Stratégie et loi contre la pauvreté et l'exclusion sociale
Vers un Québec sans pauvreté ?
Mémoire soumis aux audiences de la Commission parlementaire concernant le Projet de loi 112
Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Septembre 2002
Présentation
Le FRAPRU est un regroupement national qui intervient depuis 1978
pour le droit au logement. Il est composé de plus de 80 groupes membres
venant de différentes régions du Québec. De par la nature de son
travail, le FRAPRU est à même de constater, tous les jours, la pauvreté
qui sévit au Québec, ainsi que la détérioration des conditions de vie
des personnes à faible revenu. Voilà pourquoi le FRAPRU intervient, non
seulement pour revendiquer du logement social et de meilleures
conditions de logement pour les locataires, mais aussi pour réclamer
une véritable politique nationale de lutte à la pauvreté.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le FRAPRU a été de
toutes les batailles sur le front de la lutte à la pauvreté, entre
autres en étant membre de la Coalition nationale sur l'aide sociale, en
participant activement à la Marche mondiale des femmes et en devenant
membre du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté.
Une stratégie nationale révélatrice
Le FRAPRU est bien conscient que cette Commission parlementaire a
pour but de faire le débat sur le projet de loi 112. Toutefois, puisque
la loi est intrinsèquement liée à la Stratégie nationale de lutte
contre la pauvreté et l'exclusion, lancée en même temps que le projet
de loi, nous profiterons de cette occasion pour émettre quelques
commentaires sur celle-ci. En effet, la stratégie gouvernementale est
beaucoup plus spécifique que la loi et permet de voir la direction dans
laquelle le gouvernement veut s'engager.
Notre organisme, qui revendique depuis plusieurs années une
politique globale sur la lutte à la pauvreté, considère que certaines
mesures sont incontournables si l'on veut réellement s'attaquer à la
pauvreté. Or, à la lecture de la Stratégie, aucun des éléments jugés
essentiels par le FRAPRU ne s'y retrouve.
1. La stratégie gouvernementale de lutte à la pauvreté doit être fondée sur une approche de droits.
L'approche privilégiée par le FRAPRU est de considérer qu'il "...est
du devoir de l'État de mettre en oeuvre et de protéger tout les droits
de l'homme[1]". Le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels est plus spécifique
encore : "Chacun des États parties au présent Pacte s'engage à
agir (...) en vue d'assurer progressivement le plein exercice des
droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y
compris en particulier l'adoption de mesures législatives[2]."
Ainsi, au lieu de considérer qu'obtenir un revenu décent est un
privilège qui se mérite, on doit considérer que toute personne a droit
à un niveau de vie suffisant pour se loger, se vêtir, manger. Elle a
aussi droit, comme l'affirme le Pacte, à une "amélioration constante de
ses conditions d'existence[3]." Pour le FRAPRU, les
droits sont également indivisibles et indissociables. Et être privés de
ses droits élémentaires, dont pouvoir subvenir à ses besoins par ses
propres moyens, c'est être dans une mauvaise position pour avoir accès
aux autres droits, dont les droits civils et politiques.
La Stratégie privilégie une autre voie. Nulle part affirme-t-on
clairement que l'on assurera à chacunE un revenu décent, que ce soit à
court, moyen ou plus long terme. Au contraire, la Stratégie affirme que
seules les personnes ayant des contraintes sévères à l'emploi, celles
qui travaillent à temps plein et celles qui participent à une mesure
active de main-d'oeuvre verront leur revenu s'améliorer. Ce faisant, on
laisse de côté toutes les personnes n'ayant pas de contraintes à
l'emploi et qui, pour toutes sortes de raisons, ne participent pas aux
mesures gouvernementales.
Pourtant, le dernier rapport du Comité sur les droits
économiques, sociaux et culturels de l'ONU, publié en 1998, indiquait
qu'il "...note avec préoccupation qu'au moins six provinces
canadiennes, dont le Québec et l'Ontario, ont adopté des programmes de
travail obligatoire (workfare) qui subordonnent le droit à
l'aide sociale à l'acceptation d'un emploi obligatoire ou bien
réduisent le montant des prestations lorsque les bénéficiaires,
généralement des jeunes, font valoir leur droit de choisir librement
leur travail.[4]"
Ceci est d'autant plus ironique que dans sa Stratégie, le
gouvernement affirme que le projet de loi, comme la Stratégie,
"...reposent sur la reconnaissance des droits économiques et sociaux
conformément à la Charte québécoise des droits et libertés, et
s'inscrit dans un mouvement international qui fait de la lutte contre
la pauvreté et l'exclusion sociale une lutte pour les droits humains.[5]" ! !
Il est évident à nos yeux que le gouvernement a sciemment choisi
de baser, encore une fois, la majeure partie de sa stratégie sur
l'emploi comme levier pour lutter contre la pauvreté et que les
personnes n'ayant pas de contraintes à l'emploi mais sans travail,
seront de nouveau mises de côté. À notre avis, il est inacceptable de
mettre sur la table une stratégie de lutte à la pauvreté en abandonnant
les plus pauvres. Tant et aussi longtemps qu'on les laissera de côté,
le FRAPRU s'insurgera contre ces mesures et réclamera une réelle
stratégie de lutte à la pauvreté impliquant une amélioration du revenu
et de la qualité de vie de toutes les personnes pauvres, quelle que
soit leur situation, retirant ainsi toute notion discriminatoire entre
les personnes pauvres, sur la base qu'elles aient ou non des
contraintes à l'emploi.
2. La stratégie de lutte à la pauvreté doit aussi favoriser une répartition plus équitable de la richesse.
Pour le FRAPRU, il est évident que pour assurer à toutes et tous un
niveau de vie décent, il faut que l'État possède les ressources
financières nécessaires. Cela implique donc une modification en
profondeur du régime fiscal qui actuellement favorise les particuliers
à hauts revenus et les entreprises.
En effet, la dernière décennie a vu l'arrivée de la taxe de
vente du Québec (TVQ), taxe considérée comme régressive puisqu'une
personne à faible revenu y consacrera une part plus importante de son
revenu lors d'achats, tels les vêtements et effets scolaires, qu'une
personne à plus haut revenu, le montant de la taxe ne dépendant pas du
revenu de la personne mais plutôt du prix de l'article à payer.
De plus, lors de la lutte au déficit, le gouvernement du Québec
a choisi de couper dans les services à la population et les revenus des
personnes à plus faible revenu, (par des compressions budgétaires à
l'aide sociale et la non-indexation des chèques par exemple) plutôt
qu'en augmentant les taux d'imposition des personnes à hauts revenus.
Pire encore, alors que les coffres gouvernementaux
commençaient à engranger les surplus, on baissait les impôts des
particuliers de 11 milliards $. La conséquence directe était
évidemment que les personnes à très faible revenu, qui avaient
largement souffert de la lutte au déficit, n'ont vu aucune différence
dans leur revenu, celles-ci ne payant pas d'impôt. Ce faisant, on ne
veillait pas à s'assurer que le revenu réel des personnes à faible
revenu augmenterait et on élargissait les écarts entre les plus pauvres
et les mieux nantis de notre société.
La fiscalité doit être un instrument pour redistribuer la
richesse. À l'heure actuelle, on continue de la concentrer dans les
mêmes mains, au détriment de la lutte à la pauvreté.
3. La stratégie de lutte à la pauvreté du gouvernement doit comprendre une politique globale sur le logement.
On ne peut réellement discuter de lutte à la pauvreté que si on se
préoccupe aussi du sort des ménages locataires québécois. En effet, une
récente étude de la Société d'habitation du Québec démontre que le
revenu annuel médian des ménages locataires a diminué de 27,7 %,
en dollars constants, entre 1981 et 1996, alors que le revenu des
ménages propriétaires n'a baissé que de 4,5 %. Les auteurs de
l'étude ajoutent que "...ce dernier phénomène est une bonne
illustration du déplacement des ménages les mieux nantis vers la
propriété et, en corollaire, l'appauvrissement relatif de la population
locataire.[6]"
La Stratégie affirme que "...l'aide au logement constitue
certainement l'un des moyens les plus importants pour assurer la
sécurité sociale et économique des Québécois et des Québécoises et leur
garantir un niveau de vie décent.[7]" Elle ne propose
cependant pas de moyens pour améliorer la situation actuelle des 273
825 ménages locataires qui consacrent plus de la moitié de leurs
revenus pour se loger. Pour le FRAPRU, il faudrait prévoir une
politique globale sur le logement ayant pour objectif d'analyser la
situation actuelle et ses causes, d'intervenir sur les différents
aspects de la problématique et d'interpeller l'ensemble des ministères
concernés.
Au cours des dernières années, le FRAPRU a été appelé à réagir
à plusieurs mesures législatives, réglementaires ou budgétaires dans le
domaine de l'habitation. Il est temps qu'un débat plus large puisse se
tenir. La présentation par le gouvernement d'une politique globale et
intégrée d'habitation, comme il en est question depuis au moins
vingt-cinq ans au Québec, le permettrait assurément.
4. Dans le cadre de la stratégie, des mesures de lutte à la pauvreté doivent être mises en application immédiatement.
Nous comprenons que le gouvernement annoncera sous peu son premier
plan d'action contre la pauvreté et l'exclusion sociale, plan d'action
qui concrétisera la Stratégie dans des actions concrètes. Nous voulons
profiter de cette tribune pour soumettre à la Commission les cinq
mesures concrètes de lutte à la pauvreté que le FRAPRU souhaite
retrouver dans ce premier plan d'action gouvernemental.
a. Réalisation de 8000 logement sociaux par année, dont la moitié en habitations à loyer modiques (HLM)
En habitation, le FRAPRU salue l'abolition de la coupure pour
partage de logement et le test logement, même s'il considère que
l'abolition de ces mesures auraient dû se faire beaucoup plus tôt. Il
salut également le renouvellement du programme AccèsLogis et
l'instauration du nouveau programme Logement abordable Québec, surtout
dans le contexte où il est la seule province à investir dans le
logement social. Le FRAPRU remarque aussi avec satisfaction que le
gouvernement reconnaît, dans la Stratégie, le logement comme un axe
prioritaire pour renforcer le filet de sécurité sociale et économique.
En plus de prôner un resserrement du contrôle du marché
privé de l'habitation, le FRAPRU privilégie le logement social pour
répondre aux besoins en logement des locataires à faible revenu. En
effet, il permet une meilleure prise en charge des locataires sur leur
milieu de vie, il est imperméable aux aléas de la spéculation
immobilière et des hausses arbitraires de loyer et il permet aux
locataires de vivre dans un logement de qualité à un prix qu'ils et
elles peuvent se payer. Les annonces du budget de l'automne 2001 sont
évidemment un pas dans cette direction, mais il faut aller plus loin.
En premier lieu, le nombre de logements sociaux annoncés est une bonne nouvelle, mais n'est évidemment pas suffisant pour répondre aux besoins.
Le FRAPRU continue de croire que le Québec est capable de revenir à la
réalisation annuelle de 8000 logements sociaux par année, le rythme
moyen de réalisation au début des années 1980. Il est évident que pour
atteindre cet objectif, le gouvernement du Québec doit non seulement y
investir des sommes supplémentaires, mais il doit aussi accentuer la
pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il investisse plus qu'il
ne le fait actuellement et sur une base récurrente.
Les logements sociaux réalisés doivent aussi être accessibles financièrement à toutes les personnes qui en ont besoin, ce qui n'est malheureusement pas le cas actuellement avec le programme Logement abordable Québec.
Enfin, le logement social doit être une solution permanente aux problèmes de logement des locataires à faible revenu.
Le FRAPRU note avec inquiétude la tendance des derniers programmes de
logement social à y intégrer des aides financières pour payer le loyer
d'une durée limitée. C'est le cas du programme AccèsLogis où l'aide
permettant de ne pas payer plus que 25 % de son revenu au
logement, le supplément au loyer, n'est que de 5 ans.
Le fait que cette aide soit limitée est extrêmement
problématique. Alors que plusieurs personnes, pour toutes sortes de
raisons, ne réussiront pas à se trouver un emploi, celles qui en
trouvent un ont souvent des revenus de travail si bas qu'ils et elles
continuent à avoir besoin du supplément au loyer. Si une personne fait
réellement un bond important au niveau de son revenu, elle quittera
d'elle-même son logement puisqu'il sera devenu assez cher, laissant son
logement à une autre personne, qui elle, ne disposera pas des cinq
années de supplément au loyer mais du nombre d'années restant.
Finalement, la Stratégie mentionne que le soutien communautaire
aux locataires de logements sociaux est un élément important de ladite
Stratégie. Le FRAPRU est d'accord que dans les projets de logements
sociaux réalisés pour des personnes avec des besoins particuliers, un
soutien communautaire soit offert aux locataires.
b. Prestation qui couvre les besoins essentiels
Selon la Stratégie, la pauvreté est souvent définie comme étant
"...l'insuffisance des ressources en vue de satisfaire les besoins
essentiels que sont notamment la nourriture, l'habillement et le
logement." C'est faux. Un ménage pourrait posséder juste assez de
revenus pour couvrir ces trois besoins essentiels mais il continuerait
tout de même d'être pauvre puisqu'il n'aurait plus de revenus pour
subvenir à ses autres besoins, tels le transport, les effets scolaires
pour les enfants, remplacer les appareils ménagers brisés, etc.
Le ménage qui, lui, n'a même pas suffisamment de revenus pour
couvrir le loyer, la nourriture et les vêtements est à l'étape de la
survie. Dans une société comme la nôtre, le premier objectif à
atteindre en terme de lutte à la pauvreté est de s'assurer que toutes
et tous aient un revenu suffisant pour couvrir leurs besoins
essentiels. Le Québec a d'ailleurs adhéré en 1976 au Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels où
les états ont reconnu, en vertu des articles 10 à 12 qu'un "...niveau
de vie suffisant doit être assuré à toute personne pour elle-même et sa
famille. Elle doit être à l'abri de la faim et jouir du meilleur état
de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre."
Le Québec possède les ressources nécessaires pour s'assurer que
toutes et tous aient un revenu minimal pour couvrir leurs besoins
essentiels. C'est une question de volonté politique.
c. Gratuité des médicaments pour les personnes à faible revenu
En novembre 1998, en pleine campagne électorale, sortait la
version préliminaire du Rapport d'évaluation de l'impact du régime
d'assurance-médicaments. Ce rapport démontrait ce que les groupes
communautaires décriaient depuis l'avènement du nouveau régime
d'assurance-médicaments, soit que les personnes à faible revenu avaient
plus de difficultés à payer leurs médicaments. Les conséquences étaient
d'ailleurs très claires : 10 mois après la mise en application du
régime, plus de 1940 événements indésirables, hospitalisation,
admission en centre d'hébergement, décès, étaient directement
attribuables à la mise en application du nouveau régime. Pire, 12 999
visites dans les urgences et 16 092 visites chez le médecin y étaient
aussi directement attribuée.
Pour faire taire la grogne générale, le chef du Parti québécois
à l'époque, Lucien Bouchard, promettait de régler le problème par le
retour de la gratuité des médicaments pour les 115 000 personnes sur
l'aide sociale considérées comme ayant des contraintes sévères à
l'emploi, donc plus susceptibles d'avoir besoin de façon importante de
médicaments.
Mais les autres ? Que pense-t-on qu'il s'est passé avec
les 1,385 million de personnes qui auparavant avaient accès
gratuitement à leurs médicaments et ne l'ont plus ? Pense-t-on
vraiment qu'il ne se produit plus de cas indésirables ? Pense-t-on
vraiment qu'il n'y a plus de visites à l'urgence ou de visites chez le
médecin directement reliées au fait que les gens ne peuvent plus se
médicamenter convenablement ou choisissent de se médicamenter au lieu
de se nourrir convenablement ?
La Stratégie elle-même affirme que de "...nombreuses études ont
démontré l'impact de la pauvreté sur la santé et le bien-être,
entraînant des dépenses extrêmement importantes dans le système de
santé et de services sociaux, ainsi que des conséquences humaines
majeures. Les inégalités de santé liées au revenu se traduisent
notamment par un taux plus élevé de mortalité infantile, une espérance
de vie moins grande, une mortalité prématurée chez les hommes et les
femmes et l'augmentation du cancer du poumon chez les hommes.[8]"
Avoir accès à un système de santé gratuit, cela veut aussi dire
pouvoir se médicamenter sans couper dans les autres besoins essentiels.
D'ailleurs, une grande partie de la Stratégie nationale est axée sur
l'accès à l'emploi et la valorisation du travail. Il est difficile de
comprendre comment on peut se donner de tels objectifs tout en ne
donnant pas les moyens nécessaires aux personnes de se médicamenter.
Pense-t-on vraiment qu'elles pourront travailler efficacement ou
effectuer les fameux parcours à l'emploi si elles sont en mauvaise
santé ?
d. Une meilleure protection dans les normes du travail
des travailleurs et travailleuses précaires, à temps partiel, en
situation de faux travail autonome
Nous comprenons que cet automne le ministre du Travail, monsieur
Jean Rochon, déposera un projet de loi pour une réforme de la Loi sur
les normes du travail. Voilà ainsi l'occasion idéale de faire le pont
entre l'objectif de lutte contre la pauvreté que se donne ce
gouvernement et sa prochaine réforme des normes du travail. À notre
avis, une politique de lutte à la pauvreté ne peut oublier les un
million huit cent mille travailleuses et travailleurs québécois qui ne
sont pas syndiqués. La législation actuelle protège ces personnes de
moins en moins efficacement, favorise la précarité de l'emploi et
entretient diverses formes de discrimination. Dans l'optique de lutter
contre la pauvreté, il faut donc s'assurer que les travailleurs et
travailleuses aient des conditions de travail décentes, ne soient pas
financièrement pénalisés lorsqu'ils ou elles exercent un travail
précaire et que l'on mette fin à la prolifération du faux travail
autonome.
Malheureusement, la Stratégie nationale déposée par le
gouvernement ne fait qu'effleurer le problème en indiquant qu'il
"...est important d'examiner les pistes de solution...". Il est à
espérer que la réforme du ministre Rochon ira un peu plus loin...
e. Une hausse substantielle du salaire minimum
Lors du discours sur le budget 2001-2002, la ministre des
Finances, Pauline Marois, annonçait qu'une personne sur l'aide sociale
depuis plus de 3 ans bénéficierait, lors d'un retour sur le marché du
travail, d'une aide financière additionnelle pour les heures
travaillées de 3 $/heure la première année, 2 $/heure la
deuxième année et 1 $/heure la troisième année. Ce faisant, le
gouvernement du Québec avouait ainsi que le taux actuel du salaire
minimum est trop bas. En effet, puisque la plupart des personnes qui
quittent l'aide sociale le font pour travailler au salaire minimum, et
que le gouvernement ressent le besoin de leur donner une aide
financière additionnelle, c'est que ce taux est justement trop bas.
Année après année, les groupes de défense des non-syndiquéEs
ont revendiqué des hausses plus importantes au taux statutaire du
salaire minimum. La raison en est fort simple. Malgré les hausses de
salaire minimum annoncées pour cette année, le revenu d'une personne
travaillant 40 heures semaine n'atteindra toujours pas le seuil de
pauvreté ! Comment après allez-vous convaincre les gens que pour
se sortir de la pauvreté, ils doivent intégrer le marché du
travail ?
4. Finalement, pour le FRAPRU, toute stratégie de lutte à la pauvreté doit clairement disposer de moyens financiers suffisants.
L'adoption des mesures demandées nécessite des budgets importants.
Nous attendons donc avec impatience le plan d'action gouvernemental.
Sans l'annonce de moyens financiers suffisants, nous ne pourrons que
comprendre que la stratégie gouvernementale de lutte contre la pauvreté
n'est que du vent.
Une loi qui doit avoir un impact
Venons-en donc finalement au projet de loi lui-même. Le printemps
dernier, alors que plusieurs organisations saluaient la sortie du
projet de loi, la réaction du FRAPRU a été plus vive, celui-ci se
questionnant sur le contenu des annonces, malgré le cadre nouveau.
En effet, pour avoir une portée quelconque, une loi doit être
pourvue d'objectifs, de cibles et d'échéanciers clairs. Seulement ainsi
pourra-t-elle obliger les gouvernements futurs à travailler dans le
sens souhaité. C'est d'ailleurs là l'intérêt du projet de loi proposé
par le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. Si le
FRAPRU a adhéré au Collectif, il y a maintenant trois ans, c'est parce
qu'il y voyait non seulement un moyen de débattre de l'enjeu de lutte à
la pauvreté et de bâtir un large mouvement de lutte sur cette question
mais aussi d'assurer la pérennité de toute politique de lutte à la
pauvreté. À notre avis, la version actuelle de la loi permet au
prochain gouvernement, qu'il soit péquiste, adéquiste ou libéral, d'en
faire ce qu'il en veut. Si la volonté du Parti québécois est de
réellement faire une loi qui influencera les politiques
gouvernementales pour les années à venir, il faut y retrouver des
éléments clairs et contraignants.
La Stratégie nationale elle-même nous indique que le
gouvernement a choisi d'instituer celle-ci dans une loi pour
"...inscrire les actions dans la durée[9]". Pourtant
aucune durée n'est mentionnée dans la loi. Lorsqu'est venu le temps de
faire de la lutte au déficit une priorité nationale, le gouvernement
n'a pas hésité à adopter une loi anti-déficit avec des objectifs clairs
à atteindre avec un échéancier aussi clair : atteinte du déficit
zéro pour l'année financière 1999-2000. Pour qu'une Loi contre la
pauvreté et l'exclusion sociale ait une quelconque utilité, ces deux
mêmes critères doivent absolument être présents. Voilà pourquoi nous
croyons que les éléments suivants sont incontournables.
1. Ajout de cibles précises à
atteindre pour lutter contre la pauvreté, dont la réduction des écarts
entre le cinquième le plus pauvre de la population et le cinquième le
plus riche
Le projet de loi actuel ne contient aucune cible à atteindre. Il ne
contient aucun échéancier. Il est ainsi curieux de constater que la
loi, qui doit encadrer la Stratégie dans le temps, ne fait même pas ce
qu'elle est sensée faire ! Cette démarche est laissée à la
Stratégie, qui, elle, va plus loin. Elle se fixe la cible "...d'amener
progressivement le Québec, d'ici dix ans, au nombre des nations
industrialisées comptant le moins de personnes pauvres, selon des
méthodes reconnues pour faire des comparaisons internationales[10]."
Au dernier Conseil national du Parti québécois, le premier ministre,
monsieur Bernard Landry ramenait cet échéancier à cinq ans. Soit qu'un
oubli dans la loi a été fait à cet égard et il faut le corriger, soit
que le gouvernement n'a pas la volonté de réaliser ses propres cibles.
Notre organisme croit que la loi doit même aller plus loin que
la Stratégie. On peut très bien se comparer aux autres nations, mais il
faut tout d'abord et surtout se comparer entre nous. Il faut analyser
les revenus des plus pauvres de notre société avec les plus riches. Il
faut admettre qu'il est inacceptable que les plus pauvres voient leurs
revenus diminuer alors que les mieux nantis voient leurs revenus
augmenter. Il faut être pro-actif et se donner comme cible de réduire
ces écarts. Et les chiffres sont là, concrets, pour nous démontrer que
le gouvernement a failli à cette tâche dans ses deux derniers mandats.
En effet, entre 1994 et 1999, années pour lesquelles nous
possédons des données, l'écart de revenus après impôts entre le
quintile le plus pauvre et le quintile le plus riche au Québec s'est
creusé de 8 % ![11] Ce sont les familles qui ont vu l'écart se creuser le plus, à 10,7 %.
Montant de variation des revenus en dollars constants après impôts
entre 1994 et 1999 au Québec
| Quintile inférieur | Quintile supérieur | Augmentation du % d'écart entre ces quintiles |
Ensemble population | -161 $ | -1,6 % | 4 568 $ | 6,6 % | 8 % |
Familles | 977 $ | 5,8 % | 7 303 $ | 9,6 % | 10,7 % |
Personnes seules | -693 $ | -9,8 % | 1 106 $ | 3 % | 5 % |
Ce tableau nous permet d'ailleurs de voir qu'alors que
l'augmentation des écarts entre les quintiles inférieurs et supérieurs
est plus important pour les familles, ce sont par ailleurs les
personnes seules qui, proportionnellement, se sont le plus appauvries.
Malgré ces chiffres, le gouvernement du Québec annonçait, lors
du Discours sur le budget 2000-2001, de réduire l'impôt des
particuliers de 2 milliards $ en 2 ans, laissant en pan les
40 % de la population qui ne paient pas d'impôt. Le gouvernement
réitérait ses "efforts" les années suivantes pour un total de
diminution des impôts de 11 milliards $. Malgré l'indexation des
prestations à l'aide sociale et les annonces de hausse du salaire
minimum, loin d'avoir réduit les écarts entre les plus riches et les
plus pauvres, le gouvernement les a de nouveau accentués.
Notre organisme soumet que si le gouvernement du Québec a
vraiment l'intention de s'attaquer à la pauvreté, il doit se doter de
réels indicateurs. Il peut se comparer aux autres nations, mais seule
une comparaison interne permettra de mesurer les progrès effectués,
ici, au Québec.
2. Affirmation, comme une des orientations de la loi, que les besoins essentiels de toutes et tous doivent être couverts
Selon l'article 1 du Projet de loi 112, la loi "...vise à guider le
gouvernement et l'ensemble de la collectivité vers la planification et
la réalisation d'actions pour combattre la pauvreté, en prévenir les
causes, en atténuer les effets sur les individus et les familles et
contrer l'exclusion sociale. " Puisque la loi vise, entre
autres, à guider le gouvernement, celle-ci doit identifier clairement
quelles sont les orientations que celui-ci se donne pour lutter contre
la pauvreté. Qu'est-ce que lutter contre la pauvreté sinon s'assurer,
en premier lieu, que chacun et chacune ait les ressources nécessaires
pour se loger, se nourrir, se vêtir ? Une orientation évidente
serait donc de se donner comme objectif l'atteinte de la couverture des
besoins essentiels pour toutes et tous ! Malheureusement, la loi
ne va pas dans ce sens. Des cinq orientations énumérées à l'article 6,
on retrouve plutôt la mention de "renforcer le filet de sécurité
sociale et économique." C'est trop peu. Renforcer le filet de sécurité
sociale peut vouloir dire instaurer des mesures essentielles telle la
gratuité des médicaments, mais toujours pas les moyens financiers
nécessaire pour manger.
Cette loi, nous le répétons encore, doit être beaucoup plus
claire si on veut qu'elle ait un impact quelconque. Elle doit
absolument introduire comme orientation la couverture des besoins
essentiels. Se donner un objectif en-deça de cette barre, c'est
affirmer que l'on peut appliquer la loi tout en laissant une partie de
la population avoir faim.
3. Insertion d'une clause d'impact
visant à s'assurer que toute mesure gouvernementale, y compris d'ordre
fiscal, n'aille pas à l'encontre de l'objectif de lutte à la pauvreté
et de réduction des écarts
Finalement, si le gouvernement veut véritablement lutter contre la
pauvreté, il doit agir de façon globale. Il le reconnaît d'ailleurs
lui-même, puisque l'une de ses orientations, à l'article 6, est
"...d'assurer, à tous les niveaux, la constance et la cohérence des
actions." Comment assurer la constance et la cohérence des actions
gouvernementales, sinon en obligeant tous les ministères à soumettre
les projets pertinents à l'étude pour vérifier leurs impacts sur la
lutte à la pauvreté ?
Seule une clause à cet effet permettra à la loi 112 d'avoir
une portée à l'extérieur du Ministère de la solidarité sociale et de
s'assurer que les autres ministères n'agiront pas à l'encontre de la
Stratégie de lutte à la pauvreté et de ses orientations.
Des modifications cruciales
Le FRAPRU a sciemment choisi de proposer un nombre restreint de
modifications au projet de loi, car pour lui ces trois modifications
sont les plus importantes. Comme il a déjà été mentionné, notre
organisme veut une loi qui contraindra les gouvernements futurs à
réellement lutter contre la pauvreté. Ainsi, l'ajout de cibles précises
à atteindre, dont la réduction des écarts entre le cinquième le plus
pauvre et le cinquième le plus riche, l'affirmation comme une
orientation de la loi que les besoins essentiels de tous et toutes
doivent être couverts et l'insertion d'une clause d'impact sont
incontournables. Ainsi, le FRAPRU ne pourra appuyer l'adoption du projet de loi que si ces trois modifications sont retenues.
Synthèse des demandes du FRAPRU
1. Dans le cadre de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le FRAPRU réclame :
- Qu'elle soit fondée sur une approche de droits, dont le droit à un revenu décent et le droit au logement.
- Qu'elle implique une amélioration du revenu et de la
qualité de vie de toutes les personnes pauvres, quelle que soit leur
situation, retirant ainsi toute notion discriminatoire entre les
personnes ayant des contraintes à l'emploi et celles qui n'en ont pas.
- Qu'elle favorise une répartition plus équitable de la richesse.
- Qu'elle comprenne une politique globale sur le logement.
- Que dans le cadre de la Stratégie, des mesures de lutte
à la pauvreté doivent être mises en application immédiatement, soit la
réalisation de 8000 logements sociaux par année, dont la moitié en HLM,
la couverture des besoins essentiels, la gratuité des médicaments pour
les personnes à faible revenu, une meilleure protection dans les normes
du travail des travailleurs et travailleuses et une hausse
substantielle du salaire minimum.
- Qu'elle dispose de moyens financiers suffisants.
2. Dans le but d'encadrer cette Stratégie le FRAPRU réclame les ajouts suivants à la loi 112 :
- Cibles précises à atteindre pour lutter contre la pauvreté,
dont la réduction des écarts entre le cinquième le plus pauvre de la
population et le cinquième le plus riche.
- Affirmation, comme une des orientations de la loi, que les besoins essentiels de toutes et tous doivent être couverts.
- Insertion d'une clause d'impact visant à s'assurer que
toute mesure gouvernementale, y compris d'ordre fiscal, n'aille pas à
l'encontre de l'objectif de lutte à la pauvreté et de réduction des
écarts.
Notes
- Conférence mondiale sur les droits de l'homme ,Vienne, 1993. Retour au texte
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Article 2.1 Retour au texte
- Ibid, article 11. Retour au texte
- Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada, paragraphe 30. Retour au texte
- Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, page 12. Retour au texte
- Société d'habitation du Québec, Évolution socio-économique des ménages locataires et propriétaires au Québec entre 1981 et 1996, mars 2001, page 51. Retour au texte
- Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, page 38. Retour au texte
- Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, page 11. Retour au texte
- Stratégie nationale contre la pauvreté et l'exclusion sociale, page 53. Retour au texte
- Ibid., page 10. On rementionne cet objectif en page 53. Retour au texte
- Enquête sur les finances des consommateurs, Statistiques Canada. Retour au texte