FRAPRU

Front d'action
populaire en
réaménagement
urbain

Pour en finir avec la crise du logement

Mémoire présenté à la Commission parlementaire sur l'aménagement du territoire
Consultations particulières sur le logement social et abordable

Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
17 octobre 2002


Un débat souhaité, mais limité

Lors de son dernier passage devant la Commission sur l'aménagement du territoire pour l'étude du projet de loi 49, le Front d'action populaire en réaménagement urbain avait vivement souhaité sortir des "débats parcellaires sur la réalité du logement" et participer à un "débat plus large" sur cet enjeu.

Le FRAPRU ne peut donc qu'accueillir favorablement la tenue des présentes consultations particulières sur le logement social et abordable. Nous devons toutefois déplorer que nous soyons appelés à nous prononcer sur un document dont le contenu n'engage que son auteur, le professeur Daniel Gill. Les "pistes de solution", teintées de forts parti pris, qui y sont proposées auraient de plus mérité d'être davantage développées pour que la discussion s'enclenche au moins sur des bases solides.

La présente commission ne dispose par ailleurs en rien de la nécessité de plus en plus pressante d'un large débat de société sur un projet gouvernemental de politique globale et intégrée d'habitation.


La crise... au-delà du 1er juillet

Comme l'affirme d'emblée le document de consultation soumis à la Commission parlementaire, le 1er juillet dernier a été particulièrement éprouvant pour de nombreuses familles et personnes seules.

Même si le gouvernement, qui avait prévu le financement de 750 suppléments au loyer d'urgence, s'est rapidement ravisé pour en augmenter le nombre à 1150, c'est dès le 5 juillet que cette aide s'est avérée insuffisante pour répondre à la demande. Ce sont 1657 ménages qui, au 21 août, s'étaient adressés à l'un ou l'autre des centres d'urgence afin de réclamer de l'aide pour se loger. De ce nombre, 1415 étaient éligibles au supplément au loyer, dont 975 à Montréal, 150 à Longueuil, 100 à Québec, 78 à Gatineau, 45 à Laval, 17 à Lévis, 15 à Châteauguay et 10 à Saint-Eustache et Saint-Jérôme. Certains ménages ont aussi demandé d'y avoir accès à Sainte-Thérèse, Terrebonne, Deux-Montagnes, Saint-Hyacinthe, Beloeil, Sainte-Catherine, Saint-Colomban, Beauharnois et Salaberry-de-Valleyfield.

Au-delà des chiffres, il y a les drames humains vécus par les victimes de cette situation, des femmes, des hommes, des enfants. En plus de vivre dans l'incertitude la plus totale, des familles entières ont dû être hébergées, souvent dans des conditions très pénibles, dans des gymnases, des salles communautaires, des sous-sols d'église, des résidences étudiantes, des chambres d'hôtels ou entassées chez des parents, des amis, des connaissances. Certaines se sont débrouillées avec les moyens du bord, couchant à gauche et à droite, en camping, dans leur auto, etc.

Trois mois et demi après le 1er juillet, des centaines de ménages demeurent ou sont devenus sans-logis. À Gatineau, un groupe communautaire n'a jamais arrêté d'héberger en motel des familles sans-logis et ce, à ses propres frais. À Montréal, les chiffres officiels fournis par l'Office municipal d'habitation font état de 250 ménages toujours dans cette situation. Ce nombre ne compte pas les dizaines d'autres qui ne se sont pas adressés à l'Office, parce que ce dernier n'a plus rien à leur offrir depuis que la Ville de Montréal a fermé sa ligne téléphonique d'urgence, le 25 juillet. Guère étonnant dans ces circonstances que les ressouces d'hébergement pour personnes itinérantes, pour nouveaux arrivants et même pour femmes victimes de violence conjugale débordent.

Or, jusqu'à preuve du contraire, le gouvernement a choisi d'abandonner les victimes à elles-mêmes et aux organismes communautaires qui ne disposent pas des moyens requis pour leur venir réellement en aide. Nous profitons donc de la tribune qui nous est offerte pour revenir à la charge et réclamer la mise en place rapide d'un programme d'urgence qui devra être maintenu aussi longtemps que nécessaire et comprendre du supplément au loyer temporaire en nombre suffisant, ainsi que de l'aide à l'hébergement, au déménagement et à l'entreposage des meubles.

S'ils sont moins nombreux, les ménages qui sont présentement sans-logis ou le deviendront dans les prochaines semaines ou les prochains mois ne sont pas moins importants que ceux du 1er juillet et leur sort n'est pas moins difficile. Bien au contraire, ces personnes et ces familles se retrouvent bien souvent sans logement en raison d'une séparation, d'une perte d'emploi, d'une éviction, etc. Elles ne peuvent pas et ne doivent pas rester sans aide.


Un manque de 23 000 logements locatifs

L'aggravation du problème de l'itinérance, dont la présence de familles sans-logis - phénomène à peu près impensable au Québec voilà à peine trois ans - n'est que le résultat le plus tragique de la pénurie de logements locatifs qui y sévit.

Ajoutons aux données contenues dans le document de consultation que 80,3 % des ménages locataires du Québec habitent dans des centres urbains où le taux de logements inoccupés est inférieur au taux considéré d'équilibre, soit 3 % des logements.

Mais combien manque-t-il donc de logements locatifs pour en arriver à ce point d'équilibre ? Le document de consultation ne s'avance pas sur cet enjeu. Le FRAPRU a donc tenté de l'évaluer, à partir des données présentement disponibles, soit l'enquête sur le logement locatif de novembre 2001 de la SCHL et les données du recensement de 2001 sur les logements privés et ce, pour chaque région ou agglomération touchée par la pénurie[1]. Voici les résultats de cette évaluation.


Nombre de logements nécessaires pour sortir de la pénurie

Régions métropolitaines
Montréal : 17 682 logements (dont 13 166 dans la ville de Montréal)
Québec : 3009 logements
Gatineau : 974 logements
Sherbrooke : 248 logements

Agglomérations urbaines[2]
Total dans les 11 agglomérations : 983 logements

Total au Québec : 22 896 logements

Il manquerait donc un total d'environ 23 000 logements dans les régions métropolitaines et agglomérations urbaines concernées pour mettre fin à la pénurie de logements locatifs.


Il est quasi impossible de prévoir exactement comment la pénurie de logements locatifs évoluera dans les prochaines années, puisqu'elle dépend à la fois de l'évolution du nombre de ménages et de celle des mises en chantier de logements locatifs. Nous ne pouvons cependant que partager le diagnostic du document de consultation : "L'actuelle crise du logement locatif est bien réelle et semble installée pour durer" (p. 8). On peut même craindre, comme l'affirme le texte, qu'elle risque de s'aggraver.


Une crise plus globale encore

Aux causes de la pénurie de logements locatifs avancées dans le document de consultation, nous voulons en rajouter une, rarement explorée, celle de l'appauvrissement des locataires.

Comme le mentionne fort justement le professeur J. David Hulchanski de l'Université de Toronto, "lorsqu'ils veulent expliquer le manque de construction de nouveaux logements locatifs, les analystes immobiliers pointent habituellement du doigt les contrôles de loyer, les règlements municipaux et les taxes", mais "peu s'interrogent sur la capacité des consommateurs potentiels - les ménages locataires - de payer des loyers suffisamment élevés pour que l'investissement consenti par les développeurs s'avère rentable"[3].

Les propriétaires de logements ne se gênent pas pour affirmer que le marché du logement n'est plus rentable et qu'il suffirait de le déréglementer pour que la construction de logements locatifs reparte de plus belle. En fait, ce n'est pas le marché qui n'est plus rentable, ce sont les locataires.

Une étude récente de la Société d'habitation du Québec[4] démontre que le revenu médian des ménages locataires a diminué de 27,7 %, en dollars constants, entre 1981 et 1996, alors que le revenu des ménages propriétaires n'a baissé que de 4,5 %. Les auteurs de l'étude ajoutent que "ce dernier phénomène est une bonne illustration du déplacement des ménages les mieux nantis vers la propriété et, en corollaire, l'appauvrissement relatif de la population locataire".

Une autre étude subventionnée par la Société canadienne d'hypothèques et de logement parle carrément de "résidualisation" des locataires, "c'est-à-dire qu'à mesure que les ménages à revenu supérieur accèdent à la propriété, le groupe résiduel se marginalise davantage par rapport aux marchés du travail et du logement"[5].

Ceci nous amène à constater que, si la pénurie de logements locatifs est telle qu'elle peut effectivement être considérée comme une crise en elle-même, ce serait une erreur de l'isoler d'une autre crise plus globale encore. Il s'agit de la contradiction grandissante entre la réalité de locataires de plus en plus pauvres et la logique de rentabilité économique qui est à la base même du marché privé du logement locatif.


Un marché qui marche ? Pas pour tout le monde !

Sur ce point, le FRAPRU s'élève en faux contre l'affirmation faite par le professeur Gill dans le document de consultation à l'effet que "le marché privé répond assez bien à la capacité de payer des ménages québécois" (p. 7). Ce n'est pas ce que nous constatons quotidiennement dans nos régions, nos villes et nos quartiers. Ce n'est pas non plus ce que démontrent les dernières données disponibles, celles du recensement de 1996[6].

Comment pouvons-nous parler d'un "marché qui répond assez bien à la capacité de payer des ménages" quand 42,6 % des locataires du Québec, très majoritairement des femmes, consacraient à ce moment plus de 30 % de leur revenu pour se loger ? Comment prendre une telle phrase au sérieux quand le pourcentage de ménages payant plus que cette norme s'élève au-delà de 45 % et même de 50 % dans certaines municipalités ou dans certains quartiers de ces villes ?

Comment parler du bon fonctionnement du marché quand 273 820 ménages locataires québécois (22,5 % de l'ensemble) engloutissaient plus de la moitié de leur revenu en frais de logement, dont 208 815 plus de 60 % ?

On prétendra peut-être que la situation s'est améliorée depuis, compte tenu de la croissance économique vécue à la fin des années quatre-vingt-dix. Peut-être, sauf que, si c'était vraiment le cas, la pénurie de logements locatifs est venue à nouveau aggraver la situation.

Nous en voulons pour preuve l'augmentation de loyer décelée en 2001 par l'enquête sur les logements locatifs de la SCHL. Cette hausse a été de 4,2 % dans la région métropolitaine de Montréal, de 3,8 % dans celle de Québec et de 6,0 % dans celle de Gatineau. Elle n'aura sûrement pas été moindre en 2002, si on se fie à l'accroissement important du nombre de causes pour fixation de loyer à la Régie du logement. Leur nombre est en effet passé de 3538 en 1999-2000 à 6377 en 2000-2001 et à 11 060 en 2001-2002.

Quoiqu'on en dise, l'augmentation du nombre de ménages locataires consacrant un pourcentage disproportionné de leur revenu au logement est une tendance nette qui s'est aggravée très sérieusement au cours des vingt dernières années. Rappelons qu'avant 1986, on considérait qu'un ménage éprouvait des difficultés à se loger s'il consacrait plus de 25 % de ses revenus en loyer.


Ménages locataires payant plus de 25 %, 30 % et 50 % de leur revenu en loyer
1981 à 1996

Consacrant 25 % et plus des revenus au loyerConsacrant 30 % et plus des revenus au loyerConsacrant 50 % et plus des revenus au loyer
Année du recensementNombre de ménagesPourcentage des ménages locatairesNombre de ménagesPourcentage des ménages locatairesNombre de ménagesPourcentage des ménages locataires
1981359 31535,4 %287 29028,3 %138 03013,6 %
1986475 11045,0 %379 85536,4 %194 65018,6 %
1991517 82045,0 %404 04035,1 %194 22516,9 %
1996637 90552,4 %518 70042,6 %273 82522,5 %

Sources : Données des recensements de 1981, 1986, 1991 et 1996


Que la cause soit l'augmentation des loyers, comme ce fut le cas entre 1981 et 1986 où ils ont grimpé de 62 %, ou la baisse du revenu des locataires, comme c'est arrivé entre 1991 et 1996, l'écart n'arrête pas de se creuser entre la réalité d'un nombre croissant de locataires et celle du marché privé de l'habitation.

La majorité des ménages font face à ce problème, en coupant dans leurs autres besoins essentiels, au premier chef la nourriture, avec toutes les conséquences qui s'en suivent sur leur santé.

Parfois, ce n'est pas suffisant et ils n'arrivent carrément plus à payer leur loyer. De 1980 à 1985, le nombre de causes de non-paiement de loyer à la Régie du logement, aussi baptisées causes pour recouvrement-résiliation dans le jargon de cet organisme, se chiffraient en moyenne à 15 500. De 1986 à 1990, cette moyenne était déjà montée à 24 000. Durant la décennie quatre-vingt-dix, elle a atteint 34 000. Elle est de plus de 37 000, depuis l'an 2000.

Le problème est grandissant, parce que l'incapacité de payer d'une large partie des locataires continue aussi à grossir.

Faut-il de plus s'étonner que les ménages impliqués dans des causes de non-paiement fassent partie de ceux qui arrivent très difficilement à se loger dans la situation de pénurie actuelle ? L'Office municipal d'habitation de Montréal évalue que les ménages évincés suite à un non-paiement représentaient 50 % de ceux qui se sont retrouvés sans-logis au 1er juillet. L'Office municipal d'habitation de Gatineau parle, lui, de 24 %.

Notons en passant que l'étude sur les logements privés au Québec publiée en août 2002 par Francine Dansereau et Marc Choko permet de constater que le phénomène du non-paiement n'atteint pas l'ampleur que veulent bien souvent lui donner les associations de propriétaires. Cette étude évalue les pertes subies en raison de loyers impayés à 1,2 % des revenus de location, pour un montant total de 74 millions $[7]. N'est-ce pas le genre de pertes auxquelles tout investisseur peut et doit s'attendre ? Pour le FRAPRU, cette étude vient confirmer que ce ne sont pas les propriétaires qui sont les grands perdants du problème du non-paiement, mais les locataires qui sont évincés de leur logement en raison de leur incapacité de payer et qui par la suite n'arrivent que très difficilement à se reloger.


La discrimination, un autre phénomène en expansion

Ceci nous amène à parler d'un autre phénomène en expansion et qui démontre bien les lacunes du marché privé, celui de la discrimination.

Celle-ci a toujours représenté un obstacle majeur à l'exercice du droit au logement. Non seulement existe-t-elle toujours, mais elle s'est très sérieusement aggravée, avec la pénurie de logements locatifs. Les propriétaires ont présentement beau jeu de s'y adonner. Dans un contexte de surplus de logements, comme celui qui existait au début des années quatre-vingt-dix, les propriétaires se devaient d'être moins sélectifs, s'ils voulaient louer leur appartement. C'est tout le contraire maintenant. Ce sont les ménages à faible revenu, particulièrement s'ils reçoivent des prestations de la Sécurité du revenu, ceux avec des enfants, ceux qui sont d'autres origines ethniques qui font les frais de ce renversement de situation.

L'étude déjà citée sur la "résidualisation des ménages locataires" se réfère à un sondage réalisé auprès des propriétaires de logements locatifs : "Lorsqu'on leur a demandé de façon précise de choisir entre diverses combinaisons de types de ménages, les propriétaires-bailleurs ont presque tous choisi le couple de travailleurs. Aucun des investisseurs n'a choisi le ménage d'assistés sociaux et un seul a opté pour la famille monoparentale avec un jeune enfant, ce qui donne à penser que les ménages de ce genre continueront d'avoir de la difficulté à se loger aussi longtemps qu'il y aura une demande excessive de logements à bas prix"[8].

La hausse significative du nombre de plaintes à ce sujet à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est un indice de l'accroissement de la discrimination, mais elle permet tout juste de percevoir la pointe de l'iceberg.


8000 logements sociaux par année, une urgence

Comme le mentionne le document de consultation de la Commission, le FRAPRU met au centre de ses solutions à la crise du logement la mise sur pied d'un grand chantier de 8000 logements sociaux par année. Cette demande a été largement reprise dans les dernières années. En 2000, elle faisait partie des demandes québécoises de la Marche mondiale des femmes. Elle est aussi l'une des mesures immédiates revendiquées par le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. Elle a été portée par le Chantier de l'économie sociale. Elle a été appuyée par près de 1100 organismes populaires, communautaires, féministes et syndicaux. Elle a aussi reçu l'aval de nombreuses personnalités dont des artistes comme Richard Desjardins, Isabelle Boulay, Michel Rivard, Nancy Dumais, Geneviève Paris, Sylvie Tremblay, Yves Soutière et tout récemment, à l'occasion d'une semaine d'occupations de bâtiments et de terrains initiée par le FRAPRU, Yvon Deschamps.

Notre organisme précise que, des 8000 logements sociaux réclamés, la moitié devraient être réalisés en HLM, compte tenu de l'absence totale d'intervention dans ce secteur depuis 1993 ainsi que de l'ampleur des listes d'attente qui atteignent 20 000 ménages. L'autre moitié devrait se réaliser en coopératives d'habitation et en logements gérés par des organismes sans but lucratif. Pour le FRAPRU en effet, les trois formules d'habitation sociale ont leur place et répondent à des besoins, des capacités, des aspirations qui diffèrent selon les ménages.

Pourquoi 8000 logements sociaux ? Parce que l'ampleur de la crise commande des interventions ambitieuses, mais aussi parce que c'est possible et que ça s'est déjà réalisé. De 1979 à 1981, les gouvernements fédéral et québécois ont financé une moyenne de 8086 logements sociaux, dont 3622 en HLM[9].

Voyons maintenant comment un tel niveau de développement du logement social permettrait de s'attaquer aux problèmes identifiés plus tôt.


Les 8000 logements et la pénurie de logements locatifs

Pour juger de l'impact du financement annuel de 8000 logements sociaux sur la pénurie de logements locatifs, nous les avons répartis régionalement, en fonction d'un critère qui nous semblait objectif et équitable pour toutes les régions qu'elles soient ou non aux prises avec la pénurie, soit celui du nombre de ménages locataires consacrant plus de la moitié de leur revenu pour se loger.

En vertu de cette méthode, la région métropolitaine de Montréal aurait droit à 4800 logements par année dont 3600 dans la ville de Montréal. Québec en recevrait annuellement 800, Gatineau 250 et Sherbrooke 185. Les agglomérations urbaines qui sont aussi aux prises avec une pénurie de logements locatifs auraient droit à un total de 650 logements. Environ 1315 logements, qui pourraient se réaliser en achat-rénovation plutôt qu'en construction neuve, demeureraient à la disposition des régions métropolitaines de Saguenay et Trois-Rivières, ainsi que des agglomérations et villes qui, sans être aux prises avec la pénurie, vivent une variété d'autres problèmes au niveau du logement.

Voyons maintenant combien il faudrait de temps pour que le nombre de logements ainsi répartis permette d'atteindre le taux d'équilibre (3 % de logements inoccupés) dans chacune des grandes régions métropolitaines concernées.


Région métropolitaineNb de logements sociaux demandés annuellement par le FRAPRUNb de logements manquantsNombre d'années nécessaires pour obtenir les logements manquants
Montréal480017 6823,7 ans
Québec8003 0093,8 ans
Gatineau2509743,9 ans
Sherbrooke1852481,3 an


Il faudrait évidemment ajouter à ces délais le temps nécessaire pour réaliser les logements. De plus, toute détérioration de la situation due à un élargissement de l'écart entre la formation de nouveaux ménages locataires d'une part et l'offre de logements locatifs d'autre part ajouterait aux délais.

En contrepartie, plus on se rapprocherait du taux d'équilibre (3 %), moins les conséquences de la pénurie seraient néfastes pour les locataires.


Les 8000 logements et la crise plus globale au niveau du logement

Le financement de 8000 nouveaux logements sociaux par année peut par ailleurs sembler pour le moins insuffisant quand on le met en parallèle avec le nombre de ménages qui, selon les gouvernements, vivent des besoins impérieux de logement[10] et dont le nombre se chiffrait à 472 855, selon les dernières données disponibles. Nous verrons plus loin que cette mesure devrait aller de pair avec une série d'autres.

De plus, si la réalisation de 8000 logements peut à raison être jugée insuffisante, compte tenu de l'ampleur des problèmes, il faut bien comprendre que ces logements s'additionneraient année après année et que leur impact irait en grandissant. En clair, 8000 logements sociaux par année, ça signifie 40 000 en cinq ans, 80 000 en dix ans, etc.

C'est d'ailleurs ce qui s'est vécu au Québec de 1971 à 1991, alors que le parc de logements sociaux est passé de 4000 à 114 000 unités. La part du logement non spéculatif, échappant à toute logique de profit, dans l'ensemble du parc de logements locatifs s'en est trouvée accrue d'autant. En 1971, le logement social ne représentait que 0,5 % de ce parc. En 1991, ce pourcentage avait grimpé à 9,7 %. On sait que cette progression a été freinée depuis, en raison du retrait fédéral du financement de nouveaux logements sociaux.

La situation actuelle ne doit donc pas être vue comme la démonstration de l'échec d'une approche privilégiant le logement social, comme le laisse entendre le document de consultation, mais au contraire comme la preuve qu'elle n'aurait jamais dû être abandonnée, comme ça a été le cas dans les années quatre-vingt-dix.

Nous ne répéterons jamais assez que, si Ottawa avait conservé durant toutes ces années le même niveau de financement des programmes qu'à la fin des années quatre-vingt, soit une moyenne de 5300 unités par année, le Québec disposerait aujourd'hui de 50 000 logements sociaux de plus, tous destinés à des ménages à faible et modeste revenus. Parlerait-on présentement d'une pénurie de logements si Ottawa n'avait pas posé ce geste ? Quant au nombre de ménages ayant des besoins impérieux de logement, il aurait été réduit d'un peu plus de 10 %, ce qui n'aurait assurément pas été négligeable.


Le logement social, une réponse au problème d'accessibilité... et bien plus encore

Le document de consultation de Daniel Gill s'en prend à plusieurs reprises à la "vision du logement social axée principalement sur les problèmes d'accessibilité" (p. 9). À son avis, un mélange hybride de supplément au loyer et d'allocation-logement permettrait de répondre plus adéquatement à ce problème, "même si cette aide ne permet pas d'atteindre un taux d'effort de 30 %" (p. 87). Quant au logement social, il devrait être destiné à des "clientèles particulières" : "clientèles désinstitutionnalisées avec problèmes d'adaptation, immigrants et familles de réfugiés, familles monoparentales en difficulté, ménages de personnes âgées en perte d'autonomie" (p. 87).

Le FRAPRU ne peut que s'opposer à un tel point de vue.

Le logement social permet généralement aux locataires de payer 25 % de leur revenu au loyer (environ 28,5 % avec les services), alors que les ménages bénéficiant du programme actuel d'allocation-logement sont obligés de payer jusqu'à 40 % et même 50 % de leur revenu en loyer. Selon la définition même donnée par les gouvernements, ces ménages sont donc toujours aux prises avec des besoins impérieux de logement et les 53 $ qu'ils reçoivent en moyenne par mois, s'ils ne sont pas totalement négligeables, ne les empêchent pas de devoir couper dans leurs autres besoins essentiels pour arriver à se loger. Ce serait aussi le cas, quoique dans une moindre mesure, avec la proposition du document de consultation. Le coût de cette dernière serait toutefois beaucoup plus élevé que les 98,7 millions $ octroyés en allocation-logement en 2000-2001.

S'il touche moins de ménages, le logement social représente donc une bien meilleure solution au problème d'accessibilité financière, mais il permet plus, beaucoup plus que cela.

  • Dans un contexte de pénurie de logements, il permet non seulement la construction de logements locatifs, mais il en assure de façon permanente l'accessibilité financière aux ménages à revenus faible et modeste.

  • Qu'il soit réalisé en construction neuve, en achat-rénovation ou en recyclage, le logement social entraîne une amélioration des conditions de logement des ménages qui y ont accès.

  • Contrairement au logement locatif privé, il accorde aux locataires la possibilité d'exercer un certain contrôle sur leur habitat. La preuve n'est plus à faire pour ce qui est des coopératives d'habitation qui sont sous l'entier contrôle de leurs membres-locataires, mais c'est aussi le cas dans les autres formules de logement social. Les locataires sont représentés au conseil d'administration des OSBL en habitation et, dans certains cas, les décisions se prennent en assemblée générale des locataires. Quant aux HLM, les luttes menées depuis des années par les associations de locataires, qui sont désormais pleinement reconnues, ont largement permis de les démocratiser. Non seulement les locataires sont-ils représentés aux conseils d'administration des Offices municipaux d'habitation, mais la loi 49 adoptée en début d'année permet dorénavant la création de comités consultatifs de résidents et de résidentes qui peuvent se prononcer sur la plupart des questions les concernant.

  • Le logement social permet le maintien en place, à un prix qu'elle peut payer, de la population traditionnelle des vieux quartiers qui, comme le reconnaît le document de consultation, font l'objet d'un "regain de popularité (...) provoquant l'éviction des ménages plus démunis" (p. 7). Aucune des pistes de solution avancée dans le document de consultation ne permet aussi bien de contrer les effets néfastes de la "gentrification" des quartiers anciens.

  • Le logement social peut effectivement être une réponse adéquate aux besoins spécifiques rencontrés par une partie de la population, comme elle le fait présentement dans le cadre des volets 2 et 3 d'AccèsLogis. Il peut en effet offrir "plus qu'un toit" et être accompagné de services et de soutien communautaires indispensables. Répétons à cet égard qu'il serait temps que le Ministère de la Santé et des Services sociaux se dote d'une politique-cadre de financement en ce domaine, comme le réclame depuis des années le réseau des OSBL en habitation.

Cela étant dit, le FRAPRU se prononce sans ambiguïté contre toute clientélisation du logement social. Celui-ci doit demeurer une formule large d'accès au logement ouverte à l'ensemble des personnes et des familles qui en ont besoin et en font la demande, ce qui inclut évidemment les personnes ayant des besoins particuliers, tout en ne s'y restreignant pas.


Une contribution accrue des deux paliers de gouvernement

Évidemment un chantier de 8000 logements sociaux par année entraînerait des déboursés que nous pouvons grossièrement évaluer à 400 millions $[11] par année pour les gouvernements. Ces déboursés généreraient toutefois des investissements totaux d'au moins 700 à 800 millions $, en ajoutant la contribution du milieu et celle des locataires. De tels investissements auraient des retombées économiques majeures en termes de création et de maintien d'emploi, d'utilisation de matériaux, etc. C'est d'ailleurs ce qu'a compris le dernier budget Marois en faisant du logement social un pan important de son plan d'accélération des investissements (AGIR). Les retombées sociales d'un tel grand chantier seraient tout aussi considérables et pourraient à terme entraîner des économies dans d'autres secteurs comme la santé et les services sociaux.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme le document de consultation (p. 43), reprenant en cela une fausseté véhiculée par l'Institut économique de Montréal, les logements sociaux, y compris les HLM, paient des taxes et permettent de grossir l'assiette fiscale des villes.

Cela étant dit, nous tenons à préciser que, si un tel chantier de 8000 logements sociaux par année, dont la moitié en HLM, exigerait des investissements supérieurs de la part du gouvernement québécois, il nécessiterait également une importante contribution fédérale.

À ce sujet, le FRAPRU s'est associé depuis plusieurs années déjà aux efforts de groupes communautaires du Canada réclamant un effort supplémentaire de 2 milliards $ par année du gouvernement fédéral dans le domaine de l'habitation.

Le FRAPRU continue de plus à appuyer la position du gouvernement québécois qui exige que toute entente avec Ottawa lui octroyant l'entière responsabilité des logements sociaux existants implique une augmentation marquée des budgets qui lui seraient transférés, de manière à corriger l'injustice dont le Québec a été et est encore victime dans la répartition de fonds fédéraux à l'habitation. Pour le FRAPRU, le Québec devrait recevoir une part des budgets fédéraux correspondant minimalement au prorata de sa population (24,75 %) et, de manière encore plus souhaitable, au prorata des ménages ayant des besoins impérieux de logement (27,40 %). C'est entre 125 millions $ et 200 millions $ par année qui sont en jeu dans ces négociations.


La nécessité d'une politique globale et intégrée d'habitation

Le grand chantier de logement social revendiqué par le FRAPRU ne représente évidemment pas la solution à tous les problèmes liés à l'accessibilité financière, la qualité, la surpopulation des logements ou encore les besoins d'adaptation physique des logements pour les personnes handicapées et les personnes âgées en perte d'autonomie. Il ne peut non plus faire face à lui seul à des défis comme l'évolution démographique ou encore les modifications dans les comportements de vie de la population. Il devrait donc s'inscrire dans le cadre d'une politique globale et intégrée d'habitation, comme il en est question au Québec depuis plus de vingt-cinq ans sans qu'aucun gouvernement n'ait eu le souci ou le courage de la mener à terme.

Une telle politique devrait impliquer l'ensemble du gouvernement et non les seules Société d'habitation du Québec et Régie du logement.

Elle devrait également s'appuyer sur une reconnaissance claire du droit au logement pour toutes et tous. Celle-ci irait dans le sens d'engagements internationaux pris par le Québec, notamment quand il adhéré, en 1976, au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels qui, à son article 11, affirme "le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence".

Différentes instances de l'Organisation des Nations unies ont, à partir du Pacte, défini plus précisément ce que signifiait un tel droit à un "logement suffisant". L'Observation générale no 4 adoptée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels en 1991 spécifie que le droit au logement signifie beaucoup plus que d'"avoir un simple toit sur la tête", mais comprend aussi des aspects comme la sécurité d'occupation, l'accès au logement sans discrimination, la capacité de paiement, l'habitabilité ou encore l'existence de services, équipements et infrastructures.

La politique d'habitation devrait viser le respect de toutes les facettes du droit au logement et ce, dans une optique de progressivité, d'"amélioration constante des conditions d'existence". Dans son rapport de décembre 1998 sur les droits économiques, sociaux et culturels au Canada, le même comité écrivait que "le Canada a les moyens d'assurer dans une large mesure l'application de tous les droits énoncés dans le Pacte"[12]. Ce jugement valait pour le palier central, mais aussi pour l'ensemble des provinces dont le Québec.

Pour y parvenir, une politique québécoise d'habitation devrait, à notre avis, comprendre, outre le développement de nouveaux logements sociaux, toute une série de mesures comprenant notamment :

  • La protection, l'entretien et l'amélioration des logements sociaux existants et la plus grande prise en charge par les locataires qui y demeurent de leurs propres conditions d'habitation ;

  • Une protection plus adéquate des droits des locataires demeurant sur le marché privé de l'habitation, entre autres par un contrôle obligatoire de tous les loyers et par des mesures sévères contre la discrimination lors de la location d'un logement ;

  • La conservation du parc actuel de logements locatifs, par exemple contre la conversion de logements locatifs en copropriétés ;

  • Des moyens, comme l'adoption d'un code d'habitabilité, assurant la qualité de ce parc de logements.

Une politique de logement devrait de plus aller de pair avec une politique de lutte à la pauvreté fondée sur une approche de droits et impliquant une augmentation marquée du revenu de toutes les personnes pauvres, quelle que soit leur situation, de manière à ce qu'elles puissent subvenir à tous leurs besoins essentiels, dont celui de se loger. Plus tôt cette semaine, le FRAPRU est intervenu en ce sens devant une autre commission parlementaire chargée de l'étude du projet de loi 112.


Et les solutions proposées par les autres intervenants ?

Nous voudrions en terminant nous prononcer sur les demandes portées par d'autres intervenants pour faire face à la pénurie de logements locatifs.


1- Les mesures fiscales visant à stimuler la construction de nouveaux logements locatifs

Cette demande est portée par l'Association provinciale des constructeurs d'habitation du Québec (APCHQ), mais aussi par une large partie du monde municipal. Nous l'avons précisément étudiée lors d'une assemblée générale spéciale du FRAPRU, tenue le 10 octobre. Il en est ressorti clairement que notre organisme ne pouvait d'aucune façon appuyer la demande de mesures fiscales.

Le FRAPRU n'est d'abord pas du tout convaincu que leur adoption entraînerait réellement une augmentation importante du nombre de logements locatifs. Les expériences étrangères en ce domaine, notamment celles vécues aux États-Unis et en Grande-Bretagne, tendent plutôt à démontrer que l'impact pourrait être minime.

Le FRAPRU est encore moins convaincu que les logements construits seraient réellement accessibles financièrement aux ménages à faible et modeste revenus. Sur ce point, l'APCHQ a le mérite d'être honnête quand elle affirme que "l'efficacité de toutes les mesures proposées repose sur l'hypothèse que celles-ci seraient appliquées sans condition sur la fixation des loyers"[13].

En fait, ce que la CMM et l'APCHQ proposent à mots à peine voilés, c'est de subventionner des logements locatifs chers. Selon ces organismes, les ménages à faible et modeste revenus en bénéficieraient non pas directement, mais grâce à ce qu'on appelle "l'effet de percolation", c'est-à-dire la libération par des ménages mieux nantis de logements qui pourraient alors être occupés par des ménages plus pauvres. Cette théorie pourrait aussi s'appeler "donner à Pierre pour aider Sarah". Or, personne ne s'est jamais donnée la peine d'en démontrer l'efficacité dans la pratique.

La dite théorie ne tient pas compte d'au moins deux facteurs. Le premier est celui du coût du logement ainsi libéré. S'il n'est pas déjà élevé (ce qui serait le cas des "logements de qualité" dont parle, à ce sujet, le document de consultation de la commission), il risque de le devenir suite au déménagement du locataire mieux nanti. Qui donc ignore que les propriétaires profitent habituellement des déménagements pour augmenter le loyer et que seule une infime minorité de locataires utilisent les recours qui sont alors à leur disposition à la Régie du logement ? Le second facteur est celui de la discrimination. À moins d'une augmentation très marquée du nombre de logements locatifs, les propriétaires ne seraient pas plus intéressés que maintenant à louer à des familles avec enfants, des ménages sur l'aide sociale et, à plus forte raison, des ménages ayant éprouvé par le passé des difficultés à payer leur loyer.

D'ailleurs, si l'effet de percolation était si réel, n'en aurait-on pas ressenti les effets au cours des deux dernières années, compte tenu de la croissance marquée de l'accès à la propriété qui, aux dires de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, a incité "plusieurs ménages à passer du statut de locataire à celui de propriétaire"[14].

De plus, il est faux de prétendre que les mesures fiscales n'ont pas réellement de coût, supposément parce que le gouvernement se priverait de revenus qu'il ne recevrait pas de toute façon, en raison de l'absence de construction dans le domaine du logement locatif. Des logements sont bel et bien construits présentement, même si en nombre insuffisant. Ils seraient évidemment aussi touchés par les mesures fiscales proposées. Certaines des mesures fiscales proposées pourraient également s'appliquer à toute nouvelle construction qu'elle se fasse ou non dans le domaine locatif ou même au parc actuel de logements, augmentant d'autant les coûts.

Ajoutons que les dites mesures accroîtraient les inéquités fiscales déjà existantes, notamment dans le logement locatif. Contentons-nous à ce chapitre de mentionner qu'à peine 514 millions $ de revenus nets de location ont été déclarés à l'impôt en 1997 (incluant la location de logement, mais aussi celle de bureaux, de commerces, etc)[15], alors que Choko et Dansereau évaluent les revenus totaux générés par la seule location de logements[16] à... 6 milliards $. Le reste de ces revenus n'a-t-il pas échappé totalement à l'impôt ? Un tel privilège n'est-il pas déjà suffisant, sans en ajouter d'autres ?

Nous devons finalement nous demander si l'ajout de privilèges fiscaux ne viendrait pas récompenser des investisseurs qui ont délibérément boudé le logement locatif pour faire chuter les taux de logements inoccupés et ainsi rendre le marché plus avantageux. Notons d'ailleurs qu'au premier semestre de 2002, les mises en chantier de logements locatifs ont atteint 3070 dans les centres urbains du Québec, ce qui est supérieur au nombre de logements construits annuellement de 1995 à 1998. Cette hausse marquée est survenue...sans que la moindre mesure fiscale ne soit ajoutée.


2- La déréglementation du marché du logement

Cette demande a été bruyamment véhiculée à l'approche du 1er juillet par le très droitier Institut économique de Montréal, relayé par les associations de propriétaires et, au moins en partie, par le chef de l'Action démocratique du Québec, Mario Dumont. Selon cette thèse, la pénurie de logements locatifs s'expliquerait par une règlementation trop contraignante, en particulier en matière de contrôle des loyers. Une telle thèse ne résiste pas longtemps à l'analyse.

1) Le contrôle des loyers s'exerce sous sa forme actuelle depuis 1980. Il n'a aucunement empêché la mise en chantier de 22 699 logements locatifs au Québec en 1986 et de 26 704 en 1987. Il n'a pas non plus empêché les taux de logements inoccupés d'atteindre 7 % ou 8 % dans les années 90.

2) Même si le nombre de causes pour fixation de loyer a monté en flèche à la Régie du logement en 2001-2002, les 11 060 logements dont le loyer a été fixé ne représentent même pas 1 % de l'ensemble des logements locatifs. Comment peut-on prétendre qu'un tel niveau d'intervention représente un frein à l'investissement dans le logement locatif ?

3) La province de l'Ontario a considérablement affaibli son contrôle des loyers, depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur (qui a de plus sabré dans le logement social, comme le souhaitent également l'Institut économique de Montréal et les associations de propriétaires). Or, en octobre 2001, le taux de logements inoccupés était de 0,9 % à Toronto et Kitchener, de 0,8 % à Ottawa, de 1,3 % à Hamilton, etc.

Nous ne pouvons donc que rejoindre le document de consultation quand il affirme que "les expériences canadiennes et étrangères ont très bien démontré par contre que l'élimination du contrôle des loyers a une incidence directe sur le loyer de l'ensemble des locataires et ce, sans pour autant réduire les problèmes de pénurie" (p. 65).


3- L'aide à la personne

Cette demande est souvent véhiculée par les mêmes acteurs que la précédente. Ils affirment, comme la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) l'a fait, le 16 septembre, qu'il est préférable de soutenir directement les locataires à faible revenu pour qu'ils puissent se loger sur le marché privé plutôt que d'investir dans la construction de nouveaux logements locatifs et, à plus forte raison, de logements sociaux.

Ces acteurs mettent de l'avant deux formules, soit le supplément au loyer et l'allocation-logement.


a) Supplément au loyer

Le supplément au loyer consiste en une aide financière aux propriétaires de logements locatifs pour qu'ils puissent accueillir des ménages locataires à faible revenu et leur louer leurs appartements au même prix qu'en HLM.

Il n'est d'aucun secours pour lutter contre la pénurie de logements locatifs, puisqu'il ne crée pas de nouveaux logements, mais permet simplement d'en louer des vacants parmi ceux qui existent déjà.

De plus, le recours à large échelle au supplément au loyer ne fonctionne pas en période de pénurie de logements. Il a maintes fois été démontré que le supplément au loyer n'est attirant pour les propriétaires qu'au moment où ils ont beaucoup de logements disponibles et qu'ils n'arrivent tout simplement pas à les louer par leurs propres moyens. Loin de réclamer de nouveaux suppléments au loyer, les propriétaires ont plutôt tendance à se désister des ententes qu'ils ont pris à cet effet.

Dans une étude réalisée pour le compte de la SCHL, la firme Ruston-Tomany écrivait en 1979 : "Les taux d'inoccupation constituent le principal facteur qui incite les propriétaires-bailleurs à participer au Programme ou à songer à y participer. Les taux d'inoccupation sont aussi l'élément critique qui motive un propriétaire-bailleur à se retirer du programme"[17].

Un rapport publié à la même époque par la Société d'habitation de l'Ontario illustrait ce phénomène : "En raison du nombre actuellement restreint de logements locatifs, les propriétaires-bailleurs ont de plus en plus tendance à ne pas renouveler leurs accords conclus avec la SHO, à l'égard des compléments de loyer. Entre 1978 et 1980, le nombre total de logements profitant du complément a en fait diminué, passant de 10 816 à 9 059 logements, soit une perte de 1757 logements"[18].

De grands offices municipaux d'habitation, dont celui de Montréal, confirment que le phénomène du désistement commence à se vivre au Québec même, depuis la chute des taux de logements inoccupés.

Même quand il est utilisé comme mesure de dépannage, comme ce fut le cas dans le cadre des mesures d'urgence adoptées par le gouvernement pour les 1er juillet 2001 et 2002, le supplément au loyer a démontré ses limites. À Montréal, plus de trois mois après le 1er juillet, quelque 130 ménages sont toujours incapables de se trouver un logement, même s'ils ont entre les mains une lettre prouvant leur admissibilité au supplément au loyer.

Bref, contrairement à ce qu'affirme le document de consultation quand il fait dire au FRAPRU qu'une de ses solutions à la crise est de "donner plus de suppléments au loyer aux ménages à faibles revenus" (p. 16), nous en défendons la nécessité uniquement en logement social. Sur le marché privé, il ne peut et ne doit servir que comme mesure de dépannage, comme il l'a fait pour les deux derniers 1er juillet.


b) Allocation-logement

L'allocation-logement est une aide financière directe aux locataires. Elle leur donne un peu plus de sous pour arriver à payer leur loyer ou pour se trouver un autre logement.

Pour le FRAPRU, cette formule peut au mieux représenter une forme d'aide complémentaire et autant que possible temporaire en attendant d'avoir accès à un logement social. Elle n'a aucun autre impact ni sur la disponibilité des logements, ni sur leur qualité ni sur l'absence totale de contrôle par les résidentes et les résidents. Elle ne sert qu'à compenser la faiblesse des revenus d'une partie des locataires, sans même les mettre à l'abri contre d'éventuelles augmentations de loyer.

Par le passé, le FRAPRU a eu à se battre contre la réduction des allocations-logement. Il ne l'a pas fait parce qu'il privilégiait cette formule, mais simplement parce qu'il voulait éviter un appauvrissement des locataires.


4- L'accès à la propriété

Dans son document, le professeur Gill fait écho à d'autres intervenants, en proposant l'accès à la propriété comme une "piste de solution" à la crise.

Il ne s'agit pas de s'opposer à un tel accès à la propriété individuelle. Celui-ci est déjà un fait, même sans intervention gouvernementale. Il s'est même considérablement accru au cours des deux dernières années, sous l'impact combiné des bas taux d'intérêts et des difficultés du logement locatif. Le document propose tout simplement de l'accélérer davantage et de le réorienter, à des fins de développement durable, vers la copropriété en logements multiples.

Là où le FRAPRU a des problèmes, c'est quand M. Gill laisse entendre que cet accès à la propriété pourrait entre autres passer par la conversion de logements locatifs, ce qui nous apparaît tout à fait irresponsable dans un contexte de pénurie où le taux de logements inoccupés est de loin inférieur à 3 % dans plusieurs régions métropolitaines et agglomérations urbaines. Là où notre organisme ne suit également pas, c'est quand il propose dans le même souffle au gouvernement de subventionner l'accès à la propriété et de se retirer du financement de nouveaux logements sociaux (ou plus précisément du volet 1 de l'actuel programme AccèsLogis s'adressant de manière générale aux ménages à faible et modeste revenus).

Le document ne se donne même pas la peine de mesurer l'impact que cette accession à la propriété individuelle aurait sur la disponibilité de logements locatifs abordables, se contentant tout juste de reprendre la théorie non-démontrée de l'effet de percolation qui ne pourra au mieux fonctionner qu'au détriment d'une hausse marquée du taux d'effort déjà beaucoup trop élevé des locataires à plus faible revenu (p. 91).

Un effet pervers de l'accès massif à la propriété des ménages un peu mieux nantis est par ailleurs le phénomène de "résidualisation" des ménages locataires dont nous avons déjà parlé et qui ne pourra que s'accélérer, ce qui aura pour effet de décourager encore davantage la construction de nouveaux logements locatifs ou même l'entretien des logements existants. Les ménages à plus faible revenu pourraient donc être totalement laissés pour compte, alors qu'ils sont précisément les principales victimes de la pénurie. Or, si un éventuel gouvernement en venait à appliquer les recommandations du document de consultation, ils se verraient même privés de la seule alternative qui leur resterait, soit l'accès à de nouveaux logements publics, coopératifs ou sans but lucratif...

Outre ces réticences, le FRAPRU ne voit pas dans la propriété individuelle une panacée universelle. Certains ménages y parviennent sans grande difficulté. Tant mieux pour eux. D'autres n'y arriveront jamais. D'autres enfin y ont accès, mais à très grand risque. Ils se placent en effet, pour ce faire, dans des conditions d'extrême fragilité qui ne résistent pas à des coups durs comme une perte d'emploi, une séparation, un conflit de travail ou même un besoin de rénovation majeure inattendu. Les 300 000 ménages locataires auxquels Daniel Gill veut faciliter l'accès à la propriété n'entrent-ils pas pour une bonne part dans cette dernière catégorie ?


Vos partis, que proposent-ils ?

Si le FRAPRU a trouvé pertinent de venir à nouveau s'exprimer sur le problème du logement et les solutions à y apporter, il serait pour le moins souhaitable que les partis politiques qui sont représentés ici fassent de même et ce, le plus rapidement possible.

À moins d'un an du rendez-vous électoral, il est plus que temps que les mal-logés du Québec sachent à quoi s'en tenir avec les partis en lice. Ils l'ont déjà fait dans d'autres domaines. Est-ce que la crise aiguë du logement que nous vivons présentement les préoccupe moins ?

Plus tôt cette semaine, nous avons d'ailleurs fait parvenir une série de questions permettant aux chefs des différents partis de préciser leurs engagements en habitation. Nous leur avons demandé d'y répondre avant le 18 novembre. Nous réitérons cette demande aux parlementaires présents, en espérant qu'ils s'en fassent les messagers dans leurs partis.

En attendant ces réponses, nous ne pouvons qu'afficher notre plus grande inquiétude autant face à certaines interventions - pensons à celle de Mario Dumont sur le contrôle des loyers - que face à des silences, comme celui du Plan d'action du "prochain gouvernement libéral" qui, en près de 50 pages décrivant les priorités de ce parti, ne trouve pas un traître mot à dire sur l'habitation.


Notes

  1. Nous avons appliqué le taux de logements inoccupés provenant du Rapport de la SCHL publié en novembre 2001 à l'ensemble du parc de logements locatifs plutôt qu'aux seuls immeubles de trois logements et plus. Cette méthode n'aurait pas pour conséquence de gonfler artifiellement les besoins, mais plutôt de les sous-estimer légèrement. La plupart des observateurs s'entendent en effet pour dire que les logements locatifs inoccupés sont encore plus rares dans les duplex et les triplex avec propriétaire occupant qui ne sont pas touchés par l'enquête fédérale.

    Comme les données du recensement de 2001 sur le nombre de logements locatifs ne sont pas encore disponibles, nous avons utilisé celles qui l'étaient, soit celles sur le total des logements privés dans chaque région ou agglomération. Nous les avons multipliées par le pourcentage de logements locatifs sur l'ensemble du parc de logements en 1996, moins, par prudence, 1 % à 1,5 %, selon la ville ou la région. Retour au texte

  2. Les agglomérations urbaines où le taux de logements inoccupés est inférieur à 3 % sont Montmagny, Drummondville, Granby, Joliette, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Hyacinthe, Magog, Victoriaville, Saint-Georges-de-Beauce, Sainte-Marie-de-Beauce et Mont-Laurier. Retour au texte

  3. J. David Hulchanski, A Tale of Two Canadas. Homeowners Getting Richer, Renters Getting Poorer, Center for Urban and Community Studies, University of Toronto, Research Bulletin #2, August 2001, p. 1. Retour au texte

  4. Société d'habitation du Québec, Évolution socio-économique des ménages locataires et propriétaires au Québec entre 1981 et 1996, mars 2001, p. 51. Retour au texte

  5. Steve Pomeroy, La résidualisation de ménages locataires : attitudes des propriétaires-bailleurs privés envers les ménages à faibles revenus, SCHL, Le point en recherche, série socio-économique, numéro 93, octobre 2001, p. 1. Retour au texte

  6. Les données du recensement de 2001 ne seront disponibles qu'au milieu de 2003. Retour au texte

  7. Francine Dansereau et Marc Choko, Les logements privés au Québec : la composition du parc de logements, les propriétaires bailleurs et les résidants, INRS-Urbanisation, Culture et société, août 2002, p. iv. Retour au texte

  8. Steve Pomeroy, op. cit., p.3. Retour au texte

  9. Source : Rapports annuels de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, région du Québec, 1979, 1980 et 1981. Retour au texte

  10. Selon la définition de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, un ménage a des besoins impérieux de logement, s'il consacre plus de 30 % de ses revenus au loyer ou s'il a un problème d'espace ou de qualité et qu'il ne peut se reloger sans consacrer plus de 30 % de ses revenus au loyer. Cette définition tient donc compte à la fois des problèmes d'accessibilité financière, de surpeuplement et de qualité des logements. Retour au texte

  11. Cette somme inclut du supplément au loyer permettant aux ménages à plus faible revenu de consacrer 25 % de leur revenu en loyer. Un tel supplément devrait être accordé de manière permanente à tous les ménages qui en ont besoin. Des sommes récurrentes doivent donc être prévues à ce chapitre. Retour au texte

  12. Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada, 10/12/98, observation 3. Retour au texte

  13. APCHQ, Solutions à la crise du logement au Québec, mai 2002, p. 4. Retour au texte

  14. SCHL et Chambre immobilière du Grand Montréal, Analyse du marché de la revente du Montréal métropolitain, 4e trimestre 2001, p. 2. Retour au texte

  15. Statistiques fiscales des particuliers, Année d'imposition 1997, Édition 1999, p. 80. Retour au texte

  16. Francine Dansereau et Marc Choko. op. cit., p iii. Retour au texte

  17. Ruston/Tomany and Associates, Les propriétaires-bailleurs et le Programme de complément de loyer, SCHL, p. iv. Retour au texte

  18. Ontario, Comité permanent sur l'administration de la justice, Rapport sur la Société d'habitation de l'Ontario et les commissions de logement locales, février 1981, Toronto, p. 4. Retour au texte