Mémoire concernant le Projet de loi 87 : Problématique reliée à la situation des personnes ayant des limitations fonctionnelles

Confédération des Organismes de Personnes Handicapées du Québec (COPHAN)

Comité de travail sur la réforme de l'aide juridique

Novembre 1995

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

1. PRINCIPES DE BASE

1.1 Le droit à la consultation et à l'assistance

1.2 Droit et situation de handicap

1.3 Répondre aux besoins de la clientèle

1.4 Services de qualité comparable

1.5 Droit au service des socialement faibles

1.6 Avantages accordés aux bénéficiaires

2. ÉLIMINER LES OBSTACLES À L'AIDE JURIDIQUE POUR LES PERSONNES AYANT DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES

2.1 Obstacles architecturaux

2.2 Obstacles reliés à l'accès à l'information

2.3 Obstacles reliés au manque de connaissance de la réalité des personnes ayant des limitations fonctionnelles par les professionnels et les intervenants de la justice

3. LES CONDITIONS D'ADMISSIBILITÉ À L'AIDE JURIDIQUE

3.1 Revenu brut hebdomadaire

3.2 Pouvoir discrétionnaire des directeurs

4. ÉTENDUE DE LA COUVERTURE

CONCLUSION

INTRODUCTION

Les personnes handicapées rencontrent des difficultés sérieuses lorsqu'il s'agit d'exercer leurs droits. En plus des obstacles communs à l'ensemble de la population, elles font face à des obstacles supplémentaires directement reliés à leurs limitations fonctionnelles.

Tel que mentionné dans le rapport Macdonald et dans le rapport du sous-groupe de travail sur les personnes handicapées lors du Sommet de la Justice, les personnes ayant des limitations fonctionnelles font face à un grave problème d'inaccessibilité à la Justice. Elles rencontrent des barrières architecturales qui limitent leur accès aux services juridiques. Elles rencontrent également d'énormes barrières quant à l'accès à l'information concernant leurs droits et leurs obligations. Le degré élevé de communication qu'exige le système judiciaire est un obstacle souvent plus grand que les limitations fonctionnelles réelles de la personne handicapée.

Tel qu'il est mentionné dans le document L'aide juridique au Québec : une question de choix, une question de moyens, les individus ont, de nos jours, de plus en plus de motifs de recourir à la justice. Les personnes ayant des limitations fonctionnelles ont donc de plus en plus de motifs de se sentir exclues du système qui devrait leur permettre de faire valoir ou d'assurer la défense de leurs droits.

L'aide juridique est un volet essentiel du système de justice. Puisque c'est le devoir de l'État d'assurer l'accès à la justice aux plus démunis, il est indispensable que la problématique propre à la réalité des personnes ayant des limitations fonctionnelles soit connue, considérée et retenue dans l'élaboration de la politique régissant le programme d'aide juridique.

1. PRINCIPES DE BASE

Les principes de base régissant l'existence du programme d'aide juridique au Québec doivent être appliqués à la réalité particulière des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Ce qui n'est pas le cas en ce moment. Nous comprenons difficilement qu'aucune des recommandations présentées par le sous-groupe de travail sur les personnes handicapées lors du Sommet de la Justice de 1991, n'aient été retenues et entérinées à ce jour.

Certains éléments du discours de l'Honorable Jérôme Choquette lorsqu'il a présenté le projet de Loi de l'aide juridique en 1972. feront mieux comprendre la nécessité de voir à l'application de ces recommandations. Les objectifs et les facteurs qui doivent sous-tendre un système d'aide juridique valable et réaliste sont plus que pertinents dans la justification des demandes que nous faisons.

1.1 Le droit à la consultation et à l'assistance

" N'avons-nous pas le même devoir fondamental de voir à ce que, sur le plan juridique, ceux qui ont un urgent besoin de défense dans le système juridique et l'appareil judiciaire complexe que nous connaissons se voient reconnaître le droit à la consultation et à l'assistance alors que leur situation financière ne leur permet pas de jouir de la plénitude de leurs droits comme êtres humains ? "1

Il est important de réaliser l'amplitude réelle du fardeau financier que les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent assumer. Les coûts supplémentaires directement reliés à leurs limitations fonctionnelles ne sont malheureusement jamais considérés à leur juste valeur. Afin de respecter l'équité de l'accessibilité au droit à la consultation et à l'assistance, il faut donc évaluer la situation financière des personnes handicapées en soustrayant tous les coûts supplémentaires inhérents à leurs limitations fonctionnelles. Nous réaliserons alors combien de ces personnes ne peuvent actuellement pas jouir de la plénitude de leurs droits comme être humain.

Les coûts inhérents à une maladie, à une déficience, à une incapacité ou à une limitation fonctionnelle sont pourtant une réalité reconnue par certaines politiques ministérielles. Il est temps que cette réalité soit appliquée dans les politiques du ministère de la Justice et particulièrement, dans le programme d'aide juridique.

Les coûts additionnels inhérents à une limitation fonctionnelle sont toutes dépenses qu'une personne n'aurait pas à assumer si ce n'était de la présence d'une déficience, d'une incapacité ou de limitations fonctionnelles. Il existe une liste variée de ces coûts. Pour n'en mentionner que quelques uns, pensons aux nombreux aides techniques et équipements qui facilitent la vie mais qui ne sont pas remboursés par la RAMQ ou un autre agent payeur, les frais d'interprétariat (gestuels ou oralistes), les coûts reliés au grand ménage annuel du logement, les coûts de déneigement et d'entretien, les frais de livraison de l'épicerie, les frais de réparations des aides techniques, l'usure prématurée et les modifications aux vêtements, etc.

1.2 Droit et situation de handicap

" Les économiquement faibles doivent avoir recours à des avocats spécialisés (…) ayant une connaissance précise des lois et des règlements qui touchent cette catégorie de personnes dans leur contexte social spécifique ."2

Cet objectif se doit d'être généralisé à la réalité des personnes ayant des limitations fonctionnelles. C'est d'ailleurs l'essence de l'ensemble des recommandations présentées par le sous-groupe de travail sur les personnes handicapées lors du Sommet de la Justice. Il est primordial que les intervenants de la justice aient une connaissance adéquate de la problématique des personnes handicapées afin que ces dernières puissent exercer valablement leurs droits.

Ceci implique donc qu'il faut s'assurer d'éliminer tous les obstacles à l'accès au programme d'aide juridique pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

1.3 Répondre aux besoins de la clientèle

" Chaque élément d'un système valable d'aide juridique… (doit) conjuguer leurs efforts pour faire en sorte que le système proposé, réponde aux besoins de ceux qu'ils doivent servir ."3

Pour que les services offerts aux personnes qui ont des limitations fonctionnelles soient équitables, nous retenons la mise en application des recommandations du sous-groupe de travail sur les personnes handicapées lorsqu'il mentionne la nécessité de créer un " Service-Conseil ". Ce service aurait pour mandat de s'assurer que la formation et l'éducation de tous les intervenants de la justice soit complète et adéquate en ce qui concerne les besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Ceci implique donc que les intervenants de l'aide juridique soient informés et éduqués relativement aux besoins de toutes les personnes ayant des limitations fonctionnelles afin qu'elles puissent exercer valablement leurs droits.

1.4 Services de qualité comparable

" Un mandat confié en vertu de la Loi de l'aide juridique doit recevoir autant de soin et d'attention de la part d'un avocat que celui qui lui est confié par des clients solvables dans la pratique privée. "4

Pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles, il est très difficile de trouver un avocat qui connaisse leurs besoins réels. Parmi l'ensemble des avocats, il y a une grave pénurie de professionnels qui répondent à cette exigence. C'est pourquoi le maintien de la mixité du régime et le maintien du libre choix de l'avocat par le bénéficiaire est essentiel.


1.5 Droit au service des socialement faibles

" Un programme d'aide juridique valable doit viser à (ce) qu'il y ait progrès du droit au service des économiquement faibles. "5

Nous jugeons essentiel de changer le terme " économiquement faibles " par " socialement faibles ". Il ne faut toutefois pas retirer cette notion, comme le fait le projet de loi. Les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont des personnes défavorisées socialement (tout en étant économiquement défavorisées dans la majorité des cas). Les obstacles sociaux et financiers - non reconnus - auxquels ces personnes doivent faire face dans leur quotidien, sont très lourds. Afin d'assurer une équité dans les services offerts par un programme d'aide juridique, il faut s'assurer que tous les groupes de personnes socialement défavorisées soient concernés et intégrés dans le programme. Le programme d'aide juridique pourrait alors permettre le progrès du droit au service des " économiquement faibles " et au service des personnes ayant des limitations fonctionnelles (ce qui n'est pas le cas en ce moment).

Il est d'autant plus étonnant de voir que le projet de loi cherche à couper dans les services couverts lorsqu'on réalise que la clientèle qui devait être desservie lors de l'application du système d'aide juridique en 1972 ne l'est plus. Comment pourrait-elle l'être alors qu'il n'y a eu aucune indexation des seuils d'admissibilité depuis 1985 !

1.6 Avantages accordés aux bénéficiaires

Selon la Loi sur l'aide juridique, l'aide juridique signifie : " (…) tout avantage accordé (…) à une personne économiquement défavorisée ayant pour objet de lui faciliter l'accès aux tribunaux, aux services professionnels d'un avocat ou d'un notaire et à l'information nécessaire sur ses droits et obligations. "6

Nous avons déjà mentionné les raisons sous-jacentes à l'inaccessibilité actuelle aux services juridiques pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Ces raisons sont regroupées dans le texte de loi conne justification à l'existence même d'un programme d'aide juridique. Qu'attendons-nous pour étendre ces services aux personnes handicapées socialement défavorisées mais non défavorisées économiquement (selon les barèmes d'admissibilité) ? Elles ont également le droit qu'on leur facilite l'accès aux tribunaux, aux services professionnels d'un avocat ou d'un notaire et à l'information nécessaire sur leurs droits et leurs obligations. De fait, leurs besoins à ce niveau sont encore plus grands qu'une grande majorité de la population en général.

L'exemption du paiement des honoraires judiciaires et extrajudiciaires d'un avocat ou d'un notaire, des frais de cour, des honoraires du huissier et du sténographe et des frais d'expert est également essentiel pour la personne handicapée qui cherche à se prévaloir de ses droits

2. ÉLIMINER LES OBSTACLES À L'AIDE JURIDIQUE POUR LES PERSONNES AYANT DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES

L'accès à la justice est une garantie accordée par la Charte canadienne des droits de la personne et par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Nous savons toutefois que cet accès à la justice n'existe pas pour une grande partie des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Les droits des personnes handicapées existent, mais les moyens pour les exercer valablement font défaut.

Nous croyons essentiel que l'accès aux services juridiques de tous les types de tribunaux soit amélioré et développé là o;u il est inexistant. Pour ce faire, il faut éliminer les problèmes suivants :

  • les obstacles architecturaux ;
  • les obstacles reliés à l'accès à l'information ;
  • les obstacles reliés au manque de connaissance de la réalité des personnes handicapées par les professionnels et les intervenants de la justice ;
  • les obstacles reliés aux critères d'admissibilité à l'aide juridique.

2.1 Obstacles architecturaux

Plusieurs recommandations on déjà été faites au Ministère concernant l'absence d'accessibilité universelle dans les édifices et les bureaux des intervenants de la justice. Les propositions 31, 32, 33 et 34 du Sommet de la Justice font état des difficultés pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles d'avoir accès, de façon autonome, à l'ensemble des services et commodités normalement accessibles à l'ensemble de la population. Ce phénomène avait également été soulevé dans le rapport Macdonald, dans les recommandations 113 et 114.

L'accessibilité universelle est un concept reconnu qui permet de répondre aux besoins de l'ensemble des personnes ayant des limitations fonctionnelles ainsi qu'aux personnes âgées. Il faudrait s'assurer que les bureaux des professionnels adhérant au programme d'aide juridique soient universellement accessibles aux personnes handicapées.

2.2 Obstacles reliés à l'accès à l'information

Les recommandations 28 et 35 du Sommet de la Justice ainsi que les recommandations 97 et 111 du rapport Macdonald, reflètent cette réalité. Non seulement l'information doit être disponible aux personnes handicapées, mais elle doit également être adaptée aux limitations fonctionnelles de ces personnes.

Cet accès à l'information réfère non seulement à la connaissance des droits, obligations et recours des personnes handicapées, mais également à ceux auxquels tout citoyen peut avoir accès. C'est ainsi que les situations d'abus exercées à l'endroit des personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent être considéré et que l'information relative aux procédures possibles soient mise de l'avant et entérinée par les intervenants de la justice.

Dans cette optique, il est essentiel de maintenir l'accès à la consultation dans les services couverts par le programme d'aide juridique. C'est un des rares moyens encore disponible aux personnes handicapées leur permettant de connaître minimalement leurs droits.

2.3 Obstacles reliés au manque de connaissance de la réalité des personnes ayant des limitations fonctionnelles par les professionnels et les intervenants de la justice

Puisque l'un des objectifs qui doit sous-tendre un programme valable et réaliste est que les clients aient accès à " des professionnels qui ont une connaissance précise des lois et des règlements qui touchent cette catégorie de personnes dans leur contexte social spécifique ."7 Il est primordial que les professionnels et les intervenants de la justice acquièrent une connaissance du contexte social spécifique aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Puisque cette condition est reconnue pour les personnes défavorisées économiquement, nous comprenons mal qu'elle ne le soit pas pour les personnes handicapées qui sont défavorisées socialement. Comme il est mentionné dans le rapport du Sommet de la Justice :

" À l'instar des membres du groupe de travail sur l'accessibilité à la justice (le groupe de travail Macdonald), les participants ont souligné qu'en ce qui concerne les personnes handicapées, ce ne sont pas les droits qui font défaut mais davantage les moyens pour les exercer valablement. À cet égard, le participants ont été unanimes à conclure que le manque de connaissance de la problématique des personnes handicapées, par les intervenants de la justice, constituait un obstacle d'importance à l'accessibilité à la justice."8

Que deux groupes de travail sur l'accessibilité à la justice, mandatés par le Gouvernement en arrivent aux mêmes conclusions, c'est que le problème est réel. Mais qu'aucune de ces recommandations n'ait encore été considérée et instituée, c'est aberrant !


3. LES CONDITIONS D'ADMISSIBILITÉ À L'AIDE JURIDIQUE

Nous croyons que les principes de base inhérents au programme d'aide juridique sont pertinents et adéquats. Il faudrait cependant, les transposer à la problématique des personnes ayant des limitations fonctionnelles. À l'heure actuelle, une personne handicapée qui reçoit des revenus, autres que ceux de l'aide sociale, n'est pas admissible à l'aide juridique. Nous jugeons essentiel de modifier cette situation pour tous les motifs qui ont été élaborés plus tôt dans ce document.

3.1 Revenu brut hebdomadaire

En comparant avec les programmes des autres provinces. Nous remarquons que le barème québécois d'admissibilité économique au régime d'aide juridique est l'un des moins élevé. Pourtant, 21 % des personnes ayant des limitations fonctionnelles au Canada, résident au Québec et elles représentent 15 % de la population québécoise.9 Est-ce à dire que les personnes ayant des limitations fonctionnelles du Québec ont moins d'accès aux services de la justice que leurs confrères et consœurs des autres provinces ?

En examinant la répartition des bénéficiaires selon leur source principale de revenus, nous remarquons que seulement 2,23 % des bénéficiaires recevaient des revenus de la Régie des rentes du Québec. 10 Doit-on comprendre que les autres personnes ayant des limitations fonctionnelles qui auraient eu besoin de services de la justice faisaient partie du 38,73 % qui recevaient de l'aide sociale ? Combien de personnes ayant des limitations fonctionnelles, ne recevant pas d'aide sociale, n'ont pu se prévaloir de leurs droits parce que leur revenu brut hebdomadaire était supérieur au seuil d'admissibilité mais que leurs dépenses directement reliées à leur maladie, leur déficience, leurs incapacités ou leurs limitations fonctionnelles les empêchaient de pouvoir payer les services de la justice en pratique privée ? Nous n'avons malheureusement pas de réponse à fournir. Mais nous savons que ces personnes existent puisque certaines d'entre elles nous ont lancé des appels à l'aide.

Selon nous, le niveau actuel des seuils d'admissibilité au régime d'aide juridique compromet l'accès à la Justice pour les personnes handicapées. Les seuils d'admissibilité devraient être modulés pour tenir compte de situations particulières. Ainsi, il serait important de soustraire des revenus, non seulement les allocations familiales, mais aussi tous les revenus autres que des revenus d'emploi. Mais il faut aussi aller plus loin si nous voulons vraiment que les personnes ayant des limitations fonctionnelles aient accès aux services de la justice. Il faudrait également soustraire du revenu toutes les dépenses inhérentes à la maladie, à la déficience, aux incapacités et aux limitations fonctionnelles.

Comment peut-on justifier l'augmentation des barèmes d'admissibilité financière pour les familles et négliger les personnes seules ? On ne peut parler d'accès véritable à la justice sans augmentation immédiate des seuils d'admissibilité pour tous. En négligeant les personnes seules, on fait en sorte que les personnes travaillant au salaire minimum, les personnes âgées recevant le supplément de la pension de vieillesse, les personnes qui sont " soutien financier " à la sécurité du revenu et qui participent à des mesures d'employabilité et des personnes qui reçoivent une rente d'invalidité n'auront pas accès à l'aide juridique.

3.2 Pouvoir discrétionnaire des directeurs

Le principe sous-jacent à l'attribution d'un pouvoir discrétionnaire aux directeurs nous apparaît pertinent. Là où nous nous dissocions de la pratique c'est lorsque ce pouvoir est relié à un budget fermé et que cette discrétion devient une obligation pour une grand nombre de personnes ayant des limitations fonctionnelles. " Cette discrétion a notamment pour objet d'éviter qu'une personne dont les revenus sont supérieurs aux seuils d'admissibilité ne renonce à faire valoir ses droits parce que les dépenses auxquelles elle devrait faire face pour obtenir les services d'un avocat ou d'un notaire compromettraient sa situation financière. "11


C'est pourtant la réalité d'un bon nombre de personnes handicapées qui reçoivent des revenus autres que la sécurité du revenu. Pourtant, peu de ces personnes connaissent cet aspect du mandat des directeurs. Ce qui est connu de l'ensemble de la population, c'est que " si tu n'es pas sur le bien-être social, tu n'as pas droit à l'aide juridique. " Nous avons ici un exemple flagrant du manque d'accès à l'information.

Dans l'état actuel de la situation, les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent se prévaloir du pouvoir discrétionnaire assigné au directeur général afin de le convaincre que les coûts additionnels inhérents aux déficiences ou incapacités l'obligeront à puiser dans les moyens nécessaires de subsistance pour couvrir les frais requis pour l'assistance d'un avocat.

Dans cette situation, la personne doit assumer trois fardeaux supplémentaires :

  • comprendre et enregistrer une demande de révision (information non disponible en média de substitution ni en langage simplifié) ;
  • se présenter à une audience (accessibilité architecturale, disponibilité du transport adapté, d'u interprète et d'un accompagnateur et assumer ces frais) ;
  • prouver la pertinence des faits allégués (coûts additionnels).

Nous croyons que les éléments considérés par les directeurs dans le cadre de leur pouvoir discrétionnaire devraient être standardisés dès l'étape de l'évaluation de l'admissibilité des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

De plus, le pouvoir discrétionnaire des directeurs doit demeurer en réponses aux besoins réels de la population et non tributaire de l'état financier du programme et la marge de manœuvre financière de son budget pour l'année en cours.


4. ÉTENDUE DE LA COUVERTURE

Il faut se rendre à l'évidence que de chercher à tout prix à éliminer des coûts dans le programme d'aide juridique va à l'encontre de la nécessité d'éliminer les obstacles à l'aide juridique pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Il existe d'autres façons de diminuer les coûts sans couper dans les services offerts.

Il est temps de commencer à regarder sérieusement et honnêtement comment on administre la Justice. Il faut déterminer quels sont les frais réels qui font augmenter les coûts de l'administration de la Justice.

La situation économique actuelle présente un danger énorme en ce qui a trait aux coupures de services. Les principes de base et la philosophie inhérente au programme d'aide juridique pourraient facilement être enterrés sous des jugements de valeurs et des préjudices.

Le droit de tout individu à l'exercice des droits, dont celui d'une défense pleine et entière, nécessite obligatoirement le maintien des services de consultation. Lorsque nous considérons l'exclusion de certains types de litiges, nous entrons dans le jeu des jugements de valeurs. Et si nous devons en arriver à des exclusions, nous devons nécessairement prévoir des clauses d'exception.

Les articles 4.6 et 4.7 du projet de loi provoquent de sérieuses inquiétudes relativement à l'exclusion des services d'aide juridique pour toute matière devant des instances administratives. En juin dernier, le ministre de la Justice a clairement indiqué qu'en matière de défense des droits des personnes handicapées, l'assistance juridique serait offerte au niveau de la Commission des affaires sociales et que rien ne lui permettait de croire que l'absence d'assistance légale devant les instances administratives préalables causerait un fardeau supplémentaire à la personne handicapée.

Lorsque l'on sait que les instances administratives sont justement les endroits où les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent se battre pour faire reconnaître leurs droits, il y a matière à préoccupation. De plus, n'oublions pas que les décisions des instances administratives sont appliquées jusqu'à ce qu'une instance décisionnelle supérieure les invalident.

Les personnes qui ont des limitations fonctionnelles qui doivent se battre pour faire reconnaître un droit (Régie des rentes, Sécurité du revenu, Régie du logement, Société d'assurance automobile, impôt, éducation, Régie de l'assurance maladie du Québec, etc.) devront attendre que leur cause soit rendue à la commission des affaires sociales avant d'avoir accès à l'assistance juridique. De plus, nous devons également appliquer la notion de fardeau supplémentaire que nous avons antérieurement associée à la demande de révision.

Une préoccupation supplémentaire est soulevé par l'article 4.7 alinéa 2. Une cause visant à faire reconnaître des droits sera-t-elle considérée comme occasionnant des coûts supérieurs aux gains escomptés ?

Dans ce même article, le dernier paragraphe soulève la notion que " l'aide juridique sera refusée lorsque de l'avis du directeur général les services pourraient être obtenus notamment par (…) un organisme (…) dont le requérant est membre. " Est-ce à dire que tous les organismes qui font la défense des droits devront se mettre à offrir des services d'assistance juridique individuels ? Où irons-nous chercher l'expertise et les ressources financières nécessaires ? Les programmes de subvention aux organismes de promotion des intérêts et de la défense des droits ne reconnaissent aucunement ce genre d'activité !

CONCLUSION

À titre d'organisme communautaire oeuvrant directement dans la collectivité et plus spécifiquement avec les personnes ayant des limitations fonctionnelles, nous manifestons notre profond désaccord avec le projet de loi 87.

La COPHAN a participé au sous-groupe de travail sur les personnes handicapées lors du Sommet de la Justice en 1991 et à la Commission parlementaire sur l'avant-projet de loi sur la réforme de l'aide juridique en 1993-1994. Or, le présent projet de loi 87 ne retient aucune des recommandations que la COPHAN avait formulées. De plus, il élimine carrément l'accès à l'égalité des droits pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Nous sommes en complet désaccord avec une réduction des services limitant, en droit civil et administratif, le droit aux services d'un avocat exclusivement dans les causes devant les tribunaux. C'est bien peu connaître la clientèle de l'aide juridique, les effets de la pauvreté, l'isolement social, l'exclusion systématique et les difficultés économiques de notre clientèle.

Les services d'un avocat sont également requis afin de faire valoir nos droits devant les bureaux de révision (Sécurité du revenu, Régie des rentes, Société de l'assurance automobile, Régie de l'assurance maladie du Québec, impôt, Régie du logement, éducation, etc.). Il est illusoire de croire que les personnes défavorisées socialement pourraient, seules, faire valoir adéquatement leurs droits devant les fonctionnaires, des créanciers ou dans des cours de justice où les règles de procédure sont nombreuses et complexes.

L'augmentation des barèmes d'accessibilité financière pour les familles néglige les personnes seules et fait en sorte que les personnes travaillant au salaire minimum, les personnes âgées recevant le supplément de la pension de la vieillesse, les personnes qui sont " soutien financier " à la sécurité du revenu et qui participent à des mesures d'employabilité et des personnes recevant une rente d'invalidité de la Régie des rentes n'auront pas accès à l'aide juridique.

Il est inadmissible de constater qu'afin d'augmenter les barèmes d'admissibilité pour les familles on enlève aux plus démunis socialement une partie des services juridiques de base qui étaient offerts, leur permettant de faire valoir leurs droits. L'accès à la justice est un droit fondamental. C'est pourquoi l'augmentation des seuils d'admissibilité pour tous est essentielle.

Connaissant bien notre clientèle qui requiert les services de l'aide juridique, il nous semble évident que de soustraire l'assistance et la représentation par avocat, revient à nier leurs droits et la notion d'accessibilité à la justice.

Nous sommes également en désaccord avec les coupures drastiques de service en matière de droit pénal et criminel. Qu'arrivera-t-il aux personnes désinstitutionnalisées pour qui le système a failli à la tâche ? Qu'arrivera-t-il aux personnes qui reviennent devant la justice pour avoir " troubler la paix " méfaits, vols à l'étalage ou tout autre délit mais qui ne peuvent se défendre adéquatement à cause de leurs limitations fonctionnelles ?

Le changement complet de philosophie de l'aide juridique aura pour effet de nier l'important travail effectué par les avocats et avocates en terme de droit préventif, d'information, de formation et de démystification du droit. Cette nouvelle orientation de la pratique va à l'encontre de l'objectif de la déjudiciarisation et des modes alternatifs de règlement de conflits.

Considérant que moins de 1 % du budget total de l'État est alloué à la Justice, comment peut-on penser couper dans le budget ? Est-ce à dire que c'est là toute l'importance qui est accordée à la Justice au Québec ? Existera-t-il deux régimes de droit : l'un pour les personnes à faible revenu et l'autre pour les personnes qui auront les moyens financiers pour faire valoir leurs droits ?

En conséquence, nous demandons que:

Tous les coûts supplémentaires directement reliés à une maladie, à une déficience, à des incapacités et à des limitations fonctionnelles soient déduites des revenus lors du calcul de l'admissibilité.
Le maintien des grands principes de départ du régime de l'aide juridique qui permet aux personnes économiquement défavorisées de faire valoir leurs droits en ayant accès à la justice, le maintien de la structure autonome et décentralisée ainsi que le maintien d'un pouvoir discrétionnaire " positif ".
Le rétablissement des seuils d'admissibilité à l'aide juridique de façon à ce que la population admissible en 1972, lors de la création du régime, le soit encore en 1995. On doit également rétablir la formule d'indexation annuelle des dits seuils d'admissibilité.

Le maintien intégral de la couverture de tous les services de nature juridique présentement prévue par la Loi sur l'aide juridique comme réels moyens d'accessibilité à la Justice. En considération des objectifs de départ axés sur le droit à la pauvreté, il ne saurait être question d'envisager une formule ayant pour effet d'exclure de la couverture des services offerts, certains recours en regard de la nature du litige et des bénéfices réels recherchés. Il n'y a pas de " petit droit ".
Le maintien de la mixité du régime et pour les bénéficiaires des services, le maintien du libre choix de leur avocat(e).

Le retrait immédiat du projet de loi 87, qui depuis son dépôt a été presque unanimement critiqué comme étant un recul et une atteinte directe au droit d'être représenté par un avocat et d'avoir accès à la Justice dans notre société de droit.

1 Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, 3e session, 29e législature, 7 juillet 1972, vol. 12, no. 61, p. 2082.

2 Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, 3e session, 29e législature, 7 juillet 1972, vol. 12, no. 61, p. 2083

3 Idem, p. 2083

4 Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, 3e session, 29e législature, 7 juillet 1972, vol. 12, no. 61, p. 2083

5 Idem, p. 2083

6 L.R.Q., c, A-14, ART. 1.c.

7 Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, 3e session, 29e législature, 7 juillet 1972, vol. 12, no. 61, p. 2083

8 Sommet de la Justice, p. 69

9 Statistique Canada, 1986

10 L'aide juridique au Québec : une question de choix, une question de moyens, 1993, p. 24

11 L'aide juridique au Québec : une question de choix, une question de moyens, 1993, p. 22

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