont ciblées, plus spécifiquement, les personnes qui ne sont pas incluses dans la Loi favorisant le développement de la formation de la main- d'œuvre, c'est-à-dire, les personnes travaillant dans une entreprise dont la masse salariale ne dépasse pas 250 000 $. De plus, les employeurs et le réseau public d'éducation sont invités à mieux répondre aux besoins de formation des personnes en emploi. Enfin, l'expression de «culture de la formation continue » se trouve ici implicitement définie en référence au champ de la formation liée à l'emploi à l'intention des personnes en emploi.
Cette première orientation manifeste sans ambiguïté le sens concret, pour le gouvernement, d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Devant l'enjeu d'assurer une croissance économique face à une population active vieillissante, ce «choix crucial» pour le Québec consiste à susciter chez les personnes présentement en emploi, surtout celles qui ne bénéficient pas de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre, une plus grande demande de formation. Dans cette optique, ce « défi d'ancrer une culture de la formation continue » devient avant tout un appel lancé aux personnes en emploi de se former davantage pour s'adapter aux transformations provoquées par la sociétédu savoir et la mondialisation.
Les trois autres orientations ne détournent pas ce projet de ses visées. La deuxième orientation portant sur l'acquisition d'une formation dite de base, du fait qu'elle se limite à l'atteinte d'une scolarité de niveau secondaire trois, constitue une étape préliminaire à ce que le gouvernement appelle « la poursuite d'une formation qualifiante »63, mais qu'il ne détaille pas. La troisième orientation traitant de la question de la reconnaissance des acquis et des compétences relance les travaux à ce sujet en précisant certaines balises. Parmi celles-ci, notons la priorité faite aux personnes immigrantes et aux personnes en emploi se regroupant pour suivre des formations auprès de formateurs privés.64 Dans le cadre de la vision que se fait le gouvernement de l'éducation et de la formation des adultes, l'urgence accordée à la reconnaissance des acquis et des compétences des personnes immigrantes répond à ses préoccupations de renouvellement de la population active. Puisque la faiblesse du taux de natalité et le vieillissement de la population du Québec ne lui permettent pas de renouveler cette population active sur sa propre base,65il nous faudra compter en partie sur l'immigration pour ce faire. En outre, cette autre priorité accordée aux formations obtenues par des personnes se regroupant recoupe l'accent mis par le gouvernement sur « l'émergence d'une demande de formation continue » de la part des personnes en emploi ne pouvant bénéficier de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre.
De son côté, la quatrième et dernière orientation regroupe une diversité d'éléments devant mettre en œuvre la politique au nom de l'accessibilité et de la persévérance. Cette dernière orientation détonne par rapport à la logique, jusqu'à ce point très cohérente, du Projet de politique de l'éducation des adultes. Dans les problématiques soulevées, on n'y retrouve pas la préoccupation centrale pour la formation de la main-d'œuvre. Sauf peut-être pour un élément qui jette un éclairage inquiétant sur la manière dont le gouvernement envisage réaliser la future politique. En effet, dans cette orientation, le gouvernement aborde la question du financement. Au sujet de celle-ci, il estime que les personnes devront contribuer au financement de leur éducation. Il n'exprime pas les formes que prendront cette contribution financière. Du moment que les études du niveau de la formation de base sont assurées de gratuité, nous devons donc croire que, dans le cadre du Projet de politique, le gouvernement parle des travailleuses et des travailleurs lorsqu'il fait part de son intention de faire participer les adultes au coût de leur formation.
La lecture des constats effectués par le gouvernement, des enjeux qu'il en a tirés et des défis qu'il juge devoir rencontrer, débouche sur une proposition de statu quo. Cette vision est principalement centrée sur les enjeux économiques en lien avec l'évolution de la population active du Québec. À l'analyse des éléments précisant le projet que le gouvernement propose pour l'éducation et la formation des adultes, on trouve la confirmation d'une vision très parcellaire de l'éducation et de la formation des adultes.
En réponse aux constats posés en regard des problèmes touchant au renouvellement de la population active du Québec, le gouvernement défend un projet pour l'éducation et la formation des adultes limitéau défi d'inciter les personnes en emploi àse former davantage. L'enjeu pour le Québec est d'assurer sa croissance économique en amenant sa population active às'adapter aux transformations de la société du savoir et de la mondialisation. Àcet effet, le défi «d'ancrer une culture de la formation continue »se résume dans une stratégie 'accroissement de la demande de formation de la part des personnes en emploi dans une perspective d'adaptation de la main-d'œuvre. S'appuyant sur des principes permettant une vision large de l'éducation et de la formation des adultes, le gouvernement effectue un premier resserrement de sa vision en abordant essentiellement la problématique de l'adaptation de la main-d'œuvre. En bout de piste, il réduit davantage sa vision de l'éducation et de la formation des adultes en se préoccupant principalement des seules personnes en emploi. C'est pourquoi nous considérons que le gouvernement propose une vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes.
L'analyse de la proposition du gouvernement montre que les constats limités justifiant pour lui l'adoption d'une politique sont en grande partie responsables de sa vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes. Pourtant, le développement articulé des quatre principes proposés par le gouvernement aurait dû permettre l'ouverture vers une vision large de l'éducation et de la formation des adultes. Ainsi, il ne faut pas se surprendre si les quatre orientations constituant le Projet de politique apparaissent incomplètes.
Le cœur du Projet de politique se situe au niveau de la première orientation portant sur la formation en lien avec l'emploi. Dans cette orientation, le gouvernement précise davantage sa réponse aux enjeux de la croissance économique soulevés par « le vieillissement de la population » et « la baisse du taux de natalité ».66 Nous avons mis en évidence plus haut67 que, pour le gouvernement, le défi d'une politique d'éducation et de formation des adultes se résume à favoriser la capacité des personnes à s'adapter aux changements en recherchant une « formation de base suffisante et la mise à jour de leurs compétences »68 . C'est pourquoi, en toute logique, le gouvernement juge que la priorité en matière de formation de la main-d'œuvre réside dans « l'actualisation et l'amélioration des compétences » des travailleuses et des travailleurs.69Car, pour lui, la mise àjour des compétences «jouent un rôle majeur dans l'adaptation aux changements ».70
Cet objectif stratégique d'adaptation de la main-d'œuvre par la mise à jour des compétences trouve déjà dans la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre un instrument important pour un grand nombre de travailleuses et de travailleurs. À ce sujet, le gouvernement estime suffisant de faire la promotion des mécanismes inclus dans cette loi. Or, en visant les employeurs dont la masse salariale annuelle dépasse 250 000 $, la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre laisse de côté de larges pans de l'économie où se trouvent plus particulièrement la petite entreprise, une partie importante de la main-d'œuvre agricole, le travail autonome, de nombreuses formes d'emplois atypiques, etc.71
Conséquemment, le gouvernement entend compléter ses efforts de formation de la main- d'œuvre en portant son attention sur les besoins de formation qui ne trouve pas réponse dans cette Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre. À cette fin, il souhaite accroître la participation de ces personnes à des activités de formation. Pour ce faire, il entend soutenir l'aide à la formation, répondre aux besoins de formation des petites entreprises et des travailleurs autonomes et favoriser la formation à temps partiel.72 Par ailleurs, il soutiendra les petites entreprises dont la masse salariale se chiffre à moins de 250 000 $ en leur accordant une aide financière pour la réalisation de leurs besoins de formation. De plus, il fera en sorte que les services aux entreprises des services publics d'emploi et des établissements d'enseignement répondent à leurs besoins.73
De toute évidence, pour le gouvernement, les personnes en emploi doivent être le point de mire d'une action touchant à la formation liée à l'emploi et, en premier lieu, les travailleuses et les travailleurs qui ne bénéficient pas des formations offertes sous l'égide de la Loi favorisant le développement de la main-d'œuvre. Il semble que la priorité du gouvernement sur ces questions réside dans une volonté d'ouvrir un nouveau chantier àl'intention de ces personnes dont l'employeur n'est pas assujetti à investir 1 % de sa masse salariale dans des activités de formation. Étant donné que le Projet de politique ne propose rien de très concret pour les personnes dont l'employeur a l'obligation d'investir dans la formation de ses employées et de ses employés, il faut croire que le gouvernement identifie, dans ces travailleuses et ces travailleurs ne bénéficiant pas de cet investissement de formation, une population qui fera l'objet de ses préoccupations.
Enfin, bien que le gouvernement ne propose rien de nouveau touchant directement aux travailleuses et aux travailleurs visés par la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre, il identifie par contre certaines mesures àl'intention des entreprises y étant soumises. À leur sujet, le gouvernement annonce qu'il travaillera sur plusieurs plans. D'abord, il révisera les procédures administratives de la Loi dans le but de les alléger. Ensuite, à l'égard des besoins de formation de la main-d'œuvre des entreprises, il soutiendra l'identification de ceux-ci et les activités de formation devant répondre à ces besoins. Enfin, il incitera les établissements d'enseignement et les services publics d'emploi à mieux répondre aux besoins de formation des entreprises par le biais de leurs services aux entreprises.
Par cette première orientation portant sur la formation de la main-d'œuvre, le gouvernement annonce la principale avenue d'action privilégiée dans la réalisation de sa stratégie d'adaptation aux changements auxquels nous sommes confrontés. Ainsi, à ses yeux, dans le contexte démographique actuel, nous assurerons la croissance économique du Québec en élargissant à l'ensemble des travailleuses et des travailleurs l'incitation à mettre àjour leurs compétences. Dans cette optique, l'objectif « d'ancrer une culture de la formation continue » consiste d'abord à consolider les actions existantes en matière de formation de la main-d'œuvre et, ensuite, à les compléter en y intégrant les travailleuses et les travailleurs et les petites entreprises non assujettis aux obligations légales de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre. Dans cet élargissement à l'ensemble des personnes en emploi d'une préoccupation gouvernementale pour la formation en milieu de travail, le Projet de politique d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue trouve le but premier qu'il semble poursuivre.
La réflexion gouvernementale en regard de la formation de la main-d'œuvre s'est considérablement précisée depuis le lancement du processus d'adoption d'une politique d'éducation et de formation continue. En 1998, la ministre de l'Éducation du temps, Mme Pauline Marois, constatait que le Québec, « pour rester dans la course », devra s'appuyer « sur la mise à jour des compétences de la population active actuelle ». Car, expliquait-elle, Étant donné la situation démographique du Québec, la majorité de la main-d'œuvre pour les premières années du nouveau millénaire est déjà sur le marché du travail. 74
Toutefois, les mesures proposées à cette époque ne répondaient pas explicitement àcette question. Soulignant les imprécisions de ce premier document sur ce sujet75, M. Inchauspé proposait de consolider la formation dans le secteur de l'emploi en développant une culture de la formation continue dans les entreprises. D'une manière générale, M. Inchauspé proposait de poursuivre les efforts entrepris ces dernières années dans la foulée de l'adoption de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre. Or, dans son Projet de politique, le gouvernement a repris l'esprit des propositions de M. Inchauspé, mais, il a développé davantage ces questions en lien avec les réflexions faites en 1998 sur les conséquences de la situation démographique du Québec.
Pour notre part, cette première orientation s'avère incomplète pour deux raisons principales. Premièrement, dans toutes ces réflexions sur la formation de la main-d'œuvre, un silence nous étonne : nulle part ne parle-t-on des personnes qui ne sont pas en emploi et qui se forment dans le but d'obtenir un emploi. Nous avons constaté, dans une première section, que 80 % des emplois créés au Québec entre 1990 et 1999 avaient étéobtenus par des travailleuses et des travailleurs détenant une scolarité de niveau postsecondaire partielle ou complétée76. De plus, nous avons aussi souligné que plus de 68 % des personnes ayant été plus de deux ans consécutivement sur la sécurité du revenu ne possédaient pas un diplôme de secondaire cinq77, Alors, nous nous demandons pour quelles raisons les services publics d'emploi sous la responsabilité du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale ne font pas partie des propositions gouvernementales sur le sujet de la formation de la main-d'œuvre.
Deuxièmement, les préoccupations qui animent le gouvernement font en sorte de réduire considérablement le domaine de la formation de la main-d'œuvre. Ainsi, nous avons longuement montré la place qu'occupent, pour le gouvernement, les questions touchant à l'adaptation de la main-d'œuvre face au déclin démographique du Québec. Or, les objectifs de formation pouvant être exprimés par les personnes sont beaucoup plus diversifiés et répondent assurément à d'autres raisons que la nécessité de s'adapter à la «société du savoir » ou la «mondialisation ». On voit bien ici les conséquences de la vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes proposée par le gouvernement.
La deuxième orientation du Projet de politique complète la stratégie d'adaptation poursuivie par le gouvernement. Portant sur la formation dite de base, cette seconde orientation nous permet de mesurer la volonté du gouvernement de s'attaquer à ce qui est sûrement le défi éducatif le plus important, àsavoir : l'augmentation du taux de scolarisation de la population adulte du Québec. Selon l'analyse du gouvernement, les changements provoqués par la « société du savoir » et la «mondialisation » exigent que toutes et tous possèdent « une formation de base suffisante » et qu'ils mettent à jour leurs connaissances.78 Lorsque l'on constate que cette formation de base et la formation en milieu de travail constituent les deux seuls domaines de formation abordés par le gouvernement, il devient possible de saisir les objectifs éducatifs visés par celui-ci. Cherchant d'abord à assurer une formation « suffisante », le gouvernement considère par la suite qu'il revient aux travailleuses et aux travailleurs de s'adapter aux changements au moyen de la mise àjour de leurs compétences.
Du fait qu'il s'agit d'un nouveau concept qui cherche à nommer cette formation «suffisante », le gouvernement annonce donc des changements aux services éducatifs existants dans le régime pédagogique, c'est-à-dire, les services d'éducation qu'il doit offrir à la formation générale des adultes dans les commissions scolaires. Or, dès les premiers paragraphes introduisant cette proposition de modifications, la réflexion gouvernementale sème la confusion. D'un côté, le gouvernement précise que cette nouvelle formation de base est équivalente à un diplôme d'études secondaires ou d'études professionnelles.79D'un autre côté, il explique que ce nouveau service éducatif de la formation de base « nous amène à redéfinir le concept d'alphabétisme.80 Cherchant ensuite à évaluer le déficit de formation de base au Québec, la réflexion recense les données sur l'atteinte d'une scolarité de niveau de secondaire trois. Enfin, exprimant les objectifs visés, le gouvernement parle d'« enrayer l'analphabétisme » et d'«augmenter le niveau de formation de base ».81 Sur une question aussi névralgique, on souhaiterait que le gouvernement soit clair.
Les choses ne se précisent pas lorsque l'on se penche sur les actions proposées par le gouvernement. Annonçant vouloir « assurer une formation de base à tous les adultes du Québec »82, le gouvernement propose d'élever le niveau de formation de base de la population, autrement dit, d'augmenter le nombre de personnes ayant obtenu un diplôme d'études générales ou d'études professionnelles. Afin de réaliser cet objectif, le gouvernement s'engage à élaborer «une stratégie nationale en formation de base ».83Nous serions en droit de croire que le Projet de politique propose de mener vers l'obtention d'un premier diplôme les deux millions de Québécoises et de Québécois ne possédant pas un tel diplôme. Pourtant, les mesures mises de l'avant font part de la création d'un curriculum en formation commune de base, donc un curriculum définissant les services éducatifs du premier cycle du secondaire. Et, au sujet du deuxième cycle du secondaire, le gouvernement parle de vouloir faciliter la poursuite d'une formation qualifiante pour ceux et celles ayant complété un premier cycle du secondaire. Notons, à cet égard, que le Projet de politique du gouvernement ne parle pas de diplômation, mais de qualification. Ce dernier terme ne définit pas strictement l'éducation en milieu institutionnel, mais il fait référence àdes expériences d'apprentissage pouvant avoir lieu dans une diversité de lieux et selon différentes stratégies d'apprentissage. Ce n'est pas tant la source des apprentissages dont il est question, mais plutôt la pertinence de ceux-ci en regard des contextes dans lesquels vivent les personnes. Enfin, les choses se brouillent lorsque le gouvernement annonce qu'il agira prestement pour rejoindre davantage de personnes ayant des besoins d'alphabétisation.
Au-delà le flou provoqué par la multitude des termes qui parfois renvoient les uns aux autres, la décision que semble prendre le gouvernement vise plus précisément la réorganisation des services éducatifs du premier cycle du secondaire. L'objectif plus global proposé par le Projet de politique annonce une « stratégie » visant à « faciliter l'accès et la poursuite de la formation » dans l'intention de favoriser « une formation tout au long de la vie».84 Or, dès lors qu'il aborde plus concrètement cette question, le gouvernement souhaite une mobilisation de tous les acteurs « pour joindre les personnes qui n'ont pas atteint le stade d'une formation commune ». Ainsi, cette stratégie du gouvernement focalise donc sur la scolarisation du niveau d'un premier cycle du secondaire. Pour lui, l'atteinte d'une scolarisation de ce niveau d'études est garante d'un bonne préparation pour apprendre tout au long de la vie et de l'exercice d'une citoyenneté active.85 Le gouvernement explique que « l'apprentissage de ces savoirs élémentaires qui conditionnent les apprentissages ultérieurs » constitue le « début d'un apprentissage ininterrompu tout au long de la vie ».86 Du même souffle, il précise que pour lui « il ne s'agit pas de ramener à ce niveau les exigences de formation ».87Son objectif réside plutôt dans la volonté de fournir « une première qualification essentielle à l'insertion sociale et professionnelle des individus ».88
Les mesures proposées clarifient les visées gouvernementales. En effet, cette « stratégie nationale en formation de base » poursuit un double objectif éducatif. Premièrement, elle donnera lieu à la réorganisation des activités éducatives du premier cycle du secondaire par l'élaboration d'un « curriculum de formation commune ».89 Deuxièmement, elle mettra en place « des mesures facilitant (...) la poursuite d'une formation qualifiante ».90 Pour l'atteinte du premier objectif « d'assurer à tous les adultes la maîtrise des compétences attendues au terme de neuf années d'études », les défis devant nous se résument à faire preuve d'une plus grande cohérence et d'une complémentarité des « actions des milieux gouvernementaux et socio-économiques ».91À cet effet, il nous faudra « encourager l'expression de la demande », adapter les services « en fonction des multiples besoins et situations des adultes et des collectivités », imposer « une plus grande flexibilité de l'offre » et prendre en compte « la diversité des lieux et des modes de formation ». 92
Quant à l'atteinte du second objectif, soit la poursuite d'une formation au-delà d'un premier cycle du secondaire, les propos du gouvernement ne fournissent que très peu d'information. Toutefois, nous pouvons penser qu'il utilisera des moyens d'action semblables àceux privilégiés au niveau du premier cycle du secondaire. C'est ce que porte àcroire les axes d'action posant le cadre de cette «stratégie nationale en formation de base ». Par l'évaluation des acquis, la détermination d'objectifs de scolarisation, d'identification des populations montrant des besoins, d'ajustement de l'offre à ces besoins, de soutien aux personnes et de prévention, la proposition gouvernementale pose les balises de sa stratégie. À cette fin, il indique que la réalisation de cette stratégie mobilisera l'ensemble des ministères concernés, les établissement d'enseignement et les groupes d'éducation populaire.
L'acquisition d'une «formation de base suffisante » constituait le deuxième volet de l'action éducative proposée par le Projet de politique de l'éducation des adultes, le premier consistant en « la mise à jour » par les travailleuses et les travailleurs de leurs compétences. 93 Ce que nous retenons de cette seconde orientation visant à « assurer une formation de base à tous les adultes du Québec»94, c'est le manque de clarté de la finalité de cette stratégie nationale que veut mettre en œuvre le gouvernement. D'une part, il semble faire de la formation dite commune de base, soit le premier cycle du secondaire, le seuil de cette « formation de base suffisante » qui constitue son objectif. Àpreuve, il affirme, d'un côté, que les compétences de base visées par cette formation constituent « le socle des savoirs ultérieurs »95, donc la condition «d'un apprentissage ininterrompu tout au long de la vie ».96D'un autre côté, il soutient qu'une formation d'un premier cycle du secondaire prépare les adultes « à apprendre tout au long de leur vie et à exercer une citoyenneté active ».97D'autre part, il se défend de vouloir «ramener à ce niveau les exigences de formation »98, car l'adulte devra poursuivre ses études pour obtenir « une première qualification essentielle à l'insertion sociale et professionnelle ».99
Cette confusion que nous dénotons porte précisément sur le sens que donne le gouvernement à cette formation dite suffisante. Parle-t-on d'un premier cycle du secondaire ou d'un diplôme d'études secondaires ou un diplôme d'études professionnelles? Est-ce que cette formation dite suffisante est équivalente à une formation commune de base ou à une formation de base? Pour le gouvernement, autant le premier cycle du secondaire que le deuxième semble être une condition suffisante pour assurer une mobilité sociale et professionnelle. Dans la proposition gouvernementale, nous percevons que le gouvernement estime qu'un premier cycle du secondaire, soit la formation dite commune de base, est pour lui cette formation de base suffisante à l'apprentissage tout au long de la vie et à l'exercice d'une citoyennetéactive. Enfin, au-delà de la confusion qui se dégage des termes employés, l'appréciation de cette « stratégie nationale en formation de base » ne peut être qu'incomplète du fait que le gouvernement n'apporte aucun détail touchant au deuxième cycle du secondaire. Conséquemment, nous ne pouvons évaluer la place donnée par le gouvernement àl'obtention d'un diplôme. Au-delà de la réussite d'une formation commune de base, comment le gouvernement entend-il «assurer une formation de base »? En affirmant que l'atteinte de cette formation de base constitue un « défi immédiat »100et que, malgré le fait que le concept d'alphabétisme soit en cours de redéfinition, « dans l'immédiat » nous devrons nous attaquer à accroître la participation aux services d'alphabétisation, le Projet de politique de l'éducation des adultes ne semble pas vouloir exprimer directement les objectifs visés sur une question aussi névralgique.
Bien que ces propositions souffrent d'imprécisions, la réflexion du gouvernement a significativement évoluée depuis 1998. À cette époque, le gouvernement annonçait sa volonté d'intervenir vigoureusement en alphabétisation. 101 II constatait que l'analphabétisme compromettait le développement des individus et du Québec, qu'il augmentait le risque d'exclusion et qu'il « minera inévitablement la vie démocratique ».102II soulevait déjà, à cette époque, les transformations des réalités auxquelles le terme d'alphabétisation faisaient référence. Le gouvernement constatait aussi les taux élevés d'analphabétisme au Québec.103 L'accès à un diplôme d'études secondaires ou professionnelles n'apparaissait pas comme un objectif centrai. Or, en s'inspirant de Projet de politique déposé par M. Inchauspé, le gouvernement a, d'une certaine manière, élargi la portée du premier axe d'action de ses propositions de 1998. Pour M. Inchauspé, il fallait «combler le déficit de la population québécoise en ce qui concerne la formation de base ».104Prenant acte de l'élargissement des habiletés définies par le concept d'alphabétisation, à qui il substitue l'idée de formation de base105,M. Inchauspéconstatait « l'importance » du déficit du Québec en matière de formation de base.106En réponse à cette situation, il proposait d'adopter un « plan d'action pour combler le déficit de la formation de base ».107 Principalement, ce plan d'action devra mobiliser l'ensemble des ressources pertinentes dans une lutte contre le déficit de formation de base, niveau de formation définie par les « compétences fonctionnelles attendues de ceux qui ont neuf années de scolarité »108 Le gouvernement reprendra l'esprit, sinon la lettre, de cette proposition de M. Inchauspé. D'une certaine manière, il bonifiera celle-ci en l'élargissant au deuxième cycle du secondaire, sans toutefois préciser les actions qui porteront sur ce niveau d'études.
Pour notre part, cette deuxième orientation s'avère incomplète pour deux raisons principales. Premièrement, son manque de clarté ne nous permet pas de mesurer le sens et la portée des changements visés par le gouvernement. L'usage que fait le Projet de politique de l'éducation des adultes des termes de formation de base, de formation commune de base et d'alphabétisation sous-entend une transformation des modes d'organisation actuels des services d'éducation des adultes au niveau du premier et du deuxième cycle du secondaire. Si telle est la volonté du gouvernement, celui-ci devrait annoncer qu'il souhaite effectuer cette réorganisation des services éducatifs et, surtout, justifier les raisons motivant cette réforme. À l'heure actuelle, nous éprouvons le sentiment que le gouvernement apporte, sans explication et sans justification, des modifications aux services offerts.
Deuxièmement, l'annonce d'une « stratégie nationale en formation de base » laisse entendre que le gouvernement poursuivra l'objectif d'assurer une formation de base, soit un diplôme d'études secondaires ou professionnelles. Pourtant, les mesures mises de l'avant ne précisent aucunement les pistes d'actions qui définiront le passage d'une formation commune de base à une formation de base. L'objectif d'une stratégie nationale visant àassurer l'accès à un diplôme d'études secondaires ou professionnelles ne peut se limiter aux actions touchant au premier cycle du secondaire. Le portrait d'ensemble de cette stratégie demande à ce que le gouvernement expose ses intentions à l'égard du deuxième cycle du secondaire. C'est à cette condition que cette stratégie nationale pour la formation de base pourra être pleinement évaluée.
Contrairement aux deux premières orientations, les troisième et quatrième orientations ne portent pas sur des domaines d'éducation ou de formation. Elles relèvent plutôt de services connexes à activités proprement éducatives et à certains des acteurs œuvrant à l'éducation et à la formation des adultes. La troisième orientation du Projet de politique de l'éducation des adultes porte sur la reconnaissance des acquis et des compétences. Pour le gouvernement, la reconnaissance des acquis et des compétences sera « une des pierres angulaires de ta politique de formation continue ».109À ses yeux, la reconnaissance des acquis et des compétences joue un « rôle moteur » pour la formation des adultes. D'abord et avant tout, parce que les individus «effectuent (...) tout au long de leur vie des apprentissages» et, conséquemment, que ta «formation continue adopte un cheminement non linéaire ».110 Ainsi, parce qu'elle exprime une reconnaissance de la « diversité des lieux, des modes et des cheminements d'apprentissage », la reconnaissance des acquis et des compétences favorise « davantage de souplesse et de dynamisme, permettant des réponses rapides et adaptées aux besoins de formation ».111 De plus, la valorisation des savoirs acquis par les personnes qu'elles supposent «joue un rôle structurant sur le rehaussement des compétences ».112 En général, une « reconnaissance officielle » des acquis et des compétences permet un cheminement éducatif plus respectueux des besoins des personnes.113
Le gouvernement constate que des progrès ont étéeffectués sur cette question, plus particulièrement en matière de développement de méthodes de reconnaissance. Il est aussi conscient de la diversité des acquis des personnes souhaitant bénéficier de ce service et des objectifs éducatifs variés qu'elles expriment.114 D'une manière générale, son évaluation de l'état actuel des services de reconnaissances des acquis et des compétences questionne l'accessibilité de ces services, la situation disparate du fonctionnement de ces services d'un niveau d'enseignement à un autre. Enfin, le gouvernement soulève deux problèmes plus importants. D'une part, il souligne les problèmes rencontrés en regard de l'obtention de la « formation manquante » identifiée suite à une reconnaissance d'acquis et de compétences. 115 D'autre part, il aborde la question de la « réciprocité entre des systèmes différents », c'est-à-dire celui développé par le réseau public d'enseignement et celui élaborépar le monde de l'emploi.116
En réponse à ces constats, le gouvernement juge que la reconnaissance des acquis et des compétences «doit être repensée et relancée».117 Pour ce faire, le gouvernement propose de poursuivre les travaux en cours à l'intérieur d'un cadre de travail qu'il suggère. D'un côté, il entend adopter des principes qui devront être à la base de la reconnaissance des acquis et des compétences. Ceux-ci statuent que cette reconnaissance des acquis et des compétences constitue un droit pour les personnes. Ces principes affirment .aussi qu'une personne ne devrait pas avoir à refaire des apprentissages déjà effectués ou à devoir se faire reconnaître une formation déjà reconnue.118 D'un autre côté, en plus de ces principes, la proposition de cadre de travail du gouvernement pose un ensemble de balises. Les pistes d'action identifiées visent à garantir l'accès à des services de reconnaissances des acquis et des compétences et à revoir les procédures administratives et le financement entourant ces services dans les but de les assouplir et de les simplifier. Dans le même ordre d'idées, le gouvernement entreprendra d'harmoniser les services de reconnaissance des acquis offerts par les établissements d'enseignement et les services de reconnaissance des compétences en cours de développement au sein du ministère de l'Emploi et de la Solidaritésociale. Enfin, la reconnaissance des compétences recevra une attention particulière. Premièrement, le gouvernement évaluera les divers moyens pour financer ces services et il cherchera à améliorer l'accès à la formation manquante en modifiant les ressources allouées par les deux ministères concernés, soit le ministère de l'Éducation et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale.
Par ce plan de travail, le gouvernement trace le cadre de décisions à venir. Cependant, il annonce, pour l'immédiat, certaines décisions ciblées en matière de reconnaissance des acquis et des compétences. Trois catégories de personnes bénéficieront de ces premiers gestes du gouvernement. D'abord, le gouvernement accélérera la reconnaissance des acquis des personnes immigrantes. De plus, il favorisera la reconnaissance des acquis pour les groupes de personnes occupant des fonctions similaires dans des entreprises. Enfin, il privilégiera aussi la reconnaissance des formations offertes par des formatrices et des formateurs privés à des groupes de personnes.
Dans leur ensemble, les préoccupations gouvernementales à l'égard de la reconnaissance des acquis et des compétences s'appuient sur des bases positives. Les principes proposés, reprenant ceux mis de l'avant par le Conseil supérieur de l'Éducation, constituent une avancée en faisant un droit de la reconnaissance des acquis et des compétences. Les considérations portées à l'accessibilité aux services, à leur financement et à leur simplification indiquent des voies àsuivre. De plus, la place importante accordée à la reconnaissance des compétences constitue un point significatif. Toutefois, les préoccupations du gouvernement pour les questions économiques ressortent aussi dans son traitement de la reconnaissance des acquis et des compétences. Fréquemment, sa réflexion situe la reconnaissance des acquis et des compétences en fonction de sa capacité à répondre aux besoins de formation des employeurs. À ce sujet, il parle longuement de la reconnaissances des compétences et très peu de la reconnaissance des acquis. Enfin, les propositions du Projet de politique de l'éducation des adultes traitent, d'une manière prioritaire, de la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes et des personnes en emploi. Replacées dans le contexte des objectifs gouvernementaux en matière d'adaptation de la main-d'œuvre, ces priorités affichées éclairent l'importance donnée par le gouvernement à l'accroissement d'une demande de formation de la part des personnes en emploi.
Pour notre part, nous jugeons positive la volonté montrée par le gouvernement au sujet de la reconnaissance des acquis et des compétences. Cependant, nous estimons que cette orientation est incomplète pour une raison principale. Nous aurions souhaité que le gouvernement ne se limite pas à « relancer » cette question, mais qu'il indique clairement son intention de doter le Québec de services fonctionnels de reconnaissance des acquis et des compétences dans les plus brefs délais. De plus, nous nous attendons à ce que le gouvernement accorde une attention tout aussi importante aux services de reconnaissance des acquis dans les établissements d'enseignement qu'il le fait aux services de reconnaissance des compétences. Nous sommes conscients que le développement de ces derniers services exigent un effort plus soutenu, mais cela ne devrait pas se faire au détriment du développement des services de reconnaissance des acquis.
Une quatrième et dernière orientation traite des réalités touchant à l'accessibilité. Sur ce point névralgique de l'éducation et de la formation des adultes, le gouvernement propose une « stratégie collective de mise en œuvre de la politique ».119 Le lien fait par le gouvernement entre les questions d'accessibilité et l'ensemble de sa proposition de politique est clairement exprimé par le Projet de politique de l'éducation des adultes. Ainsi, les trois premières orientations énoncées par le gouvernement, c'est-à-dire la formation des travailleuses et des travailleurs en emploi, la stratégie nationale en formation de base et la relance de la reconnaissance des acquis et des compétences, impliquent des «correctifs » pour adapter « l'offre aux besoins, et non l'inverse».120 Le but poursuivi consiste à «susciter la demande de formation ».121 Pour le gouvernement, la levée « des obstacles à l'accessibilité » devra permettre d'accroître la demande de formation de base et de formation en emploi en adaptant l'offre de formation aux besoins des personnes. Pour ce faire, le gouvernement aborde trois volets de l'éducation et de la formation des adultes : les services offerts, les acteurs concernés et le financement.
Au sujet des services offerts, son attention se porte sur les services d'accueil, de référence et d'accompagnement, ainsi que sur les technologies de l'information et des communications. Dans un premier temps, rappelant qu'il existe des services d'accueil, de référence et d'accompagnement autant dans les établissements d'enseignement, à tous les ordres, qu'au sein des services publics d'emploi, le gouvernement soutient que « les relations entre le milieu éducatif et les services publics d'emploi doivent être tissées serré ».122II considère que la population adulte devrait avoir accès, au sein de chaque établissement scolaire, à du personnel spécialisé en orientation et de l'information sur les services éducatifs offerts, au niveau de la région, et sur le marché du travail. Par rapport à ces services d'accueil, de référence et d'accompagnement, le gouvernement souhaite définir « une vision large » qui reconnaîtra le « marché privé de la formation » qui, aux yeux du gouvernement, contribue à faire en sorte qu'il y ait une plus grande adéquation entre la formation et l'emploi. Quant aux propositions du gouvernement, elles s'en tiennent à annoncer une redéfinition de ces services dans une recherche d'« efficacité » et d'évitement des « dédoublements » entre les services des établissements d'enseignement et ceux des services publics d'emploi. Sur le sujet de la réussite des études, le gouvernement entend allouer « les ressources financières nécessaires » à des services d'accompagnement et de suivi.123
On saisit mal le sens de cette redéfinition de ces services d'accueil, de référence et d'accompagnement qui, permettant de penser à la tenue d'un débat ouvert, se voit confinée aux seules questions d'efficacité et de non-dédoublement. Nous aurions pu nous attendre, en fonction de l'objectif visé par le gouvernement à l'égard de l'accroissement de la demande d'éducation et de formation, qu'il questionne aussi ces services par rapport à leur rôle effectif à favoriser cette plus grande demande. Le fait qu'un faible pourcentage des adultes montrant un besoin de scolarisation participe à des activités d'éducation devrait nous inciter à questionner le rôle pouvant être joué par les services d'accueil, de référence et d'accompagnement.
Les technologies de l'information et de la communication constituent un second et dernier service identifié par le Projet de politique de l'éducation des adultes. Pour le gouvernement, les TIC élargissent l'accessibilité à l'éducation et à la formation des adultes en ajoutant « à la diversification des modes et des lieux de formation ».124 La formation en ligne rendue possible par les TIC retient l'intérêt du gouvernement pour deux raisons. Premièrement, elle contribue à amoindrir une série de contraintes d'ordre organisationnel, financier et spatiotemporel auxquels se heurtent les adultes ».125 Dans cet esprit, elle constitue une voie d'accès à l'éducation et à la formation des adultes. De plus, « ce mode de formation se révèle moins coûteux à l'usage que les approches traditionnelles ».126 Considérant que les TIC facilitent l'accès à un coût moindre, le gouvernement comptera donc davantage sur le potentiel de ces technologies dans le but de rejoindre un plus grand bassin de personnes.127
Dans cette optique, le gouvernement propose, à court terme, d'ouvrir des «voies d'accès publiques à l'inforoute » et d'installer des « points de services », dans le but de rendre la formation à distance plus accessible. De plus, le réseau public d'éducation, par l'entremise du Comité de liaison de la formation à distance, aura le mandat d'élaborer un « plan stratégique » en regard du développement de la formation à distance. Ce plan devra, dans une perspective d'éducation tout au long de la vie, maintenir et moderniser128 l'offre de services aux trois ordres d'enseignement ainsi que d'évaluer les services d'encadrement offerts.
Sur un point capital, les propositions du gouvernement sont incomplètes. Tout d'abord, la question des TIC ne se limite pas seulement à la formation à distance. Il est tout aussi important de favoriser l'apprentissage de l'utilisation de ces technologies par la population. Pour d'autres raisons, touchant à la formation à distance, les propositions nous apparaissent incomplètes. D'une part, la seule décision prise par le gouvernement en matière de formation à distance consiste à annoncer qu'un débat se tiendra éventuellement. Dans sa version actuelle, l'adoption du Projet de politique ne changera en rien la situation. De plus, le mandat suggéré offre une perspective limitée. Cantonnés à des acteurs du réseau public d'éducation, ces débats à venir ne semblent pas inclure, en toute apparence, les différents milieux de l'éducation et de la formation des adultes, notamment le milieu communautaire autonome et celui de l'éducation populaire.
Pour ce qui est du deuxième volet portant sur la contribution des acteurs en éducation des adultes dans l'accroissement de l'accessibilité, le gouvernement cible trois intervenants : les formateurs et les enseignants, les groupes d'éducation populaire et son propre rôle. Jugeant qu'un « enseignement de qualité » suppose « un minimum d'expertise en andragogie », le gouvernement estime qu'il faut rendre le perfectionnement en andragogie accessible à certaines catégories d'enseignants et d'enseignantes ainsi qu'aux formatrices et formateurs. C'est ainsi que le gouvernement souhaite faire une priorité de l'accès à l'andragogie pour les «enseignants de la formation professionnelle au secondaire àtaux horaire » et pour les formatrices et les formateurs privés.129 Dans le cadre des préoccupations du gouvernement pour l'adaptation de la main-d'œuvre, on comprend qu'il cherche àprivilégier les enseignantes et les enseignants ainsi que les formatrices et les formateurs œuvrant dans le milieu de la formation liée à l'emploi. Toutefois, nous estimons que l'ensemble des enseignantes et des enseignants ainsi que des formatrices et des formateurs devrait avoir un plus grand accès àl'andragogie. Non seulement cela, mais c'est l'ensemble des disciplines et des matières d'enseignement qui devrait faire l'objet de l'accès à un perfectionnement pour tous ces personnels enseignants ou formateurs.
Un deuxième acteur se trouve interpellé par le gouvernement, soit les groupes d'éducation populaire et d'alphabétisation. À leur sujet, le gouvernement entend traduire au plan législatif le fait que ces groupes constituent un acteur de premier plan en éducation et en formation des adultes. En reconnaissant légalement ces groupes, le gouvernement affirme son souhait de consolider ces derniers. Àcette fin, il maintiendra les programmes de financement existants. De plus, il annonce vouloir consulter les groupes visés dans le but de revoir les objectifs et les conditions de financement. Enfin, il invitera les groupes à se doter d'objectifs et d'indicateurs. 130 La reconnaissance légale des groupes est un pas àsouligner. Bien que dans les faits, ils constituent déjà un acteur crucial de l'éducation et de la formation des adultes, leur reconnaissance au plan légal assurera dans l'avenir une obligation de l'État à leur égard. Mais, nous jugeons qu'une raison plus centrale nous amène à considérer incomplète les propositions gouvernementales. Le gouvernement exprime son intention de revoir les objectifs du financement alloué aux groupes d'éducation populaire et aux groupes d'alphabétisation. Or, il n'offre aucune indication des objectifs qu'il pourrait poursuivre à cet effet. Étant donné le rôle vital joué par le financement, le gouvernement devrait exprimer les lignes directrices qu'il entend suivre. N'est-ce pas le but d'une politique de situer le cadre d'action du gouvernement?
Dans cette quatrième orientation, un dernier acteur en éducation et en formation des adultes est pris en compte par le Projet de politique de l'éducation des adultes, àsavoir, l'État lui-même. Affirmant pour l'État une « responsabilité fondamentale en matière de formation continue », le gouvernement précise le sens qu'il donne à cette responsabilité.131 D'une manière générale, l'État est responsable de l'élaboration des orientations, de leur réalisation et de leur évaluation.132À cette fin, il se doit d'assurer l'équité en matière d'éducation et de formation des adultes. De plus, il doit offrir des services éducatifs « dans les types de formations plus générales et mieux transférables ». 133 Par ailleurs, l'État, selon le Projet de politique, a aussi à sa charge de défendre la qualité de la formation « en raison de sa responsabilité par rapport aux dysfonctionnements du marché »134et, enfin, l'État doit faire office de « catalyseur auprès des différents acteurs et partenaires ».135
Ce cadre général posé, le gouvernement souligne ensuite le rôle que les différents ministères concernés doivent jouer en éducation et en formation des adultes. Le ministère de l'Éducation et celui de l'Emploi et de la Solidarité sociale constituent les deux principaux ministères visés. Le premier se voit confier la responsabilité de coordonner l'ensemble de l'éducation et de la formation des adultes dans le but de favoriser « le développement d'une culture de la formation continue ».136 Le second, pour sa part, se doit d'évaluer les besoins de main-d'œuvre, de déterminer des orientations et d'assurer le développement de la main-d'œuvre. En plus de ces deux principaux ministères, le gouvernement reconnaît les missions d'un ensemble d'autres ministères sur des questions d'éducation à la santé, d'accès à la culture, de francisation, de formation à l'entrepreneuriat.
Sur cette base, le gouvernement propose de mettre sur pied un comité interministériel « présidé par le ministre de l'Éducation ». Ce comité aurait comme mandat d'assurer la réalisation de la politique, de promouvoir la formation continue, de coordonner les actions de divers ministères en éducation et en formation des adultes et de mobiliser l'ensemble des partenaires dans la mise en œuvre de la politique.
Pour nous, les responsabilités assignées à l'État devraient inclure la défense du droit à l'éducation. De cette manière, les obligations éducatives de l'État seraient définies dans un cadre plus conforme au sens profond de l'éducation et de la formation des adultes. De plus, les propositions touchant au rôle de l'État nous semblent incomplètes du fait qu'elles ne mentionnent pas les moyens qui seront pris pour favoriser le « partenariat » avec les différents acteurs de l'éducation et de la formation des adultes. Au niveau des principes, le gouvernement reconnaît la diversité de ces acteurs. Nous nous attendions à ce qu'il aborde la question des lieux de participation pour l'ensemble de ces acteurs.
Le financement de l'éducation des adultes est le troisième et dernier volet inclus dans cette quatrième orientation. Pour le gouvernement, la question du financement doit se poser de manière à ce que le financement «ouvre aux adultes un accès àdes services propres à répondre en temps opportun à leurs besoins, sans que des obstacles indus viennent contrecarrer leur projet de formation ».137
Il y a là, pour le gouvernement, un enjeu de justice, d'équité et d'égalité.138 Ceci dit, le gouvernement considère que les « contraintes budgétaires limitent les ressources publiques disponibles pour la formation continue ».139 C'est pourquoi, « la solution présentement privilégiée semble résider en bonne partie dans la contribution d'autres acteurs qui retirent de grands bénéfices de la formation continue, soit les employeurs et les individus eux-mêmes ».140
Ainsi, le gouvernement, au nom de la justice, de l'équité et de l'égalité favorisera l'accès des personnes à l'éducation et à la formation des adultes en leur demandant de contribuer financièrement à leur éducation et leur formation. Ce faisant, il faudra éviter, précise-t-il, « un rétrécissement de l'offre de formation ou une baisse de la fréquentation ».141
Dans ce contexte, le gouvernement propose de rendre plus cohérent les divers moyens qu'il utilise pour financer l'éducation et la formation des adultes. Pour ce faire, il favorisera la concertation entre l'ensemble des intervenants finançant l'éducation et la formation des adultes. Enfin, il améliorera sa connaissance des multiples sources de financement de l'éducation et de la formation des adultes. En outre, le gouvernement constate qu'il soutient financièrement de plusieurs manières les adultes dans la poursuite d'une formation, notamment par l'aide financières aux études et par la sécurité du revenu. Cependant, il estime que ces divers instruments de soutien financier sont conçus d'une manière indépendante les uns des autres, qu'ils ne se complètent pas et, pour certains, qu'ils ne contribuent pas aux retours aux études.142 Pour l'avenir, il souhaite mieux adapter son assistance financière aux situations des personnes. Il fait part aussi de son désir d'« accroître l'engagement personnel des individus dans leur projet de formation ».143 Dans cet esprit, il souhaite « expérimenter des formes novatrices d'assistance
financière qui misent sur une contribution partagée entre l'individu, l'employeur et l'État ».144 Le gouvernement considère que de faire contribuer les personnes aux coûts de leurs études facilitera « le retour aux études » et « la réussite ».145
Sur la question du financement, le gouvernement semble ouvrir la porte à une nouvelle situation. Affirmant que « tous les besoins de formation ne peuvent être satisfaits par les mesures de financement public »146, il conclut que les « grands bénéficiaires de la formation continue » devront contribuer davantage au financement de celle-ci. D'une part, il est étonnant de voir que le gouvernement considère qu'une plus grande contribution financière de la part des individus favorisera leur accessibilité à la formation des adultes. D'autre part, des mesures de ce type contreviennent directement à l'objectif de « susciter la demande de formation » proposé par le gouvernement.
Par cette quatrième orientation, le gouvernement affirme vouloir « lever les obstacles à l'accessibilité ». Dans ce but, il propose une série de mesures traitant des services offerts aux adultes, il aborde le rôle de certains des acteurs œuvrant en éducation et en formation des adultes et il exprime ses intentions au sujet du financement de l'éducation des adultes. Pour plusieurs raisons, mentionnées ci-dessus, nous considérons incomplètes ces diverses mesures proposées pour accroître l'accessibilité. D'une manière générale, le gouvernement approche les questions en lien avec l'accessibilité dans l'objectif de susciter l'expression d'une demande d'éducation. Or, nous pouvons nous demander si les divers volets questionnés à ce sujet permettent réellement de favoriser cette demande. À tout le moins, nous croyons qu'ils ne contribueront pas à inciter les personnes ayant les plus grands besoins d'éducation à reprendre leur formation. De plus, l'un des obstacles majeurs à la participation réside dans la possibilité pour les personnes de poursuivre une démarche de formation. Les gens doivent avoir le temps et les moyens de s'éduquer. Or, le gouvernement ne traite pas cette dimension dans sa réflexion sur l'accessibilité. Dans le fond, l'élément que nous retenons de cette quatrième orientation, c'est la décision du gouvernement de ne pas engager davantage de fonds public en éducation et en formation des adultes et de faire contribuer financièrement les personnes à leur éducation.
Les défis éducatifs qui nous semblent les plus cruciaux nous confrontent àdes enjeux d'égalitédes chances et d'inclusion. Or, àcet égard, les quatre orientations proposées par le gouvernement sont incomplètes. La première orientation portant sur la formation en lien avec l'emploi n'aborde pas les besoins de formation des personnes en formation vers l'emploi et propose une vision de la formation des travailleuses et des travailleurs limitée à l'adaptation aux changements. La seconde orientation traitant de l'accès au diplôme d'études secondaires et professionnelles se concentre sur le premier cycle du secondaire et ne présente pas le point de vue du gouvernement sur le deuxième cycle du secondaire et l'accès au diplôme.
La troisième orientation sur la reconnaissance des acquis relance un travail qu'il faudrait plutôt achever. Enfin, la quatrième orientation sur l'accessibilitéannonce surtout un financement de la part des personnes, ce qui ne contribuera en rien à favoriser l'accessibilité.
Dans cette troisième et dernière partie, nous présenterons nos recommandations touchant au Projet de politique d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. Ces propositions prendront la forme de huit axes d'action. Chacun de ces axes constitue pour nous des voies d'actions essentielles pour mettre en branle cette réforme en profondeur de l'éducation et de la formation des adultes qui doit être entamée. Dans leur ensemble, ces axes définissent aussi une stratégie pour éliminer les inégalités éducatives existantes "au Québec. Prises comme un tout, elles posent les bases d'une politique d'éducation tout au long de la vie activant les capacités créatrices et démocratiques des Québécoises et des Québécois.
Au niveau des constats, nous estimons qu'il existe dans le Québec d'aujourd'hui des centaines de milliers de personnes vivant des situations d'exclusion en matière d'éducation et de formation. À preuve, malgré la persistance de faible taux de scolarisation, la participation à l'éducation et à la formation des adultes nous montre un Québec éducatif à plusieurs vitesses. Les personnes fortement scolarisées participent largement à des activités d'éducation, tandis que celles qui le sont moins n'y participent que très peu. De plus, le marché du travail ferme aussi ses portes àcelles et à ceux ne possédant pas une scolarité de base. Pour l'ICÉA, ces situations d'inégalité et d'exclusion constituent un défi éducatif auquel nous devons faire face au nom de la justice sociale. Dans notre volonté et notre capacité à répondre à ce défi, il y un enjeu d'inclusion capital pour un grand nombre de Québécoises et de Québécois. C'est dans le but de répondre à cet enjeu qu'il nous faut réformer l'éducation et la formation des adultes.
Or, malgré ces constats, le Projet de politique du gouvernement ne nous offre qu'une vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes. Pourtant, le gouvernement mentionne que ses propres actions en matière de lutte contre la pauvreté et contre l'exclusion sont dépendantes de « la capacité des individus d'accéder au savoir tout au long de leur vie ».147 Au bout du compte, il propose de mettre exclusivement la formation en milieu de travail à contribution pour contrer l'impact d'une démographie déclinante sur la population active et sur la croissance économique du Québec. Devant les attentes de nombreux intervenants et intervenantes du monde de l'éducation et de la formation des adultes, nous devons conclure que le Projet de politique de l'éducation des adultes est bien loin du compte.
En réponse à une telle vision réductrice, nous croyons pertinent de proposer des transformations au projet gouvernemental. À cette fin, nous poursuivrons deux objectifs. Premièrement, nous proposerons des éléments de base d'une vision que nous estimons large, inclusive et rassembleuse de l'éducation et de la formation des adultes. Deuxièmement, nous ferons des recommandations en lien avec les principales orientations qui définissent pour nous une telle vision. Les enjeux qui nous préoccupent touchent aux conditions de ces centaines de milliers de Québécoises et de Québécois dont le faible taux de scolarisation les met àrisque de vivre à répétition des situations d'exclusion. Les défis que nous considérons prioritaires se résument à créer, àl'intention de ces personnes, des conditions réelles d'exercice du droit à l'éducation. Nos convictions s'enracinent dans un profond espoir de justice sociale.
Au total, nous proposerons 25 recommandations regroupées sous huit axes d'action. Nous avons limité le nombre de nos recommandations àcelles qui nous semblent les plus prioritaires. Dans leur ensemble, les améliorations que nous souhaitons apporter au Projet de politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue constituent pour nous les premiers éléments d'une réforme en profondeur de l'éducation et de la formation des adultes. Au terme de cette réforme, nous espérons que le Québec aura fait sienne une culture d'éducation tout au long de la vie tournée vers la réalisation du droit à l'éducation. Dès lors, nous progresseront dans la construction d'une société éducative.
Nous avons longuement expliquéles motifs pour lesquels nous trouvons que la vision de l'éducation et de la formation des adultes proposée par le gouvernement était fondamentalement réductrice. Pour ces raisons, nos premières recommandations bonifieront le Projet de politique en élargissant la vision de l'éducation et de la formation des adultes du gouvernement.
D'entrée de jeu, il est important qu'une politique d'éducation et de formation des adultes montre sans ambiguïté l'importance accordée par le gouvernement au potentiel des Québécoises et des Québécois. Autour de cet engagement indéfectible pour le développement des personnes, le gouvernement ralliera la population et les divers acteurs en éducation et en formation des adultes. Par cette affirmation, il exprimera sa volonté de miser sur les personnes et son intention de libérer les forces créatrices et productives de l'ensemble de la population du Québec. Autrement dit, il annoncera que l'éducation et la formation des adultes constituent pour lui un instrument au service du développement des personnes, de leur contribution au devenir de leur collectivité, de leur citoyenneté, et donc du Québec.
En soi, un tel engagement constituerait un pas important. Mais, pour ne pas que cette volonté gouvernementale ne demeure un vœux pieux, il importe que le gouvernement traduise son engagement de manière concrète.
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et annoncer, préalablement aux principes énoncés, son engagement àinvestir dans le développement de l'éducation et de la formation des adultes. Cet engagement signifiera pour l'avenir un financement accru, adéquat et soutenu des intervenantes et des intervenants et des services destinés aux adultes, c'est-à-dire dans le respect des diversités ;
La diversité des réalités vécues par les personnes devrait inciter une politique d'éducation et de formation des adultes àconsidérer un éventail d'enjeux éducatifs et, en réponse à ces derniers, à soulever plusieurs actions. En raison de la variétédes objectifs d'éducation des personnes, une politique d'éducation et de formation des adultes doit nécessairement énoncer avec force la finalitéultime qu'elle poursuit : la défense du droit àl'éducation.
Le droit à l'éducation traduit un engagement à faire de l'accroissement des connaissances et des capacités d'action des personnes, une force de progrès pour ces dernières. À ce titre, l'éducation et la formation des adultes deviennent un élément stratégique d'une volonté de développement culturel, de participation démocratique et de lutte à l'exclusion sociale. Dans cette optique, le droit à l'éducation pour l'ensemble de la population adulte est un moyen précieux de solidarité sociale parce qu'il fait de l'accès au savoir une condition d'égalité des chances et, en conséquence, un enjeu de justice sociale.
Dans son Projet de politique, le gouvernement fait du droit à l'éducation un principe directeur de la politique. Or, nous considérons que le droit à l'éducation doit se voir accorder un statut central dans une politique d'éducation et de formation des adultes. Au-delà des orientations proposées, au-delà même des principes suggérés, le droit à l'éducation constitue une valeur à laquelle l'ensemble de la politique doit être subordonné.
Ceci dit, la seule affirmation du droit à l'éducation ne suffit pas d'elle-même à faire une réalité de celui-ci. Nous avons montré qu'il existait au Québec des inégalités éducatives importantes. Trop souvent, ces inégalités éducatives débouchent sur des situations d'exclusion. Ainsi, le droit à l'éducation doit donner lieu à la mise en place des conditions qui en font une réalité.
Le sens concret du droit à l'éducation s'enracine dans les aspirations éducatives des personnes. Pour cette raison, c'est en fonction de l'existence d'une réponse à leurs besoins d'éducation que nous pouvons mesurer le respect de leur droit à l'éducation et l'existence effective de celui-ci. Or, l'idée de « l'éducation tout au long de la vie » témoigne de la nécessité de l'éducation au-delà de la période initiale d'éducation. Plus particulièrement, l'éducation tout au long de la vie associe une réponse d'éducation aux réalités changeantes de la vie de chaque personne et aux besoins d'éducation variés en découlant. Sous plusieurs angles, elle constitue une perspective justifiée en regard du statut social, culturel et économique décisif joué par le savoir à notre époque. En fait, elle apparaît comme un cadre stratégique adapté à notre contexte social en vue de la réalisation des conditions d'exercice du droit à l'éducation.
L'éducation tout au long de la vie manifeste une nouvelle manière de concevoir l'éducation et la formation des adultes. D'abord, parce qu'elle nous oblige à considérer les besoins d'éducation propre à la vie de chaque personne. Mais, plus important encore, une perspective d'éducation tout au long de la vie nous exhorte à répondre aux besoins d'éducation survenant tout au long des étapes de la vie de chaque personne. En conséquence, elle fait de l'individu, et de ses besoins changeants d'éducation, le centre d'une vision de l'éducation des adultes.
Nécessairement, une telle perspective entraîne des exigences éducatives inédites. En fait, l'éducation tout au long de la vie doit être vu comme un changement significatif de notre culture éducative. À cet effet, elle peut constituer un projet éducatif favorisant une vision commune des diverses réalités de l'éducation et de la formation des adultes.
Nous considérons qu'une perspective d'éducation tout au long de la vie constitue une base solide pour construire une vision commune de l'éducation et de la formation des adultes. D'une certaine manière, une telle perspective favorise la création des conditions d'exercice du droit à l'éducation. Dans cette optique, une perspective d'éducation tout au long de la vie est un cadre d'action pertinent pour une politique éducative dont la finalitépremière réside dans la défense du droit àl'éducation et l'exigence que cela impose aujourd'hui en terme de réponses aux besoins d'éducation variés et changeants.
Cette perspective d'éducation tout au long de la vie peut comporter divers volets. Pour notre part, elle doit à tout le moins poursuivre quatre objectifs éducatifs. Premièrement, elle doit créer un climat favorable à l'éducation en reconnaissant et en valorisant les savoirs des individus. Deuxièmement, une culture d'éducation tout au long de la vie doit susciter la participation et l'accessibilité à l'éducation des adultes. Troisièmement, une perspective d'éducation tout au long de la vie doit assurer une réponse à la demande d'éducation de la population adulte. Enfin, une culture d'éducation tout au long de la vie implique que les personnes puissent avoir un plus grand pouvoir sur les décisions touchant leur éducation.
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et déclarer, préalablement aux principes énoncés, vouloir poursuivre, dans une perspective d'éducation tout au long de la vie, les objectifs éducatifs suivants :
Faire d'une perspective d'éducation tout au long de la vie te principal cadre d'action d'une stratégie d'actualisation du droit à l'éducation définit la dimension éducative d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Or, une telle politique ne peut limiter ses considérations à des questions d'éducation. Les situations d'exclusion vécues par des centaines de milliers de Québécoises et de Québécois faiblement scolarisés nous confrontent à un défi éducatif et social d'inclusion et de justice sociale. Pour cette raison, une politique d'éducation et de formation des adultes doit situer son action dans un cadre social plus large que le domaine de l'éducation. Nous devons faire de l'éducation et de la formation des adultes un instrument de justice sociale.
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et affirmer, préalablement aux principes énoncés, que le droit à l'éducation est l'une des conditions à la réalisation des grandes finalités de justice sociale inscrites :
Et, ce faisant, que toutes les composantes du Projet de politique de l'éducation des adultes prennent en compte l'ensemble des réalités vécues par les femmes en recourant à l'analyse différenciée selon les sexes.
Dans cet esprit, certaines couches de la population révèlent des besoins éducatifs plus urgents. Du moment que nous exprimons un engagement à faire de l'éducation et de la formation des adultes un instrument de justice sociale, nous affirmons du même coup notre conviction à privilégier ces personnes vivant l'exclusion ou la discrimination.
Dans un autre ordre d'idées, nous croyons que Se rôle social unique joué par l'éducation et la formation des adultes fait de celles-ci une part irremplaçable du bien public. L'éducation et la formation des adultes statuent que le droit à l'éducation est fondamental au devenir des personnes. Plus précisément, nous considérons que l'éducation et la formation des adultes font partie du bien public par ce qu'elles constituent une condition d'autonomie, de liberté et de citoyenneté pour les individus. À ce titre, l'éducation et la formation des adultes assurent que la
vie démocratique puisse compter sur des citoyennes et des citoyens de plus en plus éclairés. C'est pourquoi, par la défense d'un statut de bien public pour l'éducation et la formation des adultes, notre solidarité exprime un engagement de justice sociale mettant l'accès au savoir au service de l'égalité de chances.
Pour une personne adulte, le désir de s'éduquer s'enracine profondément dans les expériences vécues tout au long de sa vie. Bien que tournée vers l'avenir, la démarche éducative d'une personne adulte puise dans un bagage de connaissances récemment acquises ou maîtrisées depuis des lustres. Au fil des saisons changeantes de sa vie, une personne adulte poursuivra des objectifs d'éducation variés qui lui indiqueront les chemins à prendre pour parfaire son éducation. De plus, les hauts et les bas de la vie d'une personne fourniront une caisse de résonance pour les nouveaux apprentissages. Par jours heureux, la disponibilité sera plus facile. Pour les autres jours, apprendre sera un labeur. Quotidiennement, la vie impose son rythme à toute personne adulte. Des obligations de toutes sortes tirent de leur côtétemps et énergie. Inévitablement, l'éducation et la formation des adultes ne peuvent qu'être à l'écoute de ce que vivent les adultes. C'est dans ces réalités de vie des personnes adultes que l'éducation et la formation des adultes puisent sa spécificité éducative.
D'une manière générale, ces premiers éléments de réforme que nous proposons se résument à faire d'une perspective d'éducation tout au long de la vie le cadre d'action d'une stratégie d'exercice effectif du droit à l'éducation. Par la recherche d'une valorisation du savoir existant des personnes, d'une plus grande participation de celles-ci àdes activités éducatives, d'une réponse toujours plus adéquate à leurs besoins d'éducation et par leur plus grande participation aux décisions les concernant, une politique d'éducation et de formation des adultes contribuera concrètement àl'avancement du droit à l'éducation.
Tout au long de leur vie, les adultes éprouvent des besoins d'apprendre. La réforme que nous souhaitons favorisera l'expression de ces besoins et prendra les moyens de leur répondre. De cette manière, l'éducation et la formation des adultes se donneront la mission de contribuer au développement du potentiel des personnes. Pour cette raison, elles doivent constituer un bien public sous la responsabilitépremière de l'État et bénéficier de la reconnaissance de sa spécificité éducative. Or, le domaine d'action de l'éducation et de la formation des adultes dépasse largement les réalités éducatives. Face aux enjeux d'inclusion nous confrontant, une politique d'éducation et de formation des adultes doit inévitablement poursuivre des visées sociales beaucoup plus larges et porter une attention de tous les instants àcelles et ceux vivant des situations d'iniquitédans l'exercice de leur droit à l'éducation.
Dans le cadre d'une perspective d'éducation tout au long de la vie, nous sommes à même d'élaborer une vision large de l'éducation et de la formation des adultes. Centrée autour des besoins d'éducation des personnes, cette vision large accorde une priorité à la réalisation de leur droit à l'éducation. Mais, cette vision de l'éducation et de la formation des adultes contribue aussi à des finalités sociales situant l'exercice du droit à l'éducation en regard de sa contribution à l'atteinte d'une plus grande justice sociale.
L'éducation ne se limite pas au temps passé en classe lors de la jeunesse. Au jour le jour, chaque personne vit des situations diverses, et souvent fort complexes, qui lui permettent régulièrement de faire de nouvelles expériences riches d'apprentissages. De plus, quotidiennement, elles tirent profit du meilleur d'elles-mêmes, de leurs connaissances, de leurs acquis et de leurs compétences dans la réalisation de leurs projets de vie et de ceux de leurs communautés. Il ne fait aucun doute que ce sont ces connaissances, ces acquis et ces compétences qui font évoluer leurs vies, leurs collectivités et le Québec. Ainsi, avant toute chose, une culture d'éducation tout au long de la vie doit s'enraciner profondément dans la reconnaissance des connaissances, des acquis et des compétences des personnes et leur valorisation en tant que source de développement des personnes et des collectivités.
Pour nous, une vision large de l'éducation et de la formation des adultes doit avoir comme assise la reconnaissance et la valorisation des acquis et des compétences des personnes. Pour les personnes, l'importance de l'éducation et de la formation doit tirer sa source de la valeur sociale accordée à leurs savoirs, leurs acquis et leurs compétences. Une politique d'éducation et de formation des adultes, avant même d'aborder les questions directement liées aux activités éducatives, doit être un engagement à la faveur de ce que les personnes connaissent et de leur potentiel. Une perspective d'éducation tout au long de la vie doit s'appuyer sur la reconnaissance des connaissances, des acquis et des compétences des personnes dans le respect de la diversité des lieux, des occasions et des démarches à la source de ces apprentissages.
Le gouvernement aborde cette question dans son Projet de politique. La troisième orientation traite de la valorisation des acquis et des compétences. Dans notre évaluation de cette orientation, nous saluons le fait que le gouvernement réitère son accord avec des principes proposés récemment par te Conseil supérieur de l'Éducation (dont le droit à la reconnaissance sociale des apprentissages), ainsi que sa volonté de développer les services de reconnaissance des acquis et des compétences. Toutefois, l'essentiel de notre commentaire déplore que le gouvernement ne s'en tienne qu'àrelancer les discussions. Nous reconnaissons que des travaux sont en cours sur cette question. Cependant, nous croyons que le gouvernement devrait faire preuve de plus de détermination et de volonté politique en regard de l'avancement de ces travaux. Car, pour l'ICÉA, la reconnaissance des acquis et des compétences doit être l'élément central d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Elle est définitivement, pour nous, la pierre d'assise de l'éducation et de la formation des adultes en raison du fait qu'elle constitue une reconnaissance de la valeur des connaissances acquises par une personne. Sans cette valorisation préalable des connaissances des personnes, on voit mal comment on peut réussir à créer une culture valorisant l'éducation.
Il ne suffit pas de reconnaître les acquis et les connaissances des personnes. Une culture d'éducation tout au long de la vie doit aussi faire sienne la valorisation des connaissances des personnes. Pour nous, cet objectif de société exige que l'on recherche en tout temps l'accroissement continu de l'autonomie des personnes dans un objectif de participation grandissante des personnes au dynamisme de leurs milieux de vie. En cela, nous voyons une condition essentielle à l'expression de la créativitédes citoyennes et des citoyens, à la réalisation de leur potentiel et àleur dignité En bout de piste, la réalisation du potentiel des personnes, le renforcement de leur citoyenneté et la vitalité de leurs communautés constituent une précieuse contribution de l'éducation et de la formation des adultes. Pour cette raison, une culture d'éducation tout au long de la vie doit prendre sa source dans une volonté de créer et de soutenir des lieux de participation, d'apprentissage et d'expression àl'intention des personnes pour que celles-ci puissent faire bénéficier la société de leurs connaissances, de leurs acquis et de leurs compétences.
Dans son Projet de politique, le gouvernement parle très peu de citoyenneté. Ayant décidé de centrer sa vision sur des considérations économiques, il n'a pas jugé bon d'inclure dans sa vision de l'éducation et de !a formation des adultes une orientation portant sur l'éducation à la citoyenneté. Pour cette raison, il ne faut pas se surprendre s'il reste muet sur la question de la participation citoyenne des Québécoises et des Québécois. Pourtant, tout récemment, le ministre d'État au Travail, à l'Emploi et à la Solidarité sociale rendait public une Politique de reconnaissance de l'action communautaire. Nous aurions souhaité que le gouvernement énonce dans la politique d'éducation et de formation des adultes les liens qui devront être faits entre cette politique de reconnaissance de l'action communautaire et la politique d'éducation et de formation des adultes. Car, comme nous l'avions exprimé dans un mémoire déposé lors des consultations sur le Projet de politique de reconnaissance de l'action communautaire, les groupes d'action communautaire et d'éducation populaire constituent d'importants lieux d'apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté. À cet effet, ils apparaissent donc comme des lieux d'éducation, mais aussi, ils favorisent la prise en main et la contribution au développement de la société.
Tout au long de la vie d'une personne, les circonstances confrontent ses capacités àmener à terme ses projets, à porter des jugements éclairés, à réagir à un monde en évolution rapide ou, tout simplement, elles l'invitent à élargir ses horizons. À chacune de ces occasions, une personne peut sentir le besoin d'aller chercher de nouvelles connaissances lui permettant de poursuivre son cheminement avec assurance et succès. À tout instant donc des situations de sa vie l'amènent àprendre conscience de ses besoins éducatifs et à exprimer une volonté d'apprendre au cœur de son développement et de celui de sa communauté. Pour être forte et durable, une culture d'éducation tout au long de la vie doit chercher à susciter des occasions d'apprendre, mettre en place des moyens et des environnements pour être à l'écoute des aspirations éducatives exprimées par la population et lever les obstacles pouvant limiter l'accès des personnes aux activités éducatives répondant à leurs aspirations.
Ces questions touchant àl'expression d'une demande d'éducation et à l'accessibilité à l'éducation et à la formation des adultes doivent constituer une des priorités d'une politique d'éducation et de formation des adultes. Les constats que nous avons effectués étaient inquiétants à ce sujet. D'une part, fréquemment, la population du Québec affiche des besoins d'éducation considérables. D'autre part, les personnes font face à de nombreuses occasions d'apprendre. Enfin, les inégalités en matière de participation à l'éducation et à la formation des adultes devraient suffire pour nous convaincre de faire le point sur les conditions d'accessibilité.
Dans sa proposition de politique d'éducation, le gouvernement mentionne à quelques occasions son intention de favoriser l'expression d'une demande éducative. Cependant, cette demande qu'il souhaite susciter vise plus particulièrement les personnes en emploi. En fait, l'accroissement de la participation à des activités de formation constitue un élément central de la volonté du gouvernement touchant à l'adaptation de la main-d'œuvre. Par ailleurs, le Projet de politique annonce une redéfinition à venir des services d'accueil et de référence des établissements d'éducation et des services publics d'emploi. Cependant, les objectifs encadrant cette prochaine révision se cantonnent à vouloir supprimer les dédoublements entre les deux réseaux. Le gouvernement ne fait pas le lien entre les services d'accueil et le défi d'accroître une demande d'éducation.
Il ne suffit pas de favoriser l'expression par les personnes de leurs besoins d'éducation, encore faut-il que ces dernières aient le temps et les moyens de mener à terme leurs projets d'éducation. Les questions touchant àl'accessibilité à l'éducation et à la formation des adultes sont au cœur de l'exercice du droit à l'éducation. La faiblesse des taux de participation à l'éducation et à la formation des adultes nous a amenés àjuger prioritaire les actions en mesure de susciter l'expression d'une plus grande demande d'éducation de la part de la population. Les nouveaux mandats proposés à ce sujet aux services d'accueil et de référence répondent à cette préoccupation. Or, l'atteinte d'un tel objectif d'accroissement de la participation à l'éducation et à la formation des adultes doit aussi déboucher sur la création, au sein de la vie des personnes, de conditions favorisant la poursuite d'une démarche d'éducation. Dans l'avenir, nous estimons que ce champ d'action devra être prioritaire.
À ce sujet, la réflexion gouvernementale sur l'accessibilité à l'éducation et à la formation des adultes est inquiétante. Celui-ci entend demander une contribution financière de la part des adultes en formation. S'il retenait cette direction, il ferait faire un grand recul à l'accessibilité à l'éducation et à la formation des adultes. Au lieu, il serait préférable de faire en sorte que la population puisse avoir les moyens d'entendre ou de poursuivre des activités éducatives.
Un défi d'envergure se dégage des quelques constats que nous avons posés dans une première partie. Ainsi, dans un contexte de faible scolarisation, d'augmentation des occasions d'apprendre et de diminution de la participation à l'éducation et à la formation des adultes, nous devons susciter une demande d'éducation de la part de la population adulte. Pour ce faire, nous devrions poursuivre les trois pistes d'action suivantes. D'abord, faire en sorte que la population exprime ses besoins d'éducation, pour ensuite accroître la participation des adultes à l'éducation et à la formation des adultes. Enfin, il devient de plus en plus important de mettre en valeur les initiatives éducatives réussissant à répondre aux besoins d'éducation des personnes. À cet effet, nous estimons qu'il faudrait mettre en branle un mouvement large de mobilisation à la faveur d'une participation plus importante de la population à des activités éducatives. Dans cet esprit, nous croyons que le Québec devrait s'inspirer des pays qui organisent depuis plusieurs années une semaine ayant pour objectif la reconnaissance, la promotion et la valorisation des démarches d'éducation des adultes et des pratiques éducatives répondant le mieux aux aspirations et aux conditions des adultes. Ce que le gouvernement, à travers son ministre d'État à l'Éducation et à la Jeunesse a commencé à reconnaître en permettant à l'ICÉA et à ses partenaires d'explorer pratiquement cette avenue.
Une perspective d'éducation tout au long de la vie impose de nouvelles exigences éducatives, disions-nous plus haut. Une préoccupation soutenue à la faveur de l'expression par les personnes de leurs besoins éducatifs constitue l'une de ces exigences. Élargir davantage notre cadre d'action en matière d'accessibilité doit nous confronter aussi à des défis d'un nouveau genre. En favorisant l'expression des besoins d'éducation et en créant des conditions d'accessibilité pertinentes pour la vie des gens, nous nous donnerons les moyens d'une éducation tout au long de la vie.
Les aspirations éducatives des personnes changent au fil des projets qu'elles portent, des obstacles qu'elles rencontrent et des diverses situations de vie les confrontant. L'élément déclencheur d'une démarche d'éducation se situe donc au sein de ces circonstances propres à la vie de chacun. Pour cette raison, les activités éducatives doivent avoir comme raison d'être de répondre à ces besoins d'éducation profondément liés aux conditions de vie de chaque personne. La réalisation du potentiel d'une personne et sa capacité àparticiper à sa collectivité dépendent de la disponibilité d'activités éducatives correspondant aux besoins d'éducation exprimés. Dans cet esprit, il est crucial que ceux et celles désirant entreprendre une démarche d'éducation puissent participer aux décisions touchant à la définition de leur cheminement éducatif. En fait, Se sens profond d'une culture d'éducation tout au long de la vie demande que les personnes aient un pouvoir éducatif réel sur les réalités entourant l'expression de leurs aspirations éducatives et sur le choix des activités éducatives y répondant. De cette manière, on crée les conditions pour que le droit à l'éducation devienne, au jour le jour, le droit des personnes à bénéficier des apprentissages pertinents pour leur vie.
Nous considérons que l'élargissement du pouvoir éducatif des personnes nous permettrait d'ouvrir un nouveau chapitre de la démocratisation de l'éducation et de la formation des adultes au Québec. Nous avons amorcé cette démocratisation en rendant disponible des ressources éducatives à la grandeur du Québec pour la population adulte. Par l'accessibilité à l'éducation, une première phase de démocratisation fut initiée. Pour l'avenir, nous souhaitons que le Québec entreprenne une deuxième phase de cette démocratisation de l'éducation et de la formation des adultes. Celle-ci viendra compléter l'accès des adultes aux ressources éducatives en permettant davantage leur accès aux décisions éducatives. Le Projet de politique n'aborde pas ces réalités.
La possibilité d'accéder à un diplôme d'études secondaires ou professionnelles constitue la pierre d'assise d'une vision progressiste de l'éducation des adultes et du développement social, culturel et démocratique. Dans son sens le plus fondamental, cette scolarité de base justifie que l'exercice du droit à l'éducation soit vue comme une condition centrale à la réalisation croissante de l'égalité des chances. Dans son sens le plus pragmatique, elle désigne le bagage de ces savoirs, savoir être, savoir vivre ensemble et savoir faire garantissant l'autonomie d'une personne et sa capacité àcontribuer en toute confiance à l'évolution de sa communauté et de la société. En bout de piste, cette scolarité de base doit pouvoir garantir une mobilité sociale, professionnelle et éducative permettant àtoutes et à tous de profiter des opportunités de vie s'offrant à eux. À ce titre, elle est un facteur indéniable de lutte à l'exclusion.
Pour ces raisons, nous jugeons que le Projet de politique doit reconnaître que l'accès à une scolarité de base relève du bien commun et, conséquemment, appartient de fait aux responsabilités de l'État en éducation. Concrètement, le Projet de politique devra affirmer qu'une scolarité de base regroupe l'ensemble des services éducatifs menant à l'obtention d'un premier diplôme de formation générale. De plus, une scolarité de base devra demeurer gratuite pour la population adulte cherchant à obtenir un premier diplôme de formation générale et être disponible à la grandeur du territoire du Québec. Nous croyons fermement que, dans le monde d'aujourd'hui, l'obtention d'un premier diplôme de formation générale constitue nécessairement le niveau de base d'une formation garantissant cette mobilité sociale, professionnelle et éducative qui est la raison d'être d'une véritable égalité des chances.
Le monde dans lequel nous vivons n'est pas de tout repos. Jour après jour, chaque personne se trouve placée face à des réalités de plus en plus complexes. Pour garder le pas et réussir à rester aux commandes de sa vie, chaque personne doit compter sur des connaissances de base essentielles lui permettant de comprendre son existence et son environnement, de prendre part aux débats et aux décisions influençant sa vie et d'accéder à un emploi. Cette éducation de base est pour nous une nécessité dans ce monde en changements rapides. Mais là ne s'arrêtent pas les besoins éducatifs. Au cours de sa vie, chaque personne aura de nombreuses occasions et des raisons de profiter d'une éducation et d'une formation plus avancées. Par exemple, elle devra garder à jour ses compétences professionnelles, les enrichir ou les réorienter vers d'autres emplois. Peut-être, par temps difficiles, elle se retrouvera sans emploi et dans l'obligation de se former de nouveau à un métier ou à une profession. En d'autres temps, elle pourra viser un avancement professionnel en recherchant des études supérieures. Enfin, devant ce monde aux milles possibilités et obstacles, elle est en droit d'avoir de plus en plus les moyens de participer aux décisions ayant un impact sur sa vie. Chaque personne est porteuse d'aspirations éducatives diverses correspondant aux réalités changeantes de sa vie et manifestant son désir d'exprimer sa créativité et son potentiel. Une perspective d'éducation tout au long de la vie assurera sa pérennité en rendant disponible les activités éducatives répondant aux aspirations de la population adulte.
Le constat d'une diversité et d'une multiplication des raisons pouvant amener une personne à poursuivre une démarche d'éducation est l'une des premières justifications de la pertinence de cette réforme que nous appelons pour l'éducation et la formation des adultes. L'adoption d'une perspective d'éducation tout au long de la vie nous met à l'écoute des objectifs éducatifs changeants des personnes, inévitablement, cette perspective exercera une pression d'un nouveau genre sur la manière dont nous répondons aux demandes d'éducation provenant de la population.
Nous sommes profondément convaincus que la vitalité et la créativité de la société se trouvent en chaque personne, dans ses connaissances, ses acquis et ses compétences qu'elle développe tout au long de sa vie. La croissance de chacun est donc une condition pour que notre société progresse. Il est clair pour nous que l'éducation des adultes bénéficie à l'ensemble de la collectivité et doit, en conséquence, faire partie du bien commun sous ta responsabilité de l'État et de l'ensemble de la société. Toutes et tous doivent mettre l'épaule à la roue en valorisant les connaissances, les acquis et les compétences de la population adulte, en se préoccupant pour que ses besoins éducatifs soient clairement exprimés, en faisant des pieds et des mains pour trouver les activités éducatives répondant à ses besoins éducatifs et en consacrant toute l'énergie et l'attention qu'exigent des apprentissages réussis. En fait, pour nous, les changements de mentalité que nous souhaitons par l'adoption d'une perspective d'éducation tout au long de la vie constituent les éléments de base d'un projet collectif plus large d'établissement d'une société éducative. Par celle-ci, nous indiquons que l'éducation et la formation continue de la population adulte québécoise exigent un engagement de l'État québécois et de l'ensemble des forces vives du Québec. En valorisant notre volonté d'éducation par la multiplication d'occasions d'apprendre au sein de nos milieux de vie, l'État et la société dans son ensemble feront de l'établissement d'une véritable société éducative la source d'une citoyenneté en apprentissage constant. Nous voulons que la société du savoir soit aussi une société éducative.
Pour qu'elle puisse se mettre en branle, une perspective d'éducation tout au long de la vie doit compter sur une vaste mobilisation de l'État et de tous les acteurs de la société en faveur de l'éducation et de la formation continue des adultes. Une perspective d'éducation tout au long de la vie doit donner lieu à un mouvement de concertation et de collaboration entre le gouvernement et la société dans la mise en place des conditions d'exercice du droit à l'éducation. Dans cette optique, une politique d'éducation et de formation des adultes doit défendre le rôle primordial de l'État en éducation et en formation des adultes. Dans le même esprit, cette politique doit impliquer et mobiliser les ministères et la société civile pour que fous contribuent à répondre aux besoins éducatifs de la population adulte en créant des lieux de concertation entre les ministères, entre le gouvernement et la société, au niveau national et au niveau des régions.
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et reconnaître, à la quatrième orientation, que le statut de bien public de l'éducation et de la formation des adultes fonde la responsabilité de l'État en cette matière. Plus précisément, le Projet de politique d'éducation des adultes dans une perspective de formation continue devra affirmer qu'aux fins de la réalisation de cette responsabilité, le gouvernement doit :
L'adoption d'une perspective d'éducation tout au long de la vie ouvre de nouvelles voies de développement pour l'éducation et la formation des adultes. Celles-ci nous interpellent pour répondre aux besoins d'éducation de chaque individus. Or, nous avons posé, dans une première partie, certains constats. De ces derniers, nous retenons surtout l'ampleur des défis éducatifs devant nous. Un grand nombre de Québécoises et de Québécois ne bénéficie pas d'une scolarité de base équivalente à un premier diplôme d'études secondaires ou professionnelles. De plus, le Québec constitue de plus en plus une société à plusieurs vitesses en matière de participation à l'éducation et à la formation des adultes.
Or, la proposition du gouvernement s'avère décevante sur plusieurs points. Dans son ensemble, elle propose un statu quo. De plus, nous devons déplorer la vision réductrice de l'éducation et de la formation des adultes que le gouvernement met de l'avant. Enfin, chacune des orientations nous semble bien incomplète. L'écart entre les propositions du gouvernement et les attentes minimales que nous avons exprimées sont significatives. Un travail considérable reste àfaire pour que cette réforme que nous souhaitons prenne son essor. Pour cette raison, nous estimons capital que le processus de réforme soit lancé par l'adoption de la politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. Nos ambitions pour les Québécoises et les Québécois sont grandes.
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et annoncer, préalablement aux principes énoncés, son engagement àinvestir dans le développement de l'éducation et de la formation des adultes. Cet engagement signifiera pour l'avenir un financement accru, adéquat et soutenu des intervenantes et des intervenants ainsi que des services destinés aux adultes, c'est-à-dire dans le respect des diversités :
Et, ce faisant, que toutes les composantes du Projet de politique de l'éducation des adultes prennent en compte l'ensemble des réalités vécues par les femmes en recourant àl'analyse différenciée selon les sexes.
Inchauspé, Paul. Vers une politique de formation continue, rapport final, juillet 1999
Institut de la statistique du Québec. Population de 15 ans et plus selon le niveau de scolarité, le sexe et le groupe d'âge, Québec, 1996 (disponible sur le site Internet du gouvernement du Québec à l'adresse suivante : http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/education/scolarisation/tableau8.htm)
Institut de la statistique du Québec. Création nette annuelle d'emplois par rapport à l'année précédente, selon le sexe, l'âge, le niveau de scolarité atteint, la catégorie et la forme d'emploi, Québec, Ontario, Canada, 1990-1999. (disponible sur le site Internet du gouvernement du Québec à l'adresse suivante : Http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/condition/marche_travail/pop_active/t03.htm)
Ministère de l'Éducation. L'éducation... Oui, c'est payant!, Bulletin statistique de l'Éducation, # 16, juin 2000
Ministère de l'Éducation. La population cible de la formation de base, série documentaire sur la formation de base à l'éducation des adultes, Avril 2001, pp. 54
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