MÉMOIRE AU GOUVERNEMENT CANADIEN CONCERNANT LE PROJET DE LOI C-2, AMENDANT LA LOI RELATIVE AUX ENQUÊTES SUR LES COALITIONS

Janvier 1975

INTRODUCTION

La Fédération des ACEF, qui vous présente aujourd'hui ce mémoire, existe depuis 1965 et compte 13 constituantes autonomes dans les différentes régions du Québec. Carrefours coopératifs de divers organismes tels les mouvements sociaux, les syndicats et les caisses populaires, les ACEF regroupent près de 600 membres et travaillent principalement à la défense et à la protection des intérêts des consommateurs. Par son action quotidienne de dépannage et d'éducation dans le domaine de la consommation, le mouvement prétend à une connaissance profonde des principaux problèmes qui confrontent le consommateur et s'autorise ainsi le dialogue avec les pouvoirs publics. Plusieurs aspects du projet de loi C-2 touchent précisément ce domaine, et nous avons tenu à présenter aux parlementaires notre perception de la politique envisagée. Le projet de loi quant à plusieurs de ces aspects nous apparaît intéressant: nous désirons cependant soumettre certaines recommendations de modifications et nous croyons utile avant que de ce faire, de présenter certaines considérations que nous considérons fondamentales a la bonne compréhension de nos propositions .

Du consommateur roi . . .

L'homme est un être économiquement rationnel. C'est du moins ce que les tenants des schémas économiques classiques ont toujours tenté de nous faire croire. Le consommateur, dans ce contexte, pour peu que la vie économique moderne ait jamais ressemblé aux schémas de la théorie, devait être au centre de tout le système et en ordonner tant la croissance que l'équilibre.

Nous savons cependant que la réalité économique actuelle est tout autre. Non pas nécessairement que le consommateur n'ait plus de rôle à jouer dans le grand jeu économique. Sa fonction, loin d'être une quantité négligeable, est plus que jamais vitale. Mais, ce qu'on attend maintenant de lui est très différent du rôle que lui avaient assigné les économistes classiques. La fonction essentielle du consommateur est désormais, pour emprunter l'expression de André Chénicourt,1 de "consommer l'inflation".

Dans la société moderne, le consommateur accepte de payer de plus en plus cher pour des besoins certes essentiels mais inventés par des producteurs et présentés de façon à lui plaire. Les besoins physiques (manger, boire, dormir, se vêtir), qui ont longtemps dominé la demande du consommateur, n'ont évidemment pas disparu mais se sont transformés en supports de désirs plus vastes. Manger n'est plus nourrir sa faim mais affirmer son standing, son dynamisme, son modernisme. Les besoins naturels deviennent ainsi des désirs. Les produits sont achetés non plus pour satisfaire des besoins concrets mais la satisfaction combien trompeuse d'aspirations, par définition insatiables: la beauté, la jeunesse, la puissance, la réussite, le prestige... Et, ce sont ces aspirations profondes, ces désirs latents qui se cachent, grâce à des motivations inconscientes, sous une marque de détergent (M. Net), de lotion après barbe (Hi-Karaté), de voiture, d'essence (ne dit-on pas que l'énorme succès publicitaire de la campagne Esso, reposant sur la puissance du tigre, exploita le désir inconscient des consommateurs d'affirmer leur virilité?).

Volonté d'affirmer une certaine hiérarchie sociale» désir d'identification, crainte du non-conformisme,, sont autant de désirs qui déterminent le comportement d'achat du consommateur. Dans notre société moderne, le prestige matériel ne s'évalue-t-il pas aux dépenses faites qui sont la preuve de ce que l'on vaut? Dans une civilisation matérialiste, ce qui prime, n'est-ce pas d'abord et avant tout ce que l'on possède» puisque cela devient le signe de ce que l'on est?

Sur le plan social comme sur le plan humain, la dépense n'est-elle pas la forme d'affirmation et de manifestation la plus importante de l'individu dans notre société? En ce sens, la société de consommation est bel et bien une société d'inflation.

Et, si ce n'est pas encore assez, le crédit omniprésent permet d'augmenter les dépenses possibles» Avec de l'argent que l'on n'a pas, il devient possible d'acheter ce dont on n'a pas besoin! Est-il besoin de rappeler que le crédit a la consommation s'est accru de plus de 17% au Canada, de septembre 1973 à septembre 1974, le volume des créances actives per capita atteignant un nouveau sommet de $889.00 environ.

... au consommateur-objet

Mais alors, quelles sont les causes d'une telle situation? Comment le consommateur-roi des économistes classiques est-il devenu le consommateur-serf de la société post-industrielle? Essentiellement, par le fait que le consommateur n'est pas un agent économique mais un homme dont le comportement obéit aux motivations psychologiques et sociologiques qui gouvernent la nature humaine. Et, cet homme dans une société industrialisée et urbanisée est un être isolé, atomisé. Incompétent et mal informé, le consommateur est, à toute fin pratique, incapable de choisir rationnellement. Les producteurs ont rapidement compris cet état de fait. C'est pourquoi, entre les mains des grands spécialistes du marketing, le consommateur est un véritable objet. Ces derniers disposent, à cet effet, d'un arsenal de moyens dont l'un» et non le moindre est la publicité.

Mouler le consommateur aux stratégies qu'ils ont imaginées, écouler ce qui est produit en provoquant et maintenant chez le consommateur des besoins supérieurs aux biens disponibles, tels sont les objectifs des producteurs et a la poursuite desquels ils consacrent des sommes astronomiques. En 1954, les dépenses publicitaires, au Canada, atteignaient $398,843,452, soit $26.09 per capita. En 1967 ces mêmes dépenses passaient à $967,603,701, soit $47.48 per capita. En 1972, les dépenses publicitaires équivalaient à $1,665,000,000, soit $76.30 per capita.

Le conditionnement publicitaire n'est cependant que la partie visible de cet iceberg qu'est le marketing. La stratégie du désir commence, en fait, des la production. Il faut, en effet, déterminer le choix du besoin à satisfaire, les moyens pour y parvenir, la forme, la couleur, le nom, le prix et autres caractéristiques qui sont ou doivent être des motifs à acheter. Ainsi, General Motors dépensera plus d'argent à la mise au point, pour une de ses voitures, d'une serrure de portière qui fasse un "clic" agréable, donnant une impression de solidité, qu'elle n'en consacrera à tout le système de sécurité de la même voiture. Un simple changement de format peut assurer le succès d'un produit: passage du type moins coûteux à la bombeaérosol, pour la crème à raser. On pourrait multiplier les exemples à l'infini mais là n'est pas notre propos. Qu'il suffise de dire que tout comme la publicité, ces dépenses portant sur des caractéristiques futiles uniquement destinées à faire vendre, coûtent cher. Aux Etats-Unis, on estime les seules dépenses d'emballage et de présentation à $550 par famille, par année. A ces coûts s'ajoute le fait que la nécessité de constamment innover, en restreignant la période d'amortissement des coûts de production, contraint inévitablement à l'obligation de gaspiller.

Enfin, on pousse encore plus loin la manipulation du consommateur en mettant au point des techniques qui jouent directement sur les prix. Ce "prix psychologique" établi uniquement à partir de la psychologie de la demande et, en général, très au-dessus du prix qu'auraient dicté les coûts réels de production, permettra à un rouge à lèvres de connaître un succès de vente foudroyant, en multipliant par 6, le prix initialement prévu.

Une version encore plus raffinée que la technique du prix psychologique a été mise au point dans le cas où un monopole réel existe. Il s'agit de la "pseudo-concurrence"où on donnera au consommateur l'illusion du choix. Le consommateur se retrouvera alors dans la situation absurde où il hésitera longuement entre les mérites respectifs d'appareils électro-ménagers qui, sous habillage différent, sont parfaitement identiques. Mentionnons également à ce même effet les techniques de "copacking" des grandes chaînes d'alimentation récemment mises à jour par la presse montréalaise.

L'objectif réel de toutes ces techniques est donc d'imposer au consommateur les prix permettant les plus grands profits possibles sur un marché donné.

Cet objectif de l'accumulation du capital, qui est celui du système économique actuel a entraîné, avec la révolution industrielle, une modification profonde des schémas traditionnels d'échanges commerciaux. Aux simples mécanismes d'autrefois ont succédé des pratiques dont la rapidité et la complexité s'accentuent à un rythme tel, que peu de consommateurs peuvent encore se considérer avertis. Les législateurs commencent à comprendre que la partie qui contracte avec une machine distributrice ou le représentant aguerri d'une "multinationale" se trouve nettement désavantagé. On voit ainsi de plus en plus de gouvernements promulguer des mesures législatives nouvelles qui tendent à rétablir, entre les parties, l'équilibre vital à une véritable liberté contractuelle.

Ce furent d'abord des mesures substantives visant à régir la structure de l'environnement économique et incidemment le comportement général des corporations, comme l'a fait le gouvernement fédéral avec sa législation sur la concurrence, ou encore à réglementer les transactions particulières des individus avec ces agents comme l'ont fait plusieurs gouvernements provinciaux par leurs législations sur la protection du consommateur. Certains gouvernements provinciaux dont le Québec, ont dans cette même veine par des mesures procédurales parallèles, favorisé l'accessibilité des citoyens à la justice en créant les tribunaux des petites créances et en instituant un service d'aide juridique. Ces récentes améliorations sont importantes mais l'urgence de réformes plus radicales se fait de plus en plus sentir. Conscients des responsabilités constitutionnelles respectives des deux gouvernements, nous continuerons d'exiger de chacun d'eux des réformes législatives que nous jugeons nécessaires.

Les responsabilités fédérales, nous l'avons soulignés portent principalement sur la définition des structures fondamentales du marché» Son objectif primordial doit être de restaurer l'équité sur ce marché entre vendeurs et acheteurs. En deux mots, l'objectif premier du gouvernement fédéral doit être de confronter les forces monopolistiques, de freiner et de renverser la tendance à la concentration du pouvoir économique, sources importantes sinon fondamentales de l'inflation et de la crise économique actuelle. Une vigoureuse intervention en ces domaines est beaucoup plus urgente et attendue que celle portant sur les aspects somme toute relativement mineurs de la publicité frauduleuse et autres matières connexes couverts par le projet de loi actuel. En ce sens, nous nous sommes demandés, non sans une certaine ironie, si le ministre ne s'était pas trompé de priorité en faisant précéder la première phase de sa politique à la deuxième.

Il ne sera jamais suffisamment répété que la première préoccupation du consommateur est celle de pouvoir obtenir les biens et services nécessaires d'une qualité satisfaisante à un prix qui soit juste et raisonnable. La réglementation des pratiques publicitaires des "fly by nighters", à moins qu'elle ne soit accompagnée d'autres interventions à un niveau plus fondamental, ne restaurera pas chez le citoyen la nécessaire conviction que les règles gouvernant le fonctionnement des marchés sont justes et équitables. Nous disons donc aux membres de cette commission, et à travers eux à tous les parlementaires, que la présentation de l'autre volet de la politique canadienne sur la concurrence est devenue impérative et qu'elle doit être soumise à la discussion publique dans les plus brefs délais.

Nous sommes fermement convaincus que c'est là que réside la première responsabilité du gouvernement fédéral et nous ne pouvons que l'inciter à agir rapidement avant que la situation de la concurrence au Canada ne dégénère à un point tel que toute intervention soit devenue inefficace.

Projet de loi C-2

Quant au projet de loi sous étude, il nous semble, sous certaines réserves et quant à ses aspects substantifs, acceptable.

L'article 36

La plus importante de ces réserves concerne le libellé de l'article 36, Cet article, traitant de la publicité frauduleuse, devrait retrouver la formulation qui était sienne dans le projet de 1971. Les deux mots "sur un point important" ou "in a material way" ajoutés au projet devraient être retranchés et le paragraphe a) devrait se lire simplement comme suit: "donner au public des indications fausses ou trompeuses". Nous croyons en effet que les deux mots qui sont venus s'annexer au projet initial entraîneront des débats jurisprudentiels d'interprétation qui empêcheront à toutes fins pratiques l'utilisation efficace de l'article. Quant aux critiques des autres dispositions substantives du projet de loi, nous souscrivons à celles soumises par l'Association Canadienne des Consommateurs qui vous furent présentées en mai dernier.

Aspects procéduraux

Nous désirons plutôt insister sur les aspects procéduraux du projet, sur des propositions concrètes de mise en oeuvre et d'application efficace. Ce sont là nos sujets de prédilection, conscients que nous sommes qu'aucune politique, si bonne fut-elle, n'atteindra ses buts que dans la seule mesure où l'application en est assurée par des mesures appropriées. Ainsi, nous ne croyons pas que la tendance actuelle, tant au niveau fédéral que provincial, à la concentration des pouvoirs de poursuites tant civiles que pénales, entre les mains de fonctionnaires, d'agences ou d'officiers ne donne de résultats satisfaisants.

Un exemple: le Ministère Fédéral de la Consommation et des Corporations, chargé de l'application de la loi relative aux enquêtes sur les coalitions a reçu en 1971-1972, 2872 plaintes concernant la publicité frauduleuse. De ce nombre, 128 ont fait l'objet de poursuites dont 62 seulement ont réussi.2 Les raisons d'une telle inefficacité sont multiples. Premièrement, le chronique sous-équipement en ressources humaines et financières des organismes responsables. Nous en voulons pour preuve cette affirmation de l'ex-ministre Ron Basford, du ministère de la consommation et des corporations. lors de la présentation de mesures sur l'étiquetage inexact:3

" The minister admitted that the bill will be effective only if it is enforced, and even with their present duties, the department's 550 inspectors and personnel in the field are "snowed under". With the present budgetary restrictions, said Mr Basford, it's going to be a real dilemna garnering the money to hire more personnel to police the new laws".

Deuxièmement, ces mêmes organismes sont asservis aux milieux d'affaires ainsi que l'a confirmé récemment un rapport du Conseil Canadien de la Consommation:4

" Nous soutenons que les organismes de réglementation en général sont asservis aux industries ou autres intérêts d'affaires qu'ils sont censés réglementer".

A cette démonstration déjà claire, on peut également ajouter la possibilité souvent vérifiée que certaines actions soient freinées par d'autres éléments tels les pressions politiques et la lourdeur du fonctionnement bureaucratique.

Quoiqu'il en soit du travail des gouvernements dans ce domaine, nous croyons qu'il faut considérer comme absolument fondamentale la possibilité pour les citoyens-consommateurs d'assurer eux-mêmes la défense de leurs intérêts. Parce que les premiers concernés par les actes de leurs vendeurs, ce sont eux qui sont le plus en mesure d'en surveiller efficacement les agissements. A cet effet, voici quelques propositions concrètes.

Adoption immédiate de la procédure de l'action collective

Le projet de loi sous étude se propose, par son article 31, de permettre certaines poursuites civiles devant la Cour Fédérale du Canada pour en permettre à toute personne qui a subi une perte ou un préjudice par suite d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie V, de récupérer les sommes égales au montant de la perte ou du préjudice subis. Notre proposition est à l'effet d'introduire immédiatement dans le projet de loi une disposition permettant l'action collective. Rien ne justifie le retard dans l'adoption d'une telle mesure, d'autant plus que les matières couvertes par le projet de loi se prêtent particulièrement bien à une première tentative.

Nous vous transmettons d'ailleurs aujourd'hui les résultats d'une recherche fouillée sur l'actuelle procédure américaine, recherche à la fois descriptive et critique de ce qui est maintenant devenu une institution juridique fort importante chez nos voisins du sud. Ce document, préparé par le service juridique de notre organisme, a servi de document référentiel à la rédaction d'une série d'amendements au code de procédure civile québécois, amendements préparés en collaboration et présentés au gouvernement de la province par la Commission des Services Juridiques lors du dépôt de son premier rapport annuel en septembre 1974.

L'action collective, est-il besoin de le rappeler, est un mécanisme judiciaire qui permet à" une des deux parties présentes à un litige de combiner les ressources d'un certain nombre de personnes afin de permettre à cette partie de lutter efficacement contre un adversaire puissamment équipé.

L'avènement de nouvelles formes d'échanges commerciaux ont rendu fréquentes les situations où le consommateur isolé est fraudé par divers agents économiques. Combien en effet de sociétés ou de compagnies se font une pratique courante d'extorquer à une foule de citoyens des sommes dont elles savent fort bien que la maigreur élimine, à toutes fins pratiques, la possibilité de poursuites judiciaires. Combien sont-elles à piétiner les limites de la légalité tout en n'hésitant pas, quand leurs intérêts le commandent, à tomber dans une discrète illégalité, sachant très bien que la gène, la peur et l'ignorance de la majorité face aux mécanismes juridiques les mettent à l'abri de toute poursuite éventuelle.

Un commerçant fixe-t-il abusivement ses prix, lésant ainsi des centaines ou milliers de consommateurs de quelques dollars chacun, que peu d'acheteurs songeront même à l'hypothèse de tenter d'obtenir justice par la voie des tribunaux. Cette abstention s'explique. L'ampleur et la complexité des opérations commerciales imposerait au réclamant un fardeau de preuve démesuré, compte tenu de la valeur de sa réclamation. "No one bilked out of fifty dollars is going to pay a lawyer to get his money back" écrivait un auteur américain et c'est l'évidence même. Offrons-lui, par contre, la possibilité de s'unir à un groupe de personnes, placées dans une situation semblable, et les perspectives seront peut-être différentes. L'action collective américaine, telle qu'elle existe actuellement, permet à certains membres d'un groupe de personnes ayant une cause d'action semblable et qui ne peuvent, pratiquement, ni se rejoindre, ni rester seuls, d'intenter une poursuite au nom de tout le groupe. Les avantages d'une telle possibilité sont indéniables. Au niveau de la pure justice, elle permet l'actualisation du sacro-saint et fondamental principe de la responsabilité d'une personne pour les dommages qu'elle cause à autrui. Au niveau économique, elle rend possible la division des frais. Au niveau psychologique et social, la revalorisation d'un citoyen atomisé et démuni face au fonctionnement sans cesse accéléré des institutions qui l'entourent.

L'adoption immédiate par le gouvernement fédéral de ce nouveau mécanisme aurait sans aucun doute un effet d'entraînement important au niveau des législations provinciales. L'exemple américain est à cet égard intéressant. En effet, suite à l'adoption par l'état central d'une nouvelle mesure en 1966, plusieurs états ont amendé leurs règles de procédure et plus ou moins copié le texte fédéral. Une certaine uniformité est ainsi, atteinte qui ne peut être que bénéfique. Une semblable démarche serait sans doute utile quand on sait l'urgence d'adapter les législations provinciales aux problèmes nouveaux qui affligent leurs juridictions.

Poursuites pénales privées

Un autre mécanisme que nous aimerions voir intégré au projet de loi et qui s'inscrit dans cette même tendance de récupération par les individus de pouvoirs de contrôle est la possibilité pour ceux-ci d'intenter eux-mêmes des poursuites pénales. Les dispositions de la partie XXIV du Code Criminel Canadien qui offrent la possibilité aux particuliers d'intenter des poursuites sommaires sont connues. Nous voudrions qu'en plus des prescriptions de l'article 7 prévoyant le dépôt de plaintes auprès du Directeur des enquêtes et recherches, soit permise la possibilité pour les individus de se constituer partie poursuivante dans les cas où le procureur général refuse ou néglige d'agir.

Un exemple de la très grande efficacité d'une telle mesure nous fut donné il y a quelques années par l'existence d'une disposition semblable dans la loi québécoise des produits agricoles et des aliments. Les règlements adoptés sous l'empire de cette loi prévoyaient l'obligation d'un étiquetage français sur les emballages alimentaires; la réglementation demeura inappliquée par le ministère jusqu'à ce que des individus plus curieux s'aperçoivent de leur droit d'entreprendre des poursuites. Il n'a alors suffi que de quelques poursuites pour que tous les intéressés se soumettent diligemment aux prescriptions de la loi.

En bref, notre message est le suivant: à une époque où l'Etat intervient de plus en plus souvent dans tous les secteurs de la vie économique et sociale par des réglementations de toutes sortes, souvent d'ailleurs bienvenues, il est essentiel que l'administration de toutes ces dispositions juridiques soit débureaucratisée et démocratisée, c'est-à-dire remise, dans la mesure du possible, aux citoyens qui sont quotidiennement sujets aux pratiques réglementées et qui, de ce fait, sont les plus compétents pour déceler les dérogations commises et assurer le respect de ses lois.

Publicité corrective

Mentionnons enfin en terminant, l'intérêt que nous portons aux nouvelles et efficaces mesures introduites aux Etats Unis par la Federal Trade Commission concernant la publicité corrective. Nous aimerions voir introduites dans le projet de loi des dispositions à cet effet.

RECOMMANDATIONS

En résumé, nos recommendations sont les suivantes :

  1. Que soit déposée et discutée dans les plus brefs délais la deuxième partie de la politique fédérale sur la concurrence.
  2. Que soit intégré dans le projet de loi le mécanisme de l'action collective.
  3. Que soit prévue dans le projet de loi la possibilité pour les citoyens d'intenter des poursuites pénales.
  4. Que soient institués des mécanismes obligeant les personnes trouvées coupables de dérogations aux dispositions de la loi sur la publicité frauduleuse à rétablir la vérité par une publicité corrective.

NOTES

1 Chénicourt, André, l'inflation ou l'anti-croissance, Editions HMH, Robert Laffont, Montréal, Paris, 1971.
2 Rapport du directeur des Enquêtes et Recherches, loi Relative aux Enquêtes sur les Coalitions, 31 mars 1972, page 54.
3 Cité par M.J. Tubilcock, Private Law Remedies for Misleading Advertising, p.3
4 Rapport sur l'Intérêt des Consommateurs dans les Offices et organismes de Réglementation, Conseil Canadien de la Consommation, Juin 1973.
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