FRAPRU

Front d'action
populaire en
réaménagement
urbain

Réingénierie de l'État, compressions budgétaires et baisses d'impôt

À quoi doit-on s'attendre ?

Document de formation
Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Octobre 2003


Rappel des décisions du congrès de 2003

Le 15 juin dernier, le congrès du FRAPRU a adopté les deux résolutions suivantes :

  1. Que le FRAPRU se mobilise contre tout recul orchestré par le gouvernement Charest, non seulement dans le développement du logement social, mais aussi dans la protection du parc actuel de logements sociaux, dans l'aide aux locataires du marché privé ou dans les recours qui sont présentement à leur disposition.

  2. Que la mobilisation contre les reculs orchestrés par le gouvernement Charest dans le domaine de l'habitation, s'inscrive dans la construction d'une opposition d'ensemble aux reculs sociaux qui pourraient être entraînés par la volonté actuelle de « réingénierie de l'État », de compressions budgétaires dans les programmes sociaux et de nouvelles réductions massives des impôts. Que l'assemblée générale du FRAPRU fasse régulièrement le point à ce sujet.

Le présent document vise à se préparer à une telle riposte, en comprenant mieux les dangers qui nous guettent.

La réingénierie de l'État : se démêler... pour s'en mêler

C'est depuis le discours du premier ministre Jean Charest, lu le 4 juin 2003, qu'il est ouvertement question de réingénierie de l'État.

Le premier ministre avait alors annoncé six grands travaux visant à « remettre à jour le fonctionnement de notre État »:

« Numéro 1 : révision des structures de l'État et des programmes gouvernementaux, sous la supervision de la présidente du Conseil du trésor.

Numéro 2 : revue des modes d'intervention du gouvernement dans l'économie, sous la responsabilité du ministre du Développement économique et régional, en collaboration avec le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille.

Numéro 3 : réorganisation des services de santé, sous la responsabilité du ministre de la Santé et des Services sociaux.

Numéro 4 : examen des perspectives de décentralisation et de déconcentration, sous la responsabilité du ministre des Affaires municipales, du Sport et du Loisir et de la ministre déléguée au Développement régional et au Tourisme.

Numéro 5 : recentrage du réseau de l'éducation sur l'élève et l'étudiant, sous la responsabilité du ministre de l'Éducation.

Numéro 6 : simplification et allègement du fardeau fiscal, sous la responsabilité du ministre des Finances. »

Cette réingénierie est sous la supervision d'un comité de gouverne dirigé par Jean Charest. Ce comité devait se réunir pour une première fois le 9 octobre. La présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, coordonne l'ensemble de la démarche. Elle est aussi responsable du comité de pilotage qui s'occupe de la révision des structures de l'État et des programmes gouvernementaux. Ce dossier est assurément celui qui, pour l'instant, fait couler le plus d'encre et soulève le plus d'appréhensions.

La révision des structures de l'État et des programmes gouvernementaux

Dans un Guide produit en juillet 2003, le Secrétariat du Conseil du trésor rappelle les quatre principes d'action qui doivent guider la révision des structures de l'État et des programmes gouvernementaux. Ce sont les suivants :

  1. « Recentrer l'État sur ses missions essentielles  : santé, savoir, prospérité, sécurité ;

  2. Offrir des services publics de qualité, lorsque ceux-ci font partie de la mission de l'État ;

  3. Augmenter la productivité de l'État afin de faire en sorte que les contribuables en aient pour leur argent ;

  4. Ouvrir l'État aux partenariats, que ce soit avec les municipalités, les organismes communautaires ou les entreprises privées (p. 4). »

Le Guide du Conseil du trésor explique clairement le lien entre cette révision et les échéances budgétaires.

« Considérant le besoin de procéder à une révision en profondeur des structures et des programmes, il n'est pas opportun de déclencher à ce moment-ci les étapes habituelles du cycle budgétaire. Il est plutôt prévu de procéder à la révision des structures et des programmes et d'y arrimer ensuite la préparation du Budget de dépenses en l'adaptant en fonction de la réingénierie de l'État.

En plus de permettre de recentrer le rôle de l'État sur ses missions essentielles, les mesures structurantes identifiées dans le cadre de la démarche de révision des structures et des programmes doivent procurer des rendements budgétaires significatifs dès 2004-2005, bien que la réalisation de certaines d'entre elles puisse s'échelonner sur plusieurs années » (p. 3).

Les étapes franchies

Plusieurs étapes ont été franchies depuis juillet 2003 dans le cadre de la révision des structures et des programmes.

  1. Les ministères avaient jusqu'au 29 août pour transmettre au Conseil du trésor leur plan de travail global sur cette révision ;

  2. Au cours du mois de septembre, ils ont eu des rencontres avec le Conseil du trésor sur ce plan de travail et sur l'avancement du dossier ;

  3. Les ministères avaient jusqu'au 30 septembre pour faire parvenir au Conseil du trésor leur dossier de révision des structures et des programmes.

Ce dossier comprenait trois sections :

  • Exposé de la mission essentielle du ministère. Celui-ci avait à expliquer sa mission, ses grandes orientations et ses modes d'intervention.

  • Questionnement des structures et des programmes. Chaque programme devait faire l'objet d'une fiche. En plus de décrire le programme, ses objectifs, les clientèles desservies, la nature des biens et des services offerts, l'évolution des ressources affectées à ce programme et ses mécanismes d'évaluation, la fiche posait cinq questions.

    Rôle de l'État  : ce programme répond-il toujours à une mission essentielle de l'État ?
    Efficacité : atteint-il toujours ses objectifs ?
    Efficience : pourrait-on l'offrir autrement à moindre coût tout en préservant la qualité du service aux citoyens ?
    Subsidiarité : quelle est la meilleure instance pour en assumer la gestion ?
    Capacité financière  : a-t-on les moyens d'en assumer les coûts ou faut-il en revoir la portée ?

  • Présentation des mesures envisageables. Chaque ministère devait proposer des mesures de révision de ses programmes et de ses structures. Il devait y décrire les mesures, expliquer pourquoi elles ont été retenues et les démarches nécessaires pour les mettre en place. Il devait également en décrire les impacts et en particulier les impacts budgétaires en 2004-2005, 2005-2006 et 2006-2007.

Les étapes à franchir

Les étapes suivantes restent à franchir :

  1. Engagement de firmes privées de consultants visant à aider le gouvernement à établir « sa vision stratégique » et faire « la gestion du changement » dans le processus de réingénierie. Un appel d'offres à cet effet a été lancé le 3 octobre.

  2. Jusqu'à la mi-octobre 2003 : Examen par le Conseil du trésor des dossiers préparés par les ministères en « vue de la production de plans ministériels de mise en oeuvre de la réingénierie servant à la préparation du Budget de dépenses 2004-2005 ».

  3. À compter de la mi-octobre 2003 : production par les ministères sur la base des orientations retenues de leur propre plan de mise en oeuvre de la réingénierie 2004-2005.

  4. Janvier 2004 : Début de l'opération des crédits détaillés (budgets de dépense de chaque ministère) et arrimage avec le plan de mise en oeuvre de la réingénierie.

En quoi ça nous concerne ?

Le gouvernement libéral ne s'en cache même pas : l'opération menée présentement répond à des objectifs de compressions budgétaires, dont une partie s'appliquant dès 2004-2005. Elle obéit aussi à d'autres motivations, notamment la volonté de délester l'État québécois de certaines responsabilités pour les refiler à d'autres, soit les municipalités, le privé... et les organismes communautaires.

Tout cela doit nous inquiéter au plus haut point. Nous ne connaissons évidemment pas le contenu du dossier qui a été rempli sur la question de l'habitation. Ce que nous savons toutefois, c'est ce qui a pu être questionné.

Existence de la Société d'habitation du Québec et de la Régie du logement

Une première question concerne l'existence même des deux organismes qui s'occupent d'habitation pour le gouvernement québécois, soit la Société d'habitation du Québec (SHQ) et la Régie du logement.

Rappelons à ce chapitre que l'ancien gouvernement péquiste avait déjà en 1997, envisagé d'abolir la SHQ et ce, sur la recommandation du Groupe de travail sur l'examen des organismes gouvernementaux dirigé par Joseph Facal. Le rapport Facal en décrivait ainsi les raisons : « Le Groupe de travail constate que la SHQ a aujourd'hui pratiquement complété son programme de construction de logements sociaux qui pourraient éventuellement être cédés aux municipalités, après entente avec le gouvernement. Par ailleurs, le Groupe de travail est d'avis que la conception et l'élaboration des politiques ainsi que la gestion de programmes en matière d'habitation pourraient être confiées à une direction générale de l'habitation au ministère des Affaires municipales » (p. 98).

En 2002, les frais d'administration de la SHQ, comprenant les salaires, étaient de 27 929 000 $. L'abolition de la Société n'entraînerait toutefois pas une telle économie, puisqu'une partie des tâches devrait être assumée par d'autres au gouvernement et que le personnel qui ne serait plus nécessaire à la SHQ devrait être replacé ailleurs dans la fonction publique.

Dans le cas de la Régie du logement, le Rapport Facal évaluait que « la décentralisation vers les municipalités des relations entre les propriétaires et les locataires n'est pas souhaitable et que la Régie devra être maintenue dans sa forme actuelle » (p. 90). En 2001-2002, le budget de la Régie du logement était de 13 693 101 $.

Examen des programmes d'aide à l'habitation

Nous savons aussi que tous les programmes viennent de faire l'objet d'une analyse.

Afin de bien saisir de quels programmes nous parlons, en voici la liste telle que dressée dans le Rapport 2002 de la Société d'habitation du Québec, avec leur coût total et le coût assumé par le gouvernement québécois lui-même (une fois enlevée la contribution fédérale).


ProgrammeCoût total en 2002 ($)Coût pour le gouvernement québécois en 2002 ($)
HLM (logements existants)267 498 000109 716 000
Allocation-logement93 597 00093 597 000
Programme de logement sans but lucratif privé (logements existants)40 175 00010 683 000
Supplément au loyer (privé, coops, OSBL)37 766 00019 857 000
AccèsLogis (coût étalé sur 15 ans)14 363 0009 913 000
Logement abordable (coût étalé sur 15 ans)--
RénoVillage13 679 0006 075 000
Revitalisation des vieux quartiers10 645 0004 782 000
Adaptation de domicile7 406 0006 245 000
Logements adaptés pour aînés autonomes5 760 0001 417 000
Amélioration des maisons d'hébergement3 943 0001 275 000
Aide aux propriétaires contre la pyrite2 980 0002 173 000
Aide urgence- pénurie de logements2 876 0002 876 000
Programme achat-rénovation (coût étalé sur 15 ans)2 245 0002 245 000
Programme de réparations d'urgence1 724 000431 000
Aide aux organismes communautaires (PAOC)1 300 0001 300 000
Autres programmes de la SHQ1 922 0001 951 000
Total507 879 000274 536 000


Il y a bien peu de programmes dans cette liste qui pourraient être abolis ou restreints, sans conséquence pour les mal-logéEs.

Par ailleurs, le gouvernement y a peu de marge de manoeuvre. Il ne peut cesser de payer unilatéralement pour les HLM, lesquels représentent le principal poste budgétaire, puisqu'il est lié par des obligations hypothécaires et ce, pour plusieurs années encore. Il doit respecter de plus les ententes signées à ce sujet avec le gouvernement fédéral.

De même, il aurait beau cesser dès demain de financer de nouveaux logements sociaux avec les programmes AccèsLogis et Logement abordable Québec, il devra continuer à payer pour ceux qui ont déjà été réalisés. Non seulement, ce poste budgétaire ne peut pas être aboli, mais il est condamné à augmenter à court terme, peu importe ce que fera le gouvernement. C'est entre autres, ce qui explique que les crédits budgétaires de la Société d'habitation du Québec ont augmenté de 44,2 millions $ en 2003-2004, alors que les principaux ministères ont fait l'objet de compressions sévères.

Le gouvernement Charest ne peut donc pas faire tout ce qu'il veut dans le domaine de l'habitation, mais ça ne signifie pas qu'il ne peut rien faire et qu'il ne fera rien.

Parmi les hypothèses qui ont été envisagées (sans être pour autant retenues), on retrouve assurément :

  • la hausse de loyers dans les 85 000 logements sociaux sous la juridiction du gouvernement québécois ;

  • la poursuite des compressions déjà amorcées dans l'entretien et les rénovations majeures dans les HLM (25 % de coupure en 2003) ;

  • le transfert des HLM soit au marché privé, soit aux municipalités, soit à des organismes communautaires ;

  • le non-renouvellement d'AccèsLogis.

Nous savons aussi que des modalités de programmes ont été scrutées à la loupe. C'est notamment le cas de la contribution au secteur, laquelle permet à des organismes communautaires impliqués dans le développement et-ou le suivi de projets de logement social de recevoir au total 1 % du coût des logements réalisés dans le cadre du programme AccèsLogis.

Beaucoup de choses peuvent donc être sur la table et, malgré les démentis apportés par le bureau du ministre des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, sur les dangers de hausses de loyer ou de privatisation des HLM, rien ne peut être pris pour acquis. Il est peut-être vrai que le ministre lui-même n'a pas fait de telles recommandations, ça ne signifie pas pour autant que ça ne lui sera pas demandé.

Les compressions budgétaires passées et celles à venir

Comme nous l'expliquions dans Le FRAPRU frappe encore ! no 99, c'est un budget de compressions qu'a présenté le ministre des Finances, Yves Séguin, le 12 juin dernier, en s'appuyant sur un supposé trou financier de 4,3 milliards $ trouvé par l'ancien vérificateur général, Guy Breton. Le ministre a alors annoncé des coupures d'environ 1,5 milliards $, dont 400 millions $ provenant de l'abandon d'initiatives prévues dans le budget péquiste du 11 mars dernier. L'investissement de 128 millions $ dans les programmes AccèsLogis et Logement abordable Québec est une des initiatives ainsi annulées.

Ce n'était pourtant que le début. Le 30 septembre dernier, le ministre Séguin a présenté la Synthèse des opérations financières au 30 juin 2003. Il y expliquait que le déficit zéro sera atteint en 2003-2004, mais que des risques de dépassement de dépenses de l'ordre de 400 millions de dollars avaient été identifiés par le Conseil du trésor, dont 150 millions $ au ministère de la Solidarité sociale. Comme le disait Séguin, « le gouvernement s'assurera que les mesures nécessaires seront prises pour respecter nos prévisions de dépenses », ce qui risque de se solder par d'autres compressions brutales.

Séguin a aussi agité le spectre d'une « impasse budgétaire de l'ordre de 3 milliards $ pour 2004-2005 », ce qui met la table pour de nouvelles compressions. Même si le ministre a expliqué qu'il ne comptait pas trop sur la réingénierie de l'État pour sortir de cette soi-disant « impasse », il a clairement indiqué quelle était la hauteur de la barre qu'il fixait comme ministre des Finances.

Le gouvernement libéral s'étant engagé à ne pas toucher aux budgets de la Santé et de l'Éducation qui représentent à eux seuls 64 % des dépenses d'opération du gouvernement (excluant le service de la dette), le poids risque d'être très lourd sur les autres ministères. Dans son Plan d'action présenté en septembre 2002, le Parti libéral du Québec prévoyait déjà le gel pour cinq ans des dépenses gouvernementales autres que la Santé et l'Éducation. Le PLQ n'en cachait même pas les conséquences : « Compte tenu de l'inflation, ce gel se traduira par une réduction réelle de plus de 10 % » (Un gouvernement au service des Québécois. Ensemble, réinventons le Québec, p. 36). Or, « l'impasse budgétaire » brandie par le ministre Séguin fait peser un danger encore plus grand, au moins en 2004-2005.

La réduction des impôts

C'est d'autant plus vrai que, dans les faits, « l'impasse budgétaire » n'est pas de 3, mais de 4 milliards, puisque Séguin continue de répéter qu'il baissera les impôts des particuliers de 1 milliard $ en 2004-2005.

L'engagement de baisser les impôts a été pris par le Parti libéral du Québec dans son Plan d'action de septembre 2002 et il est essentiel de bien comprendre cet engagement. Charest n'a pas seulement promis de diminuer les impôts de 1 milliard $ en 2004-2005. Il s'est engagé à poser un geste similaire durant cinq années consécutives. Ça donne ce qui suit en termes de réduction réelle des impôts et donc de la capacité d'agir du gouvernement :

  • 1 milliard $ en 2004-2005

  • 2 milliards $ en 2005-2006 (le 1 milliard $ de 2004-2005+1 autre milliard $)

  • 3 milliards $ en 2006-2007 (les deux milliards $ des années précédentes+1 autre)

  • 4 milliards $ en 2007-2008 (les trois milliards $ des années précédentes+1 autre)

  • 5 milliards $ en 2008-2009 (les quatre milliards $ des années précédentes+1 autre)

À la dernière année, l'impôt des particuliers sera plus bas de 5 milliards $ par année. Pour avoir idée de l'importance de ce montant, rappelons que le gouvernement prévoyait que ses revenus totaux s'élèveraient à 54,9 milliards $ en 2003-2004.

Une baisse des impôts qui s'ajoute à celles déjà consenties

Il est aussi important de se souvenir que la baisse des impôts envisagée par le gouvernement libéral s'ajoute à celles déjà annoncées dans les budgets 2000-2001 et 2001-2002 de l'ex-gouvernement du Parti québécois. Ce dernier avait annoncé les baisses d'impôt suivantes.

  • 1 milliard $ en 2000-2001

  • 2,7 milliards $ en 2001-2002

  • 3,5 milliards $ en 2002-2003

  • 3,8 milliards $ en 2003-2004

La baisse de 3,8 milliards $, enregistrée en 2003-2004 continuera à s'appliquer à partir de 2004-2005. Les nouvelles diminutions promises par le gouvernement libéral viendront donc s'y ajouter. L'impact total sera le suivant.

  • 4,8 milliards $ en 2004-2005

  • 5,8 milliards $ en 2005-2006

  • 6,8 milliards $ en 2006-2007

  • 7,8 milliards $ en 2007-2008

  • 8,8 milliards $ en 2008-2009 et pour toutes les années suivantes

Ça signifie quoi 1 milliard $ de baisse d'impôt ?

Pour le commun des mortels, ces chiffres sont trop gros pour signifier quoi que ce soit ? Ça veut dire quoi 1 milliard $ ? Afin de mieux le comprendre, prenons des exemples que nous connaissons bien.

1 milliard $, c'est 3,3 fois le budget de la Société d'habitation du Québec.

1 milliard $, ça représente la réalisation de plus de 21 000 logements sociaux dans le cadre du programme AccèsLogis. C'est 2,6 fois le Grand chantier de 8000 logements sociaux que nous revendiquons par année et c'est à peu près le nombre de logements locatifs qui manquent au Québec pour sortir de la pénurie (22 500 logements).

1 milliard $, ca représente une augmentation annuelle de 2780 $ (soit 231 $ par mois) des prestations versées aux 359 605 ménages assistés sociaux du Québec.

Par contre, 1 milliard $, ça ne représente en moyenne que 416 $ de plus par année dans les poches des 2 400 000 de contribuables, soit 8 $ par semaine sur leur chèque de paye. Or, les diminutions d'impôt profitent davantage aux ménages à plus haut revenu qu'à ceux à faible ou modeste revenus.

Pour s'en convaincre, rappelons-nous comment la baisse d'impôt de 1 milliard $ consenti par le gouvernement péquiste en 2000-2001 a profité à différents types de ménages.


Personne seule de moins de 65 ans

Revenu annuelBaisse d'impôt
15 000 $94 $ par an (2,00 $ par semaine)
20 000 $180 $ par an (3,50 $ par semaine)
125 000 $1 930 $ par an (37,00 $ par semaine)


Famille monoparentale avec un enfant

Revenu annuelBaisse d'impôt
25 000 $199 $ par an (4,00 $ par semaine)
30 000 $381 $ par an (7,50 $ par semaine)
125 000 $1 863 $ par an (36,00 $ par semaine)

D'autres aspects négatifs de la baisse des impôts

Ajoutons d'autres effets négatifs à la baisse des impôts :

  1. 40 % de la population québécoise ne tirera aucun bénéfice de la réduction des impôts (au contraire !), puisqu'elle est trop pauvre pour en payer...

  2. L'écart entre les revenus réels des ménages les plus pauvres et ceux des plus riches augmentera.

  3. Outre les restrictions dans les programmes et les services gouvernementaux, on assistera à une augmentation des tarifs existants, voire à la tarification de services jusque là gratuits et universellement accessibles. De fait, rappelons-nous les nouvelles des derniers mois : accroissement des cotisations à l'assurance-médicament, demande par Hydro-Québec d'une hausse de ses tarifs d'électricité (entre autres, en raison de la contribution supplémentaire de 600 millions $ exigée par le gouvernement dans le budget Séguin), danger de hausse majeure des tarifs dans les transports en commun, augmentation de la contribution des parents dans les Centres de la petite enfance.

Par ailleurs, si, comme on peut le craindre, le gouvernement transfère d'autres responsabilités aux municipalités, sans leur fournir de compensations financières suffisantes, celles-ci n'auront d'autres choix que de recourir à une augmentation de leurs taxes foncières ou à une plus grande tarification de leurs propres services.

Selon le Budget alternatif pour l'Ontario 1999, « en 1999, la famille moyenne ontarienne (ménage de trois personnes avec un revenu moyen) aurait gagné 738 $ grâce à la réduction des impôts du gouvernement conservateur de Mike Harris, mais cette économie aurait été effacée par des coûts supplémentaires de 766 $ en frais d'utilisation de services, en augmentation de taxes foncières et autres frais ».

Des retombées économiques ?

Au gouvernement, on argumentera sûrement que la réduction de 1 milliard $ par année des impôts n'entraînera pas un manque à gagner du même ordre pour l'État, puisqu'elle aura des impacts économiques qui, à leur tour, se répercuteront sur ses rentrées fiscales. C'est vrai... mais ça le serait au moins autant de toute dépense ou investissement du gouvernement.

Prenons l'exemple de la construction de logements sociaux. Les retombées économiques en sont immédiates. Des emplois sont créés. Des matériaux sont achetés. Quant aux ménages qui doivent consacrer un pourcentage moins important de leur revenu au loyer, ils disposent de plus d'argent pour subvenir à leurs autres besoins essentiels (nourriture, vêtements, médicaments, etc.), ce qui a des retombées économiques locales. Les impôts et les taxes encaissées par le gouvernement en sont augmentés d'autant.

Peut-on prétendre que les baisses d'impôt ont autant de retombées économiques et fiscales, surtout quand elles profitent à des ménages à haut revenu qui peuvent davantage se servir de l'argent supplémentaire disponible à des fins d'épargne ou de spéculation ?

Se souvenir des engagements libéraux

En élisant le Parti libéral du Québec, le 14 avril, la population du Québec lui a-t-elle clairement donné le mandat de procéder à la réingénierie de l'État, à des compressions budgétaires brutales et à des réductions d'impôt qui mineront la capacité d'intervention de l'État dans plusieurs domaines ? Le gouvernement Charest prétend évidemment que oui. Ce n'est pas si clair.

L'élection du 14 avril n'était pas un référendum sur la vision libérale de l'État ou sur la baisse des impôts. Si le Parti libéral a été porté au pouvoir à cette occasion, c'est au moins autant en raison d'une volonté d'alternance, de lassitude face au gouvernement péquiste au pouvoir depuis neuf ans, que d'approbation du programme libéral.

Par ailleurs, le discours tenu par le Parti libéral durant la campagne électorale n'était pas aussi limpide qu'on voudrait aujourd'hui nous le faire croire.

Il est vrai que le Parti libéral a, dès septembre 2002, promis une baisse des impôts de 1 milliard $ par année jusqu'en 2008-2009. Il est également vrai qu'il a parlé de faire le ménage dans les structures de l'État et qu'il a proposé de geler durant cinq ans les dépenses gouvernementales à l'exception de la Santé et de l'Éducation. Il a cependant spécifié très clairement que « ces coupures toucheront les structures et non les services à la population » (Un gouvernement au service des Québécois. Ensemble, réinventons le Québec, p. 36). Peut-il encore prétendre que ça ne sera pas le cas ?

Il est aussi vrai que le Parti libéral a annoncé qu'il entendait procéder « dans les meilleurs délais à une évaluation complète des programmes existants » dans le domaine de l'habitation. Il s'était cependant engagé à le faire « en concertation avec les principaux acteurs du monde de l'habitation » (L'habitation, un levier de développement économique et social, mars 2003, p. 33). Or, dans tout le processus de réingénierie, il n'y a pas un seul moment prévu pour la consultation de la population et des organismes concernés, ni en habitation, ni dans aucun autre domaine.

Enfin, durant toute la campagne électorale, Jean Charest s'est plu à se démarquer de la vision de l'Action démocratique du Québec de Mario Dumont. Il n'a sûrement pas été élu pour mettre le programme de l'ADQ en application.

Rien n'est encore joué...

Les perspectives peuvent sembler bien sombres à la lecture de ce texte. Il est cependant important de comprendre que rien n'est joué et que nous avons encore la possibilité d'intervenir, ne serait-ce que pour limiter les dégâts.

La Fédération des locataires d'habitations à loyer modique a récemment entamé une campagne de pétitions et une tournée de conférences de presse à laquelle s'est associé le FRAPRU. Ces interventions ont jusqu'ici permis d'évoquer publiquement certains dangers liés à la réingénierie de l'État, ainsi que d'amorcer la mobilisation à ce sujet. Ce travail se poursuivra au cours des prochaines semaines, avec la remise des pétitions aux députéEs.

Il est essentiel que les groupes membres du FRAPRU interpellent aussi leurs éluEs au niveau local. Certaines voix discordantes commencent à se faire entendre au sein du Caucus libéral et d'autres pourraient s'ajouter. La condition est que les députéEs sentent de plus en plus de pressions dans leurs comtés respectifs et sachent qu'il y aura un prix à payer pour leur silence éventuel.

Par ailleurs, la riposte d'ensemble à laquelle le FRAPRU a choisi de participer commence à prendre forme. De nombreuses organisations populaires, communautaires, syndicales, féministes, étudiantes, écologistes et altermondialistes, ont formé un Réseau contre les politiques du gouvernement Charest. Deux rencontres ont lieu dans les dernières semaines et elles ont été étonnamment courues. Une activité de lancement aura lieu à Québec, le 21 octobre, au moment de l'ouverture de l'Assemblée nationale. Même si la suite des événements n'est pas encore totalement décidée, il est question de mise sur pied d'un comité de vigilance, de même que d'un travail de sensibilisation et de mobilisation autour des enjeux de réingénierie de l'État, de compressions budgétaires et d'une nouvelle réduction des impôts. La préparation du prochain budget Séguin sera assurément une occasion en ce sens.