Quelle priorité :

Réduire les impôts ou lutter contre la pauvreté ?

Mémoire à la Commission des finances publiques

Front d'action populaire en réaménagement urbain
FRAPRU

Septembre 1999



Présentation du FRAPRU

Le Front d'action populaire en réaménagement urbain est un regroupement national oeuvrant depuis 1978 à l'avancement du droit au logement pour toutes et tous. Le FRAPRU et ses soixante groupes-membres actifs au niveau local, régional et national se veulent les porte-parole des mal-logés, de celles et de ceux qui n'arrivent pas à se loger convenablement et à un prix raisonnable sur le marché privé de l'habitation.

Pour le FRAPRU, la reconnaissance du droit au logement passe par la promotion du logement social comme alternative à ce marché qui, par sa nature même, se doit plutôt d'obéir avant tout à la logique du profit, de la rentabilité.

Le FRAPRU et ses membres sont présentement engagés dans une lutte pour le financement par les gouvernements d'un Grand chantier permettant le développement au Québec d'au moins 8000 nouveaux logements sociaux par année sous la forme de HLM, de coopératives d'habitation et d'autres formes de logement sans but lucratif. Plus de 1050 organismes de tous les coins du Québec se sont récemment associés à cette importante revendication, tout comme plusieurs personnalités québécoises, dont Mme Phyllis Lambert, les évêques Martin Veillette et Robert Lebel, les artistes Isabelle Boulay, France Castel, Richard Desjardins, Louis-George Girard, Geneviève Paris, Jacques Michel, Yves Soutière, Sylvie Tremblay, etc.

Le FRAPRU est aussi actif depuis de nombreuses années dans la lutte contre la pauvreté. Il a notamment été très impliqué dans la lutte contre la loi 37 et plus récemment la loi 186 sur la Sécurité du revenu.

C'est l'ensemble de ces préoccupations qui ont amené le FRAPRU à se préoccuper des enjeux de fiscalité et de finances publiques. Le FRAPRU y a toujours défendu la nécessité d'une redistribution plus équitable de la richesse, ainsi que du maintien et de la consolidation des programmes sociaux, dont ceux en habitation. Ce sont encore ces grands objectifs qui imprègnent sa présente prise de position dans le débat sur la réduction des impôts.


Pourquoi pas une consultation sur les surplus budgétaires ?

Le FRAPRU déplore fortement que le gouvernement québécois n'ait pas ouvert un débat général sur l'utilisation des surplus budgétaires. Il a préféré décider lui-même de l'utilisation de ces surplus, en en orientant une très large partie vers une réduction des impôts (400 millions $ pour la présente année et 1,3 milliard $ pour la durée du mandat) et en consultant uniquement sur la manière d'y parvenir.

Cette décision est d'autant plus contestable que l'atteinte du déficit zéro a eu un coût très lourd pour la société québécoise. Elle a amplifié l'impact des compressions brutales imposées dans les transferts fédéraux aux provinces, contribuant ainsi à un dangereux affaiblissement des réseaux publics de la Santé et de l'Éducation et à un appauvrissement d'une grande partie de la population, dont celles et ceux qui étaient déjà les plus pauvres.

En décembre 1998, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'Organisation des Nations unies faisait l'observation suivante sur l'impact de la lutte fédérale au déficit : « Le comité note que, depuis 1994, l'État partie n'a pas accordé une attention suffisante aux conséquences négatives des coupes opérées dans les dépenses sociales pour résorber le déficit budgétaire sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels par la population canadienne en général et par les groupes vulnérables en particulier »[1].

Ottawa a en effet ignoré et même bafoué les droits les plus fondamentaux dans sa recherche de l'équilibre budgétaire et il continue à le faire de plus belle, par exemple en pigeant dans la caisse d'assurance-emploi.

Le gouvernement québécois n'est cependant pas exempt de tout blâme et la manière dont il a atteint le déficit zéro a également laissé des traces profondes dans le tissu social.


L'exemple de l'aide sociale

L'exemple du traitement réservé aux personnes assistées sociales, surtout celles considérées aptes au travail, est particulièrement révélateur.

Alors que les dépenses du Ministère de la Sécurité du revenu auraient dû augmenter de manière marquée au cours des années budgétaires 1995-1996 et 1996-1997 pour faire face à l'explosion du nombre de ménages assistés sociaux, les compressions budgétaires fédérales et québécoises les ont au contraire entraînées vers le bas. Ce sont donc à même leurs prestations déjà très largement insuffisantes et qui ne suivaient plus depuis quelques années l'évolution du coût de la vie que les personnes assistées sociales ont financé l'arrivée massive de nouveaux ménages à l'aide sociale. Comme si ce n'était pas suffisant, c'est en réduisant encore plus l'aide accordée aux personnes assistées sociales (ainsi qu'aux aînés) que le gouvernement a financé, au moins en partie, d'aussi importantes réformes que l'implantation de l'assurance-médicaments et l'élargissement de l'allocation-logement à d'autres ménages à faible revenu.

Il en est au total résulté un appauvrissement majeur des personnes assistées sociales dont certaines ont perdu plus de 100 $ et même 150 $ par mois.

La très grande majorité des pertes subies n'ont pas été compensées depuis. Pourtant, la réduction, au cours des deux dernières années, du nombre de ménages à l'aide sociale aurait permis au gouvernement Bouchard de le faire. Dans son dernier livre des Crédits pour 1999-2000, il a choisi de réduire de 306 millions $ les crédits réservés à l'Emploi et à la Solidarité sociale et de ne consacrer que 39,1 millions $ à de timides bonifications financières : abolition de la coupure pour partage de logement mais uniquement pour les familles monoparentales, exclusion des 100 $ versés à titre de pension alimentaire dans le calcul des prestations, etc. C'est bien loin de toutes les sommes enlevées dans les années précédentes aux personnes assistées sociales.


Avant de passer à une « prochaine étape »

L'atteinte du déficit zéro a été suffisamment douloureuse pour que nous n'acceptions pas d'emblée de sauter à une « prochaine étape » décidée unilatéralement par le gouvernement, celle de la réduction des impôts. Les surplus budgétaires dont dispose le gouvernement québécois devraient plutôt servir à nous interroger collectivement sur nos choix de société.

Derrière le déficit zéro et maintenant la réduction des impôts, se dessine une révision sournoise du rôle assumé par l'État. C'est de cela dont nous devons véritablement débattre. Acceptons-nous le rétrécissement quand ce n'est pas l'abandon pur et simple de la présence de l'État dans les domaines sociaux ? Acceptons-nous de continuer à glisser vers un système de santé et d'éducation à deux vitesses ? Acceptons-nous que le gouvernement se déresponsabilise du problème grandissant de la pauvreté, en en refilant de plus en plus ouvertement la charge à la charité publique et aux organismes communautaires ? Quelles devraient être nos priorités pour les prochaines années : la réduction des impôts ou la réduction et, à terme, l'élimination de la pauvreté ?


La pauvreté : le problème numéro un

Le gouvernement du Parti québécois et les partis d'opposition parlementaire s'entendent pour affirmer que le niveau trop élevé des impôts représente le problème numéro un au Québec et ils ne tarissent pas de statistiques en appui à leur point de vue.

Il y a pourtant d'autres statistiques qui doivent être prises en considération, avant que le gouvernement ne décide de diminuer ses capacités d'intervention. Ces statistiques démontrent, à notre avis, que c'est la lutte à la pauvreté qui devrait plutôt venir en tête des priorités gouvernementales.

Le dernier rapport Profil de la pauvreté, produit par le Conseil national du bien-être social[2], à partir des seuils de faible revenu de Statistique Canada, permet de constater que le Québec vient au premier rang des provinces canadiennes en ce qui a trait au taux de pauvreté. Notons que, malgré la contestation dont ils sont l'objet, les seuils de faible revenu constituent toujours l'instrument de mesure de la pauvreté le plus reconnu et le plus largement utilisé.


Pauvreté par province, 1996
Ensemble de la population
ProvincesNombre de
personnes pauvres
Taux de
pauvreté
Terre-Neuve96 00017,2 %
Ile-du-Prince-Édouard17 00012,6 %
Nouvelle-Écosse168 00018,1 %
Nouveau-Brunswick119 00015,8 %
Québec1 546 00021,2 %
Ontario1 770 00015,8 %
Manitoba205 00018,8 %
Saskatchewan161 00016,5 %
Alberta436 00015,8 %
Colombie-Britannique673 00017,6 %
Canada5 190 00017,6 %


La comparaison avec les autres provinces est encore plus attristante si on ne considère que les personnes seules. Pour ces personnes, le taux de pauvreté grimpe à 45 %, alors qu'il est de 37 % dans l'ensemble du Canada et que la seule province qui approche un tant soit peu le Québec dans ce domaine est Terre-Neuve avec un taux de 40,7 %.

Même si la différence avec les autres provinces n'est pas aussi importante, le Québec détient aussi le triste record du plus fort pourcentage de familles pauvres. 17,6 % des familles québécoises peuvent être considérées comme pauvres, contre 14,8 % pour l'ensemble du Canada.

Or, selon le Programme des Nations unies sur le développement (PNUD), le Canada lui-même fait piètre figure parmi les 17 pays industrialisés en ce qui a trait à l'Indice de pauvreté humaine, n'étant devancée au chapitre de la mauvaise performance en ce domaine que par sept pays, dont les États-Unis qui occupent le dernier rang (n'y a-t-il pas également là matière à réflexion pour les partisans d'une réduction des impôts ?).


Un problème qui s'aggrave

Le Profil de la pauvreté du Conseil national du bien-être social permet aussi de constater que la situation continue à se détériorer.


Évolution du taux de pauvreté au Québec
1986-1996
AnnéesEnsemble de la population
198619,4 %
198718,8 %
198819,4 %
198916,7 %
199018,0 %
199119,2 %
199218,0 %
199320,7 %
199420,2 %
199520,6 %
199621,2 %


Une crise du logement

Cet appauvrissement grandissant d'une partie importante de la population se reflète notamment au niveau du logement. Comme le FRAPRU l'a démontré dans son dernier Dossier noir sur le logement et la pauvreté, réalisé à partir des données du recensement de 1996, le nombre de ménages locataires consacrant un pourcentage trop élevé de leur revenu au loyer a augmenté de manière dramatique au cours des dernières années, atteignant des sommets sans précédent autant en nombre qu'en pourcentage.

Il faut remonter au début des années quatre-vingt pour retrouver une augmentation aussi fulgurante. La raison en était alors la flambée des loyers. Même si ceux-ci sont plutôt stables depuis quelques années, le mal a été fait. Les loyers offerts par le marché privé sont déjà trop élevés et toute baisse du revenu réel, comme celle qu'ont subie en moyenne les locataires de 1991 à 1996, se solde par une augmentation du nombre de personnes et de familles pouvant être considérées comme mal-logées. Mais laissons parler les chiffres.

Les gouvernements, tant fédéral que québécois, considèrent qu'un ménage ne devrait pas consacrer plus de 30 % de ses revenus nets pour se loger (chauffage et électricité inclus). Or, c'est maintenant le lot de plus d'un demi-million de ménages locataires comprenant au total près d'un million de personnes, femmes, hommes et enfants.


Ménages locataires payant plus de 30 % de leur revenu en loyer
1981 à 1996
[3]
Année de recensementNombre de ménages locataires payant plus de 30 %Pourcentage sur l'ensemble des ménages locatairesPourcentage d'augmentation depuis le recensement précédent
1981287 29028,3 %n.a.
1986379 85536,4 %32 %
1991404 04035,1 %6 %
1996518 70042,6 %28 %


Notons que ce sont les ménages dont « le principal soutien financier est une femme », pour reprendre le jargon de Statistique Canada, qui sont les plus touchés. En 1996, 49 % de ces ménages consacraient plus que la norme de 30 % de leur revenu au loyer. Dans le cas des hommes, ce pourcentage était de 36 %.

L'évolution est encore plus catastrophique en ce qui a trait aux ménages locataires consacrant plus de la moitié de leur revenu en loyer. Leur nombre a en effet augmenté de pas moins de 41 % de 1991 à 1996, pour atteindre le chiffre affolant de 273 825, soit 22,5 % de l'ensemble des ménages du Québec. À Montréal, où trois ménages sur quatre sont locataires, ce pourcentage se chiffre à 25,3 %.


Ménages locataires payant plus de 50 % de leur revenu en loyer
1981 à 1996
[4]
Année de recensementNombre de ménages locataires payant plus de 50 %Pourcentage sur l'ensemble des ménages locatairesPourcentage d'augmentation depuis le recensement précédent
1981138 03013,6 %n.a.
1986194 65018,6 %41 %
1991194 22516,9 %0 %
1996273 82522,5 %40 %


Là aussi la comparaison avec les autres provinces canadiennes n'est pas nécessairement à l'avantage du Québec, et ce même si les loyers sont renommés être moins chers qu'ailleurs au Canada.

Comme le montre le tableau qui suit, le Québec vient au troisième rang pour le plus haut pourcentage de ménages locataires consacrant plus de la moitié de leur revenu au loyer, derrière la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, mais devant l'Ontario.

Il est vrai, dans ce dernier cas, que les données datent pour l'essentiel de 1995, avant que la « Révolution du bon sens » de Mike Harris, menée au nom de la lutte au déficit puis de la réduction des impôts, ne fasse les dommages que l'on connaît, notamment dans le domaine de l'habitation. Le contrôle des loyers a été aboli. Le financement de nouveaux logements sociaux a été arrêté et le gouvernement Harris tente maintenant de privatiser son parc de logements publics.


Ménages locataires payant plus de 50 % de leur revenu en loyer
Par province, 1996
ProvinceNombre de ménages locataires payant plus de 50 %Pourcentage sur l'ensemble des locataires de la provincePourcentage sur l'ensemble des locataires du Canada
Terre-Neuve9 43022,3 %1,1 %
Ile du Prince-Édouard2 32517,5 %0,3 %
Nouvelle-Écosse23 31023,5 %2,8 %
Nouveau-Brunswick13 57519,5 %1,6 %
Québec273 82522,5 %32,8 %
Ontario300 64521,7 %36,1 %
Manitoba23 48518,2 %2,8 %
Saskatchewan18 98018,0 %2,3 %
Alberta51 24016,7 %6,2 %
Colombie-Britannique115 52523,9 %14,0 %
Canada833 55521,6 %100,0 %


Au-delà des chiffres...

Au-delà des statistiques, il y a les personnes et les familles qui ne peuvent consacrer un pourcentage aussi élevé de leur revenu en loyer, sans en subir les conséquences.

L'Ordre professionnel des diététistes du Québec a repris ce que les groupes communautaires constataient depuis des années sur le terrain en affirmant que « le coût élevé du logement est une cause d'insécurité alimentaire »[5]. L'Ordre définit ainsi cette insécurité : « quand on manque d'aliments, quand on a peur d'en manquer ou quand on subit des contraintes dans le choix de ses aliments, contraintes qui affectent la qualité nutritionnelle du régime »[6]. Selon l'organisme, une telle insécurité se répercute sur la santé mentale et physique des personnes.

Une autre conséquence du coût élevé du logement par rapport au revenu est le nombre grandissant de ménages qui n'arrivent plus à payer leurs factures. Dans les années quatre-vingt, le nombre moyen de causes déposées à la Régie du logement pour non-paiement de loyer était d'un peu plus de 18 000. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, il se situe plutôt autour de 34 000[7]. De même, le nombre d'interruptions de services par Hydro-Québec a augmenté de 30 % de 1991 à 1997, passant de 27 993 à 36 575[8].


La pauvreté : un problème de société

Dans les dernières décennies, les gouvernements ont plus ou moins ouvertement cherché à reporter sur les individus eux-mêmes la responsabilité de la pauvreté dans laquelle ils se retrouvaient.

Ils ont aussi fait appel aux ressources communautaires et à la charité publique pour prendre leur relève dans la résolution de ces problèmes.

Nous retrouvons une illustration désolante de cette déresponsabilisation dans une des réponses officielles que le gouvernement québécois a fournies au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU qui s'inquiétait de la fréquentation grandissante des banques alimentaires : « Loin d'être négative, l'existence des banques alimentaires démontre la volonté d'une société de partager ses ressources avec ses membres les plus démunis, et ce, d'une façon volontaire, non gérée par l'État. Elles constituent des moyens de redistribution des ressources, comme un programme d'intervention gouvernementale peut l'être, sans la contribution obligatoire de l'État »[9].

On comprend mieux, à la lecture de cette phrase, pourquoi une réforme en profondeur de la fiscalité, permettant une redistribution plus efficace de la richesse, ne fait pas partie des travaux de cette commission. Les banques alimentaires s'en occuperaient déjà...

Chose certaine, nous considérons, au FRAPRU, que l'abandon par les gouvernements des responsabilités sociales qu'ils avaient jusqu'ici accepté d'assumer est une cause majeure de l'aggravation de la pauvreté.

Cette affirmation se démontre notamment sur la question de l'habitation. À la fin des années quatre-vingt[10], les gouvernements finançaient la réalisation d'environ 5000 nouveaux logements sociaux par année (HLM, coopératives, logements sans but lucratif) au Québec, la grande majorité par l'entremise de programmes fédéraux-provinciaux. À partir du début des années quatre-vingt-dix, le gouvernement fédéral s'est retiré graduellement, puis totalement d'un tel financement. Après avoir emboîté le pas à ce retrait, le gouvernement québécois a accepté de financer ses propres programmes, sans contribution d'Ottawa, mais c'est au mieux 1325 nouveaux logements coopératif et sans but lucratif qui peuvent présentement être financés à chaque année, dont la moitié environ pour ménages à très faible revenu. Aucun nouveau HLM n'a été financé au Québec depuis la fin de 1993.

Si le développement de nouveaux logements sociaux s'était poursuivi au même rythme qu'à la fin de la décennie précédente, le Québec compterait en 1999 plus de 30 000 logements sociaux supplémentaires. C'est autant de ménages locataires qui ne seraient plus obligés de consacrer plus de 30 % et, pour la plupart, plus de 50 % de leur revenu en loyer. L'aggravation du problème de l'incapacité de payer remarquée dans le recensement de 1996, n'aurait pas été totalement évitée, mais les dommages auraient assurément été moins grands.


Une priorité

Le FRAPRU considère quant à lui que la pauvreté est un problème de société et que l'État a un rôle central à jouer dans sa réduction et éventuellement dans son élimination. Selon nous, elle est suffisamment grave et s'est suffisamment détériorée dans la dernière décennie pour être considérée comme la grande priorité gouvernementale. Une telle priorisation doit évidemment se refléter dans les politiques budgétaires et fiscales du gouvernement et c'est, à notre avis, à la lumière de celle-ci qu'il faut envisager la pertinence ou non d'une réduction de l'impôt des particuliers.


La réduction des impôts : un bon choix ?

Avant de décider d'une réduction des impôts, il est, dans un premier temps, essentiel de rappeler à quoi servent présentement les dits impôts. Le budget des dépenses 1999-2000 du gouvernement québécois permet notamment de constater que trois postes budgétaires, la Santé et les Services sociaux, l'Éducation et la Sécurité du revenu (maintenant baptisé Solidarité sociale), accaparent à eux seuls 75 % de l'ensemble des dépenses de programmes.

Certains ne se gêneront pas pour affirmer que des dépenses aussi importantes n'ont pas servi à diminuer l'ampleur de la pauvreté et à donner au Québec des réseaux de santé et d'éducation convenables, en ajoutant qu'il aurait été préférable de diminuer les impôts. Nous ne sommes pas du tout d'accord. Ce n'est pas parce que nous avons reculé dans ces domaines, au cours des dernières années (celles du déficit zéro en particulier), que les dépenses que nous y avons faites ont pour autant été inutiles. Pour le FRAPRU, il est clair que le scandale de la pauvreté et les problèmes rencontrés dans les réseaux de la santé et de l'éducation seraient plus dramatiques encore, si certains choix de société n'avaient pas été faits, souvent grâce aux luttes menées par différents secteurs de la société.

Nous ne donnerons que quelques exemples. Ainsi, les frais de scolarité sont moins élevés qu'ailleurs. Les frais de garde sont à 25 $ par semaine contre 175 $ en Ontario. Les loyers des logements sociaux sont à 25 % du revenu alors qu'ils sont à 30 % presque partout ailleurs au Canada. Contrairement à toutes les autres provinces sauf la Colombie-Britannique, il s'y fait encore des logements avec l'aide de la province.

Une réduction des impôts représenterait-il un meilleur choix ? Sûrement pas. Nous affirmons au contraire que, dans la conjoncture actuelle, la réduction des impôts représenterait un mauvais choix social et nous ne sommes même pas convaincus qu'elle représenterait un si bon choix économique.


Un bon choix social ?

Quand plus de 1,5 millions d'individus, femmes, hommes et enfants, vivent dans la pauvreté, il serait non seulement inconcevable, mais scandaleux, qu'ils ne bénéficient que peu ou pas du tout d'une dépense gouvernementale de 1,3 milliard $. C'est pourtant ce qui arriverait avec la réduction des impôts que s'apprête à adopter le gouvernement.

La raison en est bien simple. Une réduction des impôts ne s'adresse, par définition, qu'aux gens qui en paient. Or, ce n'est pas le cas des personnes et des familles à plus faible revenu qui ne paient pas d'impôt ou n'en paient que très peu.

Aucun des cinq scénarios proposés par le gouvernement ne s'adresse, d'une manière ou d'une autre, à ces personnes et à ces familles. Les personnes seules ayant des revenus de 100 000 $ économiseraient entre 1 255 $ et 4 249 $, selon les scénarios, mais il n'y aurait pas un sou pour celles dont les revenus annuels sont de 10 000 $ et moins...

En excluant les plus pauvres, le gouvernement élargirait encore davantage le fossé qui les sépare des mieux nantis. Le rapport de revenu entre le cinquième le plus pauvre et le cinquième le plus riche de la population est de 1 à 197, avant transferts de programmes et impôts[11]. Seuls ces derniers réussissent à rétrécir un écart aussi scandaleux. Une réduction de l'impôt des plus riches amenuiserait sérieusement cet effort, déjà très insuffisant, d'équité.

Mais il y a plus encore. Une réduction des impôts de l'ordre de 1,3 milliard $ ou plus (comme l'envisage le gouvernement québécois) pourrait miner la possibilité pour l'État de se doter d'une politique de lutte à la pauvreté.

Sans entrer dans le débat sur le contenu de ce que pourrait être une telle politique, il est évident qu'elle exigerait entre autres des investissements importants de la part des gouvernements tant fédéral que québécois et ce dans des domaines aussi variés que la sécurité du revenu, la santé et les services sociaux, l'éducation, la création d'emplois, le logement social, etc.

Nous ne donnerons que deux exemples. Les prestations d'aide sociale sont présentement largement inférieures aux seuils de besoins reconnus par le Ministère de la Solidarité sociale lui-même. Si elle ne subit aucune coupure ni pénalité et n'a aucune incapacité temporaire ou permanente à l'emploi, une personne seule à l'aide sociale ne reçoit qu'une prestation de 502 $ par mois. Le gouvernement évalue pourtant lui-même que ses besoins essentiels requièrent 667 $ par mois. Un tel écart, qui est encore plus important pour plusieurs prestataires, est inadmissible, quand on sait que les seuils fixés par le Ministère sont eux-mêmes inférieurs à ce qu'il en coûte véritablement pour se loger, se nourrir, se soigner, se vêtir, utiliser le transport en commun, etc.

Or, il en coûterait 782 millions $ par année[12] pour couvrir la différence entre les prestations présentement versées et les dits seuils. Le chiffre peut faire sourciller, mais rappelons que nous parlons là de ce qui est nécessaire à 410 550 ménages non pour sortir de la pauvreté, mais pour au moins être en mesure d'atteindre des seuils de survie fixés par le gouvernement lui-même.

Le grand chantier de logement social revendiqué par le FRAPRU réclamerait aussi des investissements importants de la part des gouvernements, y compris du fédéral qui doit faire sa part, lui qui dispose de la plus importante capacité budgétaire et fiscale.

En s'appuyant sur les coûts moyens de réalisation du programme AccèsLogis, le seul programme permettant encore le développement du logement social, on peut évaluer entre 300 et 400 millions $ le coût du développement au Québec de 8000 nouveaux logements par an, sous la forme de HLM, de coopératives d'habitation et de logements sans but lucratif.

Comme nous le montrerons plus tard, un tel investissement aurait des retombées sociales et économiques importantes, aussi bien à court qu'à plus long terme. Le gouvernement québécois doit cependant avoir les disponibilités financières pour contribuer à ce genre d'investissement. Nous craignons qu'une réduction des impôts et donc du revenu du gouvernement ne vienne handicaper sérieusement cette possibilité.

Est-il en effet possible de concilier réduction d'impôts, injection majeure de fonds dans la lutte à la pauvreté et les programmes sociaux et rattrapage salarial des employés de l'État ? Pour le savoir, il nous faudrait au moins connaître les surplus budgétaires que le gouvernement québécois projette pour les prochaines années. Or, ni le dernier budget du ministre Landry, ni le document déposé à des fins de consultation, ne font part de telles projections. C'est au gouvernement qu'il reviendra de faire la preuve que ses surplus sont suffisants pour tout mener de front.

Quant à nous, nous le croyons pas. Nous pensons au contraire que nous devons opter en priorité pour la lutte à la pauvreté, pour le renforcement des programmes sociaux, en particulier des réseaux publics d'éducation et de santé, ainsi que pour le rattrapage salarial des travailleuses et des travailleurs de l'État.

La réduction des impôts figure d'autant moins sur notre liste de priorités que nous savons que, là où elle a été appliquée, la réduction massive du « fardeau fiscal » a entraîné un allourdissement sans précédent... du fardeau social.

Le document soumis à la consultation par le gouvernement se sert ad nauseam de l'exemple de l'Ontario. Les impôts y ont effectivement baissé de 30,2 % de 1996 à 1998, mais ce fut au prix d'un saccage des services publics et de l'abandon des plus pauvres. Les chèques d'aide sociale de l'ensemble des prestataires (à l'exception des personnes handicapées) ont baissé de 21,6 %[13]. En mars 1998, 290 925 personnes, dont 40 % étaient des enfants de moins de 18 ans, ont dû avoir recours à des banques alimentaires[14]. Au cours d'une soirée normale, 4 000 personnes se présentent dans un refuge pour itinérants à Toronto et 460 à Ottawa. Il n'y a rien là à envier et surtout pas à vouloir imiter.

Une autre donnée devrait donner à réfléchir. Selon le Budget alternatif pour l'Ontario 1999, « en 1999, la famille moyenne ontarienne (ménage de trois personnes avec un revenu moyen) aura gagné 738 $ grâce à la réduction des impôts de 30 % de Harris, mais cette économie aura été effacée par des coûts supplémentaires de 766 $ en frais d'utilisation de services, en augmentation de taxes foncières et autres frais »[15].


Un bon choix économique ?

À lire le document de consultation, on pourrait au moins être convaincu que la réduction des impôts aura des avantages économiques indéniables, la seule question demeurant de savoir lequel des cinq scénarios esquissés réussira le mieux en ce sens.

Au FRAPRU, nous ne sommes pas si convaincus des avantages économiques d'une réduction des impôts de 1,3 milliard $, si on le compare avec un investissement du même ordre fait dans les services publics et la lutte à la pauvreté.

Parmi les avantages économiques pressentis d'une réduction des impôts, il y a l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages qui aurait, à son tour, des effets positifs sur la croissance économique, la création d'emplois et, par le fait même, sur l'assiette fiscale du gouvernement.

Le gouvernement prend donc pour acquis 1) qu'une baisse des impôts signifie une hausse du revenu réel des ménages et 2) que celle-ci va automatiquement accroître la demande interne.

L'exemple ontarien démontre pourtant que le revenu réel des ménages à revenu modeste et même moyen ne sera pas nécessairement haussé, si ces ménages doivent assumer un coût toujours plus grand par exemple pour avoir accès à des soins de santé ou à une éducation de qualité. Il ne le sera pas davantage si le gouvernement se déleste de ses responsabilités dans certains domaines pour en refiler la facture aux municipalités qui, à leur tour, augmenteront le compte de taxes de leurs contribuables.

Par ailleurs, même si le revenu réel augmentait, celui-ci se refléterait-il automatiquement sur la demande interne ? Ce n'est pas si sûr. Qu'est-ce qui garantirait que les contribuables à revenu plus élevé dépenseront ou investiront ici les économies dont ils profiteraient avec une baisse d'impôt ? Qu'est-ce qui garantirait que ces investissements seraient productifs et non purement spéculatifs ?

À l'opposé, tout dollar investi par l'État dans la lutte à la pauvreté ou le renforcement des services publics se répercuterait sur la demande interne. Reprenons les deux exemples cités plus haut.

Une hausse majeure des prestations d'aide sociale accroîtraît la consommation courante de biens de nécessité (nourriture, vêtements, etc.), ce qui aurait évidemment des effets positifs sur l'économie.

Quant à lui, un investissement plus important dans le logement social n'aurait pas que des effets immédiats sur les conditions de logement des personnes aidées. Il serait créateur d'emplois dans la construction, l'industrie manufacturière, etc., soit environ 1 emploi par logement réalisé. Il aurait des retombées économiques dans le milieu : achat de matériaux de construction, contrats à des compagnies locales (professionnels, entrepreneurs, institutions financières, etc.). Il aurait un effet d'entraînement sur la revitalisation des quartiers anciens. On sait aussi qu'à plus long terme, l'amélioration des conditions de logement et du milieu de vie se répercute positivement sur la santé des locataires et a des effets sur la diminution de la criminalité, de la délinquance juvénile ou du décrochage scolaire.

L'avantage économique d'une baisse d'impôt n'est donc pas évident, si on le compare à d'autres types d'investissement. Mais, nous répondra-t-on, elle réussira au moins à freiner ce qu'on appelle, de manière un peu insultante, l'« exode des cerveaux ». Ce n'est pourtant pas ce qu'indique un rapport de Statistique Canada auquel les quotidiens ont fait écho, samedi le 27 août dernier. On y indiquait que le montant des impôts jouait très faiblement dans la décision de déménager....

Reste l'argument passe-partout de l'« incitation au travail ». Mais, avant de l'utiliser, le gouvernement devrait lui-même faire la preuve qu'il y a suffisamment d'emplois pour l'ensemble des gens prêts à travailler. La meilleure incitation à l'emploi n'est-il pas l'emploi lui-même ? Par ailleurs, si le gouvernement veut augmenter les avantages de l'emploi, il a d'autres moyens à sa disposition, dont la nécessaire augmentation du salaire minimum.


Pour une meilleure utilisation des surplus budgétaires et une véritable réforme de la fiscalité

Le FRAPRU considère, compte tenu des dégâts du déficit zéro et de l'ampleur grandissante du problème de la pauvreté, que l'heure n'est pas à la réduction, mais à l'augmentation, des revenus de l'État.

Si elle se maintient, la croissance économique y contribuera assurément. De même, le maintien à la baisse des taux d'intérêt créera une marge de manoeuvre supplémentaire.

De fortes pressions sur le gouvernement fédéral seraient aussi nécessaires, de manière à ce qu'il rétablisse entièrement ses transferts aux provinces, ce qui représenterait une autre source de revenu importante. Fort nous est cependant de constater que ce n'est pas le discours que le premier ministre du Québec tenait, au côté de Mike Harris, lors de la récente conférence des premiers ministres, lui qui se faisait le promoteur d'une réduction des impôts fédéraux. C'est une chose de s'opposer à l'intrusion inacceptable du fédéral dans des domaines de juridiction provinciale (comme les Bourses du Millénaire), c'en est une autre de ne plus réclamer d'Ottawa les transferts nécessaires à la Santé, à l'Éducation et à la Sécurité du revenu.

La croissance économique, la baisse des taux d'intérêts et même une hausse des transferts fédéraux risquent cependant d'être insuffisantes pour faire face à l'ensemble des défis qui confrontent la société québécoise, si le gouvernement décide en même temps de diminuer ses propres revenus d'impôt.

Le FRAPRU propose donc que le gouvernement renonce, pour les prochaines années au moins, à une réduction générale des impôts et qu'il élargisse le débat sur ses surplus budgétaires, de manière à ce qu'ils soient en priorité dirigés vers la lutte à la pauvreté et le rétablissement des grandes missions de l'État (santé, éducation, sécurité du revenu, etc.).

Compte tenu de ses retombées sociales et économiques majeures, le gouvernement devrait s'engager plus précisément à contribuer de manière importante au financement d'un Grand chantier de logement social permettant le développement au Québec de 8000 nouveaux logements en HLM, en coopératives d'habitation et en logements sans but lucratif.


Une révision en profondeur de la fiscalité : toujours une nécessité

S'il s'oppose à une réduction générale du « fardeau fiscal », le FRAPRU croit toujours qu'une réforme en profondeur de la fiscalité permettant une redistribution plus équitable de la richesse est une nécessité. Pour être très francs, nous avons été profondément déçus à la fois du rapport de la Commission sur la fiscalité et les finances publiques et des suites qui y ont été données depuis 1996. Il reste donc beaucoup de travail à faire de ce côté.

Les objectifs d'une révision en profondeur de la fiscalité devraient être les suivants :

  1. L'augmentation des revenus de l'État pour qu'il soit plus en mesure d'accomplir ses grandes missions et d'amorcer la lutte à la pauvreté ;

  2. L'augmentation de la progressivité du système fiscal et son rééquilibrage entre les particuliers et les compagnies, ainsi qu'entre les contribuables à faible et modeste revenus et ceux à plus haut revenu.

Le FRAPRU est conscient que, comme province et partie d'une économie mondiale, le Québec dispose de contraintes dans la révision de sa fiscalité. Il dispose cependant du pouvoir suffisant pour aller de l'avant avec certaines mesures, ainsi que pour faire pression sur le gouvernement fédéral afin d'obtenir d'autres modifications.

Voici nos propositions.


Sur l'impôt des particuliers

En 1985, au Québec, le taux maximum d'imposition a été ramené de 33 % à 26 %. Le retour à un taux plus élevé pour les contribuables à haut revenu est, à notre avis, une des mesures nécessaires pour accroître la progressivité du système fiscal. Il s'agit là d'une mesure simple visant à prendre la richesse là où elle est. Par exemple, la simple création d'un taux d'imposition à 29 % au lieu du 26 % actuel pour les particuliers ayant des revenus supérieurs à 100 000 $ par an, aurait permis au gouvernement d'encaisser plus de 220 millions $ supplémentaires en 1996.

La contribution annuelle maximale à un Régime enregistré d'épargne retraite doit quant à elle être plafonnée à 7 500 $. Une telle mesure n'affecterait en rien la très large majorité des cotisants à un REER. Elle ne toucherait dans les faits que les individus plus fortunés et ne les empêcherait même pas de se constituer une réserve appréciable. Seuls les contribuables disposant d'un revenu annuel supérieur à 100 000 $ investissent en effet plus de 7 500 $ dans un REER (10 466 $ en moyenne en 1996)[16]. Alors qu'ils ne représentaient que 1,3 % de l'ensemble des contribuables en 1996, ils accaparaient 10,2 % des sommes investies dans un REER. Il est par ailleurs intéressant de noter que, comme la pauvreté, l'utilisation d'exemptions fiscales comme les REER a un sexe. Alors que les femmes comptaient pour tout près de la moitié des contribuables québécois en 1996, les versements totaux qu'elles ont faits à un REER ne comptaient que pour 35 % de l'ensemble[17].

D'autres hypothèses pourraient aussi être envisagées. Ainsi, estimant que les déductions fiscales accordées pour les REER constituent un « cadeau superflu » pour les contribuables à revenu plus élevé, le Conseil national du bien-être social du Canada propose de convertir ces déductions en crédits d'impôt. Selon l'organisme, le gouvernement canadien aurait perdu 2 milliards $ en 1996 « du seul fait qu'il ait consenti aux cotisants à un REER des déductions d'impôt plutôt que des crédits d'impôt »[18]. En effet, plus le revenu d'un contribuable est élevé, plus son taux d'imposition est important et plus ses déductions d'impôt sont profitables. Ce ne serait pas le cas avec des crédits d'impôts.

Le Bloc québécois va dans le même sens, en proposant qu'« afin de rendre le système de taxation davantage neutre et équitable envers l'ensemble des contribuables... la déduction pour les cotisations à un régime d'épargne-retraite et l'avantage fiscal qui en découle devraient être fixés en fonction de la contribution et sans égard au revenu imposable du contribuable »[19].

Tous les gains en capital devraient être soumis à 100 % à l'impôt et non seulement à 75 %, comme c'est le cas actuellement. C'est d'ailleurs ce que recommandait la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics, en 1996. Cela n'empêchera pas les gens de faire des gains, mais ils seront au moins imposés. La personne dont le salaire augmente de 28 000 $ à 30 000 $ voit ses 2 000 $ supplémentaires soumis à l'impôt. Pourquoi la personne qui fait 100 000 $ de gains en vendant ses actions voit-elle seulement 75 000 $ soumis à l'impôt ? Les gains de capital présentement imposables profitent dans une proportion de 65 % aux contribuables gagnant 100 000 $ et plus[20] (et dans une proportion de 73 % à des hommes)[21].

Les exemptions fiscales pour gain de capital (biens agricoles, actions de petites entreprises, etc.) devraient quant à elles être abolies, sauf dans le cas de celles pour résidence principale, encore que celles-ci pourraient être limitées, par exemple à un montant à vie, comme le suggère le Bloc québécois. En 1996, les exemptions pour gains de capital se chiffraient au total à 590 millions $, dont 492 millions $ profitant à des contribuables ayant des revenus supérieurs à 100 000 $ et plus [22]. La Commission sur la fiscalité et les finances publiques proposait minimalement d'en baliser l'utilisation. Dans un mémoire soumis en 1997, la CSN, la CEQ et la FTQ estimaient que le manque à gagner de l'État québécois pourrait ainsi être diminué de 100 millions $[23].


Sur l'impôt des sociétés

Même si la part de l'impôt des sociétés a augmenté sensiblement depuis 1971, elle ne compte toujours que pour 9,2 % des revenus autonomes du gouvernement (18,9 % en calculant leur contribution au Fonds des services de santé). La part de l'impôt sur le revenu des particuliers s'élève quant à elle à 45,6 % et les taxes à la consommation à 22,4 %[24].

Plusieurs mesures pourraient être adoptées pour progresser dans la recherche de l'équité fiscale.

Il faut que le gouvernement cesse de permettre aux compagnies de reporter les impôts qui sont dus. Au Québec, d'aussi grosses compagnies que BCE, Canadien Pacific, Alcan, Seagram, Québécor, Domtar, Cascades, Molson ont joui ou jouissent toujours de tels reports. Selon Michel Bernard et Léo-Paul Lauzon, « au Québec, les vingt plus importants reports d'impôts forment ensemble un montant de 7,0 milliards $ »[25]. De plus, comme le soulignent justement les deux auteurs, même si on ne parle que d'un report d'impôt, le gouvernement perd au change : « 1 $ d'impôt reçu dans 10 ans n'équivaut qu'à verser 46 cents aujourd'hui en tenant compte d'un taux d'intérêt de 8 %. Ce dollar d'impôt reçu dans 5 ans équivaudrait à 68 cents aujourd'hui »[26].

Un impôt minimum et incontournable sur les revenus doit également être instauré. Celui-ci doit être complémentaire aux taxes sur la masse salariale et à l'impôt sur le capital et non pas en remplacement de ceux-ci.

Les transactions boursières devraient aussi être taxées. Québec devrait faire pression en faveur de cette mesure au plan international, comme le propose James Tobin, prix Nobel en économie. II pourrait voir, si possible en collaboration avec le gouvernement canadien[27] comment elle pourrait être appliquée, même modestement, sur des bases autonomes.


Sur les taxes à la consommation

Depuis le début des années 80, le gouvernement du Québec a sans cesse accru les revenus tirés des taxes à la consommation, des sociétés d'État et de la facturation des droits, permis et services.

Ces sources de revenus ont un caractère foncièrement régressif, touchant tout le monde également, sans égard au revenu. Cette orientation doit être révisée, la tarification dans les domaines de la santé, de l'éducation doit cesser.

L'assiette des produits exemptés de taxes doit également être élargie afin de couvrir les biens essentiels. La taxation du linge, des chaussures, des couches, des serviettes hygiéniques et des autres produits de base touche particulièrement les personnes à faible et modeste revenus. Par contre, les taxes sur les produits de luxe devraient être accrues. L'achat d'un Sea-doo, d'une Mercedes ou d'une « BM », d'une Roolex, de manteaux de fourrure ne devrait pas être taxé au même niveau que le matériel scolaire !


Sur l'impôt relatif aux revenus de location

Le FRAPRU demande également au gouvernement de procéder à une révision de ses dépenses fiscales dans le domaine du logement locatif.

Les statistiques fiscales des particuliers et des entreprises, produites par le gouvernement québécois, sont très peu explicites sur les revenus tirés de la location de logements. On peut cependant calculer, à partir du loyer mensuel moyen, qui, selon les données du recensement de 1996, était de 506 $ au Québec, que le million de logements locatifs privés occupés (excluant les logements sociaux et les logements privés vacants) rapporte environ 6 milliards $ de revenus bruts de location à des corporations et des particuliers.

Or, les propriétaires de logements paient très peu d'impôt sur ces revenus. Tous les guides sur les mille et une manières de sauver de l'impôt, incluant ceux du gouvernement, expliquent très bien comment réduire à zéro l'impôt à payer sur les revenus locatifs, y compris les moyens de se servir de ceux-ci pour payer moins d'impôt sur les autres revenus.

Les propriétaires de logements bénéficient de plusieurs déductions accordées par l'État pour les aider dans leur investissement. Ils peuvent déduire les items suivants reliés à leurs logements locatifs : les frais d'intérêt sur l'argent emprunté pour acheter ou rénover ; le coût du chauffage, de l'électricité et de l'eau ; les primes d'assurance ; les salaires de concierge ; leurs frais comptables ; les frais d'entretien et de réparation ; les taxes foncières.

Ni les propriétaires occupants de maison ou de copropriété, ni les locataires du marché privé ne bénéficient d'une si généreuse aide. Les locataires et propriétaires occupants à modeste revenu ne bénéficient que du remboursement partiel, sous forme de crédit, d'une partie des taxes foncières par le biais du Remboursement d'impôts fonciers.

Ces déductions mises en place pour encourager les gens à acquérir et entretenir des logements locatifs n'ont eu aucun impact sur l'accroissement du stock de logements locatifs abordables. Bien au contraire. À la « belle époque » pour les propriétaires de logements du début des années 80, ces incitations ont contribué à l'augmentation de la valeur des immeubles et par conséquent des loyers. D'autant plus que le gouvernement provincial a toujours admis comme éléments justifiant une hausse de loyer à la Régie du logement, la plupart des items donnant droit à des déductions d'impôt. Ces mêmes dépenses permettent donc aux propriétaires de logements locatifs à la fois de réduire leurs impôts et d'augmenter leurs loyers...


Non à une baisse d'impôts

Nous ne le répéterons jamais assez : une réduction des impôts représenterait un mauvais choix social et fort probablement aussi un mauvais choix économique.

Ceci dit, nous sommes bien conscients au FRAPRU que le nid du gouvernement est déjà fait et qu'il faudrait un retournement majeur pour qu'il en soit autrement.

Nous tenons cependant à affirmer haut et fort que nos priorités sont ailleurs. En 1976, en endossant le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, le gouvernement québécois, alors dirigé par René Lévesque, s'est engagé à travailler activement au respect de tous les articles qui y sont compris, y inclus son article 11 qui se lit comme suit : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence ».

Nos priorités, à nous, elles sont là, ainsi que dans le respect des autres grands droits que sont ceux à la santé, à l'éducation, à l'égalité, etc... et cela passe bien avant les réductions d'impôts !


Liste des groupes-membres du FRAPRU

Les groupes dont le nom est suivi d'un astérisque (*) sont des membres participants. Ce sont eux qui sont au coeur des décisions et des interventions du FRAPRU. Les autres groupes sont des membres associés. Ils appuient, dans la mesure de leurs moyens, les prises de position et les interventions du FRAPRU, dans leur milieu respectif.


Organisations nationales

Fédération des locataires d'habitations à loyer modique du Québec (FLHLMQ) *
Fédération des ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec
Regroupement des Auberges du Coeur
R' des centres de femmes du Québec


Région du Bas-du-Fleuve

Comité logement de Rimouski-Neigette*

Région du Saguenay-Lac-St-Jean

Association des locataires de HLM pour familles de Chicoutimi
Loge m'entraide, Chicoutimi *

Région de Québec

Action habitation, Québec
Centre des femmes de la Basse-Ville, Québec
Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur, Québec *
Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, Québec *

Région de la Mauricie

Comité logement de Trois-Rivières *
Fédération des coopératives d'habitation de la Mauricie et du Centre du Québec (FÉCHMACQ)

Région de l'Estrie

Association des locataires de Sherbrooke *

Région de l'île de Montréal :

Alerte Centre-sud, Montréal
Association des locataires des Habitations Jeanne-Mance, Montréal
Association des locataires de Villeray, Montréal *
Atelier Habitation Montréal
Centre des femmes de Verdun
Comité Bails Hochelaga-Maisonneuve,Montréal *
Comité d'action de Parc Extension, Montréal*
Comité logement Bordeaux-Cartierville, Montréal *
Comité logement Centre-Sud, Montréal *
Comité logement Plateau Mont-Royal, Montréal
Comité logement Rosemont*
Conseil communautaire Notre-Dame-de-Grâce, Montréal *
Conseil régional de Montréal de la FTQ
Entraide-logement Hochelaga-Maisonneuve, Montréal
Fédération des coopératives d'habitation de l'Ile de Montréal (FÉCHIM)
Fédération des OSBL en habitation de Montréal (FOHM)
Groupe de ressources techniques Bâtir son quartier, Ile de Montréal
Infologis Mercier, Montréal
Inter-loge Centre-Sud, Montréal
Justice et foi, Montréal
La Marie-Debout, Hochelaga-Maisonneuve, Montréal
Le Chaînon
Montreal City Mission
Multi-Caf, Côte-des-Neiges, Montréal *
POPIR Comité logement de St-Henri, Petite-Bourgogne, Ville-Émard, Côte St-Paul, Mtl *
Regroupement des syndicalistes à la retraite du Conseil régional de Montréal de la FTQ
Regroupement Information logement (RIL) de Pointe St-Charles, Montréal *
Programme d'aide au logement (PAL), Verdun
Projet Genèse, Côte-des-Neiges, Montréal *
Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal
Syndicat des employéEs de l'U de M
Tenants Hot Line, Ile de Montréal

Région de l'Outaouais

Association pour la défense des droits sociaux de Hull
Logemen'occupe, Hull *
Mon chez nous, Outaouais

Région de la Côte Nord

Cité des bâtisseurs, Baie-Comeau

Région Chaudière-Appalaches

Association des locataires de Thetford-Mines *
Groupe de ressources techniques Beauce-Amiante
Habitations populaires Côte-du-Sud, Montmagny

Région de Laval

Groupe de ressources techniques de Laval

Lanaudière

Fédération lanaudoise des coopératives d'habitation (FLACH), Joliette
Groupe d'aménagement du logement populaire (GALOP), Joliette

Région de la Montérégie

Association des locataires de HLM Mont Saint-Hilaire
Comité de logement social de Châteauguay *
Comité logement Beauharnois *
Comité logement Valleyfield *
Fédération des coopératives d'habitation de la Montérégie (FÉCHAM)
Groupe Alternative logement, St-Jean
Regroupement des personnes assistées sociales (REPAS) de Granby



Notes

    [1] Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada, 10/12/98, observation no 11.

    [2] Profil de la pauvreté, 1996, Rapport du Conseil national du bien-être social, printemps 1998

    [3] Données des recensements de 1981, 1986, 1991 et 1996

    [4] Idem

    [5] Ordre professionnel des diététistes, Agir ensemble pour contrer l'insécurité alimentaire, juin 1996, p. 10

    [6] Idem, p. 4

    [7] Rapports annuels de la Régie du logement 1982-1983 à 1997-1998. Statistiques de 1998-1999 fournies par la Régie du logement.

    [8] Hydro-Québec, Pratiques d'affaires, Direction de la commercialisation, 21 septembre 1998

    [9] Réponses du Québec au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, 1998, p. 31-32

    [10] Au début des années quatre-vingt, le nombre de logements sociaux réalisés au Québec se chiffrait même autour de 8000.

    [11] Carrefour de savoirs sur les finances publiques. Les plus pauvres et les finances publiques, 1999-2000.

    [12] Idem

    [13] Organisation nationale anti-pauvreté, Érosion des droits de la personne au Canada, document soumis au Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies, 16 novembre 1998, p. 48

    [14] Idem

    [15] Ontario Yours To Recover, The Ontario Alternative Budget 1999, p. 7

    [16] Statistiques fiscales des particuliers, année d'imposition 1996, édition 1999, p. 119, 122 et 123

    [17] Idem, p. 104

    [18] Guide des pensions, Rapport du Conseil national du bien-être social, été 1999. p. 57

    [19] Bloc québécois, Fiscalité des particuliers : analyse critique et recommandations, février 1997, p. 23

    [20] Statistiques fiscales des particuliers, op. cit, p. 119, 122 et 123

    [21] Idem, p. 104

    [22] Idem, p. 51

    [23] CEQ, CSN, FTQ, Pour un financement équitable et adéquat des services publics, 17 février 1997, p. 12

    [24] Budget 1999-2000, Plan budgétaire, section 3, p. 10

    [25] Michel Bernard et Léo-Paul Lauzon, Finances publiques, profits privés, 1996, p. 110 et 111

    [26] Idem

    [27] Le parlement canadien a voté une résolution en faveur de la Taxe Tobin (sic).