Les élections municipales et le logement

par François Saillant, coordonnateur du FRAPRU
Juin 1998

Au cours du printemps 1998, des débats ont été organisés par des organismes populaires et communautaires dans les quartiers Notre-Dame-de-Grâce, Mile End et Côte-des-Neiges, à Montréal, sur l'enjeu des élections municipales du 1er novembre prochain. François Saillant, coordonnateur du FRAPRU, a participé à ces débats comme paneliste. Voici l'essentiel du message qu'il y a livré.


Si nous essayions de nous souvenir de ce qui s'est passé sur la scène municipale montréalaise, au cours des derniers mois, nous nous rappellerions probablement que de la disparition de la moustache sur la figure de Jean Doré, de l'apparition d'une tarte à la crème sur celle de Jacques Duchesneau, d'un Pierre Bourque égal à... Pierre Bourque et d'un RCM qui, lui, n'est plus l'égal de lui-même !

Dans un aussi insipide contexte, il est de la responsabilité des organismes populaires et communautaires de faire en sorte que la campagne électorale permette de soulever les véritables enjeux. L'habitation doit absolument être parmi ces enjeux.

Rappelons-nous que 74 % des ménages de Montréal sont locataires. Selon les données du recensement de 1991, 128 055 de ces ménages consacraient plus de 30 % de leur revenu au logement, dont 63 280 qui devaient y engloutir plus de la moitié de leur maigre pitance.

Même si les hausses de loyer ont été moins importantes dans les dernières années, la situation s'est gravement détériorée, les revenus des plus pauvres ayant quant à eux diminué de manière dramatique.

Les premières statistiques issues du recensement de 1996 montrent que le nombre de ménages consacrant plus de 50 % de leur revenu au loyer a augmenté de 42,4 %, de 1991 à 1996, dans la grande région métropolitaine de recensement de Montréal. Si ce nombre a crû dans les mêmes proportions à Montréal même, on se retrouve désormais avec 90 000 ménages locataires qui y payent plus de la moitié de leur revenu pour s'y loger !

Et pourtant, les quatre dernières années ont été les pires des trente dernières pour le développement du logement social à Montréal.


Des années difficiles

Depuis l'élection du maire Bourque, moins de 800 nouveaux logements sociaux auront été financés, à Montréal. En comparaison, plus de 9 000 logements sociaux avaient été développés à Montréal, en huit ans de pouvoir du RCM.

Cette crise du logement social est évidemment loin d'être la seule faute de l'administration Bourque. En fait, elle n'est principalement pas sa faute.

S'il faut trouver un véritable coupable, c'est du côté d'Ottawa, du côté de Jean Chrétien et auparavant de Brian Mulroney (et Jean Charest !), qu'il faut chercher. Le 1er janvier 1994, lorsque le gouvernement fédéral a mis unilatéralement fin au financement de nouveaux logements sociaux, il a du même coup condamné le développement du logement social à la longue et pénible traversée du désert que nous connaissons depuis.

Le gouvernement québécois a aussi sa large part de responsabilités, lui qui s'est fait le complice tacite d'Ottawa dans l'abandon des mal-logéEs. Bien sûr, le gouvernement péquiste a accepté, après des années de luttes du FRAPRU, de mettre sur pied un programme d'aide aux coopératives d'habitation et aux OSBL. Ce n'est cependant pas ce petit programme baptisé AccèsLogis qui sera capable de suffire à la tâche, avec ses 1 325 logements disponibles par année... à l'échelle du Québec.

Si le maire Bourque n'est donc pas le principal responsable de la crise du logement social, il y a néanmoins joué un rôle.

  1. Avant son élection, Bourque se targuait, avec la candeur qu'on lui connaît, de ne pas vouloir imiter Jean Doré, en faisant continuellement pression sur les autres paliers de gouvernement. Voilà un engagement qui aura été respecté !

    Bourque a laissé, sans broncher, les autres gouvernements tailler en pièce non seulement le logement social, mais aussi tous les autres programmes nécessaires à la préservation du tissu social montréalais. Est-il normal que le maire de la ville la plus pauvre du Canada n'ait pas dit un traître mot sur la réforme de la Sécurité du revenu, pas plus qu'il ne l'avait fait auparavant sur celle de l'assurance-emploi ?

    Le maire de Montréal a lancé la police de Jacques Ducheneau à la chasse aux squeeges, il s'est assuré que « le gazon soit tond », mais il n'a pas veillé à ce qu'une large partie de la population montréalaise ne sorte encore plus fauchée de l'ère du Déficit zéro. Ah si, Pierre Bourque avait été aussi obsédé par la pauvreté que par la propreté !

  2. À peine un mois après son arrivée à l'Hôtel de ville, l'administration Bourque a mis fin au Programme d'acquisition de logements locatifs, le PALL, administré par la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM).

    Ce programme n'était peut-être pas le meilleur de l'histoire du logement social. Il n'en avait pas moins permis le développement à Montréal de près de 4 000 logements à prix abordable, sans but lucratif, sociaux, et contribué à la revitalisation de quartiers comme Côte-des-Neiges, Notre-Dame-de-Grâce, Bordeaux-Cartierville, etc.

  3. Non seulement l'administration Bourque a-t-elle abandonné l'idée d'avoir une politique d'habitation, mais elle a aboli les forums permettant un minimum de débats publics sur les enjeux de logement. Bourque a remplacé l'imparfaite Commission permanente sur l'habitation qui existait jusque là par un comité consultatif privé, secret, à peu près exclusivement formé de personnes ayant des intérêts économiques directs dans l'habitation.

    Quels qu'aient été le rôle et l'influence réels de ce comité, son existence même représentait un scandale. Si Vision Montréal voulait absolument consulter les vampires sur l'utilisation de la banque de sang, elle aurait au moins dû avoir la décence de ne pas le faire dans le secret des catacombes !

  4. L'administration Bourque a récemment créé un très dangereux précédent, en accordant à la Société canadienne d'hypothèques et de logement la permission de démolir les 384 logements sociaux de Benny Farm, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, et de vendre le terrain ainsi libéré au marché privé.


Certains aspects positifs

Le palmarès n'est toutefois pas totalement négatif. Montréal aura, dans certains quartiers, fait une utilisation intelligente socialement du programme provincial-municipal de Revitalisation des vieux quartiers.

La Ville aura surtout contribué au financement des logements coopératifs et sans but lucratif qui lui étaient offerts par le gouvernement québécois, contrairement au choix fait par d'autres villes comme Montréal-Nord, Saint-Léonard ou Saint-Laurent. Le tiers environ des logements développés à l'échelle du Québec l'auront été à Montréal, grâce à la contribution financière accordée par l'administration Bourque.

Il aura toutefois fallu toute une lutte des groupes de logement montréalais pour que ce soit le cas. C'est par dizaines qu'il faut compter le nombre d'interventions, tant publiques que privées, nécessaires pour que l'administration Bourque s'engage récemment à contribuer au financement de 814 logements, en 1998 et 1999, avec le programme AccèsLogis.

Ce gain ne permettra toutefois que la réalisation de deux ou trois douzaines de logements dans chacun des grands quartiers de Montréal (à l'exception notable du quartier Centre-Sud) et les loyers n'y seront malheureusement pas très inférieurs à ceux disponibles sur le marché privé de l'habitation.


Qu'attendre de la prochaine administration ?

Voilà pour le bilan de Pierre Bourque. Que doit-on maintenant attendre de la future administration municipale ?

Il serait tentant dans une situation comme celle que nous connaissons présentement de nous tourner vers la Ville de Montréal pour remplacer les paliers supérieurs de gouvernement dans le développement du logement social. Après tout, il est plus facile de développer un rapport de forces face à une municipalité que face à Ottawa ou Québec.

Il ne faut surtout pas tomber dans ce piège. Montréal n'a pas la capacité fiscale et budgétaire suffisante pour répondre à elle seule à un besoin de l'ampleur de celui du logement. La redistribution de la richesse est d'abord une responsabilité et une possibilité des gouvernement supérieurs.

Il faut, au contraire, s'opposer fermement, férocement, à tout pelletage de la responsabilité du logement social dans la cour de Montréal.

Il faut aussi mettre fin à l'injustice actuelle qui oblige Montréal à assumer seule les coûts de la pauvreté, alors que des ghettos de riches comme Westmount, Hamstead ou Côte-Saint-Luc s'en tirent impunément. En ce sens, il faut appuyer tout effort des autorités municipales pour obtenir le partage régional des coûts du logement social, ainsi qu'un véritable pacte fiscal.

Ceci dit, nous croyons, au FRAPRU, qu'une ville comme Montréal a des responsabilités à assumer face aux mal-logéEs.

Sa première responsabilité est d'avoir une politique d'habitation, débattue publiquement, et faisant l'objet d'un suivi public régulier.

Cette politique, elle doit d'abord et avant tout viser à répondre aux besoins des citoyens et des citoyennes actuels de Montréal, pauvres comme moins pauvres. Je crois personnellement que l'idée du retour des banlieusards à la ville, portée successivement par les administrations Drapeau, Doré et Bourque et appuyée par des dépenses importantes notamment en crédits de taxes (15 millions $ de 1995 à 1998 !), est et ne sera jamais qu'un rêve impossible, une lubie.

Une partie des citoyens et des citoyennes actuels de Montréal amélioreront leurs conditions de logement par l'accès à la propriété. Mais, pour une large partie des autres, la reconnaissance même du droit au logement ne peut que passer par le logement social, sous la forme de coopératives d'habitation, de logements sans but lucratif, mais aussi de HLM.

En ce sens, la ville de Montréal doit réclamer un plus grand nombre de logements de la part des gouvernements supérieurs. Elle doit aussi se porter à la défense de ceux qui ont été réalisés par le passé et qui constituent un patrimoine social indispensable. L'administration municipale doit au moins se faire l'unificateur et le catalyseur des efforts des groupes montréalais pour obliger les autres gouvernements à prendre des mesures permettant de s'attaquer à ce qu'on peut sans retenue qualifier de crise du logement à Montréal.

La prochaine administration doit elle-même se doter de meilleurs outils pour faciliter le développement du logement social à Montréal : augmentation de sa contribution financière au programme AccèsLogis, acquisition et-ou réservation de bâtiments et de terrains aux fins de logement social, etc.

Une ville comme Montréal a enfin un rôle essentiel à jouer dans le contrôle des conditions d'habitation sur le marché privé de l'habitation. Depuis des années, des groupes de locataires, comme OEIL de Côte-des-Neiges, doivent se battre pour que l'administration municipale fasse respecter son Code du logement et force les propriétaires de logements locatifs à rénover. La Ville préfère laisser les logements se délabrer, pour ensuite subventionner généreusement leur rénovation.

Un meilleur choix social autant qu'économique serait de disposer d'un personnel suffisant pour faire une inspection systématique des logements montréalais et obliger les propriétaires à y apporter les améliorations nécessaires.


Une vigilance nécessaire...
pendant et après la campagne électorale

Permettez-moi en terminant de vous rappeler, que si les dégâts causés par quatre ans d'administration Bourque ont été plus limités que ce que nous pouvions craindre en 1994, c'est parce que les groupes populaires et communautaires n'ont jamais relâché la pression, au moins sur des enjeux comme l'habitation ou la privatisation de l'eau. Nous avons le devoir d'exercer la même vigilance, peu importe qui sera élu, le 1er novembre.