FRAPRU

Front d'action
populaire en
réaménagement
urbain

Logement social et lutte à la pauvreté : comment avancer ?
21e Congrès du FRAPRU
Université Laval, Québec, 8 au 10 juin 2001


Bilan et conjoncture

Ce texte a été adopté lors d'une rencontre collective du Conseil d'administration et de la permanence du FRAPRU


Introduction

Lors de notre dernier congrès, nous pouvions réalistement évaluer que la conjoncture serait davantage favorable, en 2000-2001, à notre lutte pour un Grand chantier de logement social. Nous nous étions d'ailleurs donné l'ambitieux objectif de « convaincre les gouvernements de s'engager à dépasser de façon significative le niveau actuel de financement du logement social ».

Divers facteurs nous avaient convaincus de la possibilité d'atteindre cet objectif :

  1. Malgré les importantes réductions d'impôt accordées par les gouvernements, tant fédéral que québécois, de nouveaux surplus budgétaires s'annonçaient au rendez-vous aux deux paliers de gouvernement.

  2. Même si nous n'en connaissions pas le moment exact, des élections générales étaient imminentes à Ottawa. Quoique le Parti libéral du Canada partait largement en avance, nous pouvions y voir une occasion non seulement de le dénoncer, mais aussi de lui arracher des engagements électoraux sur lesquels nous pourrions tabler par la suite.

  3. La Marche mondiale des femmes, dont le succès était déjà prévisible, reprenait notre demande d'un Grand chantier de 8000 logements sociaux par année dans ses revendications au gouvernement québécois. De plus, malgré des hésitations et une faiblesse organisationnelle certaine, on pouvait encore espérer que la coalition canadienne de la Marche réussirait à interpeller sérieusement le gouvernement fédéral sur la nécessité d'un réinvestissement massif dans le développement de nouveaux logements sociaux.

Quel bilan pouvons-nous donc tirer de cette dernière année ? Avons-nous, comme nous le souhaitions, réussi à marquer des points significatifs ? Quelle sera la conjoncture au cours de la prochaine année et comment pouvons-nous tenter de nous y inscrire pour aller encore plus loin dans notre lutte ?


1. Notre lutte face à Ottawa : « Quand j'te dis passe-moi du logement social, passe-moi pas autre chose ! »

Pour la deuxième année consécutive, le congrès du FRAPRU a évalué que c'est sur le gouvernement fédéral qu'il était opportun d'intervenir en priorité dans notre lutte pour un Grand chantier. Notre plan d'action s'articulait autour de la préparation du budget et de la tenue d'élections générales.


Un calendrier... insaisissable

Il a fallu attendre la mi-octobre 2000 pour avoir la confirmation de la tenue d'élections précipitées à Ottawa. Jusque-là, le FRAPRU devait fonctionner aussi bien sur l'hypothèse d'un scrutin à l'automne suivi de la traditionnelle lecture du budget en février que sur celle d'un budget suivi d'élections au printemps 2001. Le FRAPRU a donc dû ajuster son calendrier et son propre plan d'action en conséquence.

Alors que le FRAPRU croyait devancer son calendrier pré-budgétaire, en amorçant ses activités dès le mois d'août, Martin a présenté, le 18 octobre, un exposé économique à saveur de mini-budget. Celui-ci faisait passer de 58 milliards $ à 100 milliards $ les baisses d'impôt accordées par Ottawa, en ne consacrant que des miettes à la lutte à la pauvreté (dont les 125 $ accordés par individu, pour un an seulement, pour compenser pour la hausse du coût du mazout...). L'aide au logement social y était encore une fois oubliée.

Après les élections, le FRAPRU s'est immédiatement remis en mode pré-budgétaire, en ayant la certitude que la lecture de ce budget aurait lieu en février ou au plus tard en mars 2001. L'occasion était belle pour tabler sur l'engagement pris dans le Livre rouge du Parti libéral du Canada de consacrer 680 millions $ en quatre ans à un programme de « logements plus abordables ». C'était sans compter... sur l'annulation du budget qui, à ce moment-là, semblait vraisemblablement reporté à l'automne 2001.

Croyant que l'annonce du programme promis par les Libéraux se ferait à cette occasion, l'assemblée générale de janvier 2001 a opté pour une campagne à plus long terme, laissant davantage de temps pour une lutte pré-budgétaire efficace face au gouvernement québécois. Une importante recherche de lettres d'appui, une série de rencontres avec les ministres et députés du Parti libéral et une action d'éclat à Ottawa ont donc été mis au programme, une grande manifestation nationale devant en principe constituer le moment fort de la mobilisation à la fin mai, à Ottawa.

Ces plans allaient encore une fois être déjoués, le Conseil des ministres devant statuer sur le programme de logements abordables d'ici la fin du printemps. Il pourrait même être annoncé à la faveur d'un autre énoncé économique de Paul Martin prévu pour le début mai. La grande manifestation à Ottawa perdant de la pertinence dans ce contexte, elle a donc été annulée pour être remplacée par des actions plus rapides, mais de moindre envergure.


Un travail soutenu

Malgré ce calendrier fluctuant, le FRAPRU a maintenu un rythme d'actions soutenu.

Rappelons-en les grands moments :

  • Intervention au Congrès de la Fédération canadienne des municipalités, à London, en Ontario ;

  • Rédaction d'un mémoire au Comité permanent des Finances, appuyé par une campagne d'appui de groupes ;

  • Campagne d'adoption de résolutions par les villes et, à Montréal, par les conseils de quartier ;

  • Actions-tintamarre devant des assemblées d'investiture et de financement du Parti libéral du Canada ;

  • Manifestation nationale devant le bureau de Jean Chrétien, à Shawinigan ;

  • Intervention à l'extérieur et à l'intérieur de la Confédérale fédérale-provinciale des ministres de l'habitation, à Fredericton, au Nouveau-Brunswick ;

  • Mobilisation d'environ 500 personnes dans un contingent « 2 milliards $ pour le logement social » lors du rassemblement de la Marche des femmes, à Ottawa ;

  • Publication et large diffusion d'un bulletin spécial sur les élections fédérales ;

  • Organisation d'une action-tintamarre, lors de la présence de Jean Chrétien à une assemblée publique du PLC à Laval, durant les élections ;

  • Manifestation nationale et déménagement symbolique devant la résidence officielle de Chrétien, à Ottawa ;

  • Organisation d'une journée nationale d'actions pré-budgétaires ;

  • Campagne de lettres au premier ministre Chrétien qui a recueilli l'appui de plus de 400 organismes ;

  • Rencontres de certains ministres et députés du Parti libéral ;

  • Sit-in au Ministère des Finances, à Ottawa, marqué par l'arrestation de dix de nos militantEs ;

  • Comparution de Jean Chrétien et Paul Martin organisé parallèlement à la celle des militantEs arrêtéEs.

Comme nous pouvons le constater, les actions du FRAPRU et de ses groupes-membres ont été nombreuses et ont, dans l'ensemble, donné une bonne visibilité à notre lutte.

Il est difficile d'imaginer ce que notre mouvement aurait vraiment pu faire de plus. Sûrement aurait-il à l'occasion pu faire mieux, mais le FRAPRU peut avoir la satisfaction d'avoir tenté tout ce qui était en sa mesure pour faire bouger le fédéral.


Une lutte davantage canadienne

Il faut également se réjouir de la collaboration avec le Réseau national sur le logement et l'itinérance et en particulier avec le Toronto Disaster Relief Committee.

Nous constations avec satisfaction dans notre bilan de l'an dernier que des liens toujours plus étroits se développaient avec ce réseau. Nous remarquions toutefois certaines divergences stratégiques majeures qui empêchaient une réelle lutte commune : emphase mise sur l'itinérance au détriment de la crise plus large du logement ; référence ambiguë au « logement abordable » plutôt qu'au logement social ; demande d'une « stratégie nationale sur le logement », alors que le FRAPRU réclame simplement du financement de la part d'Ottawa.

Non seulement la collaboration a-t-elle été plus étroite encore avec le Réseau national, mais certaines de nos divergences se sont rapidement estompées en début d'année. Notre congrès avait choisi d'interpeller les groupes canadiens sur ces divergences, ce que le FRAPRU a fait en leur faisant parvenir une lettre à la rentrée et en profitant de toutes les occasions pour en débattre plus directement. Cette attitude a été la bonne.

C'est en tenant le même discours sur la crise du logement et la nécessité d'un réinvestissement fédéral dans le logement social que des représentantEs du FRAPRU et du Réseau national sur le logement et l'itinérance ont notamment pu intervenir ensemble à la Conférence des ministres de l'habitation, à Fredericton. Les échanges ont aussi été plus réguliers avec les membres du Réseau. Par ailleurs, le FRAPRU a incité le Réseau à simplifier sa demande de réinvestissement du gouvernement fédéral. Au lieu de mettre de l'avant la Solution 1 % à Ottawa comme il le faisait jusque-là, le Réseau s'est plus simplement mis, comme le FRAPRU, à demander au fédéral d'investir 2 milliards $ par année dans le développement de nouveaux logements sociaux.

Il reste néanmoins des problèmes difficiles à surmonter.

  • Le Canada est un immense pays et organiser des actions de mobilisation conjointes impliquent des coûts hors de portée de notre organisme comme de ceux des autres provinces.

  • À l'exception du Toronto Disaster Relief Committee, les groupes avec lesquels nous collaborons sont bien souvent petits et, quoique leur discours se soit élargi, leur quotidien est centré sur la gestion des problèmes reliés à l'itinérance.

  • Le Toronto Disaster Relief Committee est lui aussi happé par la crise de l'itinérance qui prend une allure de fléau dans la capitale ontarienne. Il se voit également obligé de prioriser, à l'occasion, des interventions sur les paliers de gouvernement provincial ou municipal. Enfin, le mouvement ontarien de lutte contre la pauvreté, dont le TDRC est partie prenante, met du temps à se remettre de la répression policière qui a marqué la fin d'une manifestation à Queen's Park, en juin 2000.

  • Si les groupes canadiens continuent de revendiquer une stratégie nationale sur le logement, ce n'est pas simplement parce qu'ils sont d'accord avec de grandes normes appliquées « coast to coast », mais aussi parce que leur expérience leur démontre qu'ils ne peuvent compter sur leurs provinces respectives pour investir tout argent reçu du fédéral dans le logement social, à moins qu'elles n'y soient formellement obligées. Le FRAPRU lui-même n'agit pas si différemment. S'il demande à Ottawa de clairement destiner ses investissements au logement social, c'est parce qu'il n'a pas non plus une grande confiance dans le gouvernement québécois. La manière dont ce dernier est en train de dilapider l'argent fédéral pour les sans-abri ne peut que renforcer cette prudence.

  • L'interlocuteur privilégié du gouvernement Chrétien dans le dossier du « logement abordable » demeure la Fédération canadienne des municipalités avec laquelle le FRAPRU n'a pas un contact aussi régulier et sur laquelle il n'a à peu près aucune influence directe ou indirecte. Or, même si les interventions de la FCM tendent à prioriser le logement coopératif et sans but lucratif, elle se refuse toujours à parler ouvertement de réinvestissement fédéral dans le logement social. La FCM veut de toute évidence éviter de heurter Ottawa et les provinces, ce qui a possiblement permis au « logement abordable » de se frayer un chemin jusqu'au Livre rouge. On peut toutefois se demander comment la FCM pourra aller plus loin que le programme présentement sur la table à Ottawa, sans modifier son discours et sa stratégie.


Où sont les autres organisations québécoises ?

Si la collaboration avec le Réseau national sur le logement et l'itinérance s'est améliorée et si la lutte menée par le FRAPRU continue à recueillir l'appui de centaines d'organismes de tous ordres dans toutes les régions du Québec, on peut et on doit se demander où sont passés les autres organismes nationaux de logement social et une large partie de leurs membres. La seule exception vraiment notable à ce chapitre est le réseau de la Fédération des locataires d'habitations à loyer modique du Québec qui est, rappelons-le, aussi membre de notre organisme.

Il est vrai que le FRAPRU ne s'est pas concerté directement avec les autres organisations nationales avant d'entamer la lutte pour un réinvestissement du fédéral dans le logement social. Il est vrai qu'il n'a pas appelé, comme par le passé, à la formation d'un front commun en bonne et due forme. Certaines tentatives auraient effectivement pu être faites en ce sens, mais il nous apparaissait plus important et urgent de se lancer à l'action.

Il est également vrai que chacune des organisations vit ses propres difficultés, parfois importantes, les GRT étant accaparés par la livraison d'AccèsLogis, le mouvement coopératif en habitation étant en profond questionnement et le Réseau québécois des OSBL venant à peine de voir le jour et tentant péniblement d'assurer sa survie.

Toutes ces raisons et d'autres qui pourraient être invoquées ne peuvent cependant justifier la passivité actuelle de la plupart de ces groupes. C'est une chose de ne pas pouvoir déployer la même énergie, le même rythme d'activité ou le même style d'action ou d'intervention que le FRAPRU et ses membres, c'est une toute autre chose que de demeurer totalement sur la touche...


Une Marche qui est passée à côté d'Ottawa...

Le FRAPRU misait énormément sur la Marche mondiale des femmes pour obtenir des gains face à Ottawa. La Marche a effectivement été un très grand succès de mobilisation partout sur la planète, entre autres au Québec où elle a suscité une participation directe d'au moins 40 000 personnes, tout en permettant la conscientisation de l'opinion publique sur la pauvreté et la violence faite aux femmes. Elle est toutefois tout simplement passée à côté d'Ottawa...

Malgré l'insistance du Comité femmes du FRAPRU, en aucun moment, l'attention et la pression mises sur le fédéral ne se sont-elles un tant soit peu rapprochées de celles exercées sur le gouvernement québécois. C'est le soir même du rassemblement du 15 octobre, à Ottawa, une fois toutes les activités de mobilisation canadiennes terminées, que le premier ministre Chrétien et ses ministres ont été rencontrés. Difficile d'obtenir quelque réponse satisfaisante que ce soit dans de telles circonstances. La mobilisation québécoise pour le rassemblement du 15 octobre a également été décevante, plusieurs organisations et comités régionaux d'organisation de la Marche n'inscrivant même pas cette activité à leur calendrier ou amorçant la mobilisation sur le tard.

Plusieurs raisons pourraient être invoquées pour expliquer que le fédéral ait ainsi été négligé. Peut-être était-il impossible de penser exercer des pressions à la fois sur le gouvernement québécois, sur le fédéral et sur les grandes institutions internationales que sont l'ONU, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international... Peut-être n'était-il pas réaliste d'avoir une semaine d'actions régionales suivie de très larges rassemblements à Montréal et Ottawa, deux jours consécutifs... tout en assurant la présence d'une forte représentation de femmes québécoises à New York, par la suite.

Une question demeure toutefois. Pourquoi est-ce que ce sont les pressions sur le fédéral qui se sont retrouvées négligées ? Cette question dépasse d'ailleurs largement la Marche des femmes. Les groupes de personnes assistées sociales ne revendiquent presque jamais à Ottawa, alors que le fédéral a coupé dramatiquement dans ses transferts aux provinces à ce chapitre, entraînant une baisse des prestations partout au pays. Les organismes préoccupés par un réinvestissement dans la santé et dans l'éducation ne mènent pas non plus de campagne importante pour l'augmentation des transferts fédéraux. L'assurance-emploi, qui est pourtant un domaine de juridiction exclusive du fédéral, ne suscite pas de larges mobilisations, au moins à l'échelle du Québec. La liste pourrait continuer longtemps.

Le gouvernement fédéral est-il considéré comme trop gros ou trop loin ? Nos organismes ont-ils développé des réflexes nationalistes les incitant à considérer, dans les faits, la souveraineté du Québec pour acquise, sans même qu'elle ne se soit réalisée ? Le développement d'une lutte pan-canadienne et des alliances nécessaires à cette fin est-elle considérée comme trop ardue ?

Peu importe les raisons, on ne peut que rappeler l'importance du palier fédéral et continuer d'inciter les autres organisations à s'en préoccuper elles aussi.


La réponse du fédéral : tout... sauf du logement social

Nous ne pourrons reprocher au ministre fédéral responsable de l'Habitation, Alfonso Gagliano, de ne pas avoir été d'une clarté limpide. Il l'a affirmé haut et fort, lors de la conférence des ministres de l'Habitation, à Fredericton, en septembre 2000, il l'a redit dans une entrevue accordée au Toronto Star, le 1er avril dernier : « Ottawa ne réinvestira pas dans le logement social ».

Son chef Jean Chrétien n'a pas fait preuve de la même franchise lorsqu'il a annoncé l'engagement pris dans son Livre rouge de créer un Programme d'accès au logement permettant la construction de « 60 000 à 120 000 logements plus abordables ». Chrétien y a allègrement mêlé logement social et logement abordable, laissant les média sous l'impression, jamais démentie, que le fédéral allait réinvestir dans la construction... de HLM. Paul Martin continue quant à lui de cultiver la même ambiguité, en affirmant, à toutes les occasions possibles, que logement social et logement abordable, ça signifie exactement la même chose.

Dans les faits, Ottawa s'apprête, pour une troisième occasion consécutive, à reconnaître la gravité de la crise du logement et-ou de l'itinérance et la nécessité d'y consacrer des sommes substantielles... tout en refusant de réinvestir le moindre sou directement dans le logement social.

La chronologie vaut la peine d'être rappelée :

  • Décembre 1999 : la ministre responsable des sans-abri, Claudette Bradshaw, et le ministre Gagliano annoncent des investissements de 753 millions $, dont 311 millions $ en habitation, pour s'attaquer au problème de l'itinérance, mais la construction de logements sociaux pour sans-abri ne fait pas partie des plans, à moins que les provinces ou les communautés ne décident elles-mêmes d'utiliser une partie des argents fédéraux à cette fin. Faut-il se surprendre que les projets de logement ou même d'hébergement sans but lucratif financés jusqu'ici avec cet argent se comptent sur les doigts de la main et que pas un seul n'ait vu le jour au Québec ?

  • Février 2000 : au lieu de réinvestir directement dans le logement social, le budget Martin évoque la construction de logements abordables comme une forme d'utilisation du programme fédéral-provincial-municipal d'infrastructures. Les besoins de logement se retrouvent ainsi en compétition avec les urgents besoins en infrastructures des villes. Pour un, le gouvernement québécois rejette cette possibilité et exclut le logement des infrastructures qu'il accepte de financer.

  • Printemps 2001 : le cabinet Chrétien annoncerait d'ici la fin mai la mise sur pied du Programme de logements abordables promis par le Parti libéral du Canada dans son Livre rouge. Même si l'engagement libéral parlait spéfiquement du « secteur dans but lucratif » comme utilisateur possible du programme de 680 millions $, celui-ci semble fait sur mesure pour le marché privé. Les subventions s'annonçent insuffisantes pour le logement sans but lucratif, mais, pour appâter le privé, elles seraient accordées sans conditions quant aux loyers à offrir par la suite. Si le programme annoncé n'est pas sérieusement modifié d'ici là, la seule possibilité sera vraisemblablement de tenter de convaincre le gouvernement québécois de l'utiliser à d'autres fins (le logement social) que celles pour lesquelles il aura été créé... et ce, à la condition expresse qu'Ottawa lui laisse la souplesse nécessaire pour ce faire.


Toujours pas d'entente...

Mentionnons en passant que, malgré ce que nous pouvions croire au moment de notre congrès de l'an dernier, aucune entente n'a encore été signée entre le fédéral et le gouvernement québécois quant au transfert de la responsabilité des logements sociaux réalisés par le passé. Les deux gouvernements seraient, selon certaines rumeurs, venus bien près d'un accord vers la fin de 2000, mais, comme nous le savons, leurs relations se sont depuis très sérieusement refroidies et le dossier du logement social s'est du même coup retrouvé sur la glace.

Le FRAPRU devra cependant demeurer vigilant dans ce dossier où se joue le sort du parc actuel de logements sociaux, mais aussi la possibilité d'obtenir des fonds supplémentaires d'Ottawa qui pourraient possiblement être affectés au développement de nouvelles habitations sociales (encore que ce soit loin d'être assuré, si on se fie à l'exemple récent des argents reçus d'Ottawa pour le logement des sans-abri).

Par ailleurs, faute de la signature d'une telle entente, des inquiétudes de plus en plus sérieuses émergent sur la santé d'une partie substantielle du parc d'environ 40 000 logements coopératifs et sans but lucratif gérés directement par Ottawa et dans lequel celui-ci se refuse à réinvestir.

L'absence d'une entente avec Ottawa et des 100 millions $ supplémentaires par année dont il pourrait potentiellement profiter à cette occasion continue par ailleurs à fournir au gouvernement québécois l'excuse pour justifier sa propre incurie face à la crise du logement.


Comment aller plus loin ?

À moins d'un déblocage imprévu d'ici le congrès, celui-ci devra se demander comment aller plus loin, en convainquant le fédéral non seulement de consacrer de nouveaux argents en habitation, mais de le faire dans la formule dans laquelle il se refuse obstinément et explicitement de réinvestir, celle du logement social. Il faudra également se demander, compte tenu de la conjoncture à Québec, si la priorité devra encore être mise sur les pressions sur le fédéral.

Chose certaine, il est hors de question de ne pas continuer tout le travail exécuté depuis deux ans. L'argent, le gros argent, demeure à Ottawa et, malgré un certain essouflement de l'économie et les réductions massives d'impôt accordées par le gouvernement Chrétien, le fédéral continue de disposer d'excédents budgétaires dont il est proprement indécent qu'ils ne servent pas à réellement s'attaquer à la pauvreté et en particulier à la crise du logement.

Par ailleurs, quels que soient les choix stratégiques faits par le congrès, il faudra continuer à se battre, à Ottawa puis, s'il y a lieu, à Québec, pour qu'au moins une partie des 680 millions $ promis par les Libéraux durant la campagne électorale servent à du logement social et ne passent pas tout simplement sous le nez des mal-logéEs et des sans-abri.

Questions pour le Congrès

  1. Faut-il continuer de prioriser les pressions sur le gouvernement fédéral ?
  2. Qu'il s'agisse ou non de la priorité, comment pouvons-nous poursuivre la lutte pour obtenir un investissement clair du fédéral dans de nouveaux logements sociaux ?
  3. Comment est-il possible de développer des alliances plus fortes sur cet enjeu ? Au Canada ? Au Québec ?


2. Nos pressions sur le gouvernement québécois : une lutte imbriquée à celle contre la pauvreté

Tout en réaffirmant la nécessité de conserver la priorité sur le fédéral, le dernier congrès a donné au FRAPRU et à ses membres l'immense défi de trouver les moyens et les énergies pour, en même temps, accroître les pressions sur le gouvernement québécois pour qu'il aille plus loin que les 43 millions $ consacrés annuellement au logement social depuis 1997.


Des interventions, malgré tout, nombreuses

Malgré toute l'énergie consacrée au gouvernement fédéral, le FRAPRU et ses membres se sont avérés capables d'organiser (ou de participer à) de nombreuses activités de pression sur le gouvernement québécois.

Ils ont ainsi été très actifs à l'été pour réclamer le respect des engagements électoraux du Parti québécois, en particulier celui concernant la prolongation du supplément au loyer dans AccèsLogis et les deux programmes expérimentaux qui l'ont précédé (Résolution-Montréal et Achat-rénovation). Une occupation a été organisée à la fin juin au bureau de la ministre responsable de l'Habitation, Louise Harel, à Montréal. Elle a été suivie, dès la rentrée en août, d'une manifestation et d'une rencontre avec la ministre, lors du Conseil national du Parti québécois, à Trois-Rivières. Une conférence de presse a été organisée à Châteauguay, dans un OSBL d'habitation où le supplément venait bientôt à échéance, avec le témoignage de personnes directement concernées. Une campagne de lettres a enfin permis à environ 200 groupes, dont plusieurs coopératives et OSBL, d'exprimer leur inquiétude.

Le FRAPRU et tous ses membres ont également été très actifs dans la préparation, l'organisation et les activités reliées à la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence. La demande de 8000 logements, portée par la Marche, a été reprise partout au Québec, constituant même la priorité dans plusieurs régions, ce qui a démontré l'efficacité et la profondeur du travail réalisé par nos groupes, notamment à l'occasion de la tournée sur le dossier Logement au Québec : femme et pauvreté. Le FRAPRU a de plus participé aux discussions à ce sujet avec la ministre Harel. Notre réseau s'est enfin mobilisé très largement au moment même de la Marche, dans les quartiers, les villes, les régions comme au plan national.

À partir du tout début janvier, le FRAPRU s'est lancé dans une importante campagne pré-budgétaire. Il a organisé un tribunal populaire, à Montréal, où 400 personnes ont déclaré le ministre des Finances et futur premier ministre Bernard Landry coupable de ne pas s'être servi de ses budgets pour répartir la richesse et combattre la pauvreté. Rarement le hasard nous aura-t-il si bien servi, ce tribunal ayant été planifié près de deux mois auparavant, au moment où Lucien Bouchard semblait encore bien en selle. Le 12 février, une journée d'actions a permis de remettre la sentence, impliquant le financement de 8000 logements sociaux, à plusieurs députés du PQ. Landry l'a lui-même reçu deux fois en mains propres, une fois à Montréal, le 12, et une autre quelques semaines plus tard, à Hull. Le 27 février, une manifestation nationale a réuni environ 400 personnes à Québec.

Le FRAPRU et une partie de ses membres ont en même temps participé aux activités pré-budgétaires du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté qui a repris la revendication de 8000 logements sociaux. Cette dernière a aussi fait partie des propositions soumises par le Chantier de l'économie sociale dans le plan stratégique et les demandes budgétaires qu'il a tenté de faire cheminer auprès du gouvernement péquiste.


Le Grand chantier n'est plus le seul apanage du FRAPRU

Face au gouvernement québécois, la lutte pour un Grand chantier de 8000 logements sociaux dont la moitié en HLM s'est donc rapidement imbriquée à celle plus large et unitaire contre la pauvreté. C'est là un acquis important, tranchant avec ce qui s'est souvent passé antérieurement, alors que les deux luttes se menaient en parallèle et parfois au détriment de l'une ou l'autre.

La reprise de la demande de 8000 logements à la fois par la Marche des femmes, le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté et le Chantier de l'économie sociale démontre aussi tout le chemin parcouru depuis que le FRAPRU a lancé cette revendication au printemps 1998. Le Grand chantier n'appartient plus au seul FRAPRU et cette demande a fait son chemin dans des centaines si ce n'est des milliers de groupes de toutes sortes partout au Québec. Il s'agit là d'une avancée politique majeure qu'il ne faudra pas négliger dans les bilans, parfois déprimants, que nous avons à faire du résultat concret de nos efforts.


L'immobilisme du gouvernement péquiste

Ceci dit, nous ne pouvons non plus nous cacher que les gains réels, eux, restent bien minces et pas uniquement à Ottawa. Non seulement le gouvernement péquiste demeure-t-il de glace face à notre revendication de 8000 logements dont la moitié en HLM, mais il a à peine bougé sur ses propres engagements électoraux pris... il y a maintenant deux ans et demi.

L'ajout de 400 logements en trois ans au Volet 3 d'AccèsLogis n'a jamais fait de doute, le gouvernement péquiste attendant la Marche des femmes pour en faire l'annonce... question de donner l'impression d'au moins lui concéder quelque chose.

L'annonce, toujours dans le cadre de la Marche, de la prolongation jusqu'en 2003 du supplément au loyer offert dans des logements réalisés avec les programmes Résolution-Montréal et Achat-rénovation ne peut quant à elle même pas être considérée comme étant de bonne augure. Bien sûr, quelques centaines de locataires voient leur aide se prolonger, ce qui n'est assurément pas négligeable, mais c'est à bien davantage que le PQ s'était engagé. Ce n'est pas seulement le supplément accordé à 300 ménages que ce parti avait promis de prolonger, mais celui octroyé à 3500 ménages actuels ou futurs de logements sociaux, entre autres tous ceux réalisés avec AccèsLogis. Et ce n'est pas de deux ans maximum que le supplément au loyer devait être prolongé mais de cinq.

En faisant cette supposée concession à la Marche des femmes, le PQ a de toute évidence choisi de refiler la patate chaude à un prochain gouvernement. En attendant, les locataires devront continuer à vivre dans l'incertitude, comme tous les groupes qui, de peine et de misère, contribuent à développer des logements coopératifs et sans but lucratif qui, dans quelques années à peine, ne s'adresseront peut-être plus à celles et à ceux auxquels ils étaient destinés. Les inquiétudes qui ont commencé à surgir, il y a déjà quelques années, sur une possible disparition de la notion même de logements sociaux permanents s'avèrent malheusement de plus en plus justifiées.

Quant à l'engagement le plus ambitieux du Parti québécois, celui de venir en aide à 3000 ménages mal-logés additionnels par le biais du supplément au loyer, il a de très fortes chances de ne jamais être respecté. Bien sûr, la rareté actuelle de logements locatifs ne se prête pas à l'utilisation du supplément au loyer sur le marché privé et le FRAPRU ne s'est pas gêné pour le dire dans ses représentations auprès du gouvernement. Il s'est cependant empressé d'ajouter qu'il existait une autre façon de venir en aide à des ménages à très faible revenu et que c'était la reprise de la construction de HLM. En rejetant catégoriquement cette alternative ou toute autre allant dans le sens du financement de nouveaux logements sociaux, le PQ continue de bafouer une promesse formelle faite à 3000 ménages.


Au-delà de la frime... les compressions budgétaires se poursuivent

Comme il l'avait fait lors de la Marche des femmes, le gouvernement péquiste a encore une fois cherché à donner l'impression de se préoccuper du sort des mal-logéEs et de répondre aux revendications des groupes, lors du budget Marois, en mentionnant le logement social comme une forme possible d'utilisation de la réserve de 100 millions $ créée pour « lutter contre la pauvreté » à même les surplus budgétaires de l'année financière 2000-2001.

Le FRAPRU avait raison de mentionner, dans ses réactions au budget, qu'il s'agissait de « poudre aux yeux ». Il n'existe absolument aucune certitude quant à l'utilisation de quelque somme que ce soit dans ces 100 millions $ à des fins de logement social. Pire encore, le gouvernement péquiste n'a même pas d'obligation d'utiliser la réserve au cours des trois prochaines années.

Soyons clairs. Le FRAPRU devrait prendre le gouvernement au pied de la lettre et réclamer au ministre de la Solidarité sociale, Jean Rochon, qui en est responsable, qu'une partie au moins de la réserve de 100 millions $ serve le plus rapidement possible au développement de nouveaux logements sociaux. Ne pas le faire serait irresponsable.

Il n'en faudra pas moins continuer de revendiquer des investissements clairs, suffisants, récurrents dans du logement social. Il faudra également rappeler, à toutes les occasions possibles, que, pendant que le gouvernement québécois cherche à donner l'impression d'investir dans le logement social, il poursuit, dans la vraie vie, ses compressions budgétaires dans le domaine de l'habitation. En 2001-2002, alors que les besoins sont plus criants que jamais, les dépenses prévues en habitation diminueront de 12 millions $.

Comme si ce n'était pas suffisant, il est maintenant assuré que la majeure partie des 60 millions $ supplémentaires accordés en quatre ans au Québec par le fédéral, à l'occasion de ses annonces sur les sans-abri, sont passés à la moulinette des compressions budgétaires et ne serviront pas à aider un plus grand nombre de personnes ou de familles...

Tout cela au moment où le dernier budget a ajouté 3,5 milliards $ aux baisses d'impôt déjà accordées dans le budget précédent pour les porter à 11 milliards $ en quatre ans. Il y a là un lien de cause à effet et il ne faudra pas se gêner pour le dire haut et fort.


Une année charnière

C'est dans ce contexte pas du tout rassurant que le FRAPRU devra entamer une année décisive.

Notons en premier lieu que nous pourrions nous retrouver en élection générale plus tôt que nous le pensions. Même si le mandat du Parti québécois ne se termine qu'à l'automne 2002 (et qu'il pourrait même étirer ce délai jusqu'à l'automne 2003), des rumeurs persistances veulent que le scrutin ait lieu d'ici la fin de 2001 ou au plus tard au printemps 2002.

Si la tenue d'élections précipitées à Québec est encore hypothétique, ce n'est pas le cas de la fin du programme AccèsLogis qui est, rappelons-le, le seul qui permette encore le développement de nouveaux logements sociaux. C'est à l'automne 2001 que le gouvernement lancera la dernière programmation de ce programme et aucune assurance n'a encore été donnée quant à sa poursuite éventuelle. Ce serait s'illusionner dangereusement que de croire qu'il sera facile d'obtenir ne serait-ce que le simple renouvellement d'AccèsLogis. Souvenons-nous seulement des années de pression nécessaires à la mise sur pied de ce programme en 1997, en remplacement de l'éphémère programme Achat-rénovation.

Le Québec pourrait donc se retrouver dans la situation dans laquelle il était après le retrait du gouvernement, alors que le développement de nouveaux logements sociaux était tombé à zéro. Cette situation ne peut et ne doit pas se reproduire. Nous ne pouvons nous contenter du programme AccèsLogis et il faudra continuer de revendiquer plus et mieux, au cours de la prochaine année, mais la disparition de tout programme gouvernemental est la pire des éventualités. Difficile de continuer à mobiliser pour du logement social, quand les mal-logéEs n'en voient plus la couleur. Parlons-en donc à nos amiEs de l'Ontario.

Une autre possibilité est extrêmement inquiétante et pourra constituer un ferment de division dans le mouvement du logement social, celle qu'un nouveau programme soit uniquement réservé à des « clientèles spéciales ». Il ne s'agit pas de pure fiction. Rappelons-nous donc ce que disait déjà le Plan d'action du gouvernement québécois, présenté en 1997.

Les allocations-logement constituent une aide appréciable pour les ménages ayant des besoins de logement. Elles offrent une somme d'appoint pour assumer les coûts trop élevés de leur logement ou pour leur permettre de vivre dans un logement de meilleure qualité. Moins coûteuses que les programmes de type HLM, les allocations permettent d'aider un nombre beaucoup plus grand de ménages en besoin.

Toutefois, dans certains cas, l'aide d'appoint ne permet pas de régler les problèmes particuliers de logement. Par exemple, pour les personnes âgées en perte d'autonomie, les personnes ayant des déficiences physiques ou psychologiques, les itinérants et les femmes victimes de violence, il est nécessaire de développer une aide différente, favorisant notamment un certain encadrement et l'apport de services de soutien.

En d'autres mots, le gouvernement péquiste considérait déjà à cette époque que les problèmes vécus par la grande majorité des mal-logéEs n'étaient pas liés au marché privé de l'habitation et ne tenaient qu'à la faiblesse de leurs revenus. L'allocation-logement était donc la solution toute trouvée pour y répondre. Le logement social, lui, devait s'adresser aux seules personnes ayant des besoins particuliers comme la perte d'autonomie, des problèmes de santé physique ou mentale, etc.

Le PQ n'a pas eu l'audace d'aller carrément de l'avant avec cette vision clientéliste en 1997. La tendance était cependant là et, loin de se démentir, elle s'est confirmée dans les dernières années, avec le vieillissement de la population et la déresponsabilisation du réseau de la Santé et des Services sociaux. Ce n'est pas un hasard si le seul engagement électoral que le gouvernement ait respecté intégralement soit l'ajout de 400 logements pour... « clientèles spéciales ».

Le danger que le gouvernement tente d'aller encore plus loin en ce sens est d'autant plus grand qu'il pourra pour ce faire s'appuyer sur une demande portée par le nouveau Réseau québécois des OSBL qui réclame la mise sur pied d'un programme s'adressant spécifiquement aux « clientèles spéciales » et leur offrant un support communautaire. Il ne s'agit évidemment pas dans l'esprit du Réseau de concurrencer AccèsLogis, mais ce serait bien mal connaître le gouvernement que de le croire incapable de jouer sur les contradictions (... ou les nuances) dans nos propres rangs.


Aussi un enjeu pour les HLM actuels

Ajoutons que ce n'est pas que le développement de nouveaux logements sociaux qui soit influencé par cette tendance. Selon un texte récent de l'Office municipal d'habitation de Montréal, 300 unités de HLM ont déjà été transformées en logements où est offert « un encadrement 24 heures sur 24 à des personnes qui ont des besoins particuliers : insertion sociale du côté des jeunes, personnes ayant des problèmes de toxicomanie, sida, etc. » (OMH de Montréal, L'Office municipal d'habitation de Montréal au service des Montréalais les plus fragilisés, octobre 2000, p. 9). Ce phénomène pourrait aller en grandissant. Dans sa proposition de plan triennal d'organisation pour 1998-1999, la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre proposait de miser encore plus sur le logement social pour « favoriser l'intégration sociale des clientèles vulnérables ».

Évitons toute ambiguïté. Le logement social avec support communautaire représente assurément la solution la plus adéquate aux besoins de celles et de ceux qu'on baptise « clientèles spéciales » dans le jargon gouvernemental. Le problème, c'est que le gouvernement tente de plus en plus de faire reposer toute cette responsabilité sur le parc déjà insuffisant de logements sociaux et sur les maigres budgets qui sont accordés à la Société d'habitation du Québec pour en construire de nouveaux. D'autres joueurs autrement plus importants, soit le Ministère de la Santé et des Services sociaux et ses Régies régionales, continuent quant à eux à se laver les mains de ce qu'ils devraient pourtant considérer comme une de leurs responsabilités.

Dans les débats des prochains mois, le FRAPRU se devra de redire, sur toutes les tribunes, que c'est à l'ensemble des personnes qui en ont besoin que le logement social doit s'adresser.


Défendre une vision globale... articulée autour du logement social ?

Il n'y a pas que le programme AccèsLogis qui se terminera durant la prochaine année, mais l'ensemble du Plan d'action en habitation du gouvernement québécois et des programmes qui y étaient annoncés (notamment l'allocation-logement).

Le défi sera de taille. Il représente évidemment l'occasion de revendiquer des suites améliorées et bonifiées à AccèsLogis, de même que la mise sur pied d'un programme de construction de nouveaux HLM. Le FRAPRU pourrait en profiter pour renouer avec une orientation qu'il a portée pendant des années, notamment quand il revendiquait une politique globale en habitation, mais qu'il a un peu abandonnée dans les dernières années. Il s'agit de porter des demandes couvrant les différents aspects de la problématique du logement, tout en affirmant que ceux-ci ne trouveront pas une réponse adéquate dans le marché privé, mais par le financement massif de logements sociaux.

Si le congrès décide d'aller de l'avant avec cette stratégie, il devra également répondre à deux autres questions. Quelles revendications, outre celles du logement social, doit-il promouvoir ? Est-il pertinent, souhaitable et faisable d'unifier ou au moins de coordonner les efforts de l'ensemble du mouvement communautaire en habitation autour d'une vision commune, par exemple à l'intérieur d'un front commun ?

Quelle que soit la stratégie choisie, une première occasion d'intervenir se présentera, dès le retour des vacances, avec la tenue d'une commission parlementaire sur la question du logement social. Cette commission n'a pas pour objectif spécifique de débattre du Plan d'action et le gouvernement ne devrait pas y déposer d'ébauche de ce plan. La ministre Harel a toutefois déjà indiqué qu'elle s'inspirerait des discussions qui vont s'y tenir pour son élaboration.

Questions pour le Congrès

  1. Compte tenu de la conjoncture de la prochaine année, le FRAPRU doit-il prioriser les pressions sur le gouvernement québécois ?
  2. Quelle place le renouvellement du programme AccèsLogis doit-elle occuper dans notre lutte plus large pour un Grand chantier de 8000 logements sociaux par année ?
  3. Comment faire avancer la demande pour que la moitié de ces logements se réalisent en HLM ?
  4. Doit-on profiter de la fin du Plan d'action en habitation du gouvernement québécois pour se faire les porteurs d'une vision de l'habitation, qui, tout en continuant à prioriser le logement social, intègre d'autres préoccupations ? Si oui, lesquelles et comment travailler avec d'autres sur cet enjeu ?
  5. De manière plus générale, comment pouvons-nous développer nos alliances face au gouvernement québécois ?


3. Le Grand chantier : l'urgence de gagner...et pas n'importe quoi

Après trois ans, notre lutte pour un Grand chantier de logement social est de plus en plus ouvertement confrontée à l'urgence d'enregistrer des gains réels. Il n'en va pas que de la crédibilité de cette lutte et de la possibilité de poursuivre et accentuer la mobilisation populaire autour de celle-ci. La situation même des mal-logéEs nécessite des résultats... au plus sacrant.

La crise de l'incapacité de payer des locataires que nous avions identifiée dans notre Dossier noir sur le logement et la pauvreté et dans notre dossier Logement au Québec : femmes et pauvreté se double maintenant d'une pénurie grandissante de logements locatifs dont les locataires à faibles revenus, les femmes en particulier, qui sont déjà renduEs au bout du rouleau, sont et seront les principales victimes.

Les données publiées en novembre dernier par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) sont alarmantes dans presque tous les centres urbains et pas juste à Montréal, Hull ou Québec où la situation atteint un point critique, avec des taux d'inoccupation se situant respectivement à 1,5 %, 1,4 % et 1,6 %, alors que le taux dit normal est de 3 %. À l'échelle du Québec, le taux de vacance est passée de 3,8 % à 2,2 %. La chute est notable dans certaines régions en particulier, dont la région métropolitaine de Sherbrooke où le taux est passé de 7,6 % à 4,7 % en à peine un an.

Tout cela a des conséquences. Selon des données préliminaires, même s'il est loin d'atteindre les sommets enregistrés au début des années 80, le nombre de causes de fixation de loyer soumises à la Régie du logement a triplé au cours de la dernière année. La hausse de loyer due à la rareté des logements se combine par ailleurs pour un peu moins d'un ménage locataire sur cinq avec une hausse majeure des coûts de chauffage au mazout.

Les groupes qui interviennent directement auprès des locataires pourraient longuement parler des autres effets du manque de logements. Les propriétaires ayant le choix de leurs locataires, ils ont plus tendance à s'adonner à la discrimination contre les personnes assistées sociales, les familles monoparentales, les minorités visibles, etc. Ces ménages se trouvent acculés à louer les logements qui ne se sont pas trouvés pas d'autres preneurs. De la même façon, l'incapacité ou la peur de ne pas se trouver un autre logement oblige des locataires à rester dans des milieux où c'est leur santé physique ou psychologique qui est en péril, en raison de la mauvaise qualité du logement, de son étroitesse, etc. Les propriétaires, eux, peuvent se permettre de laisser leurs logements se taudifier, étant assurés qu'ils ne resteront pas longtemps inoccupés.

L'itinérance ne peut que se développer dans un tel contexte, même si elle reste largement cachée. Des familles entières doivent cohabiter. Des personnes doivent vivre pendant quelques jours ou quelques semaines, dans des abris de fortune. Des femmes préfèrent retourner (ou demeurer) chez leurs conjoints violents plutôt que d'aboutir à la rue.

Il ne s'agit pas d'être catastrophiste, mais de mesurer toute l'ampleur de la situation actuelle. Quoiqu'en dise la SCHL ou le gouvernement du Québec qui, dans son dernier document budgétaire, présentait la rareté des logements comme une bonne nouvelle, nous sommes au beau milieu d'une crise qui ne cesse de s'aggraver.

Face à une crise de cette ampleur, il faut demander au gouvernement de réglementer plus adéquatement le processus de location des logements et plusieurs de nos groupes ont été impliqués dans une lutte en ce sens. Il faut et surtout intervenir au niveau de l'offre de logements, la question étant de savoir si ceux-ci doivent se réaliser dans le privé ou dans le logement social.

Dans un tel contexte, notre lutte pour un Grand chantier ne perd pas de la pertinence au détriment d'autres préoccupations. Elle en est au contraire plus pertinente que jamais... mais il faut des gains.

Question pour le Congrès

  1. Quel peut être un objectif à la fois souhaitable et atteignable dans la poursuite de notre lutte pour un Grand chantier de logement social, en 2001-2002 ?


4. Réorganisation municipale : un gain majeur... mais aussi de nouveaux défis

C'est sur un enjeu sur lequel il était loin de s'attendre à réellement marquer des points, celui de la restructuration municipale, que le FRAPRU a enregistré son gain le plus important de l'année. La loi 170 a en effet obligé chacune des villes de Montréal, Québec, Hull-Gatineau, Longueuil et Lévis à se doter d'un fonds leur permettant de fournir la contribution municipale nécessaire au développement de logements sociaux qu'elles se voient octroyées en vertu de programmes de la SHQ. Dans la région de Montréal, cette obligation est doublée d'un partage de cette contribution entre toutes les villes de la communauté métropolitaine.

Ce gain n'est pas seulement important pour la dernière programmation d'AccèsLogis, mais aussi pour tout futur programme de logement social. Rappelons-nous par exemple comment certaines villes ont par le passé bloqué la construction de HLM, en refusant d'apporter leur contribution. C'est à plusieurs reprises que le FRAPRU est intervenu pour réclamer des mesures coercitives en la matière, mais ces démarches avaient été jusqu'ici tout à fait vaines.

Le FRAPRU a choisi de ne pas rester passif dans le débat sur la loi 170 et d'y défendre les intérêts des mal-logéEs. Sans se prononcer ouvertement sur le bien-fondé des fusions décrétées par cette loi, il a ouvertement mené campagne contre le statu quo, en démontrant comment il ne ferait que prolonger une inéquité sociale et fiscale injustifiable. Il ne s'est cependant pas gêné pour critiquer plusieurs aspects de la loi, comme l'absence de structures démocratiques adéquates ou encore l'ouverture faite à la tarification de certains services.

Si le FRAPRU et la Fédération des locataires de HLM du Québec n'étaient pas intervenus comme ils l'ont fait, tout ce qui aurait été différent dans la loi... aurait été l'absence de fonds de développement du logement social et de contribution obligatoire des villes membres de la CMM.

Imaginons-nous dans quelle situation nous nous retrouverions si nous n'avions pas arraché ce gain. Quelle certitude aurions-nous que du logement social continuerait à être financé à Montréal, à Québec ou à Hull-Gatineau, alors que des représentantEs d'ex-banlieues allergiques au logement social prendront place aux côtés d'élus rétrogrades qui le contestent depuis des années ?

Par ailleurs, les gains obtenus grâce à nos efforts commencent à porter fruit. Après des années d'hésitation, le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, vient d'accepter de participer financièrement au développement des logements coopératifs et sans but lucratif que la Société d'habitation du Québec lui avait réservés, parce qu'il sait qu'il sera maintenant remboursé par la Communauté métropolitaine. C'est pour la même raison que la ville de Saint-Constant, située en Montérégie, vient de donner son accord à un premier projet de logements communautaires, dans le cadre d'AccèsLogis.


Du pain sur la planche

La restructuration municipale pose néanmoins des défis très exigeants au FRAPRU comme à ses groupes-membres. Il devra d'abord s'assurer de contrer les efforts des élus municipaux qui, au moins dans certains cas, ne manqueront pas de tenter d'empêcher la mise sur pied effective des fonds de développement du logement social. C'est d'ailleurs déjà le cas au Conseil de la Communauté métropolitaine de Montréal où les élus ont jusqu'ici refusé d'adopter le budget relié au financement de nouveaux logements sociaux. Il devra également faire les représentations nécessaires pour que les phases suivantes de la restructuration municipale (notamment celles déjà amorcées à Chicoutimi, Trois-Rivières, Sherbrooke et Rimouski) prévoient aussi la mise sur pied de fonds obligatoires de logement social. La ministre Harel s'y refuse pour le moment.

Dans le cas des cinq nouvelles villes créées par la loi 170, et surtout celles de Montréal, Québec et Hull-Gatineau où le FRAPRU compte des groupes membres participants, les moments et les lieux d'intervention ne manqueront pas : auprès des comités de transition ; avant et pendant les campagnes électorales ; auprès des conseils municipaux nouvellement élus.

Les enjeux sont multiples : démocratie, protection des services publics et de leur gratuité, etc. Dans le domaine du logement, il faudra, tout en profitant des ouvertures créées par la loi 170, veiller à protéger les acquis. En voici quelques exemples : faire en sorte que la possibilité de réaliser du logement social sur tout le territoire des nouvelles villes ne se fasse pas au détriment des quartiers des anciennes villes ; conserver le contrôle des groupes communautaires sur les projets de logement social financés ou le gagner là où ce n'est présentement pas le cas ; s'assurer que chaque nouvelle ville se dote d'un code du logement et de moyens de le faire respecter ; restreindre encore plus la possibilité de convertir des logements locatifs en condos.

Les groupes membres du FRAPRU seront assurément fortement accaparés par ce dossier, au moins d'ici les élections du 4 novembre. Le défi sera de ne pas négliger pour autant les pressions sur les autres paliers de gouvernement. La permanence du FRAPRU aura le même défi, elle qui est en particulier déjà étroitement associée aux rencontres et aux démarches des groupes montréalais.

Question pour le Congrès

  1. Comment doser les énergies nécessaires à la mise en place des nouvelles villes (dont les élections du 4 novembre) et celles exigées par notre lutte pour un Grand chantier ?


5. Lutte contre la pauvreté et pour la redistribution de la richesse

Lors des derniers congrès, le FRAPRU a adopté deux résolutions prônant la poursuite de la réflexion sur la possibilité de mettre sur pied une organisation nationale permanente de lutte à la pauvreté (« d'action contre les causes de la pauvreté », précisait la résolution adoptée l'an dernier). La réflexion tant souhaitée n'a cependant pas avancé au cours de la dernière année, pour la simple et bonne raison qu'aucune proposition un tant soit peu concrète n'a jusqu'ici été mise sur la table. Peut-être commet-on également une erreur en posant la question de la lutte de la pauvreté en termes purement organisationnels plutôt qu'en termes plus larges de perspectives politiques. Le congrès de juin devrait en tout cas nous éclairer à ce niveau.

Cette difficulté à donner suite aux propositions adoptées en congrès n'a pas empêché le FRAPRU d'être très actif sur ce dossier qui, comme nous l'avons expliqué plus tôt, s'est mené en lien étroit avec notre lutte pour le financement de 8000 logements sociaux par année.

Dans les moyens de pression qu'il a mis en place, surtout ceux s'adressant au gouvernement québécois, le FRAPRU a tenté d'intégrer la nécessité d'une distribution plus équitable de la richesse, la demande de réduction des inégalités et l'opposition à la baisse des impôts. Un des exemples d'intervention réussie en ce sens est le Tribunal populaire contre Bernard Landry. La permanence a de plus tenu une bonne dizaine de sessions de formation sur ces enjeux, dans plusieurs villes et quartiers de la province, notamment à Baie-Comeau où l'activité a été organisée en collaboration avec la Table des groupes populaires qui est depuis devenue groupe membre associé.


Le travail de coalition du FRAPRU

Au cours de la dernière année, le FRAPRU a démissionné officiellement de Solidarité populaire Québec, mettant ainsi un terme à une participation qui n'avançait plus à rien. Sans que ça n'ait grand chose à voir avec le retrait du FRAPRU, la survie de cette coalition ne tient aujourd'hui qu'à un fil.

Quant à la Marche des femmes contre la pauvreté et la violence, dans laquelle le FRAPRU a été très actif, il n'est pas assuré qu'elle aura des suites en termes organisationnels. Dans son bilan de la Marche, le Comité femmes du FRAPRU s'est demandé comment il aurait été possible de conjuguer l'organisation d'un événement aussi ambitieux, qui a assuré une visibilité et une percée dans l'opinion publique qui auraient été difficilement atteignables autrement, avec des pressions plus constantes et plus suivies sur les gouvernements.

Quoiqu'il en soit, la participation du FRAPRU à la Marche a permis de nombreuses avancées pour notre mouvement. Parmi celles-ci, notons évidemment la reprise de nos demandes sur le logement social et le réseautage rendu possible par l'organisation de la Marche. Le discours et la pratique de notre mouvement se sont aussi enrichis avec la mise du pied du Comité femmes, la prise en compte de la plus grande ampleur et de la spécificité des problèmes de logement et de pauvreté vécus par les femmes et le débat sur des questions jusqu'ici inabordées au FRAPRU et dans les groupes membres, entre autres la violence faite aux femmes.

Il faudra faire preuve de vigilance afin de conserver tous ces acquis et la présence d'un Comité femmes représente une police d'assurance en ce sens, même s'il ne se réunira pas aussi souvent que dans les deux dernières années.

Attardons-nous un peu plus sur le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté face auquel certains de nos groupes démontrent une opposition ou un scepticisme qui ne se démentent pas.

Ces groupes ont tout à fait le droit de questionner ou de contester la pertinence d'une Loi sur l'élimination de la pauvreté et l'articulation du travail autour de cette perspective. Ceci dit, il faut reconnaître que, malgré tous les doutes exprimés parmi les groupes membres du FRAPRU, y compris ceux qui ont malgré tout appuyé l'adhésion au Collectif, celui-ci s'est imposé comme un acteur et un interlocuteur réels dans la lutte contre la pauvreté, ce que Solidarité populaire Québec n'a jamais été, ni sur cette question ni sur celle de la survie des programmes sociaux et de la révision de la fiscalité autour desquelles cette coalition s'était formée.

Rappelons quelques faits :

  • La pétition demandant l'adoption d'une Loi sur l'élimination de la pauvreté a recueilli plus de 215 000 signatures, un sommet dans l'histoire des luttes populaires au Québec et un chiffre que bien peu de pétitions soumises à l'Assemblée nationale n'ont réussi à atteindre.

  • Comme certains groupes, dont le FRAPRU, l'ont demandé, le Collectif a organisé des activités de mobilisation autour de son projet de loi, dont une campagne pré-budgétaire bien visible dans la plupart des régions du Québec. La démarche d'éducation populaire qui a été menée à cette occasion, si elle différait au plan de la forme, allait exactement dans le même sens que les formations données par le FRAPRU sur les finances publiques.

  • Les pressions exercées par le Collectif et l'ampleur des appuis reçus a obligé le Parlement, le gouvernement et les différents partis à débattre de la pertinence d'un projet de loi et plus largement de la lutte à la pauvreté. Au cours de la dernière année, des réunions ont eu lieu avec les députés des trois partis représentés à l'Assemblée nationale, des rencontres ont été organisées avec l'ex-premier ministre Bouchard et plus récemment avec l'actuel premier ministre Landry et un débat de deux heures a eu lieu à l'Assemblée nationale. Le gouvernement péquiste a même dû sortir de son chapeau l'idée de doter le Québec d'une stratégie de lutte à la pauvreté pour s'opposer à une loi qu'il trouve beaucoup trop contraignante et globale.

  • Le discours même du Collectif a beaucoup évolué, prenant en compte les critiques exprimées par certains organismes comme le FRAPRU et la Ligue des droits et libertés. L'approche mise de l'avant en est de plus en plus une de droits fondamentaux, la pauvreté étant vue comme une entrave à leur exercice. Une telle approche va exactement dans le même sens que le travail que le FRAPRU a amorcé il y a quelques années autour du rapport d'un comité de l'ONU sur le respect par le Canada et le Québec des droits sociaux, économiques et culturels.

Quelques jours avant notre propre congrès, le Collectif tiendra une importante rencontre de deux jours au cours de laquelle il débattra de la manière de poursuivre sa lutte et de la façon dont il doit se réorganiser pour y parvenir. La tenue de cette rencontre cruciale à quelques jours de notre congrès pose de sérieux problèmes de mandats qui forceront les déléguéEs du FRAPRU à s'abstenir sur plusieurs questions que nous n'aurons pu discuter au préalable. Nous devrons néanmoins revenir lors du congrès ou d'une future assemblée générale sur notre implication dans les suites qui auront été votées par le Collectif.


Le gouvernement québécois : une toute autre vision de la « lutte à la pauvreté »

Depuis que Bernard Landry a décidé de se porter candidat à la chefferie du Parti québécois, il a fait de la pauvreté « son obsession », « son ennemi personnel ». La lutte à la pauvreté est même devenue « la priorité des priorités » dans le premier budget Marois.

Comme l'ensemble du mouvement de lutte à la pauvreté l'a dénoncé, il ne s'agit là que de mots qui ne se sont en rien reflétés dans le budget, celui-ci se contentant d'ajuster les prestations d'aide sociale au coût de la vie (32 millions $) en 2001-2002.

Le gouvernement a cependant dû se rendre compte que le subterfuge passait mal dans la population même si une majorité de celle-ci continue contradictoirement à favoriser la baisse des impôts. Un sondage réalisé quelques jours plus tard démontrait que 63 % des personnes interrogées trouvaient que le gouvernement n'avait pas assez fait, dans son budget, pour la lutte à la pauvreté. Il s'agissait de l'aspect du budget qui soulevait la plus vaste opposition.

Un autre son de cloche, plus réel encore celui-là, a été donné quelques jours plus tard par la défaite aux élections partielles de Mercier du candidat péquiste Claudel Toussaint, défaite due non pas aux bons résultats obtenus par la candidate libérale, mais au fort taux d'abstention et aux 25 % des votes recueillis par le candidat de gauche Paul Cliche. Il est clair que la défaite péquiste ne peut être entièrement attribuée au maigre effort budgétaire consacré à la lutte à la pauvreté, mais celui-ci faisait partie des motifs d'insatisfaction exprimée à cette occasion. Cet échec, lié à l'émergence possible d'un parti ou d'un mouvement dirigé par l'actuelle présidente de la Fédération des femmes du Québec, Françoise David, crée un terrain susceptible à certains gains.

Le gouvernement péquiste ne semble toutefois pas vouloir pour l'instant modifier l'approche qu'il a toujours eue en matière de lutte à la pauvreté et les réponses fournies par Landry et Marois aux critiques contre leur budget sont tout aussi révélatrices que celui-ci de sa vision. Combien de fois n'a-t-on pas entendu dans les dernières semaines que, « pour redistribuer la richesse, il fallait d'abord la créer » et que « le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté était encore la création d'emplois » ?

Bref, les grandes orientations budgétaires adoptées par le gouvernement, comme la baisse des impôts des contribuables et les cadeaux distribués aux entreprises, notamment dans les régions-ressources, iraient, à son avis, exactement dans le bon sens. Tout juste, faut-il renforcer la « motivation à l'emploi », comme l'a si ouvertement exprimé Bernard Landry lorsqu'il a été publiquement interpellé par Lucie Villeneuve du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur, quelques jours après la lecture du budget.

L'approche péquiste continue donc de passer par l'emploi, l'obsession que Landry affirmait justement avoir délaissée pour celle de la lutte à la pauvreté. Toutes les autres dimensions de la lutte à la pauvreté sont occultées, alors que cette préoccupation devrait pourtant traverser l'ensemble de l'action gouvernementale, du soutien au revenu à la santé, à l'éducation, au logement social, etc.

À moins que le gouvernement ne revise son tir dans les prochains mois, c'est cette approche restrictive et non une approche large, globale, basée sur les droits de toutes et de tous, dont celui à un niveau de vie décent, qui traversera la soi-disant stratégie gouvernementale de lutte à la pauvreté. Les personnes pauvres continueront du même coup d'être divisées en bonnes et en mauvaises, en méritantes et en non-méritantes ou, pour reprendre l'expression de Landry, en motivées et en non-motivées.

Voilà un autre dossier qui devra retenir l'attention dans les prochains mois et être un objet de mobilisations majeures. Notons que le ministre de la Solidarité sociale, Jean Rochon, et la ministre déléguée à la pauvreté, Nicole Léger, ont fait connaître leur intention de déposer un document de consultation d'ici la fin mai et de statuer à ce sujet dès l'automne.


Une lutte internationale

L'implication du FRAPRU et de ses membres dans la Marche mondiale des femmes et dans l'opposition au Sommet des Amériques et à la Zone de libre échange des Amériques a permis de renforcer une dimension jusque-là bien peu présente dans notre discours et notre pratique. La nécessité de donner une dimension plus internationale à nos luttes pour la justice sociale, contre la pauvreté et pour une distribution plus équitable des richesses est apparue plus clairement.

Il est dommage que la discussion sur la ZLÉA en assemblée générale ait été si hermétique. Il faudra y revenir, peut-être en tentant d'approfondir notre compréhension des impacts de la globalisation du commerce sur les politiques et les conditions de vie d'ici.

Il faudra aussi voir quelles suites concrètes peuvent être données pour renforcer cette dimension de notre travail, notamment sur la question du droit au logement.

Questions pour le Congrès

  1. Comment voit-on la poursuite de la lutte à la pauvreté au cours de la prochaine année, compte tenu notamment de la possibilité d'adoption d'une stratégie gouvernementale ? Comment profiter de l'attention sur le problème de la pauvreté suscité par le dépôt de cette stratégie, tout en tentant d'en contrer l'approche ?
  2. La poursuite du débat sur la mise sur pied d'une organisation de lutte contre la pauvreté et-ou ses causes reste-t-elle pertinente ? Si oui, comment ?
  3. Comment situe-t-on la participation au Collectif pour une loi sur l'élimination dans la pauvreté dans ce contexte ?
  4. Doit-on donner suite au travail amorcé avec la Marche mondiale des femmes et l'opposition à la ZLÉA ? Si oui, comment ?