INSTITUT CANADIEN D'EDUCATION DES ADULTES
506 est, Ste-Catherine suite 800, Montréal Québec. 842-2766 H2L 2C7
II y a quelques mois déjà, répondant aux réclamations de divers groupes, dont l'ICEA, le gouvernement du Québec créait une commission d'étude en vue de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'une politique québécoise en matière d'éducation des adultes. La question fondamentale qui se trouve dès lors posée peut être formulée comme suit : quelles possibilités réelles les fermes et les hommes du Québec ont-ils de s'informer et de se former dans les matières qui les touchent le plus directement et dans leur vie de tous les jours, de discuter de leurs problèmes, d'acquérir selon leurs besoins a eux les compétences requises pour contrôler leurs conditions de vie et de travail, maîtriser leur environnement, pour se " définir et se situer face aux idées et valeurs communément admises, pour orienter en fonction d'eux-mêmes et de leurs intérêts personnels et collectifs leur développement socio-économique et culturel ?
La réforme du système scolaire entreprise chez nous à la suite des travaux de la Commission Parent, lors de la révolution tranquille des années 60, était officiellement commandée par un souci de démocratisation et, notamment, d'accessibilité des ressources éducatives scolaires, de la maternelle à l'université, pour l'ensemble des Québécois. Cette réforme fut principalement celle de l'école des jeunes. Malgré que le Québec se soit doté d'une politique en matière d'éducation des adultes, le premier ministre du Québec, M. René Lévesque, affirmait en 1978 que quelque 500 000 adultes, c'est-à-dire 1/8 de la population adulte du Québec, tentent présentement leur "seconde chance" scolaire : 400 000 au niveau secondaire, 20 000 au collégial, entre 60 000 et 75 000 à l'université.
Ces chiffres risquent cependant de donner le change en masquant des faits troublants comme
De plus, une analyse tant soit peu attentive de cette réforme et de ses fruits a tôt fait de montrer comment il s'est agi surtout, sinon exclusivement, d'adapter l'école à tous ses niveaux aux besoins nouveaux d'une économie moderne, en préparant et en recyclant la main-d'oeuvre d'une société industrielle rattrapant ses retards... et de meubler les loisirs de couches plus larges de la population en favorisant la consommation passive de "biens culturels" d'une qualité souvent fort douteuse. Cela s'appelle en termes officiels : formation du travailleur et formation du citoyen ! Mais il n'y a rien là qui soit processus ou même promesse de démocratisation.
En somme, exclus ou intégrés, ceux qui constituent l'immense majorité de la population n'ont pas la possibilité réelle de prendre en charge individuellement et collectivement leur développement éducatif et culturel en vue d'une meilleure compréhension de leurs conditions de vie et de travail et d'une meilleure instrumentation pour en contrôler l'évolution. C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit quand on parle de démocratisation. Comme le note le livre blanc du gouvernement québécois sur la politique québécoise du développement culturel, la démocratie est tout à la fois et indissocia-blement culturelle, sociale, économique et politique... ou elle n'est pas.
La prise en charge par les individus et par les collectivités de leur développement culturel et éducatif : telle est la visée essentielle et la perspective fondamentale de l'ICEA. dans les dossiers présentés ici. Ces dix dossiers portent sur dix thèmes ou problématiques qui ont paru aux membres de l'ICEA, lors d'une assemblée de consultation (tenue le 25 février 1980) et en assemblée annuelle (tenue les 18 et 19 juin 1980), devoir constituer autant d'éléments-clés d'une politique d'éducation des adultes qui soit à la fois cohérente et au service de l'ensemble de la population.
Il n'y aura en effet démarche effective de démocratisation de l'éducation - et de la société - que lorsque les individus et les groupes directement concernés
En diffusant ces dossiers, l'ICEA. ne veut pas se substituer aux groupes, membres ou non de l'ICEA , et parler pour eux, non plus que leur dire quoi dire et faire. Ce serait d'ailleurs contredire la visée fondamentale de l'ICEA et pervertir son rôle d'organisme d'étude et de concertation que d'agir ainsi. Mais la majorité des groupes que veut servir l'ICEA n'ont pas les ressources requises pour analyser les situations et monter des dossiers. Plutôt qu'un blue print du projet de loi rêvé, l'ICEA présente donc souplement, sur les thèmes que les groupes eux-mêmes ont considérés comme d'importance majeure, ces analyses de situation et ces dossiers. A eux ensuite - à vous - de les utiliser pour mieux comprendre et faire valoir vos besoins et vos revendications... et finalement affermir les consensus et les mobilisations nécessaires, pendant les travaux de la Commission d'étude sur l'éducation des adultes comme après la publication de son rapport et de ses recommandations, à la démocratisation de l'éducation et, par là, de la société.
Nous tenons à remercier tous ceux et celles qui ont collaboré à ce dossier : les membres du Comité de l'ICEA sur les politiques d'éducation des adultes, la Commission Jean qui nous a apporté son concours financier, les auteurs immédiats et les responsables de cette production réalisée dans des délais extrêmement serrés.
Le président,
Guy Bourgeault, le 14 octobre 1980
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Dans la société québécoise en pleine mutation est apparue, au fil des décennies, une forme inédite d'apprentissage: l'éducation populaire autonome. Par milliers, des hommes et des femmes, ayant peu de contrôle sur leurs conditions de vie et de travail, se sont regroupés. Leur but: prendre en main leur situation et trouver ensemble des solutions à leurs problèmes. Nés de l'action communautaire, ces organismes populaires se sont révélés, avec le temps, de remarquables écoles de formation entièrement vouées à la promotion collective de leurs membres.
On a vu se multiplier les associations de locataires, les comptoirs alimentaires, les cliniques de santé communautaire et juridiques, les garderies populaires, les groupes de lutte pour la protection de l'environnement, pour la défense des droits sociaux, des droits des femmes, des travailleurs émigrés... Le développement du syndicalisme, sa radicalisa-tion, la prolifération des groupes populaires, autant de réponses des victimes de la croissance économique dans le Québec d'après-guerre.
Comme partout ailleurs l'industrialisation rapide et anarchique s'est accompagnée de tout un cortège de maux: urbanisation sauvage, chômage, inflation... On ne passe pas impunément, en un demi-siècle, d'une société rurale basée sur la paroisse, la famille et la religion, à une société fortement prolétarisée et urbanisée à 77%.
Dans sa course folle au progrès économique, cette société a déprécié le travail, fait disparaître le métier, attelé les travailleurs à des machines qu'ils ne contrôlent pas. Importés de la campagne, ils se sont entassés dans des maisons de piètre qualité, accolées les unes aux autres, où les espaces verts sont rares. On a condamné de villages à une mort lente, démoli des quartiers pour faire place à des aéroports, des autoroutes, de gros buildings. Au rythme des lois du marché, les multinationales ferment leurs filiales, les modernisent, ou encore, les déménagent. Le personnel est remercié de ses services, transféré, rétrogradé, remplacé par des appareils sophistiqués.
Ceux qui ont fait les frais de cette évolution ont été les premiers à réagir. Sous l'impulsion d'une volonté collective de changement, avec des moyens on ne peut plus limités, ils ont trouvé des solutions originales à des problèmes fort complexes. Car pour mettre sur pied une coopérative d'habitation, prendre en charge le fonctionnement d'un syndicat, élaborer une convention collective, préparer un contre-projet à un programme gouvernemental de rénovation urbaine, il faut apprendre les lois sociales, économiques et politiques, acquérir des connaissances de gestion administrative, en communication, en animation de groupes, en confection de dossiers...
Alors que l'Etat subventionne grassement les entreprises, il a fallu de longues luttes pour qu'il consente finalement des fonds à l'action communautaire, minimes en regard des besoins.
Parallèlement, sous la pression des revendications populaires, gouvernement et institutions d'enseignement ont amorcé une certaine réflexion sur le rôle de l'école publique. Cette mise en disponibilité des ressources institutionnelles pourrait constituer une nouvelle voie de démocratisation du système d'enseignement. Va-t-elle surtout profiter aux classes sociales les moins avantagées par le système d'éducation? Rien n'est moins sûr.
Car parmi les voix qui s'élèvent pour revendiquer une école au service du milieu, il en est une, forte inquiétante, qui domine les autres: celle du patronat. Sa position est claire: le réseau scolaire doit s'adapter! A la crise économique actuelle, en plafonnant ses dépenses. Au marché du travail, en ajustant programmes et formation professionnelle aux besoins du marché du travail. Le tout, dans une perspective de rentabilité.
L'éducation des adultes se voulait à son tour un importantlevier de démocratisation de l'enseignement. Constat d'échec: les deux-tiers des fonds prévus à cette fin sont absorbés par les seules fonctions de perfectionnement et de recyclage. Là comme ailleurs, les contraintes économiques ont primé sur toutes autres considérations; à preuve, la formation professionnelle réservée aux travailleurs est étroitement reliée à la tâche et se retrouve de plus en plus en industrie; quant à celle dispensée à l'université, elle rejoint une clientèle déjà scolarisée.
Une évolution a vu le jour, ces dernières années, pour pallier à ces inégalités flagrantes. Dans le cadre des programme d'éducation aux adultes, des institutions affectent désormais certaines ressources éducatives à la réalisation d'activités davantage axées sur les besoins des collectivités, sur la formation sociale et civique des citoyens. Dans les universités, on parle de services à la collectivité; dans les cégeps, d'éducation populaire par le biais, dans certains cas, de la formation sur mesure; dans les commissions scolaires d'éducation populaire, de formation socio-culturelle ou encore, d'animation et de support à l'action communautaire.
Malheureusement, toutes ces interventions sont loin de servir de support à la promotion collective; la plupart sont encore conçues et réalisées dans une perspective de promotion et d'accessibilité individuelles: formation professionnelle, acquisition d'habilités manuelles (macramé, couture, mécanique auto)... On a constaté après quelques années que les adultes qui s'inscrivent notamment aux cours dit d'éducation populaire dans les Commissions scolaires viennent surtout de la classe moyenne et de milieux aisés, c'est ce que révèlent des statistiques récentes 1 de la DGEA.
Heureusement, les classes populaires n'ont pas attendu que l'école s'intéresse à elles pour entreprendre un travail éducatif adapté à leurs besoins.
Dans toutes les régions du Québec, les milieux populaires s'organisent pour se défendre, réfléchir et agir. Ils effectuent ainsi diverses activités d'apprentissage où la théorie et la pratique sont étroitement articulées à leur vécu. Ensemble, ils trouvent des solutions, inventent des connaissances, découvrent la solidarité. C'est la contre-école, née de l'éducation populaire autonome et destinée à la promotion collective de leurs intérêts. Contrepoids nécessaire à l'école publique où l'on continue d'apprendre la soumission, la passivité, la compétition et le chacun pour soi.
"A Hull, les résidents des quartiers populaires, menacés par des expropriations massives, se sont regroupés en conseil de quartier pour s'informer de leurs droits. Ils ont créé des mécanismes de lutte (journaux, programmes de restauration...) pour conserver et améliorer la fonction résidentielle de leur quartier."
"Dans les syndicats ouvriers, des milliers de travailleurs se réunissent pour étudier les différents problèmes qui les concernent: accidents de travail, fonds de pension, démocratie syndicale, conditions de travail, etc.. Plus connaissants, ils peuvent mieux lutter pour améliorer leur sort collectif.
"Dans les syndicats agricoles, les producteurs veulent comprendre pourquoi le consommateur paie si cher alors que le producteur de lait reçoit si peu. Ils étudient ensemble le problème des profits des intermédiaires. Ils veulent changer la situation et ramener les prix à des proportions plus équitables".
"Des femmes, ménagères et travailleuses, se réunissent pour étudier ensemble les rôles que leur impose la société, et elles travaillent à mettre sur pied une garderie contrôlée par les parents afin de commencer à changer ces rôles".2
Certaines constantes se dégagent de ces initiatives disparates, permettant de mieux saisir la réalité des groupes populaires; dans tous les cas, il s'agit d'organismes volontaires et autonomes, sans but lucratif, contrôlés exclusivement par les membres; ceux-ci sont issus principalement des milieux populaires et ouvriers, ou de regroupements pour des luttes spécifiques axées sur les besoins de ces milieux, de concert avec d'autres citoyens pour changer une situation.
Les acquis de l'éducation populaire autonome
Pour trouver une solution à un problème, il faut d'abord en saisir les causes, analyser les données pertinentes, apprendre à mettre en oeuvre les moyens d'y remédier. Ce faisant, les organismes populaires et syndicaux ont développé des savoirs inédits à la mesure de leurs besoins, de l'animation sociale aux médias communautaires en passant par le droit collectif.
Moins remarqué, l'impact des groupes populaires sur le changement des mentalités n'en est pas moins important. On a vu se multiplier les comportements basés sur l'engagement social, la solidarité et la promotion collective; cet apport à la formation socio-politique de la population et primordial.
Si l'éducation des adultes vise réellement la prise en charge par les citoyens de leur devenir collectif, force est de constater que les organismes populaires et syndicaux ont fait davantage, à ce chapitre, que les institutions elles- mêmes et ce, avec des moyens fort réduits. Comment expliquer qu'avec de tels acquis, elles aient à se débattre avec des problèmes financiers considérables et d'immenses besoins en ressources éducatives, inassouvis?
Une certainereconnaissance de l'éducation populaire s'est concrétisée, en 1967, par un programme d'aide aux OVEP. Les fonds alloués dans ce cadre sont passés de $70,000 (1970-71) à $3,000,000 (1980-81); bien qu'appréciable en chiffres absolus, cette hausse est toutefois sans commune mesure avec celle des demandes qui grimpaient, pendant la même période, de $250,000 à plus de $13,000,000. En fait, les sommes allouées à ce poste par la DGEA couvrent à peine le quart des requêtes qui lui sont présentées.3
L'éducation populaire se fait d'abord dans l'action, mais pour pousser plus loin certaines démarches, alimenter leur théorie et leur pratique, cumuler les expériences passées, planifier des luttes à long terme, les OVEP ont parfois besoin d'outils supplémentaires.
Un groupe de locataires qui se sent lésé par un projet municipal de rénovation urbaine décide de s'y opposer; il veut préparer un contre-projet qui soit davantage conforme à ses besoins. Après discussion, il choisit de faire appel au service de promotion collective d'une université avoisinante. Voici comment à chaque étape de cette démarche, celle-ci peut répondre aux priorités de formation et de recherche du groupe. Les locataires doivent d'abord analyser le problème, en l'occurrence le projet de rénovation, et en déceler les conséquences. Puis, informer les autres citoyen-ne-s concernés pour chercher avec eux les moyens de le contrer.
Encadrée par cet organisme, l'université peut fournir une recherche englobant les principales données du problème (ampleur, impact, causes) ainsi que diverses hypothèses de solution. Des séances de formation permettent ensuite de rendre accessibles ces renseignements, de développer chez les intéressé-e-s une meilleure compréhension de la situation, d'étudier les façons d'y remédier. L'institution offre parfois un support méthodologique visant la mise sur pied d'une recherche-action, ou l'encadrement d'une réflexion, ou encore, l'encadrement et la documentation à l'intention de membres du groupe devenus formateurs à leur tour. Elle prête souvent des locaux, un matériel didactique approprié.
Lorsque l'organisme envisage de passer à l'action, il lui faut définir ses objectifs et élaborer une stratégie d'intervention. Une étude plus systématique des politiques d'habitation, des mécanismes du marché de l'immobilier, des règlements de zonage, s'avère alors nécessaire. Puis, il doit élaborer un contre-projet et identifier les moyens de le faire accepter. L'université, à ce stade de la démarche, peut amorcer une recherche pour approfondir les hypothèses de solution ou éclairer certains aspects du problème, apparus au moment de l'action. Ensuite, tenir des séances de formation permettant aux intéressé-e-s d'assimiler et de discuter ces nouvelles données. Il est également possible, de mettre à la disposition du groupe des informations scientifiques pertinentes.
Quand vient le temps d'évaluer les résultats de cette action, le groupe peut demander, s'il le souhaite, un support méthodologique de l'université.
Là où un service est spécialement affecté à l'animation communautaire, l'aide aux organismes populaires est une fonction reconnue de facto: c'est le cas dans 60% des commissions scolaires régionales. Autre information à retenir, les Services d'éducation des adultes (SEA) ont un deuxième secteur-clé pouvant servir au support à la promotion collective: l'éducation populaire ou socio-culturelle. Et même si les budgets disponibles à ces deux postes sont modestes, ils ont permis la réalisation de projets intéressants.
Quoique le programme SEAPAC (Service éducatif d'aide personnelle et d'animation communautaire) n'existe plus, la DGEA accorde maintenant à peu près l'équivalent de ce qu'elle versait au programme, soit $25,000. à même l'enveloppe globale qu'elle attribue à chaque commission scolaire pour l'éducation populaire ou socioculturelle. En principe, cette somme doit être consacrée à l'animation communautaire. Toutefois, vu la disparition du programme, il n'existe plus de mécanisme qui assure que ces sommes soient effectivement dépensées à des fins d'animation communautaire. Il reste que ces sommes existent et que les groupes locaux devraient pouvoir s'en prévaloir comme support concret à leurs actions, qu'il s'agisse de services purement techniques (secrétariat, polycopie, équipement audio-visuel, etc.), d'assistance d'un animateur du SEA ou même, comme il s'est déjà produit dans le passé, de subvention à l'engagement d'un animateur par le groupe lui-même.
Dans les commissions scolaires, chaque SEA a une enveloppe globale qu'il doit départager entre la formation générale à temps partiel et l'éducation populaire, dont le champ d'application est très vaste. Le nom donné à ce poste budgétaire porte en effet à confusion. D'abord, parce que la plupart des activités désignées sous ce vocable relèvent du socio-culturel. Ensuite, parce que les commissions scolaires régionales peuvent difficilement faire de l'éducation populaire autonome, étant donné que ce terme doit être réservé aux démarches d'apprentissage reliées à l'action collective. Ceci dit, elles peuvent cependant apporter un support très efficace à des groupes d'action communautaire relativement à leurs besoins grandissants de formation et de recherche.
Notons que les ressources disponibles dans le cadre des activités dites d'éducation populaire servent surtout à répondre à des besoins individuels. Néanmoins, les organismes populaires peuvent y recourir; en général, ils vont y chercher une formation sur mesure bien délimitée dans le temps, liée aux objectifs et à l'action qu'ils veulent entreprendre. Cette démarche fait habituellement l'objet d'un contrat d'entente ou de services entre les parties:
Des organismes regroupés autour de l'ACEF organisent un colloque sur la consommation. Ils obtiennent du SEA deux conseillers pour aider à l'organisation de la rencontre, ainsi qu'à la production de matériel audio-visuel nécessaire aux ateliers.
Des propriétaires-occupants de maisons défectueuses s'unissent pour comprendre les lois régissant l'habitation et ensuite mieux défendre leurs intérêts. Un programme de formation sur mesure soutien leur démarche.
A l'occasion, le groupe fournit lui-même les personnes-ressources dont il a besoin:
Une entente de service avec une association de locataires permet à celle-ci d'offrir une session de formation sur le logement.
Toutes les commissions scolaires ont un budget de développement pédagogique pour la recherche, la production de matériel didactique et le perfectionnement des formateurs d'adultes. Certains organismes ont puisé à cette source:
Une recherche sur les assistés sociaux d'un quartier est ainsi réalisée, mettant l'accent sur les contacts, les rencontres de cuisine, etc.
Toutes les commissions scolaires ont également des revenus d'inscription pouvant être utilisés à des fins de promotion collective:
Certains montants tirés de ce fonds ont permis d'aménager un centre de services aux adultes qui prête ses locaux, un centre de documentation et d'information populaire.
Dans cinq commissions scolaires régionales, un projet expérimental intitulé '"Accueil et référence" s'intéresse autant aux groupes qu'aux individus:
Une coopérative de jardiniers consommateurs fait appel à ce service pour étoffer sa démarche, cerner plus précisément, parmi les ressources éducatives à sa disposition, celles dont elle a besoin.
Enfin, lorsqu'une commission scolaire pratique une politique d'ouverture sur le milieu, le soutien technique s'avère une contribution précieuse aux organismes engagés dans une action: prêt de locaux, de matériel audio-visuel et d'imprimerie, services de photocopie et de secrétariat...
Officiellement, les cégeps ont une vocation régionale et communautaire. Paradoxalement, aucun programme de financement n'y encourage encore la création de services de soutien à l'action communautaire autonome...
Malgré tout, certaines expériences, peu nombreuses il est vrai, démontrent que les cégeps ont des ressources pouvant servir de support à la promotion collective. Les services d'éducation aux adultes des Cégeps de Rosement et de Limoilou, ont su les mettre à profit: par voie de politique interne, ils ont créé un service d'éducation populaire.
Un programme de formation peut être expressément conçu en réponse aux besoins d'un organisme populaire. Dans le passé, celui-ci devait totaliser 180 heures de cours pour être gratuit mais il semble que des SEA s'apprêtent à être plus souples quant au nombre d'heures nécessaire.
Les habitants d'un quartier veulent former une troupe de théâtre amateur; ils obtiennent du cégep des cours sur l'improvisation, le jeu dramatique, le décor, la régie, l'administration, etc…
Suite à l'Opération Repo4 visant à étudier le financement des activités non-créditées d'éducation populaire au niveau collégial, le ministère de l'Education a décidé de ne pas financer les activités non-créditées tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas une nette démarcation entre les activités créditées offertes par les commissions scolaires et celles que souhaitent offrir les cégeps.
Qu'est donc cette nouvelle mission universitaire, baptisée du nom de service à la collectivité, dont il est question depuis quelques années? Le titre est alléchant. Ses objectifs, louables: permettre aux citoyen(ne)s mal desser-vie(e)s par ces institutions d'avoir enfin accès à leurs immenses ressources. On retrouve pêle-mêle classées sous cette rubrique, des activités fort disparates:
Comme on peut le constater, la plupart des initiatives encouragées dans ce cadre continuent d'être reliées aux activités traditionnelles de recherche et d'enseignement et, par ce fait, s'adres-sant aux populations déjà desservies par l'université. Tant et si bien que la Commission de l'enseignement supérieur du Conseil supérieur de l'éducation émettait, en juillet 1980, l'avis que les fonctions traditionnelles de l'université étaient par trop mises en relief dans le rapport de la Commission d'étude sur les universités comme dans la pratique.
La Commission de l'enseignement supérieur "doute que l'université, dans sa pratique actuelle, remplisse pleinement la fonction sociale que la société est en droit d'attendre d'elle à travers ses missions de recherche et de formation. Il lui paraît urgent et nécessaire que l'université élucide et critique des fonctions sociales qu'elle tient, prenne ses distances par rapport à l'approche massivement individualiste et élitiste qu'elle pratique de fait et développe des approches ouvertes aux groupes et pratique des actions de promotion collectives". Vu le conservatisme montant dans les milieux universitaires, l'Université du Québec à Montréal (U-QAM) est toujours la seule à avoir adopté officiellement une politique privilégiant les collectivités qui n'ont pas eu accès aux ressources universitaires, c'est-à-dire les milieux ouvriers et populaires. Il serait pour le moins souhaitable que ses homologues emboîtent le pas. Cependant, des expériences de jonctions avec les milieux populaires ont été quand même réalisées dans plusieurs universités.
Deux universités ont un service de support à la promotion collective: l'Université de Montréal et l'Université du Québec à Montréal. Le rôle de cette structure d'accueil est primordial: point de jonction entre le milieu et l'université, il fait le pont entre les besoins et les ressources. A l'UQAM. un comité des services à la collectivité a été mis sur pied, composé d'universitaires et de représentants de groupes populaires et syndicaux.
Les organismes populaires et syndicaux ont parfois des programmes de formation ou des besoins de recherche requérant des ressources relativement spécialisées; de par leur nature, ils s'ap parentent à ceux que des universitaires sont en mesure d'offrir. Condition première d'efficacité: être conçus en étroite collaboration avec les groupes intéressés:
A l'Université de Sherbrooke, la DGEP (Direction Générale de l'Education Permanente) a libéré une personne-ressource pour élaborer, avec l'UPA (Union des Producteurs Agricoles), un programme de formation adapté aux besoins de ses membres. Cela exige une évaluation des attentes des agriculteurs dans ce domaine et l'expérimentation d'approches pédagogiques appropriées à ce milieu.
Dans le cadre des protocoles d'ententes UQAM-CSN-FTQ et FEP-FTQ, plusieurs projets de formation ont été réalisés, portant sur la négociation collective, l'évaluation des tâches, le syndicalisme et l'organisation du travail, le bruit en milieu industriel, etc..
La clinique communautaire de Pointe St-Charles et la FEP (Faculté d'Education Permanente) et l'Université de Montréal collaborent à la mise sur pied d'un programme d'éducation en santé, à l'intention des familles de travailleurs, d'assistés sociaux, de chômeurs. L'objectif est d'aider les citoyens à prendre en charge leurs problèmes de santé. Avec le support de diverses ressources institutionnelles, les principaux intéressés mettent au point les instruments dont ils ont besoin, développent de nouvelles méthodes éducatives adaptées à leur milieu, prévoient des moyens de formation pour les animateurs et les éducateurs oeuvrant dans leur quartier.
Certaines activités de recherche s'insèrent dans un processus d'action qui se déroule sous l'entière responsabilité du groupe demandeur; celui-ci doit alors être en constante liaison avec le chercheur; une stratégie de diffusion des résultats de ces travaux est élaborée conjointement, histoire de les rendre compréhensibles pour ceux qui en ont besoin;
Le fonds de recherche forestière de l'Université Laval apporte une contribution substantielle aux paroisses impliquées dans les Opérations-Dignité du Bas-du-Fleuve.
Pour le compte de la Fédération des ACEF, une étude à laquelle participent l'UQAM et l'Université de Montréal porte sur l'endettement et le crédit.
Dans quelques institutions (UQUAM, Université de Sherbrooke et Université de Montréal), les groupes populaires peuvent faire appel à des ressources humaines qui jouent auprès d'eux un rôle de support et de coordination. En outre, des démarches auprès des Services d'éducation aux adultes, d'éducation permanente ou de professeurs d'universités permettent à des organismes de bénéficier d'une assistance technique: prêts de locaux, de matériel didactique, accès aux ressources informatiques, aux bibliothèques, etc.. Sauf exception (UQAM et Université de Montréal), aucune politique universitaire ne régit de telles ententes.
Première constatation: sauf quelques exceptions, les mécanismes facilitant l'accès aux ressources éducatives brillent par leur absence dans les cégeps et les universités. Quant aux structures en place dans les commissions scolaires, elles privilégient rarement le support à l'éducation populaire autonome, faute d'une volonté politique bien arrêtée. Par ailleurs, là où de tels services existent, l'enthousiasme est refréné par la modestie des sommes consacrées à la promotion collective:
Notons que les conditions d'admissibilité à ces ressources sont loin d'être idéales: certaines conditions techniques de fonctionnement relèvent de politiques locales du SEA, d'autres, de la commission scolaire, d'autres de la DGEA. Il n'est pas certain qu'elles soient toujours des plus simples et souples et respectueuses des besoins et objectifs des gens, particulièrement de ceux des organismes populaires. On a aussi constaté, à la pratique, que les cours d'éducation populaire, les services à la collectivité, les ressources théoriquement destinées aux milieux dits défavorisés, sont loin de toujours atteindre leur cible. Servies à toutes les sauces, les activités ainsi désignées sont encore, pour la plupart, conçues dans une perspective de promotion individuelle et ne profitent guère à ceux qui en ont le plus besoin. De plus, la réalisation d'authentiques expériences de support à la promotion collective comporte nécessairement des difficultés: il faut inventer des outils d'intervention, des approches pédagogiques, un langage commun aux institutions et aux milieux ouvriers, tout en freinant la tendance des institutions à multiplier les réunions communes qui peuvent, dans certains cas. prendre jusqu'à 1/5 du temps de travail alloué aux projets.
Malgré les obstacles, le bilan de cette collaboration avec les maisons d'enseignement se révèle positif pour les groupes: à leur demande, des recherches ont permis d'étoffer leurs dossiers, de mieux comprendre leur situation, d'alimenter leurs discussions; des programmes de formation, conçus expressément pour eux, ont aidé à faire respecter leurs priorités et garder le contrôle des projets.
Quant aux professeurs et aux institutions impliqués, de telles expériences leur permettent d'acquérir une meilleure compréhension des problèmes :sociaux, d'adapter en conséquence leurs enseignements; de mieux préparer les étudiants aux réalités concrètes avec lesquelles il leur faudra vivre et travailler; d'élargir les champs de connaissances au vécu de milliers de citoyens; d'introduire des méthodologies scientifiques et des problématiques inédites dans leurs travaux de recherche; d'inventer des moyens de diffusion et de communication des informations scientifiques et spécialisées, afin que tous puissent en profiter; de développer de nouvelles approches pédagogiques qui tiennent compte de la diversité culturelle des enfants et des étudiants, de leur origine sociale.
Bref, de contribuer à démocratiser véritablement l'école publique, ce qui exige d'autres mesures que la gratuité, les bourses d'études et l'introduction de travailleurs sociaux en milieu scolaire.
En général, les maisons d'enseignement se disent ouvertes aux groupes populaires; il serait pour le moins gênant d'affirmer le contraire alors que le gouvernement annonce un système d'éducation décentralisé, au service du milieu. Mais entre la théorie et la pratique, il y a la réalité; depuis quelque temps, l'Etat ponctue ses déclarations sur l'école démocratique par des coupures dans les subventions de la majorité des OVEP et des institutions; il invite celles-ci à jouer un rôle de support à la promotion collective, mais ne subventionne que les activités créditées d'enseignement et de recherche.
Cette politique de la contradiction ne fait qu'entretenir un climat de méfiance peu propice à la collaboration entre le réseau scolaire et les organismes populaires.
Dans les institutions
Premier obstacle institutionnel: les administrateurs scolaires perçoivent mal la réalité de l'éducation populaire autonome. Ils comprennent difficilement ce travail éducatif non scolaire, spécifique aux citoyens qui prennent en charge leurs conditions d'existence. Par conséquent, ils ne voient pas pourquoi les ressources publiques devraient soutenir l'action de groupes qui les contestent parfois, dérangent et remettent en question certaines de leurs décisions.
Appartenant pour la plupart à des milieux aisés, ils continuent à penser exclusivement en termes de scolarisation et de "diplômation".
Côté professoral, le manque d'information est flagrant! Pourtant, les revendications populaires visant une plus grande démocratisation de l'enseignement et de la recherche, et le développement d'activités de support à la promotion collective, les touchent directement. Cette situation prévaut particulièrement dans les CSR, où les enseignants temps plein sont, à toutes fins pratiques, coupés de l'éducation des adultes qui est confiée à des pigistes. Par conséquent, ils se sentent plus ou moins concernés.
Par expérience, les organismes populaires se méfient des cadeaux qui viennent d'en haut. Obligés de se battre constamment pour faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, ils accueillent avec une infinie circonspection les avances des autorités, qu'elles soient gouvernementales ou scolaires. Et pour cause: celles-ciont tendance a récupérer leurs initiatives, à les institutionnaliser.
Ils ont souvent vu des spécialistes, du haut de leur savoir, s'arroger le droit de remettre en question leurs objectifs. leurs priorités et leurs démarches. Ils sont devenus, pour nombre de chercheurs, des objets d'analyse, des laboratoires à bon marché: car la plupart des recherches sont effectuées sur les groupes, non pas pour eux.
C'est consigné, en noir sur blanc dans les politiques ministérielles: les institutions d'enseignement ont la responsabilité de développer chez les adultes la capacité de prendre en charge leur devenir. Et pour concrétiser cet objectif, il leur faudra, selon nous, s'adresser aux organisations populaires et syndicales, mettre à leur disposition les ressources nécessaires à la poursuite de leurs projets.
Ces échanges avec les institutions ne peuvent s'établir que sur une base de compétence réciproques et de complémentarité. Cela suppose que soient définies, à priori, les conditions de cette collaboration: il en va de l'autonomie des groupes.
Compte tenu de ces pouvoirs considérables, il est normal que les groupes populaires souhaitent confirmer par écrit les garanties nécessaires au respect de leur autonomie et à la réalisation de leur projet. Toute entente devrait donc reconnaître les principes suivants: d'abord, la totale liberté de l'organisme, mandaté exclusivement par ses membres; liberté de s'adresser à l'institution qui l'intéresse, indépendamment de ses choix idéologiques et politiques; de définir ses propres orientations, ses objectifs, ses revendications et sa démarche pédagogique: d'entreprendre les actions et le travail de mobilisation qu'il juge opportun; ensuite, le contrôle, par le groupe demandeur, de l'ensemble du processus éducatif; lorsqu'il est reconnu seul gestionnaire du projet, celui-ci doit obtenir les moyens de remplir efficacement ce rôle; notamment, par le choix des ressources et des personnes-ressources dont il a besoin; il arrive que certaines expériences se réalisent sur la base d'une gestion bipartite par le biais d'un comité conjoint; habituellement, les parties signataires se réservent un droit de véto.
Au-delà des principes, les lettres d'ententes prévoient habituellement toute une série de clauses dont voici les plus courantes:
A ces garanties générales se greffent un certain nombre de clauses particulières qui tiennent davantage à la nature du projet:
Mais la poursuite de ces objectifs suppose qu'un financement public adéquat garantisse aux organismes populaires une infrastructure minimale et une continuité dans le fonctionnement. A cette exigence préalable s'en greffe une autre, impliquant la satisfaction d'un certain nombre de revendications;
Campeau. Daniel. Leroux. Jeanne. LA FORMATION SUR MESURE: UN INVENTAIRE-ÉVALUATION DE NOUVEAUX MODES D'INTERVENTIONS EDUCATIVES AUPRÈS DES ADULTES AU NIVEAU COLLEGIAL Fédération des CEGEPS. Montréal. 1973. 138 pages.
CEQ-CSN-FTQ-UPA. MEMOIRE SUR LE FINANCEMENT PUBLIC DE L'ÉDUCATION SYNDICALE AUTONOME. ICEA. Montréal. 1978
CEQ-CSN. MÉMOIRE A LA COMMISSION D'ÉTUDE SUR LES UNIVERSITÉS. Montréal, juin 1978. 54 pages. CÉGEP Rosemont. LE
CÉGEP À TOUT LE MONDE. Document de travail préparé pour le colloque de mai. 1978. Montréal.
Comité d'Action des organismes volontaires d'éducation populaire. MÉMOIRE SUR LE FINANCEMENT DES ORGANISMES VOLONTAIRES
D'ÉDUCATION POPULAIRE. Montréal, mai 1977
Commission canadienne pour l'UNESCO. RECOMMANDATION SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉDUCATION DES ADULTES (Ottawa, novembre 1976).
Crespo. Manuel. Michelana, Justo: LA RELATION ENTRE LES STRUCTURES ACADÉMIQUES ET L'INADAPTATION SCOLAIRE. CECM (Montréal 1977).
Daoust. Gaétan. L'UNIVERSITÉ DANS UNE SOCIÉTÉ ÉDUCATIVE. DE L'ÉDUCATION DES ADULTES À L'ÉDUCATION PERMANENTE par Gaétan Daoust et Paul Bélanger. (Montréal. Presses de l'Université de Montréal. 1974) 244 pages.
LA MISSION "SERVICE À LA COLLECTIVITÉ" DE L'UNIVERSITÉ, document préparé à l'intention du Conseil des Universités du Québec par Yves Dulude. Pierre Gladu. Michel Lizée et Robert Routhier. (Montréal 1977) 43 pages.
Fernandez, Julio. L'UNIVERSITÉ ET LES MILIEUX POPULAIRES: PERCEPTIONS ET ATTENTES. Document de travail soumis à l'atelier sur la promotion collective dans le cadre du congrès de la Faculté de l'Education permanente (avril 1975). Montréal. Université de Montréal.
Faculté de l'éducation permanente. Division de la Recherche, 1975, 79 pages.
Fédération des travailleurs du Québec. L'UNIVERSITÉ AU SERVICE DE LA COLLECTIVITÉ. Mémoire présenté par la FTQ à la Commission d'étude sur les universités. Bulletin de liaison de l'ICEA, vol. 3, no. 1 novembre 1979.
I.C.E.A. DOSSIER PROMOTION COLLECTIVE. (Montréal). ICEA 1978.
Institut d'action culturelle de Genève (IDAC) ATTENTION ÉCOLE! Document IDAC 16/17. Genève. III pages.
Lacelle. Nicole. NOS ENFANTS FERONT-ILS MIEUX QUE NOUS? Montréal. Institut canadien d'éducation des adultes. 1977. 28 pages.
Lafleur. Guy. LA PROMOTION CULTURELLE COLLECTIVE DES CLASSES DÉFAVORISÉES. Montréal. Institut canadien d'éducation des adultes. 2e édition, mai 1975, 38 pages.
Pichette. Michel. L'UNIVERSITÉ, POUR QUI? Montréal, Editions Nouvelle optique, 1979, 141 pages.
QUÉBEC. DGEA. SEAPAC. VERS UNE POLITIQUE DE "DÉVELOPPEMENT COLLECTIF ' EN ÉDUCATION DES ADULTES AU QUÉBEC. Rapport du Comité provincial SEAPAC sur l'animation du milieu. (Québec) 1976. pag. div.
QUÉBEC, ministère de l'Éducation, Service général des communications. LES COLLÈGES DU QUÉBEC. Nouvelle Étape. Projet du gouvernement à l'endroit des CÉGEP, (Québec) 1978, 185 pages.
Le texte qui suit est un résumé mis à jour de: POUR UNE ÉCOLE PUBLIQUE AU SERVICE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE) juin 1979.
Membres du comité: Bélanger, Paul, Institut canadien d'éducation des adultes (ICEA). Boivin, Louise, Service d'Orientation et de Référence Industrielles pour les Femmes (SORIF). Boucher, Maurice, (CSN). Breton. Guy. Faculté d'Education Permanente (FEP) de l'Université de Montréal. Campeau, Francine, Commission Scolaire Régionale Salaberry. Demoucelle, Willy, Alliance des Professeurs de Montréal. Desrosiers, Andrée, Commissions Scolaire Régionale Durivage. Dulude, Yves, Institut de Recherches Appliquées du Travail (IRAT). Fortin, Hubert. CEGEP de Limoilou. Guimond. Robert, Organisme Volontaire d'Education Populaire (OVEP). Jourdain, Micheline, Centrale de l'Enseignement du Québec (CEQ). Lemay, Michel, CEGEP de Rosemont. Pichette, Michel. Université du Québec à Montréal (UQAM) Président du comité. Routhier, Robert, Université de Sherbrooke. Vigneault, Léo. Union des Producteurs Agricole (UPA). Synthèse des travaux du comité: Lina Trudel. Texte: Claire Gauthier. Résumé et mise à jour: Nicole Lacelle. Jean-Yves Desgagnés. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes.
Illustrations:Claudius, in ATTENTION ECOLE, IDAC, Nos. 16-17, 1978: pp. 11, 13: Claudius. In TRENDS IN EDUCATION FOR DEVELOPMENT!, CCPD: p. 3; N. Charbonneaux, in POURQUOI?. No. 123. mars 1977 et No. 133. mars 1978: pp. 4. 5. 10. 14; Fiz. in LUTTES URBAINES. Vol. 1 no. 3: p. 6.
"Les Etats-membres devraient participer à la recherche de stratégie d'éducation destinée à promouvoir des relations plus équitables entre les groupes sociaux".5
L'arrivée dans le paysage éducatif québécois d'un système public d'éducation des adultes a-t-il changé quelque chose pour les 4.5 millions de personnes qui ont quinze ans et plus? Qui. parmi les femmes et les hommes des différents milieux ont pu utiliser les ressources affectées à l'éducation des adultes? Lesquels de leurs projets, éducatifs, individuels ou collectifs, ont été ainsi facilités ou laissés en plan?
L'éducation des adultes ne se réduit pas à l'école. Il y a les autres ressources éducatives publiques et privées et il y a le travail d'éducation populaire des organismes populaires et syndicaux. Or l'organisation de ces ressources (contrôle, relation à l'école, rapport au marché du travail, financement) constitue aussi un enjeu réel dans le débat sur une politique démocratique en éducation des adultes.
Ce document comprend deux parties précédées d'une introduction commune intitulée "l'explosion de l'éducation des adultes".
En I960, l'idée que le développement de l'éducation publique puisse être la solution au chômage ou un facteur déterminant de mobilité sociale, sinon d'égalitédes chances, faisait un consensus, sauf chez les éléments réactionnaires d'origine cléricale.6
Dans toutes les régions poussent des écoles polyvalentes, des CEGEP et, en certains endroits, des campus universitaires. La part consacrée à ce secteur d'activité au Québec-passe de 5.5% du produit national brut en 1965-1966 à 9.3% en 1971-1972. Les dépenses brutes du gouvernement québécois en éducation augmentent de $308 millions à $1.5 milliard, ce qui représentait alors 30% du budget gouvernemental.
Le secteur de l'éducation des adultes est peut-être le plus révélateur de cette période. Pratiquement inexistante ou tout au moins marginale avant 1965, la clientèle adulte des commissions scolaires passe de 144.000 inscriptions-matière en 1965-1966 à 467,000 en 1977-1978, ce qui correspond à quelques 200,000 individus.
Dans les CEGEP, cette croissance de la clientèle est encore plus marquée: celle-ci passe de 8.000 adultes en 1967-68 à 58,000 en 1976-77. 7 Notons que ce dernier chiffre n'inclut pas quelque 4000 étudiants adultes réguliers à temps complet 8. Au niveau universitaire 9, le pourcentage d'étudiants à temps partiel par rapport à la population étudiante totale des universités est passé de 14% en 1962 à 31% en 1970 (23,500), et à 51% (86,000) en 1978-79. A ces 86,000 adultes10 , s'ajoutent 6,000 étudiant-e-s régulier-e-s à temps complet ayant plus de 30 ans11 et quelque 25.000 adultes inscrit-e-s à des cours non-crédités.
L'accroissement des budgets gouvernementaux révèle également cette évolution rapide de l'éducation des adultes dans le secteur public. Le budget du ministère de l'Education du Québec en éducation des adultes non-universitaire, est passé de $3.5 millions en 1965-66 à $31.9 millions en 1968-69 et $117.5 millions en 1978-79. Le fédéral y contribue pour plus de 80%.12
Le réseau public d'éducation des adultes au Québec est donc utilisé par quelques 360,000 personnes, à savoir 8% de la population adulte totale et ces étudiants-e-s adultes se retrouvent à 55% dans les 79 services d'éducation des adultes des commissions scolaires régionales, 18% dans les CEGEP dont 40 ont un service d'éducation des adultes et 27% dans les universités. A cela, il faut ajouter 25,000 personnes inscrites aux activités de formation des autres ministères.
Mais l'éducation des adultes ne se fait pas que dans le secteur public. Il y a d'abord le travail d'éducation populaire des organismes volontaires et syndicaux. Une évaluation conservatrice nous permet de dénombrer près de 300 organismes d'éducation populaire au Québec rejoignant plus de 60,000 personnes tous les ans pour des activités éducatives.
Dans un pays d'économie libérale comme le Canada, le secteur privé exerce aussi un rôle important en éducation des adultes, qu'il s'agisse de formation dans l'entreprise ou d'écoles privées commerciales. Déjà en 1969-70, Statistiques Canada révélait que 17% des entreprises québécoises avaient un programme de formation13 . Une enquête plus récente menée par la Commission Adams 14 montre que ce pourcentage au Québec serait monté à 21% et qu'entre 8% et 22% des salarié-e-s y seraient inscrit-e-s chaque année.
Il y a cinq types d'écoles privées pour adultes: les écoles de formation professionnelle, les centres d'apprentissage d'une langue seconde, les écoles de formation académique, les écoles d'initiation à diverses techniques d'expression personnelle, et enfin les écoles de conduite automobile et autres entreprises de formation similaires. Si on ajoute à cela les organismes privés de formation des cadres et les maisons de consultation en management, il nous apparaît réaliste de chiffrer entre 100,000 et 200,000 les étudiant-e-s adultes inscrit-e-s à de telles écoles. Il faudrait mentionner aussi les corporations professionnelles, comme le Barreau, à qui la loi de l'Office des professions confère une responsabilité en matière de perfectionnement.
On peut donc considérer, selon des calculs conservateurs, qu'environ 700,000 québécoises participent à des activités systématiques de formation chaque année, à savoir 15% de la population adulte totale. Les services publics d'éducation des adultes représentent 55% de ces activités alors que l'éducation populaire autonome, contrairement à ce qui se passe dans les pays Scandinaves, demeure un secteur marginal (5%).
L'éducation des adultes est donc devenue une réalité visible du système d'éduction. C'est ainsi par exemple, qu'en 1976-7915, 1.339 employé-e-s à temps plein, dont 185 enseignants-e-s travaillent dans les services d'éducation des adultes des Commissions scolaires.
Ce développement d'un secteur public d'éducation des adultes représente des acquis importants pour les classes populaires:
Malgré ces acquis, les politiques d'éducation des adultes et leur application demeurent inégales et discriminatoires.
La démocratisation de l'éducation des adultes pose la question de l'inégalité d'accès mais soulevée aussi le problème de l'imposition de certains modèles d'orientation culturelle et le fait que l'on privilégie certains besoins et secteurs de formation.
Voyons d'abord l'inégalité d'accès au niveau des jeunes pour mieux mesurer si l'éducation des adultes joue ou non un rôle correcteur.
Le système d'éducation québécois ne permet pas encore une égalité des chances de réussite pour les jeunes des divers milieux sociaux. Les enfants de la classe ouvrière se retrouvent surtout dans les cours allégés et réguliers des écoles secondaires 16 et sont sous-représentés (dans une proportion de un pour deux) au CEGEP et à l'université 17. Encore en 1980, seulement trois jeunes sur dix ont accès au CEGEP et un sur dix à l'enseignement universitaire. L'éducation des adultes ne corrige pas cette situation. La constatation est claire et constante. Malgré le développement spectaculaire de l'éducation des adultes, les catégories les moins scolarisées d'adultes demeurent sous-représentées: même les programmes de rattrapage des Commissions scolaires ne privilégient pas, en terme de nombre, les catégories sociales sous-scolarisées ou discriminées.
Alors qu'au Québec en 1971, 42% de la population adulte avait moins de 9 ans de scolarité, cette catégorie ne représentait encore en 1976-77 que 22% de la clientèle des services d'éducation des adultes 18. La scolarité moyenne de la clientèle de ces services publics croit sans cesse, elle était en 1976-77 de 10.36.
On constate actuellement que les formation qui recrutent les clientèles les moins scolarisées sont les programmes à temps complet et en particulier ceux de formation générale. Or ce sont précisément ces programmes qui font l'objet de coupures drastiques: la clientèle de la formation générale à temps complet passera de 24,600 en 1975 à 15,200 en 1977-78.
Le tableau 2 traduit cette même tendance: la catégorie de gens ayant 8 ans et moins de scolarité (42% de la population adulte) est constamment sous-représentée dans les programmes de formation à temps complet des services d'éducation des adultes des commissions scolaires, alors que la catégorie de gens ayant 12 ans et plus de scolarité est de plus en plus fortement représentée. Ainsi, aucun programme ne corrige la situation en sur-représentant les couches adultes sous-scolarisées.
Le tableau 3 nous montre le niveau de scolarité de la population adulte québécoise âgée de plus 15 ans. Nous y trouvons deux catégories bien distinctes: d'un côté les adultes de 10 ans et moins de scolarité qui, bien que formant le tiers de la population adulte, ne constituent que 40% de la clientèle des commissions scolaires. De l'autre côté, ceux qui ont I 1 ans de scolarité et qui constituent la clientèle-type de l'éducation des adultes secondaire, collégiale et universitaire.
Répartition des types de formation selon le niveau moyen de scolarité des adultes inscrits (1976-1977) dans les services d'éducation des adultes des commissions scolaires
Type de formation |
Niveau moyen de scolarité |
cours auto-finances |
11.00 |
cours de longue portée |
10.95 |
formation socio-culturelle |
10.57 |
formation générale à temps partiel |
10.43 |
formation professionnelle à temps partiel |
10.38 |
formation professionnelle à temps complet |
9.74 |
formation générale à temps partiel |
9.02 |
* Les statistiques incluent aussi (7% du nombre total) des étudiants adultes des collèges inscrits à des cours de formation professionnelle.
Source: Statistiques de l'éducation des adultes.
DGEA. MEQ, 1979, p. 167
Programme de formation à temps plein (PFMC) Évolution du niveau de scolarité de la clientèle
Scolarité des étudiants adultes |
1971-72 |
1973-74 |
1975-76 |
1976-77 |
|
8 ans et moins |
40 |
3 s |
39 |
27 |
25 |
9-11 ans |
47
|
42 |
46 |
48 |
50 |
12 ans et plus |
13 |
20 |
25 |
25 |
25 |
Source: Canada. CEI. Bulletin statistique annuel. PFMC. I976-77. op. cit.. p. 55. |
Niveau de scolarité de la population québécoise (1971) de plus de 15 ans |
||
Scolarité |
Nombre |
Pourcentage |
plus de 13 ans |
416,255 |
10% |
11-13 ans |
1.055,615 |
25% |
9-10 ans |
975,750 |
23% |
5-8 ans |
1.438.000 |
34% |
4 ans et moins |
354.890 |
8% |
TOTAL |
4,240,510 |
100% |
Source: Statistique Canada 1971
La répartition de la population québécoise de plus de 15 ans et de la clientèle adulte des Services d'éducation des adultes dans les Commissions scolaires par niveau de scolarité, (en %)
Les enquêtes sur la clientèle adulte des universités confirment la tendance générale. Les tableaux 5 et 6. tirésde deux enquêtes différentes.19 nous permettent de constater que la majorité des étudiants universitaires jeunes et adultes viennent de la grande et de la petite bourgeoisie: les enfants des cadres moyens et supérieurs y sont sur-représnetés (3 pour I) alors que les enfants des cols-bleus sous-représentés (2 pour 1). Si l'ensemble des étudiants à temps partiel proviennent de milieux légèrement moins avantagés socialement, encore là les étudiants adultes de milieux bourgeois continuent d'être sur-représentés dans une proportion similaire aux étudiants réguliers alors que les étudiant-e-s adultes fils (filles) de cols-bleus continuent quand même d'être sous-représenté-e-s (2 pour I).
En d'autres termes l'éducation des adultes à l'université bien que moins discriminatoire que l'enseignement universitaire régulier, n'en constitue pas moins, un facteur d'inégalité, où les adultes d'origine sociale élevée demeurent nettement privilégiés.
Le tableau devient alors clair: les cadres supérieurs 20 et les professionnels poursuivent leur perfectionnement surtout dans le secteur privé et en association avec les Corporations professionnelles, alors que l'éducation des adultes universitaires sert surtout les agents de maîtrise, les cadres moyens, les enseignants et les semi-professionnels. L'éducation des adultes est le fait d'une strate intermédiaire constituée de salarié-e-s déjà fortement qualifiée provenant de grandes entreprises du secteur tertiaire.21
D'abord dans les entreprises: si la formation qui s'y donne est d'abord destinée aux cadres supérieurs (taux de participation de 33 à 40%) par rapport aux travailleuses et travailleurs (taux de participation de 17%). cette formation est aussi discriminatoire pour les femmes. En effet, dans 6 entreprises sur 7. les femmes sont sous-représentées par rapport à leur pourcentage dans l'ensemble du personnel de ces entreprises.22
De façon générale, ce n'est pas le cas dans les services publics d'éducation dos adultes: les femmes représentent par exemple 65% de lu clientèledes services d'éducation des adultes des commissions scolaires, 47% de la population étudiante adulte à temp complet des Cégeps, et de 46 à 47% de la population étudiante adulte à temps partiel des universités. Cependant cette accessibilité varie selon les programmes.
Ainsi que l'indique le tableau 7. si les femmes sont très fortement majoritaires au niveau de la formation socio-culturelle, elles demeurent nettement sous-représentées en formation professionnelle et surtout à temps complet. Le pourcentage de 57% des femmes inscrites à la formation générale à temps plein a sûrement diminué sensiblement puisque depuis deux ans le gouvernement fédéral a coupé de 80% les allocations offertes aux femmes voulant revenir occuper un emploi sur le marché du travail.
Pour la clientèle adulte des Cégeps et des universités (tableau 8 et 9): l'éducation des adultes constitue un renforcement, sinon une caricature, de l'école régulière et du marché du travail: aux femmes l'éducation et la santé, aux hommes la qualification technique, les affaires et l'administration. Bref, si l'éducation des adultes au Québec regroupe maintenant près de 700.000 personnes, les jeux sont loin d'être égaux et cela dès le pallier des commissions scolaires: l'éducation des adultes n'offre une seconde chance qu'à celles et ceux qui sont déjà significativement plus scolarisé-e-s que la moyenne et surtout à celles et ceux qui proviennent de familles aisées. L'éducation des adultes n'est pas une stratégie de rattrapage.
Répartition de la population adulte totale en rapport à la population étudiante universitaire à temps plein et à temps partiel selon l'occupation du père, (en pourcentage)
|
|
Etudiants |
|
Population active |
|
|
|
|
|
|
|
Temps plein |
Temps partiel |
Total |
|
|
|
(a) |
(b) |
(a + b) |
|
|
|
A) cadre supérieur |
12.7 |
7.4 |
24.2 |
A) |
|
B) cadre moyen |
14.7 |
9.8 |
|
B) |
10.4 |
C) professionnel (et semi-profesionnel) |
18.0 |
9.8 |
31.5 |
|
11.1 |
D) petit propriétaire |
13.5 |
21.6 |
|
D) |
|
E) col blanc |
13.7 |
18.6 |
44.1 |
|
21.4 |
F) col bleu (ouvrier) |
27.7 |
32.6 |
|
|
43.8 |
Source: Dandurand, P. et Fournier, M.. CONDITION DE VIE DE LA POPULATION ÉTUDIANTE UNIVERSITAIRE QUÉBÉCOISE. Dépt. de sociologie. Université de Montréal, mai 1979.
Au delà de l'accessibilité aux services, qu'est-ce qui est offert aux 4.5 millions d'hommes et de femmes au Québec?
Première constatation: l'éducation des adultes a été développée avant tout comme un outil de gestion de la main-d'oeuvre.
Bien sûr, les programmes de formation générale à temps partiel et les activités d'éducation populaire des commissions scolaires fournissent toujours respectivement 25 et 45% des inscriptions matières, mais, en terme de volume de formation (jeunes/groupes de formation) cela ne signifie que 15 et 22%. La formation professionnelle au contraire occupe 50% de la place alors que la formation générale à temps plein, présentement à 20'», est en chute rapide. 23 Si ces programmes de formation à plein temps de la main-d'oeuvre24 permettent aux travailleurs (on a noté la sous-représentation des femmes: 32%) de se qualifier et de se recycler techniquement, ils leur permettent rarement de trouver un emploi dans le métier appris. Ces programmes exercent surtout un rôle politique: une assistance sociale déguisée aux chômeurs semi-qualifiés dans des périodes où une conjoncture économique défavorable pourrait accroître le mécontentement et provoquer des crises sociales. Il n'y a pas de synthèse (et peu de rapports) entre les formations professionnelle et générale, synthèse nécessaire au développement d'un humanisme scientifique et historique.25
Occupation des pères des étudiants adultes inscrits à l'Université de Montréal (1976) par rapport à l'occupation actuelle des étudiants de la population adulte globale.
|
Occupation du père (n.: 1391) |
Occupation actuelle (n.: 1556) |
Population active québécoise |
Cadre supérieur |
13.0 |
.6 |
1.5 |
Petits propriétaires |
17.0 |
2 2 |
7.0 |
Professionnels |
7.0 |
3.0 |
3.0 |
Agent d'encadrement |
14.0 |
21.3 |
16.0 |
Semi-professionnels |
1.5 |
36.9 |
9.5 |
Techniciens |
2.0 |
5.7 |
5.0 |
Travailleurs subalternes |
33.0 |
28.2 |
58.0 |
Autres |
9.0 |
2.0 |
- |
Sans travail |
3.5 |
- |
- |
|
100.0 |
100.0 |
100.0 |
Source: Tiré d'une publication à venir de Paquet. P. et Therrier. R. en collaboration avec Doray. P. sur la clientèle adulte à l'Université de Montréal. Bureau de recherche. Faculté d'éducation permanente. Université de Montréal. 1980.
Pourcentage des femmes inscrites au service d'éducation des adultes par type de formation (197 -7 )
|
NOMBRE |
% |
Formation générale à temps plein |
12,084 |
57 |
Formation générale à temps partiel |
37,026 |
60 |
Formation professionnelle à temps plein |
6,466 |
32 |
Formation professionnelle à temps partiel |
12,860 |
39 |
Formation socio-culturelle |
84,024 |
85 |
Cours auto-financés |
18,286 |
78 |
TOTAL |
170,756 |
66.17 |
Source: Statistiques de l'éducation des adultes. 1976-77, DGEA. MEQ, 1979. p. 137. |
Au niveau des cégeps, l'éducation des adultes à temps partiel est aussi d'abord une question de formation professionnelle. On. réduit les contenus de formation de base. Le nouveau mode d'intervention, la formation sur mesure, s'est développé presqu'ex-clusivement dans une perspective d'adaptation de la main-d'oeuvre au marché du travail26. La formation professionnelle par certificat ou sur mesure est en voie de devenir le cheval de Troie des orientations prônées dans les rapports GTX et Nadeau27 tendant à réduire les programmes collégiaux professionnels à un enseignement étroitement technique et à amputer la formation collégiale, initiale et ultérieure, de ses garanties de formation générale.
L'éducation des adultes à l'université ne fait pas exception a ces orientations prédominantes. Plusieurs études en effet ont constaté la prédominance de la fonction de perfectionnement professionnel. 28
La formation dans l'entreprise comporte certains programmes limités de formation professionnelle technique pour le personel d'exécution, tout en consacrant la majeure partie de ses investissements éducatifs à des formations larges destinées au personnel de direction.
Deuxième constatation: Les programmes de support à l'éducation populaire autonome et à la promotion collective restent marginaux.
La démocratisation de l'éducation des adultes se heurte aussi à la difficulté d'utiliser les services de ces institutions autrement que sous la forme figée des cours crédités. Les programmes et expériences d'appui aux activités autonomes de formation populaire et de promotion collective sont exceptionnelles. Bien sûr, il y a certaines percées comme des protocoles d'entente entre des universités et des
centrales syndicales ou des organismes populaires ainsi que des activités d'appui à l'éducation populaire autonome au niveau des collèges et des commissions scolaires: citons par exemple, l'intéressante expérience à la CECM à Montréal, de la mise en place de centres auto-gérés d'éducation populaire dans divers quartiers. Cependant ces expériences demeurent somme toute relativement limitées. D'ailleurs la restriction des budgets globaux de l'éducation des adultes semble affecter d'abord ces secteurs marginaux. Les coupures de budgets que viennent de subir en Ontario les deux collèges communautaires (Humber et Algonquin), maintenant forcés d'autofinancer leurs activités communautaires, ont leur pendant au Québec avec le départ raté, faute de budget, du programme d'appui aux activités d'éducation populaire dans les cégeps. La disparition graduelle des programmes d'aide personnelle et d'animation communautaire, (SEAPAC) donne un autre indice de cette tendance.
Donc, au début des années 1980, nous sommes loin d'une véritable démocratisation quantitative et qualificative de l'éducation. Nous ne sommes plus en 1967-70 où des activités régionales ont pu obtenir des fonds publics et mener des expériences reconnues internationalement comme celle de TEVEC au Lac St-Jean, du BLOC 29 en Abitibi, du VIDÉOGRAPHE ou du GIV (groupe d'intervention vidéo) à Montréal.
Troisième constatation: L'éducation des adultes québécoise ignore la science et la perspective scientifique.
La science est pratiquement absente de l'éducation des adultes québécoise. D'une part la formation scientifique est nettement sous-représentée en éducation des adultes tant au niveau des collèges 30 que des universités31 . D'autre part, et sans parler des groupes sociaux à qui sert la recherche scientifique32 , il faut souligner les contradictions de la vulgarisation scientifique actuelle.
La vulgarisation scientifique, déjà peu courante prend trop souvent un caractère anti-scientifique où ne sont divulgués que des résultats d'enquêtes, coupés de leur mode de production et souvent sen-sationalistes. Le savoir scientifique devient un savoir magique insaisissable. En un sens, l'éducation des adultes n'est pas encore passée de l'ère théologico-morale à l'ère scientifique. Il y a division du travail éducatif entre la formation générale et la qualification technique, entre la recherche scientifique et la vulgarisation de savoirs émiettés. La démystification des modes de production scientifique et l'appropriation de cette perspective d'analyse est négligée au profit de l'utilisation de plus en plus fréquente de "savants et experts" universitaires comme grands prêtres d'une religion de la Science d'autant plus utiles aux pouvoirs dominants qu'ils redonnent à leurs discours le caractère d'absolu et d'effroi créé jadis par l'exploitation du sentiment religieux.
Pourcentage d'hommes et de femmes dans la population étudiante-adulte à temps complet dans les Cégeps
|
HOMMES % |
FEMMES % |
Nombre |
TOTAL % |
Secrétariat |
0 |
100 |
272 |
100 |
Sciences de la santé |
40 |
60 |
244 |
100 |
Arts plastiques |
33 |
67 |
231 |
100 |
Sciences humaines |
43 |
57 |
1532 |
100 |
Comptabilité-finances |
55 |
45 |
646 |
100 |
finances |
|
|
|
|
Administration |
64 |
36 |
703 |
100 |
Construction |
92 |
8 |
2S2 |
100 |
Techniques |
97.5 |
2.5 |
613 |
100 |
• policières |
|
|
|
|
•juridiques |
|
|
|
|
Sciences pures et appliquées |
81 |
19 |
239 |
100 |
Pourcentage d'hommes et de femmes dans la population étudiante adulte de l'Université de Montréal (1976)
Discipline Sexe |
Education |
Sciences Infirmières |
Comptabilité |
Administration Gestion |
Discipline Périphériques |
Total |
Hommes |
40.9 |
6.6 |
71.8 |
72.2 |
44.0 |
53.0 |
Femmes |
59.1 |
93.4 |
28.2 |
27.8 |
56.0 |
46.0 |
Total |
100. |
100. |
100. |
100. |
100. |
100. |
Source: Le tableau est tiré d'un rapport à être publié prochainement par Paquet, P. Therrien, R. en collaboration avec Doray, P. au bureau de recherche de la Faculté d'éducation permanente de l'Université de Montréal.
De passage à Hollywood en 1931. Einstein et sa femme furent invités par Charles Chaplin à assister à la première de son film Les Lumières de la ville. La foule reconnut aussi bien le physicien, déjà mondialement célèbre, que la vedette et les acclama. "Si l'on vous applaudit" dit Chaplin à Einstein, "c'est parce que personne ne vous comprend, et moi, parce que tout le monde me comprend".
Quatrième constatation: L'imposition de modèles culturels unitaires est très discriminatoire.
On ne peut que constater la discrimination opérée par l'orientation culturelle prédominante de ce secteur de l'éducation. En effet l'éducation des adultes tant en institution que dans les entreprises, est développée selon une certaine conception dominante du travail et des modèles culturels. Elle tend donc à discriminer plusieurs groupes qui ne s'y retrouvent ni dans le langage, ni dans les modes d'apprentissages, ni dans le contenu, ni dans les horaires de cours, ni dans le recrutement, ni dans l'organisation du travail et les modes de vie qui sont véhiculés.
Cela est particulièrement vrai pour les femmes ainsi renvoyées à leur ghettos oc-cupationnelles et à des savoirs et des méthodes marqués par toute une histoire de rapports de domination, pour les immigrants et immigrantes forcé-e-s de s'ac-culturer sans passer par une valorisation et une réappropriation de leur langue première et ainsi coupé-e-s de leur vécu et de leur culture 33 , et pour les milieux populaires rejetés dans leur culture et qui voient décoller en bout de piste le Jet set de l'éducation des adultes avec, en première classe, une cohorte de jeunes cadres masculins en pleine promotion.
L'absence de contrôle démocratique, le poids du financement actuel et les types de rapport entre les appareils et l'utilisateur explique en bonne partie ce développement rapide, inégal et biaisé.
Les exigences des entreprises ont d'autant plus de poids que les utilisateurs et les utilisatrices sont pratiquement absent-e-s des mécanismes de décisions.
Déjà privé-e-s au départ de tout contrôle sur la formation dans l'entreprise et dans les écoles privées commerciales, les travailleurs et les travailleuses et la population en général ont encore peu de prise sur les décisions touchant l'éducation des adultes dans les institutions publiques. Au niveau des commissions scolaires, malgré une modification relativement récente de leur pouvoir, l'éducation des adultes échappe pratiquement au contrôle des commissaires, à cause du type de financement parallèle qui la caractérise. Le cadre permettant la participation syndicale aux Commissions de formation professionnelle reste formel et est critiqué par les Centrales syndicales. Des tentatives de regroupement des étudiants adultes ont échoué à plusieurs reprises (1968, 1970 et 1975).
Les travailleurs et travailleuses organisé-e-s n'ont même pas un contrôle minimal sur la formation en industrie financée à même les fonds publics. Aucun mécanisme de consultation obligatoire des représentants syndicaux n'est prévu dans les normes d'application des programmes fédéraux d'aide à la formation dans l'entreprise. La partie patronale a un droit de regard aussi exclusif dans ce domaine que dans la formation financée à même ses budgets; les inspecteurs pédagogiques de la DGEA ne semblent pas y changer grand chose. Depuis 1970, certains syndicats du secteur de la métallurgie et des services ont réussi à faire inclure dans leur contrat de travail une clause de perfectionnement; mais nous sommes encore loin du droit de négociation sur les contenus de formation. Pour que ce droit existe, dans les institutions publiques par exemple, il faudrait qu'on abandonne le type de rapports qui existe entre les services d'éducation des adultes et leurs utilisateurs et utilisatrices, ces services fonctionnant actuellement comme s'il s'agissait de mise en marché d'un produit par une entreprise auprès d'un public fortement atomisé. Et bien sûr, cela signifierait remettre aussi en question les rapports entre les formateurs et les participant-e-s. Une pédagogie conçue pour répondre aux besoins des adultes se moquerait de ce qu'on entend habituellement par pédagogie. Elle se fonderait sur la mise en place de conditions concrètes de négociation des situations d'apprentissage quelles que soient les techniques et les méthodes utilisées.
La structure de financement actuelle privilégie les demandes des entreprises et détermine la composition actuelle de la clientèle adulte.
En effet, comment serait-il possible de promouvoir la formation générale et une formation professionnelle polyvalente alors que les programmes de formation de main-d'oeuvre sont financés à 90% et gérés par des organismes chargés d'abord de pallier à court terme au chômage? ainsi qu'à relier plus étroitement éducation et croissance industrielle.34
Si jamais le gouvernement fédéral cède aux provinces la responsabilité en matière de formation de main-d'oeuvre, cèdera-t-il en même temps la part du budget qu'il y consacre, à savoir un demi milliard de dollars par année? Sinon, les provinces combleront-elles la différence? Rappelons que lors des coupures récentes des allocations de formation fédérales pour les femmes, une seule province, l'Alberta, a débloqué des fonds pour maintenir ce programme d'égalité d'accès des femmes à la formation de base à temps complet.
L'éducation des adultes universitaire35 ne fait pas exception à la règle. Seule les activités créditées sont éligibles au financement, en fonction de calculs basés sur l'équivalence temps complet, et l'ensemble des programmes doit généralement s'autofinancer presque totalement. Les subventions que justifient le volume d'éducation des adultes créditée au niveau postsecondaire, ne vont que dans une très faible part aux activités et services d'éducation des adultes. Cela exerce évidemment une forte pression pour transformer leurs cours non crédités en cours crédités, intégrer les services à la collectivité dans les bottins de cours et fondre les activités d'éducation des adultes dans l'enseignement régulier. L'éducation populaire, le support à la promotion collective et la promotion culturelle doivent s'auto-financer et chercher des fonds rares 36 ou extrêmement limités 37.
L'éducation des adultes au Québec est un véritable fouillis administratif: fédéral - provincial, ministère de l'Education - ministère de la Main-d"oeuvre - ministère du Travail, Conseil économique du Canada - Conseil supérieure de l'éducation, Com missions de formation professionnelle - Centre de main-d'oeuvre, écoles publiques - écoles privées et entreprises, etc.. Ces conflits de juridiction ont conduit à un tel écheveau administratif que les responsables du réseau public d'éducation n'ont pas vrai ment prise sur l'éducation des adultes.
Ce fouillis perdure parce qu'il a une certaine cohérence, parce qu'il permet aux forces économiques de l'aire peser leurs demandes d'adaptation de la main-d'oeuvre. La marginalité des services d'éducation des adultes, dont le statut précaire des cadres et des formateurs est un indice évident, ne peut que laisser place à l'influence prédominante des pouvoirs économiques. Ces derniers peuvent ainsi soustraire l'éducation des adultes à l'école publique pour l'orienter en fonction de leurs exigences: mesures pour pallier au chômage saisonnier, recyclage des cadres semi-professionnels, passage de fonds publics d'éducation de l'école publique à l'entreprise, freinage des stratégies de rattrapage, télescopage des formations professionnelles, marginalisation des services à la collectivité. Si l'emprise de ces pouvoirs économiques partielle demeure encore, c'est que les actions revendicatrices des classes populaires ont permis de freiner à leur tour l'affirmation de ces tendances: pensons par exemple aux interventions des organisations des travailleurs et travailleuses de l'éducation.
En effet, si l'expansion rapide, l'accessibilité encore très limitéeet l'orientation économiste de l'éducation des adultes que l'on commit à l'heure actuelle s'explique plus immédiatement par les structures particulières de décisions et de financement de ce secteur, plus fondamentalement cette situation reflète l'état présent des rapports sociaux. Au début des années '60, le Québec avait subi des transformations profondes aux plans économique et démographique. Le déclin des acitivités agricoles s'accompagnait d'une prolifération des emplois reliés au secteur industriel et commercial et d'un développement rapide de la grande entreprise entraînant une intégration de plus en plus forte à l'économie américaine. Ces bouleversements socio-économiques provoquèrent l'éclatement d'un système d'enseignement étroit et élitiste au niveau post-secondaire, inaccessibles aux adultes, bref d'un système incapable de faire face au diagnostic qui attribuait alors le chômage structurel au manque d'éducation.
Une remise en question de l'école traditionnelle était nécessaire pour combler le retard et adapter la population active aux nouvelles structures de production. La majorité populaire pensa aussi trouver dans cette transformation des réponses à ses aspirations; elle lui donna son appui et la rendit politiquement réalisable. Le rapport Parent prônait le développement de l'éducation permanente pour répondre à quatre types de besoins: le rattrapage professionnel, l'éducation axée sur la culture populaire en fonction de la civilisation des loisirs, la formation des citoyens à la vie démocratique et le perfectionnement rendu nécessaire par l'explosion des connaissances et des changements technologiques. Le discours du rapport Parent traduisait cette concordance temporaire entre les besoins
des classes populaires et les impératifs d'un marché du travail nord-américain en transformation et concrétisait cette alliance. La Révolution tranquille ne fut rien d'autre que ce déblocage rapide face aux retards accumulés de nos équipements collectifs. Les revendications populaires en termes de rattrapage et d'égalité de chance furent donc amalgamées aux pouvoirs économiques exigeant pour leur part un état moderne afin de soutenir et de régulariser leur expansion. Dès lors, le développement des structures éducatives se fit à un rythme accéléré dont on a décrit plus haut la filière éducation des adultes. Cependant si ce déblocage nécessitait l'appui des classes populaires, il ne permit pas que ce groupe s'approprie les transformations amenées par cette vague de modernisation. Assez vite les recommandations de la Commission Parent en prirent pour leur rhume. Les législations fédérales en matière de formation professionnelle des jeunes et de formation de main d'oeuvre, la législation québécoise sur la formation professionnelle (Bill 49),l'important rapport annuel du Conseil économique du Canada en 1972, les rapports Nadeau et GTX sur l'enseignement collégial en 1975, allaient tous contribuer à faire passer les revendications populaires par l'entonnoir d'une politique étroite de main-d'oeuvre et de qualification professionnelle de type technique.
"Tout programme de formation à l'intention des adultes doit d'une part procurer aux individus la compétence qui leur est nécessaire pour s'occuper des emplois rémunérateurs et d'autre part fournir aux employeurs des travailleurs productifs dont ils ont besoin pour soutenir la concurrence dans un monde assujetti à une rapide transformation économique et technologique". 38
C'était ce que déclarait en 1975 le sous-ministre responsable du programme fédéral de la formation des adultes. Qu'il s'agisse de (?...?)
des années 60. La contre-réforme actuelle au niveau de l'éducation s'explique: la classe patronale ne croit plus que des investissements massifs en éducation peuvent conjurer la crise structurelle de l'économie. C'est ainsi que de plus en plus à partir des années 70 on verra les milieux d'affaires intervenir pour plafonner les dépenses de l'école publique, pour améliorer et renforcer le perfectionnement de leurs cadres et pour relier de plus en plus étroitement l'école publique professionnelle à la structure industrielle.
La résistance et parfois la riposte à cette contre-réforme est venue surtout des organisations de travailleurs et travailleuses de l'enseignement avec l'appui du mouvement ouvrier et syndical. Par le biais de mémoires peut-être, mais surtout par des campagnes d'éducation et de mobilisation, on a réussi à freiner l'empressement des responsables de l'éducation publique à répondre aux pressions des milieux économiques. On a pu maintenir une formation professionnelle large plus axée sur un développement économique cohérent pour les classes populaires, on a gagné aussi certaines revendications et à ces premiers groupes se joignent maintenant des groupes de femmes, des groupes d'immigrants et. par-ci, par-là, des regroupements d'étudiants adultes, sans oublierles alliances qui se créent à l'intérieur même des appareils publics où certains responsables cherchent à axer leurs activités sur des services publics à la population.
La situation n'est donc plus celle des années 60: les grandes alliances tactiques temporaires avec les forces économiques ont disparues et de nouveaux rapports de force s'exercent. Comme la Commission Jean en sera le théâtre temporaire, il va bien falloir que les organismes qui défendent les intérêts des classes populaires, lui transmettent leurs revendications.
Tels sont donc les intérêts contradictoires et les forces en présence pour le débat actuel sur l'éducation permanente, tel est le terrain où se joue, à travers l'éducation des adultes, la démocratisation de l'éducation.
Les enjeuxCe tableau de la situation nous permet de dégager un certain nombre d'enjeux.
|
|||||
Education des adultes - développement politique |
|||||
OU |
|||||
Entretien du fouillis administratifs actuel. Education des adultes économique |
Rapatriement de l'éducation des adultes a l'intérieur d'une politique générale d'éducation, contrôle des usager-e-s et droits de négociation des contenus
|
||||
Education des adultes-développement économique
|
|||||
OU |
|||||
Adaptation continue de la main-d'œuvre aux changements dans l'organisation du travail et dans les emplois |
Formation de travailleurs et de travailleuses véritablement poly-valent-e-s et en mesure de comprendre et d'agir sur les processus de production. |
||||
OU |
|||||
Formation technique étroite reliée à des postes précis de travail. |
Formation professionnelle large permettant aux travailleurs et aux travailleuses de palier à l'absence de planification de la structure d'emploi et favorisant une poursuite de la qualification. |
||||
OU |
|||||
Rentabilisation de l'éducation des adultes et autofinancement. |
Gratuité au niveau scolaire et collégial, mise en place d'un congé-éducation payé, transformation de la structure de financement pour permettre le développement de formation non-créditée, faciliter l'organisation de phase pré et post formation et é-viter que les subventions obtenues pour des activités d'éducation des adultes s'engouffrent dans les budgets généraux. |
||||
OU |
|||||
Priorité aux secteurs rentables de l'éducation des adultes c'est-à-dire là où les effets sur les salaires sont les plus directs. |
Priorité au rattrapage, à la lutte contre la marginalité des sous-scolarisé-e-s, chômeurs et chômeuses chroniques en puissance: maintien et redéveloppement des programmes de formation à temps complet avec allocations; priorité a l'alphabétisation: accesibilité accrue aux personnes âgé-e-s. |
||||
Education des adultes- développement culturel |
|||||
OU |
|||||
Acculturation et assimilation. |
Revitalisation des cultures des groupes dominés. |
||||
OU |
|||||
Transmission des valeurs dominantes. |
Apprentissage de la créativité et du pluralisme, démocratisation des médias, accessibilité aux banques de données, promotion de l'éducation populaire autonome. |
||||
OU |
|||||
Renforcement de la division du travail et de la division du savoir. |
Développement de la formation de base et d'une formation professionnelle polyvalente et large. |
||||
OU |
|||||
Promotion d'une éducation de type "continue" qui permet d'économiser sur la formation des jeunes. |
Promotion d'une éducation permanente offrant au départ à tous les jeunes une formation générale primaire et secondaire. |
Glissement vers la privatisation de l'éducation. |
|
OU |
|
Plafonnement des investissements publics. |
Utilisation de la baisse démographique temporaire pour mettre en place diverses stratégies de rattrapage et financer d'autres modes d'utilisation des ressources éducatives. |
OU |
|
Redéveloppement des écoles privées et de la formation dans les entreprises à même les fonds publics et les avantages fiscaux. |
Revitalisation de l'école publique en intensifiant ses rapports avec la Communauté et ses rapports à un développement économique qui vise autre chose que la croissance et la rentabilité des investissements. |
Ici l'enjeu global est simple mais exige des explication. D'un côté, les tenants de l'intégration complète de l'éducation des adultes cherchent à réaliser des économies d'échelles à simplifier l'administration et a. . offrir une égalité formelle des services aux jeunes et aux adultes. De l'autre, ceux qui, tout en favorisant l'intégration des activités de formation régulière offertes aux adultes, prônent le maintien de services spécifiques d'éducation des adultes pour les raisons suivantes:
De fait, l'enjeu de l'organisation et de l'insertion de l'éducation des adultes dans le système public d'éducation est double: I) éviter que l'éducation des adultes devienne un secteur marginal soustrait aux exigences générales de qualité, de distances critiques et de conditions normales de travail, 2) éviter que l'éducation des adultes intégrée ne puisse favoriser le développement de stratégies éducatives diversifiées pour répondre aux besoins de la majorité des adultes.
Notre parti-pris pour l'école publique est clair. Il faut éviter que l'école publique se désagrège et à la fois lutter pour sa démocratisation. En effet l'enjeu pour les classes populaires ne peut être l'abolition de l'école sous prétexte de "libérer" l'apprentissage. La théorie de Yvan Illich a permis de déceler quelques effets importants d'un surscolarisation, mais, prenant des effets pour des clauses, elle conduit à appuyer les tenants du retour aux écoles privées. Evidemment, le projet d'asseoir passivement et à perpétuité les 4.5 millions d'adultes québécois-e-s devant leur télé ou sur des bancs d'école ne correspond en rien à une éducation permanente démocratique. Mais, il n'est pas obligatoire que l'école soit plate, élitiste, sexiste et bureaucratique. Si elle est telle et se maintient telle dans l'ensemble, c'est que cela sert bien le statu quo social et les groupes sociaux qui en tirent avantage. Ceux-ci optent pour une école conçue sur les modèles industriels de rentabilité et résistent toujours, comme on l'a vu. à y créer des conditions objectives permettant d'y faire un travail de qualité, de démocratiser l'école afin qu'elle devienne à son tour un outil de démocratisation de la société.
Ce débat est central pour nous. Sur les fronts de l'éducation, des communications et de la culture, il y a lutte constante des classes populaires afin de dégager des espaces autonomes de création et de communication, afin d'avoir accès aux grand médias et aux appareils culturels, afin de se donner les outils et la capacité nécessaires "pour reprendre en mains collectivement la maîtrise et la transformation de notre environnement et construire une société dans laquelle chaque individu et chaque collectivité peut réaliser son potentiel à tous les niveaux".39
Texte: Paul Bélanger, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses
Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.
Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: Ellefsen, in FORCES, No. 16, 1971: p. I; P. Gentil, in COURRIER DE L'UNESCO, avril 1979: p. 2; EDUCATION ET CULTURE. No. 23, 1973: p. 3 et No. 28, 1975: p. 4 Claudius, in ECOLE, SOCIETE, AVENIR, IDAC, 19-20: p. 5; Claire Beaugrand-Champagne: p. 6: Office du Film du Québec: p. 8; Ullstein, in COURRIER DE L'UNESCO, mai 1979: p. 10: CFDT: p. 10: M. Antman. in COURRIER DE L'UNESCO, juin 1978: p. 12; Laville. in LA FORMATION CONTINUE, CFDT: p. 13: Claudius. in ATTENTION ECOLE, IDAC, 16-17: p. 16.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Marcelle a 25 ans, est mariée, et est sténo-dactylo à la compagnie d'assurance LES IMPRÉVOYANTS. Ca fait trois ans qu'elle fait le même travail, dans la même entreprise, assise au même bureau. Le surintendant vient d'annoncer que la compagnie est en banqueroute et qu'on ferme dans six mois au plus tard. Il faut que Marcelle se trouve un emploi. Pourquoi pas un nouvel emploi, en comptabilité par exemple? Il faut que Marcelle prenne des cours! Aux IMPRÉVOYANTS, il n'y a jamais eu de budget pour la formation du personnel. Au Centre de main-d'oeuvre, on lui dit qu'il y a des cours à temps plein en comptabilité. Mais elle ne peut pas quitter son emploi et vivre avec $10. par semaine d'allocation. Il y a des cours du soir, gratuits, mais Marcelle est refusée parce qu'elle n'a pas d'expérience de travail dans ce domaine. On lui suggère d'aller au CEGEP directement. Elle tente sa chance mais avec sa 9ième année, elle n'a pas la scolarité requise pour l'accès au collégial. Marcelle va rester aux IMPRÉVOYANTS et attendre de se trouver une autre job, autant que possible de sténo-dactylo classe 3. mais elle aura perdu son ancienneté. Cette histoire inventée de toute pièce est peut-être un cas limite, mais se produit quand même quotidiennement pour des milliers de travailleurs et de travailleuses, de gens en chômage et de ménagères dont les aspirations professionnelles sont irréalisables pour toutes sortes de raisons. Pourtant, les programmes de formation sont assez développés au Québec! Mais pour en démocratiser l'accès, pour faire en sorte que les travailleurs et travailleuses prennent en main de façon autonome leur développement professionnel, pour que les contenus de cours correspondent à leurs besoins, il faut repenser ce système.
Depuis une quinzaine d'années, au Québec, des programmes de formation professionnelle pour adultes se sont développés à l'initiative des deux palliers de gouvernement, fédéral et provincial.
On a donc deux filières principales pour avoir accès à ce genre de cours: le programme fédéral de formation de la main-d'oeuvre du Canada (PFMC), qui touche plus de 100,000 personnes chaque année au Québec, et le réseau du ministère de l'Education du Québec. Le PFMC a cinq sous-programmes dont quatre sont exclusivement axés sur la formation professionnelle des adultes: les cours de formation professionnelle à temps plein et à temps partiel, des cours en industrie et les cours pour apprenti-e-s. Sauf pour les cours en industrie, tous sont donnés dans les commissions scolaires et les cégeps.
De son côté, le ministère de l'Education (MEQ) a lui aussi ses programmes pour adultes, à travers les commissions scolaires, les collèges et les universités. Nous n'essayerons pas de démêler le problème complexe des responsabilités de chaque réseau et des rapports entre les deux structures gouvernementales. Les intéressé-e-s pourront se référer à d'autres documents pour cela40.
Parallèlement à ces deux filières principales, il en existe une troisième, non publique, formée des programmes de formation des entreprises. C'est une filière relativement importante puisqu'elle touchait en 70 près de 150,000 travailleurs et travailleuses et que ce nombre a certainement augmenté.41 Nous n'avons pas l'intention de faire le portrait de ces filières de formation, mais plutôt de regarder comment certaines catégories importantes de la population laborieuse a accès à ces filières et à quelles conditions. C'est de ce point de vue que nous verrons ensuite les autres enjeux que pose la formation professionnelle.
II y a en moyenne autour de 300,000 chômeurs et chômeuses au Québec. Si on accepte l'hypothèse qu'ils sont rares à pouvoir se payer des cours dans le réseau scolaire, c'est naturellement vers le PFMC qu'ils vont se tourner. Selon des données compilées par l'ICEA pour les dernières années,42 sur la base des statistiques gouvernementales, plus de 20,000 chômeurs et chômeuses participeront à des cours de formation professionnelle, dans deux programmes principaux: les programmes de formation professionnelle à temps plein (13,000 chômeurs inscrits en 1977-78), et le programme de formation en industrie (environ 8,000 en 1976-77).
Le programme à temps plein offre des cours de longue durée - maximum 52 semaines - dans des métiers enseignés dans les commissions scolaires. L'intéressé-e doit cependant satisfaire aux exigences minimales de scolarité (études primaires ou l'équivalent), être âgé-e de 16 ans et avoir quitté l'école depuis au moins un an. Si elle n'a pas la scolarité requise, la personne en chômage pourra peut-être être retenue pour des cours de formation générale préparatoires à la formation professionnelle.
Des allocations sont allouées aux stagiaires à temps plein. Elles sont minces - entre $10 et $125. par semaine - et un tableau comparatif des coupures décrétées en 1978 montre qu'elles défavorisent particulièrement les jeunes et les femmes demeurant chez un parent ou conjoint.
|
ALLOCATIONS AVANT OCTOBRE 1978 |
ALLOCATIONS DEPUIS OCTOBRE 1978 |
Personnes sans pers. à charge, logées chez parents ou conjoint |
$45. |
$10. |
Personnes seules, sans personne à charge |
79. |
60. |
Personnes seules, avec |
|
|
1 personne à charge |
90. |
80. |
2 personnes à charge |
97. |
95. |
3 personnes à charge |
103. |
122. |
4 personnes à charge |
109. |
125. |
Depuis 3 ans, les changements apportés au mode de financement de ces allocations ne favorisent pas l'accès au programme. Alors qu'auparavant le chômeur recevait des allocations pour la durée de son cours et pouvait exercer par la suite son droit aux prestations d'assurance-chômage, depuis deux ans, le stagiaire en chômage ne reçoit que sa propre prestation d'assurance-chômage et épuise sa caisse pendant sa période de formation. Les chômeurs se trouvent ainsi à se payer eux-mêmes des allocations d'étude!
Il y a aussi le programme de formation en industrie. Le stagiaire est payé par l'employeur au salaire en vigueur dans l'entreprise - lequel est remboursé en partie par le gouvernement fédéral. C'est un stage pratique, en production, style formation sur le tas, non certifié par un diplôme et sans garantie d'emploi. C'est en fait un programme non pas de formation professionnelle mais d'insertion dans l'entreprise, - où le stagiaire n'a pas grand chose à dire sur son programme de formation.
Les travailleurs en emploi qui désirent participer à des cours de formation professionnelle n'ont pratiquement d'autre choix que de prendre des cours le soir, après les heures de travail en coupant sur leurs périodes de repos et leur vie sociale. On peut donc penser que ce seront les plus disponibles, ceux et celles qui ont les emplois les moins astreignants qui vont pouvoir utiliser ces possibilités.
En fait, 50,000 travailleurs et travailleuses environ en 1976-77 profitaient des cours organisés par le PFMC et quelques milliers d'autres (on n'a pas de données précises) s'inscrivent d'eux-mêmes dans les commissions scolaires, les CEGEP ou les universités. La gamme des cours payés par le PFMC est plutôt large mais c'est un programme de perfectionnement ouvert seulement à ceux et celles qui ont une formation de base et de l'expérience de travail dans l'option choisie. Les autres doivent se débrouiller par leurs propres moyens. Un problème peut se poser: les exigences académiques, qui, bien qu'assouplies pour les adultes au collégial, demeurent un obstacle pour les moins scolarisé-e-s, c'est-à-dire pour un très
grand nombre de travailleurs et de travailleuses qui n'ont pas fini leur secondaire par exemple. Dans l'entreprise, l'employeur peut organiser des activités de formation, parfois subventionnées par le PFMC (formation en industrie). L'employeur est seul à décider de qui y participera, et il détermine aussi le type de formation. Le système s'applique au mérite et est gardé jalousement à l'écart de ce qui est négociable avec le syndicat. Règle générale, il s'agit de formations techniques pour les cadres, spécialistes et agents de maîtrise et de formations sur le tas pour les employés de production, la plupart du temps non certifiées et non transférables ailleurs parce que très étroitement liées à une tâche.
Selon des données compilées par le Conseil du statut de la femme et par nous-mêmes43, les femmes sont largement défavorisées en ce qui concerne la formation professionnelle. Par exemple, les programmes du PFMC de formation professionnelle ne comptaient que 29.5% de femmes en 1975-76 et rien ne permet de penser que cette proportion ait bien changé. De plus, elles ont un choix d'options beaucoup plus restreint que les hommes. Ainsi, dans le programme de formation professionnelle à temps partiel du PFMC, sur 300 à 400 options possibles, à peine 60 comptent une proportion de femmes relativement importante et quatre options à elles seules regroupent 43% des femmes. Celles-ci - sténodactylo bilingue, commis dactylo, commis-comptable, techniques infirmières - correspondent à des ghettos d'emploi qui leur sont réservés sur le marché du travail.
La majorité des options leur sont interdites parce que seules les personnes qui veulent se perfectionner dans leur métier ou occupation ont accès à ce programme: les femmes ne peuvent donc pas se recycler dans d'autres options ou métiers occupés par les hommes. Le système reproduit les pratiques discriminatoires du marché du travail. Il faut souligner enfin que. dans l'ensemble des programmes publics, les femmes se retrouvent toujours plus souvent dans ces cours à temps partiel que les hommes, à cause notamment du manque d'argent, des charges familiales, du manque de garderies (surtout le soir), des critères d'accès, etc…
Bien d'autres groupes sociaux ont des aspirations difficilement réalisables dans le cadre actuel. Mentionnons par exemple le cas particulier des producteurs agricoles. Jusqu'en 1978, environ 7,000 producteurs agricoles étaient éligibles aux allocations versées par le programme de formation professionnelle à temps plein du PFMC pour des sessions spécialisées de 5 à 10 jours ou pour des blocs de 25 jours, suivis durant l'hiver. Ces allocations étaient coupées en 1979, éliminant du même coup les possibilités offertes par ce programme.
On sait qu'en 1971, 75% de la population n'avait jamais suivi de cours de formation professionnelle ou en avait suivi pendant moins de 3 mois.44 Pour les travailleurs et les travailleuses, les changements technologiques, l'affaiblissement des secteurs d'activités traditionnels (textiles, cuir, chaussure), les fermetures d'usine, entraînent l'insécurité d'emploi, la déqualification de leurs connaissances, le chômage et l'appauvrissement. La formation professionnelle est donc l'un des moyens par lequel ilspeuvent se prémunir contre certaines conséquences néfastes des soubresauts économiques. Et cela est particulièrement vrai en période de crise économique.
La formation professionnelle est donc une nécessité et un droit. Il y a des acquis à consolider. Les programmes actuels en sont, malgré leurs faiblesses évidentes. Il faut élargir l'accès à ces programmes et en libéraliser les critères d'admission.
On doit mettre un terme aux conditions qui confinent les femmes dans ces options-ghettos et favoriser leur accès libre à tous les métiers, y compris ceux qui sont traditionnellement réservés aux hommes. Pour les femmes, cela ne signifie pas faire la preuve de leur compétence et de leurs capacités physiques et intellectuelles mais surtout pouvoir exercer les métiers les plus rémunérateurs.
Au niveau des moyens, il y a bien sûr le congé-éducation payé45 . D'autres pratiques sont aussi intéressantes; la négociation de clauses de perfectionnement, qui mettent à la disposition des travailleurs et travailleuses des fonds destinés à leur perfectionnement ou à leur recyclage.
Enfin, on pourrait s'inspirer des pratiques étrangères et appliquer au Québec des politiques de correction - genre positive action ou outreach programs comme aux Etats-Unis ou en Suède - mobilisant des ressources particulières pour faciliter l'accès des catégories sociales défavorisées à la formation professionnelle.
Si on y regarde de près, il est pour le moins curieux que les décisions concernant la formation professionnelle des adultes soient toutes prises par des organismes et des appareils qui n'ont jamais de comptes à rendre sur ce sujet. C'est une conception de la démocratie un peu trop étriquée pour ne pas être questionnée.
La démocratisation de la formation professionnelle passe par la prise en charge directe par les usager-e-s des décisions et des choix qui touchent leur développement professionnel. C'est à eux de déterminer leurs besoins et de choisir les moyens pour y répondre.
Cela signifie remettre en question le contrôle exclusif de l'Etat et des entreprises sur les activités de formation.
Les moyens de reprendre en main cet outil qu'est la formation professionnelle sont à inventer. Bien qu'encore marginales certaines tentatives en ce sens peuvent nous inspirer.
Par exemple, des ententes entre l'Union des producteurs agricoles (UPA) et certaines commissions scolaires ont permis à l'UPA d'avoir son mot à dire dans le contenu des programmes de formation destinés à ses membres et données par ces commissions scolaires. Bien que ces ententes n'aient pas été reconnues légalement et officiellement, elles donnaient également un certain droit de regard à l'UPA sur le choix de certains formateurs et permettaient d'aménager le contenu des cours pour qu'on y parle par exemple du syndicalisme agricole au Québec.
Des pratiques analogues existent dans l'industrie, où des clauses de perfectionnement ont été négociées en cas de changements technologiques. Ces clauses prévoient le déblocage de fonds utilisables par le syndicat (et l'employeur) pour la formation des salarié-e-s.
D'autres groupes vont plus loin et interviennent directement dans la constitution des programmes qui concernent leur branche occupationnelle. C'est le cas du secteur de l'imprimerie par exemple.
Ces quelques exemples montrent qu'il est possible de commencer dans nos milieux respectifs à prendre en charge les conditions de notre formation professionnelle. Il faut élargir ces acquis et inventer de nouveaux moyens. L'opposition sera tenace parce que l'enjeu est important. Ces hypothèses remettent en cause de fond en comble les croyances gouvernementales selon lesquelles les investissements en formation professionnelle doivent avoir un impact immédiat sur la croissance économique et la diminution du chômage et elles mettent en pleine lumière la faillite de cette orientation, puisque le chômage n'a jamais diminué depuis 10 ans et que la croissance économique reste très faible.
Une réflexion sur la formation professionnelle ne peut manquer de remettre en question le contenu et la finalité de la formation actuellement dispensée. Or cette formation est trop souvent axée sur les intérêts à très court terme de l'entreprise, c'est-à-dire sur des tâches précises et restreintes, au nom de l'adaptation nécessaire de la main-d'oeuvre aux réalités du travail. Toujours au nom de ce principe, de plus en plus remis en cause d'ailleurs, on ne donne à la formation professionnelle que des objectifs de savoir-faire et on oublie de donner des connaissances plus larges qui permettraient aux travailleurs et travailleuses d'acquérir la maîtrise du métier, des techniques, du processus de production.
Ce genre de formation professionnelle est en fait hérité directement des méthodes d'organisation du travail tayloristes et néo-fordistes caractérisées par la séparation du travail de conception et du travail d'exécution, par la parcellisation des tâches entre les travailleurs au point qu'aucun d'entre eux ne peut comprendre le processus de production dans son entier, avoir de l'emprise sur lui.Ainsi, les travailleurs ne peuvent le transformer en fonction de leurs intérêts.
De ce point de vue, la formation professionnelle a suivi la même voie: on a compartimenté et multiplié les options, on a séparé en deux filières étanches l'apprentissage des métiers (niveau secondaire) et l'apprentissage des techniques (niveau collégial).
Mais peut-on se contenter de ce projet d'éducation? Dans son mémoire à la Commission d'enquête sur le congé-éducation, la FTQ disait que:
"Ce que les travailleurs attendent va au-delà de ce qu'on leur offre actuellement. Ils demandent en tant que citoyens à part entière et en tant que membres de leurs organisations syndicales des programmes les aidant à mieux comprendre les enjeux toujours plus complexes de notre société moderne et à participer pleinement aux décisions qui les concernent. Ils ne peuvent se satisfaire de programmes orientés exclusivement en fonction des besoins des employeurs et qui visent uniquement à un simple ajustement de la main-d'oeuvre aux impératifs des procédés de travail. Ils demandent une formation sur mesure, polyvalente, générale et transférable. Ils veulent aussi une formation critique, leur permettant de faire des choix éclairés en fonction de leurs propres intérêts." 46
Voici aussi un autre point de vue, celui de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) défendant la thèse que la formation trop orientée sur l'ajustement aux modes de production n'est pas rentable à long terme, ni pour les travailleurs ni pour la société:
"Dans le contexte étroit de besoins en évolution rapide de main-d'oeuvre spécialisée, un système d'éducation récurrente pourrait apporter la souplesse voulue. Cela ne revient pas à appliquer des programmes qui dispensent de nouvelles compétences professionnelles ou à adapter ces com-pétences à une évolution technologique. L'expression "compétences professionnelles" a une connotation étroite qui n'est pas compatible avec la nature et l'orientation d'une politique d'éducation récurrente: la souplesse professionnelle qui est nécessaire dans la société technologique pendant toute une carrière professionnelle exige autant d'attitudes nouvelles de jugement quant aux aptitudes, de planification de la carrière et de capacité d'opérer des choix judicieux que de compétences et de connaissances professionnelles stricto sensu."47
Les contenus de cours de formation professionnelle doivent être complètement repensés, enrichis en fonction des intérêts de ceux et celles à qui ils s'adressent. Et par eux. En s'inspirant du précédent créé par l'UPA, il est pensable d'intégrer dans les cours de formation professionnelle des contenus généraux, sur des sujets socio-économiques (sécurité-santé, droits sociaux et législation ouvrière, syndicalisme, etc.).
La question du rapatriement au Québec du programme fédéral pourrait prendre beaucoup de place dans les débats de cette année, d'une part parce que la Commission Jean sur l'éducation des adultes a pour mission d'étudier cette hypothèse et d'autre part parce que le gouvernement au Québec considère que c'est le premier geste à poser dans ce domaine.
On peut penser en effet que le rapatriement du PFMC mettrait fin à l'ingérence fédérale dans le domaine de l'éducation, réservé aux provinces par la constitution, et à un dédoublement de structures qui n'aide aucunement les usager-e-s à s'y retrouver dans les dédales administratifs.
Le rapatriement effectué, il resterait encore à décider quel ministère serait le maître d'oeuvre de ce programme: ministère du Travail ou de l'Education? Les deux en réclament la responsabilité.
Pour nous, un éventuel remplacement du PFMC par un programme québécois (PFMQ) n'aurait pas de portée très significative si le programme devait rester fondamentalement le même. Or justement, les documents gouvernementaux portant sur ce sujet depuis quelques années48 ne permettent pas de croire que les grands objectifs du programme seraient modifiés, que les discriminations seraient éliminées et que les usager-e-s auront plus de place dans la détermination des besoins et des contenus.
Ces documents illustrent quand même des approches différentes entre le ministère du Travail (MTMQ) et le ministère de l'Education (MEQ). qu'on peut résumer rapidement autour des points suivants: pour le MTMQ, le PFMQ doit être restreint à la lutte au chômage structurel et il y a des coupures à faire dans les programmes existants. Il vise à corriger l'offre de main-d'oeuvre et à répondre aux besoins à court terme du marché... Selon le MTMQ, le marché du travail est un mécanisme qui tend à l'utilisation maximale des ressources... et les conventions collectives sont un obstacle aux changements technologiques, à la mobilité des travailleurs et à leur perfectionnement!
Pour le MEQ. le PFMQ doit être rapatrié tel quel, dans un premier temps... Il doit viser l'amélioration générale de la qualification professionnelle et doit tenir compte des intentions des travailleurs (mais sans dire comment) et de la demande du marché... Si l'on s'en tient à ces documents d'intention, documents internes, on voit que le gouvernement du Québec est loin d'une conception de la formation professionnelle des adultes qui se rapproche des exigences de démocratisation que nous mettons de l'avant. Raison de plus pour amener le débat sur ce terrain.
Conseil du statut de la femme, L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUÉBEC. Editeur officiel. Québec. 1976.
ICEA, LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC. UN PORTRAIT COMMENTÉ DES RESSOURCES OFFERTES AUX TRAVAILLEUR-EUSE-S ET CHOMEUR-EUSE-S. juin 1979.
Travail Canada. L'ÉDUCATION ET LES TRAVAILLEURS CANADIENS. Rapport de la Commission d'enquête sur le congé-éducation et la productivité, juin 1979.
MEQ, LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU QUÉBEC, document de consultation, février 1980.
LECTURES D'APPOINT
Lizée, Michel et Rose-Lizée, Ruth, LA DÉMOCRATISATION DE L'ÉDUCATION. QUÉBEC: UNE ÉTUDE DE CAS EN AMÉRIQUE DU NORD, décembre 1978 (à paraître à l'Unesco - Paris). CEQ, LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU QUÉBEC: CRITIQUE DU PROJET DE POLITIQUE DU MEQ. mai 1980.
CG 115
DGEA, UN PROGRAMME INITIAL DE FORMATION DE LA MAIN-D'OEUVRE DU QUÉBEC (PFMQ). octobre 1978. MTMQ, POLITIQUE RELATIVE À UN PROGRAMME DE FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES DU QUÉBEC, avril 1979.
Conseil du statut de la femme, POUR LES QUÉBÉCOISES: ÉGALITÉ ET INDÉPENDANCE, Québec. Editeur officiel. 1978. OCDE, L'ÉDUCATION RÉCURRENTE: UNE STRATÉGIE POUR UNE FORMATION CONTINUE. Paris. 1973. Chariot, Bernard, L'ÉCOLE AUX ENCHÈRES, Paris, Payot, 1979.
Texte: Richard, Nantel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses
Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.
Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: Laville, in LA FORMATION CONTINUE, CFDT/Pratique syndicale, Paris 1978: pp. 1. 4. 6. 8: CFDT-MAGAZINE, No. 40, juin 1980: p. 2.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Congé pavé, tout le monde sait ce que ça veut dire. Congé-éducation payé, par contre, est une expression qui ne nous est pas familière. Cela signifie que quelqu'un aurait droit de quitter temporairement son emploi en continuant de recevoir un salaire, pour consacrer ce temps à une activité éducative de son choix.
Le congé-éducation payé, ce n'est pas une utopie. Ca ne veut pas dire qu'on va vider les usines du Québec et renvoyer tout le monde sur des bancs d'école! C'est plutôt un moyen pour démocratiser l'accès aux ressources éducatives pour ceux et celles qui n'y ont pas accès dans les conditions actuelles. C'est aussi une façon de remettre entre les mains des classes populaires le plein contrôle de leur développement éducatif et culturel. Le congé-éducation payé existe dans plusieurs pays d'Europe. Des percées sont aussi réalisées au Québec depuis quelques années.
Comment consolider et élargir ces acquis en s'inspirant des pratiques existantes ailleurs et ici?
La définition la plus généralement acceptée du congé-éducation payé est celle adoptée par l'ONU et plus précisément par l'Organisation Internationale du Travail (OIT) en 1974:
"... un congé accordé statutairement à un travailleur à des fins éducatives, pour une période déterminée, pendant le temps normal de travail, sans perte de bénéfices marginaux et avec versement de prestations financières adéquates". 49
Cette définition comprend tous les éléments essentiels du congé-éducation payé, s'inspire du droit à l'éducation pour les travailleurs et les travailleuses et présuppose que ces dernier-e-s ont besoin d'être dégagé-e-s de leur tâche de travail pendant certaines périodes pour rendre effectif leur droit à l'éducation. Soulignons que dans l'expression "fins éducatives", l'OIT englobe les formations générale, professionnelle et syndicale, qui sont toutes reconnues légitimes et nécessaires, précise que le choix de la formation dépend des besoins de l'individu et relève de lui seul... Il s'agit donc d'une formule permettant aux travailleurs et aux travailleuses de prendre en charge leurs aspirations éducatives et culturelles.
Avant même que l'OIT adopte la Convention 140 sur les congés- éducation et encore plus après, de nombreuses formules de congé-éducation payé ont été expérimentées en Europe. L'examen de certaines d'entre elles peut nous permettre de voir la portée concrète du congé-éducation payé, ses avantages pour les travailleurs et les travailleuses ainsi que ses limites. 50
II n'y a pas, en Italie, de législation donnant droit au congé-éducation. C'est par la voie des négociations collectives que, depuis 1973, les syndicats italiens ont obtenu pour leurs membres un congé-éducation payé de 150 heures Les syndicats ont pu négocier une banque d'heures équivalente à la somme de 10 heures par salarié-e-s par année. Dans les limites de cette banque, chaque travailleur a droit à un congé payé d'une durée maximale de 150 heures, à condition que la formation envisagée ait une durée au moins double de celle du congé demandé. Le nombre de travailleurs pouvant bénéficier simultanément d'un congé ne peut excéder 2% de l'effectif de l'entreprise. C'est l'entreprise qui paie les salaires et l'Etat, les frais de cours. Le mécanisme de gestion du congé est double. Le syndicat s'occupe de l'information aux membres, recueille les demandes et les transmet à l'entreprise. Celle-ci n'a de contrôle sur le régime de congés que par la vérification des conditions d'accès et d'exercice du congé telles que définies dans la convention collective. Les bénéficiaires du congé sont très majoritairement des salarié-e-s de l'entreprise.
Ce gain devait viser à améliorer le niveau culturel des membres afin de favoriser le développement d'une nouvelle culture ouvrière. L'objectif était aussi de transformer l'école afin de l'adapter aux besoins des travailleurs et de transformer l'organisation du travail par une meilleure compréhension du processus de production. Les cours organisés pour les travailleurs vont donc de la formation générale de base (rattrapage scolaire) à des sessions sur l'organisation du travail, la condition féminine, l'histoire du mouvement ouvrier, l'économie, etc..
Le système dominant dans ce pays est le crédit d'heures, instauré par une loi en 1973, et qui permet aux salarié-e-s de s'absenter de leur travail pour suivre des cours de promotion sociale. Ce sont en très grande partie des cours techniques et professionnels mais depuis quelques années, on note une ouverture du côté de l'enseignement général.
Le crédit d'heures n'existe que pour les salarié-e-s à plein temps et âgé-e-s de moins de 40 ans. Il est facile de voir que ces conditions visent à favoriser les gens définis par l'Etat comme étant productifs et donc à rentabiliser au maximum la formation offerte.
Le ou la salarié-e choisit le cours qu'il ou qu'elle désire suivre, mais à condition que ce cours fasse partie d'une liste établie par le gouvernement. Le cours doit durer au moins 90 heures, étalées sur un an. Le conseil d'entreprise voit à organiser les absences de façon à ne pas nuire à la production. Le calcul du congé se fait de la façon suivante: au cours de la première année de formation, le ou la salarié-e a droit à un crédit d'heures égal au quart de la durée du cours, la deuxième année à la moitié de la durée du cours et la troisième année à un crédit d'heures égal à toute la durée du cours.
Pendant ce congé, le salarié a droit à son salaire jusqu'à concurrence d'un plafond fixé par la loi (28,OOOFB) et ses avantages sociaux sont maintenus. Le financement du système est assumé par une caisse dans laquelle le patronat et l'Etat versent chacun 0.5% de la masse salariale. Les cours sont gratuits mais ne sont souvent disponibles que le soir. Par conséquent, ils n'entraînent pas nécessairement l'absence du travail et le crédit d'heures manque son but. Cette insuffisance du système, avec le fait que le choix de cours est limité, explique que la formule soit peu utilisée en ce moment. Enfin, signalons que la formation syndicale fonctionne aussi sur la base d'un système de crédit d'heures, mais de façon tout à fait indépendante du système précédent. Nous n'avons pas d'information sur l'ampleur des acquis de ce côté.
Les travailleurs de certains secteurs professionnels ont obtenu depuis longtemps le droit au congé-éducation, grâce à des clauses négociées dans leur convention collective. C'est pour étendre ce droit à tous les salariés-e-s que le gouvernement est intervenu par voie législative en 1974. L'objectif principal du congé-éducation est l'égalité des chances: permettre à ceux et celles qui ne l'ont pas pu de compléter leurs études secondaires et d'améliorer leur qualification. Le congé vise aussi à permettre aux salarié-e-s d'exercer les pouvoirs qui leur sont reconnus dans l'entreprise, au niveau de l'organisation du travail par exemple. Enfin, il doit assurer la participation de tous et de toutes à la vie sociale et politique.
Les formations possibles dans ce cadre sont très diverses, d'ordre professionnel, général, culturel, politique et syndicale. Les conditions d'accès et d'exercice du congé sont simples: le demandeur doit avoir 6 mois d'ancienneté dans l'entreprise; l'employeur ne peut refuser une demande mais tout au plus la retarder. Aucune limite de durée n'est fixée et l'emploi est protégé pendant l'absence.
Pour le congé-éducation, la loi suédoise reconnaît un simple droit d'absence non-rémunéré mais il existe plusieurs façons d'obtenir une rémunération pendant l'absence. Certaines conventions collectives prévoient le maintien du salaire de la personne en congé. Des allocations sont offertes par l'Etat, à même une caisse financée en partie par une taxe sur les entreprises (0.25% de la masse salariale). Enfin, les salarié-e-s qui ne peuvent obtenir d'allocation ont droit aux bourses d'étude au même titre que les étudiant-e-s.
Signalons enfin que les syndicats sont impliqués également dans la gestion du congé-éducation. Ils sont représentés dans les comités d'éducation régionaux qui distribuent les allocations gouvernementales dont on vient de parler. Au sein de l'entreprise, ce sont des organisateurs d'études élu-e-s par les salarié-e-s qui informent et recrutent les intéressé-e-s pendant les heures de travail.
L'Allemagne est une fédération de onze provinces où le gouvernement central est responsable de la formation professionnelle par le biais des politiques d'emploi et de développement économique. Le gouvernement fédéral n'a pas instauré de politique de congé-éducation. Ce sont donc les provinces qui ont pris cette initiative de même que les syndicats dans leurs conventions collectives. Cinq provinces ont légiféré jusqu'à maintenant sur le sujet: dans trois d'entre elles, le congé est ouvert à tous les salarié-e-s, et seulement aux jeunes dans les deux autres.
Le congé est de courte durée, 10 jours par an ou tous les deux ans, et autorise des formations professionnelles, générales et socio-politiques. L'employeur continue à verser leur plein salaire aux stagiaires.
A côté de ces législations, les syndicats continuent à négocier des clauses relatives au congé-éducation. Ces clauses touchaient 2.8 millions de syndiqué-e-s (sur 20 millions) en 1977. Elles permettent des congés non-rémunérés de courte durée, deux à trois semaines, à des fins de formation professionnelle ou syndicale.
L'origine du congé-éducation payé en France remonte à l'accord signé en 1970 entre les syndicats et le patronat, puis à la loi de 1971.
Une nouvelle loi adoptée en 1978 reconnaît à tout salarié la possibilité de suivre, pendant le temps de travail, une formation de son choix, professionnelle, culturelle ou sociale, tout en maintenant son emploi et ses avantages sociaux.
Cependant, les conditions d'exercice du congé, son mode de rémunération et la co-existence avec les plans de formation propres aux entreprises restreignent grandement cette possibilité. Aussi, l'employeur n'est obligé de payer que les stages qui font partie d'une liste de cours professionnels dressée par l'Etat, et encore, dans la limite des quotas d'absences simultanées de 0.5% des effectifs de l'entreprise. L'employeur maintient alors le salaire du stagiaire pendant une certaine période de temps et l'Etat assume la différence.
Des stages sont aussi possibles dans le cadre d'une liste dressée par la Commission paritaire de l'emploi dans le secteur professionnel d'un-e salarié-e.
C'est l'employeur qui sélectionne les demandes, après consultation des organisations syndicales. De plus, l'entreprise garde un contrôle total et non partagé sur son plan de formation interne qui est souvent plus important que les formations prévues dans le cadre de la loi.
Les demandes individuelles de congé pour des formations non prévues par les accords ne peuvent être refusées mais ne seront pas rémunérées, ce qui en fait un droit plus théorique que réel.
Signalons en terminant l'existence d'un congé-éducation ouvrière, prévu par une loi complètement différente, la loi sur la promotion collective. C'est un droit d'absence de 12 jours par an, non rémunéré, accessible à un certain quota de salarié-e-s par entreprise et utilisé pour des fins de formation exclusivement syndicale.
Notons que cette loi alloue des fonds aux centrales pour compenser les pertes de salaires et aux agriculteurs pour qu'ils se fassent remplacer sur leur ferme.
Cette description très brève des expériences de congé-éducation payé existantes en Europe nous permet de constater que la formule a permis des avancées intéressantes à plus d'un point de vue et qu'elle constitue un facteur de démocratisation de l'éducation et de la culture.
Même s'il est principalement utilisé à des fins de formation professionnelle, le congé-éducation permet un accès non négligeable aux formations générale, socio-culturelle, syndicale.
Cette formule a mis des ressources éducatives à la disposition de catégories de la population adulte qui autrement n'y auraient jamais eu accès, faute de temps et de conditions matérielles adéquates.
Le congé-éducation permet aux individus et aux groupes organisés de prendre en main leur développement éducatif et culturel selon leurs besoins propres. Il donne naissance à des formules éducatives nouvelles, indépendantes des modèles scolaires traditionnels.
Enfin, les expériences examinées contredisent le mythe qui veut que le congé-éducation payé soit une formule utopiste et d'un coût exorbitant. On a vu que môme quand tous les salarié-e-s d'un pays ou d'une entreprise sont éligibles au congé, tous ne veulent pas ou ne peuvent pas l'utiliser. Il ne s'agit évidemment pas de vider les usines pour renvoyer tout le monde sur les bancs d'école.
Au Québec, bien des blocages au sein de notre système scolaire et économique empêchent la réalisation de certaines aspirations des classes populaires en termes de développement éducatif et culturel. Ces aspirations et ces blocages sont de plusieurs ordres.
La formation professionnelle privilégiée.
Bien qu'il soit théoriquement possible pour tout individu de choisir la formation qui correspond à ses besoins, l'organisation et l'orientation des programmes pour adultes sont fortement influencées par les bailleurs de fonds publics et privés. Pour les gouvernements, l'éducation des adultes est un outil de développement économique par l'adaptation de la main-d'oeuvre aux besoins du marché du travail. Pour l'entreprise, cela est connu, la formation de la main-d'oeuvre est un moyen de hausser la productivité et de diminuer les coûts de production. C'est donc la formation et le perfectionnement professionnels qui seront les grands privilégiés des bailleurs de fonds et c'est ce que démontrent les statistiques portant sur les programmes.51
C'est un programme fédéral géré conjointement avec les ministères québécois du Travail et de l'Education, qui touche plus de 100,000 personnes par année dans la province. Plus de 80% de la clientèle de ce programme est concentré dans les cours de formation professionnelle - à temps plein ou partiel, pour apprenti-e-s ou en industrie. Moins de 20% du programme est consacré à la formation générale (préparatoire à la formation professionnelle) et l'importance de ce type de cours tend à diminuer depuis 10 ans.
En dehors des cours organisés pour les clients du PFMC, les commissions scolaires offrent surtout des cours de formation générale à temps partiel qui rejoignent une clientèle relativement importante. Ces cours ont totalisé 317,000 heures-groupes en 1975-1976 (contre 456,000 heures-groupes pour les cours de formation générale à temps plein donnés à travers le PFMC pendant la même année).
Au niveau collégial, les adultes se retrouvent assez massivement dans les options professionnelles.
Au niveau universitaire, on estime que les adultes se retrouvent principalement dans les secteurs suivants: formation des maîtres, sciences administratives, sciences humaines et sciences de la santé.
L'ensemble de la formation offerte en entreprise est reliée à la tâche, donc de type professionnel - apprentissage, recyclage, perfectionnement.
Quant aux aspirations des classes populaires à des formations syndicales ou socio-économiques liées à leurs conditions de vie ou de travail, elles sont limitées par un manque de fonds.
Par exemple, les organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP) doivent quêter chaque année des subventions au ministère de l'Education. Aucun financement statutaire n'est garanti.
Il en va de même pour la formation donnée à leurs membres par les organisations syndicales puisque celles-ci ne peuvent compter jusqu'à maintenant que sur des subventions gouvernementales toujours incertaines.
L'examen de certaines statistiques compilées par le Conseil du statut de la femme et par l'ICEA52 indique que les femmes sont défavorisées par des conditions discriminatoires quant à l'accès aux ressources éducatives.
La clientèle du PFMC. par exemple, ne comptait que 42% de femmes en 1975-76 et rien n'indique que cette proprotion ait augmentée. Fait plus important encore, dans ce même programme, c'est dans les programmes qui ne les préparent pas directement à retourner sur le marché du travail que l'on retrouve les femmes: elles forment 59% des inscrits en formation générale, mais 29% seulement des inscrits en formation professionnelle.
La situation est semblable dans les commissions scolaires, où elles forment 87% de la clientèle des cours socioculturels non-crédités. Au niveau collégial en 1977-1978, elles représentaient moins de 40% des inscrits en formation professionnelle (temps plein) mais 60% des inscrits en formation générale (temps plein).
De la même façon qu'on peut déplorer que les travailleurs définis comme socialement productifs soient orientés très fortement vers une formation professionnelle et aient difficilement accès à une formation plus générale, on peut déplorer que les femmes au contraire aient difficilement accès à la formation professionnelle. Cette discrimination est encore aggravée par des coupures pratiquées depuis 1978 dans leurs allocations de formation. En effet, les femmes qui ne peuvent prouver qu'elles ont seules la charge de leurs enfants ont vu leurs allocations passer de 45 dollars par semaine à 10 dollars.
Par ailleurs, même lorsqu'elles ont accès à la formation professionnelle, les femmes ont un choix restreint d'options et celles-ci correspondent aux ghettos
d'emplois qui leur sont traditionnellement réservés sur le marché du travail. Par exemple, dans les cours à temps partiel offerts dans le cadre du PFMC, sur 300 à 400 options offertes, à peine une soixantaine comptent un nombre relativement important de femmes, et au sein même de ce maigre choix, 43% des femmes se retrouvent dans quatre options-ghettos (sténo-dactylo bilingue, commis-dactylo, commis-comptable, technique infirmière).
Enfin, dans l'ensemble des programmes publics, les mêmes études indiquent que les femmes se retrouvent plus souvent dans les programmes à temps partiel que les hommes, à cause d'obstacles les empêchant d'accéder aux programmes à temps plein (insuffisance de garderies, charges familiales, etc.).
Les travailleurs en emploi ont en principe accès à l'ensemble des programmes de formation existants. Mais ceux et celles qui veulent en profiter sont cependant limités par la force des choses aux programmes de cours à temps partiel le soir.
En effet, peu vont prendre le risque de quitter un emploi pour s'engager dans le programme de formation professionnelle à temps plein du PFMC qui n'offre que des allocations hebdomadaires de $10. à $125. par semaine et aucune garantie d'emploi à l'issu du cours.
Le principal programme fédéral accessible aux travailleurs et aux travailleuses offre des cours à temps partiel en perfectionnement professionnel. Mais l'accès en est limité à ceux et celles qui veulent se perfectionner dans leur métier; pas de recyclage en vue d'un nouveau métier. Quant aux cours à temps partiel offerts par les universités, les intéressé-e-s doivent en défrayer le coût.
Les travailleurs en emploi se voient parfois offrir des sessions de formation dans leur entreprise, organisées par l'employeur, sur les lieux de travail ou plus rarement dans des institutions publiques.
Ces programmes sont assez peu répandus, et sont surtout offerts par les grandes entreprises, sous leur contrôle exclusif. Les programmes offerts aux travailleurs et aux travailleuses de la production sont le plus souvent des sessions sur le tas, axées sur la tâche, non certifiées par le ministère de l'Education et trop étroites pour être transférables ailleurs sur le marché du travail. Les cours payés dans les écoles et collèges sont d'abord offerts aux cadres, techniciens spécialisés, etc..
En somme, les travailleurs et travailleuses en emploi ont peu de possibilités de formation sur le temps de travail et doivent couper sur leur temps de repos et de loisir pour développer leurs connaissances et souvent en assumer les frais.
D'autres groupes doivent surmonter bon nombre d'obstacles pour avoir accès aux ressources éducatives. Les jeunes par exemple, qui ont de plus en plus de difficultés à avoir accès aux programmes fédéraux de rattrapage scolaire. L'âge d'admission à ces programmes a été élevé de 16 à 20 ans en 1979 et les allocations pour les jeunes à la charge de parents ont été coupées de $45. à $10. par semaine.
Signalons aussi qu'en 1978, le fédéral éliminait le programme de cours de perfectionnement professionnel à temps plein destiné aux producteurs agricoles. Enfin, si les chômeurs étaient le groupe le mieux servi par les programmes fédéraux, ils paient maintenant à même leur caisse d'assurance-chômage les allocations hebdomadaires auxquelles ils ont droit comme stagiaires dans les programmes à temps plein.
Avoir le droit de regard sur les programmes et les cours, sur les méthodes pédagogiques et sur les conditions d'accès aux ressources éducatives permettrait aux individus et aux groupes de concrétiser leurs aspirations au niveau éducatif et culturel.
Mais nous avons en éducation des adultes un rapport de consommateur face à un produit: on achète ou on n'achète pas. Cela est vrai de l'ensemble des ressources publiques et privées, et malgré l'existence de mécanismes de consultation puisque les consultés n'y ont aucun pouvoir réel.
Sans entrer dans une longue description des structures administratives qui gèrent ces programmes, au bout du compte, ce sont ces structures qui prennent en charge et contrôlent le développement éducatif et culturel des classes populaires.
Quelques exceptions à cette règle, la mise sur pied de projets d'éducation autonomes par des groupes de citoyens ou des syndicats. Nous y reviendrons.
Trois éléments ressortent de cette description. D'abord, pour les classes populaires, tant que l'éducation des adultes ne pourra avoir lieu que le soir, entre 18 et 22 heures, avec la fatigue du travail et en empiétant sur les périodes de loisir et de vie sociale, elle demeurera largement inaccessible. Par ailleurs, des catégories importantes de la population doivent affronter des conditions discriminatoires pour réaliser leurs aspirations sur ce plan. Enfin, les offreurs de formation ne favorisent absolument pas la prise en charge par les individus de leur développement.
Tout projet de démocratisation de l'éducation des adultes doit permettre l'accès aux formations qui correspondent aux besoins des classes populaires.
Le congé-éducation payé peut abattre un certain nombre des obstacles qui s'opposent à cette démocratisation en fournissant aux individus des périodes de temps pour participer à des activités éducatives et surtout la responsabilité de déterminer eux-mêmes le type de formation qui leur est nécessaire.
La question du temps, de la disponibilité, est primordiale parce qu'il est impossible de demander à des populations entières d'empiéter systématiquement sur leur temps de loisir et de repos pour se mettre à l'étude. Un tel fonctionnement ne favorise que ceux qui ont les occupations les moins astreignantes et qui sont déjà familiers avec l'école, donc déjà scolarisés.
Les expériences européennes ont montré que lorsque les travailleurs et les travailleuses prennent en charge leurs activités éducatives, ils développent de nouvelles exigences de qualité et de quantité, face à l'école et à la culture en général.
Cela leur permet de briser le rapport passif qu'ils ont pu entretenir avec l'éducation. La transformation de ce rapport pourrait entraîner des changements significatifs au sein même du système scolaire.
Le principal obstacle qui empêche le développement de l'éducation syndicale est la difficulté de libérer de leur travail les membres des organisations syndicales pour leur permettre de participer à des sessions de formation organisées pour eux. Et le financement actuel de la formation syndicale est encore insuffisant. Les conditions actuelles de l'accès à l'éducation dite autonome ne peuvent que piétiner si on ne peut donner aux travailleurs et aux travailleuses les moyens d'y avoir accès.
Le congé-éducation payé peut aussi permettre le développement de la qualification professionnelle des travailleurs et des travailleuses et contribuer, comme c'est le cas en Europe, au développement économique du pays.
Le congé-éducation payé permet aux bénéficiaires d'avoir accès à une formation plus large et plus conforme à leurs intérêts personnels que le ferait un système de formation professionnelle étroit, subordonné directement et exclusivement aux besoins à très court terme des entreprises.
Pour que le droit à l'éducation devienne une réalité pour tous les travailleurs, les travailleuses et les groupes défavorisés, le congé-éducation payé constitue une piste à explorer sérieusement.
Cette formule est d'ailleurs étudiée depuis longtemps par les organisations syndicales québécoises. Dans leurs récents mémoires 53 à la Commission fédérale d'enquête sur le congé-éducation et la productivité, la CSN, la FTQ et la CEQ réaffirmaient sa nécessité pour éviter que les travailleurs et les travailleuses soient tenu-e-s plus longtemps à l'écart des ressources éducatives auxquelles ils ont droit.
Le Conseil supérieur de l'Education recommandait aussi dans un rapport annuel 54 de 1978 que le gouvernement du Québec se penche sérieusement sur cette formule.
Mais il est impossible de transposer au Québec un modèle de congé-éducation payé existant en Europe. Chaque formule, et la nôtre éventuellement, doit être adaptée aux réalités socio-économiques d'un pays et aux besoins propres de ses bénéficiaires.
Au Québec, la formule du congé-éducation payé doit être cohérente avec nos pratiques et nos acquis et doit s'en inspirer.
Aucune étude n'a fait le bilan des formules de congé-éducation payé existantes. Le rapport de la Commission fédérale d'enquête sur le congé-éducation et la productivité55 nous apporte quelques renseignements fragmentaires assez peu précis. On y apprend qu'il existe dans les grandes entreprises canadiennes des formes de congé de plus ou moins longue durée pour fins de formation professionnelle. Mais la plupart de ces congés ne sont pas accessibles à tous les salarié-e-s et sont accordés au mérite par l'employeur.
Cependant, au Québec, des syndicats ont commencé à négocier des clauses diverses qui donnent droit à des absences rémunérées ou non pour fins de formation. On en connaît deux types, négociées d'ailleurs toujours indépendamment l'une de l'autre, l'une pour fins de formation syndicale et l'autre pour fins de formation professionnelle.
La CSN et la FTQ ont développé en effet une clause-type de congé-éducation permettant de libérer des membres pour assister aux sessions de formation données par la centrale.
Les caractéristiques de ces clauses sont les suivantes:
Ces clauses-types ne sont pas largement répandues mais existent quand même dans plusieurs dizaines de conventions au Québec, notamment chez les T.U.A. (FTQ), les Métallos (FTQ) et dans quelques syndicats CSN.
Ces clauses sont rares et mal connues. Comme ce sont des pratiques tout à fait nouvelles, il n'y a pas non plus de clause-type dans ce domaine. On va donc simplement signaler quelques cas d'espèce.
La convention collective liant la Fédération des affaires sociales (CSN) au gouvernement prévoit que l'employeur versera une somme de S5.7 millions pour la période 1979-1982. Cette somme est gérée par un comité paritaire et finance deux types de programmes. Des programmes de recyclage visent à donner la formation nécessaire pour conserver ou obtenir une classification. Les cours ont lieu dans une institution publique, sur le temps de travail, avec solde, quelques heures par semaine. Les programmes de perfectionnement permettent de compléter la formation d'un salarié en vue d'une spécialisation. Deux genres de congé sont possibles. Le congé longue durée (plusieurs mois) avec bourse d'études et les sessions intensives courte durée (3-4 semaines) permettant de former des groupes-cours de 15 employés. Les cours se donnent en institution et les salaires sont maintenus. L'accent est mis sur ce deuxième genre de congé.
Les enseignants CEQ/FNEQ (CSN) ont certaines possibilités de congés de longue durée avec solde pour fins de perfectionnement après un certain nombre d'années d'ancienneté. Ces types de congés sont particuliers au métier de l'enseignement où l'employeur a reconnu la nécessité de telles formules de perfectionnement; on peut en retrouver aussi dans la fonction publique.
Le syndicat (CSN) de cette entreprise du secteur de la métallurgie a négocié avec l'employeur un système de perfectionnement. Chaque travailleur du département d'usinage suit un cours de 17 semaines sur le temps de travail et avec solde, dans une école publique. Les cours sont certifiés par le MEQ.
D'autres expériences moins connues sont tentées un peu partout au Québec. On sait par exemple que des syndicats membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) négocient des fonds de perfectionnement pour leurs membres et que des clauses de formation en cas de changements technologiques existent en grand nombre. Le bilan de ces pratiques reste à faire.
Le congé-éducation payé est donc un congé statutaire ouvert à tous et à toutes, pour toutes fins de formation, avec maintien de l'emploi et des droits acquis et un financement suffisant. Comment se diriger au Québec vers une ou des formules de congé-éducation payé qui comportent ces caractéristiques essentielles?
Comment consolider les quelques acquis, étendre leur portée, élargir ces quelques percées aux travailleurs organisés et non-organisés , aux chômeurs et aux chômeuses, aux tem-mes hors du marché du travail? C'est là le défi.
On peut à tout le moins ouvrir le débat en lançant les pistes suivantes:
DOCUMENTS DE BASE
OCDE, LA SITUATION ACTUELLE DU CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ. 1976, Paris.
Travail-Canada. RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ. 1979. Ottawa.
ICEA, LES CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ, document interne, 1980, 60 pages.
DOCUMENTS D'APPOINT
Bureau international du travail, RAPPORT IV (1 ET 2) DE LA 59IÈME SESSION. 1974, congé-éducation payé. Genève. 1974.
I.M. Luttringer et R. Pasquier,"Le congé-éducation payé dans 5 pays européens", in REVUE INTERNATIONALE DU TRAVAIL. vol. 119, no. 4, juillet-août 1980.
ICEA, LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC, juin 1979. 101 pages.
CEQ, CSN, FTQ, UPA, LE FINANCEMENT DE L'ÉDUCATION SYNDICALE AUTONOME. Mémoire présenté au Gouvernement du Québec, février 1978.
Conseil du statut de la femme, L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUÉBEC. Québec. l'Éditeur officiel. 1976.
Conseil supérieur de l'éducation, ÉLÉMENTS D'UNE POLITIQUE D'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LE CONTEXTE DE L'ÉDUCATION PERMANENTE, Québec, février 1979.
CSN. MÉMOIRE DE LA CSN À LA COMMISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ, Montréal, février 1979.
KTQ. MÉMOIRE DE LA FTQ À LA COMMISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SURLE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ, Montréal, mars 1979.
UQAM, - ICEA C'EST NOTRE TOUR,... LE CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ, diaporama de 30 minutes. 1979. disponible à l'ICEA.
Texte: Richard Nantel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires.
Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.
Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: Laville, in LA FORMATION CONTINUE, CFDT. Paris, 1978: pp. 1, 2. 3, 4. 5, 6. 8. 9. 10. 11: BULLETIN DE L'ICEA. Vol. 3 No. 3. mars 1979: p. 12; WOMANPOWER, U.S. Dept. of Labor. nov. 1975: p. 9.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
"L'ensemble des démarches d'apprentissage et de réflexion critique par lesquelles des citoyens mènent collectivement des actions qui amènent une prise de conscience individuelle et collective au sujet de leurs conditions de vie ou de travail, et qui visent, à court, moyen ou à long terme, une transformation sociale, économique, culturelle et politique de leur milieu".
C'est là la définition de l'éducation populaire autonome que se donnaient les organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP) réunis en Assemblée générale provinciale en mars 1978. Si l'on y regarde de près, ce ne sont pas seulement ceux que la Direction générale de l'éducation des adultes désigne comme OVEP qui font de l'éducation populaire. De fait, tous les organismes volontaires - syndicats et groupes populaires - qui, dans leur secteur d'intervention propre, travaillent à développer la connaissance et la conscience critiques des gens sur leur situation de vie et de travail, font effectivement de l'éducation populaire sans nécessairement que ce soit là leur objectif premier. Et cette éducation vise, à travers des actions collectives de transformation, une prise en charge véritable par les participant-e-s de leurs situations de vie et de travail. L'éducation populaire est donc plus large que la stricte éducation formelle - cours, séminaire, conférence, etc. -. La vie associative elle-même, dans cette perspective, est éducation et, à ce titre, devrait être financée par l'Etat. C'est une forme d'éducation permanente véritable que développe le secteur populaire et, à ce titre, elle a un droit légitime à être reconnue comme telle.
Au ministère de l'Education
A la Direction générale de l'éducation des adultes ( DGEA ), il y a, depuis 1967, un programme spécifique d'aide financière aux organismes volontaires d'éducation populaire. Le budget est de 3,050,000$ pour 1980-81. Avec les quelque 600,000$ du programme d'aide de la même DGEA à la formation syndicale, le total atteint 3,600,000$, contre 69,000$ en 1970-71. Cela donne une idée du chemin parcouru en dix ans par les organismes volontaires dans leur lutte collective pour un financement public de l'éducation populaire autonome. Des progrès considérables ont aussi été faits au niveau du programme même. De 1967 à 1974, il était vague, imprécis quant aux normes et critères, peu connu, et il excluait les organismes locaux. Depuis 1974, le programme est détaillé, publié et s'adresse à l'ensemble des organismes tant nationaux et régionaux que locaux. L'éducation syndicale, exclue en 1976, est à nouveau financée bien que sous un programme séparé semblable à celui des OVEP. Et si le ministère subventionnait à peine douze projets en 1969-70, il en finance cette année plus de 500.
Les groupes peuvent obtenir du financement pour leurs activités éducatives dans d'autres ministères et agences du gouvernement provincial. Des programmes bien définis existent dans certains, dans d'autres les choses se font plus sur le bras. Les ministères des Affaires sociales, des Affaires culturelles, des Loisirs, Chasse et Pêche, de l'Immigration, l'Office de protection des consommateurs sont parmi les bailleurs de fonds les plus importants. Nous n'avons toutefois pas le chiffre total des montants versés qui, à n'en pas douter, s'élève à plusieurs millions.
Ces fonds ne sont pas venus tout seuls: les groupes populaires et les syndicats ont mené, avec un appui actif de l'ICEA, une lutte longue et dure pour les obtenir du ministère de l'Education. Des luttes sectorielles ont aussi été menées et continuent de l'être auprès des autres sources gouvernementales pour le financement de l'ensemble des activités des groupes. La lutte collective des OVEP a également eu des effets dans les autres ministères, particulièrement en ce qui a trait à la systématisation des programmes.
A la DGEA, les demandes des groupes populaires ont dépassé cette année les 13$ millions, pour les 3$ millions disponibles. La situation se détériore de façon dramatique: l'an passé, le tiers de la demande était financée, cette année, c'est moins du quart. Et ces montants ne touchent que les dimensions des activités formelles d'éducation (genre: cours); elles laissent de côté l'éducation qui se fait par d'autres voies: enquêtes-sondages, productions collectives de vidéo ou d'organes d'information, voyages de sensibilisation ou, tout simplement, la vie démocratique d'une association.
Dans le cas de l'éducation syndicale, la disproportion entre les besoins et les budgets de la DGEA est tout aussi scandaleuse. Là encore les activités admissibles ne représentent qu'une faible partie des activités d'éducation proprement dites des centrales. Celles-ci démontraient, dans leur mémoire de 1978 au ministre de l'Education56 , l'énormité des besoins d'éducation de leurs 600,000 membres, et se contentaient de demander un per capita qui, l'année dernière, se serait élevé à 1.40$, montant de beaucoup inférieur aux coûts réels. Le ministère leur accordait 1.03$.
Nous ne connaissons pas les budgets ou les montants demandés dans les autres ministères; toutefois, la constitution de regroupements et de fronts communs face à certaines politiques de financement (ministère des Affaires sociales, des Communications...) est révélatrice du mécontentement des groupes.
Et l'obligation pour bon nombre d'entre eux d'organiser des activités de cueillette de fonds souvent absurdes témoigne également de leurs difficultés financières. Pendant qu'un groupe populaire s'occupe de vendre des fleurs coupées à l'occasion de Pâques, pour amasser des fonds, il ne peut faire d'éducation populaire.
Les programmes gouvernementaux d'aide aux organismes volontaires sont établis d'abord et avant tout en fonction de critères bureaucratiques qui tiennent peu compte de leur réalité. Quand les programmes sont publicisés, connus, ce qui est loin d'être toujours le cas, les organismes ont à faire face à des formulaires compliqués, détaillés qui demandent beaucoup plus de renseignements que les bailleurs de fonds ne peuvent en utiliserpour juger de la demande. Ces formulaires et le texte d'explication des programmes de la DGEA, par exemple, ne sont accessibles qu'aux gens les plus scolarisés dans les organismes et excluent les autres. Les exigences administratives du programme du ministère des Loisirs, Chasse et Pêche font l'objet d'un volume d'explication de pas moins de 33 pages!
Les critères et normes sont fixés soit en fonction des réseaux scolaires, dans le cas du ministère de l'Education (phases précises d'activités traditionnelles, exclusion de nouvelles formules), soit en fonction d'organismes gouvernementaux, para-gouvernementaux ou encore tout simplement d'organismes privés tout à fait différents des groupes implantés en milieux populaires. Le bureaucratisme, dans certains cas, frôle l'absurde. Les cliniques populaires en ont vécu des exemples: l'une d'elle bénéficie à chaque année d'un poste de salaire de conducteur d'autobus pendant que le ministère refuse d'allouer un poste aux frais de l'autobus même parce que ce n'est pas lui qui l'a acheté. L'autobus en question est un don reçu par la clinique qui s'en voit ainsi pénalisée. Ces exigences ainsi établies sur la base d'une réalité étrangère aux groupes se trouvent à exclure des activités et des groupes, ou à les forcer à de l'auto-censure (on ne peut pas faire ça, ça ne sera pas financé) ou au détournement de leurs objectifs pour obtenir des fonds essentiels {la seule façon d'en avoir, c'est de faire telle activité).
Ceux qui ont réussi à franchir cette étape compliquée et à satisfaire à toutes les exigences ne sont pas pour autant assurés d'un financement puisque la minceur des enveloppes budgétaires dans tous les ministères entraîne des interprétations extrêmement restrictives des normes et critères, ou encore l'ajout de nouveaux critères après que les projets aient été présentés. Enfin, les décisions rendues sont rarement justifiées et il n'y a pas de procédures de révision des décisions ou d'appel (le ministère des Communications représente l'exception à la règle).
De fait. l'Etat québécois tolère les initiatives populaires; il ne les encourage pas et contribue peu à leur développement. Les gouvernements québécois, depuis 1970 à tout le moins, ont privilégié le développement des secteurs économiquement rentables; l'éducation populaire n'en est pas et, qui plus est, elle se situe souvent en opposition aux intérêts économiques dominants. Elle se fait précisément avec les gens qui sont loin du pouvoir, qui n'ont aucune prise sur les leviers du contrôle économique ou politique et qui, précisément, remettent en question cette situation d'impuissance.
Le secteur volontaire dérange en remettant en cause les inégalités sociales dont sont victimes les milieux populaires; il dérange aussi en n'étant pas assimilable aux schémas technocratiques gouvernementaux et para-gouvernementaux. La solution trouvée à ces maux a par conséquent été de récupérer ses initiatives en créant des structures semblables mais qui répondent mieux aux schémas et aux objectifs étatiques: cliniques populaires juridiques ou de santé remplacées par des services officiels utiles, à n'en pas douter, mais dont le contrôle échappe aux milieux populaires. Et le financement des services populaires s'en trouve affecté d'autant: coupures et nouvelles normes pour les faire entrer dans le moule.
L'Etat intègre aussi le secteur volontaire en lui assignant arbitrairement des fonctions de suppléance aux lacunes de ses propres institutions; ainsi, reconnaissant que l'école ne réussit pas à rejoindre les analphabètes, le ministère de l'Education confie aux OVEP la responsabilité de le faire à sa place et pige à même leur budget. Au lieu de remettre en question la réponse qu'apporte l'école aux besoins des milieux populaires, il fait des OVEP des extensions bon marché du système d'enseignement. Reconnaissant que les OVEP remplissent bien leur fonction et qu'ils sont représentatifs des besoins réels d'éducation des citoyens-adultes du Québec57, le ministère les détourne de cette représentativité et de cette fonction et les met à son service. Les organismes volontaires deviennent ainsi plus rentables politiquement, et plus faciles à administrer.
La non-reconnaissance de fait de l'Etat est en contradiction flagrante avec son discours. Ainsi, le ministère de l'Education répète à qui mieux mieux sa reconnaissance, au réseau des organismes volontaires d'éducation populaire, d'un "rôle complémentaire à celui du réseau public déjà en place dans le développement de l'éducation populaire."58 Aux organismes syndicaux, il accorde un programme "d'assistance financière" et dit vouloir les "appuyer ... dans le rôle qu'ils ont à jouer dans le domaine de l'éducation populaire"59. Par ailleurs, l'énoncé de politique du ministère de l'Education sur l'école en milieu défavorisé, cité plus haut, reconnaît clairement un tel rôle aux organismes volontaires et la qualité de la façon dont ils s'en acquittent (p. 110-111). Tout en étant contestable, le fait que le ministère leur fait suppléer à la tâche d'alphabétisation à laquelle les institutions scolaires ont failli montre la haute opinion qu'il a de l'éducation faite dans ces mêmes organismes.
Le Conseil supérieur de l'éducation a plusieurs fois manifesté son appui à l'éducation populaire faite dans les organismes volontaires. Dans son rapport annuel 1978-79, il soulignait "leur rôle irremplaçable dans la formation et dans la prise en charge des collectivités par elles-mêmes". Et bien que le ministère ait créé un programme d'aide, le Conseil remarque: "A l'expérience, on constate que l'originalité et l'action éducative de ces organismes ne sont pas reconnues pour autant".
Parlant de la complémentarité entre les secteurs scolaire et extra-scolaire, il avance:
"...nous examinons l'hypothèse du développement autonome garanti des associations volontaires d'éducation populaire, au même titre que celui des organismes d'éducation des adultes des institutions d'enseignement. Si les missions des organismes scolaires et extra-scolaires sont différentes, il devient inutile de soumettre ces derniers aux décisions des premiers et hasardeux d'exiger qu'ils participent à une concertation qui ne peut que conduire à une récupération et à la négation de leur originalité dans les conditions actuelles. " .60
A en juger par les nouvelles priorités imposées par le ministre au programme des OVEP, il semblerait qu'on ne fait guère plus de cas, au ministère, des remarques solidement étoffées et articulées du Conseil qu'on en a fait pour le mémoire des OVEP de 1977.
Pour sa part, le Conseil des affaires sociales et de la famille signale, à propos des organismes populaires, qu'ils
"ont constitué des lieux de formation à l'initiative collective. (...I Par l'organisation de services, ils (les membres) ont pu faire un premier apprentissage des connaissances, des habiletés nécessaires à l'auto-gestion. Les groupes populaires apparaissent dans ce contexte comme des lieux d'auto-développement social".
Le coût et la qualité de l'alimentation: c'est pénible! Dans plusieurs quartiers et régions du Québec, on se regroupe en coopératives. On é-pargne. tout en apprenant comment fonctionnent un comptoir et le marché de l'alimentation.
Dans cette optique, il recommande: 2.2.4 Que l'Etat élabore un programme de soutien financier à l'action et aux initiatives non gouvernementales pour faciliter le développement et pour accroître l'efficacité des services communautaires comme aussi pour encourager la fonction d'auto-développement social des groupes et des associations volontaire".61
A ces témoignages pourraient s'ajouter celui de la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec qui souligne entre autre la nécessité de continuité des activités éducatives ou celui du rapport SEAPAC qui insiste sur le fait que "l'action communautaire est éducation populaire"62. Finalement, nous trouvons pertinent de reproduire ici l'article 57 de la Recommandation sur le développement de l'éducation des adultes adoptée par l'Unesco et qui stipule que:
"La totalité des crédits à l'éducation des adultes doit couvrir au moins:
L'article 58 ajoute: "le financement des programmes d'éducation des adultes et des actions destinées à favoriser le développement de ces programmes devrait être assuré de façon régulière".63
Si les programmes gouvernementaux réussissent, dans l'ensemble, à couvrir tous ces éléments, ils le font de façon très éparpillée, sans cohérence et surtout, sans continuité. L'éducation populaire dans les syndicats et les groupes populaires n'en récolte que les restes.
Le témoignage le plus révélateur de l'importance de l'éducation populaire autonome au Québec demeure son développement fulgurant des dix dernières années: le fait que de sept projets présentés à la seule DGEA, on soit passé à près 600 et la multiplication tout aussi impressionnante du nombre des sessions d'éducation syndicale sont des preuves éclatantes tant des besoins éducatifs que de la capacité des syndicats et groupes populaires d'y répondre. Le développement des groupes populaires eux-mêmes et la diversité de leurs activités sont les manifestations d'une recherche par les gens des milieux populaires de lieux d'apprentissage pour comprendre leurs conditions de vie et de travail et arriver à les transformer.
Parce qu'elle est trop loin de leur réalité quotidienne, l'école ne réussit pas à rejoindre aujourd'hui ceux-là mêmes qu'elle a exclus hier quand ils étaient ou auraient dû être la clientèle du cycle primaire ou secondaire. Les syndicats et groupes populaires, tant dans leurs activités formelles d'éducation que dans le quotidien de la vie associative sont, pour ces mêmes personnes, de véritables écoles où ils apprennent à se comprendre et à comprendre leur environnement physique, social, où ils apprennent, par l'exercice démocratique du pouvoir collectif de décision et par l'action collective de transformation de leurs conditions de vie et de travail, le fonctionnement des mécanismes de la vie politique dans laquelle ils n'étaient jusqu'alors que des sujets passifs. De fait, c'est l'ensemble de l'activité de ces organismes qui est apprentissage et réflexion critique à travers l'action collective de transformation du milieu.
Les OVEP ont rappelé à plusieurs reprises le chiffre de 1,000,000$ avancé par le rapport Ryan 64 pour répondre aux besoins d'éducation populaire en 1964. Les chiffres signalés plus haut - $13 millions - démontrent l'étendue des besoins exprimés et l'écart démesuré avec les montants accordés par la DGEA. Comme les critères restrictifs ne permettent pas aux groupes d'exposer l'ensemble de leurs besoins, même au strict niveau de leurs activités formelles d'éducation, et comme plusieurs groupes n'osent pas ou refusent de remplir les conditions rigides et les formulaires complexes et courir le risque de récupération et d'intégration, il est permis de croire que les besoins réels pour ce qui doit être considéré comme de l'éducation populaire, sont de beaucoup plus considérables.
Si l'on adopte une perspective plus large d'éducation permanente et que l'on accepte la vision du Conseil des affaires sociales et de la famille à l'effet que le secteur volontaire en soi est un lieu de formation à l'initiative collective et d'auto-développement social, ce sont les besoins de l'ensemble du secteur volontaire comme tel qu'il faut considérer. Tout comme le ministère de l'Education finance l'ensemble de l'institution scolaire et non seulement les activités formelles d'éducation. L'expérience éducative, le processus d'éducation dans ce secteur vient tout autant précisément de la vie associative elle-même et il est indissociable des actions collectives menées par les groupes.
Aux treize millions de demandes à la DGEA, il faudrait par conséquent ajouter tous les montants demandés aux autres ministères et agences du gouvernement provincial et aux institutions d'enseignement par les syndicats et groupes populaires. Sans compter les sources privées, tels les Centraides ou les communautés religieuses qui contribuent de façon importante. Il faudrait également ajouter les montants alloués par le gouvernement fédéral qui, en 1974-75, avait dépensé plus de 5$ millions pour des projets PIL et Perspective-Jeunesse dans le seul domaine de l'éducation. Le montant des besoins exprimés est par conséquent considérable, et encore ne représente-t-il qu'une partie des coûts.
Dans la très grande majorité des cas, le financement provincial sert surtout à financer des activités, des salaires et, dans certains cas, du fonctionnement. Le matériel didactique est parfois inclus mais il est rare que les fonds soient suffisants pour permettre des recherches et des créations originales qui seraient véritablement adaptées aux besoins des participants. Les groupes d"alphabétisation, entre autres, identifient cette lacune comme étant un problème majeur: il n'y a pas de matériel de lecture pour les nouveaux alphabétisé-e-s et personne n'a les moyens de s'investir dans la tâche d'en créer.
L'insuffisance des montants alloués aux chapitres des activités, des salaires et du fonctionnement entraîne des problèmes sérieux. Plus souvent qu'autrement, une partie seulement des activités proposées est financée, ce qui détruit l'équilibre d'un programme pensé et planifié comme un tout. Il en est de même pour les salaires, et les permanents doivent se partager une masse salariale plus faible que prévue; en plus du fait que la plupart de ces gens sont payés à des salaires bien inférieurs à ce que leur formation et/ou leur expérience commanderait, il devient plus difficile encore de garder des permanents qui ont des charges familiales et font payer leur militantisme à leurs enfants, tout en travaillant dans des conditions matérielles pires parfois que celles qu'ils dénoncent en entreprise.
Plus impressionnante encore est la liste de ce qui n'est pas financé dans le secteur volontaire. Car il s'agit de tout ce qui fait la continuité du groupe, tout ce qui, de fait, le rend capable d'organiser des programmes d'activités le moindrement cohérents et utiles. La mise sur pied même d'un organisme ne bénéficie jamais à notre connaissance d'un financement provincial public direct65; les conditions de départ sont inévitablement difficiles et demandent un déploiement d'énergies considérables de la part de gens pour qui il s'agit habituellement d'un travail militant, c'est-à-dire non rémunéré.
L'existence même de l'organisme n'est pas non plus financée par les programmes provinciaux; les subventions statutaires n'existent pas pour les organismes volontaires. Ils doivent négocier chaque année des subventions d'aide à leurs activités, à leur fonctionnement, mais la situation de non reconnaissance dans laquelle ils se trouvent fait qu'on leur refuse des subventions de base, régulières, assurées qui leur permettraient de planifier leur développement et leur programme de façon rationnelle, de se donner des moyens et du temps pour de la recherche sur leur milieu et dans leur secteur d'intervention, pour de la réflexion sur leurs activités, le perfectionnement de leur personnel, etc. Il n'y a des fonds que pour la surface du secteur volontaire, non pour le moteur des activités.
Point d'argent, non plus, pour les participants. Pour leurs frais occasionnels, telle la garde d'enfants, mais aussi les frais moins visibles tel le temps supplémentaire que représente la participation à une activité après une journée de travail. Les congés-éducation payés, s'ils existent souvent pour des professionnels (avec déductions fiscales), n'existent pas pour les travailleurs et les travailleuses syndiqués ou pour ceux et celles qui font partie de groupes populaires.
Ce sont les participant-e-s, militant-e-s, permanent-e-s, etc. qui financent de leur temps, de leurs conditions de travail quand ce n'est pas aussi de leur argent, une éducation pourtant tout aussi légitime que l'éducation scolaire.
Et le temps perdu
Comme le montrait l'ICEA en 1973. demander un financement à l'Etat, c'est jouer au jeu du serpent et des échelles, c'est-à-dire perdre un temps fou en démarches de toutes sortes sans jamais être assurés qu'au bout du compte, les fonds viendront, et même, en sachant d'avance qu'ils seront scandaleusement insuffisants. Les groupes doivent trouver quels programmes existent et leurs conditions; ils doivent remplir des formulaires souvent super-compliqués et se plier à des contraintes tout à fait inadaptées à leur réalité; viennent ensuite les démarches innombrables pour accélérer la réponse et surtout, dans les cas où elle est favorable, le versement des fonds prévus souvent très en retard malgré les promesses répétées des ministres à l'effet que "cette année, la situation s'améliorera...". Ce portrait paraîtra exagéré seulement à ceux qui n'ont jamais été en contact avec le problème du financement dans le secteur volontaire.
Certes, les bureaucraties gouvernementales n'ont pas une réputation de simplicité ou d'efficacité dans des questions financières. Il reste que le gouvernement du Québec semble avoir la loupe plus mince et le geste plus généreux quand il s'agit de financer des projets d'hommes d'affaires qui sont, en principe, contre l'intervention de l'Etat... Dans une série d'articles sur l'aide gouvernementale à l'entreprise66 , Alain Dubuc montre à quel point les programmes gouvernementaux, que le président de la Société de développement industriel appelle "du glaçage pardessus du glaçage", gâtent ce secteur de l'économie. "Les gouvernements versent plus aux entreprises qu'ils ne retirent d'impôts sur leurs profits". "C'est excessivement généreux," admet un haut fonctionnaire du ministère de l'Industrie et du Commerce, Et aucune mesure ne permet de calculer si ces programmes sont utiles ou non; on se demande même s'ils ne sont pas nuisibles! 57.5$ millions et des droits ont été donnés à ITT pour son projet Rayonnier de Port-Cartier, fermé l'an dernier. A Canam-Manac, le gouvernement finance même des voyages à l'étranger. Un des articles de cette série titrait fort justement: "Plus choyés que les assistés sociaux".
L'éducation populaire autonome existe aussi dans d'autres pays. Elle y est financée de façons diverses et nous croyons utile, ici. de donner trois exemples de politiques gouvernementales dans ce domaine. Non parce qu'elles représentent des idéaux à copier, mais parce qu'elles répondent à certaines des aspirations formulées par les syndicats et groupes populaires québécois. Il en est ainsi des programmes belges et suédois, soit de deux pays dont la situation économique et sociale est comparable à celle du Québec. Par ailleurs, l'exemple portugais, bien que venant d'un contexte cette fois différent du nôtre et limité dans le temps, est décrit à cause de la perspective dans laquelle il place l'éducation populaire; la pauvreté des moyens financiers y a été compensée par une richesse créatrice très grande dont les leçons ne peuvent qu'enrichir notre propre expérience.
La Belgique a deux programmes de financement des organismes volontaires d'éducation des adultes pour sa population francophone. Le premier s'adresse à des organisations d'éducation permanente à buts quasi exclusivement culturels et le second, a des organisations de promotion socioculturelle des travailleurs.67 Un Conseil permanent de l'éducation des adultes et un Conseil permanent de la promotion socio-culturelle des travailleurs sont obligatoirement consultés sur certains points du programme (classement des organismes, octroi ou retrait de la reconnaissance, etc.).
Les subventions sont de plusieurs ordres et diffèrent, à tout le moins pour leur calcul selon qu'il s'agit d'organismes généraux (nationaux), régionaux ou locaux. Des subventions de fonctionnement sont allouées pour couvrir les salaires et dépenses d'activités. Des montants forfaitaires sont disponibles pour certaines dépenses non spécifiées au programme, de même que des subventions extraordinaires d'équipement ou d'aménagement (non renouvelables). Enfin des subventions provisoires de 30% de la subvention ordinaire (de fonctionnement) sont accessibles aux organismes qui ne sont pas encore reconnus et qui ont présenté une demande à cet effet; ce montant doit être affecté en priorité aux salaires.
En plus de ces montants, les organismes de promotion socio-culturelle des travailleurs peuvent avoir accès à des fonds qui leur sont spécifiquement destinés. Un organisme doit
"s'adresser et s'adapter par priorité au public du milieu populaire en réalisant son action au départ de l'analyse avec ses membres de leurs conditions de vie et des facteurs déterminant plus particulièrement leur situation".
Des montants sont alloués à des actions de formation et à des études relatives à la préparation ou à l'évaluation de la formation. Les dépenses de préparation, de réalisation et d'évaluation des activités sont couvertes; des montants sont alloués pour les déplacements, les séjours, le matériel didactique et la garde d'enfants.
" Voilà donc ce qu'ils ont fait dans les pays Scandinaves: 115.000 cercles d'étude, en majorité peuplés et organisés par des gens de 25 à 40 ans. Avec un million de participants dans un petit pays. Moi. ça me fait rêver." 68
Les cercles d'études existent en Suède depuis 1902 et, avec les organisations populaires, ont constitué le système d'éducation des adultes jusqu'aux années '60 quand l'État a accepté la responsabilité de ce secteur dans le cadre de son système d'éducation.69 En 1975, il en existait 280,000, "groupant annuellement plus de 2 millions et demi de participants, dont une bonne moitié étaient des femmes".70 Tout cercle d'étude doit répondre à des exigences minimales, clairement précisées au programme pour avoir droit à un support gouvernemental (75% des frais d'animation, matériel d'études et autres frais de formation). Des subventions additionnelles sont prévues pour les activités de formation des travailleurs sur des sujets jugés prioritaires par le gouvernement.
Ces subventions peuvent être complétées par des subventions des autorités locales aux instances locales des associations éducatives (fonctionnement, locaux) et d'autres sont aussi allouées par des Conseils de district et des Conseils d'éducation aux adultes. Les sessions en résidence font également l'objet d'un financement qui s'est élevé, en 1974-75, à quelque $6 millions.
Des congés-éducation payés existent pour les délégué-e-s syndicaux qui peuvent ainsi être libéré-e-s pour fins d'activités syndicales, y compris l'éducation syndicale. Et un programme de formation professionnelle en entreprise subventionné par le gouvernement permet aux travailleurs et aux travailleuses de suivre des activités de formation syndicale sur leurs heures normales de travail.
Après la chute de la dictature fasciste en avril 1974, le Portugal a vécu une période de créativité et de dynamisme extraordinaires bien que de courte durée. La Direction générale de l'éducation permanente (DGEP) s'est insérée dans le mouvement.
Elle décida que la "seule façon de développer une théorie et une pratique adéquates en éducation des adultes est d'aider toute organisation locale vouée à l'éducation des adultes et de l'encourager à innover librement" .71
Tout son plan d'action allait être basé sur les demandes des groupes locaux que la DGEP voulait rejoindre, d'une part, en répondant à celles qui lui étaient formulées, et d'autre part, en aidant à créer les conditions qui allaient stimuler la formulation de demandes nouvelles. Il s'agissait d'encourager les associations qui se développaient à la base en offrant support matériel et technique, et surtout, en leur donnant la reconnaissance officielle de l'Etat de façon à ce qu'elles évitent de se faire marginaliser. C'est à partir d'elles et de leur travail qu'allait se bâtir une éducation permanente.
Se concevant comme un corps public au service des organisations populaires d'éducation des adultes, la DGEP a fait une publicité très grande à son programme pour que toutes les associations et personnes intéressées à en créer connaissent les ressources disponibles.
Dans ce programme, un statut légal est accordé aux Associations d'éducation populaire (AEP) qui poursuivent des objectifs éducatifs et culturels. Elles sont indépendantes de l'Etat, mais celui-ci a une obligation légale de les financer. Elles peuvent décerner des diplômes et la DGEP s'occupe, sur demande, de faire reconnaître les équivalences.
Avec un budget extrêmement limité, la DGEP a alloué des bourses de leadership, sortes de congés-éducation pour les éducateurs populaires, de même que des bourses de recherches sur les activités locales de culture et d'éducation populaires. Des contrats de services ont été passés avec des associations locales pour qu'elles servent de correspondants locaux de la DGEP pour des activités spécifiques, tout en leur laissant entière liberté de mener celles-ci comme elles l'entendaient. Ces contrats s'inscrivaient dans un effort de décentralisation de la DGEP qui voulait éviter de tout contrôler et parachuter de la capitale. L'assistance matérielle et technique a été fournie aux groupes pour les aider a créer leur matériel éducatif (ex.: production de journaux locaux qui allaient servir également de matériel de lecture aux néo-alphabétisé-e-s).
La DGEP. version 1974-76, avait accordé lu priorité "là où une communauté entière s'était unie derrière un objectif commun; ou à toute organisation populaire naissante, même si les buts initiaux avaient peu à voir avec l'éducation". Pour elle, "toute entreprise basée sur l'auto-gestion collective, mise sur pied pour s'attaquer à un large éventail de problèmes quotidiens était déjà, et incontestablement, une forme d'éducation des adultes et même, d'auto-éducation d'adulte ".
Sa vision de l'éducation était par conséquent beaucoup plus large et dynamique que la vision bureaucratique limitée à l'éducation formelle. Un des résultats remarquables de cette période a d'ailleurs été une remise en question importante de l'école, particulièrement du système d'examen. Celui-ci a été modifié substantiellement de façon à répondre aux besoins des adultes et être davantage axé sur leur réalité quotidienne.
En l'espace de neuf mois, quelque 500 groupes ont été rejoints, reconnus of-ficellement et financés par la DGEP. L'interaction DGEP-associations d'éducation populaire a servi à jeter les bases "d'un nouveau système d'éducation ou même, d'un nouveau système ou 'anti-système' d'éducation en général".
C'est à une vision globale de l'éducation que nous sommes aussi convoqués pour situer le problème du financement de l'éducation populaire autonome dans son contexte réel. La vision étroite de l'éducation-transmission des connaissances à travers des activités formelles traditionnelles doit céder la place à une vision plus large qui, sans exclure cette transmission des connaissances, la situe dans la perspective plus large et aussi plus démocratique d'une conscientisa-tion des participant-e-s pour une prise en charge individuelle et collective de leur réalité de vie et de travail. Conscien-tisation qui se fait à travers l'action collective de transformation de la réalité et la réflexion sur cette action.
En ce sens, l'éducation populaire autonome est véritablement éducation et, qui plus est, elle s'adresse à ceux-là mêmes qui ont eu le moins accès à l'école quand ils étaient d'âge scolaire. Et qui payent aujourd'hui de leurs taxes ce système scolaire auquel leurs propres enfants ont, eux aussi, un accès limité. Leur participation à l'éducation populaire dans les organismes volontaires, de même que la multiplication des organismes de ce genre doit être vue comme la manifestation concrète de leur revendication du droit à l'éducation, une éducation de leur choix, qu'ils contrôlent et qui est basée sur leurs besoins.
Située dans une perspective d'éducation permanente, une politique de financement de l'éducation populaire autonome doit faire éclater le cadre trop limité des programmes actuels et embrasser le secteur volontaire populaire dans son ensemble. Ce droit fondamental à l'éducation permanente ne peut être assuré sans une politique globale de développement de ce secteur, politique qui soit fondée sur un choix délibéré de démocratisation de l'éducation et, par conséquent, d'une priorité aux milieux populaires. Si une telle politique n'est pas toujours conforme aux principes de rentabilité économique immédiate ou aux schémas technocratiques sur lesquels est basé l'actuel non-financement de l'éducation populaire, elle représente cependant un investissement social essentiel pour une population plus consciente et pouvant ainsi mieux exercer ses responsabilités collectives.
La mise en oeuvre de cette politique doit se répercuter dans l'ensemble des programmes de financement gouvernementaux et sa cohérence se retrouver dans chacun, tant au plan national qu'à celui des organismes para-gouvernementaux locaux, tout particulièrement celui des institutions d'enseignement. De plus, une volonté politique de développer le secteur volontaire populaire doit s'accompagner de budgets véritablement proportionnés tant aux besoins exprimés qu'à ceux qu'on invitera à faire connaître.
Il serait prématuré et prétentieux de donner ici des recettes sur la façon de traduire une telle politique dans chaque secteur: là n'est pas notre tâche, d'une part, et de l'autre, c'est dans une interaction avec les principaux intéressés, c'est-à-dire les syndicats et les groupes populaires, qu'une recherche concrète des meilleures formes d'application doit se faire. Par contre, des pistes peuvent être indiquées qui tiennent compte des revendications mises de l'avant, depuis quelques années maintenant, par ces mêmes organismes.
L'instabilité financière actuelle de la très grande majorité des organismes volontaires est évidemment loin d'être favorable à une éducation populaire de qualité, et les organismes eux-mêmes, tout comme des intervenants d'autres milieux de l'éducation, l'ont signalé à plusieurs reprises. Il importe par conséquent d'assurer une sécurité financière à ces groupes pour permettre de planifier leurs activités de façon rationnelle et se développer conformément aux besoins auxquels ils répondent, plutôt que de dépendre continuellement du bon vouloir de l'un ou l'autre ministère.
Les syndicats et groupes populaires défendent les droits et les intérêts des hommes et des femmes qui contrôlent peu - ou pas - leur situation de vie ou de travail. Ils se trouvent à déranger les intérêts dominants, à menacer ceux qui contrôlent davantage les rennes du pouvoir économique, social, politique en travaillant dans le sens d'une redistribution plus équitable de ce pouvoir. Il est de la plus haute importance pour la défense des droits démocratiques d'assurer au secteur volontaire un financement qui soit exempt de toute forme d'ingérence dans le contenu de son éducation: celle-ci doit être déterminée et contrôlée exclusivement par les membres et les participants des organismes. L'éducation populaire autonome elle-même doit être prise en charge par eux et exclusivement, sinon on la vide de son sens.
L'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de développement du secteur volontaire populaire doivent être vues non comme un moment déterminé mais comme un processus continu auquel doivent être associés les organismes qui en sont affectés. Il est clair que sa responsabilité en revient à l'Etat; il ne s'agit donc pas de récupérer ou d'intégrer les groupes pour les neutraliser et empêcher toute revendication mais bien de leur assurer un droit de parole, de leur permettre de se faire entendre à la fois de l'Etat et du public. Une participation éclairée au processus nécessite des moyens, matériels et autres, pour étoffer leur analyse et étayer leurs revendications de même que pour les diffuser auprès des organismes et du public.
II n'y a pas de réponse univoque et définitive au problème du financement de l'éducation populaire dans les syndicats et les groupes populaires. Il y a des pistes à suivre,il y a des mécanismes à mettre sur pied mais surtout, il y a un dynamisme vital à respecter pour éviter des réponses dogmatiques sclérosantes dont l'effet serait justement d'étouffer cette force vive que représente l'éducation populaire autonome au Québec.
Des réponses souples doivent être trouvées qui puissent respecter et favoriser l'autonomie du secteur volontaire populaire, une autonomie qui évolue au fil du temps, selon les régions, selon les catégories d'organismes. Ceux-ci ont fait et continuent de faire preuve de créativité pour répondre aux besoins des milieux qu'ils desservent et s'adapter à eux. Toute politique de développement du secteur volontaire populaire, pour être à la hauteur d'une politique d'éducation permanente véritable, doit apporter la même créativité et la même souplesse dans sa propre réponse aux besoins de l'éducation populaire autonome.
LE FINANCEMENT PUBLIC DE L'ÉDUCATION SYNDICALE AUTONOME Mémoire présenté au ministre de l'Education du gouvernement du Québec Monsieur Jacques-Yvan Morin. Par la CEQ. la CSN. lu FTQ. l'UPA Montréal, le 8 février 1978. 28p.
Conseil supérieur de l'éducation. L'ETAT ET LES BESOINS EN EDUCATION. Rapport l978-79. Québec. l'Editeur officiel. 1980, 326p.
Direction générale d'éducation des adultes, NORMES ET CRITÈRES DU PROGRAMME. "Programme d'aide aux organismes volontaires d'éducation populaire, 1980-81", mars 1980.
DGEA, PROGRAMME D'AIDE AUX ORGANISMES SYNDICAUX DANS LE DOMAINE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE, 1979-1980.
Conseil des affaires sociales et de la famille, PROMOTION DE LA PARTICIPATION DES GROUPES POPULAIRES A LA GESTION DES SERVICES PUBLICS ET AU DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS. "Etudes et avis". Québec. l'Editeur officiel du Québec, 1978, 55p.
Comité provincial S.E.A.P.A.C. sur l'animation du milieu, VERS UNE POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT COLLECTIF EN ÉDUCATION DES ADULTES AU QUÉBEC, s.l., août 1976, 80 p.. annexes.
Unesco. RECOMMENDATION SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉDUCATION DES ADULTES. Nairobi. 1976. Comité d'étude sur l'éducation des adultes, RAPPORT, s.l., s.é., 1964, 145p. ("Rapport Ryan").
Conseil culturel de la Communauté culturelle française, Session 1975-76, PROJET DE DÉCRET FIXANT LES CONDITIONS DE RECONNAISSANCE ET D'OCTROI DE SUBVENTIONS AUX ORGANISATIONS D'ÉDUCATION PERMANENTE DES ADULTES EN GÉNÉRAL ET AUX ORGANISATIONS DE PROMOTION SOCIOCULTURELLE DES TRAVAILLEURS. 21 octobre 1975, (Belgique) 14p.
Lévesque René. L'ÉDUCATION PERMANENTE ET LE QUÉBEC DE DEMAIN. Faculté d'éducation permanente. Université de Montréal. 6 mars 1978.
Braltset. Hallgjerd, ADULT LEARNING - THE STUDY CIRCLE AS A METHOD. Norvegian Instilute of Adult Education. Oslo. 1979/ Ronéo. 9p.
Melo. A. et Benavente, A.. EXPÉRIENCES D'ÉDUCATION POPULAIRE AU PORTUGAL 1974-1976/ Unesco. "Etudes et documents d'éducation", no 29, Paris, 1978, 47p.
EGALEMENT:
ICEA. LE FINANCEMENT DES ORGANISMES D'ÉDUCATION POPULAIRE. Montréal, octobre 1972. 64p. MÉMOIRE SUR LE FINANCEMENT DES ORGANISMES VOLONTAIRES D'ÉDUCATION POPULAIRE. Présenté au ministre de l'Education du Québec par le Comité d'action des OVEP. s.l.. mai 1977. 45p.
Comité d'action des organismes volontaires d'éducation populaire. DOSSIER D'INFORMATION OVEP. s.l. novembre 1978. pagination multiple.
Texte: Monique Ouellette, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.
Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: H. Jean, in L'EDUCATION POPULAIRE OU LA VRAIE REVOLUTION. Jean Laurin. Paris. 1977: p. 1,2: R. Lamothe, in LE FINANCEMENT DES ORGANISMES D'EDUCATION POPULAIRE. ICEA. 1973; p. 3: J.F.G.. in LUTTES URBAINES, Vol. I no. 3: p. 4; Catherine, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 31, mai-juin 1978: p. 9: Sadabel. in CFDT AUJOURD'HUI, No. 31, mai-juin 1978: p. 10; Cadier, in POURQUOI?, No. 157, juil.-août 1980: p. 14.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Avant même que soit proposée une nouvelle politique en éducation des adultes au Québec, dans le secteur de l'alphabétisation, cette politique existe. Elle a été formulée dans le document du Ministère paru en 1980: L'ÉCOLE S'ADAPTE À SON MILIEU. ÉNONCÉ DE POLITIQUE SUR L'ÉCOLE EN MILIEU ÉCONOMIQUEMENT FAIBLE. On a même prévu que la politique globale à venir ne modifierait pas l'action en alphabétisation. Tout au plus le ministre annonce-t-il que les orientations prévues pour les milieux populaires seront "reprises dans un cadre plus général propre aux adultes".
Pourtant, avant de se lancer dans une nouvelle politique, avant d'entreprendre autre chose (qui risque de ne pas être tellement différent de la "chose" actuelle), peut-être conviendrait-il de prendre un temps d'arrêt. Pour tenter d'une part de mieux connaître la réalité même de l'analphabétisme, d'apprécier les actions réalisées depuis 15 ans, pour enfin percevoir les enjeux de la politique actuelle et dégager quelques perspectives pour une alphabétisation qui répondrait aux besoins de développement culturel des populations sous-scolarisées.
Depuis 2 ans, le Ministère a exercé un rôle dynamique dans la question de l'alphabétisation. Il est maintenant temps que les principaux intervenants sociaux se saisissent également de cette question qui n'appartient pas en propre aux quelques initiés actuels.
La difficulté de s'expliquer son analphabétisme.
Si on plaçait la population adulte du Québec devant une feuille blanche et un crayon et que l'on demandait à chacun d'exprimer son point de vue en quelques phrases sur un sujet donné, combien de personnes pourraient réaliser cet exercice? Plusieurs ne le pourraient pas. Certains parce que l'écrit ne leur est pas familier: ils ont appris à lire et à écrire mécaniquement. Mais pour plusieurs, la raison en serait qu'ils ne maîtrisent pas l'écriture; pour un certain nombre encore parce qu'ils ne savent ni écrire, ni lire.
L'analphabétisme existe au Québec - même si son ampleur est moins considérable que celle que l'on retrouve dans le Tiers-Monde. Nous allons tenter de comprendre ce problème et de caractériser ceux qu'on appelait, il y a quelques années, les ignorants et illettrés et que l'on qualifie techniquement aujourd'hui d'analphabètes.
A première vue, il peut sembler facile d'identifier les analphabètes: ce sont ceux qui ne savent ni lire, ni écrire, mais cette définition n'est plus opérationnelle quand il faut distinguer ceux qui savent lire, mais non écrire, ceux qui éprouvent de la difficulté et à lire et à écrire, etc.. En pratique, on considère donc qu'en plus des analphabètes complets, il y a des analphabètes fonctionnels: ceux qui connaissent certains rudiments du code mais qui le maîtrisent encore difficilement. L'Unesco a proposé une définition plus large de l'analphabète fonctionnel: toute personne à qui ses connaissances en lecture, en écriture et en calcul ne permettent pas de participer activement au travail et à la vie sociale. Mais cette distinction est incomplète. La connaissance et la maîtrise des codes que sont la lecture et l'écriture dépendent en grande partie de la maîtrise qu'une personne a de la langue. Dans bien des cas, les analphabètes sont aussi handicapé-e-s au niveau de la langue, des mots (vocabulaire) et de la structure (la grammaire). Or la langue est elle-même indissociable de la pensée: une personne peut d'autant plus prendre conscience du réel qu'elle peut l'exprimer à l'aide des mots et de la structure du langage. Etre analphabète, c'est donc être limité, aliéné dans sa capacité de réfléchir la réalité, dans sa faculté de choisir et d'utiliser les mois pour le dire ou l'écrire.
S'il est vrai que l'analphabétisme est un problème spécifique que l'on retrouve chez des individus particuliers, on ne peut en conclure pour autant qu'il s'agit d'un problème isolé ou individuel. L'analphabétisme, c'est à la fois un problème particulier et le symptôme d'une situation économique, politique, sociale et culturelle. Aussi avant de prescrire le médicament, ceux qui se proposent comme médecins seraient-ils avisés de connaître d'abord la nature et l'ampleur de la maladie.
Plusieurs données nous permettent de comprendre que l'analphabétisme est lié à un ensemble de réalités. Par exemple, on constate que les analphabètes se retrouvent généralement concentrés dans certains secteurs géographiques: il y a moins d'analphabètes à Ste-Foy qu'en Gaspésie, moins à Westmount qu'à St-Henri.
L'analphabétisme est aussi lié à la pauvreté (graphique 1). Les analphabètes constituent une main-d'oeuvre peu qualifiée, une réserve qui sera utilisée au gré des fluctuations du système économique: ce sont les chômeurs et les chômeuses, les travailleurs et les travailleuses occasionnelles, les assisté-e-s sociaux. C'est notre organisation économique et sociale qui produit à la fois l'analphabétisme et l'alphabétisme, qui en organise la coexistence nécessaire et réciproque.
Revenu moyen des familles selon l'instruction du chef 1973
Source: FRAPPIER-DESROCHERS, 1978, p. 49.
Répartition du revenu entre 1967 et 1977 (Canada)
20% de la population
20% de la population
Source: CASK1E, 1979, p. 21
Sexe et sous-scolarité
Les analphabètes se situent au bas d'une échelle dont ils ne peuvent, collectivement, gravir les échelons. Au niveau de l'emploi, du revenu, comme ailleurs au niveau du logement, de la consommation, de l'éducation, ils vivent dans une situation bloquée: la société ne leur offre aucune possibilité objective réelle et collective de changement de promotion. Au plan du revenu par exemple, depuis 10 ans, la situa tion est restée inchangée: les 20 pour cent les plus pauvres (où on retrouve les analphabètes) ont continué de toucher environ 4 pour cent du revenu total alors que les 20 pour cent les plus riches s'accaparaient de plus de 42 pour cent (graphique 2).
Il y a des analphabètes au Québec, mais il est difficile d'en préciser exactement le nombre. D'une part parce que la définition de l'analphabétisme réfère à des notions qualitatives qui se mesurent difficilement. Mais aussi parce que les statistiques disponibles portent sur la scolarité: il faut donc établir une relation entre l'analphabétisme et la scolarité.
Il est généralement admis qu'il faut au minimum quatre années d'enseignement primaire pour qu'une personne puisse lire et écrire. Toutefois, dans les pays industrialisés en particulier, plusieurs estiment que ceux qui ont moins de 9 ans de scolarité doivent être considérés comme analphabètes fonctionnels.
Plusieurs trouvent que le critère de la neuvième année est beaucoup trop élevé. Pourtant l'expérience permet d'avancer qu'une proportion assez considérable d'adultes ont une scolarité supérieure à quatre années et sont pourtant complètement ou partiellement analphabètes. Les statistiques de la DGEA révèlent qu'en 1976-77, la majorité des personnes inscrites au cours de base en français/langue maternelle (0-4e) avaient plus de cinq années de scolarité.
Le tableau de la scolarité de la population adulte permet donc de découvrir l'ampleur du problème (tableau 1). Il y aurait donc en 1976, selon la définition que l'on retient, trois-cent-seize-mille ou un million deux-cent mille analphabètes au Québec, soit 6.8% ou 33.4% de la population adulte.
Ce tableau général ne rend pas compte des caractéristiques ou catégories qui permettent de mieux cerner lessortes d'analphabétisme au Québec. Certains groupes, ou catégories sociales ont été peu touchées par la "démocratisation" de l'enseignement.
Cet analphabétisme s'explique par les retards énormes du Québec en alphabétisation. On en trouve les effets chez les personnes plus âgées.
L'Eglise s'opposa longtemps a l'instruction obligatoire.
Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette situation, comme le retard de l'économie québécoise qui ne nécessitait pas une main-d'oeuvre instruite (les emplois qualifiés étant longtemps comblés par les anglophones dont le système d'éducation était plus développé). Mais un des facteurs les plus déterminants a certes été l'attitude de l'Eglise et des élites réactionnaires qui, tout en maintenant leur emprise sur le système d'éducation au Québec, se sont longtemps opposées à l'instruction obligatoire réclamée par les organisations ouvrières et la bourgeoisie libérale. La loi de l'instruction obligatoire n'a été adoptée qu'en 1942.
L'Église s'oppose longtemps à l'instruction obligatoire
Population adulte ayant moins de 9 années de scolarité
QUÉBEC scolarité |
0-4 |
5-8 |
0-8 cumulé |
1961 |
399,074 |
1,322,327 |
1,721,401 |
(12.8%) |
(42.4%) |
(55.2%) |
|
1971 |
354,890 |
1,437,990 |
1,792,880 |
(8.4%) |
(33.9%) |
(42.3%) |
|
1976 |
316,325 |
1,230,480 |
1,546,805 |
(6.8%) |
(26.3%) |
(33.1%) |
|
CANADA (sans le Québec) |
|
|
|
1976 |
546,370 |
2,332,400 |
2,878.770 |
(4.4%) |
(18.3%) |
(23.2%) |
Source: Statistique Canada
Scolarité et lieu de résidence (1976)
Scolarité Localisation |
0-4 |
5-8 |
0-8 cumulé |
Régions urbaines |
228,815 |
915,150 |
1,143.965 |
(6.1%) |
(24.3%) |
(30.4%) |
|
Régions rurales |
87,510 |
315,335 |
402,845 |
(9.5%) |
(34.2%) |
(43.7%) |
|
Total (Québec) |
316,325 |
1,230,485 |
1,546,810 |
(6.8%) |
(26.3%) |
33.1%) |
Source: Statistique Canada
Population adulte par groupes ethniques et la scolarité. Canada 1971
Rang |
Groupe ethnique |
Total |
Niveau inférieur à la 9e année sans aucune autre formation |
Pourcentage |
1 |
Indien & Eskimo |
148.585 |
98,935 |
66.6 |
2 |
Italien |
434,930 |
270.320 |
62.2 |
3 |
Français |
3,689.690 |
1.685,585 |
45.7 |
4 |
Ukrainien |
381,380 |
159,665 |
41.9 |
5 |
Polonais |
207,685 |
83.600 |
40.3 |
6 |
Autres & Inconnu |
701.585 |
277.395 |
39.5 |
7 |
Allemand |
824,725 |
272,700 |
33.1 |
8 |
Hollandais |
237.515 |
71,740 |
30.2 |
9 |
Groupes Asiatiques |
171,150 |
48,715 |
28.5 |
10 |
Scandinave |
249.870 |
67,395 |
27.0 |
11 |
Iles Britanniques |
5.924,585 |
1.491,830 |
25.2 |
12 |
Juif |
196,345 |
46.245 |
23.6 |
Source: THOMAS. 1976
C'est étonnant et pourtant c'est un fait: l'école actuelle produit des analphabètes scolarisés. Le graphique 4 révèle un pourcentage encore élevé de jeunes qui ont moins de 5 ans de scolarité.
Ce l'ait traduit l'échec au moins relatif de l'école particulièrement en milieux populaires où les voies allégées, le professionnel court sont les gages assurés d'une éducation manquée. D'ailleurs un nombre important de jeunes réagissent à ces méthodes de rejet par l'école par l'absentéisme et l'abandon.
Dès le tout début de la colonisation, les blancs ont voulu leur apporter la civilisation par l'alphabétisation... et la formation religieuse. Les Amérindiens et les Inuits sont pourtant les moins scolarisés des groupes ethniques du Québec. Leur analphabétisme découle d'une réalité complexe. Peut-on vraiment parler d'analphabétisme dans des sociétés traditionnelles de culture orale? Mais en même temps, les transformations sociales et culturelles (assimilation et/ou intégration économique?) que connaissent ces sociétés ne rendent-elles pas nécessaires la connaissance du code de l'écriture? L'alphabétisation ne devient-elle pas un instrument nécessaire pour le développement culturel, pour la lutte contre l'oppression nationale? Et s'il doit y avoir alphabétisation dans quelle(s) langue(s) se fera-t-elle: dans la langue maternelle, en anglais (langue usuelle d'un grand nombre) ou en français?
Population immigrante adulte (1971)
|
Total |
Moins de 9 années pas d'autres formations |
Pourcentage |
Québec |
394,150 |
161,290 |
40.9% |
Canada (moins Québec) |
2,432.025 |
925,135 |
38.0% |
Source: THOMAS. 1976 |
Un peu comme pour les autochtones, l'analphabétisme chez les immigrant-e-s est en plus affecté par des dimensions culturelles et linguistiques. On considère habituellement comme analphabètes ceux qui le sont dans leur langue maternelle. Même si les lois de plus en plus restrictives de l'Immigration tendent à refuser l'entrée du pays aux personnes sous-scolarisées, il existe un nombre considérable d'immigrants analphabètes dans les communautés italienne, grecque, portugaise et haïtienne (et chez les réfugiés du Sud-est asiatique). L'analphabétisme chez les immigrants constitue une source constante de difficultés et de frustrations: ils doivent inévitablement entrer en contact (par l'écrit) avec les autorités gouvernementales. Leur double condition d'immigrant et d'analphabète entraîne des difficultés énormes au niveau de l'emploi. Enfin, l'écriture constitue souvent le seul lien possible avec leur pays d'origine.
L'analphabète: travailleur... souvent chômeur.
Ce phénomène se retrouve au sein des catégories dont nous venons de parler, mais il est assez important pour qu'il en soit fait spécifiquement mention. Il s'agit du processus de déperdition de la maîtrise et même de la connaissance du code. Il est impossible de quantifier le phénomène, mais la scolarité initiale élevée d'un nombre considérable d'adultes qui s'inscrivent à des cours d'alphabétisation est révélatrice de son importance.
Cette dêsalphabétisation se produit en particulier chez celles et ceux qui dans leur vie quotidienne ne font pas usage de la lecture et/ou de l'écriture. L'environnement culturel y joue un rôle déterminant: dans certains milieux de travail (ou plutôt des secteurs) et certains milieux de vie, l'écrit est pratiquement absent. En milieux populaires, on observe la persistance d'une culture basée presqu'exclusivement sur l'oral. Cette situation est renforcée par la pauvreté de l'infrastructure socio-culturelle de ces milieux (par exemple les bibliothèques publiques) et la médiocrité de la production culturelle écrite s'adressant à cette population.
II faut ajouter d'autres groupes dont l'analphabétisme constitue un des effets de la mise au ban de la société.
Les déficient-e-s mentaux.
Les spécialistes estiment qu'environ 4% d'une société est atteinte de déficience mentale. Mais, plusieurs déficients mentaux peuvent s'alphabétiser: par exemple, les débiles légers et certains débiles moyens. Ici la proportion d'analphabètes est très élevée parce que les déficients ont été jusqu'à tout récemment exclus d'un système scolaire qui ne tolérait pas l'anormalité. La classification par l'expression déficience mentale doit d'ailleurs être considérée comme suspecte. Ce fut souvent une catégorie commode pour placer sur une voie d'évitement les déviants: mésadapté-e-s socio-affectifs, personnes avec difficultés socio-psychologiques - quand il ne s'agissait bêtement pas d'élèves indisciplinés...
Les handicapé-e-s physiques: d'autres exclus du système. On les a souvent automatiquement assimilés aux déficients mentaux. Plusieurs sont analphabètes parce que l'accès physique à l'école leur était impossible.
Les détenu-e-s.
Un grand nombre d'entre eux sont analphabètes. Les milieux populaires (surtout urbains) sont sur-représentés dans les prisons qui sont souvent perçues comme une extension géographique du quartier. Pour les détenu-e-s, l'analphabétisme est d'autant plus grave que l'écrit (l'envoi et la réception de lettres) constitue un moyen privilégié de contact avec l'extérieur.
Ces diverses approches de l'analphabétisme. le l'ait de l'appartenance des analphabètes aux couches populaires ne doivent pas nous faire perdre de vue que l'analphabétisme c'est aussi une réalité vécue quotidiennement par des personnes.
L'analphabétisme n'est pas seulement un phénomène objectif, c'est aussi une réalité vécue, donc un phénomène subjectif. De façon générale, on constate une grande différence entre la réalité objective (objectivée) du problème et la perception qu'en ont ceux et celles qui le vivent, les analphabètes. Or cette perception subjec-tivée spontanée se révèle être en réalité une perception limitée de leur situation. C'est ainsi que pour la plupart des analphabètes. l'analphabétisme ça n'existe pas. Ils i-gnorent souvent l'existence d'un grand nombre d'analphabètes. Pour eux, l'analphabétisme est un problème individuel, personnel: leur problème. Un grand nombre estime même que la cause de leur analphabétisme est uniquement d'ordre personnel ou familial.
Qui plus est, cette perception subjective est souvent une perception conditionnée, aliénée. On fait automatiquement siennes les idées qui ont communément cours dans la société. Ainsi, l'analphabétisme exerce une fonction mystificatrice qui justifie la position sociale des analphabètes, qui contribue à faire accepter non seulement le fait d'être analphabète, mais aussi le fait d'être pauvre et exploité-e. Plusieurs croient que c'est essentiellement leur manque d'instruction qui explique leur situation socio-économique pénible. Et que s'ils ne sont pas instruits, ce n'est pas à cause de l'organisation sociale: c'est leur faute personnelle (si j'avais pas eu la tête dure, si j'avais vraiment voulu, si j'avais pas pensé seulement qu'à jouer, etc.) ou un effet de la fatalité (j'ai pas eu de chance, on avait besoin d'argent, etc.)
Nous avons évoqué le conditionnement culturel des couches populaires et des analphabètes en particulier (nous parlerons plus loin du conditionnement culturel des alphabétiseurs). C'est une réalité. Mais c'est aussi une réalité contradictoire. Par exemple, les analphabètes - y compris ceux et celles qui n'ont jamais mis les pieds dans une école - ont intégré un modèle scolarisant et traditionnel de ce que devrait être leur alphabétisation; mais en même temps le taux élevé d'abandon des classes traditionnelles d'alphabétisation s'explique au moins partiellement par le fait que les analphabètes se sentent étrangers dans un tel environnement pédagogique et culturel.
De façon analogue, la notion même (ou la catégorie) analphabète n'est qu'un aspect de la réalité des personnes. Quand je dis d'une personne qu'elle est analphabète - ou au contraire qu'elle est alphabétisée -je n'ai encore rien dit de la réalité fondamentale, existentielle de cette personne. Bien sûr. dans les sociétés contemporaines, l'alphabétisation constitue un besoin social fondamental. Mais ne retenir que cette dimension traduit et entraîne une vision limitée, réductrice de la réalité.
La pathologie est souvent présente dans le monde de l'alphabétisation: la démarche pédagogique est souvent définie comme une démarche médicale, un processus thérapeutique: un bobo (quand ce n'est pas un malade) qu'il faut guérir. On oublie alors (commodément) l'ensemble de la situation économique, politique, sociale et culturelle qui produit l'analphabétisme. On oublie que les analphabètes sont autre chose que des entités négatives.
La caractéristique analphabète elle-même comporte une contre-partie positive. La parole, la tradition orale constituent le véhicule essentiel de la communication, de la cohésion sociale, de la transmission culturelle. Des formes particulières de communication non-verbales se sont développées. Il en va de même pour la culture. La culture des analphabètes, la culture des couches populaires est une culture dominée aliénée. Mais elle comporte également de façon contradictoire des éléments positifs. Mentionnons par exemple l'expérience de vie (ne devrait-on pas dire de survivance?) des analphabètes, expérience teintée à la l'ois de résignation et de révolte. On pourrait également faire état de l'attention très grande que portent les couches populaires à la réalité concrète, aux relations directes: souvent un mélange de chaleur et de méfiance. De la même façon, qui n'a pas ressenti à leur contact un sentiment diffus/vivace de l'appartenance sociale, un esprit latent/présent de solidarité?
L'analphabétisme existe chez nous. Ce n'est pas une maladie: c'est un des effets des conditions historiques et le reflet toujours actuel de contradictions sociales.
L'alphabétisation ne peut faire l'économie d'une telle analyse.
C'est dans la foulée des transformations économiques et sociales des années '60 et de la réforme du système d'éducation que se développe l'éducation des adultes. C'est dans ce contexte qu'émergera la question spécifique de l'alphabétisation. Cette partie présentera un survol historique et actuel des pratiques d'alphabétisation depuis 15 ans en en résumant les aspects principaux.
Une remarque préliminaire s'impose. Même si les statistiques sont incomplètes, le pourcentage d'inscriptions en alphabétisation semble n'avoir jamais dépassé le cap du 1% de la population concernée (en 1976, on rejoignait 0.5% de cette population en français de base). A cela il faut ajouter un taux d'abandons considérable oscillant entre 17% et 24%. Les pratiques d'alphabétisation ont donc été marginales jusqu'à présent; il n'y a pas eu de rescolarisation massive de la population analphabète.
Depuis 1965, ce sont les commissions scolaires (CSR) qui assument la responsabilité de l'enseignement élémentaire et secondaire des adultes et, à ce titre, qui organisent les activités d'alphabétisation (appelées cours de base). Pendant plusieurs années, c'est la Commission des Ecoles Catholiques de Montréal (CECM) qui joua un rôle prédominant dans cette question. Depuis quelques années, d'autres commissions scolaires organisent des activités spécifiques d'alphabétisation. Quant à la Direction Générale de l'Education des Adultes (DGEA) du ministère de l'Education (MEQ), ce n'est que depuis 2 ans qu'elle intervient activement dans ce dossier en offrant des ressources et en incitant les CSR à faire de l'alphabétisation une priorité.
Le gouvernement fédéral est intervenu pendant quelques années dans ce domaine par son Programme de formation de la main-main-d'oeuvre (PFMC) où l'alphabétisation (en fait le cours élémentaire) est considéré comme un pré-requis à la formation professionnelle. Depuis 1976, on sélectionne toutefois de moins en moins les analphabètes: leur temps de scolarisation est estimé trop long...
Dans les COFI (Centre d'orientation et de formation pour les immigrants), le ministère de l'Immigration du Québec offre des programmes d'alphabétisation pour les immigrants nouvellement arrivés.
Les organismes regroupés dans cette catégorie sont variés et leuraction d'alphabétisation a été marginale si on la compare à celle des institutions publiques. Pour certains, l'alphabétisation est une activité centrale, alors que pour d'autres (groupes communautaires, groupes ethniques), elle représente une dimension particulière d'une activité plus globale. Dans plusieurs cas, ces organismes ont été un lieu privilégié d'expérimentation. Leur apparition suit de peu les premières initiatives des commissions scolaires. Ces organismes qui s'implantent dans les milieuxde l'analphabétisme (à Montréal en particulier), se concertent et réclament une action vigoureuse en alphabétisation tout en remettant en question l'approche scolaire. C'est dans leur rang qu'apparaissent le premier bénévolat et les premiers alphabétiseurs à plein-temps. Après une quasi disparition en 1973, on assiste ici également à une résurgence depuis 2 ans.
La question des perspectives est déterminante pour dégager la nature des pratiques d'alphabétisation. Un survol des pratiques permet de dégager trois approches en alphabétisation que nous tenterons de décrire sans trop les dénaturer en portant une attention particulière à la définition (implicite ou explicite) des analphabètes et de l'alphabétisation qui s'en dégage.
L'analphabète est plus ou moins considéré comme un malheureux qui n'a pas eu la chance d'aller à l'école. On ne procède à aucune analyse de ce qu'est l'analphabète en-dehors du fait qu'il ne sait ni lire ni écrire. L'alphabétisation aura donc comme objectif de remédier à cette situation en offrant aux adultes non-scolarisés ou sous-scolarisés la possibilité de rattraper le temps perdu et de s'introduire/ou se réintroduire dans le cursus scolaire, dans la normalité. Ce programme uniforme d'instruction compensatoire vise à inculquer à l'étudiant les éléments de base du français (et du calcul) par l'apprentissage technique (mécanique) du code. On a en fait importé dans le domaine de l'éducation des adultes la vieille tradition pédagogique (en réalité anti-pédagogique) de l'instruction des enfants. Les programmes actuels de Français, langue maternelle du MEQ (et dont il est difficile de savoir à quel point ils s'appliquent) traduisent parfaitement cette tendance dans ce qu'elle a de plus déconnectée de la réalité, de plus débile.
Cette approche de l'alphabétisation (pres-qu'unanimement décriée) a été dominante au Québec. Aujourd'hui encore, même si elle est de plus en plus rejetée au niveau du discours, elle semble occuper une place prépondérante au niveau de la pratique.
Cette approche définit les analphabètes et l'alphabétisation de façon plus globale et plus dynamique: elle veut sortir des stéréotypes scolaires pour se rapprocher de la vie. La population cible, ce sont ceux et celles qui sont en marge de la société moderne ou d'un contexte social donné, qui y sont mal intégré-e-s. Une grande attention est généralement accordée à l'intégration dans le monde du travail. Le fait de ne savoir ni lire ni écrire est considéré comme l'une des composantes de l'inadaptation. L'alphabétisation aura donc pour objectif de permettre l'acquisition des connaissances et habilités de base indispensables à une intégration sociale. La démarche pédagogique se devra donc d'être souple et le contenu de la formation devra être défini selon chaque situation donnée.
Cette approche a souvent été dénoncée en raison de son aspect intégrateur aux structures économiques, sociales et politiques (qui ne sont pas objets d'interrogation). Effectivement elle est la plupart du temps a-critique. En outre, on y substitue souvent l'enseignement des notions scolaires, à l'enseignement de comportements sociaux (behaviorisme).
Cette critique souvent juste de l'approche fonctionnelle ne doit toutefois pas faire oublier qu'elle est plus proche des besoins concrets et réels des analphabètes et plus susceptible de répondre à leurs aspirations légitimes en terme d'intégration sociale et d'emploi.
Ce modèle est présent au Québec par exemple dans certains programmes de formation de la main-d'oeuvre et dans le programme d'alphabétisation du ministère de l'Immigration.
Dans cette perspective, il existe une volonté affirmée de partir de la culture et des intérêts spécifiques des classes populaires où se retrouvent les analphabètes. On postule que l'alphabétisation doit être une occasion de prise de conscience d'une situation globale d'exploitation (plutôt que de marginalité). La pratique éducative se voit donc assignée un double objectif d'apprentissage de la langue et de conscientisation.
Cette alphabétisation se situe dans une perspective d'appropriation du savoir (de la parole) et du pouvoir par les couches populaires.
Aussi est-il compréhensible qu'elle se soit principalement développée dans les organisations populaires et qu'elle ait été source de conflits lorsqu'elle était trop liée au système scolaire.
Ce courant a été fortement influencé par la pensée et la pratique de Paolo Freire,.mais aussi par tout le courant d'éducation populaire d'Amérique latine qui a pénétré le Québec à partir de la fin des années '60. Par ailleurs la dissociation alphabétisation/conscientisation a souvent eu pour effet de reléguer l'alphabétisation (l'apprentissage de la langue) à une simple fonction instrumentale et à ne privilégier que la conscientisation définie presqu'exclusivement en termes socio-politiques. Dans certains projets, on a à ce point mis à l'écart l'apprentissage du code, que l'on a tout-a-fait abandonné l'objectif d'alphabétisation...
Pendant plusieurs années, un problème s'est posé: la nécessité de matériel spécifique pour les adultes. Depuis peu toutefois, il existe du matériel québécois pour les adultes de sorte que l'on ne peut plus parler de carence généralisée.
Mais en examinant le matériel produit, on se rend compte que l'on ne peut poser le problème des outils en dehors de la question des perspectives. De fait, le matériel actuel s'inscrit largement dans le courant dominant de l'alphabétisation scolarisante. On retrouve principalement des manuels, des cahiers d'?xercices axés sur l'apprentissage mécanique de la lecture et de l'écriture. L'approche de la langue est académique et normative. Nombre de ces manuels intègrent une vision du monde qui en général reflète plus celle de la catégorie sociale des auteurs que les intérêts des classes populaires. On y dit peu de choses sur la méthodologie et la pédagogie. (Deux méthodes font peut-être exception. Le matériel produit par la CSR de Chambly qui révèle une approche plus globale et plus fonctionnelle de la langue et celui produit par le ministère de l'Immigration qui adopte une perspective nettement fonctionnelle). Il faut se demander si le besoin au niveau des outils est d'abord un besoin en manuels. Il y a une carence évidente au niveau de la méthodologie générale de l'alphabétisation, d'une pédagogie qui reflète la réalité et les intérêts des analphabètes et qui fasse appel à leur participation (autrement que par l'exécution d'exercices).
Face à une telle situation, plusieurs alphabétiseurs préfèrent construire leur matériel en sélectionnant certains éléments des manuels québécois (ou étrangers) et en produisant, avec les analphabètes, des textes liés aux thèmes de réflexion et d'apprentissage. Cette voie est certainement la plus dynamique: elle ménage une place importante aux expériences de vie et aux préoccupations des analphabètes et s'avère stimulante et efficace au plan pédagogique. Elle exige cependant l'accessibilité (matériel et budget) à la reprographie et du temps de travail de la part des alphabétiseurs.
Le portrait type de l'alphabétiseur moyen serait à peu près le suivant: c'est une femme, elle enseigne à temps partiel, le soir, dans une CSR (pendant le jour, elle enseigne aux jeunes au niveau élémentaire). Quelques-unes enseignent à plein temps (programmes de formation de main-d'oeuvre ou des immigrants). Ces enseignant-e-s sont maintenant plus ou moins couvert-e-s par une convention collective qui a atténué le pouvoir discrétionnaire des commissions scolaires. Dans le secteur non gouvernemental, la situation varie d'une institution à l'autre.
La plupart des alphabétiseurs ont une formation en pédagogie; quelques-uns ont une formation en sciences sociales. Il n'y a pas de programme spécifique de formation dans les universités c'est peut-être heureux. Les CSR ou le ministère organisent parfois des activités ponctuelles de formation (en général dans le style initiations aux méthodes). Contrairement à d'autres pays, on ne retrouve pratiquement pas ici d'alphabétiseurs issus des couches populaires donc avec un degré d'instruction peu élevé). L'alphabétisation appartiendrait-elle en propre à la petite-bourgeoisie scolarisée?
La pratique d'alphabétisation n'a pas été appuyée par une activité correspondante au niveau de la recherche. Les quelques textes produits sont surtout des enquêtes sur la clientèle et des bilans d'expérience. C'est pourtant un besoin: des recherches véritables pourraient contribuer au renouvellement des pratiques.
Même si elles ont connu une croissance certaine depuis 3 ans, les ressources sont inadéquates. Le mode de financement par heures/cours a entraîné une importance démesurée des cours au détriment de l'animation, de la recherche, de la programmation. Le nouvelles propositions de financement apparaissent de ce point de vue plus intéressantes (nous y reviendrons dans la 3e partie).
Une proportion appréciable des adultes québécois sont et doivent être considéré-e-s comme analphabètes. Concrètement ceux et celles qui sont analphabètes sont privé-e-s d'un instrument essentiel fondamental de vie en société. Et l'évolution historique ne fait qu'accentuer ce besoin, elle contribue même à hausser le seuil de connaissance et Je maîtrise de la lecture et de l'écriture indispensable à un fonctionnement minimal en société. Suite plus particulièrement aux transformations économiques et sociales à partir des années '60, même pour ceux et :elles que la société marginalise, savoir lire et écrire est une nécessité pratique impérieuse, un besoin quotidien autant dans la vie au travail que dans la vie courante où les occasions de contact avec l'écrit sont constantes.
Conséquemment, il faut affirmer sans ambages le droit à l'alphabétisation. C'est un droit fondamental qui est d'ailleurs maintenant universellement admis. Mais il faut du même souffle reconnaître que l'affirmation officielle et générale de ce droit n'assure pas pour autant son application. Au Québec, nous avons vu que, au total, les actions d'alphabétisation menées jusqu'à maintenant n'ont pas été à la mesure de l'ampleur du problème.
Depuis 2 ans toutefois, la situation se modifie. On reconnaît de plus en plus ce problème et la nécessité d'une action intensive. La question qui se pose alors, c'est de déterminer comment assurer la reconnaissance de ce droit.
Tel que mentionné au début, le ministère de l'Education a proposé une priorité à l'alphabétisation dans le cadre de sa nouvelle politique pour les milieux populaires. Cette priorité synthétisait les propositions de la DGEA publiées en 1979 (MEQ, 1979). Le premier enjeu dans le contexte actuel, c'est peut-être de réagir face à cette politique que l'on présente comme presque définitive.
Constats.
On admet l'échec assez général de l'école en milieux défavorisés, y compris des solutions envisagées aux problèmes de la sous-scolarisation (p. 15). Cet échec (quoiqu'on note en même temps des réussites) est imputé à une mosaïque de causes: non-adaptation de l'école, problèmes d'accessibilité, manque de souplesse, etc.
Proposition générale.
La proposition générale sera la réponse en positif à ce qui a été constaté négativement: il faut donc adapter les services éducatifs à la situation des adultes (p. 26). On y parviendra principalement par une triple priorité: l'alphabétisation, la formation pré-professionnelle et professionnelle. Et ceci, parce qu'il y a nécessité de dispenser une formation de hase minimale jugée indispensable par tous, à commencer par les services publics eux-mêmes (p. 29).
La partie alphabétisation
En ce qui a trait plus spécifiquement à l'alphabétisation, les intervenants seront:
Quant au contenu de cette alphabétisation, on en dit peu de choses si ce n'est pour affirmer que l'alphabétisation des populations particulières ne sera pas uniformément réductible à la scolarisation et qu'en conséquence les contenus, les moyens, les objectifs et les styles pourront considérablement varier (p. 106).
Cette priorité est assortie de mesures administratives:
Cette politique entre en application en 1980-81 et un budget de soutien sera accordé aux commissions scolaires. Pour ce qui est des organisations volontaires, les argents seront pris à même le budget des OVEP (Organismes volontaires d'éducation populaire) à qui on impose - comme si de rien n'était - les nouvelles priorités du ministère!
Une analyse détaillée de cette politique reste à faire par les principaux intéressé-e-s. A maints égards, cette politique est importante parce qu'elle introduit des éléments de changements significatifs dans la politique d'éducation des adultes. Plusieurs de ces aspects sont positifs:
Mais cette politique suscite des réserves et des questions. La première réserve déborde à première vue la seule question de l'alphabétisation: on ne retrouve aucune trace d'une politique globale de l'éducation des adultes en milieux défavorisés (milieux populaires) dans laquelle cette action en alphabétisation pourrait s'inscrire. Aucune problématique des besoins éducatifs des milieux populaires, aucune trace d'une stratégie générale de développement éducatif et culturel. La réalité collective des milieux populaires y joue principalement un rôle de décor de carton-pâte pour certaines actions éducatives. Considérés isolément, plusieurs constats s'avèrent justes: mais pour l'essentiel c'est un amalgame de mesures diverses dont la problématique principale (persistante) est définie en termes d'accessibilité. Après le fiasco du programme Multi-Média où l'on avait proposé une action éducative personnalisante informe pour les milieux populaires, le ministère semble opter pour des approches plus circonscrites, plus ponctuelles... moins risquées.
Au niveau même de l'alphabétisation, pourquoi cette priorité? Et pourquoi cette priorité isolée? (On remarquera que les 3 priorités du ministère sont principalement définies en termes d'intégration/réintégration socio-économiques et ces priorités ne sont pas sans relation avec le programme actuel de réintégration forcée des assistés-sociaux sur le marché du travail instauré par le ministère des Affaires sociales).
Cherche-t-on tout simplement à élever le seuil de scolarisation de la population sous-scolarisée pour qu'elle puisse minimalement fonctionner dans une société moderne en instituant un programme souple d'IMG (Instruction minimum garantie) pour les milieux populaires?
Enfin l'imposition de cette priorité unilatéralement décrétée et assignée d'autorité aux milieux populaires a eu un effet objectif de désorganisation. En 1980-81, l'imposition de priorités au programme OVEP et la ponction effectuée sur une proportion importante de ce budget constituent une opération de rapine et de pillage. (Heureusement les organismes volontaires d'alphabétisation n'ont pas été dupes d'une telle opération et appuient la lutte des OVEP contre l'imposition de ces priorités ministérielles.)
Que l'on nous comprenne bien. Il n'est pas question de s'opposer à la priorité accordée à l'alphabétisation. Mais cette priorité devrait être définie, à la suite d'une analyse véritable des pratiques d'alphabétisation, dans le cadre d'un projet cohérent de promotion éducative et culturelle des milieux populaires et avec la participation de ces milieux.
Avant de lancer massivement la population sous-scolarisée du Québec dans la consommation d'activités d'alphabétisation, il importe de dresser un bilan des actions menées depuis 15 ans, en particulier des actions des commissions scolaires qui s'étaient vues confier le mandat d'organiser localement les enseignements.
Le bilan de ces pratiques devrait faire état non seulement des expériences originales, innovatrices, mais surtout des pratiques représentatives. Les programmes d'alphabétisation ont été de plus en plus accessibles à la population concernée; pourquoi n'ont-ils pas été plus fréquentés, pourquoi les a-t-on nombreusement abandonnés?
Il faut aussi analyser l'uniformité des programmes, leur contenu culturel, leur, capacité de s'insérer dans les milieux où existe l'analphabétisme.
Quelle a été la fonction réelle de l'alphabétisation? A-t-on effectivement appris aux analphabètes à lire et à écrire? Leur a-t-on facilité l'intégration sociale? L'alphabétisation a-t-elle exercé un effet réel au niveau de l'emploi? Quelle a été la fonction symbolique de l'alphabétisation: développement de l'autonomie ou intégration et renforcement des schèmes dominants de dépendance? N'a-t-on pas vendu l'illusion de la mobilité sociale par la scolarisation?
Les instances scolaires doivent participer à ces bilans: c'est une condition nécessaire pour que le passage des activités de scolarisation à des activités d'alphabétisation ne se réduise pas à une simple modification du terme.
Mais ce bilan doit aussi être le fait des organisations ouvrières et populaires qui depuis quelques années sont plutôt muettes sur toute la question du développement culturel, de la formation générale des adultes (exception faite de la formation professionnelle et de l' éducation populaire autonome). Ce bilan serait aussi prospectif: quelles stratégies éducatives correspondraient aux besoins et aux intérêts des classes populaires - y compris dans le domaine plus spécifique de l'alphabétisation? Ces organisations sont-elles intéressées à participer à la création de ce réseau d'organisations volontaires proposé par le ministère?
Dans la mesure où ce bilan des pratiques sera réalisé, on découvrira que le problème de l'alphabétisation ne se situe pas tant en périphérie de l'alphabétisation (dépistage, recrutement, méthodes et manuels, évaluation, etc.), mais au coeur du problème. C'est l'activité elle-même qu'il faut questionner: redéfinir radicalement la nature même de la pratique, proposer des hypothèses nouvelles, ... et les expérimenter. L'exigence actuelle, c'est de définir les paramètres d'une alphabétisation qui s'inscrive dans une politique globale de dynamisation et de développement culturels des milieux populaires. Ce projet global, c'est aux principaux intéressé-e-s et aux organisations populaires de le définir. Ici nous tenterons plutôt d'en dégager quelques éléments de façon incidente pour en faire ressortir des perspectives propres pour l'alphabétisation.
Dans la mesure ou l'on perçoit l'analphabétisme comme phénomène individuel et comme phénomène collectif, à la fois comme problème spécifique et comme symptôme, le processus d'alphabétisation devra intégrer ces dimensions. Nous formulerons 3 dimensions/finalités:
S'initier à la langue, c'est fondamentalement développer ses capacités de penser et de dire - les éléments de la langue (vocabulaire et grammaire) constituant le support nécessaire à l'expression et à l'articulation de la pensée; c'est devenir en mesure de maîtriser le langage. Pour atteindre ces objectifs, il faut réincarner l'apprentissage de la langue, partir de la réalité vécue, de l'expérience de vie (considérable) des analphabètes: partir de leur langage, de leur vocabulaire et de leur culture. L'objectif n'est pas d'enseigner le bon français, de normaliser le langage des analphabètes (et ce faisant, les analphabètes eux-mêmes): ce bagage linguistique et culturel sera interrogé; on re-questionnera les perceptions spontanées, les formulations toutes faites.
Le processus d'appropriation de la langue est aussi un processus d'appropriation de la réalité.
L'alphabétisation doit se définir comme un acte créateur présentant une double perspective. D'une part elle remplit une fonction d'adaptation sociale à la culture existante, à la société actuelle. Mais ce processus d'adaptation doit se dérouler de façon active et dynamique et non par des procédés de conditionnement et de rétrécissement de la conscience. D'autre part l'alphabétisation doit précisément être occasion de création culturelle, d'exercice de la fonction critique et de la créativité. L'alphabétisation peut aussi être un moment de dépassement de la culture existante.
Au plan pédagogique, une telle démarche oblige à sortir de la pédagogie traditionnelle de la dépendance. Seul le développement d'une pédagogie axée sur l'autonomie des participant-e-s peut correspondre aux finalités énoncées. Cela exige une démarche et un format de travail repensés où il n'y a pas de tutelle exclusive de l'animateur sur le groupe, mais où des relations bilatérales, multilatérales pourront s'exercer au coeur même du processus d'apprentissage.
Une telle pédagogie accorde une attention à chaque individu, à sa perception, à ses besoins particuliers; mais en même temps, elle n'occulte pas la dimension sociale et collective des problèmes - à commencer par le fait d'être analphabète.
S'il apparaît que les finalités de l'alphabétisation doivent être redéfinies et unifiées, une telle opération n'implique pas que les processus de l'alphabétisation revêtiront la forme d'un modèle unifié. Au contraire, les objectifs formulés, la configuration particulière que prend l'analphabétisme dans chaque catégorie sociale exigent une diversification des pratiques.
Avec le développement prévisible des activités d'alphabétisation, devront également se développer des projets de formation et de recherche. Il s'agit d'ailleurs là d'un besoin urgent. Mais ces deux questions devraient être situées dans le cadre de la perspective d'ensemble: si l'on continue à isoler l'alphabétisation comme s'il s'agissait d'une activité essentiellement particulière, les activités de formation et de recherche ne pourront que refléter une problématique tronquée à l'avance, leurs résultats étant préalablement hypothéqués.
Si l'on avance qu'il est souhaitable que ce soient les milieux eux-mêmes qui assument la responsabilité de leur apprentissage, il faudra assurer des modalités organisation-nelles qui permettront d'atteindre ce but. A ce sujet, on s'interroge sur la table consultative prévue par le ministère: quel sera le rôle, et l'autonomie des organismes et institutions qui y participeront?
Pour ce qui est des organismes volontaires, si on veut effectivement ne pas isoler l'alphabétisation des autres dimensions de l'éducation populaire, ne faut-il pas que les budgets continuent d'être rattachés au programme OVEP (à condition évidemment que l'on ajoute les sommes indispensables à la réalisation des projets alpha)? Il y a certainement danger que des organisations populaires succombent à cette nouvelle sirène (klondyke) que pourrait devenir l'alphabétisation: les modalités de gestion prévues risquent peut-être de faire perdre de vue que l'alphabétisation doit s'insérer dans une perspective d'éducation populaire. A cet égard, on aurait avantage à s'inspirer de l'attitude des groupes ethniques qui, tout en réalisant des projets d'alphabétisation, tentent d'insérer cette action spécifique dans la perspective plus globale du développement culturel et social de leurs communautés.
C'est une question déterminante! L'examen du budget du MEQ indique, pour 1980-81, la priorité alpha n'est pas une priorité budgétaire! Déjà l'examen des budgets révèle un décalage important entre ce qui a été versé (pillé dans le budget des OVEP) aux organisations volontaires ( +- 150,000.00) et ce qui a été accordé aux commissions scolaires (+- 475.000.00): un rapport de 25% à 75%. En fait l'écart est beaucoup plus grand car cela n'englobe pas les sommes utilisées par les commissions scolaires pour les cours d'éducation de base. Mais il ne s'agit pas d'opposer commissions scolaires et organismes volontaires. Chacun devra trouver sa spécificité. Les organisations volontaires ne doivent pas être considérées comme une béquille pour l'action déficiente ou plus onéreuse des CSR et celles-ci à leur tour doivent repenser leur action non pas tant en se lançant dans des activités para-institutionnelles, mais surtout en redéfinissant leur programme de formation académique générale. Pour le financement, ce qui est en réalité plus troublant, c'est le pourcentage accordé à cette nouvelle priorité par rapport au budget global estimé de la DGEA: $625.000.00 sur un budget estimé de S144 millions soit: 0.3%. Même en ajoutant les sommes versées pour la recherche et le développement dans les commissions scolaires, cette priorité représentera une fraction de 1%...
Plusieurs fonctionnaires affirment pourtant que l'alphabétisation, ça coûte cher. Le ministre lui-même annonce que l'on fera preuve de discrimination positive à l'égard des classes désavantagées (MEQ, 1980, p. 105). Ici encore, la réalité telle qu'elle est réellement vécue par les milieux populaires s'avère différente. Nous avons déjà vu que les populations analphabètes et sous-scolarisées sont celles qui sont les moins touchées par les programmes d'éducation des adultes. Bien plus, le tableau (5) de la répartition du coût total de l'éducation au Québec montre que c'est précisément l'adulte qui n'a pas complété son cours élémentaire ou secondaire qui reçoit le moins (il coûte 10 fois moins cher qu'un étudiant universitaire!). Inégalités sociales et inégalités scolaires vont de pair: ce sont les classes populaires (enfants comme adultes) qui profitent le moins des budgets de l'éducation au Québec et cela, même en incluant tous les programmes de discrimination positive.
Pris dans le feu de l'action, d'aucuns croiront que le temps n'est plus à la réflexion mais à l'action et qu'il importe avant tout de se mettre au travail, de développer les ressources et les instruments indispensables à l'intervention.
Il serait regrettable de ne pas profiter d'un moment de réflexion à l'occasion des travaux de la Commission d'étude sur la formation des adultes. La politique québécoise de développement culturel ne proposait-elle pas de revenir à l'essentiel en éducation?
Et si la réponse aux besoins fondamentaux des analphabètes ne se situait pas tant au niveau d'une amélioration des pratiques actuelles que dans la redéfinition radicale de celles-ci?
Budget de l'éducation 1977-78
réseaux |
% du budget total |
"per capita" incluant tous les frais |
élémentaire secondaire |
57.90 |
S 1 180. |
collégial |
12.07 |
S 3 790. |
universitaire |
16.79 |
S 5 077./ $5771. |
éducation des adultes |
||
.sans fédéral |
1.16 |
$ 517. |
.transfert fédéral |
1.92 |
$ 763. |
Source: VEILLEUX, 1978, p. 19 |
COLLECTIF D'ALPHABÉTISATION (1979). ALPHABÉTISATION. PÉDAGOGIE. PRATIQUES. RÉFLEXION. Paris: Maspero.
Freire, Paolo (1971). L'ÉDUCATION , PRATIQUE DE LA LIBERTÉ. Paris: Cerf.
Freire, Paolo (1974). PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉS. Paris: Maspero.
Freire, Paolo (1978). LETTRE À LA GUINÉE-BISSAU SUR L'ALPHABÉTISATION. Paris: Maspero.
Meister, Albert (1973). ALPHABÉTISATION ET DÉVELOPPEMENT. Paris: Anthropos.
Hautecoeur, Jean-Paul (1978). ANALPHABÉTISME ET ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC. Québec: ministère de l'Education.
Laperrière, Micheline et Wagner, Serge (1980). L'ALPHABÉTISATION À REPENSER. L'EXPÉRIENCE DU CARREFOUR D'ÉDUCATION POPULAIRE DE POINTE ST-CHARLES. Montréal: Le Carrefour.
MEQ (1978). ALPHA 78. RECUEIL DE TEXTES (préparé par J.-P. Hautecoeur). Québec: ministère de l'éducation.
MEQ (1979), POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC (par J.-P. Hautecoeur). Québec: ministère de l'Education.
Les manuels:
Laroche. Clémence et Trépanier, Armand (197-79). DE L'ÉCOUTE À LA LECTURE ET JUSQU'À L'ÉCRITURE. Montréal:
Guérin.
Pour les autres manuels, il faut s'adresser aux différentes commissions scolaires: Chambly, CECM, Youville - et au ministère de l'Immigration
Pothier, Nicole (1980). QUELQUES MOTS SUR LES MÉTHODES D'ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC ET FICHES TECHNIQUES. Québec: ministère de l'Education.
MEQ (1980). L'ÉCOLE S'ADAPTE À SON MILIEU. Québec: ministère de l'Education.
Caskie. D. (1979) DONNÉES DE BASE SUR LA PAUVRETÉ AU CANADA. 1979. Ottawa: Conseil canadien de développement social.
Frappier-Desrochers, Monique (1978). LA RÉPARTITION DES REVENUS AU QUÉBEC... 1973. Québec: Office de planification et de développement.
Thomas, Audrey M (1976). ADULT BASIC EDUCATION LITERACY ACT1VITIES IN CANADA. 1975-76. Toronto: World Literacy of Canada.
Veilleux. Alfred (1978). L'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LES INSTANCES SCOLAIRES. 2 vol. Québec: ministère de l'Education
Aussi: les STATISTIQUES DE L'ÉDUCATION DES ADULTES du MEQ et les cahiers du recensement fédéral de 1976 (POPULATION: CARACTÉRISTIQUES DÉMOGRAPHIQUES)
... Et si quelqu'un ne croyait toujours pas qu'il y a des analphabètes ou s'il voulait en voir: J'AI PAS MES LUNETTES, film de Robert Verge produit par l'ONF (1978) - 27 minutes.
Texte: Serge Wagner, professeur UQAM. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression:
Les Presses Solidaires Inc. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: Claudius, in A LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE CONSCIENCE SOCIALE. IDAC. No. 14: p. 1: LA PRESSE, 9 juin 1977: p. 2; J'AI PAS MES LUNETTES, film de Robert Verge, ONF, 1978: pp. 3. 7, 9, II; E.-J. Massicotte, LE BULLETIN PAROISSIAL, 1918: p. 4; R. Godbout, LE BLOC, Régionale Jean-Talon, déc. 1979: p. 10: Coopérative des Services multiples, Lanaudière: pp. 13, 14, 15.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Dans ce long cheminement qu'est notre éducation permanente, nous sommes tous et toutes, plus ou moins des chiens de Pavlov ou des rats qui pressent sur des leviers. Les chiens de Pavlov que nous sommes ont appris par la répétition parfois même jusqu'à l'abrutissement, à faire des liens, des associations qui n'étaient pas là. Au chien. Pavlov avait appris à saliver lorsqu'une cloche sonnait: quant à nous, on nous a appris que 3 et 2 font 5. que le son "a" s'écrit "a", que Dieu est un pur esprit, et que John and Mary, c'est de l'anglais.
On nous a aussi appris ce qu'est l'école, l'examen, le devoir, la dictée, autant de cloches qui nous font saliver à la saveur de notre éducation.
Les rats presseurs de leviers que nous sommes, sont ceux qui ont appris toutes les habiletés nécessaires à plaire au professeur, à écrire de beaux textes et à faire des travaux pour enfin avoir le diplôme ou les crédits dont on nous avait tant dit de bien. Que de temps, que de papier dont il ne reste plus que l'utile et le merveilleux...
Ce texte s'adresse aux adultes: ceux et celles qui apprennent déjà dans le cadre d'un programme ou de toute autre façon ou qui aimeraient le faire. A ceux et à celles qui de toutes façons ont déjà connu ou connaissent l'école, qui en ont une image, des souvenirs.
Il parle de pédagogie: il y a bien des façons d'en parler. Plusieurs textes qui existent déjà et qui sont très bien faits expliquent ce qui motive une personne adulte à s'inscrire à des activités, pourquoi elle est anxieuse lorsqu'elle retourne aux études, comment il faut mettre à contribution son expérience du travail et de la vie, créer des situations où elle pourra interagir avec les autre participant(e)s. discuter, échanger des points de vue. se rendre compte que son cerveau n'a pas ramolli, etc.. A quoi bon redire ce qui a déjà été très bien dit?
Ce texte n'a pas l'intention de vous parler de pédagogie comme on l'entend souvent, c'est-à-dire seulement comment le professeur va-t-il réussir à faire apprendre, à passer sa matière. On dit souvent que lorsqu'un adulte est décidé à apprendre, il se débrouille pour le faire, quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve. On n'a pas tout à fait tort: la raison de cette attitude c'est que la méthode d'enseignement n'est qu'un élément d'un ensemble qui ne peut pas suffire, en soi, à expliquer pourquoi il y a eu ou non apprentissage dans un cours. La sympathie qu'inspire le professeur, la motivation des participant(e)s, ou toutes sortes d'autres raisons rendront les effets de la méthode bien difficiles à cerner. (Ça n'est cependant pas une raison, par ailleurs, pour complètement négliger cet aspect...).
Mais il y a d'autres choses qui nous apparaissent peut-être plus importantes à dire: c'est que le système d'éducation nous contrôle et nous conditionne. Il décide pour nous des cloches qui nous ferons réagir, des leviers que nous presserons. Il joue sur nos valeurs, nos attitudes, notre "inconscient", pour le meilleur et pour le pire. Et la façon par laquelle il y arrive peut aussi s'appeler de la pédagogie: de la pédagogie clandestine, celle dont on ne parle pas souvent.
Il existe des tonnes de classifications en éducation: une de plus ne changera pas grand-chose. Celle-ci vous propose quatre modèles: le dressage, la carotte, le monnayage et l'alternative.
Le modèle du dressage ressemble étrangement à ce que Pavlov fit subir à ses chiens; à force de leur présenter de la nourriture accompagnée d'un son de cloche, le seul son de la cloche réussit à les faire saliver. C'est ainsi que nous faisons la plupart de nos apprentissages de base. Quand on apprend à un enfant à parler, au tout début, on lui montre un objet en répétant le nom de cet objet. Après un certain temps, l'objet suffit à faire dire le nom, de même que le nom suffit à évoquer l'objet. C'est à force de répétitions de ce genre qu'on a appris les rudiments qui permettent de lire, écrire, compter, parler anglais, etc..
La force de ces conditionnements dépend surtout de deux facteurs: la rigueur et la répétition. Pour ce qui est de la répétition, cela va de soi: tout le monde sait qu'à force de répéter on finit par emmagasiner n'importe quoi. La rigueur pour sa part, est nécessaire afin d'éviter les ambiguïtés: si notre pauvre chien, lorsque la cloche sonne, reçoit tantôt de la nourriture, tantôt un choc électrique, tantôt rien du tout, il ne peut pas savoir à quoi s'attendre.
Vous avez peut-être reconnu dans ce modèle un aspect important de l'école traditionnelle. Ce qui caractérise ce modèle, c'est que la totalité du pouvoir repose entre les mains de l'éducateur - dresseur - l'apprenant étant réduit à être façonné par un programme qu'il ne lui appartient pas de définir, et selon des modalités imposées. Ce type de conditionnement est effectivement celui qui requiert le moins d'être sensible aux décisions ou volontés de celui qui apprend. Des informations très claires et beaucoup de répétitions sont les points majeurs de cette méthode.
Cela ne va pas sans effets secondaires. Ainsi. Saljô, un chercheur suédois, fit récemment une enquête auprès d'adultes de 15 à 73 ans, ayant entre 6 et 17 ans de scolarité. Il leur demandait, entre autres:
A cette question, les moins scolarisé-e-s. donc les plus exposé-e-s a cette méthode d'apprentissage, répondirent (évidemment?...) que c'était d'apprendre des choses par coeur, d'emmagasiner des informations. Etre capable de reproduire, de redire ce qui avait été dit ou lu, sans vraiment qu'ils se préoccupent de distinger entre savoir et comprendre...
C'est là le message caché et le prix qu'il faut payer lorsqu'on apprend pendant des années des choses qui ne se discutent pas: on ne discute pas de la pertinence de savoir lire, écrire, compter, de connaître la définition d'un minimum de mots. Pas plus qu'on ne discute comment s'écrit un a. et combien font 12 fois 12. Pas plus qu'on apprend, ainsi, à discuter...
Les trois autres modèles reposent sur un autre procédé. Celui-ci prétend que nos comportements sont contrôlés par leurs conséquences. En d'autres termes, si le fait de poser tel geste amène des conséquences qui sont agréables, le comportement sera maintenu. Inversement, si les conséquences du comportement sont désagréables ou s'il n'y a pas de conséquence du tout, le comportement disparaîtra de nos habitudes. C'est ainsi qu'on apprend à des rats de laboratoire à presser sur des leviers. Si la ou les pressions sont suivies de nourriture ou autre conséquence agréable, le rat pre-se. Sinon, il s'arrête ou n'apprend pas.
En ce qui nous concerne ici, la question est de savoir qu'est-ce qui peut bien nous faire continuer à apprendre: en d'autres mots.
Finalement, pourquoi {pour quelles conséquences) est-ce que j'apprends?
Saljo. R.. LEARNING ABOUT LEARN-ING. Higher Education, 1979, 8, pp. 443-451.
Mais poser lu question dans des termes aussi généraux est peu éclairant: on en arrive vite à des réponses toutes faites qui n'avancent à rien. Il faut plutôt comprendre cette question comme un résumé d'une foule de petites questions, par exemple:
En fonction de quelles conséquences est-ce que j'entreprend ce diplôme? Je suis tel cours précis? Je fais ce travail de groupe, auquel je crois plus ou moins? Je m'obstine à assister au cours alors que j'ai la conviction d'apprendre plus chez moi?
On peut, ainsi, en fouillant (méfiez-vous des évidences!) trouver les conséquences qui finalement contrôlent nos actions: en d'autres mots, savoir qui nous conditionne et comment.
Ce qui différencie les trois modèles qui suivent c'est 1) la nature des conséquences; 2) qui décide de ce qu'on apprend.
En ce qui concerne la deuxième question, c'est assez facile à comprendre: ou bien c'est l'apprenant, ou ce sont d'autres personnes comme le professeur, les concepteurs de programme, etc.. C'est la distinction entre les divers types de conséquences qui est plus délicate à faire. En somme, on peut les regrouper en deux catégories dont voici des exemple.
Dans un cas, c'est
Dans l'autre cas, c'est
Autrement dit, dans un cas il y a, en plus du plaisir ou de la satisfaction d'avoir appris, l'acquisition d'un pouvoir (i.e. disposer de moyens (...) qui permettent une action. Petit Robert) réel. Dans l'autre cas, il y a le plaisir d'apprendre et l'acquisition d'un pouvoir, mais qui reste dans les airs; une sorte d'apprentissage déconnecté. Ca peut vouloir dire: "Si on avait su, on ne l'aurait pas fait", mais pas nécessairement: il y a actuellement une foule de gens qui apprennent sans grand plaisir tout en sachant que ça ne leur donnera probablement que peu de choses, un peu comme s'ils continuaient sur l'air d'aller, victime d'un contrôle subtil dont la recette se compose de crédits, de promesses de prestige et de diplômes. Cette foule de gens, c'est un peu chacun de nous, qui, pour peu que nous ne soyons pas vigilant, tombons dans les pièges du crédit, de la publicité, de la démagogie et autres...
Contrôle du contenu |
Nature des conséquences |
|
|
Pouvoirs réels |
Pouvoirs artificiels |
Pur l'apprenant |
Modèle IV: l'alternative |
|
Par d'autres |
Modèle III le monnayage |
Modèle II la carotte |
A l'aide de ces deux questions, on peut ainsi faire le tableau ci-dessus, qui permet de distinguer les trois modèles: Quelle que soit la réponse à ces deux questions, ces modèles présentent déjà une différence par rapport au premier modèle: on doit à tout prix tenir compte de l'apprenant dans le choix des conséquences puisque c'est lui seul qui peut déterminer si elles lui sont ou non agréa bles, si elles le feront marcher. De plus, l'apprenant doit être actif puisqu'il lui revient d'émettre le comportement, le conditionneur ne contrôlant que les conséquences de celui-ci.
Voici donc ces trois autres modèles.
Bien petite carotte, en fait! C'est un peu la situation où on vous dit "Apprenez ça! Vous verrez, plus tard , vous en aurez besoin!" On ne décide pas plus qu'on ne participe aux décisions relatives à ce qu'on apprend, et on ne sait pas exactement pourquoi on apprend ceci plutôt que cela. Les conséquences qui contrôlent notre comportement, c'est "peut-être que c'est vrai qu'un jour on va en avoir besoin pour vrai, de ce qu'on va apprendre". C'est aussi l'image que nous a laissé le dressage passé, du professeur qui a toujours raison et du diplôme qui enrichit. Question de confiance, quoi. En attendant, pour aider, il y a les notes et les crédits: ça fait toujours ça de pris.
Autrement dit, c'est la pédagogie des cours obligatoires qu'on suit strictement pour compléter un programme, du DEC qu'on fait seulement pour pouvoir entrer à l'université, du travail dont on se débarrasse pourvu qu'on ait les crédits. C'est la danse éternelle des pré-requis où le plaisir d'apprendre apparaît toujours au loin, c'est le préambule interminable, le prélude infini, la vente pyramidale permise seulement en éducation. "Un jour on va vous le dire ce que vous voulez savoir, mais avant il faudrait que vous sachiez que... sinon vous ne comprendrez pas."
C'est donc le chemin de croix éducatif qui nous apprend à souffrir en silence, en acceptant de remettre aux autres les décisions du parcours. Et qui nous apprend aussi qu'apprendre c'est souffrant, au mieux souvent platte, et que n'entre pas au paradis de la connaissance signifiante celui qui n'a pas su se purger de son ignorance. Et tout cela avec notre argent, avec l'efficacité qu'on devine...
Autres temps, autres moeurs! Certains irréductibles ont forcé l'imagination des décideurs de l'éducation. Pour garder le contrôle sur le comportement de ces apprenants, (et ce, pour leur bien, il va sans dire) on s'est mis à mettre un peu plus de beurre sur le pain, à donner des récompenses un peu plus signifiantes.
Des exemples? Donner une augmentation de salaire ou la sécurité d'emploi après X crédits de perfectionnement. Ou encore, comme cela se fait en Afrique, permettre à des villageois illettrés de mettre sur pied un petit dispensaire s'ils apprennent à lire et à écrire de telle sorte qu'ils puissent lire les posologies et les instructions sur les boîtes de médicaments. C'est la ruse de la proposition qu'on ne peut pas refuser.
C'est un système qui sans nul doute permet un meilleur contrôle que le précédent. Mais devant des renforcements qui l'attirent beaucoup, l'être humain se met souvent à déployer des énergies insoupçonnées! Ça me rappelle toujours l'anecdote d'un professeur qui avait tenté à grand-peine mais sans succès d'apprendre à un débile léger à lire et compter. Il le rencontre quelques années plus tard: il était devenu messager de pharmacie. "Tu dois savoir lire et compter, pour faire cette job-là?" "Oui, répondit-il, il a bien fallu que j'apprenne!"
Le hic de l'histoire, c'est que cette énergie insoupçonnée n'est pas toujours employée à apprendre: elle est souvent employée à définir la stratégie qui permet d'obtenir les résultats convoités: pour le meilleur ou pour le pire, c'est une pédagogie où on use de ruse, et où souvent on joue surtout pour gagner quitte à tricher. Finalement, on n'y apprend peut-être pas toujours ce qui est au programme...
C'est l'alternative, parce que ce modèle implique un renversement majeur par rapport aux autres: cette fois, c'est l'apprenant qui détermine le contenu des apprentissages, ceux-ci l'amenant à une acquisition de pouvoirs réels. C'est pratiquement de l'auto-conditionnement, ou de l'auto-formation; c'est, tout compte fait, le retour à la liberté du chien de Pavlov ou du rat de laboratoire.
Tout concorde à ce que ça fonctionne puisque le contenu a du sens pour celui ou celle qui en décide, et que les conséquences d'une telle démarche ont de fortes chances d'être positives, le minimum assuré étant qu'au moins on a fait quelque chose qu'on voulait faire.
C'est un peu selon ce modèle qu'on apprenait, par exemple, à conduire une voiture avant les cours de conduite obligatoires. On prenait conscience du besoin, et les moyens pour apprendre; en conséquence, il n'y avait, de problème, que l'impatience et l'intransigeance de certains maris...
Quoi de plus naturel que d'apprendre des choses qui ont du sens pour soi, et quoi de plus évident que les conséquences de tels apprentissages ne soient pas artificielles pour l'apprenant qui les a souhaitées. Et c'est là peut-être que se justifie l'emploi, dans ce texte, des expressions "pouvoir réel" et pouvoir artificiel, des guillemets autour de pouvoir. Car entre avoir l'impression d'acquérir un certain pouvoir et la réalité, il y a souvent plus qu'un guillemet de nuance et de différence.
Plusieurs automobilistes sur le crédit seront d'accord, pour reconnaître qu'ils ne contrôlent pas tout de leur voiture.
Par ailleurs c'est probablement la seule façon pensable d'apprendre à être autonome ou créateur dans ses apprentissages: on ne devient pas créateur ou autonome en ne faisant que ce que les autres nous demandent: il faut bien, à un moment donné, avoir appris à décider soi-même de ce qu'on veut.
A tout le moins, cela exige de l'apprenant qu'il ait une idée claire de ses besoins, de ce qu'il souhaite faire ou devenir. Et c'est peut-être là la limite du message caché de cette pédagogie: les besoins que l'on se reconnaît, c'est une chose; mais il faut être bien naïf pour croire qu'ilscorrespondent toujours à la réalité qui nous entoure.
Le tableau ci-contre résume les avantages et les risques de chacun des modèles. Presque tous ont des avantages certains; tous ont des risques dont la gravité peut varier.
Dans un premier temps, on peut se demander quels sont les modèles actuellement privilégiés de notre système d'éducation, et quels sont ainsi les choix de valeur que supporte la situation actuelle de l'éducation des adultes. Choix de valeur évidemment plus ou moins implicite, plus ou moins clandestin.
Somme toute, la pédagogie dont nous parlons dans ce texte a deux objectifs principaux:
MODÈLE |
AVANTAGES POUR L'APPRENANT |
RISQUES |
I Le dressage |
Acquisition rapide d'informations de base. |
Mémoire et non compréhension, peut créer des habitudes de soumission, de dépendance, ne développe pus l'autonomie, encore moins le sens critique. |
II La carotte |
A les avantage du modèle III. mais dans la mesure où il y a apprentissage... |
Démotivation à plus ou moins long terme, amenant un retrait réel (drop-out) ou mental (zombie) de la situation d'apprentissage. |
III Le monnayage |
Permet de profiter de l'expérience collective qui détermine la nécessité ou la pertinence de certains apprentissages. |
Peut centrer l'apprenant sur les conséquences plus que sur les contenus (jouer seulement pour gagner) |
IV L'alternative |
Situation équilibrée: motivation soutenue pendant de l'autonomie, voire même de la créativité. |
Grande dépense de temps et d'énergie pour la conscientisation des besoins. Correspondance hasardeuse entre les besoins perçus et les besoins réels. |
L'atteinte de ce double objectif ne peut se faire sans se heurter à des contradictions profondes qui finalement expliquent l'ambiguïté dans laquelle se trouve la pédagogie des adultes. D'une part, le fait de se centrer de façon excessive sur l'apprenant nous amène dans u-ne aventure bien romantique mais que la plupart des adultes refusent: leur temps est précieux et il ne doit pas être utilisé à jouer à Devine c'est quoi que tu devrais apprendre. On ne peut pas remettre à chaque étudiant individuellement le soin de définir ce que doit être sa compétence parce que cette définition doit tenir compte des acquis du savoir collectif. Pour faire de la mécanique-automobile, que ça nous plaise ou non, il faut savoir ce qu'est un carburateur. De toute façon, les étudiant-e-s savent très bien quelles sont les règles du jeu qui déterminent la valeur marchande de leur formation: Nous voulons des apprentissages concrets, reliés à la réalité du marché du travail, et aussi une formation de qualité disent-ils.
Par ailleurs, il y a des situations où toute la flexibilité de l'être humain ne peut suffire à combler l'ignorance dont on entoure sa condition d'adulte-citoyen-ne à part entière, ayant sa façon propre d'apprendre. On ne peut indéfiniment garantir une formation de qualité en se contentant de définir des contenus, en tenant compte seulement de façon très superficielle de comment ceux-ci peuvent être compris et assimilés, et en se réfugiant, pour toute pédagogie, dans un resserrement des modalités d'évaluation des apprentissages. Chacun-e d'entre nous, pour peu qu'on s'interroge honnêtement, sait la quantité de temps perdu, pendant son éducation, à faire des choses insensées: cette perte de temps, il faudrait une fois pour toutes l'admettre: elle coûte cher, et mérite attention.
Somme toute, on peut résumer la question de cette façon: peut-on arriver à faire profiter l'apprenant de "l'expérience collective" qui peut lui échapper parfois (du moins en partie), sans pour autant discréditer son droit de regard et le désaproprier de sa démarche d'apprentissage? Par ailleurs, peut-on tenir compte des besoins de l'adulte, créer des modalités qui lui permettent de mieux apprendre, sans menacer d'aucune façon la qualité de sa formation? Nous croyons que oui, à condition d'y mettre le prix, c'est-à-dire d'accepter que la façon d'apprendre est aussi importante que ce que l'on apprend.
Enfin, l'examen de cette situation implique aussi un choix de valeur où le message clandestin de la pédagogie prend le pas sur le contenu éducatif. L'éducation des adultes doit-elle être exclusivement
une éducation de rattrapage, où, de façon relativement directive et déterminée par les besoins du marché, on indique les sorties d'urgence par lesquelles on peut échapper au chômage ou au stress de conditions de vie aliénantes? N'y a-t-il pas de place pour une pédagogie qui fasse de nous autre chose que des chiens de Pavlov qui apprennent à saliver ou des rats qui pressent sur des leviers. Pour une pédagogie qui nous permettrait de prendre des initiatives et nous apprendrait à agir sur les réalités que nous vivons et que nous n'avons pas nécessairement choisies. A agit plutôt qu'à subir?
Regarde, j'ai réussi à le conditionner! Chaque fois que je presse le levier, il me donne de la nourriture.
CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ DIT ET TRÈS BIEN DIT:
Dufresne-Tassé, C, GASTRONOMIE OU TAMBOUILLE? Les tours de main de l'enseignement des adultes. FORMATION DES ADULTES, 1978, Vol. 11, pp. 18-27.
Pine, G.J., Horne, P.J., PRINCIPLES AND CONDITIONS FOR LEARNING IN LEADERSHIP, 1969, Vol. 18, pp. 108-134.
POUR CEUX QUE LE CONDITIONNEMENT INTERESSE:
Skinner, B.F., PAR DELÀ LA LIBERTÉ ET LA DIGNITÉ.
Texte: Alain Dunberry, chercheur. Faculté d'éducation permanente, Université de Montréal. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.
Illustrations: Claudius, in ÉCOLE, SOCIÉTÉ, AVENIR, IDAC, Nos. 19-20, p. 1; Claudius, in ATTENTION ÉCOLE, IDAC, Nos. 16-17; pp. 3, 4, 6,; B. Leys, in POURQUOI?, No. 152, fév. 80: pp.2, 5, 7; LEARNING S.A. Mednick, Prentice-Hall Inc., 1964: p. 3: JESTER, Columbia University: p. 8.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7
Pas besoin de procéder à une étude très approfondie pour constater la prédominance du rôle des médias dans le domaine de l'éducation. Indépendamment de la valeur des contenus éducatifs véhiculés, les médias et surtout la radio et la télévision, sont le principal instrument d'information et de formation sociale et culturelle. S'il est vrai que les cours pour adultes offerts par les institutions d'enseignement ont de plus en plus d'adeptes, il demeure cependant que les Québécois-es regardent la télévision en moyenne de 23 à 25 heures par semaine, et cette moyenne ne semble pas vouloir fléchir sensible-
ment. Sous prétexte que ces médias font davantage partie du domaine du loisir et du divertissement, on a pris pour acquis que le contenu de ces émissions n'avait aucune portée éducative réelle.
Aussi toute politique en éducation des adultes doit déborder le cadre formel de l'éducation et reconnaître l'interdépendance entre l'éducation et les médias. On ne peut ignorer la contradiction entre le potentiel éducatif des médias et leurs traits dominants actuels, à savoir la distorsion des contenus et l'aliénation culturelle.
L'élaboration d'une politique générale en éducation des adultes, en plus de devoir s'articuler à l'ensemble du système d'enseignement, s'inscrit nécessairement de façon plus globale dans un projet de société. La crise que nous traversons depuis 1973 à l'échelle internationale ne se limite pas à l'économie ; il s'agit en fait d'une crise plus globale de civilisation. Aux problèmes des déséquilibres économiques non résolus, s'ajoutent et pèsent de plus en plus les problèmes des déséquilibres au niveau du savoir. En fait, la contradiction entre les exigences que posent à toute personne l'organisation de plus en plus complexe de la vie en société et l'incapacité de nos appareils de communication et institutions d'enseignement à répondre à ces besoins est, selon nous, un facteur important de l'impasse sociale actuelle.
Le cadre de vie des hommes et des femmes a subi plus de changements au cours de ces 80 dernières années que pendant tous les siècles précédents. Alors qu'autrefois les rapports entre les individus et la nature étaient directs, de nos jours au contraire, toutes les activités sont spécialisées, divisées, réglementées et organisées d'en haut. Nous sommes passés de la phase artisanale à la phase industrielle. Toute production matérielle et intellectuelle est le fruit d'un travail collectif et il en va de même pour la satisfaction de l'ensemble des besoins qui se font maintenant sur un mode collectif. Dans le processus d'industrialisation et d'urbanisation, la majorité des gens ont perdu de plus en plus de contrôle sur leur environnement. Le travail a été déqualifié, parcellisé et est devenu une activité aliénante parce que les travailleurs et les travailleuses n'en contrôlent plus le processus. D'autre part, les usager-e-s des services collectifs n'ont pas davantage l'impression de décider et de choisir en fonction de leurs besoins et de leurs goûts. Les centres de décisions se sont concentrés et éloignés des collectivités. D'une part, l'État réglemente de plus en plus, et ce jusque dans les détails, tous les aspects de la vie en société : santé, éducation, transport, bien-être, loisir, etc.. D'autre part, il y a le poids déterminant des entreprises transnationales sur l'ensemble du développement économique de chaque pays, accompagné d'innovations technologiques dont l'utilisation actuelle est décidée par une minorité d'investisseurs souvent seuls à en connaître les possibilités et les conséquences.
Malgré tout, il faut toujours en revenir à la population, car ce sont encore les individus qui font fonctionner la société. Cependant, il arrive un moment où l'écart de compréhension et de perception entre ceux qui décident et ceux qui exécutent devient trop grand et c'est alors que la machine se dérègle. On dit souvent que les pouvoirs profitent de l'ignorance du peuple, mais il semble qu'actuellement cette ignorance se retourne en grande partie contre eux. En effet, pour réaliser une politique de sauvegarde de l'énergie, il faut que les citoyen-ne-s comprennent la nature du problème et en saisissent les enjeux pour la société actuelle et future ; il faut en somme un certain degré de conscience sociale. Le développement de la conscience sociale dans la population devient un des facteurs les plus importants de l'évolution de nos sociétés, car nous sommes tous et toutes dépendant-e-s les uns les autres. Cependant, l'école et les médias continuent de véhiculer des valeurs et des modèles de comportement traditionnels basés sur l'individualisme, la compétition et la valorisation de la consommation individuelle.
II est assez paradoxal de constater que malgré l'élargissement de l'accès à l'éducation et la très grande pénétration des médias, la majorité de la population ne semble pas tellement plus outillée pour comprendre ce qui se passe et agir en conséquence. Pour illustrer rapidement cette situation, prenons un exemple. Nous subissons depuis environ 7 ans une crise économique qui a des conséquences très graves sur nos conditions de vie. On sait qu'à travers cette crise, c'est tout le système économique qui est en train de se restructurer, ce qui entraînera des retombées sur l'ensemble de l'organisation sociale. Compte tenu de leur potentiel éducatif et de l'ampleur de leurs ressources, les médias pourraient expliquer et faire comprendre à la population les modifications importantes qui sont en train de s'opérer. À la télévision par exemple, les informations économiques se limitent aux variations des taux de chômage, de l'inflation, du dollar et des cotes de la bourse, sans aucune explication. Le chômage et l'inflation sont présentés comme des phénomènes relevant de la fatalité, les cotes de la bourse et les variations du dollar ne servent qu'à créer une psychose de la crise et une atmosphère d'impuissance. Face à cette mystification et à ce climat d'insécurité, la population accepte de se serrer la ceinture et se replie sur des valeurs sûres pendant que les entreprises transnationales font des profits inégalés72. Et comme par hasard, les médias mettent de l'avant plus que jamais les valeurs traditionnelles du genre famille, travail, patrie, servie à la sauce moderne. Pendant ce temps, le système d'éducation ignore ces mêmes réalités. On commence à peine à y enseigner l'économie et en général on le fait alors à partir de vieilles théories qui datent à l'époque du capitalisme concurrentiel. L'école ignore aussi toute l'influence culturelle des mass-médias, alors que la puissance de leurs attraits et leur capacité de référence concrète à l'actualité "rendent souvent caduques les cours même les mieux préparés.
Si on croit vraiment que l'évolution et la progression de la société dépend de l'évolution de tous et de toutes, de l'élévation du niveau des connaissances, de la formation et d'une capacité accrue des hommes et des femmes à s'associer pour prendre en charge leurs conditions de vie, il faudra un jour accorder une priorité à la formation sociale et civique et à la mise en place de mesures éducatives concrètes.
Après ces affirmations, nous risquons d'être accusé-e-s d'utopisme. Il se trouvera toujours quelqu'un pour nous signaler, histoire de nous faire revenir sur terre, qu'il existe bon nombre d'émissions éducatives sérieuses, à Radio-Québec notamment, mais que malheureusement la population leur préfère LES TANNANTS et LA PETITE MAISON DANS LA PRAIRIE. Cette réalité est en effet-une manifestation concrète de l'impasse sociale dont nous avons parlé plus haut et de la situation d'aliénation dans laquelle la population se trouve maintenue. Le goût du public pour les émissions de divertissement facile qui, soit dit en passant sont aussi porteuses de valeurs et de modèles de comportements, s'explique selon nous par les caractéristiques actuelles des médias d'une part, et d'autre part par les conditions concrètes d'existence du monde. La dégradation constante de la qualité de la programmation et de l'information, que l'on constate surtout dans les pays où prédominent la commercialisation et le contrôle privé des médias, a nécessairement entraîné un appauvrissement culturel général dans la population.
« La distraction sous toutes ses formes est devenue beaucoup plus accessible, ce qui satisfait indubitablement un besoin et répond à une demande. Mais nombre de ces distractions sont si banales et stéréotypées qu'elles émoussent l'imagination au lieu de la stimuler. L'influence des intérêts commerciaux et de la publicité ainsi que le conformisme stérile de la culture approuvée par les bureaucrates de tous ordres comporte une menace d'uniformisation, d'appauvrissement et de vide de la vie culturelle ».73
Par ailleurs, dans le contexte actuel, les besoins de distraction, surtout en soirée, sont beaucoup plus grands que les besoins d'information et de formation. La majorité des gens pour qui le travail n'est pas une activité créatrice, mais un gagne-pain ont l'impression de ne pas contrôler grand chose dans la vie et ne peuvent pas être tellement stimulés par le désir de se perfectionner et de se cultiver car ils ont moins envie d'apprendre pour apprendre que pour répondre à des besoins précis. Après une journée d'un travail harassant et routinier, la seule envie qui reste est souvent celle de se distraire et d'oublier. En somme, toute politique en éducation des adultes, comme d'ailleurs toute politique d'éducation doit pour avoir un minimum d'impact, déborder le cadre formel de l'éducation pour se préoccuper de l'influence éducative et culturelle des mass-médias et du sort réservé aux hommes et aux femmes dans leurs milieux de travail. Quant à nous, nous allons nous contenter ici d'analyser l'influence éducative (transmission de valeurs et de connaissances) de plus en plus déterminante des médias. 74
II n'est pas besoin de procéder à une étude très approfondie pour constater la prédominance du rôle des médias dans le domaine de l'éducation et en particulier de l'éducation des adultes. Indépendamment de la valeur des contenus éducatifs véhiculés, les médias, surtout la radio et la télévision, sont le principal instrument d'information et de formation sociale et culturelle des citoyens. S'il est vrai que les cours pour adultes offerts par les institutions d'enseignement ont de plus en plus d'adeptes, il demeure cependant que les Québécoises regardent la télévision en moyenne de 23 à 25 heures par semaine, et cette moyenne ne semble pas vouloir fléchir sensiblement. Alors que l'école a fait l'objet d'une attention soutenue ces dernières décennies, on a laissé les médias poursuivre leur oeuvre de conditionnement et d'endoctrinement idéologiques. Sous prétexte que ces médias font davantage partie du domaine du loisir et du divertissement, on a pris pour acquis que le contenu de ces émissions n'avait aucune portée éducative réelle et sérieuse.
L'impact éducatif et culturel de séries comme DUPLESSIS, RACINES et HOLOCAUSTE dépasse certainement en qualité et en intensité n'importe quel livre ou cours écrit et donné sur le sujet. Des millions de Québécois-es (du moins ceux et celles qui ne l'ont pas connu) voient désormais Duplessis à travers le personnage présenté à la télévision. Ce genre de séries, comme les téléromans d'ailleurs, sont très habiles pour toucher des cordes sensibles et pour mobiliser l'intérêt au point de devenir des sujets de conversation importants à la maison, à l'usine et au bureau. La télévision fait à ce point partie de nos vies qu'on finit par être interpellé par les personnages et les héros des séries et téléromans comme par des personnes réelles. C'est comme s'ils avaient pris la place des saints pour inspirer et guider les comportements.
L'éducation, qui est en fait une communication, est de plus en plus influencée par le style et le langage des mass-médias. Des séries éducatives comme SESAME STREET sont devenues des modèles de pédagogie. Une observation plus poussée pourrait nous révéler toute l'ampleur de l'influence des mass-médias sur l'éducation. Cette interdépendance des médias et de l'éducation n'est pas l'effet du hasard. A. Mattelart, spécialiste de réputation internationale des problèmes de la communication a démontré assez clairement que le leadership actuel des médias découle des liens entre ceux qui fabriquent la technologie et ceux qui élaborent les programmes ou, pour reprendre les termes de Mattelart, des liens entre le hardware et le software. Il en donne comme preuve le fait que
« parmi les 10 premiers producteurs mondiaux de l'industrie pédagogique, on trouve des géants multinationaux comme XEROX, CBS. RCA, ITT, Westinghouse,General Electric et Litton. Les grands fabricants de "hardware" (matériel) ont fait main basse sur les centres d'élaboration de programmes, de messages éducatifs, de formules de loisir - "software". De nouveaux amuseurs et de nouveaux pédagogues sont ainsi nés. Ils ont mis leur corpus de connaissances techniques au service d'instituts de formation d'une part et, d'autre part, ils ont investi, dans les technologies et les systèmes de communication produits par eux, les messages et les programmes des maisons d'édition et de production audio-visuelle tombées sous leur contrôle ».75
Déjà on assiste sur une échelle plus ou moins grande à des expériences variées pour lancer sur le marché des procédés d'enseignement assisté à distance par ordinateur : Teledon au Canada, Plato aux USA. L'éducation des adultes risque d'être la voie d'entrée de ce type d'industrialisation de l'éducation.
Ainsi ceux qui contrôlent l'économie en arrivent aussi à contrôler le façonnement des esprits en fonction de leurs intérêts. Alors que l'on a pensé très longtemps que le rôle des médias en était un surtout de véhicule des valeurs et des diverses opinions qui coexistent dans une société, maintenant on se rend compte de plus en plus que les médias imposent des modèles culturels et des façons de penser. Cette imposition s'opère par la sélection et la valorisation ou la marginalisation (déligitimation) de certaines idées, valeurs et pratiques sociales.
Comme les médias sont de plus en plus massivement investis par les pouvoirs économiques et politiques dominants pour conditionner l'opinion publique à leurs points de vue, le discours des mass-médias a tendance à se confondre à celui de la publicité. Au modèle de communication standardisée dans la forme du marketing, correspond un modèle de comportement standardisé : l'achat.
Dans le domaine de l'information proprement dite, nous sommes encore accroché-e-s et obnubilé-e-s par l'abondance et la rapidité de l'information véhiculée chaque jour par les médias. Grâce à ces moyens, l'individu est saisi immédiastement de certains événements spectaculaires se déroulant partout dans le monde. Malheureusement, ce potentiel éducatif très riche de l'information est grandement compromis par le traitement de ces événements, leur distorsion. L'information est de plus en plus dirigée et contrôlée par les grandes agences de presse et ultimement par les grandes puissances et les pouvoirs dominants. Des études faites récemment dans beaucoup de pays occidentaux ont mis en lumière certains faits qui révèlent que derrière l'apparence de profusion et de diversité de l'information se cache finalement une tendance à l'uniformisation et à la réduction de l'information.
« (...) Toute information ne bénéficie pas d'un intérêt soutenu; la sélection à ce niveau semble obéir à des critères très restreints : d'un côté, il y a la parade des hommes politiques et de l'autre, celle des conflits sociaux. C'est là le coeur des actualités et c'est autour de ce jeu d'opposition, le peuple qui s'agite et les pouvoirs dominants qui s'occupent des questions sérieuses, que se greffe l'ensemble des actualités.
« De plus, contrairement à l'idée générale voulant que le téléjournal soit bâti à partir défaits bruts, la recherche montre que, dans 50 % des cas, les déclencheurs de la nouvelle sont des réflexions et des opinions provenant surtout des institutions gouvernementales. Le téléjournal est ainsi investi par les pouvoirs en place pour préparer et conditionner l'opinion publique ».76
D'autre part, on a constaté que la profusion d'informations axées sur le sensationnalisme et le fait divers, déversées chaque jour par les médias, finit à la longue par émousser la sensibilité. Ce type d'information au lieu d'aider l'individu à comprendre ce qui se passe, lui donne au contraire un sentiment d'impuissance. Les guerres, les grèves, les scandales politiques se succèdent les uns aux autres, et rien ne semble vouloir s'améliorer et changer.
Ce mode de transmission de l'information rapide, brève, schématique, superficielle et sensationnelle impose un modèle général de communication qui prévaut dans bien des milieux. Cette critique de Régis Debray à propos de l'information nous semble s'être généralisée :
« L'anecdote tient lieu de preuve. La description du vécu immédiast interdit - de façon paradoxalement totalitaire - tout effort d'explication scientifique. Il est de bon ton de renoncer à toute vision d'ensemble du réel pour dresser dans l'idéologie de petits procès autonomes... ».77
Du côté de la formation socio-politique, la situation est encore plus dramatique. Les institutions d'enseignement pour leur part n'ont jamais fait preuve d'un très grand dynamisme dans ce domaine, alors que les médias jouent en général à ce niveau un rôle anti-éducatif et ce de deux façons. La tendance à la réduction des émissions d'information dans les médias de masse affecte particulièrement les émissions d'information à caractère plus analytique. À Radio-Canada, les émissions d'affaires publiques se font de plus en plus irrégulières, et elles sont toujours les premières à sauter pour faire place aux émissions sportives. D'autre part, dans les émissions d'affaires publiques, la priorité est accordée très souvent au spectacle du reporter plutôt qu'au débat et aux échanges d'idées (il faut souligner qu'à certains égards Radio-Québec tente de prendre la relève).
Pourtant il n'y a guère d'autre moyen pour amener les gens à se faire un jugement critique sur les événements et enjeux sociaux, que de laisser une place importante à l'expression des opinions différentes et divergentes.
L'essentiel des critiques que nous formulons sur les médias de masse ne s'adresse pas à Radio-Québec ; nous lui réservons un traitement spécial à cause de son rôle de télé-éducative. Cependant, il nous faut signaler ici une lacune grave de Radio-Québec au niveau de la formation du citoyen. En effet, pour des raisons inexplicables, Radio-Québec semble délaisser de plus en plus la formation socio-politique alors que cette chaîne accorde une priorité très grande à la promotion de la compréhension et de la prise en charge personnelle des défis et des problèmes de la vie quotidienne. Il n'est jamais question de façon explicite dans les orientations de programmation de Radio-Québec de promouvoir la prise en charge collective par les citoyen-ne-s de leurs conditions de vie et de travail.
D'autre part, l'essentiel du contenu véhiculé par les émissions de divertissement et les messages publicitaires (signalons en passant que la publicité occupe plus de place dans la grille horaire que les émissions d'information) se résume à l'univers de la vie privée, celle des vedettes, ou celle du soit disant monde ordinaire stéréotypé ou de familles modèles et de classe moyenne. Face aux problèmes sociaux et politiques et à la dégradation de la qualité de la vie, les médias offrent et imposent un système de compensation : le rêve en conserve, le retour à des valeurs sûres, le bonheur dans la consommation, l'évasion dans les voyages en Floride et l'échange dans les lignes ouvertes. Au rythme de trois heures par jour, après plusieurs années, ces messages finissent par s'imposer. Ainsi, la télévision réussit à mobiliser de façon continue une majorité de gens autour de ses enjeux, de ses solutions et de ses analyses. Dans certaines conditions propices, cette mobilisation individuelle peut donner lieu à une mobilisation collective. En effet, lorsque cet univers de solutions factices, de formules et modèles sécurisants est menacé, on peut assister à des soulèvements spontanés du genre de celui des Yvette.
On va nous reprocher ici de ne voir que le côté de la domination et d'oublier qu'il existe une culture populaire. Nous sommes tout à fait conscient-e-s de l'existence de la culture populaire comme base de résistance à la culture dominante. Cependant, il faut bien constater que la puissance hégémonique des mass-médias a contribué à étouffer cette culture et souvent à la travestir en aliénation.
« Pour rejoindre la population, la télévision commerciale - ici, on pense surtout à Télé-Métropole - part des goûts et des aspirations des milieux populaires, mais ce, uniquement à des fins commerciales. Le goût du concret, de la bonne vie, du langage simple, devient recherche de la facilité, de "la recette qui marche", du lieu commun. La culture ainsi popularisée n'est qu'un travers de la culture populaire; elle transforme en aliénation ce qui était vie et création ».78
Les organismes qui luttent pour développer la culture populaire et la sortir de l'emprise et de la manipulation des médias commerciaux, luttent contre un véritable raz-de-marée. Avec leurs faibles moyens, ils sont réduits à labourer avec une charrue à main pendant que les médias nivellent tout sur leur passage avec leur bulldozer. Malgré tout, la culture populaire reste encore vivante et, de façon étonnante, elle fait preuve souvent d'une grande vitalité. Les associations d'éducation populaire, les théâtres de quartier, les fêtes populaires, les coopératives de création, les médias communautaires sont autant de façons de résister au totalitarisme culturel dominant. Ces expériences constituent une voie importante de solution de rechange aux médias de masse. Cependant, on ne peut faire porter tous nos efforts de ce côté et laisser pendant ce temps les médias continuer leurs ravages. Malheureusement, cette problématique du développement de la culture populaire est complètement absente du débat public. Dans les milieux bien-pensants, on s'inquiète des conséquences de l'écart de plus en plus grand entre la culture de masse et la culture cultivée. Cependant le problème de l'étouffement des cultures populaires ne semble pas faire partie des préoccupations des dirigeants du système scolaire et des médias.
Face au pouvoir d'endoctrinement des mass-médias, une des seules solutions avancées par certains représentants des pouvoirs en place, réside dans l'éducation de la population aux médias dans le but de développer l'esprit critique. C'est là un revirement assez cocasse de la situation ; alors que l'on avait misé sur le potentiel éducatif des médias comme moyen de démocratiser l'éducation et la culture, aujourd'hui on est obligé d'éduquer les gens pour les prémunir contre l'influence négative des médias. Quant à nous, nous ne croyons pas que ce soit là le moyen le plus efficace pour remédier à la situation, puisqu'on se trouve précisément en présence d'un véritable cercle vicieux qui fait porter la responsabilité de la dégradation générale de la programmation aux usager-e-s des médias.
Le problème n'est certes pas facile à résoudre et on ne pourra pas faire l'économie d'une approche globale du problème. Certains analystes, notamment l'Américain Jerry Mander avance des solutions assez radicales. Selon lui, il faudrait abolir la télévision, car cette technologie n'est pas neutre; au contraire elle entraîne automatiquement l'accoutumance de l'usager, comme une drogue. Mander a peut-être raison ; cependant, comme on sait que ça n'arrivera jamais, il vaut mieux chercher des solutions plus réalistes.
La télévision, malgré les maux dont on la rend responsable, va toujours garder son attrait de cinéma à domicile auprès du public. S'il semble aujourd'hui qu'elle joue un rôle éducatif plus négatif que positif, il demeure qu'elle est capable de grandes choses, on en a eu des exemples malheureusement pas assez nombreux, mais qui pourraient se multiplier et cela tant au niveau des programmes d'information qu'à celui des émissions de divertissement.
Dans ce contexte, la venue de Radio-Québec comme télé-éducative, bien que présentant certains acquis aurait pu contribuer davantage au renouvellement de la télévision. Radio-Québec cependant n'a pas réussi à s'imposer, étant constamment à cheval entre une télévision éducative de masse et une télévision de masse tout court. À Radio-Québec on est profondément marqué par une mentalité de diffuseur traditionnel et on a interprété le mandat éducatif au sens large qui lui a été attribué davantage comme un mandat de s'imposer comme la 3e chaîne de télévision de masse au Québec. Aussi la volonté de se tailler une place comme diffuseur a primé sur la recherche d'un modèle de télévision éducative qui réponde aux besoins d'éducation du public tout en tenant compte de leur besoin de divertissement.
Radio-Québec a par ailleurs fait l'objet d'un débat public et les organismes populaires aux niveaux local et régional dans l'ensemble du Québec lors des audiences de 1976 ont exprimé clairement leurs attentes et leurs points de vue relativement à l'orientation de Radio-Québec. En effet, lors des audiences de Radio-Québec un large consensus s'est fait autour du fait que la télévision de masse autoritaire et centralisée est incompatible avec le caractère éducatif de Radio-Québec. Partant d'un principe de base en éducation des adultes, c'est-à-dire la nécessité de partir des besoins et des préoccupations concrètes, on est arrivé à proposer de façon unanime la régionalisation de Radio-Québec sous le contrôle des usager-e-s et des instances d'éducation et de communication concernées.
En somme, ce que les Québécois-es voulaient, c'était que Radio-Québec devienne un instrument de communication véritable entre régions et au niveau national de même qu'un instrument de développement culturel et d'éducation populaire au lieu d'être un véhicule de diffusion et d'imposition de la culture dominante et de savoirs arbitraires.
Depuis ce temps la régionalisation amorcée en 1976 a piétiné, bien que récemment, elle semble prendre un nouveau départ. Au niveau de la programmation éducative, les acquis de Radio-Québec demeurent bien timides : certaines émissions d'affaires publiques se veulent une tribune où les principaux enjeux et points de vue sont abordés et discutés, certaines dramatiques qui tentent de présenter un contenu éducatif, de manière attrayante.
Bien sûr Radio-Québec, par l'absence de publicité, est une alternative face à Radio-Canada et à TVA. Il est enfin possible d'avoir accès à un programme de télévision sans devoir se farcir à toutes les huit minutes des tonnes de fromage fondu et de spaghetti, de bières et de savon et d'autres messages où alternent la constitution du pays et les artifices de Wonderbra.
Or, si le tandem publicité-cote d'écoute n'opère pas à Radio-Québec son rôle réducteur, il y a un rapport cote d'écoute-poids du commanditaire qui, faute d'une distance critique organisée, risque tranquillement d'enligner Radio-Québec sur les deux autres chaînes : pour faire autant et aussi bien qu'elles.
Il importe en effet que l'absence de publicité à Radio-Québec puisse jouer à plein pour permettre de produire différemment des programmes différents et aussi de les diffuser aux meilleures heures d'écoute. Ainsi des séries apparemment plus difficiles, des productions liées à une région ou à un collectif pourraient être diffusées en prime time. Dans cette perspective, autant il faut que Radio-Québec soit assuré d'un budget plus important, planifié et garanti, autant il faut qu'il évite, via la publicité de prestige, de se mettre le doigt dans le tordeur réducteur et abrutissant qu'est le mode de financement de la télévision nord-américaine.
Le principal problème de Radio-Québec réside cependant dans le fait qu'il ne réussit pas avec ses émissions éducatives à atteindre le public moins scolarisé. Est-ce que dans le contexte actuel ce problème est surmontable? Ne faut-il pas plutôt se rendre à l'évidence et constater que dans une société où prédominent les médias de divertissement commercialisés, toute télévision éducative centralisée finit toujours par constituer un ghetto pour gens instruits; une culture d'élite versus une culture de masse ?
Dans ces conditions est-ce qu'il faut s'en remettre au système plus formel d'éducation des adultes ? Voyons un peu de ce côté si la situation est plus reluisante.
Notre propos ici n'est pas d'analyser la situation de l'éducation des adultes au Québec mais de comparer l'évolution de l'éducation des adultes plus formelles à celle des médias.
L'explosion de l'éducation des adultes remonte sensiblement à la même époque que celle des médias et s'explique par les mêmes facteurs - innovations technologiques, nécessité d'un côté d'adapter la main-d'oeuvre aux changements technologiques et au marché du travail et de l'autre de conditionner la population à la société de consommation. L'éducation des adultes au Québec malgré tous les beaux discours et les beaux principes auxquels elle a donné lieu, recouvre dans près de 80 % des cas une réalité bien pratique et économique : la formation professionnelle. Ici, pas d'erreur, on n'est plus dans le domaine du divertissement ! Il s'agit en fait d'une formation orientée en fonction des besoins immédiats des entreprises et le plus souvent étroitement reliée à la tâche. Ces programmes sont déterminés d'en haut par des fonctionnaires, en concertation avec le patronat. Les syndicats n'ont pas voix au chapitre. Quant aux individu-e-s, ils doivent prendre ce qui existe, selon la région, les débouchés sur le marché du travail et dans le cas des femmes, ce choix est très mince. Le décalage entre le discours et la réalité est frappant, on est loin en effet de la conception théorique de l'éducation des adultes qui veut que l'étudiant-e prenne en charge sa propre éducation et soit à la fois objet et sujet de son action.
Le rôle des institutions d'enseignement en éducation des adultes ne se limite pas bien sûr à donner les cours de formation professionnelle jugés nécessaires par les ministères économiques du gouvernement fédéral. Ils offrent en plus aux adultes la possibilité de s'inscrire aux programmes réguliers, ainsi qu'une panoplie impressionnante de cours dits socio-culturels.
Tout ça, c'est des histoires de femmes... (Halévy). « Pour vous Mesdames », émission féminine la plus populaire de TM. A l'antenne depuis 1961. Edith Serei et Nicole Germain.
Les programmes de formation socioculturelle du type artisanat, mécanique automobile, musique, expression corporelle, d'économie, de science politique et de psychologie, recoupent en partie les sujets abordés dans les émissions télévisées qui combinent à la fois l'information et le divertissement (JEANNETTE VEUT SAVOIR, FEMMES D'AUJOURD'HUI, etc.). Ces cours sont surtout fréquentés par des femmes. La différence avec les médias se situe davantage au niveau du mode d'apprentissage qu'au niveau du contenu. Le but de l'éducation dans les institutions d'enseignement c'est d'amener l'étudiant-e à maîtriser un savoir scientifique, technique ou pratique, alors que les médias peuvent jouer davantage un rôle de déclencheur, d'accumulation et de mise à jour de connnaissances.
Comme dans les médias, en éducation des adultes, les programmes sont conçus et réalisés dans la seule perspective de promotion individuelle. Les quelques efforts de démocratisation sont aussi limités à corriger certaines inégalités d'accès. Les institutions officielles n'ont pas réussi à répondre aux besoins croissants de formation et de recherche des organismes volontaires qui tentent de reprendre en main leurs conditions de vie et de travail. Répondre aux besoins d'information formulés par les citoyen-ne-s est une politique qui ne va pas de soi ; elle empêche les pouvoirs de s'approprier un savoir devenu facteur de pouvoir.
« Nul n'est sensé ignorer la loi, maxime fondamentale d'un système juridique moderne où nul, sauf les représentants d'Etat ne peut la connaître. Cette connaissance requise chez tout citoyen ne fait même pas l'objet d'une discipline particulière à l'école, comme si, tout en prétendant exiger qu'il connaisse la loi, tout était fait pour qu'il l'ignore. Cette maxime exprime ainsi la dépendance-subordination à l'égard des fonctionnaires d'État, c'est-à-dire des faiseurs, des gardiens et des appliquants de la loi, de masses populaires dont l'ignorance (le secret) de la loi est un trait de cette loi et du langage juridique même. La loi moderne est un secret d'État, fondatrice d'un savoir accaparé par la raison d'État »79
Avec leurs faibles moyens, ces organismes ont dû répondre eux-mêmes à leurs besoins de formation. Cette action collective, en plus de générer une nouvelle approche éducative adaptée aux besoins des adultes en situation, a permis de développer de nouveaux savoirs reliés aux conditions de vie et de travail actuelles. Comme le droit collectif, la médecine sociale, l'animation communautaire, etc..
« Si l'éducation des adultes vise réellement la prise en charge par les citoyens de leur devenir collectif, force est de constater que les organismes populaires et syndicaux ont fait davantage à ce chapitre que les institutions elles-mêmes et ce, avec des moyens fort réduits ».80
Sous la pression des organismes populaires, les institutions d'enseignement commencent cependant à reconnaître les acquis de l'action communautaire comme lieu d'éducation, aussi on a mis en oeuvre des programmes dits de support à la promotion collective où on met, encore bien timidement cependant, des ressources de formation et de recherche au service des groupes.
La démocratisation des médias va aussi devoir passer par cette voie. C'est dans cette perspective que se situent d'ailleurs les revendications populaires concernant la régionalisation de Radio-Québec et l'accès aux médias de masse.
« La démocratisation de Radio-Québec emprunte d'abord la voie de la régionalisation. L'implantation de centres régionaux de production peut seule permettre à la population et aux organismes représentatifs des classes populaires :
« Devant le déséquilibre de l'information dans les médias, devant la censure, devant le quasi monopole de la parole ;
« devant l'inégalité flagrante d'accès des groupes dominés aux médias, devant la distorsion dont sont l'objet de prises de position de ces groupes ;
« devant le dénigrement des organismes syndicaux et populaires, des groupes de femmes militantes, etc. ; « devant la concentration de la propriété et la commercialisation de la presse; « devant l'étouffement croissant du droit des régions à informer l'ensemble de la communauté ;
NOUS REVENDIQUONS :
Étant donné que les besoins de formation des adultes se situent tout autant dans une perspective de promotion collective qu'individuelle, l'école comme les médias doivent s'orienter et se réorganiser en conséquence.
Au Québec, nous avons atteint dans le domaine des médias électroniques un niveau de sursaturation. D'abord nous avons tout en double compte tenu de la dualité linguistique : en télé, ça veut dire deux réseaux d'État, deux chaînes privées, etc.. Dans le domaine de la câblodistribution, le Québec est un des pays les plus câblés au monde. Par le câble, nous avons accès non seulement aux réseaux américains mais aussi à la télévision française, sans oublier la télévision communautaire. Enfin, nous avons un réseau de télévision éducative et la télé-université. Dans un avenir très rapproché va s'ajouter à cette profusion de moyens, la télévision à péage.
Cette énumération nous amène à traiter du problème crucial au Québec de la domination culturelle par les productions américaines. Il s'agit en fait d'un envahissement des programmes américains par l'accès via le câble aux réseaux américains et par l'omniprésence des séries américaines aux heures de pointe dans les postes privés (à TVA, 54 % du temps d'antennes en soirée est consacré à des séries américaines).
Ici on ne parle plus de promotion culturelle par les médias, mais de disparition de notre patrimoine culturel et de réduction de la production étrangère à celle des grandes chaînes américaines. Dans de telles conditions, le travail éducatif perd tout son sens.
Si on ne peut avoir aucune influence sur un contenu qui vient de l'étranger, on peut tout au moins en limiter la pénétration. La survie de notre culture en dépend : cette mesure constitue selon nous un pré-requis à toute politique de développement du rôle éducatif des médias.
Pour en arriver à canaliser le potentiel éducatif des médias d'ici dans un sens positif, plusieurs mesures concrètes s'imposent et peuvent être mises en oeuvre à court terme. Et des revendications de plus en plus précises commencent à être avancées :
Pour améliorer le contenu éducatif de la programmation
1. Obliger les réseaux de radio et de télévision de masse traditionnels à mettre à l'horaire aux heures de pointe des émissions à caractère éducatif, portant sur des thèmes jugés prioritaires par un processus de consultation populaire. Ces émissions devront bénéficier de ressources aussi importantes que celles affectées aux émissions de divertissement.
De plus l'ensemble des réseaux, y compris Radio-Québec, devront se concerter pour ne pas aborder les mêmes thèmes et diffuser aux mêmes moments ces émissions éducatives. Cette concertation ne sera certes pas facile puisque tout le système de communication de masse ici est basé sur la concurrence, les profits étant directement proportionnels à la cote d'écoute ! Pour changer cette rationalité purement économique, il va falloir que les responsables politiques de la culture et de l'éducation aient un jour le courage d'établir des politiques qui vont forcer les médias à respecter leur mandat de services publics, car à l'expérience on sait qu'on ne peut compter sur les préoccupations sociales des propriétaires des médias.83
2. Exiger que Radio-Québec en concertation avec les organismes volontaires et les instances d'éducation permanente diversifie sa programmation éducative pour répondre aux multiples besoins individuels et collectifs des adultes, dans la perspective de promouvoir la prise en charge collective et individuelle de nos conditions de vie et de travail, notamment :
« Nous exigeons que ce programme soit centré d'une part sur la compréhension critique des divers types de traitement de l'information, de même que sur le mode de production de l'information (les structures et le fonctionnement des médias).
« Nous exigeons que ce programme soit centré d'autre part sur l'élaboration d'une politique d'utilisation des médias qui soit en concordance avec les objectifs et les nécessités des divers milieux ».84
En conjuguant les ressources du système d'enseignement à celles de la télévision éducative, on pourrait en arriver à produire des séries où le potentiel éducatif des médias serait exploité à son maximum en réunissant les meilleures ressources humaines et documentaires, en permettant l'échange d'expression d'opinions et d'expériences différentes et divergeantes, en illustrant les explications plus théoriques d'exemples concrets, en unissant la théorie, la pratique et la sensibilité à la raison par le documentaire dramatique et la reconstitution historique. On n'a pas le choix, si on veut limiter l'influence des séries américaines et des émissions de divertissement bêtement faciles et il va falloir accepter d'investir dans une production éducative populaire.
L'impact éducatif important des médias implique donc l'élaboration d'une politique basée sur une stratégie de concertation entre le système d'éducation et celui des communications. Les ressources immenses et très diversifiées des médias doivent être orientées en fonction d'objectifs sociaux de développement et de prise en charge des collectivités.
L'interdépendance entre les médias et l'éducation se manifeste de bien des façons ; à part la qualification professionnelle, les rôles exercés par les médias empiètent de plus en plus sur les fonctions traditionnellement dévolues à l'école. Dans le domaine de la transmission des valeurs et modèles de comportement, l'influence des médias est plus déterminante que celle de l'école. Au niveau de la promotion culturelle, les médias ne nous proposent que le Show Business, c'est-à-dire la culture commercialisée. Ainsi la dégradation constante de la qualité de la programmation des médias, surtout électroniques, constitue un facteur d'appauvrissement culturel et d'endoctrinement.
La très grande pénétration des médias et leur omniprésence dans nos vies, a fait en sorte que les médias ont créé un nouveau milieu éducatif'qui a influencé les modes de transmission et d'acquisition du savoir. L'accumulation d'informations et de connaissances factuelles remplace l'analyse et la structuration des connaissances. Un adulte âgé de 30 ans a passé environ 36 000 heures devant la télé. Pour les Québécois-es, la télévision constitue donc de loin le principal instrument d'information et de formation. Dans ces conditions, une politique d'éducation des adultes qui ne tiendrait pas compte du rôle prépondérant des médias aurait une portée très limitée. II est absolument incohérent de développer des beaux programmes d'éducation des adultes et d'avancer des revendications en ce sens tout en laissant les médias dans leur état de dégradation actuelle.
Mattelart, Armand et Michèle. DE L'USAGE DES MÉDIAS EN TEMPS DE CRISE, Paris. Éditions Alain Moreau, 1979, 447 pages.
Malletart, Armand. MASS-MÉDIAS, IDÉOLOGIES ET MOUVEMENT RÉVOLUTIONNAIRE. Éditions Anthropos. Paris, 267 pages.
Mander, Jerry. FOUR ARGUMENTS FOR THE ELIMINATION OF TELEVISION. New York. Ed. Morrow Quill Paperbacs, 1978, 371 pages.
Comité ministériel permanent de développement culturel (CMPDC). LA RADIO ÉDUCATIVE DANS LE MONDE, rapport du sous-comité n°2 sur la radio éducative. 162 pages.
UNESCO. VOIX MULTIPLES - UN SEUL MONDE, Rapport de la Commission internationale d'étude des problèmes de la communication. Paris 1980, 367 pages.
« Média : pouvoir et contre pouvoir », in POLITIQUE AUJOURD'HUI, n°304, Paris 1979.
« Spécial 10 ans », in COMMUNICATION ET LANGAGE, nos 41, 42, Paris 1979.
Domenack, Jean-Marie, LA PROPAGANDE POLITIQUE. PUF (Que Sais-je), Paris 1965, 127 pages.
UNESCO. « Le dossier de ce numéro mass-médias, éducation et culture », in PERSPECTIVES, Vol X, n° 1, Paris 1980.
Campeau, Reggie L., Conseil de la coopération culturelle. RECENSION DE RECHERCHES SUR LES MÉDIAS AUDIOVISUELS POUR ADULTES, Strasbourg 1972, 35 pages.
« La télévision et l'enfant », in RELATION, août 1979, Montréal.
« Les 25 années de la télévision canadienne », in EN QUÊTE. Numéro spécial. Vol. 4, n°3, Ottawa, été 1977.
« La communication inégale. Le savoir et le pouvoir, in LE MONDE DIPLOMATIQUE. Paris, janvier 1979.
« La machine à abêtir ». Enquête de Maurice T. Maschino, in LE MONDE DIPLOMATIQUE. Paris, février 1977.
« Le conditionnement », in QUÉBEC-SCIENCE. Montréal, février 1975, 17 pages.
« L'audio-visuel et l'éducation des adultes », in POUR, n°43-44, oct. 1975.
Pichette, Michel. LA RADIO ET LA TÉLÉVISION ÉDUCATIVE : SES DIFFICULTÉS ET RESPONSABILITÉS. Texte préparé pour le colloque sur l'amélioration de la contribution des moyens de communications de masse à l'éducation des adultes, octobre 1979,15 pages.
CEQ. PROPOSITION D'ÉCOLE. Plate-forme de revendications pour une école de masse à bâtir maintenant, 1978, 63 pages.
Radio-Québec. POLITIQUE DES PROGRAMMES, 1979-1980.
Radio-Québec. PLAN DE PROGRAMMATION, 1980-1981.
Rapport du comité de travail du CMPDC sur le développement de Radio-Québec, 25 avril 1978, 67 pages.
ICEA. POUR UNE ÉCOLE PUBLIQUE AU SERVICE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE. Montréal, janvier 1979, 44 pages.
ICEA. LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC. Un portrait commenté des ressources offertes aux travailleurs et chômeurs(euses). Montréal, juin 1979. 101 pages.
ICEA. LE DÉFI DE RADIO-QUÉBEC : DÉMOCRATISER LA TÉLÉVISION. Mémoire présenté à l'ORTQ, octobre 1975,28 pages. « Pour que la comédie des média cesse de plaire, in LA NOUVELLE CRITIQUE. N° 130, janv.-fév. 1980. Poulantzas, Nicos. L'ÉTAT, LE POUVOIR, LE SOCIALISME, Paris, PUF, 1978.
Texte: Lina Trudel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Composition: Composition Solidaire. Montage et impression: Les Presses solidaires. Dactylographie: Éliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane, Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA et avec le Groupe de travail sur les communications de l'ICEA.
Illustrations: D. Faubert, in MEDIUM-MEDIA, ONF: p. 1; Cadier, in POURQUOI?, No. 117, sept. 1976: p. 2; No. 119, nov. 1976: p. 3; No. 134, avril 1978: p. 9; Claudius, in ATTENTION ECOLE , IDAC, Nos. 16-17: p. 4; ANTENNES, No. 5, 1977: p. 6; Girerd, in ANTENNES, Nos. 13-14, 1979: p. 7; Radio-Canada, in IN SEARCH/ENQUÈTE, été 1977: pp. 5, 8; Télé-Métropole in IN SEARCH/EN QUÊTE, été 1977: p. 12; D. Sylvestre, in IN SEARCH/ EN QUETE, été 1979: p. 11; L. Nantel: p. 13; Henz, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 29, 1978: p. 9; Sadabel, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 29, 1978: p. 12.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.
Cette carte du monde, dessinée par le géographe allemand Arno Peters en 1974, est beaucoup plus conforme à la réalité que celle à laquelle nous sommes habitué-e-s. Peters a consenti à une certaine déformation des contours POUR DONNER UNE REPRESENTATION EXACTE DES SURFACES ET RESPECTER LES PROPORTIONS REELLES DES CONTINENTS.
OCTOBRE 1980
INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est. Ste-Catherine. suite 800 Montréal. Québec H2L 2C7
II se fait au Québec du travail d'éducation à la solidarité internationale. Lee expériences sont toutefois éparses, les ressources plus que limitées et les occasions de systématiser ces expériences à peu près inexistantes. Par conséquent, malgré son importance, les écrits sur le sujet sont rares.
Le texte qui suit a été élaboré par un groupe d'éducateurs dans ce domaine. Il vise non à présenter la fine pointe de la réflexion en matière d'éducation internationale mais bien à lancer des pistes pour ceux qui s'intéressent à la question de l'éducation des adultes et ce, à partir de leur expérience personnelle et collective.
En ce sens, il doit être considéré comme un document de travail à approfondir plutôt qu'une prise de position définitive de la part des membres du comité ou des rédactrices.
"Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble".
(Paulo Freire)
Que nous en ayons conscience ou non, notre réalité a une dimension internationale et plusieurs éléments nous la rendent de plus en plus immédiate, de moins en moins lointaine: les médias transmettent quotidiennement de l'information sur des pays et des événements de tous les coin3 du globe; l'immigration nous amène à côtoyer dans notre entourage des gens venus de différents pays. L'économie québécoise fait partie d'un réseau complexe d'économies nationales et internationales, - d'un réseau international de rapports de production qui nous affecte de façon vitale.
Paradoxalement, l'éducation qui se fait présentement à cette réalité internationale ne nous la rend pas plus accessible, plus compréhensible. Au contraire, les médias nous la rendent confuse et l'école l'ignore à toutes fins pratiques. Nous n'apprenons pas à voir de façon objective les autres pays et les autres peuples et nous ne parvenons pas à nous situer dans la division internationale du travail qui détermine, en fin de compte, nos conditions de vie et de travail.
Un» véritable éducation à la solidarité internationale vise à faire comprendre la réalité internationale en partant des réalités pour aller aux causes globales. C'est là un processus éducatif véritable mais peu reconnu et qui, par conséquent, reçoit les ressources beaucoup trop limitées. Ce sont d'autres formes d'éducation axées davantage sur des aspects superficiels qui reçoivent la grosse part du gâteau dans ce domaine.
Le titre de cette monographie indique clairement notre choix: pour nous, l'éducation à la réalité internationale ne peut être qu'une éducation à la solidarité internationale. Elle doit viser à développer le sens d'une lutte commune des peuples d'ici et d'ailleurs pour une société véritablement démocratique, c'est-à-dire une société libre de toute forme d'exploitation et d'oppression. Une telle éducation remet en cause l'éducation formelle trop axée sur des contenus à transmettre. Elle vise une compréhension de la réalité dans toutes ses dimensions de façon à ce que les hommes et les femmes soient eh mesure de s'organiser pour la transformer et apporter leur contribution à 1'édification d'une société véritablement démocratique.
Dans la réalité, ce choix n'est pas généralisé et ceux qui contrôlent tant l'information que le pouvoir économique et politique créent une illusion d'information, morcellent la réalité de façon à diviser les. pays et les gens.
Notre connaissance de la réalité internationale est étroitement liée à l'information qui nous; est transmise tout particulièrement par les médias: radio, télévision, journaux. Cette masse d'information est considérable et nous donne l'impression d'être bien informés sur ce qui se passe dans le monde. Quand on y regarde de près, l'accumulation de faits choisis - guerres, coups d'Etat, catastrophes naturelles, potins sur des gens célèbres, etc. - ne représente qu'une information partielle. Ces différentes situations sont plus souvent qu'autrement liées de façon tout à fait superficielle, dans une logique qui tient compte d'intérêts spécifiques autres que ceux de l'ensemble de la population.
"Coup d'Etat en Turquie"; "Démission de Mario Soarès comme leader du parti socialiste portugais"; "Deuxième coup d'Etat cette année en Bolivie"; "Assassinats d'enfants en Centrafrique"... les manchettes et les nouvelles elles-mêmes s'attachent à l'aspect sensationnel mais passent sous silence les processus qui ont conduit à ces évènements spectaculaires.
Prenons un exemple. Par delà le folklore des coups d'Etat boliviens, peu de médias ont expliqué comment le processus laborieux de démocratisation qui aboutissait enfin à une élection libre a été brutalement, interrompu dans un bain de sang, par des intérêts criminels liés au traffic de la drogue et par ceux du régime militaire argentin qui refuse de laisser s'instaurer à ses frontières une démocratie qui risquerait de se propager en Argentine et même dans le reste de l'Amérique latine. On passe sous silence la menace que représente une telle démocratisation pour les intérêts économiques des monopoles qui contrôlent ces pays. On se tait sur sa signification pour les peuples latino-américains. Les enjeux véritables sont escamotés.
Les médias transmettent des informations: ils font des liens entre les faits qu'ils rapportent, mais le silence qu'ils entretiennent sur dés dimensions fondamentales d'une réalité globale fait en sorte que l'auditeur ou le lecteur peut difficilement s'y retrouver et comprendre les situations qu'on lui présente. Celui-ci est traité par les médias comme un consommateur d'information et l'information devient une marchandise comme une autre pour les propriétaires des médias dont l'intérêt premier est le profit.
Une telle information désincarnée et morcelée est incompréhensible pour un public dont les médias sont la seule source. Elle contribue à renforcer l'ethnocentrisme.
Ainsi, les autres pays, les autres peuples semblent incompréhensibles et illogiques alors que nous, comme peuple, nous considérons rationnels, sensés. Nous sommes la norme, la mesure des jugements portés sur les événements étrangers et internationaux.
Une analyse de manuels scolaires, effectuée en Allemagne de l'Ouest, a démontré qu'ils transmettaient aux enfants de l'élémentaire et du secondaire une vision extrêmement déformée de la réalité internationale. On a constaté que les autres cultures y étaient représentées de façon biaisée, comme étant un peu étranges; les enfants ne pouvaient, à partir de ces manuels, en venir à imaginer une forme d'organisation sociale différente de celle dans laquelle ils vivaient. Il serait intéressant de voir les conclusions d'une étude semblable portant cette fois sur des manuels utilisés dans les écoles du Québec.
L'école enseigne la géographie. Mais une fois l'année terminée, ce que retiennent les enfants de la géographie internationale est fort mince et leur offre peu d'outils pour comprendre cette réalité. La géographie humaine de l'entourage des enfants est elle-même peu expliquée. L'immigration est une donnée de la réalité québécoise, mais l'explication des causes de l'immigration est rarement touchée. Ainsi, les causes différentes qui amènent au Québec des Haïtien-ne-s, d'une part, et des Viet-namien-ne-s d'autre part, ne sont expliquées ni aux enfants ni aux adultes. Pas plus d'ailleurs que le rôle du Canada dans les pays d'origine de ces immigrant-e-s.
Les institutions d'enseignement ou les corps publics sont peu sensibles aux difficultés que peuvent avoir les immigrant-e-s pour comprendre leur pays d'accueil. Les organismes d'immigrant-e-s sont les mieux placés pour expliquer à leur groupe les mécanismes sociaux québécois; mais ils sont souvent mal reçus par les corps publics qui ont tendance à monopoliser les relations avec les individus et les groupes et à voir la collaboration de ces organismes comme une ingérence dans leur travail.
Par ailleurs, l'attitude "je-m'en-foutiste" d'un grand nombre de gens par rapport à la situation économique dans les pays du Tiers-monde est symptômatique de la méconnaissance de la réalité économique internationale. Les préjugés sont nombreux: "Il y a des gens qui aiment çà être pauvres", "S'ils sont dans cette situation, c'est leur faute, ils ne sont pas assez intelligents pour s'en sortir", "Moi, j'ai travaillé pour m'en sortir, qu'ils fassent de même", etc.. A regarder ceux qui sont plus mal en point que soi, on finit pas être satisfait de son sort. Par contre, quand des travailleurs d'une multinationale qui a des succursales ici et dans d'autres pays discutent ensemble de leur conditions de travail, ils se rendent compte du jeu de division que font ces multinationales; par exemple, les travailleurs de l'Alcan au Lac St-Jean étaient en grève pendant qu'une usine de l'Alcan en Afrique du Sud était en pleine surproduction. Mais ce type d'information est difficile à obtenir et les syndicats et groupes de solidarité internationale ont peu de moyens à leur disposition pour la faire circuler.
Ces attitudes ne se sont pas développées par hasard, comme ce n'est pas un hasard si l'information offre une vision tronquée de la réalité internationale. Les monopoles qui contrôlent les médias ont plus intérêt à accentuer les éléments de division qu'à chercher à faire comprendre des situations dont la similitude d'un pays à l'autre risquerait d'amener les gens à se reconnaître et à se solidariser dans des luttes communes.
Ce que l'information camoufle, c'est que la réalité de l'exploitation locale s'insère dans une perspective d'ensemble d'une division internationale du travail destinée à maximiser les profits des investisseurs et à consolider leur pouvoir. Ce qu'elle ne montre pas, c'est la place qu'occupe le Québec, le rôle qui lui est assigné dans cet ensemble complexe.
La forme spécifique de notre exploitation se situe dans cette réalité globale et y trouve son sens. La régionalisation des investissements internationaux fait an sorte do spécialiser différents pays dans des productions plus rentables. Cela entraîne des fermetures d'usines, de mines , d'exploitations forestières au Québec par des multinationales qui en ouvrent d'autres ailleurs et y exploitent d'autres travailleurs. Cela .sntraîne également une diversification permettant de fabriquer dans un autre pays ce que des travailleurs d'ici refusent de produire en temps de grève, et vice-versa.
La division internationale du travail est une cause fondamentale des problèmes de dépendance économique et politique, des migrations, des guerres. Elle est aussi, par le fait même, une raison fondamentale de la nécessité de la solidarité internationale: c'est en se solidarisant que les populations des différents pays pourront éviter d'être utilisées les unes contre les autres. C'est en menant des luttes concertées qu'elles pourront résister à la concertation des intérêts qui les exploitent. La solidarité internationale n'est pas simple question de moralité: elle est d'abord et avant tout un intérêt concret qu'ont les exploité-e-s et les opprimé-e-s à se sortir de la situation de domination économique et idéologique dans laquelle ils sont consciemment maintenus pour servir des intérêts qui leur sont étrangers.
Les syndicats et les groupes de solidarité internationale ont constaté la différence d'attitude des travailleurs et des travailleuses qui ont eu des contacts avec des travailleurs et des travailleuses d'autres pays. Ils et elles sont plus à même de constater les liens entre leur situation ici et celles d'autres travailleurs et travailleuses ailleurs. Ces contacts les amènent à poser des questions, a vouloir en savoir davantage, à chercher à connaître les causes profondes des faits qui leur sont présentés. L'étranger n'est plus un adversaire. Ils veulent comprendre les liens entre les différentes situations d'exploitation, comprendre les luttes qui se minent ailleurs, connaître les solutions que d'autres apportent à des problèmes qu'ils vivent eux-mêmes.
L'approche anti-éducative des médias ne répond pas à ce besoin de comprendre. Au contraire, elle est faite de silences, de slogans et d'information partielle et partiale, favorable à ceux qui ont des intérêts communs avec les propriétaires de ces médias. D'autres groupes, organismes, individus travaillent à démystifier la réalité internationale et à la rendre compréhensible au plus grand nombre. Dans leurs approches, on peut distinguer trois grands courants qui se recoupent souvent au sein de leurs activités.
L'approche humanitaire est celle que nous connaissons depuis la petite école et les 25 cents de la Sainte-Enfance. Elle repose sur la charité envers plus miséreux que soi, et développe une culpabilité dont on se débarrasse en donnant quelques dollars lors d'une campagne de financement pour une activité dans le Tiers-monde.
L'approche "Tiers-mondiste"est davantage axée sur l'aide aux peuples qui se libèrent. Elle fait appel au sentiment de justice et vise à mettre fin aux inégalités entre les peuples. Les luttes du Tiers-monde sont vues comme des efforts des pays pauvres pour atteindre un développement économique semblable au nôtre, des efforts des défavorisés pour se développer. Il faut leur donner un coup de main dans cette tâche.
Par opposition à ces visions moralistes et paternalistes, l'approche de solidarité reconnaît une lutte commune des peuples pour la libération
de l'exploitation et. de l'oppression. Il ne s'agit plus seulement ni d'abord d'aider les autres, mais bien de comprendre les mécanismes d'exploitation et d'oppression et de lutter ensemble, chacun chez-soi mais en lien lesuns avec les autres, pour éliminer les inégalités et bâtir une société nouvelle où le pouvoir et les richesses seront partagés plutôt que monopolisés par un petit: groupe.
L'approche de solidarité remplace le discours moraliste en faisant plutôt ressortir les intérêts communs des gens d'ici avec ceux d'autres pays. Elle ne prêche pas la solidarité mais cherche à faire comprendre la relation entre des problèmes plus immédiats et ces mêmes problèmes dans d'autres pays et dans l'ensemble de la réalité internationale. Il s'agit d'essayer de démonter le mécanisme qui permet de telles situations et de développer des liens pour les surmonter. Ainsi, après avoir discuté avec un mineur d'Afrique du Sud de ses conditions de travail, des mineurs d'Abitibi ont pu comprendre comment leurs propres conditions de travail faisaient partie d'une réalité plus globale d'exploitation de la main-d'oeuvre, réalité qui repose sur l'apartheid en Afrique du Sud, sur la division de la production de façon à ce que l'effet des grèves dans un pays soit compensé par la surproduction dans un autre, etc.
L'éducation à la réalité internationale devient véritablement facteur de solidarité quand on voit concrètement, par delà l'information biaisée qui vise justement à les occulter, les liens entre les situations d'exploitation et d'oppression, et les liens aussi entre les luttes des gens pour les surmonter. Les gens veulent savoir quelles politiques existent ailleurs sur l'agriculture, les investissements, les fermetures d'usines, la situation des femmes. Ils veulent savoir comment, sur la question des garderies, du logement comme sur la question du travail, du chômage... d'autres gens comme eux, ailleurs, réussisent à s'en sortir. Ils veulent connaître les solutions que d'autres ont trouvées à leurs propres problèmes, les victoires qu'ils ont remportées: c'est là un oxygène indispensable pour alimenter leurs luttes.
L'éducation à la solidarité internationale fait justement l'inverse du travail des médias en liant entre eux les événements pour en dégager la signification profonde, les enjeux fondamentaux. Elle fait ressortir les intérêts concrets communs pour susciter le besoin de comprendre et l'alimenter. L'information des médias met un frein à ce désir par le désordre dans lequel elle présente des événements, au lieu d'établir ce lien entre les réalités concrètes, entre les problèmes, entre les solutions.
Las "je-m'en-foutistes" sont préoccupés par la nécessité de régler leurs problèmes: ils en ont assez sans devoir, en plus, s'occuper de ceux des autres. En montrant comment ces problèmes font partie d'un tout global, comment ils sont liés organiquement avec les problèmes vécus dans d'autres pays, l'éducation à la solidarité internationale leur fait prendre conscience que leurs problèmes sont aussi ceux des autres et vice-versa. Par conséquent, la lutte qu'ils mènent pour les résoudre rejoint celle menée dans d'autres pays, et s'inscrit dans une lutte d'ensemble. En les amenant à comprendre leurs intérêts communs avec les exploité-e-s d'autres pays, cette éducation leur fait prendre conscience qu'il n'y aura pas de solution à leurs problèmes tant que tous ces mêmes problèmes, partout, ne sont pas résolus.
Une telle éducation à la solidarité internationale ne s'improvise pas: ce n'est pas une simple activité occasionnelle mais bien une éducation quise prépare. Elle se fait dans un processus partant de la réalité immédiate et de la réalité nationale pour s'élargir à la réalité internationale, approfondir sa compréhension et engager une action concrète de solidarité. Elle est une préoccupation permanente qui doit traverser l'ensemble du travail d'éducation.
Les campagnes de sensibilisation ou les actions de solidarité internationale n'ont de sens que si elles sont un aboutissement du processus d'éducation, un temps fort qui fait mieux comprendre les enjeux. Elles doivent s'insérer dans un processus et être menées en lien avec un ensemble d'activités éducatives qui la fassent mieux comprendre. Le travail récent sur la campagne d'alphabétisation au Nicaragua est un exemple dans ce sens: il n'a pas été un simple événement mais a été préparé, expliqué, discuté avant d'aboutir au geste de solidarité même.
Les syndicats et les groupes populaires, dont l'éducation est fondamentalement reliée à l'action, font fies efforts pour dépasser l'activisme des campagnes ponctuelles et les insérer dans un processus d'éducation plus global. Les contacts qu'ils favorisent sont, autant que possible, axés sur la réalité commune des participants: échanges entre travailleurs et travailleuses d'un même secteur, entre groupes de femmes, entre groupes de paysans... Mais les moyens dont ils disposent sont plus que limités, et leur action à ce niveau s'en trouve sérieusement freinée.
Des fonds considérables sont affectés à des voyages internationaux, à des échanges qui développent la curiosité mais ne permettent pas une compréhension en profondeur des réalités économiques, culturelles et politiques d'autres pays, ou des liens qui nous unissent. Généralement, ces activités ne font qu'occuper un espace et donner l'impression de remplir un rôle de formation qu'elles ne jouent pas véritablement parce qu'elles sont trop superficielles.
Par contre, les activités d'éducation de solidarité ne reçoivent qu'un financement extrêmement limité et dépendent surtout du bénévolat. C'est là une situation inacceptable: cette éducation est une forme vitale d'éducation des adultes. Elle est basée sur la réalité vécue des adultes et favorise une prise en charge de leurs conditions de vie et de travail dans leur dimension la plus globale. En ce sens, elle s'intègre dans une perspective d'éducation permanente et doit bénéficier de ressources humaines, matérielles et financières qui puissent lui assurer une existence et un développement adéquats.
L'éducation à la solidarité internationale doit prendre une place plus importante dans les programmes de formation des maîtres et de formation de formateurs (éducation populaire autonome) pour que ceux-ci puissent saisir les problématiques internationales et en traiter dans leurs activités éducatives. En ce sens, l'absence au Québec de lieux d'information, de formation, de ressourcement, d'échanges, de confrontations des expériences éducatives se fait d'autant plus durement sentir que les organismes eux-mêmes n'ont pas de ressources pour préparer adéquatement leurs formateurs. La sur-spécialisation à laquelle on réserve certaines bourses d'étude devrait être repensées et des fonds devraient être rendus accessibles aux organismes pour la formation de leurs ressources humaines.
Les contacts sur le terrain sont souvent une forme privilégiée d'éducation à la solidarité internationale. Les expériences d'échanges entre producteurs de pommes de terre d'Acadie et de Bolivie, les rencontres de paysans québécois et chinois, des rencontres entre syndicalistes de plusieurs pays ont été autant d'expériences qui ont accéléré la compréhension de la dimension internationale des problèmes qu'ils partageaient et créé une solidarité entre les participants. Quand elles s'insèrent dans un processus d'éducation pensé, planifié, ce genre d'activité est à encourager tant au point de vue organisationnel que financier.
De plus, le travail de recherche et d'analyse de conjonctures fait sérieusement défaut, les organismes syndicaux et populaires manquant de temps et de ressources pour les effectuer. Si l'on veut que l'éducation de solidarité permette de comprendre la réalité internationale, les inter-relations des pays, des problèmes, un travail sérieux de recherche s'avère essentiel. Il serait important d'offrir la possibilité à des professeurs et à des étudiant-e-s universitaires, dans le cadre de leur charge académique, de mettre leurs compétences à la disposition des groupes qui oeuvrent dans le domaine de l'éducation à la solidarité internationale pour leur fournir les outils dont ils ont besoin à ce niveau. Certains syndicats et groupes populaires ont déjà commencé, dans la mesure de leurs moyens, à travailler en ce sens; l'Etat doit encourager et soutenir financièrement ces initiatives qui sont de bonnes indications de l'importance accordées à la qualité de cette éducation.
Les outils matériels d'éducation à la solidarité internationale sont peu nombreux et souvent mal adaptés: qu'on songe aux cartes géographiques, aux moyens audio-visuels, aux possibilités d'obtention et de diffusion de l'information, etc. Si les outils sont encore, pour la plupart, à inventer, à créer, à adapter, à traduire... encore faut-il que les éducateurs puissent avoir les fonds nécessaires pour un tel travail, ce qui est loin d'être le cas présentement.
L'Agence canadienne de développement international (ACDI), par son Programme de participation du public, offre des fonds à certains organismes non-gouvernementaux, mais la partie allouée à l'éducation est toujours extrêmement faible. Le secteur volontaire populaire est tout à fait laissé pour compte. De plus, ce programme se situe au mieux dans une perspective tiers-mondiste: la vision de l'ACDI en est une d'aide au développement des pays sous-développés. (Nous pourrions ajouter: un développement rentable pour le Canada, comme l'avait indiqué Flora Macdonald l'été dernier). Il n'y est pas question de rendre les Cana-dien-ne-s conscient-e-s des liens entre leur pays et ces pays sous-développés.
"L'ouverture du Québec au monde" ne se traduit pas encore par des budgets suffisants pour l'éducation à la solidarité internationale, ni dans les institutions d'enseignement, ni dans le cadre de l'éducation populaire autonome. Pour sa part, le ministère de l'Education se dit favorable à la formation de formateurs ou à l'information dans ce domaine, via le Programme d'aide de la Direction générale d'éducation des adultes (DGEA) aux Organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP). A toutes fins pratiquer, la DGEA est absente du secteur de l'éducation à la solidarité internationale. Sa politique à ce sujet est à reviser sérieusement pour qu'elle assume vraiment ses responsabilités en matière de financement de l'éducation des adultes dont l'éducation à ta solidarité internationale est un aspect vital.
L'éducation à la solidarité internationale vise à faire comprendre aux gens leur réalité en l'élargissant à sa dimension internationale. Elle part de leurs problèmes, et cherche, avec eux, à en saisir les causes profondes, à les situer dans une perspective globale. Elle veut les rendre critiques et capables de porter leurs propres jugements plutôt que d'intégrer passivement ceux qui sont faits peur eux par les médias et qui servent des intérêts autres que les leurs.
En ce sens, c'est l'ensemble de l'éducation qu'elle se trouve à remettre en cause: ni l'éducation des jeunes, ni l'éducation des adultes n'est axée sur la compréhension de la réalité des participant-e-s ou sur une action pour la transformer; elle cherche plutôt à transmettre des connaissances et des jugements tout faits ou encore à "faire passer des messages". L'élimination par l'Université de Montréal du groupe La maîtresse d'école et du courant de Pédagogie progressiste en dit long sur la résistance à l'utilisation de la réalité comme base de l'éducation; ce n'est malheureusement pas un cas isolé.
Une éducation de solidarité entre en contradiction avec l'individualisme et la compétition qui restent des valeurs fondamentales de notre système d'éducation. L'école et les médias ont pour fonction principale de servir le système économique; ils transmettent l'idéologie dominante et visant à former des travailleurs et travailleuses dociles, des technicien-ne-s efficaces au service de la division internationale du travail. Une éducation qui permette de saisir de façon critique les dimensions globales de la réalité, qui rende accessible aux travailleurs la compréhension de l'ensemble de l'organisation du travail dans laquelle ils sont impliqués entre en contradiction avec ces fonctions du système scolaire: des travailleurs critiques ne sont pas des travailleurs dociles...
C'est cependant une éducation fondamentale dans une société qui se veut démocratique pour que les hommes et les femmes qui la composent puissent porter des jugements éclairés, faire des choix sociaux informés, conscients, autonomes et contribuer à l'édification d'une société axée sur les besoins de la majorité. L'éducation à la solidarité internationale s'Insère dans une vision de la société qui fait de l'éducation permanente un outil indispensable de la démocratie.
CISO, PLATE-FORME DU CENTRE INTERNATIONAL DE SOLIDARITE OUVRIERE, mai 1979.
Committee on the Churches Participation in Development, TRENDS IN EDUCATION FOR DEVELOPMENT, World Council of Churches, Geneva, 1973.
Gelpi, Ettore, "Analyse prospective des politiques et des activités d'éducation permanente", POUR, mai-juin 1980, no. 72.
5UC0, ORIENTATION DU SECTEUR EDUCATION AU PUBLIC, octobre 1978.
SUCO, EVALUATION DU TRAVAIL D'EDUCATION POUR LA PERIODE DES ANNEES 1978-1979, septembre 1979.
SOLIDARITE INTERNATIONALE, Secteur éducation de SUCO, 4824 Côte-des-Neiges, Montréal, H3V 1G4.
SOLIDARITES, Développement et Paix, 2111 rue Centre, Montréal, H3K 1J5.
SOLIDARITE, Centre international de solidarité ouvrière, 1601 De Lorimier, Montréal, H2K 4M5.
La maîtresse d'école, "Ce matin, à l'école on parle des mineurs", CAHIER DE PEDAGOGIE PROGRESSIS-février 1979, no. 1.
La maîtresse d'école, "Viens-tu jouer au docteur", CAHIER DE PEDAGOGIE PROGRESSISTE, avril 1980, no. 3.
LE LIVRE D'HISTOIRE
CONTROLLING INTEREST: L'EMPRISE DES MULTINATIONALES
LE COMPLOT OU COMMENT LES TRANSNATIONALES POSSEDENT LE MONDE
ADMISSION TEMPORAIRE
L'ECHANGE INEGAL
INFORMATION LIMITEE
LE NOUVEL ORDRE
LES DEPOSSEDES
QUI AIDE QUI?
Ces films sont disponibles au Carrefour international, 4258 De Lorimier, Montréal, H2H 2B1.
texte: Le comité sur l'éducation à la solidarité internationale, composé de: Max Chancy, Suzanne Dion, Willy Dumoucelle, Jean-Paul Faniel, Jean-Guy Lewis, Claude Lortie, Monique Ouellette, Robert Quévillon, Micheline Sicotte. Rédaction: Suzanne Dion, Monique Ouellette.
Ce document de travail a été réalisé en collaboration avec le Comité de stratégie sur la politique d'éducation des adultes de l'ICEA et avec le soutien financier de Paix et Développement et de SUCO.
Illustrations: Cadier, in POURQUOI?, No. 114, avril 1976: p. 2; C. Tovar, in ANALISIS DE ESTRUC-TURA Y COYUNTURA, CELADEC, 1979: pp. 4, 12; Henz, in CFDT AUJOURD'HUI,. No. 27, sept.-oct. 1977: p. 5; Claudius, in AIDE AU TIERS-MONDE - LE DEVELOPPEMENT IMPOSSIBLE, IDAC, document 2, 1973: pp. 6, 13; Claudius, in NUEVOS ESTILOS DE VIDA, CELADEC, No. 4, 1978: p. 9; LIGNE DIRECTE, CEQ, 1980: p. 10; Claudius, in GUINEE-BISSAU -REINVENTER L'EDUCATION, IDAC, document 11/12, 1977: pp. 14, 15.
TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.