Parlons-en de déficits...
Mémoire présenté aux consultations pré-budgétaires du ministère des Finances du Québec
Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Janvier 2004
Présentation
Le Front d'action populaire en réaménagement urbain est un
regroupement national d'environ quatre-vingt-dix organismes impliqués
dans la promotion et la défense du droit au logement dans la majorité
des régions du Québec.
En vingt-cinq ans d'existence, le FRAPRU a eu à intervenir à
de multiples reprises lors de consultations prébudgétaires, qu'elles
soient privées ou publiques. Rarement l'a-t-il fait avec un tel
sentiment d'urgence. Pourquoi ?
D'abord en raison de la gravité de la situation actuelle, autant sur l'enjeu du logement que sur celui de la pauvreté.
L'autre motif est notre profonde inquiétude face aux
orientations budgétaires que pourrait adopter le gouvernement Charest
et aux conséquences qu'elles pourraient avoir sur la capacité de l'État
québécois d'assumer pleinement ses grands mandats, en particulier ceux
à vocation sociale. Ce n'est sûrement pas le Document de consultations
prébudgétaires soumis par le gouvernement qui nous rassurera à ce
sujet.
Le document nous invite à parler d'impasse budgétaire, de
déséquilibre budgétaire, de déficit budgétaire... Vous nous permettrez
quant à nous d'évoquer d'autres types d'impasse, de déséquilibre et de
déficit vécus durement par des centaines de milliers de locataires à
faible et modeste revenus et dont la solution exige, dès le prochain
budget, des investissements majeurs de la part du gouvernement
québécois.
Déficit de logements locatifs accessibles
Depuis maintenant trois ans, les locataires du Québec vivent les
conséquences d'un premier déficit, celui de logements locatifs
réellement accessibles financièrement aux ménages les moins nantis.
La majorité des régions métropolitaines et des centres urbains
du Québec est en effet plongée dans une profonde pénurie de logements
locatifs. Plus de 80 % des locataires du Québec demeurent sur un
territoire touché à un niveau ou par une autre par ce que l'ensemble
des intervenants, y compris le ministre responsable de l'Habitation,
Jean-Marc Fournier, s'entendent maintenant pour qualifier de crise.
La dernière enquête sur les logements locatifs publiée en
décembre dernier par la Société canadienne d'hypothèques et de logement
permet de constater que, malgré une légère amélioration, la pénurie
continue de sévir dans les grandes régions métropolitaines de Montréal,
Québec et Gatineau.
Dans la région métropolitaine de Montréal, le taux général
d'inoccupation a péniblement remonté à 1 %, soit trois fois moins
que le point d'équilibre généralement fixé à 3 %. Or, ce taux même
est trompeur. Un rapport plus détaillé publié par la SCHL en janvier
2004 démontre que, dans la région de Montréal, le taux d'inoccupation
des logements hauts de gamme (900 $ et plus par mois) est passé de
1,3 % à 3,5 % entre 2002 et 2003. Le taux d'inoccupation des
logements dits bas de gamme (soit 600 $ et moins par mois), lui,
n'est toujours que de 0,6 %. Bref, s'il y a plus de logements
disponibles, ils ne sont pas à la portée de la grande majorité des
ménages locataires montréalais.
Dans la région métropolitaine de Québec, la pire au Canada
pour la pénurie de logements locatifs, le taux de logements inoccupés
(0,5 %) est six fois plus bas que la normale. Dans la région
métropolitaine de Gatineau, malgré une certaine amélioration, le taux
n'est toujours que de 1,2 %.
L'enquête sur les logements locatifs de la SCHL démontre aussi
comment la pénurie s'est étendue à de nouvelles régions et nouveaux
centres urbains. Dans la région métropolitaine de Sherbrooke, le taux
de logements inoccupés qui était de 7,6 % en 1999 n'est maintenant
que de 0,7 %, le second plus bas au Canada. Dans la région de
Trois-Rivières qui était jusqu'ici épargnée, le taux est aujourd'hui de
1,5 %. La pénurie frappe également des agglomérations comme
Montmagny (0,3 %), Magog (0,4 %), Saint-Jean-sur-Richelieu
(0,5 %), Saint-Hyacinthe (0,5 %), Mont-Laurier (0,5 %),
Joliette (0,8 %), Rimouski (0,9 %), et Rivière-du-Loup
(1,0 %).
De graves conséquences
Mais au-delà des pourcentages, il y a la réalité vécue par les locataires et cette réalité est de plus en plus pénible.
La conséquence la plus visible de la rareté de logements est
l'existence de personnes et surtout de familles avec enfants incapables
de se trouver un logement par leurs propres moyens. À l'approche du 1er
juillet 2001, le gouvernement québécois a dû, après quelques
hésitations, créer un programme d'urgence pour venir en aide aux
ménages sans logis. Quelque 500 ménages se sont prévalus de ce
programme. En 2002, un programme similaire a dû s'adresser à 1150
ménages. En 2003, ce chiffre avait grimpé à 1500, cette aide étant même
insuffisante pour faire face à toutes les demandes.
Des centres d'hébergement ont été ouverts dans plusieurs
municipalités, grandes comme plus petites, pour accueillir les ménages
sans logis autour du 1er juillet de chaque année. Depuis
2002, à Montréal et Gatineau en particulier, des familles avec enfants
ont été hébergées en motel, tout au long de l'année. Ce n'est toutefois
là que la pointe de l'iceberg, des familles devant plutôt être
hébergées, pour quelques semaines, pour quelques mois et même pour
l'année entière, chez des parents, des amis, des connaissances, souvent
dans des conditions très difficiles.
Dans un document rédigé en novembre 2003, l'Office municipal
d'habitation de Montréal fait le constat suivant : "On observe que
le nombre de familles qui sont en situation de dépannage, soit chez un
ami ou un membre de la famille, est en croissance au cours des
dernières années. En effet, les listes d'attente de l'OMHM comportent
490 familles avec enfants qui sont en situation de dépannage chez un
ami ou un membre de la famille et espèrent obtenir un HLM alors qu'en
2001 ce phénomène était inexistant[1]".
La pénurie de logements a également entraîné une hausse
importante du coût des loyers dans les régions frappées par la pénurie.
Ainsi, dans la région de Montréal, le coût d'un logement de deux
chambres à coucher a au total augmenté de 13 % depuis 2001. Dans
celle de Gatineau, la hausse a été de 17,5 %. À Québec, elle a été
de 9,5 %.
La pénurie a entraîné bien d'autres conséquences :
aggravation du phénomène de la discrimination contre les familles avec
enfants, les personnes assistées sociales et les ménages appartenant à
des minorités visibles lors de la location d'un logement ;
augmentation du nombre d'évictions pour non-paiement de loyer ;
accroissement majeur des reprises de logement ; débordement des
ressources pour personnes itinérantes, femmes victimes de violence
conjugale et nouveaux arrivants.
Un autre 1er juillet
Inutile de s'illusionner, le 1er juillet 2004 risque
d'être aussi dur que les trois précédents. Il risque d'autant plus de
l'être, que le supplément au loyer d'urgence accordé à un total de 3150
ménages sans-logis en 2001, 2002 et 2003 se terminera à ce moment. Sans
prolongation de l'aide accordée à ces ménages, un nombre important
d'entre eux risque de se retrouver à nouveau à la rue, le 1er juillet prochain.
Déficit budgétaire des ménages locataires
Le FRAPRU vient de publier un nouveau Dossier noir sur le logement et la pauvreté produit à l'aide des données des recensements canadiens et des enquêtes sur le logement locatif de la SCHL. Ce
dossier contient des données qui devraient nous alarmer comme société
et nous démontrer jusqu'à quel point le droit au logement que le Parti
libéral s'était engagé à inclure dans la Charte québécoise des droits,
est nié dans la réalité pour une large portion de la population.
- Si on compare les recensements réalisés entre 1981 à 2001,
on peut constater que les locataires du Québec se sont sérieusement
appauvris depuis le début des années 1980. En dollars constants, le
revenu médian des ménages locataires a diminué de 17,5 % de 1980 à
2000, alors que, durant la même période, les loyers ont augmenté de
3,6 %. C'est ce qui explique que le pourcentage de ménages
locataires devant consacrer plus de la moitié de leur revenu en loyer
ait augmenté de 29 % sur une période de vingt ans. Trois raisons
peuvent permettre d'expliquer ce phénomène. Les locataires à plus haut
revenu sont d'abord, dans une large mesure, devenus propriétaires. De
plus, la composition des ménages locataires a changé, les personnes
seules et les familles monoparentales, qui ont en général des revenus
plus bas, y représentant une part toujours plus importante. Enfin, les
revenus d'une large partie des locataires pauvres, par exemple ceux à
l'aide sociale et au salaire minimum, n'ont pas suivi la hausse du coût
de la vie.
- Lors du recensement de 2001, avant que la pénurie de
logements locatifs ne commence à faire sentir ses effets sur la hausse
des loyers, le nombre de ménages locataires consacrant plus que la
norme de 30 % de leur revenu au loyer était de 445 220. De ce
nombre, 218 490 ménages y engloutissaient plus de 50 % de leur
revenu, 165 470 ménages plus de 60 % et 111 385 plus de
80 % !
- Ce sont évidemment les locataires à plus faible revenu
qui sont les plus susceptibles de consacrer un pourcentage
disproportionné de leur revenu en loyer. Ainsi, en 2000, 53,8 %
des ménages gagnant moins de 10 000 $ par année étaient obligés de
payer plus de 80 % de leur revenu en loyer. Rappelons à ce sujet
que la prestation de base à l'assistance-emploi est de 533 $ par
mois, soit 6396 $ par année. Même les personnes assistées sociales
avec contraintes sévères à l'emploi ont des revenus inférieurs à 10
000 $ par année, leur prestation de 781 $ ne leur permettant
de ne disposer que de 9372 $ par an. Par ailleurs, 29 % des
ménages gagnant entre 10 000 $ et 15 000 $ par année doivent
consacrer plus de la moitié de leur revenu en loyer. Notons qu'une
personne travaillant 35 heures par semaine au salaire minimum ne peut
gagner que 13 286 $ par année.
- Ce sont les ménages dont le principal soutien est une
femme qui sont les plus susceptibles de consacrer un pourcentage trop
élevé de leur revenu en coût de logement. Ainsi, 19,6 % de ces
ménages engloutissaient plus de la moitié de leur revenu en loyer en
2000. Chez les hommes, ce pourcentage était de 15,5 %.
- En raison de l'incapacité de payer d'une large partie
des locataires, le nombre de causes soumises ou relancées à la Régie du
logement pour recouvrement de loyer et résiliation de bail dans les cas
de non-paiement de loyer a augmenté de 136 % entre la première
moitié des années 1980 et le début des années 2000. En 2002-2003, il
était de 35 863, nombre déjà impressionnant auquel il faut ajouter 5620
causes pour retard fréquent dans le paiement du loyer, recours à peu
près inexistant à la fin des années 1990.
- En consacrant un pourcentage exagéré de leur revenu
au loyer, les ménages doivent couper dans leurs autres besoins
essentiels et en premier lieu dans la nourriture. Sans résumer le
problème de la faim à une question de coût de logement, il existe un
lien, constaté par tous les intervenants, entre les deux problèmes. Or,
le Bilan-faim 2003 rédigé par l'Association canadienne des banques
alimentaires indique que le nombre de personnes ayant eu recours à ce
type de ressources a augmenté de 9,9 % depuis 2002 et de
22,7 % depuis 1997 au Québec.
Déficit de logements sociaux
L'appauvrissement des locataires a de multiples conséquences. L'une
d'entre elles est de décourager les promoteurs immobiliers d'investir
dans le logement locatif, surtout à faible loyer. Ce que les promoteurs
cherchent, c'est la rentabilité économique. Or, le problème avec le
logement locatif, c'est que ce sont les locataires mêmes qui sont de
moins en moins rentables. En contrepartie, les condominiums et autres
formules du même genre s'adressent à une clientèle plus rentable, tout
en permettant un profit immédiat.
Ce problème n'ira pas en s'améliorant. Ce ne sont pas de
nouvelles déductions fiscales comme celles réclamées par l'Association
provinciale des constructeurs d'habitation du Québec (APCHQ) qui
permettront la création de logements réellement abordables. Comme nous
l'avons expliqué plus tôt, il n'y a pas de problème de disponibilité
dans les logements hauts de gamme où le taux de logements inoccupés
était de 3,5 % en 2003. Or, l'APCHQ ne peut d'aucune façon
garantir que les exemptions fiscales qu'elle réclame ne permettront pas
principalement la réalisation de ce type de logement. Le danger est
pourtant d'autant plus réel que cette association s'oppose à ce que les
déductions demandées soient conditionnelles à un contrôle du coût des
loyers.
Par ailleurs, des formules d'aide passant par le marché privé
comme le supplément au loyer ou l'allocation-logement ne permettent pas
la création de nouveaux logements.
De plus, le supplément au loyer, en vertu duquel le gouvernement
loue des logements vacants du privé pour y loger des ménages en
difficulté, s'avère de surcroît inefficace quand il manque de
logements. Les propriétaires n'y sont en effet intéressés que
lorsqu'ils se retrouvent avec des appartements – souvent de qualité
inférieure – qu'ils n'arrivent pas à louer autrement. En période de
pénurie, leur attitude change. Dans un texte récent, l'Office municipal
d'habitation de Montréal constate que, sur les 2406 ententes de
supplément au loyer signées avec des propriétaires privés avant 1994,
728 sont présentement remises en question[2]. Au
mieux, le supplément au loyer ne peut-il fonctionner – et difficilement
- qu'à des fins d'urgence, comme ce fut le cas aux étés 2001, 2002 et
2003.
La solution doit donc être davantage recherchée du côté du
logement social, parce qu'il est sans but lucratif, guidé par d'autres
objectifs que la rentabilité économique.
Le gouvernement libéral s'est engagé à accélérer la réalisation
des 13 000 logements sociaux et abordables annoncés par l'ancien
gouvernement. Précisons qu'au départ 11 500 de ces logements devaient
être des logements sociaux et 1500 des logements abordables privés. Or,
les budgets sont présentement insuffisants pour arriver au résultat de
13 000 logements et pour s'assurer que la proportion de logements
sociaux prévue soit respectée.
Alors que le programme AccèsLogis devait permettre la
réalisation de 6500 logements sociaux en cinq ans, les budgets
disponibles ne permettent la réalisation que de 5345 unités. Quant au
programme fédéral-provincial Logement abordable Québec, il est toujours
sensé permettre la construction d'un total de 6500 logements.
Toutefois, la part de logements sociaux à l'intérieur de ceux-ci a
fondu comme neige au soleil. Alors qu'à l'origine, 5000 logements
sociaux devaient être financés grâce à ce programme, il n'y en a
désormais que 3575 prévus. Bref, au lieu de 13 000 logements, dont
11 500 logements sociaux, les budgets actuels ne permettent la
réalisation que de 11 845 unités dont 8920 logements sociaux. La
part de logements privés pouvant se louer jusqu'à 800 $ par mois
pour un 4 1/2, elle, a augmenté sensiblement, alors qu'elle ne répond
en rien aux vrais besoins.
Rappelons par ailleurs que, dans son budget de février 2003,
le gouvernement fédéral a prévu 320 millions $ supplémentaires
pour son programme de logement abordable. De cet argent, près de 80
millions $ pourraient être utilisés au Québec, ce qui permettrait
d'aller au-delà même des 11 500 logements sociaux. Cet argent demeure
pour le moment non utilisé.
Il faudra beaucoup plus que 11 500 logements sociaux pour se
sortir de la crise du logement. Uniquement pour régler le problème de
pénurie de logements locatifs, il manque présentement 21 000
appartements, dont 14 000 dans la région métropolitaine de Montréal,
3300 dans celle de Québec, 700 dans celle de Gatineau, 730 dans celle
de Sherbrooke et près de 400 dans celle de Trois-Rivières.
Or, même une fois réglée le problème de pénurie, il restera
bien d'autres problèmes de logement qui exigeront du logement social.
C'est déjà dans le cas dans des régions comme le Saguenay épargnées par
la pénurie. Il est peut-être bon de se rappeler à ce sujet qu'au début
des années 1980, alors que le problème du logement était moins grave,
les efforts budgétaires combinés des gouvernements supérieurs ont
permis le financement d'une moyenne de 8000 logements sociaux par
année. C'est ce qui a permis que le logement social en vienne à
représenter près de 10 % du parc de logements locatifs, ce qui
demeurait pourtant très loin de la réalité de nombreux pays européens
où il est de 30 %, 40 % et parfois même plus de 50 %.
Le gouvernement doit donc prévoir immédiatement une suite aux
logements sociaux présentement prévus et cette suite doit comprendre
des coopératives d'habitation, des logements gérés par des organismes à
but non lucratif, mais aussi des habitations à loyer modique. Aucun
logement de ce type n'a en effet été financé au cours des dix dernières
années. Dans la seule ville de Montréal, la liste d'attente pour un HLM
se chiffre présentement à 17 400 noms.
Non à une nouvelle réduction des impôts
Il est évident pour le FRAPRU qu'aucune raison, y compris la
préservation du déficit zéro, ne justifierait des réductions de
dépenses dans les programmes à vocation sociale. Les budgets doivent au
contraire être sérieusement augmentés...
Dans cet esprit, le FRAPRU veut exprimer très clairement son
opposition au plan libéral de réduction de l'impôt des particuliers de
1 milliard $ par année au cours des cinq dernières années.
Il est d'abord important de se souvenir que la baisse des impôts
envisagée par le gouvernement libéral s'ajoute à celles déjà annoncées
dans les budgets 2000-2001 et 2001-2002 de l'ex-gouvernement du Parti
québécois. Ce dernier avait annoncé les baisses d'impôt suivantes.
- 1 milliard $ en 2000-2001
- 2,7 milliards $ en 2001-2002
- 3,5 milliards $ en 2002-2003
- 3,8 milliards $ en 2003-2004
La baisse de 3,8 milliards $, enregistrée en 2003-2004
continuera à s'appliquer à partir de 2004-2005. Les nouvelles
diminutions promises par le gouvernement libéral viendront donc s'y
ajouter. L'impact total sera le suivant.
- 4,8 milliards $ en 2004-2005
- 5,8 milliards $ en 2005-2006
- 6,8 milliards $ en 2006-2007
- 7,8 milliards $ en 2007-2008
- 8,8 milliards $ en 2008-2009 et pour toutes les années suivantes
Rappelons qu'en 2002-2003, les dépenses du gouvernement québécois étaient de 52,7 milliards.
Qu'est-ce qu'on pourrait faire avec 1 milliard $
Avant de renoncer à 1 milliard $ de revenus, comme le
gouvernement l'envisage pour 2004-2005, il est utile de mesurer ce que
représente exactement cette somme et ce que nous pourrions faire
d'autre avec.
1 milliard $, c'est 3,3 fois le budget de la Société d'habitation du Québec.
1 milliard $, ça représente la réalisation de plus de 21
000 logements sociaux dans le cadre du programme AccèsLogis, soit le
nombre exact de logements locatifs qui manquent au Québec pour sortir
de la pénurie.
1 milliard $, ca représente une augmentation annuelle de
2780 $ (soit 231 $ par mois) des prestations versées aux 359
605 ménages assistés sociaux du Québec.
Par contre, 1 milliard $, ça ne représente en moyenne que
416 $ de plus par année dans les poches des 2 400 000
contribuables, soit 8 $ par semaine sur leur chèque de paye. Or,
les diminutions d'impôt profitent toujours davantage aux ménages à plus
haut revenu qu'à ceux à faible ou modeste revenus.
D'autres aspects négatifs de la baisse des impôts
Ajoutons d'autres effets négatifs de la baisse des impôts :
- 40 % de la population québécoise ne tirera aucun
bénéfice de la réduction des impôts (au contraire !), puisqu'elle
est trop pauvre pour en payer...
- L'écart entre les revenus réels des ménages les plus pauvres et ceux des plus riches augmentera.
- Outre les restrictions dans les programmes et les
services gouvernementaux, on assistera à une augmentation des tarifs
existants, voire à la tarification de services jusque-là gratuits et
universellement accessibles. C'est déjà commencé : accroissement
des cotisations à l'assurance-médicament, hausse par Hydro-Québec de
ses tarifs d'électricité (entre autres, en raison de la contribution
supplémentaire de 600 millions $ exigée par le gouvernement dans
le dernier budget Séguin), hausse majeure des tarifs dans les
transports en commun, augmentation de la contribution des parents dans
les Centres de la petite enfance, etc.
Par ailleurs, si, comme on peut le craindre, le gouvernement
transfère d'autres responsabilités aux municipalités, sans leur fournir
de compensations financières suffisantes, celles-ci n'auront d'autres
choix que de recourir à une augmentation de leurs taxes foncières ou à
une plus grande tarification de leurs propres services.
Selon le Budget alternatif pour l'Ontario 1999, "en
1999, la famille moyenne ontarienne (ménage de trois personnes avec un
revenu moyen) aurait gagné 738 $ grâce à la réduction des impôts
du gouvernement conservateur de Mike Harris, mais cette économie aurait
été effacée par des coûts supplémentaires de 766 $ en frais
d'utilisation de services, en augmentation de taxes foncières et autres
frais". Est-ce ce que nous voulons pour le Québec ?
Des retombées économiques ?
Au gouvernement, on argumentera sûrement que la réduction de 1
milliard $ par année des impôts n'entraînera pas un manque à
gagner du même ordre pour l'État, puisqu'elle aura des impacts
économiques qui, à leur tour, se répercuteront sur ses rentrées
fiscales. C'est vrai... mais ça le serait au moins autant de toute
dépense ou investissement du gouvernement.
Prenons l'exemple de la construction de logements sociaux. Les
retombées économiques en sont immédiates. Des emplois sont créés. Des
matériaux sont achetés. Quant aux ménages qui doivent consacrer un
pourcentage moins important de leur revenu au loyer, ils disposent de
plus d'argent pour subvenir à leurs autres besoins essentiels
(nourriture, vêtements, etc.), ce qui a des retombées économiques
locales. Les impôts et les taxes encaissés par le gouvernement en sont
augmentés d'autant.
Peut-on prétendre que les baisses d'impôt ont autant de
retombées économiques et fiscales, surtout quand elles profitent à des
ménages à haut revenu qui peuvent davantage se servir de l'argent
supplémentaire disponible à des fins d'épargne, de spéculation ou de
voyages à l'étranger ?
Rétablir l'équité
Si le FRAPRU se prononce clairement contre le plan libéral de réduction de l'impôt des particuliers, il prône toutefois une
révision en profondeur de la fiscalité permettant un rééquilibrage de
l'impôt entre les particuliers et les sociétés, de même qu'entre les
contribuables à modeste et à plus haut revenus. Le FRAPRU continue
par ailleurs de demander l'abolition ou au moins la révision de
plusieurs déductions permettant à des contribuables bien nantis
d'échapper en tout ou en partie à leurs responsabilités fiscales. Il
n'y a pas que le Doc Mailloux qui ne paie pas d'impôt au Québec !
Nos demandes budgétaires
1. Un grand chantier de logement social
Pour sortir le Québec de la crise du logement, le FRAPRU
réclame que le gouvernement contribue au financement d'un Grand
chantier d'au moins 8 000 nouveaux logements sociaux par année, dont la
moitié en HLM et l'autre moitié en coopératives d'habitation et en
logements gérés par des organismes à but non lucratif. Le coût pour le
gouvernement québécois tournerait autour de 250 millions $ par
année.
2. Pour la réalisation des 13 000 logements promis
Dans l'esprit de ce grand chantier, le gouvernement doit, à très
court terme, prendre les moyens de respecter sa promesse d'accélérer la
réalisation de 13 000 logements, dont au moins 11 500 véritables
logements sociaux. Il doit aussi accroître ce nombre, en utilisant la
deuxième tranche des fonds fédéraux pour le programme de Logement
abordable, annoncée dans le budget de l'ancien ministre des Finances,
John Manley, en février 2003.
Pour ce faire, le budget du gouvernement québécois doit absolument investir :
- 58 millions $ dans le programme Accès-Logis, ce qui
permettrait de financer les 1155 logements manquants pour atteindre le
nombre de 6500 en cinq ans ;
- 70 millions $ de plus afin de toucher les 80
millions $ prévus pour le Québec dans la deuxième tranche du
programme fédéral de logement abordable. Une contribution
municipale de 10 millions $ serait demandée, en conformité avec
les programmes actuels. L'ensemble des 160 millions $ ainsi rendus
disponibles devrait servir intégralement au développement de nouveaux
logements sociaux, et non au financement de logements privés pouvant se
louer 800 $ par mois pour un 4 1/2.
3. L'aide d'urgence pour les sans-logis
Afin de venir en aide aux ménages qui se retrouveront sans logis au 1er juillet 2004 de même que de poursuivre l'aide accordée à des familles et personnes qui ont vécu cette situation au 1er juillet 2001, 2002 et 2003, le FRAPRU réclame ;
- 12 millions $ afin de reconduire les subventions de
supplément au loyer accordées qui viennent à échéance au 30 juin
2004 ;
- 8 millions $ pour mettre sur pied un programme
d'aide capable de venir en aide à l'ensemble des ménages qui seront
sans logis le 1er juillet 2004 et dans les mois qui suivront.
4. Les budgets d'entretien et de rénovation de logements sociaux
Pour maintenir le parc de logements sociaux existants en bon
état et compenser pour les compressions budgétaires imposées dans ce
domaine en 2003, le FRAPRU évalue que le gouvernement doit investir 16 millions $ de plus dans la rénovation des logements à loyer modique (HLM, coopératifs et sans but lucratif),
ce qui porterait l'enveloppe disponible à cet effet à 56
millions $. Il s'agit du montant évalué par la SHQ pour effectuer
l'ensemble des travaux requis.
5. Le soutien communautaire en logement social
Pour répondre aux besoins des locataires de logements sociaux
qui, au-delà d'un logement à loyer modique, ont besoin de soutien et
d'accompagnement pour assurer leur intégration sociale, le FRAPRU
réclame que le gouvernement investisse 10 millions $ dans le support communautaire.
6. La lutte à la pauvreté
Le problème du logement étant intimement lié à celui de la
pauvreté, le FRAPRU réclame que le budget Séguin permette de financer
le premier plan d'action contre la pauvreté exigé dans la loi 112. Ce
premier plan doit permettre l'adoption de mesures concrètes permettant
d'améliorer le revenu et les conditions de vie de l'ensemble des
personnes pauvres, quelle que soit leur situation. Deux mesures doivent
absolument y figurer dans l'immédiat, soit le rehaussement de
toutes les prestations d'aide sociale à un niveau suffisant pour au
moins couvrir les besoins essentiels présentement reconnus par le
gouvernement (552 millions $), de même que la gratuité des
médicaments pour les personnes à l'aide sociale et les personnes
recevant le supplément de revenu garanti (23 millions $).
Le FRAPRU veut en terminant rappeler son opposition farouche à
toute compression budgétaire dans les programmes sociaux, de même qu'au
plan libéral de réduction des impôts. Il réclame par contre que le
gouvernement enclenche dès maintenant une révision de la fiscalité afin
de la rendre plus équitable et encore plus progressive.
De plus, le FRAPRU demande au gouvernement québécois de déployer tous les efforts nécessaires pour faire en sorte que le fédéral contribue davantage à ses revenus.
Cette contribution supplémentaire devrait, à notre avis, passer
par un règlement du déséquilibre fiscal, un accroissement du
Transfert social canadien et une augmentation des fonds fédéraux à la
réalisation de nouveaux logements sociaux.
Enfin, le FRAPRU demande au gouvernement québécois de
s'assurer que toute négociation avec le fédéral quant au transfert du
parc de logements sociaux existants permette l'obtention d'une part
plus équitable des fonds, le Québec ne recevant présentement que
17 % des budgets fédéraux au logement social. Le Québec devrait
donc recevoir entre 100 millions $ et 200 millions $ de plus
par année. En échange, le gouvernement québécois doit s'engager à
consacrer l'entièreté des sommes supplémentaires reçues d'Ottawa au
développement et au maintien du logement social.
Notes
- Bilan des programmes PSL d'urgence 2001, 2002 et 2003 de l'Office municipal d'habitation de Montréal, 18 novembre 2003, p. 5. Retour au texte
- Bilan des programmes PSL d'urgence 2001, 2002 et 2003 de l'OMHM, 18/11/2003, p. 15. Retour au texte