FRAPRU

Front d'action
populaire en
réaménagement
urbain

Le projet de loi 57 et les plus pauvres

Sans droits ni couverture

Mémoire soumis aux audiences de la Commission des affaires sociales concernant le projet de loi 57

Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Septembre 2004


Présentation

Le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) est un regroupement national pour le droit au logement composé de plus de 90 groupes provenant de différentes régions du Québec.

Pour le FRAPRU, la réalisation de logements sociaux et la reconnaissance du droit à un revenu couvrant les besoins essentiels des ménages à faible revenu constituent les meilleurs moyens d'améliorer de façon permanente leurs conditions de vie. Voilà pourquoi le FRAPRU travaille depuis toujours non seulement sur l'enjeu du logement, mais aussi sur l'enjeu de la lutte à la pauvreté.

Ainsi, le FRAPRU a participé à plusieurs commissions parlementaires concernant les différentes révisions de la loi sur l'aide sociale. Il a aussi participé activement aux Marches mondiales des femmes de 1995 et 2000 et aux pressions du Collectif pour un Québec sans pauvreté, dont il est membre.

Ce travail de pression continu a mené à l'adoption d'une Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale suivie du dépôt du Plan d'action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, plan d'action qui mène maintenant au projet de loi 57.

Malgré les pressions, malgré l'adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté, malgré l'adoption du Plan d'action, les ménages les plus pauvres n'ont pas vu leur revenu augmenter de façon significative. Pire, les plus pauvres sont encore plus pauvres et continuent de s'appauvrir.

Les années passent, les commissions parlementaires se succèdent et pendant ce temps, la fréquentation des banques alimentaires augmente. Ce parti qui a voté à l'unanimité pour une Loi pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale doit maintenant agir, mais en a-t-il réellement la volonté ?

Un projet de loi inacceptable...

Le revenu des ménages à l'aide sociale ne permet pas de couvrir les dépenses de base nécessaires à la survie. C'est un scandale. Les prestations des ménages à l'aide sociale ne sont pas indexées automatiquement et pleinement. C'est un autre scandale. La loi sur l'aide sociale permet encore une division entre les pauvres méritants et les mauvais pauvres. C'est inacceptable. Le projet de loi 57 proposé par le gouvernement ne règle pas ces problèmes majeurs. Pire, il menace de coupure les personnes âgées de 55 ans et plus, il abolit le bureau des renseignements et des plaintes et il propose de nouveaux programmes sans droits ni recours, ébréchant de nouveau le droit à un revenu de base décent. De plus, le projet de loi 57 permet à nouveau aux propriétaires de logements locatifs de saisir une partie du chèque d'aide sociale lors de jugement pour non-paiement de loyer.

Par ailleurs, le projet de loi renvoie régulièrement au règlement, dont on ne connaît absolument pas la teneur et sur lequel il sera plus difficile de se prononcer à cause des délais et de la méthode de consultation des règlements. Il ajoute de nombreux pouvoirs au ministre qui ne sont absolument pas balisés et comporte trois dates de mise en vigueur différentes, les premières étant, comme par hasard, celles donnant au ministre plus de pouvoir, laissant la population dans le noir sur les intentions réelles du ministre.

Le FRAPRU ne peut que rejeter un tel projet de loi.

...alors qu'on peut et doit faire beaucoup plus

Le gouvernement prétendra qu'il ne possède pas la marge de manoeuvre financière nécessaire pour augmenter dès à présent le revenu des ménages à l'aide sociale, que le budget est trop serré, qu'il ne veut pas retomber à l'ère des déficits.

À cela le FRAPRU répond que le gouvernement du Québec a fait des choix par le passé qui le privent d'une partie importante de ses revenus. Dans ses budgets de 2000 et 2001, le gouvernement péquiste annonçait des baisses d'impôt cumulatives de 11 milliards $ entre 2000 et 2004. Ces baisses d'impôt se traduisent maintenant pour le gouvernement par une baisse de revenu annuelle de 3,8 milliards $ par année. Le gouvernement libéral, lui, promet de nouvelles baisses d'impôt de 1 milliard $ par année pendant 5 ans, qui, à terme, aura réduit la marge de manoeuvre budgétaire du gouvernement de 5 milliards $ par année. En tout, si le gouvernement libéral va de l'avant avec ses promesses de baisses d'impôt, c'est d'un manque à gagner annuel de 8,8 milliards $ que le Québec héritera.

En comparaison, ramener les prestations de toutes les personnes à l'aide sociale au barème des personnes considérées comme ayant des contraintes sévères à l'emploi coûterait 505 millions $ par année. Le gouvernement possède la marge de manoeuvre financière pour le faire. Il fait plutôt le choix d'appauvrir les plus pauvres, en redonnant de l'argent à ceux et celles qui en possèdent déjà par le biais des baisses d'impôt, tout en permettant des hausses de tarifs multiples que toutes et tous, incluant les plus pauvres, devront payer. Voilà un choix de société que nous refusons.

Les plus pauvres, toujours plus pauvres

Malgré tout le travail de pression effectué et, au fil des ans, les différentes promesses du gouvernement québécois de lutter contre la pauvreté, les plus pauvres ne peuvent toujours pas subvenir à leurs besoins essentiels.

Selon le dernier recensement de Statistiques Canada, en 2001, 111 385 ménages locataires consacraient plus de 80 % de leur revenu pour se loger. Plus de la moitié (53,8 %) des ménages locataires ayant un revenu annuel inférieur à 10 000 $ consacrait plus de 80 % de leurs revenus pour se loger. La majorité de ces personnes sont prestataires de l'aide sociale.

Depuis le recensement de 2001, la pénurie de logements locatifs a occasionné une montée en flèche des loyers. Ceux-ci ont augmenté de 13 % à Montréal, de 17,5 % à Gatineau et de 9,5 % à Québec entre 2001 et 2003. Pendant ce temps, Hydro-Québec annonçait périodiquement des hausses de tarifs d'électricité et les tarifs du transport en commun augmentaient de façon significative.


Revenus et coûts du loyer pour les ménages considérés comme étant sans contrainte à l'emploi, régions métropolitaines, 2004*

MontréalQuébecGatineau
Type de logementRevenu mensuelLoyer moyen% du revenuLoyer moyen% du revenuLoyer moyen% du revenu
Personne seule3 1/2556 $528 $95 %506 $91 %548 $99 %
Couple sans enfant3 1/2852 $528 $ 62 %506 $59 %548 $64 %
Famille mono, 1 enfant4 1/2881 $575 $65 %567 $64 %639 $73 %
Famille mono, 2 enfants5 1/21 081 $710 $66 %671 $62 %720 $67 %
Couple 2 enfants5 1/21 269 $710 $56 %671 $53 %720 $57 %

* Les revenus comptabilisés incluent la prestation de base, le remboursement de la TVQ et les allocations familiales.


Les données concernant les loyers moyens proviennent de l'enquête annuelle de la SCHL d'octobre 2003 sur les logements locatifs.

Rappelons que 62 % des ménages à l'aide sociale habitent dans ces trois régions métropolitaines.

Ainsi, en octobre 2003, alors qu'une personne seule sur l'aide sociale recevait, comme prestation de base, 533 $ par mois plus 22,75 $ en remboursement de la TVQ, un logement d'une chambre à coucher coûtait en moyenne 528 $ par mois dans la région métropolitaine de Montréal, 506 $ dans la région métropolitaine de Québec et 548 $ dans la région métropolitaine de Gatineau. Ces personnes doivent donc consacrer 95 %, 91 %, ou 99 % de leur revenu pour se loger. Les membres de la Commission se diront que de tels chiffres ne peuvent pas exister, que c'est impossible. Nous les invitons à en discuter avec les locataires à la recherche d'un logement qui nous appellent régulièrement pour nous dire que le coût des logements à louer équivaut au montant total de leur prestation.

Les membres de la Commission feront valoir que ce sort n'est réservé qu'aux prestataires sans enfants, puisque des gains importants auraient été faits pour les familles dans le dernier budget du gouvernement du Québec. En premier lieu, il est important de rappeler que les ménages sans enfants constituent 78 % des ménages à l'aide sociale. Ceux-ci n'ont vu aucune augmentation de leur prestation lors du dernier budget. De plus, malgré les gains du dernier budget pour les familles avec enfants, le pourcentage de leur revenu consacré au logement continue d'être au-dessus des 50 % !

Pire, alors que les loyers continuent d'augmenter, la prestation de base à l'aide sociale, elle, dimimue. En effet, si celle-ci avait suivi l'inflation, le revenu de base de 440 $ par mois en 1985 aurait été de 700 $ en 2003, alors qu'actuellement il n'est que de 533 $ ! En effet, malgré un revenu ridiculement bas, celui-ci n'a même pas été indexé automatiquement et pleinement pendant ces années.

Cette non-indexation affecte évidemment les prestations et appauvrie des ménages déjà très pauvres. Selon le Conseil national du bien-être social[1], en 2003, le revenu d'une personne seule considérée comme apte au travail équivalait à 34 % du seuil de pauvreté calculé par Statistiques Canada, alors que celui d'un couple avec deux enfants équivalait à 48 %.

Les conséquences de ce peu de revenu sont dramatiques.

Le premier jour du mois, les ménages assistés sociaux paient le loyer et il ne leur reste alors pratiquement plus d'argent pour payer la nourriture, les vêtements, les médicaments, le téléphone, le transport. Le tableau suivant illustre malheureusement très bien cette situation.


Revenus, coûts du loyer et argent mensuel restant pour les ménages considérés comme sans contraintes à l'emploi, régions métropolitaines 2004*

Type de logementRevenu mensuelLoyer moyenArgent restantLoyer moyenArgent restantLoyer moyenArgent restant
Personne seule3 1/2556 $536 $20 $506$ $50 $548 $8 $
Couple sans enfant3 1/2852 $536 $316 $506 $346 $548 $304 $
Famille mono, 1 enfant4 1/2880 $583 $297 $567 $313 $639 $241 $
Famille mono, 2 enfants5 1/21 080 $746 $334 $671 $409 $720 $360 $
Couple 2 enfants5 1/21 269 746 $523 $671 $598 $720 $549 $$

* Les revenus comptabilisés incluent la prestation de base, le remboursement de la TVQ et les allocations familiales.


Les données concernant les loyers moyens proviennent de l'enquête annuelle de la SCHL d'octobre 2003 sur les logements locatifs.

Rappelons que 62 % des ménages à l'aide sociale habitent dans ces trois régions métropolitaines.

Après avoir payé le loyer, une personne seule n'a plus du tout d'argent pour payer quoi que ce soit, alors qu'une famille monoparentale avec un enfant de la région de Gatineau n'aurait en moyenne que 241 $ pour payer le minimum nécessaire pour deux personnes dont l'électricité, le téléphone, la nourriture, les médicaments, les effets scolaires, les vêtements et le transport ! Et comment faire avec 371 $ par mois pour une famille monoparentale de deux enfants à Montréal ? Comment faire pour un couple avec deux enfants avec 598 $ par mois à Québec ? Ce scénario se répète malheureusement mois après mois pour les milliers de ménages à l'aide sociale au Québec.

La fréquentation des banques alimentaires et des soupes populaires constitue un indice de la gravité du problème. Le Bilan-faim, rédigé par l'Association canadienne des banques alimentaires[2] indique qu'en mars 2003, 70 012 ménages québécois totalisant 215 900 personnes (dont 133 700 adultes et 82 200 enfants) avaient eu recours à une banque alimentaire. Selon l'Association, le nombre de personnes aidées a augmenté de 9,9 % depuis 2002 et de 22,7 % depuis 1997[3].

Dans son sondage, l'Association canadienne des banques alimentaires demandait aux organismes interrogés d'identifier les priorités que devraient se donner les gouvernements pour lutter contre le problème de la faim. Sur dix priorités identifiées, celle qui retient le plus l'attention est... l'augmentation des prestations d'aide sociale.

Il y a aussi les mois où même après des coupures énormes dans tous les autres aspects de leur budget, les ménages à faible revenu ne réussissent même plus à payer leur loyer. Le nombre d'évictions pour non-paiement de loyer a d'ailleurs augmenté de façon fulgurante depuis 20 ans. On est passé d'une moyenne annuelle de 15 602 évictions pour non-paiement de loyer entre 1980 et 1985, à une moyenne annuelle de 36 792 entre 2000 et 2003 ! Dans son rapport 2003-2004, la Régie du logement ajoutait même une nouvelle catégorie, soit les résiliations de baux pour retards fréquents. Ainsi, selon ce rapport, alors qu'en 2001-2002, celles-ci se chiffraient à 3 942, elles étaient de 6 305 en 2003-2004, une hausse de 60 % en deux ans[4] !

Tous les ménages québécois doivent pouvoir se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner. La loi sur le soutien du revenu doit être modifiée en conséquence.

Le FRAPRU demande le retrait du projet de loi 57 et son remplacement par une réforme de la Loi sur le soutien du revenu reconnaissant pour l'ensemble des prestataires de l'aide sociale le droit à la couverture des besoins essentiels (logement, alimentation, vêtements, services publics, soins de santé, éducation, transport, loisirs, etc.), ce qui implique une augmentation substantielle du revenu de l'ensemble de ces prestataires.

Un plan d'action... pour quoi déjà ?

En matière de lutte à la pauvreté, le gouvernement libéral est carrément de mauvaise foi. On applaudit à une loi pour lutter contre la pauvreté en se congratulant à qui mieux mieux pour, sitôt élu, appauvrir les plus pauvres.

Ainsi, le plan d'action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, déposé en avril 2004, garantit une pleine indexation de la prestation d'aide sociale aux ménages avec contraintes sévères à l'emploi mais n'en accorde qu'une demie aux ménages considérés comme aptes au travail ou avec contraintes temporaires, les condamnant à s'appauvrir davantage.

Puisque la pleine indexation de ces ménages ne coûterait que 3 millions $ additionnels pour l'année 2004-2005 et 14 millions $ pour l'année suivante, il est clair que cette décision n'a pas été prise pour des raisons budgétaires. Il est plus probable que le gouvernement agit ainsi pour mettre les gens encore plus dans la misère pour les forcer à participer à des formations ou à des parcours à l'emploi inadéquats, mal payés et insuffisants !

Faut-il rappeler au gouvernement que pour chaque personne considérée apte au travail à l'aide sociale, cette indexation partielle veut dire une augmentation de son chèque de 3 $ par mois au lieu de 6 $ ? Lorsque l'on gagne un revenu décent, un manque de 3 $ par mois est une somme dérisoire. Le coût du pourboire que les membres de la Commission auront versé au restaurant sur l'heure du dîner ! Mais pour une personne sur l'aide sociale, cela pourrait contribuer à payer de un à deux repas complets dans une soupe populaire.

Le FRAPRU demande la garantie dans la Loi sur le soutien du revenu de l'indexation automatique et complète des prestations de l'ensemble des ménages à l'aide sociale. Cette indexation doit débuter dès le mois de janvier 2005.

Un gouvernement hors-la-loi

La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, (Loi 112), adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, oblige le gouvernement à adopter certaines mesures pour lutter contre la pauvreté. Ainsi, l'article 15.2 de la loi oblige le gouvernement à » introduire le principe d'une prestation minimale, soit un seuil en deça duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application des sanctions administratives, de la compensation ou du cumul de celles-ci." Malgré ces obligations juridiques et ses promesses, le gouvernement n'instaure pas le principe d'une prestation minimale dans son projet de loi et il prévoit continuer de couper les prestataires d'aide sociale lors de fraudes et de trop perçu.

L'article 15.3 de la Loi 112 stipule que le gouvernement doit permettre aux ménages de posséder des biens et des avoirs liquides d'une valeur supérieure à celle permise à l'heure actuelle. Malgré cet article et une promesse du plan d'action en ce sens, le projet de loi 57 permet une règle assouplie concernant les biens et avoirs uniquement pour les personnes présentant des contraintes sévères à l'emploi ! Et même pour ces personnes, le projet de loi ne confirme rien, les renvoyant au règlement !

L'article 15.4 de la loi 112 stipule qu'il doit y avoir des modifications au Programme d'assistance-emploi afin notamment, » à l'égard de toute famille ayant un enfant à sa charge, d'exclure un montant provenant des revenus de pension alimentaire pour enfants.« Alors que le Plan d'action du gouvernement libéral promet que l'exemption de 100 $ par mois pour pension alimentaire sera étendue à toutes les familles ayant un enfant à charge, l'article 46 du projet de loi nous renvoie de nouveau au règlement pour savoir si la mesure promise sera effectivement appliquée. Ce serait pourtant là un strict minimum, d'autant que la pension est versée pour les enfants.

Enfin, le ministre n'a pas fait état des impacts directs et significatifs de son projet de loi sur le revenu des ménages à l'aide sociale, tel que le stipule l'article 20 de la loi 112.

Le FRAPRU demande au gouvernement qu'il respecte la Loi 112 et ses engagements du Plan d'action en modifiant la Loi sur le soutien du revenu en conséquence et qu'il aille plus loin encore en exemptant totalement la pension alimentaire reçue pour chaque enfant du revenu considéré pour le calcul de la prestation.

Des revenus pour se sortir de la pauvreté

Nous l'avons démontré à maintes reprises, les prestations actuelles d'aide sociale maintiennent les ménages dans la pauvreté. Il faut non seulement augmenter les prestations d'aide sociale, il faut aussi augmenter les gains de travail permis des ménages.

À l'heure actuelle, une personne considérée apte au travail ne peut gagner que 200 $ par mois avant de voir sa prestation d'aide sociale coupée. Cette personne aura alors un revenu mensuel maximal de 733 $, revenu qui est loin de couvrir ses besoins de base. Deux adultes peuvent obtenir un gain de travail de 300 $ avant de se faire couper, pour un revenu mensuel maximal de 1125 $. Dans les deux cas, ces ménages n'auront même pas accès au nouveau programme Prime au travail. Si ces mêmes personnes travaillent un peu plus, elles recevront des miettes de ce nouveau programme... tout en se faisant couper d'autant leurs prestations d'aide sociale. Comment, devant une telle situation, le gouvernement peut-il se targuer d'encourager les prestataires à retourner sur le marché du travail ?

Les gains de travail devraient aussi être annualisés, conformément à la formule prévue par le programme Prime au travail. Cette mesure permettrait aux travailleurs saisonniers, souvent à très faible revenu, de ne pas être pénalisés parce qu'ils ont travaillé, même pour une courte période. Ils auraient ainsi un traitement comparable à celui des personnes qui travaillent à temps partiel à l'année.

Le FRAPRU demande l'augmentation et l'annualisation des gains de travail permis dans la Loi sur le soutien du revenu.

Saisir le chèque ne règle rien !

Dans l'actuel projet de loi 57, le gouvernement maintient la possibilité de saisir une partie du chèque d'aide sociale pour non-paiement de loyer par le biais de l'article 53, (alors que l'article 13 réaffirme que ledit chèque est incessible et insaisissable !). Ceci est une erreur de la part du gouvernement et démontre son peu de connaissance du domaine du logement. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que cet article n'a jamais été appliqué. Aussitôt confronté à la réalité du marché locatif et aux groupes de locataires, le ministre responsable de l'application de la loi actuellement en vigueur, André Boisclair, décidait de sa non-application. Nous expliquerons donc, de nouveau, pourquoi la saisie des chèques est inutile et ne règle rien tout en augmentant, si c'est encore possible, la discrimination à l'égard des personnes à l'aide sociale.

Dans le passé, on nous expliquait vouloir saisir une partie du chèque d'aide sociale pour plusieurs raisons. Entre autres arguments, une telle mesure ferait en sorte que plus de propriétaires loueraient aux personnes sur l'aide sociale, puisque celles-ci ne sauraient pas s'administrer et qu'ainsi il y aurait moins de discrimination envers les ménages sur l'aide sociale. Cet argument ne tient pas longtemps la route...

Quant le loyer prend 80 % du revenu....

Au risque de se répéter, le problème de non-paiement de loyer est une question de revenu et de coût du loyer et non de mauvaise gestion. La preuve, selon les derniers chiffres disponibles des offices municipaux d'habitation, le taux moyen de non-paiement de loyer en HLM, où les ménages locataires paient 25 % de leurs revenus pour se loger, est de 0,5 % démontrant ainsi que 99,5 % des ménages en HLM, dont une très forte proportion de ménages à l'aide sociale, sont de bons payeurs ! Le problème n'en est donc pas un de mauvaise gestion mais bien de revenu et de coût exorbitant du loyer !

En effet, comment peut-on réussir à payer régulièrement son loyer lorsque celui-ci constitue 80 % de son revenu ? Nous mettons au défi les parlementaires de se faire un budget avec un revenu sur l'aide sociale et de calculer combien de mois consécutifs ceux-ci pourraient payer intégralement leur loyer. Nous les mettons ensuite au défi de voir si, en saisissant une partie de leur chèque pour payer une partie de leur loyer, leur problème de paiement de loyer sera résolu ! ! La saisie d'une partie du chèque n'augmentera pas la grosseur de celui-ci, ne diminuera pas le coût du logement et ne règlera donc pas le problème.

Les locataires victimes de discrimination

Le deuxième argument voulant que la saisie diminuera la discrimination au moment de la location à l'égard des ménages à l'aide sociale ne tient pas non plus la route très longtemps.

Comment croire que saisir une partie seulement du chèque d'aide sociale pour payer une partie seulement du loyer incitera les propriétaires à louer à des ménages à l'aide sociale ? La réalité est tout autre. Lorsqu'un propriétaire a le choix entre un ménage à faible revenu ou un ménage avec des revenus plus élevés, celui-ci choisira systématiquement la personne avec des revenus plus élevés et ce n'est pas la saisie qui va y changer quoi que ce soit.

Une étude publiée par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) effectuée auprès de vendeurs et d'acheteurs de logements locatifs des villes d'Ottawa et de Vancouver, confirme notre analyse[5]. Selon l'étude, »Un propriétaire-bailleur sur six a confirmé qu'il n'accepterait pas de ménages d'assistés sociaux. Lorsqu'on leur a demandé de façon précise de choisir entre diverses combinaisons de types de ménages, les propriétaires-bailleurs ont presque tous choisi le couple de travailleurs. Aucun des investisseurs n'a choisi de ménages d'assistés sociaux et un seul a opté pour la famille monoparentale avec un jeune enfant... Toutefois, ils considéraient aussi qu'il existe un besoin de logements sociaux, notamment pour loger les ménages à faible revenu et vivant de l'aide sociale, que certains préféraient ne pas accueillir dans leur immeuble". Rien ne permet de croire que les propriétaires québécois agiraient différemment. Au contraire.

À Montréal, durant l'été 2003, même les sans-logis qui se sont vus attribuer des suppléments au loyer d'urgence ont parfois eu bien des difficultés à se dénicher un logement. Pourtant, le gouvernement garantissait en moyenne le paiement de 429 $ par mois par logement ! ! Plusieurs ont dû chercher pendant des mois avant de réussir à se trouver un logement.

Quand le gouvernement lui-même discrimine...

À notre avis, une telle mesure ne diminuera pas la discrimination envers les ménages à l'aide sociale, elle ne fera que la renforcer. En effet, comment expliquer qu'une telle mesure existe pour les ménages sur l'aide sociale sinon parce que le gouvernement lui-même croit que ces ménages sont délinquants en ne payant pas ?

Le gouvernement prétend qu'il n'effectue pas une saisie du chèque au sens de la loi mais une ponction du chèque. Quoique puisse en dire le gouvernement, la mesure prévue par l'article 53 doit être considérée comme une saisie, et ce, malgré le fait que cet article ne mentionne pas le mot et que ladite saisie soit limitée aux loyers à venir. Dans les faits, prendre une part du revenu d'une personne sans son consentement, suite à un jugement, pour la remettre au propriétaire, est bel et bien une saisie, saisie qui serait illégale en vertu du Code de procédure civile du Québec. Rappelons que l'article 553 du Code de procédure civile du Québec indique que de 120 $ à 180 $ par semaine est insaisissable, ceci dans le but évident de garantir un revenu minimum aux individus. Il serait discriminatoire d'en exclure les ménages sur l'aide sociale. Cette saisie serait aussi illégale en vertu de l'article 13 du projet de loi 57 (et de l'article 7 de l'actuelle soi sur le soutien du revenu) qui affirme que la prestation est incessible et insaisissable.

Dans son mémoire de 1997 sur la réforme de la sécurité du revenu, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse déclarait que » l'octroi à la Régie du logement, dans le cas de défaut de paiement, d'un pouvoir d'ordonnance lui permettant » "d'enjoindre le ministère de la Sécurité du revenu de verser au propriétaire la composante logement de la prestation" ", ouvre une brèche dans le principe de l'incessibilité des prestations, principe qui est toujours apparu comme la contrepartie du caractère minimal des allocations versées.... la Commission ne peut que s'inquiéter très sérieusement de l'abolition de cette protection de base des revenus de subsistance."[6]

D'ailleurs, le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, dans ses observations finales de décembre 1998 pour le Canada, » ...notait avec inquiétude que les gouvernements de l'Ontario et du Québec ont adopté une législation permettant de verser les prestations d'assistance sociale directement aux propriétaires sans le consentement des bénéficiaires, bien que la Commission des droits de la personne et un tribunal des droits de la personne de l'Ontario aient jugé que cette manière de traiter les bénéficiaires de l'aide sociale constituait une pratique discriminatoire."[7]

Nous tenons à informer le gouvernement que s'il va de l'avant avec une telle mesure, le FRAPRU a la ferme intention de la contester et de la faire invalider devant les tribunaux, en vertu des Chartes canadienne et québécoise.

Aidez les locataires, non les propriétaires !...

Somme toute, le gouvernement se permet de remettre sur la table une vieille mesure, dans l'optique de répondre à un problème que vivraient des propriétaires. Mais de quel problème parle-t-on ? Selon une étude de l'INRS-Urbanisation, culture et société, d'août 2002[8], les revenus annuels dans le secteur du logement locatif seraient de plus de 6 milliards $. De ce chiffre, les pertes les plus importantes auraient été en raison de logements inoccupés, soit 148 millions (2,4 %) et 74 millions $ (soit 1,2 %) en raison de loyers impayés. Comme dans n'importe quelle entreprise, les propriétaires perdent un peu d'argent. Pourtant, le gouvernement leur offre une aide particulière, offerte à nul autre type d'entreprise. Trouverait-on que les propriétaires de logements locatifs feraient plus pitié ? On nous répondra que c'est parce que la majorité des propriétaires sont des petits propriétaires pour lesquels les logements constituent leurs fonds de retraite. À cela le FRAPRU répond que 12 % des propriétaires possèdent plus de la moitié du parc de logement locatif, soit 57 %. Ainsi, la majorité des locataires loue leur logement d'un propriétaire possédant plus de 6 logements pour qui le logement locatif est une business.

Le problème ne se situe donc pas au nouveau des propriétaires, même si leur lobby est très efficace. Comme nous l'avons démontré auparavant, il faudra davantage se préoccuper du sort des ménages locataires qui ne réussissent plus à se trouver un logement à un prix qu'ils et elles peuvent payer. Pour régler ce problème, il faudra hausser les prestations d'aide sociale et le salaire minimum. Il faudra aussi reconnaître le droit au logement pour toutes et tous par une véritable Politique d'habitation dont le logement social sera le coeur, accompagné d'un véritable contrôle des loyers et de sérieuses mesures contre la discrimination. C'est d'ailleurs la position que le FRAPRU défendra lors du débat pour une politique d'habitation, politique qui devrait être déposée en novembre par le ministre responsable de l'habitation, M. Jean-Marc Fournier.

Le FRAPRU demande le retrait de toute disposition concernant la saisie, totale ou partielle, des chèques d'aide sociale lors de jugement pour non-paiement de loyer.

Encore des catégories !

Malheureusement, ce ne sont pas seulement les propriétaires de logements locatifs qui ont des préjugés envers les personnes sur l'aide sociale, le gouvernement en a aussi. Sinon, comment expliquer que l'on continue de maintenir le régime de pauvres méritants et de mauvais pauvres ?

Le système actuel est basé sur la présomption que les personnes jugées aptes au travail choisissent délibérément de vivre sur l'aide sociale et que seul un très bas revenu à l'aide sociale les obligera à travailler. Or, comment une personne pourrait-elle délibérément choisir de vivre avec un revenu de base de 533 $ par mois ? N'est-ce pas parce que justement la grande majorité de ces personnes n'ont pas d'autres choix, ne pouvant travailler ou ne réussissant pas à se trouver un emploi ? Il y a presque autant de raisons qui font en sorte que quelqu'un est sur l'aide sociale qu'il y a de personnes recevant de l'aide sociale. Des histoires de maladie et d'accidents, de séparation et de garde d'enfants, de mises à pied, d'échecs scolaires à répétition, de manque de formation.

Chose certaine, en maintenant les gens dans l'indigence et en les présumant incompétents, on ne leur permettra pas de réussir une démarche de réinsertion sur le marché du travail : au contraire, ils risquent de vivre de nouveaux échecs, s'enfonçant encore davantage dans l'isolement et l'exclusion.

Une vraie réforme de l'aide sociale doit rejeter toute cette catégorisation et doit proposer un revenu minimal de base pour tous et toutes, auquel devrait alors s'ajouter des aides financières plus importantes considérant la condition physique et mentale des personnes. Des aides financières additionnelles devraient aussi être prévues pour favoriser la formation et le retour au travail des prestataires qui le peuvent.

Voilà une autre raison pourquoi le FRAPRU rejette le projet de loi 57. Non seulement celui-ci maintient-il les catégories entre les aptes et les inaptes, il y ajoute de nouveaux programmes particuliers (Alternative-jeunesse et les programmes d'aide spécifiques) qui soustraient certains prestataires de l'aide sociale sans qu'on en connaisse les conditions et les paramètres. C'est un retour à l'arbitraire des régimes particuliers d'avant la première Loi sur l'aide sociale de 1969. Un tel recul est inadmissible et inacceptable.

Le FRAPRU demande l'élimination, conditionnellement à la couverture des besoins essentiels, de toute catégorisation concernant l'aptitude au travail.

Enfin, un bon coup !

Malgré tous les défauts du projet de loi 57, il faut tout de même saluer la mesure de l'article 49 établissant qu'une prestation d'aide sociale ne peut être réduite pour défaut d'entreprendre des démarches en vue d'intégrer le marché du travail, notamment en cas de refus ou d'abandon d'emploi.

Le gouvernement reconnaît ainsi que les mesures pénalisantes ne sont pas efficaces et que seules des mesures positives d'aide à l'emploi et la disponibilité des formations adaptées aux besoins des prestataires pourront aider les ménages sur l'aide sociale à se trouver un emploi. Nous saluons donc cette volonté du gouvernement de stopper ces coupures et demandons évidemment que toute réforme de l'aide sociale conserve cette mesure.

Le FRAPRU demande que toute réforme de l'aide sociale conserve la mesure proposée par le projet de loi 57 établissant qu'une prestation d'aide sociale ne peut être réduite pour défaut d'entreprendre des démarches en vue d'intégrer le marché du travail, notamment en cas de refus ou d'abandon d'emploi.

Avancer, pas reculer

Toute réforme de l'aide sociale doit s'assurer qu'aucune personne ne verra son chèque amputé. À ce sujet, le projet de loi 57 n'est pas rassurant sur les intentions gouvernementales. Dans la loi actuelle sur le soutien du revenu, l'article 24 garantit aux personnes âgées de 55 et plus une augmentation de leur prestation pour contraintes temporaires. Le projet de loi 57, lui, renvoie au règlement la fixation de l'âge d'éligibilité à cette prestation (article 44), faisant craindre le pire aux personnes âgées de 55 ans et plus. En effet, si le gouvernement décide de ne plus garantir la prestation actuelle des 55 ans et plus, n'est-ce pas parce qu'il aurait l'intention de changer l'âge d'éligibilité pour cette prestation ? Et qu'en est-il des rumeurs qui ont circulé concernant les familles avec des enfants de moins de cinq ans ?

Pour le FRAPRU, il est clair que les prestations actuelles ne permettent pas de couvrir les besoins essentiels. Il est donc inadmissible qu'au lieu de supprimer les catégories et d'augmenter les prestations de toutes et tous à un niveau décent, le gouvernement décide, au contraire, de diminuer les prestations d'une catégorie de prestataires. Le FRAPRU s'y oppose fermement.

Le FRAPRU demande qu'aucunE prestataire de l'aide sociale ne subisse de réduction de ses prestations.

Pour lutter réellement contre la pauvreté

Le FRAPRU tient à rappeler au gouvernement que pour lutter efficacement contre la pauvreté, il faudra plus que quelques vagues promesses et du saupoudrage d'argent.

À l'aube de la réforme sur l'assurance-médicaments, le FRAPRU tient d'ailleurs à rappeler au Parti libéral sa promesse, lors de l'adoption de la loi 112, d'assurer la gratuité des médicaments pour toutes les personnes à l'aide sociale ainsi que celles recevant le supplément de revenu garanti. À l'heure actuelle, des milliers de ménages à faible revenu, incluant les ménages au salaire minimum, ne réussissent pas à se soigner faute de pouvoir payer la franchise et une co-assurance. Le FRAPRU tient à rappeler au gouvernement que l'accès aux médicaments est une préoccupation majeure pour l'ensemble des ménages à faible revenu. Elle devra l'être aussi lors de cette réforme.

Ainsi, pour mener une véritable lutte à la pauvreté, le gouvernement doit changer de cap immédiatement en assurant la couverture des besoins essentiels des ménages à l'aide sociale, en augmentant le salaire minimum à un taux permettant de sortir de la pauvreté, en réalisant des logements sociaux en nombre suffisant, ainsi qu'en instaurant la gratuité des médicaments pour tous les ménages à faible revenu.

En attendant l'adoption de ces mesures, le FRAPRU ne restera pas les bras croisés et il continuera à défendre haut et fort les intérêts de ceux et de celles que le gouvernement a trop souvent tendance à vouloir oublier.

Principales demandes du FRAPRU

  1. Retrait du projet de loi 57 et son remplacement par une réforme de la Loi sur le soutien du revenu reconnaissant pour l'ensemble des prestataires de l'aide sociale le droit à la couverture des besoins essentiels (logement, alimentation, vêtements, services publics, soins de santé, éducation, transport, loisirs, etc.), ce qui implique une augmentation substantielle du revenu de l'ensemble de ces prestataires.
  2. La garantie dans la Loi sur le soutien du revenu de l'indexation automatique et complète des prestations de l'ensemble des ménages à l'aide sociale. Cette indexation doit débuter dès le mois de janvier 2005.
  3. Le retrait de toute disposition concernant la saisie, totale ou partielle, des chèques d'aide sociale lors de jugement pour non-paiement de loyer.
  4. L'élimination
  5. , conditionnellement à la couverture des besoins essentiels, de toute catégorisation concernant l'aptitude au travail.

  6. L'augmentation et l'annualisation des gains de travail
  7. permis.

  8. La garantie qu'aucunE prestataire de l'aide sociale ne subira de réduction de ses prestations.


Notes

  1. Rapport du Conseil national du bien-être social, Revenus de bien-être social 2003, printemps 2004, page 29. Retour au texte

  2. Association canadienne des banques alimentaires, Bilan-faim 2003, octobre 2003, page 15. Retour au texte

  3. Idem, page 24. Retour au texte

  4. Rapport annuel de gestion, 2003-2004, Régie du logement. Retour au texte

  5. a résidualisation des ménages locataires, attitude des propriétaires-bailleurs privés envers les ménages à faibles ressources, Steve Pomeroy, SCHL, série socio-économique, numéro 93, octobre 2001. Retour au texte

  6. Mémoire à la Commission des affaires sociales de l'assemblée nationale sur la réforme de la sécurité du revenu, Commission des droits de la personne et de la jeunesse, Janvier 1997, page 22. Retour au texte

  7. Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels  : Canada, Haut commissariat des Nations Unies pour les droits humains, 10 décembre 1998, page 4. Retour au texte

  8. Les logements privés au Québec  : la composition du parc de logements, les propriétaires bailleurs et les résidants, INRS-Urbanisation, Culture et Société, Août 2002, pages iii et iv. Retour au texte