Présentation de la démarche de consultation

Une consultation a été menée, au cours de l'hiver '81, par les membres du comité mouvement populaire du CFP., auprès de militantes et de militants d'organisations populaires. Cette consultation avait un double objectif. Nous voulions débattre avec les militant-e-s des pistes d'analyse et des hypothèses contenues dans le document de travail produit par le comité et intitulé Mouvement populaire: éléments pour un bilan des luttes(avril '80). Nous voulions aussi entreprendre une enquête militante sur la situation actuelle des organisations populaires concernant les rapports à l'Etat, la démocratie, les jonctions avec le mouvement syndical, etc. Les invitations à participer à la consultation ont été faites sur la base des contacts qu'avaient les membres du comité, soit à des groupes, soit à des individus.

Préalablement aux rencontres de consultation, nous avions remis aux participant-e-s une grille de questions à partir desquelles nous souhaitions pouvoir enclencher les discussions. Ces discussions se sont faites dans le cadre de rencontres d'une soirée.

La consultation a été menée auprès de 50 militant-e-s.La moitié des participants sont impliqué-e-s soit à l'ADDS (15 militant-e-s) soit dans différentes organisations de la région de Joliette (10 militant-e-s provenant de l'ACEF de la Caisse d'Entre-aide, du comptoir alimentaire, du CRI, de la troupe de théâtre La Grosse Valise). Les autres militant-e-s rencontré-e-s sont impliqué-e-s à Montréal dans différents groupes : Mouvement d'Action Chômage, Regroupement des Garderies du Québec, Temps Fou, comptoirs alimentaires, FRAPRU, Comité logement et service populaire d'habitation Rosemont, Service d'Aménagement Populaire.

les 2/3 des participants avaient pris connaissance du document de travail avant les rencontres et nous ont fait part de leurs commentaires. Pour différentes raisons, leurs intérêts face au texte était mitigé. Texte difficile à lire et dans lequel il manque des exemples concrets et des éléments de référence, il mystifie la réalité des groupes parce qu'il réfère aux discours des militant-e-s plutôt qu'à leur pratique, on y retrouve une analyse superficielle des interventions des militants ML. Par ailleurs, les militant-e-s ont souligné des aspects qui mériteraient d'être clarifiés ou corrigés et ont émis leur opinion sur certaines des hypothèses avancées. Parmi les aspects méritant clarification ou correction, mentionnons entre autres: ajouts, d'éléments d'histoire des groupes dans les tableaux de périodisation; clarification à apporter quant au rôle de l'Etat et à son évolution, nuances ou corrections quant au type d'intervention et au rôle joué par les militants ML dans les organisations. Enfin, la moitié des participants ont estimé que la rencontre avait été davantage une occasion de raconter leur expérience qu'un moment privilégié pour identifier les moyens de surmonter les principales difficultés auxquelles elles/ils ont à faire face actuellement.

Dans près de la moitié des rencontres touchant environ 2/3 de l'ensemble des participant-e-s, le questionnaire n'a pu être systématiquement utilisé, soit parce que les militant-e-s n'avaient pas pu prendre connaissance du texte ou du questionnaire, soit qu'elles/ils aient préféré entamer la discussion sur l'évolution de leur groupe à partir des tableaux de périodisation, soit qu'elles ils aient préféré réagir de façon générale au texte ou qu'elles/ils aient plutôt retenu un aspect particulier.

Pour ces raisons, il était difficile d'envisager que la synthèse puisse rendre dompte des éléments de bilan, des analyses, des questionnements et de l'état de la situation propres à chaque groupe ou secteur. Nous avons plutôt choisi de regrouper les réflexions et les questionnements par thème ou sujet , espérant qu'un tel document stimule la réflexion et la discussion.

1 Les rapports à l'État

Plusieurs militant-e-s rencontré-e-s ont exprimé des inquiétudes quant au développement des rapports entre les organisations populaires et l'Etat. "Au début des années '60, l'Etat était moins présent... ses interventions se sont ramifiées et nos luttes sont devenues plus défensives. .."

Une période importante : 1970-1975

Comme éléments descriptifs de ces nouvelles interventions de l'Etat sur le terrain des groupes populaires, on mentionne pour les années '7O-'75, les P.I.L. (projets d'initiative locale) qui ont créé une stabilité illusoire et surtout, on souligne la prise en charge par l'Etat de certains secteurs où Intervenaient auparavant des groupes populaires (ex: les cliniques populaires de santé avec la création des C.L.S.C, et des cliniques populaires d'aide juridiques avec la mise sur pied des services d'aide juridiques). Certain-e-s estiment que ce dernier processus consititue un gain: "On était d'accord que l'Etat prenne en main certaines affaires, ça faisait partie d'une nouvelle vision de l'Etat qui dit avoir un rôle de distribution et de reconnaissance des droits sociaux".

Par ailleurs d'autres qualifient ce processus comme en étant un de récupération; "Il s'agit d'un processus de structuration de la technocratie aboutissant avec le P.Q. à la perfection des moyens de récupérations des organisations populaires".

Tout en étant un acquis de nos luttes, la prise en charge de certains problèmes sociaux ou la reconnaissance élargie des droits sociaux par l'Etat aurait eu aussi pour effet de rendre nos luttes plus défensives... Comment? Qu'en est-il exactement?

Un autre trait de cette période est la lutte que mène les organisations pour que leurs services soient financés par les fonds publics. A titre d'exemple, la lutte de S.O.S. Garderie: elle est très importante, notamment par les alliances nouvelles qu'elle a suscitées entre différentes organisations entre autres et surtout entre les organisations populaires et syndicales. Suite à ces luttes plusieurs groupes seront partiellement subventionnés par l'Etat.

Le P.Q. :1976 et après

L'arrivée au pouvoir du P.Q. suscite chez beaucoup d'éléments actifs des organisations populaires un peu ou beaucoup d'espoir. Le P.Q., en tant que parti proposant une nouvelle vision de l'Etat avait d'abord réussi à stimuler des solidarités dans plusieurs quartiers.

Très vite le P.Q. est mis et nous met devant ses limites. On assiste à des coupures ou à des restrictions de plus en plus nombreuses dans le secteur des affaires sociales et de l'éducation, ce qui aura des incidences directes sur les subventions que les organisations pourront ou non obtenir des différents ministères. De plus cela aura pour effet de menacer les acquis sur le front de la reconnaissance des droits sociaux. Sur le terrain des garderies par exemple, le P.Q.. n'est pas beaucoup plus généreux au niveau des subventions que le gouvernement précédent: quelques grenailles de plus pour permettre le démarrage de garderies et l'achat d'équipement.

En même temps, il développe un type d'intervention différent: non seulement sur le terrain des garderies, mais aussi sur le terrain du logement, de la consommation, etc, il adopte des lois cadres qui ont pour effet de restructurer les principaux terrains de luttes.

Ainsi les organisations se voient coincées sur le terrain de leur survie financière et du contrôle de leur organisation. Il devient plus difficile pour les organisations de définir leurs revendications et leurs actions à partir des besoins et aspirations du monde plutôt qu'à partir des réponses que donnent l'Etat par le biais de ses lois. Il devient plus compliqué d'identifier des enjeux compte tenu de la complexité grandissante des législations et dés interventions de l'Etat; cela rend plus difficile une participation large des éléments actifs à la discussion et à la définition des revendications. Il devient aussi plus difficile de développer des organisations autonomes alors que l'Etat s'installe sur nos terrains avec ses propres structures organisationnelles (ex: le Regroupement des garderies vs l'Office de garde). Enfin la difficulté est de plus en plus grande d'obtenir de l'argent de l'Etat via ses différents ministères qui redistribuent autrement les subventions. Par ailleurs, avec l'intervention massive de l'Etat on assiste au niveau de certains groupes

populaires au développement d'un syndicalisme. Dans le cas des garderies, la syndicalisation a pour objectif de consolider l'autonomie du réseau des Garderies Populaires. Un des moyens envisagés pour réaliser cet objectif, c'est le développement d'alliance entre les travailleurs-euses du réseau privé et du réseau des garderies populaires.

La lutte pour notre autonomie dans cette situation nouvelle devra revêtir des conditions nouvelles... Lesquelles?

L'effet du financement par l'État sur nos pratiques

Plus fondamentalement, ce qui inquiètent les militant-e-s rencontré-e-s quand elles/ils parlent des rapports de leur organisation à l'Etat, c'est la capacité qu'elle aura de rester autonome vis-à-vis l'offensive de plus en plus structurée de l'Etat. Conséquemment, la question qui est posée est celle des conditions à développer pour assurer l'autonomie. A ce niveau, la question de financement semble particulièrement préoccuper les militant-e-s. Quel type de financement va le plus favoriser notre autonomie vis-à-vis de l'Etat ? Le fait que l'Etat nous subventionne lui a donné un plus grand contrôle sur nos organisations. De plus, "l'intervention de l'Etat par le financement institutionnalise le travail sur les conditions de vie auparavant fait de façon militante (ex. G.R.T.H.) Ensuite il devient impossible de retourner au militantisme quant le financement est retiré". Ces réflexions posent de toute évidence le problème des effets du financement par l'Etat sur les pratiques de nos organisations. Par ailleurs, plusieurs mettent l'accent sur une autre perspective, à savoir celle du droit démocratique que constitue le financement d'un service public par les fonds par les fonds publics. A ce titre on ne trouve pas contradictoire de revendiquer le financement à l'Etat d'une part, et de le contester d'autre part.

Donc l'appareil d'Etat apparaît de plus en plus complexe et ses multiples interventions modifient nos conditions de lutte. Par ailleurs, nous savons par expérience que les luttes que nous menons peuvent avoir des effets sur ces interventions: elles tiennent parfois compte partiellement des revendications que nous mettons de l'avant.

Cependant, la majorité d'entre nous avons encore beaucoup de mal à saisir l'ensemble des pièces du casse-tête quant aux interventions de l'Etat et à l'effet réel que nos luttes ont sur elles. Nous pouvons dire que cette difficulté renvoie en bonne partie à l'ensemble de nos propres pratiques.

Dans la deuxième partie de synthèse nous aborderons donc les éléments de bilan que le militant-e-s consulté-e-s ont dégagés relativement à la manière qu'elles/ils ont eu d'envisager et d'organiser l'ensemble de leur pratique.

2. L'organisation de nos luttes et l'état de la situation dans nos groupes

Comment nous sommes-nous organisé-e-s pour mener nos luttes?

Des regroupements sectoriels provinciaux et/ou régionaux (ex.: garderies, comptoirs alimentaires, logement/aménagement) ont été mis sur pied au cours des dernières années. Par la mise sur pied de ces regroupements, on visait à additionner nos forces; ceci d'abord pour préserver nos acquis et s'assurer que nos luttes auraient des effets (ex.: dans le secteur des garderies, mise sur pied du CLGP 1 en '68 sous la menace des coupures des P.I.L; de S.O.S. Garderies en '74 pour obtenir des allocations de fonds).. Ensuite ces regroupements sectoriels semblent s'être développés soit comme réponse au développement de l'appareil d'Etat (ex.: dans le secteur des comptoirs alimentaires, la mise suspied de la FMCA comme réponse à la croissante rationalisation du mouvement coopératif), soit sur la base de revendications précises (ex.: dans le secteur du logement, le R.G.L. a regroupé, des associations de locataires et des comités logement afin de lutter pour l'obtention du gel des loyers). Enfin, des coalitions se sont développées suite à un processus de mise en commun des réflexions et des revendications de différents groupes (ex.: FRAPRU en '76). Sur la base des quartiers, il semble s'être développé surtout deux modes de jonction: des alliances conjoncturelles entre groupes à partir de demandes d'appui ou encore des liaisons plus ou moins développées pour faire circuler les informations, échanger des services. Cela a contribué dans certains quartiers au développement de réseaux de militant-e-s.

Depuis l'expérience du FRAP, il ne semble plus s'être développé à Montréal de regroupement régionaux Intel-sectoriels. Là encore, on assiste davantage, plus particulièrement depuis un an ou deux au développement de liaisons entre groupes; elles sont initiées par des organisations (ex.: le MAC, l'ACEF-Mtl) qui tentent, par ce biais, de surmonter les difficultés d'élargir l'action et les perspectives inhérentes au fait d'intervenir sur un problème particulier (ex.: le chômage, la consommation). A Joliette, s'il n'existe pas à proprement parler de regroupement régional inter-sectoriel, un réseau de militants provenant de différents groupes (ACEF, Caisse d'entre-aide, comptoir, théâtre la Grosse Valise) s'est structuré peu à peu ces dernières années.

Aucune des expériences de liaisons entre groupes intervenant dans différents secteurs, parmi celles mentionnées plus haut, ne s'est par ailleurs développée à partir d'un projet de revendications communes contrairement aux regroupements sectoriels provinciaux.

Évolution des conceptions politiques au sein des regroupements.

Les regroupements avaient et ont encore pour objectif, entre autre, l'addition des forces,pour mieux lutter contre les interventions de l'Etat. En ce sens, ils ont un caractère politique.

Ils se sont développés à l'intérieur de périodes différentes, au cours desquelles non seulement l'appareil d'Etat et la conjoncture se transformaient mais où la compréhension et la lecture de ces transformations que faisaient les militant-e-s évoluaient elles aussi, mais évidemment pas de façon homogène. Les points de vue sur la réalité étaient différents et différentes conceptions se sont développées et affrontées quant aux moyens les plus adéquats à prendre pour transformer cette réalité et quant aux perspectives des luttes à mener.

Nous avons dit précédemment en quoi le P.Q. a pu stimuler des solidarités et comment, assez rapidement, la majorité des militant-e-s ont été désenchanté-s-s et ont perdu leurs illusions face à ce parti. En situation de vide politique, la montée d'organisations politiques comme La Ligue et En Lutte! s'est présentée comme une réponse. Une gauche "indépendante" tentait de se développer

aussi, mais n'a pas pu présenter de réponse articulée, il y eu des affrontements entre différentes factions de militant-e-s au sein de plusieurs regroupements (ex.: comptoirs,, garderies) qui ont abouti à des scissions ou à des expulsions. Ces affrontements ont porté, sur les stratégies mises de l'avant par les militants m-l (stratégie d'affrontement à l'Etat, lutte classe contre classe.) et sur des principes organisationnels (le centralisme démocratique). La nature des débats que cela entraînait au sein des regroupements de même que la formule de délégation que cela impliquait ont eu pour effet, selon certain-e-s militant-e-s 1} de désintéresser et d'exclure des instances décisionnelles des regroupements les militant-e-s issu-e-s des classes populaires; 2) d'inciter les militant-e-s à se replier dans leur groupe. Dans ce sens certain-e-s_ évaluent le localisme comme étant une réponse politique en l'absence de consensus au sein des regroupements. Pour d'autres, le localisme a constitué pour l'essentiel une réponse aux luttes de pouvoir entre militant-e-s intellectuel-le-s de différentes tendances au sein des regroupements..

Depuis un an ou deux, le contexte politique semble se transformer à l'intérieur des regroupements et au niveau des rapports entre des regroupements issus de scissions (ex.: RGQ et SOS, ADDS et OPDS). Pour plusieurs, les stratégies des militant-e-s m-l se modifient, pour certains autres il ne s'agit que de tactiques. Dans l'ensemble, les rapports entre militant-e-s se référant à différen±s courants politiques semblent pouvoir se développer à nouveau à partir de l'élaboration d'objectifs de lutte plutôt qu'à partir de débats idéologiques. Cependant, chez certain-e-s, des résistances ou des interrogations persistent face aux possibilités réelles de nouveaux rapprochements; cela renvoie autant à l'histoire récente des crises au sein des regroupements qu'à des doutes quant aux possibilités de mis en commun, vu non seulement les différences, mais aussi les divergences entre les courants en présence. Enfin, ces nouveaux rapports politiques, quand ils existent, semblent favoriser chez certain-e-s militant-e-s qui s'étaient démarqué-e-s du marxisme-léninisme une réappropriation de leurs acquis, une évaluation de leur propre pratique et de leur insuffisance politique et un désir de redéfinir de nouvelles perspectives sur la base de ce bilan qui n'est qu'amorcé.

Qu'en est-il dans nos groupes ?

Si les regroupements ont vécu des crises d'orientation politique auxquelles se sont articulées des crises de démocratisation, beaucoup de groupes quant à eux sont actuellement aux prises avec des problèmes d'orientation des pratiques, de démobilisation et de survie.

Tout d'abord, comment caractériser nos groupes ?

Il est difficile de dire si ces difficultés sont vécues de façon plus aiguës dans des secteurs particuliers. Pour tenter de comprendre la situation, des militant-e-s rencontré-e-s ont plutôt chercher à caractériser les groupes qui existent; on ne peut pour le moment en dégager des conclusions. Il y a des groupes qui ont pour fonction de produire des Idées et/ou de les véhiculer (ex.: 1e CFP, les média communautaires, les groupes culturels) d'autres qui offrent des services (ex.: les comptoirs, les garderies, les comités logement et associations de locataires, le MAC, l'ACEF, etc). Ces groupes de services ont une base sociale ou n'en n'ont pas; (des militants évaluent que les groupes sont constitués actuellement de 15 à 20 militant-e-s). En regard de la composition sociale des éléments actifs au sein des groupes, certain-e-s militant-e-s ont questionné le concept de "groupe populaire": est-ce un mythe ou si cela traduit la réalité de la composition actuelle des groupes ? D'autres enfin caractérisent l'ensemble de ces groupes comme étant à différents niveaux, des manifestations de résistance au système capitaliste, d'où la difficulté de camper cette réalité en un bloc homogène.

Le service favorise-t-il l'élargissement de nos groupes et la mobilisation?

Concernant l'orientation des pratiques, les difficultés soulevées renvoient au rapport entre les services offerts et les possibilités d'élargissement et de mobilisation que cette pratique permet. Pour certains le service peut être un frein à l'élargissement: par exempte, quand le groupe a été mis sur pied, à l'origine pour faire du dépannage, il est difficile de dépasser le cas à cas. D'autres évaluent que ce problème d'élargissement est lié à la qualité des services offerts. Pour d'autres, c'est la nature même du service offert qui une fois rendu ne semble pas stimuler chez les gens un désir de mobilisation (ex.: une fois les logements rénovés par le GRT, il est difficile de mobiliser les coopérateurs).

Enfin, pour certain-e-s, il y a la difficulté d'identifier à nouveau des enjeux mobilisateurs. Par exemple aux ADDS, il est difficile d'identifier un moyen de mobiliser qui soit aussi stimulant que le non-paiement de la taxe d'eau en '74. Pour d'autres, il y a la difficulté de dégager des revendications qui soient enracinées dans la réalité et qui correspondent aux aspirations des classes populaires.

Donc, les services offerts et les luttes engagées ne semblent pas toujours offrir des conditions propices à l'élargissement des groupes et à la mobilisation. Par ailleurs, elle incite davantage les militant-e-s soit à poursuivre, soit à entamer le débat sur les conditions qui permettraient à la fois aux services et aux luttes d'être plus mobilisateurs. La réflexion à faire semble d'autant plus urgente que le problème de la relève devient de plus en plus aiguë.

Les questions relatives à la démocratie

En général, les services ont été organisés et sont offerts par de jeunes militant-e-s intellectuel-le-s. Et ce sont ces dernier-e-s qui ont occupé et occupent encore des postes de permanent-e-s. Cela pose des difficultés à différents niveaux:

Au niveau de leur rôle politique:

Plusieurs trouvent qu'ils/elles ont souvent un contrôle trop grand sur les orientations de l'organisation, sur l'organisation du travail.. .D'autres trouvent tout à fait normal d'être intégré-e-s aux processus de décisions et estiment que toute structure de gestion devrait leur prévoir une place.

Au niveau de leurs conditions de travail:

Dans certaines organisations on assiste a un "turn over" rapide; on assiste à des démissions derrières lesquelles se retrouvent une remise en question des conditions de travail.

Pour résoudre ces dilemmes, certain-e-s mettent de Pavant la syndicalisation, d'autres la cogestion entre permanent-e-s et militant-e-s membres du C.A.

Pour certain-e-s l'application de l'une ou l'autre de ces solutions aura des effets différents sur l'ensemble de l'organisation suivant le degré actuel d'implication des usagers dans les groupes.

Relativement à l'appropriation des débats et de la direction politique par la base, toutes et tous constatent qu'entre les intentions et la réalité il y a une marge. Il est difficile de mobiliser les usager-e-s qui ont tendance à s'en tenir à la consommation du service. Et puis les conditions et les moyens mis en place pour stimuler cette implication sont encore peu satisfaisants; pour plusieurs, c'est parce qu'ils se sont élaborés selon des modèles qui favorisent des habiletés développées davantage chez des militant-e-s intellectuel-le-s (l'oral, l'écrit) et qui traduisent les valeurs culturelles de ces derniers. De plus les militant-e-s intellectuel-le-s ont le réflexe de stimuler l'implication de gens comme eux/elles; ceci aurait provoqué progressivement une modification dans la composition des éléments actifs des organisations. Cette situation incite certain-e-s militant-e-s à questionner les motivations réelles des militant-e-s intellectuel-le-s impliqué-e-s dans les groupes populaires.

D'autres raisons qui peuvent nous permettre de comprendre la situation actuelle

Face à la "désertion" des organisations populaires, des militant-e-s interrogent la façon qu'elles/ils ont eu de lire les enjeux qui se posent sur le terrain des conditions de vie. En général, on analyse les enjeux sans tenir compte du fait que "l'ennemi" est moins clairement défini que sur les lieux de travail, que les gens sont dispersés dans un quartier et que les groupes constituent des lieux où se tissent des liens de voisinage. Dans le même sens , d'autres militant-e-s trouvent important de cerner les acquis des expériences de nouveaux rapports sociaux qu'on a pu chercher à développer dans les groupes, par exemple au niveau de l'organisation du travail, du partage des tâches, des rapports femmes/hommes. D'autres militant-e-s estiment que cette situation de faiblesse n'est pas le propre du mouvement populaire mais qu'elle existe aussi actuellement dans le mouvement syndical. Plusieurs militant-e-s ont aussi parlé d'essoufflement créé par les débats des dernières années et aussi par le rythme et la charge de travail qui ne tiennent pas compte des énergies réelles. L'ensemble des militant-e-s ont aussi soulevé le problème de l'absence ou de la difficulté du renouvellement des perspectives puisque le "grand soir" c'est pas pour demain. Des militant-e-s s'interrogent par ailleurs sur le type de rôle politique qui peut être attribué aux organisations populaires.

Enfin, le problème du financement des groupes par différents ministères ou par Centraide semble absorber énormément de temps et d'énergie; non seulement il y a coupures mais on a aussi à faire face de plus en plus à la complexité administrative, à la bureaucratisation et aux restrictions imposées par la définition de nouveaux critères d'acceptation des demandes. Cela met en péril la survie des groupes, limite la possibilité d'échanges et de concertation en même temps que cela pose la nécessité de voir autrement le développement des groupes à la mobilisation, si par exemple, les coupures budgétaires devaient entraîner des coupures de postes de permanent-e-s.

Les jonctions avec le mouvement syndical

Dans le contexte actuel, déployer des efforts pour reconstruire ou développer des jonctions avec le mouvement syndical constitue une tâche pour ou moins importante suivant les secteurs ou les groupes. Et lorsque cette démarche est en cours, cela soulève bien sûr des interrogations.

Pour certain-e-s militant-e-s les difficultés à surmonter renvoient à la dissolution des "liens" qui ont pu exister à une période où le mouvement syndical était engagé sur le Deuxième Front; par ailleurs il ne s'agissait pas de liens structurels entre organismes, Pour d'autres, "Ses difficultés de jonctions renvoient aussi aux différences existant entre les organisations populaires et le mouvement syndical quant à leurs objectifs, leurs revendications, leur structuration, leur composition et leur état de développement respectifs.

La possibilité de développer de nouvelles, jonctions apparaît plus clairement quand ii y a luttes ou projet précis à réaliser: à titre d'exemple, via le processus de syndicalisation des travailleuses et travailleurs d'organisations populaires (ex.: garderies) ou via la démarche préparatoire su prochain Sommet Populaire. Le premier exemple donné a soulevé des questions quant aux possibilités réelles de concilier des tendances ou des perspectives différentes face à un objectif qu'ont les organisations populaires: le contrôle par les usager-e-s et les travaileur-euses. Quant au Sommet Populaire,, les opinions exprimées sont ambivalentes. D'une part, plusieurs militant-e-s en reconnaissent l'intérêt et l'importance, d'autre part on ne veut pas idéaliser le projet et ce pour différentes raisons. Des militant-e-s ont parlé de risques de récupération compte tenu entre autres, de la faiblesse ou de l'inexistence de liens entre organisations populaires qui se retrouvent face au mouvement syndical; d'ailleurs certains groupes ne conçoivent pas qu'ils font partie d'un mouvement populaire. Certain-e-s souhaitent mais se demandent aussi comment les organisations populaires vont pouvoir occuper la place et l'espace qui leur revient. Certain-e-s craignent que le leadership soit exercé uniquement par le Conseil Central. D'autres s'interrogent sur la participation des syndicats locaux ou encore sur la démarche elle-même et ses résultats: des militant-e-s espèrent que le Sommet Populaire ne constituera pas simplement un exercice pour développer un cahier de revendications sur les conditions de vie sans reposer sur une mobilisation de la base.

3. En guise de conclusion: des pistes de solutions aux principaux défis actuels

Par rapport aux éléments de bilan formulés précédemment, voyons maintenant quels sont, selon les militant-e-s, les principaux défis auxquels ont à faire face actuellement les organisations populaires. Pour la majorité des militant-e-s., ces défis renvoient au développement de la mobilisations à la formulation de perspectives, à l'autonomie financière des groupes.

Concernent le développement de la mobilisations. les avis se ressemblent quant aux tâches qui sont prioritaires à l'étape actuelle: l'action n'est pas une panacée pour stimuler l'implication des usager-e-s dans les groupes, l'action pour l'action ne menant nulle part. Cependant on ne peut échapper à la nécessité de luttes à mener. Dans les secteurs des garderies, des GRT et aux ADDS, des revendications sont développées et des luttes sont déjà engagées -soit pour faire face aux coupures ou aux nouvelles interventions de l'Etat dans le domaine des politiques sociales, soit pour préserver les acquis et lutter contre l'intégration dans l'appareil d'Etat, soit pour exiger des programmes plus adéquats. Pour d'autres militant-e-s qui ne sont pas déjà engagé-e-s dans des luttes, il faut plutôt songer à mener des campagnes de sensibilisation dans le genre de celle qui a été organisée par le FRAPRU. Par ailleurs, se pose dans cette perspective aussi, la difficulté de formuler des revendications qui soient enracinées dans la réalité des usager-e-s. Pour d'autres, l'effort principal doit porter sur la consolidation des services. Enfin, d'autre militant-e-s estiment que l'accentuation de la crise provoquera des conditions favorables au développement de la mobilisation.

Des besoins de formation de tout ordre ont par ailleurs été formulés par l'ensemble des militant-e-s. Certain-e-s ont parlé de la nécessité de systématiser les acquis et de développer une méthodologie adéquate pour le faire. la plupart ont signifié l'importance de chercher à démystifier la neutralité de l'Etat auprès des usager-e-s, de mieux comprendre le rôle de l'Etat et le sens de ses interventions à la fois globalement et sur des questions spécifiques à chaque secteur (ex.: programmes, législations), de faire un portrait plus précis de ce qui marque la conjoncture actuelle (crise économique, chômage, inflation). D'autres ont aussi parlé de la nécessité de développer des Instruments pédagogiques notamment pour introduire de nouveaux/elles militant-e-s à l'histoire du mouvement populaire. Pour combler ces besoins, différents moyens ont été identifiés: on a parlé soit d'auto-formation assumée par les organisations, soit de mise en commun, au sein des regroupements, de ressources en vue de développer des cadres ou des outils de formation (ex.: ateliers de discussion, brochures), soit de production de documents, que pourrait assumer le CFP (ex.: rendre plus accessible le document de travail Mouvement populaire:éléments pour un bilan des luttes , produire des documents sur l'histoire du mouvement populaire, sur la crise économique actuelle).

Sur la question de la démocratisation des groupes, les militant-e-s nous ont fait part de solutions qui sont déjà appliquées ou tout au moins envisagées par les organisations: structures internes et clarification du rôle de chaque instance ou composante (A.G., C.A., comités, permanent-e-s). Cependant, de l'avis de la majorité, la formule-clé n'est pas encore trouvée et l'implication des usager-e-s n'est pas pour autant assurée.

Pour ce qui est du financement, des militant-e-s ont parlé de consolider la table des OVEP, de faire du financement un véritable front de lutte, de revendiquer la centralisation de subventions provenant de différentes sources, de diversifier les sources de financement malgré les contraintes administratives et bureaucratique que cela pose, de développer l'auto-financement de façon à ce qu'il soit aussi l'occasion de diffuser les outils d'analyse produits par les organisations (ex.: vente de brochures).

Concernant la participation active des organisations populaires au Sommet Populaire, des militants du GRT ont dit qu'il serait intéressant que le mouvement coopératif prépare un document sur la formule du logement coopératif afin de débattre, avec les syndiqué-e-s, du type de logement que les gens souhaitent.

Quant au perspectives plus générales du développement des organisations populaires et des luttes sur les conditions de vie, elles ne sont très claires pour personne. Quelques-uns avancent comme hypothèses le développement du syndicalisme de cadre de vie pour briser l'isolement des groupes et la sectorisation. D'autres envisagent des regroupements inter-sectoriels, sur la base des quartiers qui permettraient, en plus de briser l'isolement des groupes, de tenir compte, dans un ensemble, des différentes dimensions des conditions de vie. D'autres par ailleurs, privilégient le maintien des regroupements sectoriels qui existent déjà même s'ils sont spécifiques et fractionnés. Certains parlent d'une meilleure structuration des regroupements régionaux.

Plusieurs parlent de la nécessité de développer l'analyse et l'organisation politiques; par ailleurs, les militant-e-s ont aussi soulevé la difficulté d'entreprendre ces démarches collectivement en impliquant le plus de monde possible et de façon organique -en partant du travail concret fait par l'organisation. On parle de vide idéologique, d'absence de lieu pour réfléchir collectivement.

NOTES

1 Structure de coordination de la lutte des garderies populaires.

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