Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec

Une analyse de Vers une politique de la formation continue

La reconnaissance de l'EPA et le projet de politique en formation continue

Entre la vieille revendication d'une reconnaissance plus formelle de l'éducation populaire autonome par le MÉQ et la publication du projet de politique, il y a un lien direct. En effet, le 11 juin 1998, la ministre Pauline Marois a publié sans tambour ni trompette le document de consultation Vers une politique de la formation continue qui rend public sa position dans le dossier de la formation continue.1 Du coup, elle s'est prononcée sur les travaux du Chantier sur la formation continue, un des sept chantiers mis sur pied pour donner suite aux États généraux de l'éducation.

Comme vous le savez, les regroupements nationaux en ÉPA ont entretenu les pourparlers avec le MÉQ tout au long de l'année 1997-98 au sujet de la reconnaissance. L'aboutissement de ces travaux est la Proposition du Comité conjoint sur l'éducation populaire que vous trouverez à la fin du présent document. Celle-ci était la condition sine quanon exigée par le MÉQ pour que la ministre assume l'engagement que l'on retrouve dans le projet de politique. Une consultation rapide au printemps du Conseil d'administration des Tables régionales du MÉPACQ (ainsi que les instances des autres regroupements nationaux) a permi de conclure que cette Proposition comptait suffisamment d'éléments intéressants pour demander à la Ministre de soumettre son engagement de reconnaissance à la consultation.

Le texte qui suit se veut un court résumé du document ministériel de consultation2 vu sous l'angle de son impact sur l'éducation populaire autonome. II n'est donc ni exhaustif ni complet par rapport au contenu de l'ensemble du document.3

Vers une politique de formation continue est un document de consultation. Au cours de l'été, une trentaine d'organismes nationaux, dont le MÉPACQ, la Table des fédés, le RGPAQ et l'ICÉA ont été invités à déposer un mémoire (pour le 15 octobre 98) et à intervenir lors des audiences nationales (les 5,6 novembre 98) sous la présidence de M. Paul Inchauspé, ancien commissaire des États généraux, et en présence des ministres de l'Éducation, de l'Emploi et de la Solidarité et des Relations avec les citoyens et de l'Immigration. Malgré le laps de temps très court, et le peu d'informations dont nous disposons sur les modalités de cette consultation, nous croyons « de bonne guerre » d'inviter votre organisme à faire parvenir directement à M. Inchauspé soit son appréciation du document ministériel, soit ses commentaires par rapport à la Proposition du comité conjoint.

1. Remarques générales sur le projet de politique

Vers une politique de la formation continue est un document faible.4 Bien que l'on y retrouve certains éléments importants pour une éventuelle politique de « formation continue », sa faiblesse se révèle surtout quand on l'analyse dans une perspective de « l'éducation des adultes. » Si on se réfère aux grands principes défendus par le réseau d'ÉPA lors des États généraux, soulignons quelques lacunes:

  • On aurait pensé qu'un objectif d'une Politique de formation continue serait de « renforcer la vie démocratique » ou de « faciliter dès maintenant l'accessibilité des adultes à la formation tout au long de la vie », mais il n'en est rien. L'éducation toutau long de la vie , tel que développé dans le Rapport Delors ou les documents de la Conférence de Hambourg (1997) n'est pas le « fil conducteur » de ce texte.
  • Le document ministériel note la tendance (dont plusieurs craignent l'accentuation) à orienter la formation continue vers l'employabilité et l'insertion professionnelle. Ne la remettant pas en question, il semble même la renforcer. Dans ce sens, la portée du document est économique et l'importance sociale de la formation continue est mitigée.
  • On ne retrouve pas dans les orientations proposées une priorité accordée aux « populations les plus démunies sur les plans socio-économiques et culturels », sauf lorsque celles-ci sont des cibles des mesures visant l'intégration au marché du travail.
  • Qu'une politique générale de la formation continue doive favoriser « le développement global des personnes » est une idée absente. Par contre, on insiste beaucoup sur l'outillage ou le réoutillage des gens vis-à-vis du marché du travail.
  • On reconnaît bien la diversité des modes et des lieux d'apprentissage en formation continue. Par contre, on note également des absences remarquables. Le rôle éducatif de Télé-Québec passe sous silence, tout comme une appréciation du rôle éducatif des lieux comme des bibliothèques et musées, fréquentés en majorité par des adultes.
  • Le thème du rapport volontaire de l'adulte à son processus de formation, un principe essentiel de l'éducation des adultes, est absent. Dans un contexte ou la ministre de l'Emploi impose l'obligation pour certaines clientèles à participer à des Parcours d'insertion, cet oubli est dramatique. D'ailleurs ce document semble privilégier sinon l'obligation, du moins des mesures plus musclées d'incitation vers le marché du travail pour des personnes analphabètes.
  • Le MÉPACQ, de concert avec l'ICÉA et d'autres organisations, se sont battus aux États généraux pour que l'État, et en particulier le MÉQ, assume une responsabilité centrale dans la formation continue. Le document donne l'impression que, mis à part le dossier de la reconnaissance des acquis, la formation continue n'est pas dans les priorités du Ministère et que le MÉQ déleste autant que possible ses responsabilités au ministère de l'Emploi et de la Solidarité (MES).
  • Enfin, l'ancrage du projet de politique dans les objectifs généraux du gouvernement (p 17-18) est problématique. En voulant l'arrimer aux objectifs gouvernementaux, dont l'atteinte est fixé d'ici l'an 2000, c'est comme si la vision présentée de la formation continue ne va pas plus loin que le court terme.5

2. La vision et la place de l'Éducation populaire 6 dans le document de consultation

Le document décrit l'éducation populaire comme un des quatre lieux de la formation continue , les autres étant les établissements, les entreprises, et d'autres lieux (p.6). Notant que 360,000 adultes ont participé dans des activités de formation dans l'ensemble des lieux en 1996-97, le document affirme que 76,000 d'entre eux (dont 4,000 en alpha populaire) ont participé à des activités d'éducation populaire durant la même année. Quant aux montants dépensés en formation continue, on apprend que le gouvernement québécois y investit 2,2 milliards $. L'ÉPA/APA est de loin le parent pauvre: son budget de 15 millions $ représente 2% du budget total du MÉQ qui est consacré à la formation continue. 7

Abordant la question de la reconnaissance, on reprend, en trois paragraphes, quelques idées de la Propositiondu comité conjoint (p 31 -32). En plus, les auteurs choisissent plusieurs exemples pour illustrer la portée des interventions en éducation populaire: « l'alphabétisation, l'exercice à la citoyenneté, l'amélioration des compétences parentales ou la sensibilisation aux problèmes engendrés par la violence et autres phénomènes sociaux . » Tout en reflétant les priorités actuelles du Ministère, ce choix a le mérite de bien camper l'éducation populaire dans son rôle de promotion d'une vie démocratique. 8 Par contre, l'identification des activités d'éducation populaire à « l'intégration » des participants dans la société évacue le rôle de l'éducation populaire dans la « transformation » de la société.

Néanmoins, le document affirme qu'il importe que la mission des groupes d'éducation populaire soit clairement établie et reconnue dans un cadre légal et la ministre prend un engagement formel9 de « reconnaître, dans une loi, le rôle et la contribution de l'éducation populaire » (p 32).

Comme engagement, ce n'est pas très fort. La ministre ne mentionne pas dans quelle loi qu'elle va procéder à la reconnaissance, ne fournit pas d'échéancier et ne prend aucun engagement financier. Par contre, pour la première fois, une ministre de l'Éducation propose publiquement, dans un document de consultation, de reconnaître l'éducation populaire dans une loi. Même si l'engagement ne corresponds pas à la totalité de notre revendication, c'est un pas en avant.

Sur le financement, les engagements sont encore plus obscurs. Affirmant que le MÉQ accorde « depuis plus de dix ans une allocation particulière aux groupes d'éducation populaire », le document poursuit en disant que « la réponse aux besoins maintes fois exprimés par les groupes populaires [...] passera nécessairement par la révision du cadre financier actuel, permettant de ce fait l'analyse et le réajustement des montants accordés » (p45).

Il faut croire que le constat que « depuis plus de dix ans » le MÉQ finance l'ÉPA est une malheureuse faute de frappe: en fait, le MÉQ finance l'ÉPA depuis 1971, d'abord dans le cadre du programme OVEP, et plus récemment dans le PSÉPA-PSAPA.

S'engageant à « maintenir le niveau de financement actuellement affecté à la formation continue », la ministre promet de « revoir le cadre financier actuel de l'éducation populaire ». Puisque le financement peut être revu autant à la baisse qu'à la hausse, il est décevant de ne pas avoir un engagement plus ferme.10 D'autant plus que le document ministériel, en parlant de revoir le cadre financier ajoute plus aux rumeurs touchant le renouvellement du programme qu'il permet d'y voir clairement les intentions ministérielles

3. L'alphabétisation, l'alpha pop et l'éducation populaire ...

Tant sur le plan du financement que sur le plan politique, Vers une politiquede formationcontinue accorde une place prioritaire à l'alphabétisation. C'est d'ailleurs le seul domaine ou la ministre propose de fixer des cibles. A cet effet, elle prend un engagement ministériel de « doubler, d'ici l'an 2002, le nombre de personnes inscrites aux activités de formation [en alpha]. Cela représente un objectif approximatif de... 8,000 (actuellement 4,000) personnes [recevant des services offerts] par les groupes d'alphabétisation populaire. » (p 26).

Si le recrutement est un problème récurrent pour les groupes d'alpha , un point de litige même entre le réseau institutionnel et le réseau populaire en alpha, il est difficile d'imaginer comment on puisse rapidement, d'ici l'an 2002, doubler le nombre de personnes qui s'inscrivent dans une démarche d'alphabétisation. A moins que l'on veuille les forcer. À cet égard, il faut peut -être se méfier de l'interpellation faite à la ministre de l'Emploi et de Solidarité de tenir compte des besoins de la population en matière de l'alphabétisation « dans le cadre des mesures d'employabilité » (p 26). Un tel appel va de pair avec la tendance inquiétante du document ministériel de relier plus étroitement les besoins en alpha à ceux de l'intégration des personnes au marché du travail. D'ailleurs, «... il ne faut pas opposer le processus d'intégration au marché du travail et celui de l'alphabétisation, mais plutôt chercher des formules mixtes qui permettent de joindre harmonieusement ces deux aspects complémentaires. » (p 26)

De même, on note la tendance ministérielle de vouloir lier davantage l'éducation populaire au domaine de l'alphabétisation. Celle-ci est évidente dans plusieurs des engagements ministériels, notamment celui de vouloir « intégrer des objectifs de prévention de l'analphabétisme [...] dans les programmes de soutien de l'alphabétisation populaire et d'éducation populaire...(p.25); celui « d'offrir au personnel [...] des groupes d'éducation populaire des activités favorisant la mise en oeuvre de programmes de prévention à l'intention des familles... » (p 25); et celui « d'accroître les actions [en alphabétisation] en milieu de travail en collaboration avec...les groupes d'éducation populaire » (p 26). Tout en accueillant positivement la volonté de la ministre de s'adresser en priorité aux besoins des personnes analphabètes, il faut s'assurer que cette priorité ministérielle ne déteint pas sur l'autonomie des groupes subventionnés dans le programme d'éducation populaire autonome.

Le texte qui suit est issu d'une rencontre du 2 avril 1998 du Comité conjoint sur l'éducation populaire11, lequel est composé de Robert Bisaillon, sous-ministre adjoint, Alain Mercier, directeur de la DFGA (MÉQ), et des représentants du MÉPACQ, de la Table des fédérations et organismes nationaux en ÉPA, du RGPAQ et du ROVEP. Il faut croire que ce texte a reçu l'assentiment de la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, puisque le MÉQ nous a dit qu'il était la condition sine qua non d'un engagement public de la ministre vis-à-vis la reconnaissance de l'éducation populaire dans la Politique de formation continue. Suite à une consultation des instances appropriées au sein de chaque regroupement, les représentants nationaux au Comité conjoint l'ont approuvé comme base d'un engagement ministériel de reconnaissance.

Ceci dit, plusieurs lacunes sont évidentes. On note l'absence de référence à l'éducation populaire autonome; on ne retrouve aucune définition de l'ÉPA; l'insistance d'un « lien direct » entre le MÉQ et chaque groupe subventionné indique la volonté du MÉQ de mettre fin au fonctionnement des Tables régionales de l'Outaouais et de Québec; on passe outre l'importance de l'action collective découlant d'une démarche d'EPA dans le processus de « transformation sociale »;

Le MÉPACQ compte revenir sur tous ces points dans le mémoire qu'il prépare pour la consultation nationale. Et nous vous rappelons l'invitation à votre organisme de faire pareil pour défendre votre point de vue. Contactez votre Table régionale ou le MÉPACQ pour plus de détails sur la consultation.

RECONNAISSANCE DU RÔLE ÉDUCATIF DES GROUPES D'ÉDUCATION POPULAIRE

Proposition du Comité conjoint sur l'éducation populaire

I. Le ministère de l'Éducation reconnaît le rôle éducatif des groupes d'éducation populaire qui répondent à l'ensemble des critères suivants:

  • Ce sont des corporations sans but lucratif ou des corporations formées en coopératives, issues de la communautés et dirigées par leurs membres suivant des règles démocratiques.
  • La mission inscrite à leur charte comporte des objets éducatifs
  • Ils réalisent, dans un cadre non institutionnel, des activités éducatives visant la participation d'adultes ou groupes d'adultes à une démarche qui poursuit des objectifs suivants:
  • favoriser l'acquisition de connaissances, habiletés et attitudes liées à leurs besoins, une plus grande autonomie et la prise en main de leurs conditions de vie et de celles de leur milieu;
  • permettre aux personnes et aux groupes de jouer, de manière active et critique, leur rôle de citoyens et de citoyennes. Ils exercent leur autonomie en déterminant librement leur mission, leurs orientations, leurs objectifs et leurs pratiques, ainsi que leurs règles et nonnes de régie interne.
  • Ils peuvent avoir un champ d'action local, régional ou national.

II. Le ministère de l'Éducation, sans reconduire intégralement les programmes actuels, soutiendra les groupes d'éducation populaire:

  • Par une participation, dans une proportion et selon des modalités qu'il reste à définir, au financement sur une base triennale:
  • de leurs activités éducatives;
  • des activités éducatives et du fonctionnement des groupes d'alphabétisation populaire;
  • des activités de représentation des regroupements nationaux d'éducation populaire reconnus comme tels par leurs membres.
  • Par une amélioration des conditions de financement actuelles.
  • Par le maintien d'un lien direct avec chaque groupe d'éducation populaire subventionné.
  • Par la mise en place de mécanismes consultatifs appropriés.
  • Par l'établissement de critères favorisant la reconnaissance, dans son réseau institutionnel, des habiletés et compétences acquises par les adultes dans les groupes d'éducation populaire.

III. Les groupes d'éducation populaire subventionnés devront:

  • Réaliser des activités éducatives liées à leur mission et selon les objectifs énoncés plus haut.
  • Adopter une démarche éducative complète, présentant des besoins à combler et comprenant des objectifs, des moyens et des évaluations
  • Accepter le principe d'imputabilité par la reddition de comptes en ce qui concerne les subventions qui leur auront été versées

IV. La reconnaissance se traduira par l'inclusion dans une loi du rôle éducatif assumé par les groupes d'éducation populaire. La loi affirmera, de plus, l'autonomie des groupes en ce qui concerne leurs pratiques et la gestion de leur organisme.

NOTES

1 D'entrée enjeu vous constaterez que le document ministériel n'est pas, en soi. une politique de formation continue. Vers une politique laisse entendre qu'il reste encore des étapes à franchir avant d'arriver à !a Terre Promise...
2 Tous les groupes Financés par le PSÉPA ont normalement reçu, au cours de l'été, un exemplaire du document.
3 Une analyse plus complète est disponible à l'Institut canadien de l'éducation des adultes (ICÉA) qui tient d'ailleurs une journée d'étude sur le projet de politique vendredi le 1 octobre 1998 à Montréal. Pour le rejoindre: 1-514-948-2044 Le MÉPACQ a également produit un document de travail plus détaillé que vous pouvez avoir en contactant votre Table régionale
4 Cette faiblesse s'explique, peut-être, par le fait que tous les travaux préparatoires du Chantier sur la formation continue se sont déroulés en « vase clos ». Malgré les demandes répétées du milieu de l'éducation des adultes, il n'y a jamais eu ni production de rapport d'étape, ni constitution d'une Table sectorielle qui aurait pu intervenir en cours de route pour appuyer, influencer ou réorienter la direction des travaux.
5 Sur ce point, il vaut la peine de revoir le document « Orientations et objectifs gouvernementaux », déposé au Comité externe du Chantier sur la formation continue et disponible à votre Table régionale.
6 Tout comme la Proposition du comité conjoint, le document ministériel ne fait jamais référence à l'éducation populaire autonome (ÉPA).
7 Alors que le MÉPACQ revendique que 1,5% du budget total du MÉQ soit consacré à l'ÉPA
8 À cet égard, soulignons l'affirmation que « des efforts particuliers s'imposent » pour étendre la formation à distance à l'éducation populaire ». C'est la seule mention dans le texte ministériel qui ne fournit pas d'autre indication sur ce que cela veut dire...
9 À partir du chapitre 3, le projet de politique détaille deux sortes de pistes d'action. D'une part, on retrouve des engagements ministériels, liant le MÉQ; d'autre part, on retrouve des éléments pour une politique gouvernementale qui sont des points de discussion exigeant la collaboration de d'autres ministères ou organismes
10 Dans la Proposition du comité conjoint, le MÉQ s'engage à améliorer les conditions de financement.
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