Quelle sera la place du logement social dans la nouvelle Communauté métropolitaine de Montréal ?

Commentaires sur le projet de loi 134
adressés à la ministre des Affaires municipales, Mme Louise Harel,
et aux membres de la Commission parlementaire de l'aménagement du territoire

Front d'action populaire en réaménagement urbain
FRAPRU

Le 29 mai 2000



Madame la ministre,

Comme vous le savez, le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) est très préoccupé de l'avenir du logement social dans la réorganisation municipale présentement en cours.

Nous aurions donc apprécié être entendus directement en commission parlementaire pour vous faire part de nos commentaires sur le Projet de loi 134 sur la Communauté métropolitaine de Montréal dont le Chapitre III porte sur les compétences de la nouvelle communauté métropolitaine, parmi lesquelles se retrouve justement le logement social. Votre cabinet nous a informés que vous préfériez plutôt nous entendre, à l'automne, sur les modalités d'application de cette loi.

Tout en insistant fortement pour effectivement être convoqués à cette occasion en commission parlementaire, nous voulons vous faire part de brefs commentaires sur le projet de loi 134.


Nos préoccupations

En tant que regroupement national de promotion et de défense du logement social, nous voulons nous assurer que celui-ci sortira renforcé plutôt qu'affaibli de la réorganisation municipale.

Notre principale préoccupation porte sur le développement de nouveaux logements sociaux, partout où il y a des besoins à travers le Québec.

Nous vous avons déjà fait part de la nécessité d'imposer des obligations aux municipalités pour qu'elles doivent contribuer au développement de tels logements.

Le programme AccèsLogis, le seul qui permette encore le développement de nouveaux logements sociaux, démontre, à notre avis, la nécessité d'avoir recours à de tels obligations.

Si on prend la situation dans la future Communauté métropolitaine de Montréal, nous devons malheureusement constater que bien peu de municipalités acceptent présentement d'assumer la contribution financière du milieu nécessaire pour que des logements coopératifs et sans but lucratifs y voient le jour. Cette contribution n'est pourtant que de 5 % à 15 % des coûts de réalisation des projets.

Grâce aux pressions du FRAPRU et de ses groupes-membres de Montréal, ainsi qu'à l'ouverture démontrée par l'administration municipale dans ce dossier, la Ville de Montréal accepte présentement de contribuer au développement de 500 logements par année sur les 1325 disponibles à l'échelle du Québec. D'autres municipalités ont aussi fait leur part, dont Verdun, LaSalle, Châteauguay et Mercier.

Toutefois la plupart des admninistrations municipales ont jusqu'ici choisi d'ignorer ce programme et du même coup les besoins de leurs concitoyens et surtout de leurs concitoyennes les plus démunis financièrement.

Depuis les débuts du programme en 1997, la ville de Laval a refusé de participer aux 126 logements qui lui ont été offerts par le gouvernement québécois, alors que près de 10 000 ménages locataires y consacrent plus de la moitié de leur revenu en loyer. Longueuil a fait de même avec les 72 logements qui lui ont été attribués. Pourtant, près de 8000 ménages locataires y engloutissent la moitié et plus de leur revenu en loyer. Malgré une ouverture récente, la Ville de Montréal-Nord n'a pas non plus contribué aux 54 logements qui lui ont été offerts, alors que 27 % des ménages locataires qui y demeurent (un sommet dans la Communauté métropolitaine) y paient la moitié de leur revenu en loyer. La liste pourrait continuer avec Saint-Léonard, Saint-Laurent, etc.

En fait, en trois ans, des projets de logements coopératifs et sans but lucratif n'ont pu être soumis à la Société d'habitation du Québec que dans neuf municipalités sur les 105 que comptera la communauté métropolitaine.

La situation actuelle crée donc une inéquité dans l'accès au logement social. Des citoyens et citoyennes à faible et modeste revenu de Montréal peuvent accéder aux logements coopératifs et sans but lucratif financés par le gouvernement québécois, mais pas ceux de Laval, Longueuil ou Montréal-Nord.

Cette situation crée aussi une considérable inéquité fiscale. Parce qu'elle a accepté d'assumer ses responsabilités à l'égard des mal-logés, la ville de Montréal a jusqu'ici défrayé 84 % des coûts assumés par l'ensemble des municipalités de la région métropolitaine de Montréal par rapport à AccèsLogis. Les municipalités qui ont refusé d'assumer leurs responsabilités n'ont pas eu un sou à verser, tout comme celles qui, sans compter un grand nombre de mal-logés, jouissent d'une grande richesse foncière. Pensons à Westmount, Ville Mont-Royal, Hamstead, Beaconsfield ou Baie d'Urfé.

Voyons maintenant comment le projet de loi 134 permettrait ou non de s'attaquer à ce problème.


Un fonds de développement qui doit être obligatoire

L'article 138 du projet de loi prévoit que « la Communauté peut constituer un fonds du logement social afin de soutenir, en collaboration avec les municipalités locales de son territoire, la réalisation de tout projet de développement du logement social ». Le FRAPRU ne peut que se réjouir que le projet de loi ait prévu l'existence d'un tel fonds. Sur ce point, le projet de loi marque une avancée par rapport au Livre blanc. Il demeure cependant, à notre avis, trop timide. Nous pressons donc votre gouvernement de modifier cet article pour plutôt écrire que « la Communauté doit constituer un fonds du logement social ».

Même s'il est encore trop tôt pour discuter des modalités d'un tel fonds, celui-ci devrait, à notre avis, équivaloir à l'ensemble de la contribution municipale exigée pour tous les logements attribués sur le territoire de la communauté métropolitaine, dans le cadre d'AccèsLogis et de tout futur programme de logement social. Par exemple, si 600 ou 700 logements sont attribués annuellement à l'ensemble des municipalités de la communauté métropolitaine, le fonds devrait être suffisant pour couvrir la part municipale au financement de ces logements. La contribution des différentes villes à un tel fonds pourrait être fixée en fonction de leur richesse foncière.

La contribution obligatoire à un tel fonds constituerait, à notre avis, une forte incitation à ce que les villes acceptent que des logements se réalisent sur leur territoire. Par exemple, pourquoi l'administration municipale de Laval s'acharnerait-elle à refuser la construction et la rénovation de logements dans cette ville et à profiter de leurs retombées, alors qu'elle devra de toute façon en payer la facture ?


Des éclaircissements nécessaires

La modification de l'article 138, dans le sens proposé par le FRAPRU, nous rassurerait en partie quant à des aspects qui nous semblent nébuleux dans le projet de loi. D'autres éclaircissements nous semblent cependant nécessaires.

Le Livre blanc affirmait clairement : «  (...) toute municipalité intéressée qui satisfera aux conditions du programme pourra participer à AccèsLogis, sans avoir besoin de l'autorisation de la MRC ou de la communauté métropolitaine ». Le projet de loi 134 ne prévoit pas une telle disposition.

L'article 129 du projet de loi risque même d'avoir l'effet contraire. Après avoir indiqué que les municipalités conservent leur compétence sur différents domaines, dont le logement social, « jusqu'à ce que la Communauté exerce sa compétence relativement à ces domaines et dans la mesure où la Communauté s'est abstenue de le faire », le projet de loi affirme : « Toute disposition d'un règlement ou d'une résolution de la Communauté portant sur un domaine visé au premier alinéa prime sur une disposition inconciliable d'un règlement municipal ». Il ajoute : « La Communauté peut, par règlement, abroger toute disposition d'un règlement d'une municipalité de son territoire relativement aux domaines énumérés à l'article 128 que celle-ci juge incompatible avec les dispositions d'un règlement de la Communauté ».

Or, les articles 138 à 141 accorderaient une large partie de la compétence du logement social à la Communauté métropolitaine. Si nous comprenons bien l'article 129, ceci signifie donc que la Communauté aurait le pouvoir de contrecarrer un règlement municipal prévoyant le développement de logements sociaux dans le cadre d'AccèsLogis. Or, il y a un danger réel que cela survienne, l'ensemble des villes de la Communauté devant minimalement se partager les coûts des suppléments au loyer octroyés dans ces logements.

Nous vous pressons donc de clarifier le projet de loi, dans le sens de ce qui était proposé dans le Livre blanc.

Nous voulons en terminant vous demander, madame la ministre, de vous assurer que l'ensemble des lois nécessaires à la réorganisation municipale, notamment celles créant les communautés métropolitaines de Québec et l'Outaouais, faciliteront le développement si essentiel du logement social.

Nous en profitons également pour vous redire que nous partageons les préoccupations de la Fédération des locataires d'habitations à loyer modique du Québec quant à place des locataires de HLM dans la restructuration des offices municipaux d'habitation qui devrait suivre la réorganisation municipale.