Le projet de loi 26
Une réelle protection pour les locataires ?
Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur le projet de loi 26
Novembre 2001
Depuis le premier juillet dernier, des centaines de ménages
locataires ont vu leur vie se transformer en cauchemar parce qu'ils
n'arrivaient pas à se trouver de logement. Plusieurs ont trouvé depuis,
beaucoup d'autres pas encore. Force est de constater que le manque de
logements locatifs a engendré et engendre toujours beaucoup
d'insécurité chez les locataires, en particulier chez celles et ceux à
faible revenu.
C'est dans ce contexte que la Commission parlementaire est
appelée à débattre du projet de loi 26 qui entend fixer des normes
régissant la location des logements. Malheureusement, le projet de loi
veut aussi faciliter et accélérer le processus d'éviction des
locataires qui se voient incapables de payer leur loyer. C'est sur ces
deux sujets que le Front d'action populaire en réaménagement urbain
(FRAPRU) fera porter le gros de son mémoire, non sans avoir rappelé au
préalable dans quelle situation se trouvent présentement les locataires
à faible revenu.
Le FRAPRU est composé de plus de quatre-vingt groupes actifs
dans la plupart des régions du Québec. Plusieurs de ces groupes sont
des comités logement et des associations de locataires qui sont
quotidiennement à même de constater les difficultés rencontrées par les
locataires à faible revenu et la faiblesse des moyens dont ils et elles
disposent pour y faire face.
Une situation qui est loin d'être rose
Le recensement canadien de 1996 dénombre plus de 518 700 ménages
locataires consacrant plus de 30 % de leurs revenus bruts pour se
loger, soit une augmentation de 28 % par rapport à 1991. De ce
nombre, 273 825 ménages locataires engloutissent plus de la moitié de
leur revenu dans le loyer, ce qui constitue une augmentation de
41 % par rapport à 1991. Notons que les gouvernements considèrent
qu'un ménage a des besoins impérieux de logement dès qu'il paye
30 % et plus de ses revenus bruts en frais de logement, chauffage
et électricité inclus.
Les personnes assistées sociales figurent parmi celles qui sont
les plus susceptibles de se retrouver dans ces situations. Pas étonnant
quand on sait qu'une personne seule prestataire de la Sécurité du
revenu et n'ayant pas de « contrainte à l'emploi » reçoit un
montant mensuel de 522 $ par mois ! Si son loyer est de
350 $, sans compter les frais d'électricité et de chauffage, on
comprend qu'elle doive souvent faire le choix difficile entre payer le
loyer ou manger. De plus, comment peut-elle arriver à se vêtir ou même
à prendre l'autobus ? Il est on ne peut plus irréaliste de
s'imaginer qu'on peut arriver à survivre, tout en payant son loyer,
avec une si maigre pitance.
L'appauvrissement des locataires
Une intéressante étude menée par J. David Hulchanski, professeur à l'Université de Toronto [1],
fait état de l'appauvrissement des ménages locataires au Canada et de
leur difficulté de plus en plus grande à payer un loyer. Hulchanski
révèle qu'à Montréal le revenu médian des ménages locataires a chuté de
23 389 $ en 1984 à 19 605 $ en 1999, pour une baisse de
16 %. Pendant ce temps, le revenu des ménages propriétaires, lui,
ne diminuait que de 1 %.
L'étude constate aussi que les avoirs des locataires ont
baissé de 51 % de 1984 à 1999, passant de 4291 $ en 1984 à
2112 $ en 1999. Pendant ce temps, les avoirs des propriétaires,
eux, augmentaient de 33 %. Si les avoirs des propriétaires
montréalais étaient, il y a quinze ans, 29 fois supérieurs à ceux des
locataires, ils sont aujourd'hui 70 fois plus élevés !
Un facteur aggravant : la pénurie de logements locatifs
La crise du logement due à l'appauvrissement des locataires s'est
doublée, depuis quelques années, d'une raréfaction du nombre de
logements locatifs disponibles. Des régions métropolitaines comme
Montréal, Québec et Hull sont notamment frappées par une véritable
pénurie de logements, les taux de logements inoccupés y étant
respectivement de 1,5 %, 1,6 % et 1,4 %, lors de la
dernière enquête de la Société canadienne d'hypothèques et de logement
(SCHL) menée en octobre 2000.
Le 1er juillet 2001 et les semaines qui ont suivi
furent particulièrement éprouvants pour bien des locataires. À Montréal
seulement, 566 ménages se sont pointés à l'Office municipal
d'habitation, du 29 juin au 17 octobre, parce qu'ils étaient tout
simplement incapables de se trouver un logement, bien souvent après des
mois de recherche. Dans la région de Hull, c'est une cinquantaine de
familles qui se sont retrouvées sans logis le 1er juillet et
plusieurs dizaines d'autres depuis. La pénurie a aussi touché des
villes comme Québec, Longueuil, Châteauguay, Granby, Terrebonne et
Sainte-Thérèse, pour ne nommer que celles-là.
Si bon nombre des ménages en difficulté ont fait appel à leur
office municipal pour être relogés, c'est souvent chez des amis ou de
la famille qu'ils se sont entassés - ou s'entassent toujours - le temps
de trouver enfin une demeure. Aujourd'hui encore, les comités logement
ainsi que d'autres groupes tels que le Centre social d'aide aux
immigrants, de même que les ressources temporaires d'hébergement qui
interviennent directement auprès de ces populations, reçoivent
quotidiennement des appels de gens désespérés de se trouver un
logement.
La pénurie de logements locatifs a de plus exercé une pression
à la hausse sur le prix des loyers, rendant encore plus difficile
l'accès à un logement pour les personnes à faible revenu. Elle a aussi
envenimé la discrimination au moment de la location d'un logement, ce
que démontre l'augmentation des plaintes à ce sujet à la Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec.
Chronique d'une pénurie annoncée
Le gouvernement québécois aurait dû voir venir cette pénurie et
prendre les moyens pour y faire face. Il a plutôt préféré se réjouir de
la baisse dramatique du taux de logements inoccupés, comme le faisait
le budget Marois de mars 2001, en écrivant : « Après avoir
connu une longue période où le marché était en déséquilibre, le secteur
du logement est enfin parvenu à l'équilibre ». En d'autres mots,
quand le marché défavorise les propriétaires, il est en déséquilibre,
quand il les avantage, on « est enfin parvenu à
l'équilibre ».
Il est vrai, comme l'affirme le budget, que l'inoccupation de
logements locatifs s'explique en partie par la croissance économique
que le Québec a connue durant quelques années. Celle-ci a exercé une
forte pression sur la demande de logement. On peut en effet constater
que la formation de nouveaux ménages a connu une forte hausse, passant
d'une moyenne de 25 000 par année de 1995 à 1997 à une moyenne de 40
000 depuis 1998. La croissance y a été pour quelque chose, mais elle
est terminée et n'a pas profité à une large partie des locataires qui
en ont uniquement subi les conséquences négatives. La pénurie de
logements locatifs, elle, risque de demeurer.
La construction de logements locatifs : une denrée rare
Si la demande de logements a augmenté, l'offre, elle, a diminué.
Malgré une certaine amélioration dans les deux dernières années, les
données de la SCHL démontrent que beaucoup moins de logements locatifs
sont construits présentement que ce n'était le cas à la fin des années
80. Si près de 27 000 logements locatifs avaient été construits en 1987
au Québec, c'est seulement 3 444 qui ont vu le jour en 1999.
La diminution des mises en chantier de logements sociaux a
contribué à cette situation. Alors que les gouvernements fédéral et
québécois ont financé une moyenne de 5272 logements, à la fin des
années 80, ce nombre est tombé à 1325 dans les dernières années, compte
tenu du retrait d'Ottawa.
La conversion en condos
Même si elle a joué un rôle moins important, la possibilité de
convertir des logements locatifs en condominiums a aussi joué un rôle
néfaste, particulièrement à Montréal. Depuis 1993, plus de 2434
logements locatifs ont pu être transformés en condominiums en vertu
d'une dérogation municipale adoptée en vertu de la loi québécoise, ce
qui a aggravé le manque de logements locatifs, surtout dans les
quartiers Plateau Mont-Royal, Centre-Sud et Ville-Marie.
Le 1er janvier 2002, ce sont les 27 arrondissements
de l'île de Montréal qui auront le pouvoir de déroger à l'interdiction
de convertir des logements locatifs en condominiums, ce qui pourrait
ouvrir plus grandes encore les vannes, à un moment d'extrême fragilité
du marché.
Les contrôles : une cause réelle ?
Les associations de propriétaires ne manqueront assurément pas
de pointer du doigt la législation sur le logement locatif et
particulièrement le contrôle des loyers comme une cause majeure de la
pénurie actuelle.
Elles devront alors expliquer pourquoi l'Ontario qui a, depuis
plusieurs années déjà, démantibulé son contrôle des loyers et laissé
libre cours au marché privé connaît une pénurie de logements locatifs
encore plus catastrophique que le Québec.
Le non paiement de loyer dans un tel contexte
Le Rapport annuel de la Régie de logement rapporte que plus de 67
000 causes ont été entendues au courant de l'année 2000-2001. Plus de
la moitié de ces causes, soit 36 709, étaient relatives à des demandes
de recouvrement de loyer et de résiliation de bail, pour des causes de
non paiement de loyer.
Il y a sûrement lieu de s'interroger sur un phénomène de cet
ampleur, tout en constatant qu'il est surprenant qu'il n'y ait pas
encore davantage de plaintes pour non paiement de loyer, compte tenu
que 273 000 ménages locataires consacrent plus de 50 % de leur
revenu au loyer.
Fait révélateur, les données disponibles à la Société
d'habitation du Québec (SHQ) démontrent qu'en HLM les mauvaises
créances pour non paiement de loyer sont de l'ordre d'à peine
0,5 %. Ceci démontre éloquemment que le problème du non paiement
n'en est pas un de fraude ou de malversation de la part des locataires,
mais de pauvreté et de coût du logement. Quand le prix du loyer
respecte la capacité de payer des ménages locataires, ils le paient.
Des solutions dans le projet de loi 26 ?
Voyons maintenant comment le projet de loi 26 pourrait ou non contribuer à s'attaquer à cette situation.
Des évictions plus rapides
Force est d'abord de constater qu'il pourrait, sur certains aspects, aggraver la situation plutôt que l'améliorer.
Le projet de loi entend ainsi prendre des dispositions
inquiétantes pour évincer plus facilement et rapidement les locataires
qui n'auront pas payé leur loyer.
À l'heure actuelle, le délai pour obtenir un jugement à cet
effet est de moins d'un mois et demi, ce qui constitue le traitement le
plus rapide à la Régie du logement. Par exemple, un locataire ayant
logé une demande pour obtenir des réparations à son logement doit en
moyenne attendre de neuf à douze mois.
Loin de s'attaquer à ce déséquilibre flagrant, comme il devrait
le faire, le projet de loi semble plutôt vouloir l'accentuer encore
davantage en octroyant l'obtention d'un jugement plus rapide encore (de
l'ordre de deux semaines) dans le cas de non paiement. Le ménage
locataire aurait dorénavant dix jours après réception d'une plainte à
la Régie pour la contester. Si, pour une raison ou pour une autre, il
était dans l'impossibilité d'y répondre, le greffier de la Régie
pourrait délibérer sans même avoir entendu la cause.
Est-ce qu'on présume de sa culpabilité puisqu'on ne le laisse
même pas exprimer son point de vue ? De plus, diverses raisons,
entre autres des problèmes d'analphabétisme ou encore de langue, nous
laissent croire que ce type d'avis peut être incompréhensible pour
plusieurs personnes d'autant plus que le délai de dix jours ne donne
que très peu de temps pour s'informer. Par exemple, unE locataire à
faible revenu qui voudrait avoir accès à l'aide juridique a
minimalement besoin d'un délai de deux semaines pour effectuer ses
démarches alors qu'on ne lui accorderait que dix jours.
Ainsi, l'application de cette nouvelle disposition ne
viendrait que fragiliser encore plus la situation des locataires.
Comment une décision aussi importante que de déloger unE locataire
pourrait-elle se prendre sans qu'il ou elle ait même pu se faire
entendre ? Comme la possibilité d'exprimer son point de vue est un
principe de justice fondamentale, comment justifier le fait que ces
locataires n'y auront peut-être plus accès ? Qu'arrivera-t-il à
ces ménages qui se retrouveront encore plus rapidement à la rue ?
Le législateur ne semble pas s'en préoccuper.
L'éviction plus rapide ne résoudra rien puisque le problème du
non paiement de loyer est intimement lié à celui de la pauvreté. Le
FRAPRU recommande donc d'enlever du projet de loi 26 la disposition
relative à l'éviction plus rapide des « mauvais payeurs », de
même que celle qui permet à un greffier de délibérer sans avoir entendu
le point de vue du locataire.
De même, au lieu d'évincer celles et ceux qui n'ont pas pu
payer leur loyer, pourquoi la Régie du logement ne pourrait pas avoir
juridiction pour statuer sur des modalités raisonnables de paiement,
quand celui-ci est possible ? Il est déjà possible d'arriver à ce
type d'entente par le biais de la Loi sur la protection des
consommateurs ou encore d'Hydro-Québec. Pourquoi la Loi sur la Régie du
logement ne pourrait-elle pas en faire autant ? L'éviction
pourrait être évitée si des ententes pouvaient être prises et
respectées entre un propriétaire et un locataire sur le paiement de
loyer. Si ces ententes pouvaient effectivement être conclues, bon
nombre de locataires éviteraient de se retrouver à la rue, atténuant
par le fait même les effets de la crise du logement.
Un petit pas dans la bonne direction
Le FRAPRU constate cependant avec satisfaction que les
locataires auront maintenant la possibilité de payer le loyer dû avant
que le jugement ne devienne exécutoire, alors que maintenant les
locataires ne peuvent l'éviter que jusqu'au jugement. Cela évitera à
bon nombre de ménages locataires d'être évincés alors qu'ils ont déjà
payé leur loyer.
La location d'un logement
Des améliorations
Le projet de loi entend octroyer à la Régie du logement le pouvoir d'intervenir sur l'offre de location
d'un logement, entre autres en rendant un propriétaire passible de
dommages et intérêts punitifs pour avoir demandé à un locataire
potentiel son numéro d'assurance sociale. Le propriétaire ne pourrait
non plus exiger de dépôt.
C'est positivement que nous accueillons ces nouvelles mesures
qui viendront contrer des pratiques couramment employées par les
propriétaires. Le FRAPRU craint toutefois qu'elles ne soient difficiles
à faire respecter : rares sont les locataires qui désirent débuter
une relation conflictuelle avec leur propriétaire. Sans oublier que le
rapport de pouvoir existant entre un propriétaire et un aspirant
locataire est très grand, plus encore si le bail n'est pas encore signé
et ce, dans un contexte de pénurie de logements. Ces mesures se veulent
quand même un premier pas dans l'encadrement du processus de location
des logements.
Nous savons que les associations de propriétaires, en
particulier la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec,
font activement campagne contre ces améliorations. Nous ne pouvons que
demander au gouvernement de tenir son bout et dénoncer les arguments
démagogiques utilisés par la CORPIQ, quand elle compare les
renseignements que les propriétaires privés auront le droit de demander
avec ceux exigés par les Offices municipaux d'habitation pour l'entrée
dans un HLM. Si les renseignements demandés par les propriétaires
visaient, comme en HLM, à répondre plus adéquatement aux besoins des
locataires et à fixer leur loyer en fonction de leur revenu, ils
auraient assurément besoin de plus d'informations. Ce n'est toutefois
pas le cas.
Pourquoi fournir la date de naissance ?
Le gouvernement québécois doit cependant aller plus loin. Le
projet de loi 26 crée en effet une ouverture dangereuse, en donnant la
possibilité aux propriétaires de demander au locataire potentiel sa
date de naissance, lors de la cueillette de renseignements.
Actuellement, un propriétaire a, en théorie du moins, seulement le
droit d'obtenir des références du propriétaire antérieur. Considérant
cette information suffisante, à quoi pourrait servir la date de
naissance si ce n'est à donner accès à des banques de données contenant
des informations personnelles ? Les propriétaires n'auraient
peut-être pas le droit de demander le numéro d'assurance-sociale, mais
ils pourraient arriver au même résultat par une autre voie.
Le FRAPRU demande conséquemment que soit retirée du projet de
loi la possibilité pour le propriétaire d'exiger la date de naissance.
Suffisant pour contrer la discrimination ?
Compte tenu de la rareté de logements locatifs, les
propriétaires ont présentement beau jeu de s'adonner à la
discrimination. Ce sont les ménages à faible revenu, particulièrement
s'ils reçoivent des prestations de la Sécurité du revenu, ceux avec des
enfants, ceux qui sont d'autres origines ethniques ainsi que les femmes
monoparentales qui en sont les principales victimes. Le projet de loi
26 ne permet en rien de contrer ce problème.
Puisque la discrimination cause de sérieux problèmes à
beaucoup de ménages en recherche de logement, il faudra que le
gouvernement prenne des mesures pour y remédier.
L'une de ces mesures devrait être l'utilisation d'enquêteurs
pour faire du « testing » auprès des propriétaires qu'on
soupçonne de pratiquer la discrimination.
Le gouvernement du Québec doit aussi prendre la responsabilité
et les moyens de poursuivre devant les tribunaux les propriétaires qui
se rendront coupables de discrimination dans la location des logements.
Les recours offerts aux locataires doivent être également être simplifiés et les délais abrégés.
La conciliation, une façon de désengorger la Régie ?
Le projet de loi 26 entend introduire le recours à la conciliation
entre locataires et propriétaires dans le but de désengorger le
tribunal de la Régie en réglant les conflits à l'extérieur de ce
tribunal.
Au FRAPRU, la question se pose autrement : pourquoi le
tribunal de la Régie du logement est-il engorgé ? Tout d'abord, le
tribunal de la Régie serait sans doute moins encombré s'il y avait
davantage de personnel et de régisseurs affectés au service. Les
coupures dont a été victime la Régie du logement il y a près de cinq
ans n'ont rien fait pour améliorer la situation.
Ensuite, dans un contexte où les locataires s'appauvrissent et
où le prix des loyers augmente, il ne faut pas s'étonner de voir que la
moitié des causes entendues le soient pour non paiement de loyer, ce
qui constitue une autre source de forte affluence. C'est donc aussi sur
l'appauvrissement des locataires qu'il faut intervenir pour alléger les
demandes à la Régie du logement. S'il y avait davantage de logements
sociaux et si les locataires avaient davantage de revenus pour être en
mesure de payer leur loyer, il y aurait moins de demandes de
résiliation de bail pour non paiement.
Enfin, si les locataires et les propriétaires ont besoin de se
rendre à la Régie pour régler leur différends, comment la conciliation
parviendra-t-elle à mieux les résoudre ?
Deux autres améliorations
En terminant cette partie de notre mémoire, nous voulons noter deux
améliorations supplémentaires apportées par le projet de loi 26,
Il est d'abord plus que temps que les locataires aient la
possibilité de demander une baisse de loyer, quand les coûts des taxes
et de l'énergie diminuent, puisque les propriétaires, eux, ont le droit
de hausser les loyers, quand il y a augmentation de ces coûts. On se
demande par contre pourquoi les locataires ne pourraient pas aussi
invoquer une baisse des frais d'exploitation et des assurances de
l'immeuble pour demander une diminution de loyer. Il faudrait aussi
faciliter l'accès à ces données pour permettre aux locataires qui le
désirent d'y avoir recours.
Le projet de loi 26 stipule aussi que les propriétaires
devraient maintenant faire parvenir l'avis de hausse de loyer dans les
cinq mois avant la fin du bail au lieu de six comme c'est le cas
actuellement, ce qui permettrait au locataire d'obtenir les taux de
fixation de loyer parus à la Régie en janvier. Cette amélioration
donnerait le temps aux locataires de s'informer des augmentations
suggérées et ainsi éviter d'accepter des hausses abusives de loyer.
Conclusion : aller au-delà de la loi 26
En somme, ce n'est pas le projet de loi no 26, à tout le moins dans
sa forme actuelle, qui permettra de réellement défendre davantage les
droits des locataires et ce, même s'il contient certaines améliorations
par rapport à la situation actuelle. Nous avons en effet démontré qu'en
contrepartie, le droit au maintien dans les lieux se trouvera affaibli
par la disposition relative à l'éviction plus rapide des mauvais
payeurs.
Dans un contexte où les propriétaires ont plus que jamais le
gros bout du bâton, il faut travailler au renforcement des droits des
locataires.
Même si nous sommes conscients que le projet de loi 26 n'a pas
pour objectif de réviser l'ensemble de la législation sur le logement
locatif et encore moins de doter le Québec de la politique intégrée
d'habitation que tant d'intervenants réclament depuis vingt-cinq ans,
nous profitons de l'occasion pour rappeler les grandes revendications
qui permettraient de s'attaquer plus efficacement à la crise du
logement.
Pour un contrôle plus efficace du marché privé
Le contexte actuel de rareté des logements locatifs et les pressions
qu'il crée sur le coût des loyers, surtout en cas de départ des
locataires, font apparaître clairement la nécessité de renforcer le
contrôle des loyers et de cesser de faire porter sur les locataires le
poids de la contestation des hausses.
Le FRAPRU estime donc que tous les loyers devraient
obligatoirement être contrôlés par la Régie du logement, y compris ceux
des immeubles de moins de cinq ans. Pour ce faire, tous les baux
devraient être déposés à la Régie.
L'accès aux services de la Régie du logement doit de plus être
gratuit et les délais abrégés dans le cas des plaintes portées par les
locataires.
Pour un grand chantier de logement social
Ceci dit, le marché privé de l'habitation nous démontre depuis belle
lurette qu'il est incapable d'assurer le respect du droit au logement
pour toutes et tous. Pour le marché privé, le logement représente un
investissement qui se doit d'être rentable, au moins aussi rentable que
d'autres investissements du même genre. Il représente une marchandise
que tous les locataires n'ont malheureusement pas les moyens de se
procurer.
C'est pourquoi les ménages à plus faible revenu doivent souvent
consacrer un pourcentage disproportionné de leurs revenus au loyer,
vivre de la discrimination dans la recherche d'un logement, accepter un
logement en mauvais état, s'entasser chez de la famille ou des amis,
voire même se retrouver à la rue.
Le gouvernement se doit donc d'offrir une alternative à ces
locataires et cette alternative, c'est le logement social, sous la
forme de HLM, de coopératives d'habitation et de logements gérés par
des OBNL. Ces trois formules ont en commun d'être sans but lucratif,
d'être à propriété collective plutôt que privée et de permettre une
certaine prise en charge par les locataires de leurs propres conditions
de logement et vie. Voici pourquoi elles doivent être favorisées et
pourquoi elles sont susceptibles de permettre l'offre de logements de
qualité, respectant la capacité de payer des locataires.
Le FRAPRU réitère donc encore une fois l'importance de mettre
sur pied un grand chantier de 8000 unités de logements sociaux par
année dont la moitié en HLM et l'autre moitié en coopératives et en
OBNL.
Il faut améliorer le projet de loi 26 et c'est la tâche de
cette commission parlementaire. Le gouvernement se doit cependant
d'aller bien au-delà de ce projet de loi pour assurer un véritable
droit au logement.
Nos recommandations
- La disposition relative à l'éviction plus rapide des
locataires dans le cas de non paiement de loyer devrait être retirée,
tout comme celle qui permet au greffier de délibérer sans avoir entendu
le point de vue des locataires. La loi devrait plutôt accorder à la
Régie du logement la juridiction pour statuer sur des modalités
raisonnables de paiement, dans les cas où celui-ci est possible, et
pour permettre la conclusion d'ententes volontaires à cet effet.
- La disposition donnant le droit au propriétaire de
demander la date de naissance devrait également être retirée. Tout
propriétaire demandant un tel renseignement devrait être passible de
dommages et intérêts punitifs.
- Le gouvernement doit prévoir des mesures sévères
permettant de s'attaquer à la discrimination dans la location d'un
logement. Le recours au « testing » pourrait notamment être
un moyen efficace. Le gouvernement du Québec doit prendre la
responsabilité et les moyens de poursuivre devant les tribunaux les
propriétaires qui se rendront coupables de discrimination dans la
location des logements. Les recours offerts aux locataires doivent
enfin être simplifiés et les délais abrégés.
- Le gouvernement devrait aussi améliorer le service à
la Régie du logement en augmentant le nombre d'employés et de
régisseurs, ce qui serait autrement plus efficace que la conciliation
pour désengorger le tribunal de la Régie.
- La possibilité pour les locataires de demander une
baisse de loyer dans le cas où il y a une diminution des coûts des
taxes et de l'énergie devrait être étendue à la baisse des frais
d'exploitation et d'assurance. Pour qu'une telle disposition soit
effective, l'accès à ces données doit être facilitée.
- Même s'il ne s'agit pas d'une mesure directement liée
au projet de loi, nous nous permettons finalement d'invoquer une
situation d'urgence pour demander à la commission parlementaire de
recommander une modification au projet de loi, de manière à interdire
la conversion de logements locatifs en condominiums, partout sur le
territoire du Québec, et ce sans possibilité de dérogation. Un
moratoire devrait à tout le moins être imposée sur toute conversion,
tant et aussi longtemps que le taux de logements inoccupés ne sera pas
revenu à un point d'équilibre.
Note
- J. David Hulchanski. A Tale of Two Canadas. Howeowners Getting Richer, Renters Getting Poorer, Research Bulletin #2, August 2001. Retour au texte