Apprendre à tisser des liens

Par Rachel Bélisle

Rapport de recherche sur les effets positifs des ateliers «Nos compétences fortes» (NCF)

Août 1998

Remerciements

Il a été convenu avec les personnes et les organismes sélectionnés pour la recherche que leur anonymat serait conservé. La plupart des personnes interviewées liront toutefois ce rapport.

J'espère qu'elles sauront voir à quel point leur propos est riche et que ce rapport doit beaucoup à leur franchise, à leur générosité, à leurs doutes, à leurs faux pas, à leurs découvertes, à leurs convictions et à leurs réussites. Sans elles, sans eux, nous ne pourrions individuel- lement et collectivement tirer toutes ces leçons de l'expérience.

Merci !

Recherche, analyse et rédaction

Rachel Bélisle, réalisatrice d'outils de formation

Collaboration à la recherche et groupe de lecture

Georges April, Françoise Lefebvre et Martine Roy, membres de l'équipe de formation NCF

Lecture interne

Marie Leahy, chargée de projet à l'ICÉA Bernard Normand, directeur général de l'ICÉA

Lecture externe

Les 13 participantes et participants au Séminaire de perfectionnement du 18 juin 1998, «Retrouvailles»

Révision linguistique

Pascale Noizet

Page couverture

Jean-François Héroux, graphiste Favro, illustrateur

Ce rapport a été réalisé grâce à la contribution financière du Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA) du ministère des Ressources humaines du Canada (DRHC).

© Institut canadien d'éducation des adultes 5225 rue Berri, bureau 300, Montréal, H2J 2S4 Téléphone : 514-948-2044 Télécopieur : 514-948-2046 Courriel : icea@cam.org

Dépôt légal : troisième trimestre 1998, Bibliothèque nationale du Québec et bibliothèque nationale du Canada

ISBN 2-89108-032-7

Table des matières

Introduction

1. Cadre de la recherche

1.1 Structuration de la recherche

1.2 Organismes satisfaits

2. Hétérogénéité des parcours

2.1 Des animatrices

2.2 Des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit

2.3 J'ai lâché parce que j'apprenais rien

2.4 Ils disaient que j'avais mon fils qui était malade

2.5 Je suis journalier, j'ai pas de métier

3. Les effets positifs de la démarche NCF

3.1 Apprendre à vivre ensemble

3.2 Dialogue intérieur

3.3 Développement ou consolidation de compétences génériques

3.4 Acquisition de nouvelles connaissances

3.5 Passer à l'action

4. Effets positifs sur les milieux et sur les animatrices

4.1 Expérimentations stimulantes

4.2 Accroître son sentiment de compétence

4.3 Conditions favorables à l'utilisation de NCF

5. (Re)connaître les convictions qui nous animent

Conclusion

Références

Notes

Introduction

Deux ans après la publication des outils Nos compétences fortes (NCF), c'est plus de 250 mallettes qui sont en circulation dans divers organismes de formation, principalement au Québec, mais aussi au Canada français et dans d'autres pays de la francophonie (France, Suisse, Belgique, Guinée). L'ICÉA et ses partenaires du projet «Soutien à l'adoption de Nos compétences fortes»1 ont voulu mieux comprendre certains des effets positifs des ateliers NCF sur les participantes et les participants ainsi que sur les milieux de formation.

Cette recherche exploratoire, de type qualitatif, avait pour objectif de susciter une réflexion sur l'action et le partage d'expériences. Il s'agit d'un premier exercice de reconnaissance au sein de la «communauté» qui s'intéresse à NCF pour soutenir notamment le développement de solidarités entre les différents acteurs.

Ce rapport s'adresse à des personnes qui connaissent déjà un peu les outils Nos compétences fortes2. Il a été préparé tout spécialement pour les équipes qui envisagent intégrer les ateliers NCF dans leurs activités ou qui l'ont déjà fait. Une version provisoire visait à susciter des réflexions et des débats au Séminaire de perfectionnement de juin 1998.

La première section du rapport présente sommairement le cadre de la recherche. La deuxième vous permettra de connaître un peu plus les personnes avec qui j'ai eu des entretiens. La troisième fait état des résultats de la recherche en ce qui a trait aux effets positifs sur les participantes et participants. La quatrième section s'intéresse aux effets positifs sur les milieux de formation et plus particulièrement sur les animatrices3. La cinquième et dernière section réfléchit sur quelques pistes issues des résultats de cette recherche en vue, notamment, d'inciter les animatrices et les animateurs à tenter d'élucider leurs croyances personnelles concernant le travail et la division du travail.

1. Cadre de la recherche

1.1 Structuration de la recherche

L'ICÉA et ses partenaires voulaient mieux comprendre certains des effets positifs que les ateliers Nos compétences fortes (NCF) ont produit sur les participantes et les participants ainsi que sur les milieux de formation. Cet objectif général de recherche a été formulé suite à la mise en commun de réflexions issues des sessions de sensibilisation ou de formation. En effet, plusieurs formatrices et formateurs sont avides de connaître l'expérience des premiers utilisateurs. Dans cette première recherche, nous avons décidé de mettre l'accent sur les réussites ainsi que sur les organismes et personnes ayant manifesté ouvertement leur satisfaction.

Malgré des différences majeures de contexte, j'ai suggéré à l'ICÉA d'utiliser comme cadre de référence les résultats de la recherche menée par R. Louis sur l'adoption de nouvelles pratiques pédagogiques ainsi que la grille élaborée par R.F. Wauch et K. F. Punch (Louis, 1995). Cette grille établit en trois phases le processus d'adoption d'une nouvelle pratique pédagogique : la phase de réception, la phase d'implantation et la phase d'adoption.

L'approche choisie est une approche exploratoire qualitative avec des entrevues semi-dirigées. La recherche s'inscrit dans la continuité des travaux Nos compétences fortes : elle a été faite avec le plus de rigueur possible, méthodologique et éthique, compte tenu de nos moyens :

Les ressources accordées à la présente recherche étant modestes et l'échéancier étant de courte durée nous sommes dans l'obligation d'escamoter certaines étapes reconnues comme nécessaires en recherche scientifique. Il s'agit donc d'une recherche non formelle, c'est- à-dire qu'elle est structurée mais n'a pas de prétention scientifique. 4

Le recrutement s'est fait en octobre et les entrevues ont eu lieu en décembre 1997. Les entrevues ont été enregistrées et transcrites. Après une première analyse au début de l'année 1998, j'ai procédé à une entrevue téléphonique (non enregistrée) avec deux coordonnatrices des programmes impliqués, et ce afin de valider quelques pistes de compréhension. De plus, l'analyse des données a fait l'objet d'une discussion au sein de l'équipe de formation NCF afin de la valider. Des membres de l'équipe interne de l'ICÉA ont aussi commenté la deuxième version du texte. La présente version est une version révisée du texte déposé au séminaire de juin 1998.

J'ai procédé à l'analyse qualitative des données en utilisant le logiciel QSR Nud*Ist 5. À l'étape de la mise en relation, j'ai adopté à la fois une approche empirique, spéculative et théorique (Paillé, 1994). À cette étape, je me suis appuyée sur des documents concernant l'outil de première génération Question de compétences, un outil au service des femmes (Ouvrage collectif, 1989), sur quelques-uns des textes qui avaient contribué à l'élaboration de Nos compétences fortes ainsi que sur les propositions de la Commission internationale sur l'éducation pour le 21e siècle (Delors, 1996 ; Commission canadienne pour l'UNESCO, 1997).

1.2 Organismes satisfaits

Quatre organismes québécois satisfaits des ateliers NCF6 ont été choisis parmi les organismes qui sont restés en lien avec l'ICÉA ou avec des membres de l'équipe de formation après l'achat de la mallette NCF. Parmi nos critères de sélection, nous demandions que les ateliers NCF aient été expérimentés avec des groupes composés majoritairement de personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. Nous demandions que les ateliers aient été expérimentés au moins deux fois par une ou un même animateur.

Trois de ces organismes sélectionnés interviennent directement dans le domaine de l'insertion en emploi. Il s'agit de deux commissions scolaires ayant un Service d'insertion socioprofessionnelle (SIS)6 et d'un Carrefour-Jeunesse-Emploi (CJE). Le quatrième organisme est un groupe d'alphabétisation populaire7.

Trois des organismes ont expérimenté la démarche NCF complète incluant un projet collectif, alors que le CJE se limite à 9 heures d'ateliers NCF tirés des périodes 2 et 3 (vidéo, fiches de repérages et exemples convaincants). La reconnaissance des 13 compétences génériques de Nos compétences fortes traverse toutefois l'ensemble des autres activités du programme.

2. Hétérogénéité des parcours

2.1 Des animatrices

Trois personnes ayant animé des ateliers NCF, chacune dans trois groupes différents, ont participé à un groupe de discussion, d'une durée de 3 heures. J'ai également procédé à une entrevue individuelle d'une heure avec une animatrice ayant animé la démarche une seule fois8. Les animatrices que j'ai rencontrées sont les suivantes :

  • A., conseillère en orientation dans un Carrefour-Jeunesse-Emploi. A. approche de la trentaine et travaille au CJE depuis quelques années.
  • B., enseignante intervenant dans un SIS est une jeune retraitée depuis septembre 1997. Elle a débuté sa carrière au niveau primaire (enfants) et intervient en éducation des adultes depuis presque 15 ans.
  • F., travailleuse autonome a plus de 15 ans d'expérience en éducation populaire dans le domaine de l'animation, la recherche et le développement de matériel. Elle utilise les outils NCF dans différents milieux. Dans le cadre de la présente recherche, elle a été invitée à mettre l'accent sur l'expérience vécue dans le programme SIS auquel elle est associée. La commission scolaire l'a notamment recrutée parce qu'elle connaissait déjà bien les outils NCF et la clientèle visée par le programme SIS. F. est dans la jeune quarantaine.
  • K., travailleuse sociale de formation et formatrice en alphabétisation populaire depuis quelques années. K. est dans la vingtaine.

2.2 Des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit

Nous avons demandé aux animatrices de nous désigner des personnes peu à l'aise avec l'écrit chez qui elles avaient constaté des changements importants au cours des ateliers NCF. Les entrevues semi-dirigées étaient conçues de manière à mieux connaître les réalités des participantes et participants, leurs perceptions face à leurs réussites passées, la formation suivie et leurs projets d'avenir. Il s'agissait donc d'un moment privilégié qui leur donnait l'occasion de reconnaître leurs compétences génériques devant une étrangère. Il s'agissait ainsi d'une situation nouvelle comportant plusieurs défis.

Les trois personnes choisies ont terminé les ateliers NCF depuis plusieurs semaines ou mois. Il s'agit de :

  • M., un jeune de 18 ans ayant participé à un programme du CJE d'une durée d'un mois, suivi d'un stage.
  • C, une femme dans la trentaine ayant participé à une partie du programme SIS d'une durée d'un an. C. a quitté le programme à la fin des ateliers NCF.
  • Y., un homme dans la cinquantaine ayant participé aux ateliers NCF étalés sur 15 semaines dans le cadre d'activités d'alphabétisation populaire.

Ces trois personnes ont des réalités et des personnalités fort différentes.

2.3 J'ai lâché parce que j'apprenais rien

M. reçoit des prestations d'aide sociale. Menacé de se faire couper une partie importante de ses prestations, il a décidé d'aller au Carrefour Jeunesse. Il a quitté la polyvalente il y a trois ans, sans avoir obtenu de diplôme. J'ai lâché parce que j'apprenais rien9, dit-il. Aujourd'hui, il pense retourner dans une école professionnelle et étudier de soir. Il fait des démarches pour se trouver un emploi de jour.

M. vit chez ses parents. Son seul frère, pour qui il a beaucoup d'admiration, a quitté la maison après l'obtention de son diplôme en génie mécanique. Sa mère est aux études et son père travaille dans la livraison de bois de chauffage. Il garde ses cousins deux ou trois fois par mois. Un oncle lui a déjà procuré un emploi temporaire. Sa famille occupe une grande place dans son propos.

M. lit beaucoup les annonces classées. C'est ce qu'il lit le plus, dit-il. Les articles de journaux qui parlent d'accidents l'intéressent aussi. Il lui arrive de commencer à lire des romans, mais il ne les finit jamais. Subitement, ça me tente de lire. Mais j'arrive pas à embarquer dedans.

M. est très timide à son arrivée au CJE, particulièrement face aux personnes représentant l'autorité. Il dit que cette timidité lui a causé des difficultés dans ses rapports avec les enseignants alors qu'il était à l'école et qu'elle lui en cause encore aujourd'hui dans sa recherche d'emploi. Il croit que le programme du CJE l'a aidé à dépasser une partie de sa gêne, mais cela lui demande encore beaucoup d'efforts. Lors de son stage, il a eu plusieurs fois l'occasion de combattre sa timidité.

J'essayais défaire une belle job pis être amical. Tu sais, pour moi c'est important avoir une bonne relation avec le patron. Mais qu'est-ce qu'y a, j'sus tout le temps gêné, tout le temps gêné d'aller y parler. C'est de dire ça, ça va pas, tu sais. Je me dis : Faut que j'parle, faut que j'parle. Je voulais savoir s'il allait me garder ou pas. J'arrive, j'y demande : Penses-tu me garder après le stage ? Y dit : Ça va dépendre de ton mois, comment tu travailles. Pour moi, c'est un exploit là, tu sais. J'ai été y demander. Quand j'sus sorti de là, j'étais comme tout soulagé.

Une fois le stage terminé, l'employeur ne l'a pas gardé. Au moment où j'ai rencontré M., il était toujours à la recherche d'un emploi. Deux mois plus tard, la responsable du CJE m'annonçait une bonne nouvelle : M. s'était trouvé un emploi.

2.4 Ils disaient que j'avais mon fils qui était malade

C, la participante que j'ai rencontrée est mère monoparentale d'un fils de 10 ans. C. a été victime des nombreux licenciements dans l'industrie de la chaussure, et puis elle a perdu un emploi de bureau sous prétexte qu'elle n'avait pas son diplôme de secondaire 5. Aujourd'hui, elle voudrait travailler en soudure à l'usine. Son témoignage illustre bien les parcours courageux d'adultes atteints de troubles sévères d'apprentissage et les défis encore très nombreux que nos institutions ont à relever pour les aider à apprendre dans des contextes favorables.

Je suis dyslexique, je fais de la dysgraphie. Au primaire j'ai été à l'école spéciale. En secondaire ils m'ont envoyée en secondaire I à l'école régulière. Us m'ont pas adaptée. J'ai capoté. Donc à l'école (de retour aux études), il a fallu que je r'tombe au niveau primaire, m'adapter, pour pouvoir monter. Pis après ça, j'ai arrêté six mois pour suivre le Propulsion travail. J'ai exercé ma persévérance là-dedans. J'ai été voir des médecins pour qu'ils me diagnostiquent, parce que moi je le savais que j'avais quelque chose, je savais que j'étais pas folle.(...)

Ça faisait deux ans que je demandais à l'aide sociale de retourner aux études. Ils voulaient pas parce qu'ils disaient que j'avais mon fils qui était malade, pis que j'avais à manquer souvent, patati, patata. J'ai continué à me battre avec eux autres. J'manque pas plus souvent qu'un autre. C'est pas parce que mon fils a des problèmes que moi je suis obligée de rester sur l'aide sociale. Je travaillais avant. Un jour, je vais retourner travailler.

C. découvre qu'elle aime étudier. Et qu'elle aime lire aussi. J'ai lu le roman d'Anne Frank, des petits romans à l'eau de rose, ça dépend comment je feel. Au moment où je l'ai rencontrée, voilà bientôt deux ans que C. est de retour aux études. Après les ateliers NCF, qu'elle a terminés au début de l'année 1997, elle a choisi de tenter un retour au secondaire régulier. Aujourd'hui, elle est classée en secondaire IV en mathématiques, III en français et I en anglais.

2.5 Je suis journalier, j'ai pas de métier

Y. a quitté l'école il y a plus de 30 ans au début de sa 10ème année. J'ai une base, dit-il.

J'ai travaillé dans la sécurité d'usine, j'ai travaillé dans la ferblanterie, j'ai travaillé comme apprenti menuisier. Ensuite j'ai fait de l'entretien ménager. Autrement dit, je suis journalier, j'ai pas de métier. J'ai l'expérience d'aller travailler aux États-Unis. Je connaissais quelqu'un qui était parti sauf que ça me prenait des papiers, j'ai pas été capable d'avoir mon visa. Ça faisait deux ans et demi que j'étais là, que je savais qu'il se planifiait des affaires... Ils étaient au courant que j'étais là (sans visa de travail), que j'étais recherché. J'ai été obligé de m'en revenir.

Y. est revenu vivre dans sa région, avec sa mère. Il développe des problèmes de santé, ne supporte plus les environnements poussiéreux et doit se résoudre à vivre de l'aide sociale. C'est le Centre travail Québec (CTQ) qui l'a dirigé vers le centre d'alphabétisation populaire voilà maintenant deux ans. Il améliore son français et ses mathématiques, s'initie avec plaisir à l'informatique et à la navigation Internet. Y. découvre qu'il a des talents dans autre chose que le travail manuel.

3. Les effets positifs de la démarche NCF

Trois des animatrices sont convaincues que les ateliers Nos compétences fortes ont un effet très positif sur la majorité des participantes et des participants. La quatrième animatrice relève quelques réussites, mais son propos reste très mitigé. Les effets positifs de Nos compétences fortes appartiennent aux domaines suivants :

  • transformations d'attitudes vis-à-vis des autres ; bond qualitatif de l'estime de soi ;
  • plus de réflexion intérieure ;
  • développement ou consolidation de compétences génériques ;
  • acquisition d'un nouveau vocabulaire ;
  • mobilisation de compétences fortes pour vivre des situations nouvelles.

Ainsi, les ateliers Nos compétences fortes contribueraient, à des degrés divers, à des apprentissages relevant des quatre piliers de l'éducation proposés par la Commission internationale sur l'éducation pour le 21e siècle, appelée aussi Commission Delors. Ces quatre piliers sont les suivants : apprendre à connaître ; apprendre à faire ; apprendre à être ; apprendre à vivre ensemble (Delors, 1996).

Les perceptions des animatrices sur les effets positifs se confirment dans les trois entrevues avec les participants et la participante. Suite à l'analyse de ces trois entrevues, les éléments suivants émergent toutefois avec beaucoup plus de force :

  • changements reliés à la vie collective et à l'estime de soi (apprendre à vivre ensemble) ;
  • changements reliés à la réflexion intérieure, au développement et à la consolidation de compétences génériques (apprendre à être).

Ces deux aspects m'ont paru particulièrement convaincants.

3.1 Apprendre à vivre ensemble

Plusieurs de nos interlocutrices insistent sur le fait que plusieurs participantes et participants ont modifié de façon surprenante des attitudes face aux autres 10. Une coordonnatrice indique que des

personnes qui ont fait la démarche NCF sont aujourd'hui plus affirmatives dans leur relation avec les institutions. Les institutions mentionnées sont les CTQ, les CLSC et le système judiciaire.

Dans l'analyse des données, il est frappant de retrouver plusieurs éléments qui caractérisent l'apprentissage du vivre ensemble :

  • Découvrir l'autre en passant par la connaissance de soi
  • Adopter la perspective d'autres groupes ethniques, religieux ou sociaux
  • Participer à des projets avec des gens appartenant à d'autres groupes que le sien
  • Développer sa capacité de résoudre les tensions et les conflits 11

La façon d'agir (et de réagir) dans les situations de groupe a changé, non seulement dans les ateliers NCF, mais dans les autres activités du programme.

C'est la directrice du service d'éducation aux adultes qui nous l'a dit. Je trouve ça ben intéressant. Elle dit : "Qu'est-ce qui se passe avec vos étudiants? Ça fait deux fois que telle personne vient pour travailler sur le photocopieur en haut, pis là, il y a eu telle autre personne qui est venue pour me demander de me rencontrer parce qu'elle avait des choses à demander, etc. " Ils nous regardent comme plus dans les yeux maintenant quand ils nous parlent.

Et on lui a dit : "C'est quand que c'est arrivé ?" Parce que nous, ça nous amusait, R. et moi, parce que c'est, je vous l'ai dit, c'est pour eux le restant, du restant, du restant.

L'attitude... l'estime de soi, l'estime de soi. Se rappeler qu'à 35 ans, je suis un être adulte et que la directrice qui est là, elle a un poste de direction, mais elle a 32 ans. On peux-tu se parler en se regardant dans les yeux ?

L'année dernière, c'est allé assez loin aussi au niveau de l'attitude. Ily a des étudiantes en janvier, février, le premier du mois tombait un vendredi, et il y a des étudiantes qui, le vendredi, ont gardé leur "quant à soi" la première fois, ont décidé de manquer. Mais c'est que le vendredi c'est "les compétences" et elles disaient que ça les dérangeait de manquer ça.

Le vendredi suivant, l'autre mois après, elles ont essayé de faire des ententes avec la direction d'école. Faut le faire, tu es dans un contexte formel d'éducation où tout est bien hiérarchisé. Il s'est formé un comité, ils sont allés rencontrer la direction, ont offert des alternatives pour avoir le vendredi après-midi de libre, c'est-à-dire rester plus tard un autre tantôt, peut-être commencer plus tôt, en tout cas, des alternatives. Elles ont offert des affaires, la direction a dit non. Puis, elles ont choisi, parce qu'elles avaient le sens des responsabilités, ce que nous avons mis en lumière, elles ont choisi de manquer le vendredi après-midi.

C'est paradoxal parce qu'elles se font dire, dans un contexte formel, que si tu manques c'est parce que tu n'es pas responsable. Et nous, on a mis en lumière dans le retour en groupe là-dessus, qu'elles avaient eu énormément le sens des responsabilités, c'est-à-dire d'aviser, d'essayer defaire entendre, de négocier. C'est pas possible. OK. Mon chèque rentre le premier du mois, j'ai des enfants, pis faut qu'ils mangent. (F.)

Les animatrices constatent que l'estime et la connaissance de soi font un bond qualitatif chez plusieurs membres des groupes et que cela a un effet sur la dynamique des groupes.

Ça les gêne quand même quand on parle de compétences. C'est des choses sérieuses, avec des exemples validés. C'est quand même pas facile de trouver un exemple concret, précis, et là, il faut que tu en parles aux autres et il faut que ça fasse du sens. Là, on travaille ça. Ils sont quand même faciles à épater, je dirais, les jeunes dans cette partie-là. Ah oui ! OK. Je peux prendre, je peux retirer dans autre chose même si j'ai pas beaucoup d'expérience. Je peux dans mon bénévolat, dans mes loisirs montrer des choses. Ça les valorise pis je dirais en même temps, ils deviennent un petit peu plus sérieux et ils se rendent compte qu'il faut qu'ils trouvent quelque chose d'important, pis c'est nouveau on dirait d'avoir à se regarder, puis à s'aider, pis travailler ça ensemble. Il y a un aspect de sérieux, un petit peu de maturité peut-être qui se prend là- dedans. (A.)

L'estime de soi colore le propos des trois participants et participante rencontrés. Ces personnes sont capables de parler d'elles-mêmes, de leurs intérêts, de leurs réussites, de leurs rêves, de leurs réflexions intimes, de quelques compétences fortes et de compétences qu'elles aimeraient améliorer. Cette parole est particulièrement riche chez C.

Dans ces entrevues, la dynamique particulière aux activités NCF est mentionnée par C. et Y. Ils en ont plusieurs souvenirs précis. Ils témoignent de l'importance qu'ont eu ces ateliers dans la création d'un esprit de groupe et dans leurs relations aux autres12. Les éléments de témoignages sont nombreux. Y. insiste particulièrement sur le rôle du groupe dans la démarche.

C'est que j'ai vraiment découvert que y'a des apprenants qui se sont ouverts autrement dit. Parce que l'an passé, quand on a fait ça nous autres, on avait une personne qui parlait pas, qui disait pas un mot. Pis avec ça, ça a pris du temps, mais avec ça on est venu à bout de faire sortir de quoi de cette personne-là. Tout le groupe, tout le groupe. Quand ça a débuté, je pense que les deux formatrices s'attendaient pas qu'on embarque si vite. (Y.)

Le rôle de l'animatrice est évoqué par les trois personnes. C. met en valeur l'attitude particulière de l'animatrice des ateliers NCF.

Je sais pas si je l'aurais passé avec une autre personne. Ça aurait peut- être pas été la même chimie. Le lien qui se forme entre le professeur et les élèves. Tu sais qu'on se sentait à l'aise. On vient des amis. On vient un groupe. Plus proche. Tu sais la chimie qui se forme. Elle explique les choses, ce qu'elle a vécu, qu'elle vit ou qu'elle sait pas, des choses tu sais. Je trouve que ça fait un groupe qui est plus proche, plus que d'autres cours. (C.)

Cette confiance établie dans le groupe permet de surmonter des obstacles. C. parle d'une situation de tension vécue par le groupe au cours des ateliers NCF et du rôle qu'elle a pris.

Si on lui (l'animatrice) parle dans le dos et qu'on va pas y dire à elle... c'est elle la concernée. Je suis allée lui dire. Elle me dit : Ça prend l'esprit d'équipe pour faire ça. Tu le fais pas juste pour toi, tu le fais pour tout le monde, pour que l'atmosphère vienne à s'améliorer. (C.)

3.2 Dialogue intérieur

Il est particulièrement frappant de noter que les trois participants et participante font appel à une démarche intérieure de réflexion. Je

me suis parlé, je me parle, disent d'une même voix M., C. et Y.13 De l'avis des membres de l'équipe de formation NCF qui connaissent bien la clientèle peu ou pas à l'aise avec l'écrit, il s'agit d'un constat que l'on doit attribuer à Nos compétences fortes. Cette façon de penser, autonome et critique, est un élément crucial dans l'apprentissage du savoir être (Delors, 1996).

3.3 Développement ou consolidation de compétences génériques

La démarche Nos compétences fortes soutient des participantes et participants qui souhaitent s'engager dans un processus de consolidation ou de développement de compétences génériques. À ce niveau, les témoignages de C. et Y. sont particulièrement convaincants. La façon dont les ateliers NCF ont été animés semble ici directement en cause.

Les deux animatrices concernées insistent, disent-elles, pour avoir des exemples convaincants. Les participantes et les participants doivent, pendant plusieurs semaines, «se regarder aller» de manière à prouver qu'ils ont bien une compétence générique forte. Cette approche s'avère efficace car les deux animatrices sont convaincues que toutes et tous les participants travaillent, ont des compétences et un riche potentiel. Il s'agit d'un critère de confort avec la démarche identifié dans le Manuel des animatrices et des animateurs :

(...) vous serez à l'aise avec les outils proposés si vous pensez que les personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit possèdent des compétences fortes qu'elles ont développées dans différentes situations de travail et expériences de vie, et qui sont des compétences recherchées et valorisées dans la société québécoise.14

Les témoignages indiquent que cette approche favorise le renforcement de compétences, car elle incite les gens à se dépasser, que ce soit les participantes et participants ou les animatrices. Les possibilités de «pratiques» sont nombreuses tout au long de la formation NCF et après celle-ci, dans l'organisme de formation, dans la vie familiale, en stage et ailleurs. Voici un exemple tiré du témoignage de C. qui, tout au long de son propos, accorde une grande valeur à la facilité d'adaptation.

Mettons quand un remplaçant arrive. Ça me décevait pour ma journée parce que d'après moi c'était pas mon professeur à moi. Avant, je l'aurais mal pris. J'aurais dit : ben l'autre fonctionne de même là, pis c'est de même. Tu sais... je serais malcommode un peu là. Là je me parle : Ben voyons donc, tu penses, y'a des choses plus graves que ça dans la vie. Il apporte autre chose. Il a une nouvelle manière de fonctionner, il est comme ça, tu peux pas le changer. Mais avant je le voyais pas de même : Comment ça t'es malade ? Avec les enfants aussi faut que tu sois capable de t'adapter. Au point de vue de mon horaire, c'était à cinq heures. Va pas m'arriver àcinq heures et demi. Fallait pas qu'il arrive des imprévus. Je pognais le feu là, j'étais partie, j'étais crinquée. Pis cet été, ça m'a fait rire, parce que cet été j'ai eu un petit travail de fin de semaine dans une résidence pour personnes âgées. Pis le patron me présente à une autre employée, pis il dit: Elle s'adapte bien. J'ai resté l'air bête, tu sais. J'ai changé dans le fond. Je me souviens de mes anciens emplois, s'il fallait qu'on me change de machine, c'était la fureur pour la journée. Au niveau du travail c'est utile. Faut que tu sois capable de t'adapter. Ça les employeurs aiment ça. Tu sais, j'essayais là, mais je pensais pas que ça paraissait. (C.)

C'est en dépassant la première étape de découverte que les participantes et les participants peuvent non seulement reconnaître leurs compétences génériques fortes, mais aussi développer ou consolider des compétences utiles ou valorisées. Ces compétences génériques «désirées» ne sont pas nécessairement de très grandes forces personnelles. C. Paquette (1982) appelle cela les valeurs préférence (ce que j'aimerais être et faire). Les valeurs référence (qui je suis et ce que je fais vraiment) émergent plus tard dans la démarche NCF. Entre temps, les personnes portent une attention particulière à ces compétences désirées et découvrent le sens donné aux mots. Plusieurs participantes et participants (et des animatrices) peuvent ainsi faire des efforts conscients pour agir de manière à démontrer qu'ils possèdent vraiment une compétence valorisée.

Ainsi, si Y. arrive à me convaincre qu'il a développé dans sa vie un bon sens de l'organisation et qu'il aime les activités de groupe, il n'arrive pas à me persuader qu'il avait un très grand esprit d'équipe avant la formation NCF. Par ailleurs, il fait preuve d'un engagement et d'un désir fermes de renforcer son esprit d'équipe.

Les compétences ça m'a aidé beaucoup parce que j'aurais peut-être pas passé au travers. Qu'est-ce qui est arrivé, c'est que là en sachant que tout le monde était capable de faire de quoi... Là je commence à réaliser que y'a pas juste moi qui fonctionne, autrement dit, j'sus pas le boss icitte. Y'en a d'autres qui sont capables de gérer. On va prendre l'exemple de vendredi, v'ia deux semaines. On a des nouveaux cours, des cours de poterie. Et pis moi, je me suis dit : Non c'est pas pour moi. J'ai parti, je me suis complètement levé, j'ai pris mon stock, je m'en va. Quand je suis arrivé chez nous, je me suis dit : maudit sans dessein. Là je me disais, j'ai l'esprit d'équipe, pourquoi je suis parti ? Un esprit d'équipe, t'es toute la gang. Dans la semaine, il s'est mûri des petites choses : me semble que c'est pas moi qui faut qui fasse ce que j'ai fait là. Tu sais, je le voyais. (Y.)

3.4 Acquisition de nouvelles connaissances

Si NCF permet d'apprendre à être et à vivre ensemble, la démarche permet aussi d'acquérir de nouvelles connaissances. Selon les animatrices, un nombre important de participantes et de participants ont intégré un nouveau vocabulaire. NCF a aussi contribué à une meilleure compréhension de certains concepts et valeurs.

Ah! y'a des mots, treize compétences, pis ça, ça paraît dans les entrevues qu'on fait, on mise beaucoup là-dessus. Ils reprennent leurs compétences et avec les exemples, on retravaille ça. Mais il faut pratiquer, pratiquer, pratiquer. Ça vient pas tout seul. (A.)

La recherche actuelle ne permet pas d'affirmer que beaucoup de ces connaissances sont intégrées dans le quotidien des participantes et des participants. J'ai toutefois constaté que C. et Y. comprennent assez bien des termes comme «compétences génériques» et «circonstances».

Dans les entretiens que j'ai eus, les participants et participante ont eu plusieurs fois l'occasion d'exprimer et de mettre en valeur leurs compétences. M., C. et Y. ont utilisé correctement les titres de compétences génériques de la démarche NCF. Ils associent souvent correctement une ou plusieurs capacités à la compétence appropriée. Minutie, ça veut dire faire des choses délicats. Des choses fins. Faut que tu fasses attention (M.)

Toutefois, il ne faut pas imaginer que tout le vocabulaire-clé (Bélisle, 1995a, p. 34) de NCF ainsi que les énoncés de capacités sont intégrés par les participantes et les participants. D'ailleurs, une analyse sommaire du contenu des entrevues indique que la plupart des animatrices utilisent peu ce vocabulaire-clé. Toutefois, elles en comprennent généralement le sens.

3.5 Passer à l'action

Les témoignages reçus font ressortir quelques histoires à succès dont l'on tire de la fierté. Y. est le participant qui témoigne le plus de ces passages à l'action. Les histoires racontées par les animatrices touchent des actions concrètes entreprises dans la vie du groupe, la vie familiale, la collectivité ou le marché de l'emploi.

C'est ma plus belle victoire, j'en ai eu une. C'est de mon premier groupe, le garçon qui disait toujours "j'ai mal au dos, à 40 ans je vais être en fauteuil roulant, ça me donne quoi de travailler". Ses parents disaient de ne pas travailler trop fort parce qu'il avait mal au dos.

Notre projet, on l'a fait à l'église. On a dû laver le plancher, en tout cas, un grand ménage d'église. Et c'est l'homme qui a travaillé le plus. Ça a été une découverte car il a passé son temps à se lamenter pendant tout le programme, et puis ça a été l'homme le plus travaillant. Et comme on travaillait dur, il a dit : "Au lieu d'avoir une heure pour dîner, on va prendre une heure trente." Pis au bout d'une heure, il était rendu à l'église pour en faire. (B.)

Suite aux ateliers Nos compétences fortes et en dehors de la protection du groupe et de l'animatrice, les participantes et les participants qui sont passés à l'action semblent être pour le moment assez minoritaires dans les quatre organismes associés à la recherche. Ces personnes ont amorcé des changements concrets et significatifs dans leur vie (prise en charge de sa vie domestique, affirmation de soi dans la vie familiale ou dans la recherche d'un stage ou d'un emploi, etc.).

Il y en a une qui a changé beaucoup. Elle était très dépendante de ses soeurs, puis elle s'est pris un appartement, elle s'est fait confiance quand elle s'est aperçue qu'elle avait quatre ou cinq compétences, elle s'est dit : "Mon Dieu, j'sus capable defaire ça. " (K.)

Les témoignages laissent supposer que les ateliers NCF se situent surtout dans l'être et peu dans le faire. La clé «Intégrer» ainsi que les projets collectifs qui font appel à un passage à l'action méritent sans doute qu'on les explore un peu plus.

4. Effets positifs sur les milieux et sur les animatrices

4.1 Expérimentations stimulantes

Trois des programmes dans lesquels la démarche NCF est introduite sont de nouveaux programmes reliés à la préparation à l'emploi. Ce facteur de nouveauté des programmes SIS et des CJE a joué en faveur de NCF au moment de la première expérimentation.

Les entrevues en profondeur nous ont permis de découvrir, du moins chez les quatre organismes touchés par notre recherche, que tous sont, à des degrés divers, encore en processus d'expérimentation des ateliers NCF. De plus, le degré d'appropriation des fondements des ateliers NCF varie de façon importante d'une animatrice à l'autre. Le rodage est loin d'être terminé.

D'un groupe à l'autre, de nouveaux ajustements sont apportés afin d'améliorer la pratique. Les outils NCF sont «adoptés» (Louis, 1995) par les organismes et les animatrices dans la mesure où il est désormais acquis qu'ils continueront à les utiliser. Toutefois, on souhaite poursuivre des expérimentations (ex. déplacer un atelier) de manière à ce que la démarche soit mieux ajustée à la clientèle.

Le témoignage des quatre animatrices indique que les premières animations de NCF exigent beaucoup de temps et d'énergie, dans la relation avec le groupe ainsi que dans les retours (journal de bord, échanges dans le cas de coanimation, réorganisation du plan d'animation en fonction de ce qui s'est passé, etc.). En effet, il faut du temps pour s'approprier les concepts qui traversent la démarche NCF avant, pendant et après l'action de formation ; il faut du temps pour ajuster les ateliers aux réalités de la clientèle, avant et après chaque atelier ; il faut du temps pour impliquer ses collègues ; il faut du temps pour analyser les bons et les moins bons coups ; il faut du temps pour approfondir sa compréhension de la notion de compétences, de travail, de reconnaissance ; beaucoup de temps ...

La très grande hétérogénéité de la clientèle, et souvent le peu de moyens des formatrices et des formateurs pour œuvrer efficacement dans une telle hétérogénéité, est identifiée par une des coordonnatrices comme un élément expliquant le temps qu'il faut aux animatrices avant d'être à la fois confortables et efficaces dans leur animation de NCF.

Selon les témoignages obtenus, l'animation des ateliers Nos compétences fortes ne correspond pas à ce que le personnel enseignant du secteur formel (enseignement aux enfants) attend d'une nouvelle pratique à adopter. Le personnel enseignant serait «en tant que groupe plus enclin à adopter une nouvelle pratique pédagogique si celle-ci lui paraît pratique, concrète, et ne lui demande pas un investissement supplémentaire en temps, en énergie et en ressources» (souligné dans le texte, Louis, 1995, p. 48).

Il est fort possible qu'interviennent ici des caractéristiques propres aux secteurs d'éducation non formelle et/ou d'éducation aux adultes où l'apprentissage expérientiel serait un processus d'apprentissage ayant bonne presse. Les recherches en enseignement plus conventionnel ne peuvent pas être l'objet d'une transposition directe. Déjà, au moment des premières expérimentations des outils NCF, j'avais l'intuition que ce matériel avait plus de sens pour des formatrices et formateurs apprenant aisément par expérimentation active que pour celles et ceux qui apprennent mieux, par exemple, par conceptualisation abstraite (dimensions structurelles de Kolb, citées dans Bourgeault, 1994).

Le «savoir-reconnaître» ne peut s'apprendre que très partiellement dans les livres; il se vit. Nous vous recommandons donc avec insistance d'entreprendre une démarche personnelle de reconnaissance et d'en parler, aux moments opportuns, au cours des ateliers.(...)Il est nécessaire que vous vous accordiez le droit de faire des erreurs et que vous vous considériez, vous aussi, en processus de formation continue15.

La démarche NCF est perçue par F. comme «profondément insécurisante mais exaltante». L'insécurité est liée à l'importance donnée aux contenus apportés par le groupe (aux expériences et valeurs hétérogènes) et à l'impossibilité pour les animatrices de prédire ce qui se passera exactement dans les dynamiques de groupes.

Malgré les ressources exigées par l'animation de NCF, les coordonnatrices expliquent que leur organisme fait sa promotion dans leur environnement institutionnel : réseau d'appartenance (ex. alpha pop) , CTQ, bailleurs de fonds, organismes de la communauté, etc. L'adhésion de ces organismes à NCF est très grande. Elle repose sur les changements positifs observés chez les participantes et les participants et sur la grande satisfaction des personnes qui ont animé les ateliers.

4.2 Accroître son sentiment de compétence

Dans la section précédente, on a vu que la plupart des animatrices sont très satisfaites des résultats obtenus par les ateliers NCF. Pourtant, les résultats restent très mitigés dans quelques groupes. Par exemple, B. est déçue du peu d'apprentissages faits par ses trois groupes et elle se reconnaît peu dans le propos des autres sur les résultats obtenus.16 Pourtant, son enthousiasme face à la démarche NCF reste très grand. Le même enthousiasme se retrouve chez K. qui pourtant répète combien il a fallu d'énergie, de temps, de bénévolat pour parvenir à des résultats satisfaisants. Ce phénomène m'a amenée à dépasser les constats des animatrices face aux facteurs de satisfaction.

La grande satisfaction des animatrices semble s'expliquer aussi par la perception accrue de leurs propres compétences. À l'analyse des témoignages, on constate que la démarche NCF a permis aux animatrices de développer ou consolider une ou plusieurs compétences génériques. Ces compétences sont utiles pour l'exercice du métier, mais aussi dans la vie plus personnelle, familiale et sociale. Cinq compétences génériques ressortent de leurs propos. Il est possible qu'il s'agisse de compétences particulièrement utiles dans l'animation de Nos compétences fortes. Il s'agit de :

  • facilité à entrer en relation avec les gens ; facilité à tirer leçon de l'expérience ;
  • sens de l'observation ;
  • facilité à travailler sous pression ;
  • confiance en soi.

La reconnaissance de compétences génériques fortes aurait un effet significatif sur le développement de la confiance en soi.17

Risquer dans le fond. Je pense que c'est ça qui m'est venu en tête spontanément... au niveau du risque, prendre des risques, pas trop non plus, réfléchir, pas trop non plus, analyser, mais se lancer puis se laisser porter par... S'appuyer sur ses forces, c'est ça aussi. Oui, faire confiance, se laisser porter, prendre des risques... (A.)

De ce temps-là, moi, je risque énormément dans ma relation avec les gens intimes qui sont autour de moi. Moi je l'associe beaucoup à Nos compétences fortes et au développement de la compétence - confiance en soi - capacité de risquer, (F.)

L'animation de NCF contribuerait aussi à consolider la compétence pour animer des démarches visant des objectifs précis d'apprentissage. Les capacités correspondant à cette compétence seraient celles de :

  • saisir les occasions de mise en pratique ;
  • lier des expériences variées et hétérogènes entre elles ;
  • favoriser la construction de nouveaux savoirs à partir de savoirs antérieurs ;
  • favoriser l'apprentissage du vivre ensemble.

Voici une long extrait du témoignage de F. Ce témoignage, qui illustre bien cette compétence évolutive en animation de groupes en apprentissage, peut répondre à de nombreuses questions des animatrices et des animateurs qui en sont à leurs premières expérimentations de NCF.

J'ai beaucoup pris de notes d'observation. En ne pensant pas que ma mémoire s'en souviendrait. Je regarde mon journal de bord de la première année, il était très sérieux. La deuxième année, il y a quand même beaucoup de choses.

Une des affaires que je réalise le plus avec "Nos compétences fortes", c'est que si l'objectif que j'ai est vraiment que les gens se reconnaissent des compétences, ce n'est pas par moi que doit venir la valorisation de ce qu'ils disent. C'est d'abord par eux-mêmes, puis par le groupe. Je vois mon travail autrement. Travailler la notion d'exemple comme animatrice, ça a été aussi de saisir les occasions. Mais c'est fatigant. L'année dernière, je me souviens qu'un moment donné le monde disait : "Ah! pas encore des exemples." Comme si tout le monde le savait. J'ai été provocante. Moi, j'ai pas de problèmes là-dedans. Avant, j'en aurais eu mais maintenant, non. Je suis plus provocante, je suis confrontante.

Voici un exemple. Il y a deux semaines, il y a une fille qui dit, qui donne son exemple, et je demande : "D'après vous est-ce qu'elle vient de nous donner un exemple du sens de l'organisation ? " Et il y a un étudiant qui fait : "Tout à fait". "OK. Tu dis ça. Est-ce qu'il y en a d'autres qui sont du même avis ?" Et je vois des hochements de tête. Parfait. "Qu'est-ce qui, dans son exemple, nous dit que c'est le sens de l'organisation?" Pis là, le monde est bouche bée, et je fais : "Ben, vous venez de me dire que c'est tout à fait un exemple du sens de l'organisation, donc vous avez des indices qui nous disent pourquoi c'est un exemple de sens de l'organisation. " Et on a flotté là-dessus deux, trois, quatre minutes, cinq minutes, puis un moment donné, je dis : "Est-ce qu'il y en a qui trouvent que c'est pas un exemple de sens de l'organisation ?" Et là, il y a des personnes qui timidement se sont mises à dire : "Ben, pour moi, non. " Et là, woup! intéressant, une personne qui dit : "Ben, moi dans ce qu'elle dit, c'est plus le sens des responsabilités que je vois pour telle et telle raison." "Qu'est-ce que ça vous dit vous autres?" "Ah oui! pour telle et telle raison, c'est plus telle compétence".

Mais là, le gars qui m'a dit oui dit : "Je ne suis pas d'accord. J'y ai pensé et c'est pour telles et telles raisons, oui je trouve que c'est le sens de l'organisation." C'est le genre de chose, quand je dis confronter, c'est que je lui demande : "Tu vas me dire pourquoi" ça s'est raffiné un peu.

L'année dernière, il y a eu un moment où tout le monde disait que c'était évident. OK. On a repris les cartes des circonstances, puis je dis "C'est parfait. Tout le monde le sait, donc c'est tellement bien intégré que tout le monde va être capable, peu importe la carte qu'il choisit, de trouver un exemple qui va vraiment être percutant pour tout le monde ici. " Et on passe une carte de circonstance.

Je trouve qu'il faut toujours réactiver le mental des gens, c'est un peu ça que j'ai le goût de dire. De pas les laisser assis sur une première réponse. Jamais. (F. )

Cette compétence en animation est de plus en plus en demande en éducation, notamment avec l'arrivée des technologies de l'information et des communications (TIC) et la faveur accordée à la pédagogie coopérative et autres approches misant sur les savoirs antérieurs.

L'animation de NCF serait un lieu d'apprentissage, dans l'action, de compétences transférables dans de nombreuses autres activités éducatives ainsi que dans la vie quotidienne des animatrices.

4.3 Conditions favorables à l'utilisation de NCF

L'analyse des données permet d'identifier des conditions qui traversent l'expérience des quatre animatrices et qui pourraient expliquer le fait qu'elles adhèrent avec enthousiasme à la démarche Nos compétences fortes.

  • Les animatrices s'appuient beaucoup sur leurs croyances personnelles dans l'animation des ateliers NCF ;
  • les animatrices ont intégré la reconnaissance dans leur vie personnelle et dans leur vie professionnelle ;
  • les animatrices travaillent dans une perspective d'apprentissage à long terme ;
  • les animatrices devaient faire face situations nouvelles au moment où elles ont commencé à animer NCF.

Les croyances personnelles des formatrices, pas toujours les mêmes, semblent avoir joué un rôle clé dans le processus d'appropriation. Deux d'entre d'elles utilisent spontanément l'expression «J'y crois !» en parlant de la démarche NCF. Les coordonnatrices à qui j'ai parlé sont également convaincues de la pertinence de la démarche NCF pour la clientèle à qui leur organisme offre des services de formation. Sans ces convictions initiales, l'intégration de NCF dans les programmes paraît peu probable.

Pourtant, et tout comme ailleurs en éducation (voir Meirieu, 1995), les convictions, voire le militantisme des formatrices et des formateurs, ne garantissent pas les apprentissages.

J'ai pas la satisfaction de dire que dans ce groupe ils ont appris quelque chose. Mon premier groupe, les apprentissages ont été nuls. Mais j'y crois, j'y crois beaucoup. Je trouve plaisant de le donner et puis ils ne m'ont pas déboussolée, moi personnellement. J'ai dû m'ajuster trois fois. (B.) 18

L'outil de première génération, Question de compétences, s'adressait à des intervenantes œuvrant dans des organismes ou des programmes s'adressant spécifiquement aux femmes et ayant une histoire relativement commune (Bélisle, 1997b). Ce n'est plus le cas avec Nos compétences fortes puisque les organismes qui offrent des formations visant l'intégration sociale et/ou professionnelle des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit viennent d'histoires et d'horizons multiples où se croisent, depuis longtemps, des élans de charité, de solidarité et d'aide professionnelle.19

Je crois aux gens. C'est ce qui m'a amené en éducation populaire, c'est mon idée d'origine. Pendant que je suis en apprentissage, je veux faire des liens vite avec ce que je pourrais faire avec ça, tout le temps, mais tout le temps tourné vers les personnes, les clientèles avec lesquelles je suis en relation depuis des années, c'est-à-dire les personnes analphabètes. Partager avec les gens. (F.)20

J'ai toujours été bien avec des gens démunis, tout le temps. J'ai travaillé pendant 14 ans en alpha, ça veut tout dire. Ce sont des gens qui n'étaient pas beaucoup intéressés à l'école. Mais je me suis toujours bien arrangée avec eux autres. Ils se sentent à l'aise avec moi aussi. (B.)

Bien que notre recherche ne permette pas d'approfondir le phénomène, il semble y avoir une correspondance entre les apprentissages faits par les participantes et les participants au cours de la démarche NCF et la conception des animatrices des potentialités des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit et de la valeur de leur travail passé, présent et à venir (à ce sujet, voir le point 3.3). Les travaux sur l'effet Pygmalion trouvent ici un nouvel écho. Ces travaux avaient révélé que des enseignants convaincus du potentiel de leurs élèves peuvent les aider à relever leur moyenne scolaire de façon significative (Rosenthal et Jacobson, 1973).

5. (Re)connaître les convictions qui nous animent

Les effets positifs de Nos compétences fortes seraient, à bien des égards, à la remorque des dispositions initiales et des convictions des formatrices et des formateurs et de leur adhésion réelle aux principes énoncés dans la première partie du Manuel des animatrices et des animateurs (Bélisle, 1995a). Le sens qu'elles accordent au travail et aux projets collectifs serait particulièrement déterminant.

Les projets collectifs menés dans le cadre des ateliers Nos compétences fortes paraissent essentiels pour stimuler la mise en pratique du savoir-reconnaître (découvrir, exprimer, valoriser, intégrer) et parvenir aux effets positifs identifiés précédemment. Au fil de leur pratique, des animatrices ont commencé à introduire le projet collectif beaucoup plus tôt que ce que nous suggérons dans le manuel. Cet ajustement comporte de nombreux avantages, notamment pour une large partie de la clientèle avec laquelle on utilise NCF. Gens d'action, bien plus que ce que la rumeur sociale et les préjugés laissent croire, les personnes peu scolarisées se montrent très ouvertes aux apprentissages dans le travail et dans l'action.21

Toutefois, la recherche n'a pas permis de recueillir beaucoup de données sur les projets collectifs. Dans les quelques exemples donnés, les animatrices ont mis l'accent sur des activités manuelles et physiques.22 De plus, l'organisation du travail mentionnée peut être apparentée à celle qui est mieux connue par les adultes en formation, soit la division tayloriste.

Par ailleurs, la vision du travail dans son sens large ne semble pas être encore très acceptée/intégrée par les animatrices, les participantes et participants. Il s'agit ici de ne pas confondre travail et emploi. Il s'agit d'une rupture avec le discours social dominant. Cette rupture origine de la transposition d'une analyse féministe de la division du travail (voir Bélisle, 1995a, p. 17, p. 175). Par exemple, une grande partie du travail dans la sphère privée (occupée traditionnellement par les femmes) est encore invisible et invisibilisée. Par ricochet, une grande partie du travail des personnes sans emploi est aussi invisible et invisibilisée.

Moi je trouve que ça donne beaucoup de valeur au travail accompli dans leur vie jusqu'à maintenant. Alors, ce n'est pas la question d'emploi,mais de travail accompli dans sa vie jusqu'à maintenant et ça, c'est particulièrement vrai pour les femmes. Les jeunes femmes y compris. Pour la majorité d'entre elles, dans les trois groupes que j'ai animés, avoir des enfants, s'en occuper, être responsable, c'est normal, ça fait partie de la "game". Quand on fait le tour des exemples et qu'elles réalisent que c'est pas ça pour tout le monde, ça prend un temps avant qu'elles donnent de la valeur. Tu te rappelles Rachel, j'accrochais beaucoup à travail, emploi. J'avais de la misère avec ça. Moi les gens avec qui j'ai travaillé "Nos compétences fortes" n'avaient aucun problème avec ça. Es saisissaient très bien c'était quoi du travail et ils saisissaient très bien c'était quoi de l'emploi. Parce que étant non-travailleurs dans le langage courant, ils savent quand même qu'ils travaillent. "Nos compétences fortes" ça a été de mettre beaucoup de valeur dans du travail accompli jusqu'à maintenant qu'on avait pris pour n'étant pas du travail. (F.)

Les ateliers NCF ont notamment pour propos de rendre visible ce travail des sans-emploi. Il s'agit d'une piste pour tenter de redonner du sens à la vie de très nombreuses personnes exclues du marché de l'emploi ; accroître la mobilité des personnes entre différents lieux de travail ; favoriser la création de passerelles dans la société éducative dont plusieurs font la promotion (Delors, 1996, Commission canadienne pour l'UNESCO, 1997).

Ces questions sont abordées rapidement dans les outils Nos compétences fortes puisque nous avons choisi de nous centrer sur la pratique. Les apports théoriques y ont été intentionnellement limités, et vulgarisés, afin de tenir compte de la relation à la théorie de la plupart des personnes visées23. Sans contredit, ces outils couvrent large et peuvent donner lieu à de multiples interprétations.

La publication s'est distanciée des cadres scientifiques les plus (re)connus et nous avons préféré travailler à partir de fils conducteurs relevant de la «connaissance ordinaire» (Coulon, 1996). Ces outils, appartenant au monde de l'éducation non formelle, proposent un processus souple et ouvert «valorisant la prise en compte et l'expression du vécu des gens et des milieux, et n'ayant pas de prétention scientifique» (Bélisle, 1995a, p. 178). Toutefois, une lectrice ou un lecteur qui possède déjà une grille d'analyse des grands courants en éducation, ou qui s'intéresse aux grands paradigmes scientifiques, peut trouver dans les outils NCF des points d'ancrage au courant constructiviste et au paradigme de la complexité (Mucchielli, 1996). Mais ce sont certainement les origines féministes (dans le sens de l'effort de (re)construction de personnes, families et collectivités sans division sexuelle du travail) qui marquent le plus profondément les regards et les structures choisies dans NCF.

La transposition féministe vient de l'outil de première génération, Question de compétences, un outil au service des femmes (QC). Cet outil véhicule aussi une vision large du travail. Dans une enquête menée en 1994 auprès de 20 organismes ayant acheté QC, on a noté que même des organismes de femmes qui utilisent QC ne partagent pas nécessairement cette vision du travail (Bélisle, 1997b). Le consensus sur la question du travail semble hors de portée.

Une des autres caractéristiques de Question de compétences est son souci de l'inclusion des femmes (Solar, 1996). Il s'agit d'un important trait familial dont a hérité Nos compétences fortes. En effet, dans le processus d'élaboration de NCF, la préoccupation féministe d'inclusion des femmes est demeurée, qu'elles fréquentent des organismes de formation mixtes ou non mixtes. Des animatrices perçoivent d'ailleurs les parentés avec l'intervention féministe.

C'est vraiment une approche féministe : égale à égale. Nous autres (les co-animatrices) on le sentait. Les apprenants le sentaient aussi. Es se sont ouverts à ça. (K.)

La publication de Nos compétences fortes s'inscrit dans une société en profonde mutation où les nouvelles technologies et les savoirs complexes misent sur une forte appropriation de l'écrit. Dans cette nouvelle société du savoir (sic), les enjeux sont de taille.24 Si le souci des organismes de formation en vue de favoriser l'inclusion des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit, hommes et femmes, est partagé par plusieurs, plus grand monde ne croit à une réponse universelle.

Dans cette société en mutation, le travail réel est appelé à devenir «objet de parole et de pensée» (Jobert, 1993) et l'éducation se fera «tout au long de la vie» (Delors, 1996). Les formatrices et formateurs qui souhaitent favoriser l'inclusion des adultes peu ou pas à l'aise avec l'écrit doivent être soutenus dans un travail d'élucidation de leur propre rapport à l'action, au travail et à l'écrit.

Ce que le formateur doit faciliter est clair et en même temps extrêmement difficile à réaliser : dire l'activité, mettre des mots sur l'expérience singulière du travail, formaliser les savoirs produits dans l'effectuation de la tâche en situation, penser enfin l'activité, c'est-à-dire s'interroger sur sa signification et le sens qu'on y investit soi-même. 25

Conclusion

La recherche sur les effets positifs des ateliers NCF permet d'affirmer que, dans certaines conditions, les ateliers Nos compétences fortes permettent des transformations d'attitudes vis-à-vis des autres ; un bond qualitatif de l'estime de soi ; plus de réflexion intérieure ; le développement ou la consolidation de compétences génériques ; l'acquisition d'un nouveau vocabulaire ; la mobilisation de compétences fortes pour vivre des situations nouvelles.

L'analyse des données permet aussi de constater que le travail d'animation de la démarche Nos compétences fortes contribue à la reconnaissance et à la consolidation de compétences des animatrices.

La popularité actuelle des compétences génériques dans le monde du travail (emploi, bénévolat, famille, etc.) militent en faveur d'outils comme NCF. La confirmation que la démarche Nos compétences fortes peut, dans certaines conditions, favoriser le développement de compétences génériques est donc particulièrement intéressante pour les organismes de formation.

Mais la recherche révèle également que l'animation de Nos compétences fortes exige du temps et de l'énergie ainsi qu'une profonde conviction dans les potentiels des adultes peu ou pas à l'aise avec l'écrit et dans la richesse de leurs expériences de travail. Il n'est pas certain que tous les organismes et personnel du monde de l'éducation qui s'intéressent aux compétences génériques ont ces ressources et ces convictions-là.

Cette modeste recherche (ancrée par ailleurs dans de solides convictions...) confirme le grand intérêt des travaux sur la reconnaissance des compétences génériques des personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit. J'espère que le présent rapport met suffisamment en valeur l'importance de recherches en profondeur, souhaitées depuis longtemps par plusieurs des artisanes et artisans de NCF. Ces recherches nous sont nécessaires pour favoriser la diffusion des outils Nos compétences fortes ; pour susciter des réflexions sur les pratiques et un plus grand partage d'expériences ; pour une meilleure (re)connaissance des compétences, réalités et potentialités des adultes peu ou pas à l'aise avec l'écrit et des formatrices et formateurs qui les accompagnent dans le long processus d'appropriation de l'écrit.

Rachel Bélisle Durham Sud, mai 1998

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Quelques adresses Internet

Plusieurs des documents de référence se trouvent au Centre de documentation en éducation des adultes et en condition féminine : CDEACF, 1265 rue Bern, bureau 340, Montréal, téléphone 844-3674, http://www.cam.org/cdeacf.

Pour en savoir plus sur les publications de l'ICÉA, vous pouvez consulter le site http:// www, communautique.ac. ca

Pour en savoir plus sur le rapport Delors vous pouvez consulter le site Internet de l'UNESCO à Paris http://www.unesco.org

Notes

1 Ce projet est financé par le Secrétariat national à l'alphabétisation. Deux groupes de personnes y sont associés de près. Il s'agit du comité aviseur du projet composé de Dominique Geoffroy (Partance de Drummondville), Danielle Marchessault {Ludolettre de Saint-Léonard d'Aston), Odette Turner (Table interrégionale en alphabétisation), Lucie Richard (milieu de l'éducation), Jean-Marie Martin {Secrétariat national à l'alphabétisation) et de l'équipe de formation NCF composée de Martine Roy, conseillère en orientation et coordonnatrice de Virage-Carrefour-Jeunesse Emploi du comté Iberville-Saint-Jean et de trois travailleuses et travailleur autonomes. Il s'agit de Françoise Lefebvre et Georges April, formatrice et formateur issus du milieu de l'alphabétisation populaire et de Rachel Bélisle, réalisatrice des outils Nos compétences fortes. Françoise Lefebvre assure la coordination de ce projet, Lina Trudel (septembre 1996 à mars 1998) puis Bernard Normand en ont assuré l'encadrement pour l'ICEA.
2 Vous trouverez en bibliographie des titres d'articles d'information sur Nos compétences fortes.
3 Aucun organisme sélectionné ne nous a référé d'animateur. Voilà pourquoi nous parlerons dans ce texte d'animatrices.
4 Extrait du cadre de recherche, septembre 1997.
5 Cette analyse a été faite à l'aide de la version 4 du logiciel QSR Nud*ist (Sage Publications). Merci à Sylvain Bourdon, professeur à l'Université de Sherbrooke, ainsi qu'au groupe de l'hiver 98 du cours EDU 708, qui ont facilité mon initiation à ce logiciel.
6 Plusieurs commissions scolaires débutant un programme SIS se sont procuré les outils NCF depuis 1995.
7 Le milieu québécois de l'alphabétisation populaire s'est montré très intéressé aux outils NCF lors des sessions offertes en 1997. Toutefois, peu d'organismes avaient expérimenté la démarche complète à l'automne 1997. Un autre organisme d'alphabétisation populaire avait été recruté mais l'animatrice n'a pu être rencontrée à cause de graves problèmes de santé.
8 Cette expérience fut cependant très approfondie : 15 semaines à raison de 6 heures par semaine.
9 Les témoignages sont rapportés avec le vocabulaire et les constructions de phrases des personnes rencontrées. Toutefois, j'ai procédé à des coupures de répétitions et d'hésitations ainsi qu'au retrait de mes questions, et ce afin de faciliter votre lecture.
10 Lors d'une rencontre récente avec des travailleurs ayant participé à une expérimentation des ateliers NCF en formation en entreprise, on observe le même phénomène. Les changements qui frappent beaucoup les participants concernent leurs attitudes face aux autres et la reconnaissance des compétences fortes de leurs pairs. L'ICÉA prépare des guides d'intégration de la reconnaissance de compétences génériques en formation en milieu de travail (rémunéré ou non). Ils seront disponibles a l'automne 1998.
11 Extrait de la Fiche 6 de la Trousse d'animation sur le Rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le 21e siècle (Commission canadienne pour l'UNESCO, 1997).
12 C. et Y. ont participé à la démarche complète de reconnaissance de compétences génériques fortes, incluant le projet collectif. M. a vécu les ateliers NCF sur une période beaucoup plus courte et de façon plus sommaire, sans projet collectif. Cette donnée joue en faveur de l'utilisation de la démarche complète NCF et des projets collectifs.
13 Voir les extraits d'entrevues de M. (p.8), de C. (p. 15), de Y. (p. 16).
14 Extrait de «Les lectrices et les lecteurs directement visés par ce manuel» (Bélisle, 1995a, p. 12).
15 Extrait du Manuel des animatrices et des animateurs, Nos compétences fortes, p. 13.
16 Le SIS où intervient B., au contraire des deux autres organismes d'intégration en emploi (CJE et SIS), ne constitue pas les groupes sur la base de leur motivation. Ceci peut avoir un effet majeur sur les résultats.
17 Au moment des premières expérimentations de la démarche NCF, nous avions constaté que peu de formatrices et de formateurs en alphabétisation et en insertion en emploi se reconnaissaient la confiance en soi comme compétence générique forte. Cette observation est récurrente dans les formations données depuis deux ans. La confiance en soi semble, pour le moment, plus fréquente chez les formatrices et formateurs en entreprises ou en formation professionnelle.
18 Il paraît important de rappeler que les groupes de B. ne sont pas l'objet de sélection. Les gens sont contraints à participer au programme en vertu des mesures d'aide sociale. La critique des parcours d'insertion obligatoires est vive au Québec. L'ICEA et ses partenaires préparent un colloque pour l'automne 1998 afin de mieux comprendre les enjeux sociaux, politiques, économiques et pédagogiques derrière une telle obligation.
19 Je réfère ici au trois formes d'aide telles qu'elles sont développées par M. Talegliani (1981).
20 F. comme d'autres formatrices et formateurs intervenant aujourd'hui en milieu scolaire ne renient pas du tout leurs origines d'alphabétisation populaire. Le métissage est là aussi assez courant.
21 Il y a un terrible paradoxe dans le discours social sur les personnes peu scolarisées. D'un même trait il arrive qu'on nous dise que ces personnes agissent trop vite (sans réfléchir et sans comprendre, ajoute-t-on) et que ce sont des personnes tellement passives...
22 Une recherche plus approfondie sur les projets collectifs vécus dans la démarche NCF est souhaitable. Des projets collectifs mentionnées (ex. visite et cadeaux à des personnes âgées, organisation de la fête de la Saint- Jean) ont certainement fait appel à du travail avec les idées et avec les personnes, mais les animatrices ont surtout parlé et analysé des situations de travail se rapportant à des activités manuelles et physiques.
23 La dualité théorie-pratique est récurrente en formation des praticiennes et des praticiens. S'il est vrai que plusieurs évitent les textes théoriques, je persiste à croire que nous sommes nombreuses et nombreux a être a l'affût d'ancrages théoriques qui donnent du sens à nos pratiques.
24 Les travaux récents de l'ICÉA sur l'accessibilité des services publics aux personnes peu ou pas à l'aise avec l'écrit offrent des pistes de réflexion et d'action sur le fossé qui existe dans la société québécoise entre les personnes appartenant au inonde de l'écrit et les autres. Voir Bélisle, 1997a.
25 Extrait de «Les formateurs et le travail, Chronique d'une relation malheureuse» 0obert, 1993).
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