22e Congrès du FRAPRU
Université Laval, Québec, 7 au 9 juin 2002
Bilan et conjoncture
Introduction
Qui aurait pu imaginer lors du dernier congrès du FRAPRU que l'année
2001-2002 aurait si marquante sur le front du logement ?
- Aggravation sans précédent de la crise du logement due à la
pénurie croissante de logements locatifs dans plusieurs grands centres
urbains du Québec ;
- Visibilité médiatique soutenue de la crise et de ses conséquences, celle-ci atteignant un point culminant autour du 1er juillet 2001, puis du squat des rues Overdale et Rachel, à Montréal ;
- Investissements budgétaires majeurs en habitation et en particulier dans le logement social ;
- Annonces, pour la première fois depuis 1993, du
financement de nouveaux logements publics gérés par les offices
municipaux d'habitation ;
- Obtention d'un quasi consensus social sur la nécessité du logement social ;
- Plus grande reconnaissance du FRAPRU dans les média, auprès des autorités politiques et dans la population en général.
Le temps est venu non seulement de tirer un bilan de cette année,
mais aussi et surtout de voir comment nous adapter à une conjoncture
sensiblement modifiée.
Une crise qui n'est pas que conjoncturelle
Crise du logement... Cette expression que nous avons tenté en vain
de faire accepter pendant des années est maintenant largement
consacrée. Elle est toutefois utilisée dans un sens plus restreint que
celui que le FRAPRU cherchait à y donner, ne servant qu'à désigner la
pénurie de logements locatifs qui frappe plusieurs grands centres
urbains.
Il faut dire que cette pénurie est majeure et qu'elle risque de modifier en profondeur le portrait de l'habitation au Québec.
Cherchant à en minimiser l'importance, l'ex-ministre responsable
de l'Habitation, Louise Harel, a à quelques reprises évoqué la
surabondance de logements locatifs dans certaines régions dont la
Côte-Nord ou l'Abitibi pour affirmer qu'il fallait éviter de
généraliser et qu'il ne manquait pas de logements à l'échelle du
Québec. C'est vrai. Certaines régions ou municipalités ne sont pas
touchées par la pénurie. Ce n'est cependant pas parce que le marché du
logement y répond plus adéquatement aux besoins, mais simplement parce
que la population y est en baisse, comme le démontrent les premiers
résultats du recensement canadien de 2001.
En fait, la pénurie de logements locatifs affecte maintenant
quatre des six régions métropolitaines du Québec. Dans celles de
Montréal et Gatineau, le taux de logements inoccupés n'est que de
0,6 %, alors qu'il devrait atteindre 3 % pour que le marché
soit considéré comme équilibré. Dans la région métropolitaine de
Québec, il est de 0,8 %, à Sherbrooke de 2,3 %. Dix
agglomérations urbaines ont aussi un taux inférieur à 3 %. Il
s'agit de Drummondville, Granby, Saint-Hyacinthe, Joliette, Magog,
Montmagny, Saint-Georges, Saint-Jean-sur-Richelieu, Sainte-Marie et
Victoriaville. Au total, près de 80 % des locataires du Québec
habitent dans un centre urbain qui est touché à un niveau ou à un
autre.
Jamais depuis que la Société canadienne d'hypothèques et de
logement publie des statistiques sur le taux de logements inoccupés la
rareté a-t-elle été aussi sérieuse et généralisée.
Quand les locataires ne sont plus « rentables »
Les analystes de la SCHL ont souvent tendance à considérer que c'est
« la bonne tenue de l'économie québécoise » qui est à
l'origine de la situation actuelle. C'est pour le moins court comme
explication.
Il est vrai que la demande de logements a augmenté dans les
dernières années, le nombre de ménages formés annuellement oscillant
autour de 40 000 depuis 1998 alors qu'il se situait davantage dans les
25 000 entre 1995 et 1997.
Ce que les analyses passent par contre souvent sous silence
c'est que, si la demande de logements a augmenté, l'offre, elle, s'est
raréfiée. En fait, elle n'a à peu près pas arrêté de chuter depuis le
début des années 1990. De 1985 à 1990, le nombre moyen de logements
locatifs mis annuellement en chantier au Québec était de 18 500
logements. De 1995 à 2000, il n'était plus que de 3000.
Comment expliquer cette situation ? Comment expliquer
surtout que la pénurie actuelle de logements ne provoque pas de boom
dans la construction de logements locatifs, comme elle devrait
normalement le faire ?
Comme le mentionne fort justement le professeur J. David
Hulchanski de l'Université de Toronto, « lorsqu'ils veulent
expliquer le manque de construction de nouveaux logements locatifs, les
analystes immobiliers pointent habituellement du doigt les contrôles de
loyer, les règlements municipaux et les taxes », mais « peu
s'interrogent sur la capacité des consommateurs potentiels - les
ménages locataires - de payer des loyers suffisamment élevés pour que
l'investissement consenti par les développeurs s'avère rentable »[1].
Les propriétaires de logements ne se gênent pas pour affirmer
que le marché du logement n'est plus rentable et qu'il suffirait de le
déréglementer pour que la construction de logements locatifs reparte de
plus belle. En fait, ce n'est pas le marché qui n'est plus rentable, ce
sont les locataires mêmes. C'est bien beau de construire des logements
locatifs neufs qui se loueront 700 $ à 800 $ par mois - ce
que le contrôle des loyers n'empêche d'ailleurs absolument pas - encore
faut-il qu'ils puissent trouver preneurs. Or, il reste bien peu de
locataires capables de payer de tels loyers.
Une étude récente de la Société d'habitation du Québec [2]
démontre que le revenu annuel médian des ménages locataires a diminué
de 27,7 %, en dollars constants, entre 1981 et 1996, alors que le
revenu des ménages propriétaires n'a baissé que de
4,5 %. Les auteurs de l'étude ajoutent « ce dernier
phénomène est une bonne illustration du déplacement des ménages les
mieux nantis vers la propriété et, en corollaire, l'appauvrissement
relatif de la population locataire ».
Une autre étude subventionnée par la Société canadienne
d'hypothèques et de logement parle carrément de
« résidualisation » des locataires, « c'est-à-dire qu'à
mesure que les ménages à revenu supérieur accèdent à la propriété, le
groupe résiduel se marginalise davantage par rapport aux marchés du
travail et du logement »[3].
Loin de se résorber, ce phénomène s'est accentué dans la
dernière année, les locataires moins démunis qui hésitaient encore à
accéder à la propriété s'étant décidés à franchir ce pas sous l'effet
combiné de la rareté de logements locatifs et des bas taux d'intérêts.
On peut et on doit donc se demander comment les promoteurs
immobiliers pourront dans de telles circonstances démontrer un
quelconque regain d'intérêt pour la construction de logements locatifs.
L'Association provinciale des constructeurs d'habitation du Québec
(APCHQ) propose toute une panoplie de mesures fiscales et autres visant
à les encourager à investir dans ce domaine. Non seulement de telles
mesures accentueraient-elles des iniquités fiscales déjà considérables,
mais leur efficacité serait pour le moins douteuse.
La pénurie actuelle risque donc de perdurer, comme c'est déjà
le cas à Toronto ou Vancouver où le taux de logements inoccupés se
tient sous la barre des 3 % de logements inoccupés depuis au moins
dix ans.
Cette pénurie extrême est telle qu'elle peut être considérée
comme une crise en elle-même. Ce serait cependant une erreur de
l'isoler d'une autre crise plus globale encore et qui, elle, touche
l'ensemble du Québec, toutes villes et régions confondues. Il
s'agit de la contradiction grandissante entre la réalité de locataires
de plus en plus pauvres et la logique de rentabilité économique qui est
à la base même du marché privé du logement locatif, toutes catégories
de propriétaires confondues. La rareté de logements en est une des
conséquences. L'augmentation importante du nombre de ménages locataires
devant consacrer un pourcentage disproportionné de leur revenu en loyer
en est une autre, amplement illustrée dans le Dossier noir sur le logement et la pauvreté publié en 1998 par le FRAPRU.
Des effets dévastateurs
Cela étant dit, il ne faut pas non plus sous-estimer la pénurie
actuelle et les effets durables qu'elle a commencé à avoir sur la
réalité de l'habitation.
Parmi ces effets, il faut bien sûr noter le nombre alarmant de
ménages qui n'arrivent tout simplement pas à se trouver un toit. Il ne
s'est pas passé une semaine et souvent une journée depuis juin 2001
sans que la permanence du FRAPRU ou d'un groupe-membre ne reçoive un
appel à l'aide d'une personne ou d'une famille obligée de vivre en
maison d'hébergement ou dans une situation de cohabitation impossible.
Une telle situation risque d'aggraver considérablement le problème de
l'itinérance et d'en modifier profondément le portrait. Le jour n'est
peut-être pas si loin où nous devrons, comme à Toronto et dans bien des
villes américaines, parler non seulement de personnes, mais aussi de
familles sans-abri.
Un autre effet durable de la rareté sera assurément
l'augmentation du coût du logement, avec les problèmes qui s'en
suivront (pourcentage encore plus grand du revenu consacré au loyer,
compressions dans d'autres besoins essentiels dont la nourriture,
non-paiement du loyer). Déjà, en 2001, on a assisté à des augmentations
majeures de loyer dans les villes où se manifestait la rareté :
6,0 % dans la région de Hull-Gatineau, 4,2 % dans celle de
Montréal, 3,8 % à Québec. Le même scénario est en voie de se
reproduire - et peut-être d'empirer - en 2002. Il s'en suit évidemment
une augmentation du nombre de demandes de fixation de loyer à la Régie
du logement. En 1998-1999, à peine 2736 demandes avaient été
introduites ou relancées à la Régie du logement. En 2000-2001, ce
nombre devrait avoir grimpé autour de 10 000, ce qui, soit dit en
passant, ne représente par contre même pas 1 % de l'ensemble du
parc de logements locatifs du Québec.
Un autre effet de la pénurie de logements locatifs est
l'aggravation du problème de la discrimination au moment de la
recherche d'un logement. La hausse significative du nombre de plaintes
à ce sujet à la Commission des droits de la personne en est un indice,
mais elle permet tout juste de percevoir la pointe de l'iceberg. Dans
un contexte de surplus de logements, comme celui qui existait au début
des années 90, les propriétaires se devaient d'être moins sélectifs,
s'ils voulaient louer leur appartement. C'est tout le contraire
maintenant.
Dans son étude déjà citée sur la « résidualisation des
ménages locataires », le chercheur Steve Pomeroy cite un sondage
réalisé auprès des propriétaires de logements locatifs :
« Lorsqu'on leur a demandé de façon précise de choisir entre
diverses combinaisons de types de ménages, les propriétaires-bailleurs
ont presque tous choisi le couple de travailleurs. Aucun des
investisseurs n'a choisi le ménage d'assistés sociaux et un seul a opté
pour la famille monoparentale avec un jeune enfant, ce qui donne à
penser que les ménages de ce genre continueront d'avoir de la
difficulté à se loger aussi longtemps qu'il y aura une demande
excessive de logements à bas prix »[4].
Parmi les autres effets de la pénurie, il faut noter
l'accroissement du nombre de causes à la Régie du logement pour reprise
de possession de logements. À Montréal, cette augmentation a atteint
64,3 %.
Dans leur analyse du marché de la revente du Montréal
métropolitain pour le 4e trimestre de 2001, la SCHL et la Chambre
immobilière du Grand Montréal font le lien entre un tel accroissement
et l'accès massif à la propriété. Ils y écrivent : « Jamais,
depuis la fin des années 1980, les gens n'ont accédé en si grand nombre
à la propriété. Puisque les propriétés existantes sont moins
dispendieuses que les habitations neuves ayant les mêmes
caractéristiques, la majeure partie des acheteurs de première maison
est attirée par le marché de la revente. Outre la faiblesse des taux
hypothécaires, qui a considérablement augmenté l'accessibilité de la
propriété, la disponibilité très limitée de logements locatifs a certes
incité plusieurs ménages à passer du statut de locataire à celui de
propriétaire. (...) Notons finalement que le nouveau propriétaire d'un
plex souhaitant habiter un des logements en juillet avait jusqu'au 31
décembre pour avertir le locataire qu'il prendrait possession des
lieux. Voilà une autre raison susceptible d'expliquer pourquoi les
transactions ont été aussi nombreuses au mois de décembre pour ce type
d'immeuble. »[5]
Les causes pour recouvrement de loyer et résiliation de bail en
cas de non-paiement de loyer ont aussi augmenté de manière importante,
les locataires ayant de plus en plus de difficultés à suivre la hausse
du coût des loyers, alors que les propriétaires se montrent encore plus
impatients dans un contexte de rareté de logements où ils peuvent
facilement relouer leurs appartements. La hausse n'est pas très
spectaculaire en terme de pourcentage (4,6 % au Québec), mais elle
l'est en terme de nombre de ménages touchés celui-ci ayant augmenté de
1816 au cours des onze premiers mois de l'année, dont la moitié à
Montréal. Si cette tendance s'est poursuivie, environ 38 400 causes de
ce type devraient au total avoir été soumises à la Régie du logement en
2001-2002, un chiffre effarant.
L'action du FRAPRU
C'est à partir du 21 juin 2001, suite aux nombreux appels de
détresse reçus dans les comités logement et associations de locataires,
que le FRAPRU a commencé à intervenir sur les effets très concrets de
la pénurie de logements locatifs et plus particulièrement sur
l'existence de personnes et de familles sans logis ou à risque immédiat
de le devenir.
Dès le départ, le FRAPRU a choisi d'agir avec prudence,
appuyant ses interventions sur des chiffres (...et des personnes) réels
plutôt que sur de simples appréhensions. C'est ce qui lui a permis de
gagner continuellement en crédibilité dans ce dossier plutôt que d'en
perdre, comme cela risquait de lui arriver. En fait, ce sont les
politiciens comme l'ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, et l'ancien
responsable de l'habitation au Comité exécutif de cette ville, Ivon
Leduc, qui ont perdu la face en contestant les chiffres du FRAPRU qui
se sont avérés non seulement réalistes, mais conservateurs. Malgré la
prétention des autorités municipales et, dans une moindre mesure,
provinciales, le 1er juillet 2001 n'en a pas été « un
comme les autres ». Ainsi, alors que le FRAPRU avait parlé de 200
familles à risque de se retrouver à la rue à Montréal autour de cette
date, c'est plus de 500 qui, en 72 heures, ont téléphoné ou se sont
rendus à l'Office municipal d'habitation afin de réclamer son aide.
La situation a été plus ambiguë à Gatineau où très peu de
locataires se sont rendus au gymnase utilisé, à la demande de
Logemen'occupe, pour accueillir les familles sans-logis, ce qui a valu
au groupe de se faire accuser d'avoir « crié inutilement au
loup ». Il a toutefois été capable de redresser la barre, en
publicisant, au cours des mois suivants, de nombreux cas de familles en
péril.
À peu près personne n'a par la suite osé contester la gravité
de la situation, ce qui a permis au FRAPRU de revenir plusieurs fois à
la charge, d'abord pour réclamer, malheureusement sans succès, la
construction rapide de 1000 logements HLM pouvant être prêts le 1er juillet 2002, puis pour insister sur la mise sur pied de mesures d'urgence pour les familles sans-logis.
Même si la permanence du FRAPRU et chacun des groupes membres
impliqués ont littéralement appris sur le tas, ils ont dans l'ensemble
su éviter (ou réparer rapidement) les erreurs majeures.
Non seulement ces interventions ont-elles joui d'une visibilité
sans précédent, mais elles ont permis d'obtenir certains résultats qui,
sans être à la hauteur de la crise, ont permis d'en atténuer les
effets.
- Même s'il a, dans un premier temps, contesté l'existence
d'une crise, le gouvernement québécois a mis sur pied, le 27 juin, un
programme de 500 suppléments au loyer d'urgence pour venir en aide aux
familles sans-abri. Au 4 mars dernier, ce programme de 3,2
millions $ avait permis de loger 416 personnes ou familles dont
357 à Montréal et 26 à Hull-Gatineau. 91 autres ménages s'étaient vu
accorder un supplément, mais n'ont pu en bénéficier, faute de s'être
trouvé un logement.
- En plus d'appliquer ce programme de supplément au
loyer, les villes de Montréal et de Hull ont finalement adopté des
mesures d'urgence pour le 1er juillet 2001.
- Le FRAPRU a réussi à convaincre le gouvernement québécois de mettre sur pied un groupe de travail en préparation du 1er
juillet 2002, auquel il a été invité à siéger. Ce groupe a fait une
série de recommandations qui semblaient en bonne voie d'être adoptées,
au moment d'écrire ces lignes, ce qui pourrait se solder par le
financement de nouveaux suppléments au loyer, ainsi que d'un programme
d'aide aux municipalités afin qu'elles puissent se doter de services
d'hébergement, d'entreposage des meubles et de déménagement pour les
ménages sans-logis.
Il aurait été inimaginable, il y a à peine deux ou trois ans, que le
FRAPRU en serait rendu à revendiquer des mesures de dépannage ou pire
encore du supplément au loyer privé, formule qu'il a à raison toujours
contestée et dont l'application actuelle est, en raison de la pénurie,
pire que tout ce que le FRAPRU avait dénoncé par le passé (location de
logements de plus ou moins bonne qualité, souvent trop petits et à
loyer exagéré).
C'est pourtant là où la dégradation de la crise du logement
nous a menés. Nous ne pouvions rester sur la touche et abandonner à
elles-mêmes les personnes et des familles en difficulté, mais il faut
au plus tôt arriver à se sortir de cette situation et la seule façon de
le faire... est la construction à grande échelle et de manière
récurrente de nouveaux logements sociaux.
À ce sujet, nous ne devons pas nous lasser de rappeler que, si
le gouvernement fédéral avait maintenu le même niveau de financement de
nouveaux logements sociaux qu'à la fin des années 80, plutôt que de
s'en retirer d'abord partiellement, puis totalement, à partir du début
des années 90, le Québec disposerait aujourd'hui de 50 000 logements
publics, coopératifs ou sans but lucratif de plus ! Est-il besoin
d'ajouter que, si ça avait été le cas, nous n'aurions besoin ni de
suppléments au loyer ni d'hébergement temporaire ?
D'autres interventions en lien avec la crise
Le FRAPRU est par ailleurs intervenu sur d'autres aspects de la crise.
Il a notamment pris position en commission parlementaire sur le
projet de loi 26 amendant la Loi sur la Régie du logement. Le FRAPRU a
alors demandé des modifications au projet de loi pour qu'il restreigne
encore davantage la demande de renseignements personnels au moment de
la location d'un logement et pour qu'il renonce à accélérer les
évictions dans les cas de non-paiement de loyer. Le projet de loi a
depuis été tabletté, sous la pression des associations de
propriétaires. Le ministre délégué à l'Habitation, Jacques Côté, songe
à le ressortir d'ici la levée de la session parlementaire en juin, mais
il veut s'assurer qu'il ne fera pas de vagues ni chez les associations
de propriétaires ni chez celles de locataires... ce qui a bien peu de
chances d'arriver. S'il y a un domaine où on ne peut ménager la chèvre
et le chou, c'est bien celui des relations locataires-propriétaires.
Le FRAPRU est également intervenu, durant la période de
renouvellement des baux, pour conseiller aux ménages locataires
d'éviter de déménager, s'ils n'y étaient pas obligés, mais aussi de
contester toute hausse de loyer leur semblant inacceptable.
Ces interventions ont, sur le fond, rejoint celles portées par
le Regroupement des comités logement et associations de locataires du
Québec.
Des défis nouveaux
Quels que soient les résultats obtenus jusqu'ici, nous devons être
conscients des défis nouveaux posés par l'aggravation et la
transformation de la crise du logement.
Comment garder l'équilibre entre le travail de dépannage, de
cas-à-cas, que même la permanence du FRAPRU a, pour la première fois,
dû accomplir à grande échelle, et le travail de revendication de notre
mouvement ?
Comment éviter que la demande d'indispensables mesures de
dépannage n'en vienne, dans les faits, année après année, à prendre le
dessus sur notre revendication d'un grand chantier de 8000 logements
sociaux ?
Comment éviter que le drame grandissant des personnes et des
familles sans-logis ne nous conduise, comme nous l'avons parfois
reproché à nos alliés du reste du Canada, à n'insister que sur ce seul
problème au détriment de ceux vécus par l'ensemble des mal-logés ?
Comment continuer d'intégrer, dans notre discours comme dans
notre pratique, la réalité des villes et des régions qui ne sont pas
aux prises avec une pénurie de logements locatifs et où la crise du
logement prend des formes différentes ?
Comment nous préparer au danger de banalisation, de
dédramatisation, de la crise du logement, autant chez les autorités
politiques que dans les média et dans la population en général ?
Questions pour le congrès
- Partagez-vous l'analyse de la crise du logement développée dans ce texte ?
- Comment évaluez-vous les interventions faites par le FRAPRU dans ce contexte ?
- Comment le FRAPRU devrait-il intervenir sur la crise au cours de la prochaine année ?
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Grand chantier de logement social : enfin des avancées, mais il faudra plus et mieux
Dans le texte sur le bilan et la conjoncture publié en prévision de
notre congrès de juin 2001, nous écrivions : « Après trois
ans, notre lutte pour un Grand chantier de logement social est de plus
en plus ouvertement confrontée à l'urgence d'enregistrer des gains
réels. Il n'en va pas que de la crédibilité de cette lutte et de la
possibilité de poursuivre et accentuer la mobilisation populaire autour
de celle-ci. La situation même des mal-logéEs nécessite des
résultats... au plus sacrant ».
Au moment d'écrire ces lignes, nous n'avions aucune certitude
sur la reconduction et la bonification du programme AccèsLogis qui
devait venir à échéance à l'automne 2002. Nous doutions aussi fortement
que le programme de logement abordable auquel le gouvernement fédéral
avait décidé de consacrer 680 millions $ en quatre ans, dont 162
millions $ au Québec, puisse servir à financer du logement social.
Celui-ci semblait plutôt destiné à financer des logements privés se
louant à 700 $ ou 800 $ par mois.
C'est à la lumière de cette réalité, que nous devons juger les pas accomplis au cours de la dernière année et il y en a eus.
Ces avancées ont été réalisées lors du budget Marois du 1er
novembre 2001 et, pour une partie, concrétisées dans l'entente
fédérale-provinciale sur le logement abordable conclue à la fin
décembre 2001.
- C'est 561 millions $ qui seront consacrés au
financement de nouveaux logements sociaux, au cours des cinq prochaines
années, comparativement à 215 millions $ durant les cinq années
antérieures. Malgré les critiques que nous pouvons avoir sur les
programmes annoncés et sur lesquelles nous reviendrons plus loin, il
s'agit bel et bien de véritables logements sociaux, c'est-à-dire de
logements sans but lucratif, à propriété collective, financés et
réglementés par le gouvernement.
- Quelque 11 500 logements sociaux sont théoriquement
réalisables au cours des cinq prochaines années, dont un total de 7600
en 2002-2003 et 2003-2004, un niveau de développement comme le Québec
n'en a pas connu depuis la fin des années quatre-vingt.
- Le programme AccèsLogis a été reconduit pour une durée de cinq ans.
- Contrairement à la situation qui risque de se vivre
ailleurs au Canada, au Québec le programme de logement abordable
(baptisé Logement abordable Québec) sera majoritairement utilisé à des
fins de logement social, 5000 des 6500 logements prévus étant réservés
à cette fin. Pour la première fois depuis le retrait d'Ottawa, en 1993,
du financement de nouveaux logements sociaux, de l'argent fédéral sera
donc utilisé, quoique indirectement, à des fins de logement social.
- Pour la première fois également depuis 1993, des
logements publics gérés par des Offices municipaux d'habitation
pourront voir le jour. Même si ces logements en ont plusieurs
caractéristiques, il ne s'agit toutefois pas à proprement parler de
HLM, la grande différence se situant dans le mode de fixation des
loyers.
De sérieux bémols
Des bémols doivent toutefois être mis et ils sont sérieux.
- Quoique le budget réservé à AccèsLogis ait été augmenté à 50
millions $ par année et que certaines améliorations aient été
apportées au programme, celles-ci demeurent nettement insuffisantes,
très en deçà de ce que nous réclamions. Pour ne donner qu'un exemple,
le supplément au loyer est toujours d'une durée limitée de cinq ans.
- Aucun supplément au loyer n'est prévu dans le
programme Logement abordable Québec, de telle sorte que ce programme,
qui doit pourtant obligatoirement s'adresser à des ménages sous le
seuil de besoins impérieux de logement, rejoindra très difficilement
les locataires à plus faible revenu, à moins de ne les obliger à
consacrer plus de 25 % de leur revenu en loyer.
- Quelque 18,7 millions $ d'argents publics, qui
auraient entre autres pu servir à améliorer l'accessibilité financière
de Logement abordable Québec, seront utilisés pour financer 1500
logements privés qui se loueront au minimum 700 $ par mois.
- Les subventions prévues dans les deux programmes
risquent d'être insuffisantes, compte tenu de la hausse effrénée des
coûts, au moins dans les grands centres urbains. Ce problème risque
d'avoir des conséquences sur la réalisation même des projets et, s'ils
se font malgré tout, sur leur accessibilité financière et leur
viabilité.
Notre principal gain : l'acceptation du logement social
Au-delà du jugement que nous pouvons porter sur nos avancées au
niveau budgétaire, nous devons reconnaître que notre principale
victoire est ailleurs. Jamais le logement social n'a-t-il en effet été
si largement accepté que ce n'est le cas présentement.
En voici trois exemples.
- Contrairement à ce qui avait été le cas par le passé, tous
les éditoriaux parus au cours de l'année sur l'enjeu de l'habitation -
et ils furent nombreux - se sont déclarés favorables à l'accroissement
du financement du logement social.
- Au cours des élections municipales de l'automne 2001,
il n'y a pas eu une seule municipalité où les candidats à la mairie qui
ont été interpellés sur l'enjeu du logement social n'ont pas pris
d'engagements à cet égard.
- Au début avril, lors du Sommet sectoriel sur
l'habitation organisé en prévision du Sommet de Montréal, aucune des
personnes présentes, y compris les porte-parole des associations de
propriétaires, n'a osé faire obstacle non seulement au financement de
5000 logements sociaux en deux ans à Montréal, mais aussi à la demande
pour qu'un tel financement soit récurrent...
À croire qu'il est devenu « in » de se réclamer du
logement social ! Ce quasi-consensus est bien fragile et la
situation pourrait très rapidement se retourner, surtout si les
investissements consentis par le gouvernement québécois s'avèrent être
un échec. Pour l'instant, nous ne pouvons cependant que nous appuyer
sur ce contexte nouveau et pour le moins favorable.
Des efforts qui ont commencé à payer
Les gains réalisés au cours de la dernière année, qu'ils soient
budgétaires ou plus idéologiques, ne sont toutefois pas le fruit du
hasard.
L'aggravation de la crise du logement y a joué un rôle
indéniable, mais il n'y a pas là d'automatisme, comme le prouve la
situation dans le reste du Canada où le mot même de logement social est
honni en dépit de la gravité et de la durée de la crise.
Nous devons également reconnaître que ce sont davantage les
retombées économiques du logement social que ses retombées sociales qui
ont convaincu le gouvernement Landry de l'inclure dans le programme de
relance (AGIR) qu'il a présenté lors du budget Marois.
Le gouvernement avait cependant d'autres choix
d'investissements et, s'il a opté pour le logement social, c'est parce
que le terrain avait été préparé depuis des années. La très forte
visibilité obtenue par la crise du logement au cours de ce qu'on
pourrait appeler « l'été du logement » a achevé de le
convaincre.
L'idée d'un grand chantier de logement social, avec toute
l'énergie que le FRAPRU y a consacrée et tous les appuis qu'il a su
recueillir, y compris celui, très actif, de la Marche mondiale des
femmes, a commencé à porter fruit. Ces efforts dont nous ne voyions pas
jusqu'ici beaucoup les effets ont commencé à payer. Il ne s'agit pas de
s'en péter les bretelles, mais de s'en servir pour accroître la
mobilisation et élargir les appuis.
Moins d'occasions de mobilisation
Même si nous ne connaissons pas encore les résultats de la semaine
d'occupations de terrains et de bâtiments sur laquelle nous travaillons
depuis des mois, nous devons en effet reconnaître que la plus grande
visibilité de la lutte pour le logement social est paradoxalement allée
de pair avec un certain ralentissement au niveau de la mobilisation ou
au moins du nombre d'occasions de mobilisation.
Contrairement au rythme soutenu des années antérieures, nos
membres n'auront été invitéEs à se mobiliser largement qu'en deux
occasions seulement, soit lors de la grande manifestation organisée à
la fin novembre à Québec devant la conférence fédérale-provinciale des
ministres de l'Habitation, et durant la semaine d'occupations.
D'autres mobilisations plus restreintes, quoique exigeantes,
ont également été organisées, dont l'édification d'un « village de
mal-logéEs » devant la conférence fédérale-provinciale des
ministres de l'Habitation qui s'est tenue, en août, à London, en
Ontario. De l'aveu même de la délégation du gouvernement québécois, la
présence du FRAPRU à cette conférence et à celle qui a suivi à Québec a
joué un rôle non-négligeable dans l'ouverture finalement démontrée par
Ottawa dans l'application de son programme de logement abordable.
En fait, s'il n'a pas mobilisé aussi fréquemment que par le passé, notre mouvement était là aux moments stratégiques.
En plus de ceux déjà mentionnés, il ne faudrait pas oublier les
élections municipales de l'automne où nos groupes ont presque partout
été actifs.
Il ne faudrait pas non plus sous-estimer l'impact que notre
mouvement a eu dans les débats entourant la création de nouvelles
villes. Presque toutes ces municipalités sont dotées de fonds de
développement du logement social. Aux cinq grandes villes formées en
décembre 2000 par la Loi 170 (Montréal, Québec, Gatineau, Longueuil et
Lévis), se sont rajoutées en cours d'année Sherbrooke, Saguenay,
Trois-Rivières, Shawinigan, Rimouski, Matane, Rouyn-Noranda,
Saint-Jérôme, Val d'Or et Beauharnois. D'autres pourraient
s'additionner prochainement à cette liste.
Du développement presque partout, mais peu de luttes visibles
La très grande majorité des groupes membres du FRAPRU sont impliqués
dans le développement de logements sociaux dans leur quartier, leur
ville ou leur région.
Pour une raison ou pour une autre, cette implication jouit
cependant, à quelques exceptions près, de bien peu de visibilité.
Peut-être est-ce parce que la collaboration avec les villes est
meilleure que par le passé, que les projets viennent à bout de se
réaliser ou que leur réalisation accapare toutes les énergies des
groupes, mais il semble y avoir de moins en moins d'interpellations des
autorités politiques sur des enjeux locaux de logement social.
Chose certaine, il sera difficile d'obtenir des améliorations
aux programmes annoncés ou d'arracher des logements supplémentaires,
s'il n'y a plus de luttes locales ayant de la visibilité et confrontant
les politiciens dans leurs propres comtés.
Il existe par ailleurs un danger réel pour que le
développement inégal de la lutte pour le logement social que nous avons
notée à plusieurs reprises par le passé ne s'accroisse. Des groupes
pourraient en effet se reconnaître difficilement dans notre discours ou
dans nos actions s'ils restent trop collés à la seule réalité des
villes aux prises avec la pénurie de logements locatifs. Le danger est
d'autant plus réel qu'ils ne profiteront à peu près pas des retombées
de la dernière année, en termes de développement de nouveaux logements
sociaux.
Un rapprochement avec les groupes du Canada...
Encore cette année, nous devons constater l'amélioration de nos
relations avec les groupes logement du reste du Canada, membres du
Réseau canadien sur le logement et l'itinérance, ainsi qu'avec d'autres
organismes, y compris parmi les plus officiels comme la Fédération
canadienne des municipalités.
Cette collaboration a été particulièrement étroite et
fructueuse lors des conférences fédérales-provinciales de London et de
Québec.
Malgré ces avancées, nous devons, comme nous l'avons fait dans
les deux dernières années, souligner la difficulté de bâtir une lutte
réellement canadienne sur l'enjeu du logement social.
Outre les contraintes mentionnées dans notre texte de bilan de
l'an dernier (grandeur du pays qui rend toute action conjointe
extrêmement difficile à organiser ; priorité presque absolue
accordée à la problématique de l'itinérance ailleurs au Canada ;
faiblesse des organismes avec lesquels nous entretenons des liens),
nous devons ajouter une difficulté supplémentaire. Le Québec est la
seule province à l'exception de la Colombie-Britannique et de deux
territoires, à avoir signé une entente avec le fédéral sur
l'utilisation du programme de logement abordable. Difficile de réclamer
de nouveaux argents de la part du fédéral, quand l'argent déjà accordé
n'est même pas utilisé par le provincial...
La collaboration est toutefois à poursuivre. Différentes
occasions pourraient se présenter, parmi lesquelles la tenue d'une
nouvelle conférence fédérale-provinciale au Manitoba cette fois, à
l'automne 2002.
... Mais une division parmi ceux du Québec
Nous devons en terminant cette partie revenir sur un des aspects les
plus négatifs de la dernière année, soit la division profonde qui s'est
créée l'automne dernier au sein du mouvement communautaire en logement
social.
C'est paradoxalement au moment de la formation d'un front
commun que le FRAPRU espérait le plus unificateur possible que la
division s'est d'abord manifestée. L'Association des groupes de
ressources techniques du Québec (AGRTQ), la Confédération québécoise
des coopératives d'habitation (CQCH) et le Réseau québécois des OSBL en
habitation (RQOH) ont alors demandé que toute mention de la nécessité
de nouveaux HLM soit retirée de la plate-forme proposée pour la
formation du front commun. Une telle mention n'avait pourtant jamais
posé problème par le passé.
Cette demande était inacceptable pour les autres organismes,
soit le FRAPRU, la Fédération des locataires d'habitations à loyer
modique du Québec, le Regroupement des comités logement et associations
de locataires du Québec et le Réseau Solidarité Itinérance. Ces
derniers ont malgré tout décidé de faire front commun, mais en
l'absence des trois premiers regroupements. Dans les faits, ce Front
commun n'a duré que le temps d'une conférence de presse, les annonces
d'investissements du budget Marois disposant dans les faits du Plan
d'action gouvernemental en habitation pour lequel il avait été créé.
Malgré certaines volontés de relance autour de la nécessité d'une
politique globale en habitation, celle-ci ne s'est jamais faite.
À l'opposé, l'AGRTQ, la CQCH et le RQOH ont continué de
collaborer étroitement pour protéger le logement communautaire (coops
et OSBL) qu'ils sentaient à tort ou à raison menacé.
Le différent sur la nécessité ou non d'un réinvestissement
dans le logement public s'est par la suite déplacé dans les médias,
ainsi qu'à l'Assemblée nationale, à l'occasion du débat sur l'adoption
du projet de loi 49 permettant notamment aux offices municipaux
d'habitation de se réimpliquer dans le développement du logement
social.
Non seulement le mouvement communautaire en habitation est-il
apparu pour la première fois divisé sur la place publique, mais cette
division s'est reflétée au sein du Fonds québécois d'habitation
communautaire au moment même où il devait se prononcer sur les normes
des programmes Logement abordable Québec et AccèsLogis. Sans être la
seule explication du peu d'écoute que les recommandations du Fonds ont
eue de la part de la Ministre des Affaires municipales de l'époque,
Louise Harel, et de la Société d'habitation du Québec, l'absence de
cohésion des groupes communautaires n'a sûrement pas aidé.
Encore aujourd'hui, la division entre organismes est palpable,
encore que les relations se sont améliorées entre le FRAPRU et l'AGRTQ,
au plan national comme sur le terrain.
Une telle division était et demeure malsaine et il faudra,
sans escamoter les débats, travailler à un éventuel rapprochement. Le
FRAPRU se doit de collaborer avec les autres organismes communautaires
en habitation, qu'ils aient ou non adhéré à la plate-forme du Front
commun, à condition que cela ne se fasse pas au détriment de nos
orientations fondamentales.
Dans un autre registre, il est important de mentionner que le
débat sur la loi 49 et nos prises de position en faveur du logement
social ont contribué à nous rapprocher de l'Association des offices
municipaux d'habitation, ce qui n'est pas négligeable pour le
développement d'alliances tactiques.
Le Grand chantier doit continuer à progresser
La dernière année nous a démontré à la fois la nécessité du grand
chantier de logement social que nous réclamons, mais aussi sa
pertinence et l'adhésion très large qu'il suscite.
Il faut maintenant voir comment nous pouvons continuer à progresser dans cette voie.
Des questions stratégiques doivent cependant trouver réponse
lors du congrès. Nous devons entre autres nous requestionner sur
l'énergie que nous devons consacrer à chacun des deux paliers
supérieurs de gouvernement.
Faut-il prioriser, comme nous l'avons fait dans la dernière
année, les interventions sur le palier québécois, puisque c'est lui qui
est en mesure d'améliorer les programmes annoncés (notamment par
l'ajout de suppléments au loyer dans le programme Logement abordable
Québec) ? Une telle priorité pourrait aussi être justifiée par
l'approche des élections générales et possiblement la prise du pouvoir
par un Jean Charest dont nous ne savons même pas encore ce qu'il pense
du logement social, ni d'aucun autre sujet d'importance d'ailleurs.
À l'opposé, peut-on penser gagner de nouveaux investissements
en logement social, sans accroître les pressions sur le gouvernement
fédéral ? Malgré les 100 milliards $ de réductions d'impôt
consentis sur cinq ans et les 7 milliards $ accordés à la
« sécurité nationale », suite aux événements du 11 septembre,
Ottawa continue d'engranger d'importants surplus budgétaires : 17
milliards $ en 2000-2001, 6,2 milliards $ pour 2001-2002.
Comme l'a démontré le rapport de la Commission Séguin sur le
déséquilibre fiscal, cette situation va perdurer, les recettes étant à
Ottawa et les dépenses majeures dans les provinces. Nous avons par
ailleurs appris que les négociations reprendront prochainement entre
Ottawa et Québec sur le transfert de la responsabilité du logement
social. C'est 105 millions $ qui séparent les demandes du Québec
des offres fédérales, 105 millions $ qui pourraient aller au
développement de nouveaux logements sociaux, comme à l'entretien et à
la protection des logements existants. Pouvons-nous rester à l'écart de
cet enjeu ?
En filigrane de ces questions, se pose tout l'enjeu de
l'équilibre entre les énergies à accorder, d'une part, à la lutte pour
l'amélioration des programmes obtenus cette année et, d'autre part, à
celle pour aller chercher de nouveaux investissements de la part des
gouvernements.
Questions pour le congrès
- Comment considérez-vous les avancées réalisées cette année dans notre lutte pour un grand chantier de logement social ?
- Comment pouvons-nous progresser davantage dans cette
lutte ? Devons-nous prioriser la lutte sur le palier fédéral ou
sur le palier québécois ? Quelle part de nos énergies devons-nous
consacrer à la lutte pour obtenir des améliorations aux programmes
existants (AccèsLogis et Logement abordable Québec) par rapport à celle
pour obtenir de nouveaux investissements de la part des
gouvernements ?
- Comment pouvons-nous développer nos alliances au Québec comme avec les groupes du reste du Canada ?
- Comment développer et rendre plus visibles les luttes locales sur le logement social ?
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Lutte à la pauvreté : le contexte a changé
Rappelons-nous les premiers mois de l'année 2001.
Même si elle avait enregistré très peu de gains dans ses
revendications face au gouvernement québécois, la Marche mondiale des
femmes avait mis le problème de la pauvreté au coeur des préoccupations
populaires.
Le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté
venait de rendre publiques 215 000 signatures au bas d'une pétition
réclamant l'adoption d'une telle loi.
Dès sa nomination comme premier ministre du Québec, Bernard
Landry, avait présenté la pauvreté comme « une obsession »,
« un ennemi personnel » qu'il allait « regarder droit
dans les yeux ». Le premier budget de la nouvelle ministre des
Finances, Pauline Marois, la présentait comme « la priorité des
priorités ». Un document de consultation sur une stratégie de
lutte à la pauvreté était promis pour la fin du printemps.
La pauvreté jouissait d'une attention médiatique soutenue.
Même si les mesures concrètes se faisaient attendre, le contexte semblait propice à l'obtention de gains réels.
Ça a changé
Un peu plus d'un an plus tard, la situation a changé. Le momentum n'est plus là.
Bien qu'une consultation ait eu lieu à l'automne et au début de
l'hiver, la stratégie de lutte à la pauvreté du gouvernement péquiste
se fait toujours attendre et, si elle est un jour présentée, elle
risque fort de ne devenir qu'un chapitre de la plate-forme électorale
d'un parti fort probablement voué à la défaite électorale. Bernard
Landry s'est trouvé d'autres « obsessions » que la lutte à la
pauvreté dont il ne dit à peu près plus un mot. Les média eux-mêmes
l'ont à nouveau reléguée très loin dans leurs préoccupations... jusqu'à
la prochaine guignolée.
Le budget Marois de l'automne 2001 ne contenait à peu près
aucune mesure de lutte à la pauvreté et, si des gains budgétaires ont
été réalisés sur l'enjeu du logement social, c'est beaucoup plus dans
une optique de relance de l'emploi et de réponse à la crise du logement
locatif que dans celle de lutte à la pauvreté.
L'énoncé budgétaire présenté le 19 mars dernier par la ministre
Marois a un peu réhabilité la lutte à la pauvreté au niveau des mots,
mais les seules mesures annoncées étaient davantage des garanties
contre l'appauvrissement que des moyens de faire réellement reculer la
pauvreté. Il s'agissait de l'indexation automatique des chèques d'aide
sociale des personnes ne présentant pas de contraintes sévères à
l'emploi, de même que de l'abolition de la coupure pour partage de
logement et du test logement. Les personnes assistées sociales devront
toutefois attendre jusqu'au 1er janvier 2003 pour profiter
des annonces sur le logement et ce, en pleine crise. Quelques jours à
peine après le budget Marois, les crédits budgétaires présentés par le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité indiquaient qu'il
économiserait 147,3 millions $ en raison de la réduction du nombre
de personnes à l'aide sociale. L'abolition immédiate de la coupure pour
partage de logement et du test logement aurait uniquement diminué ce
montant de 41 millions $...
La pression même sur l'enjeu de la lutte à la pauvreté a
considérablement baissé. La Marche des femmes n'a pas prévu de suites
réelles sur cette question, si ce n'est la participation au Collectif
pour une loi sur l'élimination de la pauvreté.
Quant au Collectif lui-même, il arrive mal à se définir une
stratégie efficace, susceptible de renverser la vapeur. Il a bien
réussi à influencer une large partie des consultations gouvernementales
sur la stratégie de lutte à la pauvreté, surtout celles qui ont été
menées au niveau régional par les Conseils régionaux de développement,
mais on peut s'interroger sur la portée de ce résultat, compte tenu du
peu de visibilité et possiblement d'utilité des dites consultations. Le
Forum citoyen pour un Québec sans pauvreté, préparé pour la fin mai, a
quant à lui accaparé passablement d'énergie... sans qu'il ne soit
encore évident qu'il va ajouter au rapport de forces du Collectif. De
plus, seules quelques interventions timides sont venues appuyer les
mesures immédiates du Collectif. Le fédéral, lui, a à nouveau été
totalement oublié.
Le Collectif n'est cependant pas le seul à ne pas avoir su
profiter du momentum qui existait l'an dernier. On ne peut sûrement pas
dire que les organismes nationaux, régionaux ou locaux, critiques du
projet de loi sur l'élimination de la pauvreté, ont été plus efficaces
dans leurs stratégies. C'est par exemple, dans une clandestinité à peu
près totale que certains organismes ont choisi de boycotter les
consultations gouvernementales.
Tous les organismes de lutte à la pauvreté, qu'ils soient ou
non membres du Collectif, sont dus pour un sérieux questionnement
stratégique. Nous devons collectivement nous assurer qu'il s'agira d'un
des enjeux majeurs de la prochaine élection générale au Québec. Nous
devons aussi faire en sorte que la lutte à la pauvreté ne soit pas une
fois de plus... l'enfant pauvre des budgets, en particulier de celui du
fédéral qui, dans les dernières années, l'a impunément sacrifiée à la
lutte au déficit, puis à la réduction des impôts et, en décembre
dernier, à la « sécurité nationale ».
Et le FRAPRU ?
Le FRAPRU est également dû pour un tel questionnement. Outre sa
participation au Collectif, une intervention médiatique au moment de la
sortie du document de consultation sur la stratégie gouvernementale de
lutte à la pauvreté et une petite manifestation au moment de son
boycott des consultations sur cette stratégie, il s'est montré bien peu
actif sur cet enjeu, même si c'était un thème de son dernier congrès.
Il n'y a pas que la lutte à la pauvreté que le FRAPRU a dû
négliger dans la dernière année, en raison de la crise du logement et
de ses pressions sur le logement social. Il n'a pas non plus donné de
suite à son implication de l'an dernier sur le Sommet des Amériques et
la ZLÉA, de même qu'à deux résolutions votées à son dernier congrès,
soit les « contacts avec des groupes pour le droit au logement au
plan international » et la « poursuite de ses interventions
contre la globalisation capitaliste ». Ce travail reste à faire.
Le FRAPRU a également eu une participation très minimale à la
dénonciation de la guerre en Afghanistan et aux lois répressives (C-36
et C-42) présentées par le gouvernement canadien, sous prétexte de
« sécurité nationale ». Dans les deux cas, il s'est contenté
d'endosser des déclarations à ce sujet.
Dans un autre ordre d'idée, le FRAPRU a participé à une
première rencontre exploratoire, organisée par la Ligue des droits et
libertés, en vue du rapport que le Canada et les provinces devront
présenter en 2003 ou 2004 pour répondre devant un Comité de l'ONU à
Genève de son respect du Pacte international sur les droits
économiques, sociaux et culturels. En 1998, le FRAPRU avait participé à
une telle coalition et avait fait grand usage par la suite de la
condamnation dont le Canada et le Québec avaient été l'objet à Genève,
entre autres sur les problèmes de logement et d'itinérance, ainsi que
sur la saisie des chèques d'aide sociale, dans les cas de non-paiement
de loyer.
La politique d'action communautaire. Avancée ou recul ?
Finalement, la permanence du FRAPRU a dû consacrer passablement
d'énergie à l'adoption et aux suites de la Politique d'action
communautaire publiée en septembre 2001 par le gouvernement péquiste.
Le FRAPRU a entre autres partagé avec le Regroupement des comités
logement le rôle de représentant du secteur logement au Comité aviseur
de l'action communautaire qui doit en principe négocier l'application
de la politique avec le gouvernement.
Dans toutes ses interventions aussi bien publiques que
privées, le FRAPRU s'est montré très critique face à une telle
politique qui, au delà des « belles paroles » n'injectera que
bien peu d'argent nouveau dans les groupes de défense des droits, tout
en soumettant, dans les faits, leur financement aux priorités
gouvernementales. Ce constat est d'autant plus inquiétant qu'ils
devront, à partir de 2003, passer par un guichet unique, le Fonds
d'aide aux organismes communautaires, et qu'ils risquent d'être encore
plus vulnérables.
Par ailleurs, le FRAPRU et les autres groupes communautaires en
habitation ont échoué dans leur volonté de faire augmenter l'enveloppe
budgétaire du Programme d'aide aux organismes communautaires (PAOC) de
la Société d'habitation du Québec. Pire encore, celle-ci a pigé et
pigera à nouveau 200 000 $ dans la contribution au secteur liée à
la réalisation de projets de logements dans le cadre du programme
AccèsLogis pour compenser pour l'insuffisance des fonds à l'intérieur
du PAOC et accorder du financement à des nouveaux organismes.
Bref, non seulement le financement des membres du FRAPRU n'a-t-il pas avancé dans la dernière année, il a même reculé.
Questions pour le congrès
- Partagez-vous le diagnostic de l'état de la lutte à la pauvreté, développé dans ce texte ?
- Comment est-il possible de relancer cette lutte ?
- Comment voyez-vous l'intervention du FRAPRU sur les
enjeux internationaux de même que sur le financement des organismes
communautaires ?
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Notes
- David Hulchanski, A Tale of Two Canadas. Homeowners Getting Richer, Renters Getting Poorer, Center for Urban and Community Studies, University of Toronto, Research Bulletin #2, August 2001, p. 1. Retour au texte
- Société d'habitation du Québec, Évolution socio-économique des ménages locataires et propriétaires au Québec entre 1981 et 1996, mars 2001, p. 51. Retour au texte
- Steve Pomeroy, La résidualisation
de ménages locataires : attitudes des propriétaires-bailleurs
privés envers les ménages à faibles revenus, SCHL, Le point en recherche, série socio-économique, numéro 93, octobre 2001, p. 1. Retour au texte
- Steve Pomeroy, op. cit., p. 3. Retour au texte
- Chambre immobilière du Grand Montréal et Société canadienne d'hypothèques et de logement, Analyse du marché de la revente du Montréal métropolitain, 4e trimestre 2001, p. 2. Retour au texte