« Mémoire sur la fiscalité présenté par 14 regroupements de groupes de femmes du Québec à la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics », Diane Matte, Maryse Perreault, 19 août 1996.

OSER CHOISIR ENSEMBLE LA SOLIDARITÉ

Table des matières


Les signataires

  • Association des collaboratrices et partenaires en affaire (ACPA)
  • Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFÉAS)
  • Conseil d'intervention et d'action pour les femmes au travail (CIAFT)
  • Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)
  • Fédération des femmes du Québec (FFQ)
  • Fédération des ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec (FRHFVDQ)
  • Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)
  • Naissance Renaissance
  • L'R des centres de femmes
  • Regroupement des centres de santé des femmes du Québec (RCSFQ)
  • Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale
  • Regroupement québécois des CALACS
  • Relais-femmes
  • Société Élisabeth Fry

Introduction

Le mouvement des femmes du Québec a manifesté, ces dernières années, un engagement indéfectible dans la lutte contre la pauvreté. Cet engagement tient évidemment à la situation économique des femmes qui, comme groupe, détiennent les plus hauts taux de pauvreté. Divers groupes de femmes oeuvrent au quotidien dans toutes les régions du Québec afin d'apporter du soutien et des solutions aux conséquences de cette pauvreté pour les femmes. Elles posent aussi des actions pour en contrer collectivement les causes : la Marche des femmes contre la pauvreté «Du pain et des roses» de 1995 et la vigile de cette année témoignent de la volonté de faire reconnaître l'ampleur du problème par la population et, surtout, d'exiger des gouvernements des actions concrètes et spécifiques pour améliorer les conditions de vie des femmes.

Nous réaffirmons cet engagement en participant à la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics. Comme bien d'autres organismes sociaux, les groupes de femmes réclament depuis longtemps une révision de la fiscalité. Il nous semble urgent de nous attarder plus particulièrement aux moyens dont l'État dispose pour accroître ses revenus. C'est pourquoi nous saluons avec la plus grande satisfaction la venue de cette commission tout en déplorant l'échéancier imposé pour un mandat de cette ampleur.

Dans une société démocratique, le gouvernement dispose des principaux outils permettant de réaliser les objectifs collectifs. Le régime fiscal ainsi que le programme de dépenses se doivent de refléter les valeurs d'une société. Pour le mouvement des femmes, ces valeurs se fondent sur la justice sociale, l'équité et la solidarité de même que sur la recherche de l'efficacité. À notre avis, les choix concernant la cueillette des recettes ainsi que les dépenses publiques doivent viser trois grands objectifs :

  • fournir des services fondamentaux auxquels tout citoyen doit avoir accès et qui ne peuvent pas être offerts efficacement et équitablement par le secteur privé : les services comme ceux de la santé, l'éducation, la préservation du patrimoine naturel et historique, etc.;
  • assurer un revenu de base à tout membre de la société, compte tenu du niveau de vie dont bénéficie la majorité des membres de cette société, et, de façon générale, promouvoir l'équité entre ses différentes composantes;
  • établir les règles du jeu et appliquer des politiques économiques et sociales de façon à assurer la pleine utilisation des ressources et le bon fonctionnement de l'économie ainsi que le respect de l'environnement.

Force nous est de constater que les gouvernements semblent se dégager peu à peu de ces trois responsabilités.

Notre mémoire témoigne de notre volonté d'éclairer le gouvernement sur les choix à faire en matière de fiscalité pour améliorer la situation économique des femmes en général et surtout, celle des plus démunies. Nous voulons indiquer des pistes de solution aux iniquités et à l'inefficacité actuellement générées par notre système fiscal. Pour ce faire, nous avons jugé essentiel, dans un premier temps, de dresser un portrait du contexte dans lequel cette commission prend place. De fait, cet examen de notre système fiscal et, de façon plus générale, toute la démarche qui précède et accompagne le Sommet socio-économique de l'automne, s'inscrit dans un contexte de crise des finances publiques qui a déjà donné lieu à des coupures dramatiques dans les dépenses de l'État. Sans vouloir nier l'ampleur de cette crise, nous tenons à faire valoir d'autres arguments et à proposer une vision autre que celle actuellement imposée par nos dirigeants et les médias. Nous voulons également donner la mesure de l'impact de cette vision monolithique et des choix qu'elle a amenés jusqu'à maintenant sur les conditions de vie des femmes et leur autonomie.

Nous nous attarderons, dans un deuxième temps, aux grands principes et critères qui, selon nous, devraient guider la réforme de notre système fiscal. Viennent ensuite des recommandations concernant les changements structurels à apporter afin de rendre notre système fiscal plus compréhensible, plus transparent, plus efficace et, surtout, plus équitable. Finalement, nous avons identifié des modifications cruciales à apporter pour les femmes et qui touchent la Sécurité du revenu, le soutien aux familles et la création d'emplois dans l'économie sociale. Il est évident que nous aurions préféré dresser une liste exhaustive de recommandations touchant l'ensemble des éléments du mandat de cette commission. Toutefois, les délais impartis nous forcent à prioriser les aspects qui, d'une part, revêtent un caractère d'urgence pour un pourcentage important de femmes et qui, d'autre part, ne seront sans doute abordés par personne d'autre que les représentantes du mouvement des femmes.


Quelques éléments de contexte

La crise des finances publiques au Canada et au Québec

Nous constatons qu'il y a, depuis quelques années, une crise concernant les dettes de nos gouvernements qui est entretenue par une grande partie de notre élite et qui contribue à mystifier le rôle des gouvernement et de leurs budgets.

Loin de prétendre qu'il n'y a aucun problème engendré par l'ampleur de notre dette, nous croyons tout de même qu'il est essentiel de permettre à l'ensemble de la population d'avoir l'information nécessaire pour porter son propre jugement. Si nous avons véritablement l'intention d'«oser choisir ensemble», il faut nous assurer de mettre toutes les cartes sur la table. Nous voulons donc ici rappeler certains faits concernant cette fameuse crise et contribuer à dégonfler certains mythes.

Le vrai visage de la dette

À en croire le discours constamment véhiculé par des économistes, banquiers, journalistes, politiciens, dirigeants patronaux et autres, nous nous sommes vautrés dans le confort de l'État-providence et de ses généreux programmes sociaux ou services publics et nous devons maintenant payer la note. Il n'y a rien de plus faux et de plus dangereux. En 1992, une étude de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), portant sur le pourcentage des dépenses sociales des pays en fonction de leur produit national brut, situait le Canada au neuvième rang derrière plusieurs pays européens mais à peine un cran au-dessus des États-Unis.

Diverses études, rarement citées, démontrent aussi que le gonflement de notre dette a surtout été occasionné par la politique de lutte contre l'inflation de la Banque du Canada qui commandait de hauts taux d'intérêt. De fait, le poste budgétaire qui a le plus augmenté dans les dix dernières années est le service de la dette.

Cette politique anti-inflationniste (toujours maintenue par la Banque centrale) a également eu pour effet de ralentir substantiellement l'économie canadienne et, par conséquent, l'économie québécoise qui accuse encore plus durement le coup. Ce ralentissement délibéré de la croissance économique, conjugué à la crise structurelle du travail, a pour conséquence de forts taux de chômage, poussant de plus en plus de personnes vers l'assistance financière de l'État et privant, du même coup, les gouvernements de recettes fiscales importantes. Voilà le vrai visage de la dette.

Les tenants du discours néo-libéral, prônant une forte diminution du rôle de l'État et portant aux nues les bienfaits d'un marché sans «obstacle» où survivent les plus performants, ont su mettre à profit cette crise de la dette pour justifier la remise en question du filet de sécurité sociale et du réseau des services publics que nous nous sommes donnés depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Au nom de cette crise, et en écho au discours néo-libéral, les gouvernements ont procédé depuis plusieurs années à des coupures systématiques dans les dépenses de programmes. Pourtant, il est clairement démontré que ces choix ont peu d'effet sur la dette (en dépit des coupures, elle grossit inlassablement). Par contre, ces coupures ont fortement contribué à appauvrir une partie de plus en plus grande de la population et ont créé des divisions sociales plus profondes. En outre, les mises à pied dans le secteur public ont, elles aussi, fait gonfler le taux de chômage et minent sérieusement la qualité et l'accessibilité des services publics.

Les femmes doublement perdantes

Cette vision monolithique, unilatérale, du problème de la dette et la compression des finances publiques qu'elle entraîne, a des effets dramatiques pour l'ensemble de la société québécoise et plus particulièrement pour les femmes. Rappelons que les programmes sociaux ont été créés afin de permettre à la majorité d'avoir accès à un soutien financier de dernier recours, à l'éducation, aux soins de santé, etc. Ce sont des moyens dont nous nous sommes dotés collectivement en donnant à l'État la responsabilité d'assurer la protection de l'ensemble des citoyens, citoyennes et de redistribuer la richesse. Ce faisant, nous avons élaboré un filet de sécurité dont les femmes ont été en grande partie les bénéficiaires. L'érosion graduelle de ce filet, combinée aux effets d'un système fiscal souvent incohérent et de moins en moins équitable, est d'autant plus préjudiciable aux femmes et à leur autonomie.

La première atteinte à cette autonomie découle, bien entendu, de l'insuffisance de leurs ressources financières. À cet effet, nous pensons qu'il n'est pas inutile de rappeler certains chiffres1 :

  • Les femmes représentent 60% des personnes pauvres.
  • Les familles monoparentales représentent 22% des familles avec enfants et 82% d'entre elles sont dirigées par des femmes.
  • Le taux de pauvreté des mères de moins de 65 ans responsables de familles monoparentales et ayant à leur charge des enfants de moins de 18 ans atteint 61,5%.
  • Près de la moitié des familles monoparentales dirigées par une femme bénéficient des prestations de la Sécurité du revenu et ce taux grimpe à 75% dans le cas de celles ayant à leur charge un ou des enfants de moins de 6 ans.
  • Parmi les familles monoparentales ayant à leur charge des enfants de moins de 6 ans, trois d'entre elles sur quatre sont prestataires de la Sécurité du revenu.
  • Les femmes responsables de famille monoparentale sont les plus pauvres parmi les plus pauvres: en 1992, leur revenu familial, comparativement aux autres types de ménages, était celui qui s'écartait le plus du seuil de pauvreté et le déficit était évalué, en moyenne, à près de 7 900,00$.

De plus, on observe, à tous les paliers de gouvernement, une tendance très nette à adopter des mesures qui, en plus de réduire leurs ressources, portent directement atteinte au droit même des femmes à l'autonomie. Les exemples sont de plus en plus nombreux où l'on renvoie les femmes à la charge d'un conjoint légal, de fait ou même présumé sans vérifier la situation réelle de ces femmes. Notons, entre autres, l'introduction du principe de test de revenu familial dans les nouvelles dispositions de la prestation aux aîné-e-s ou encore, la présomption de vie maritale pour les femmes prestataires de la Sécurité du revenu.

Par ailleurs, le discours entourant le virage ambulatoire, ainsi que d'autres réformes, ne peut faire oublier que l'on impute aux femmes la responsabilité de suppléer aux coupures dans les soins de santé et les services sociaux. En réalité, 80% des «aidants naturels» sont en fait des «aidantes naturelles». Déjà, beaucoup de femmes, particulièrement celles âgées de 45 à 64 ans, ont été obligées de renoncer à un emploi ou aux études, ou de les exercer à temps partiel afin de s'occuper des membres de la famille. Il s'agit d'un net recul pour les femmes sur les plans économique et social et, à plus long terme, il risque d'accroître le taux de pauvreté et les charges de l'État.

La vogue du discours sur «l'érosion de l'assistance mutuelle» nous inquiète également, pour les mêmes raisons : il s'agit en fait d'abandonner la mise en commun des ressources d'une société pour se doter de services publics efficients et de qualité au profit d'une vision nostalgique et idéalisée d'une époque où la prise en charge des démunis de toutes sortes incombait plus souvent qu'autrement aux femmes, sans rémunération, à l'intérieur du réseau familial ou des petites communautés. C'est, nous semble-t-il, un discours pernicieux qui renie le droit des femmes à une juste rémunération pour leur travail et à l'accès à l'égalité économique. L'assistance mutuelle ne s'impose pas, elle se donne en exemple. De même, le renforcement des valeurs familiales repose inextricablement sur le respect du principe de l'égalité des femmes et des hommes et du droit des femmes à l'autonomie financière. Ainsi, la solidarité sociale à laquelle nous faisons appel tient pour acquis que l'État se doit d'assumer une responsabilité fondamentale de soutien à l'égard des enfants ainsi que des adultes invalides, handicapées ou en perte d'autonomie dans le respect des besoins de ces personnes et de leurs familles.

L'élimination du déficit

À la lumière du discours entourant la dette et ses causes, la volonté du gouvernement d'éliminer le déficit, d'ici trois ans, nous inquiète beaucoup. De fait, cette volonté est préoccupante lorsqu'on regarde la part de l'effort qui doit provenir de coupures dans les programmes sociaux et/ou les dépenses publiques (80%), part disproportionnée par rapport aux efforts prévus pour accroître les revenus du gouvernement (20%)2 . De plus, il ne faut pas oublier qu'une diminution substantielle de l'activité économique du gouvernement aurait des effets négatifs qui pourraient générer encore plus de pauvreté. Ces choix sont guidés par la vision tronquée du problème de la dette et de la crise des finances publiques que nous avons exposée plus tôt.

La volonté du gouvernement d'éliminer le déficit de manière accélérée a fait l'objet d'un consensus lors du Sommet socio-économique du printemps dernier. Toutefois, nous désirons également rappeler que ce consensus a été assorti, de la part de représentantes du mouvement des femmes, des groupes socio-communautaires et du mouvement étudiant, de nuances et de conditions:

  • que l'objectif d'élimination du déficit soit atteint principalement par une révision en profondeur de la fiscalité assurant un partage fiscal équitable entre tous les milieux, particulièrement les entreprises et les contribuables à revenu élevé;
  • que cet objectif n'implique pas des coupures de programmes qui se traduiraient par une diminution des services à la population;
  • que l'atteinte de cet objectif n'empêche pas la mise en place de politiques et de programmes permettant de s'attaquer plus efficacement à la pauvreté et de développer l'emploi.

Par ailleurs, nous déplorons le manque de débat public réel sur l'économie, la signification de la dette et le rôle du gouvernement. Nous croyons fortement que la population a besoin d'information et notre société a plus que besoin d'explorer d'autres théories économiques davantage basées sur le respect de la dignité humaine et la contribution de chacun, chacune au développement social.


Les principes et critères qui doivent guider cette réforme

Toute réforme de la fiscalité doit voir à renforcer et appliquer dans leur pleine mesure les principes de justice sociale et d'équité. Il y va, selon nous, du renforcement de la solidarité et du renouvellement du pacte social. Pour les femmes, cela signifie que le gouvernement doit s'assurer que le régime actuel, ou toute modification qui pourrait lui être apportée, ne reproduise pas de discrimination systémique à leur égard. À cet égard, le Canada s'est engagé en septembre dernier à Beijing, à produire des analyses de l'impact, selon le genre, de toute nouvelle mesure touchant la fiscalité ou le financement des services publics de même que des statistiques, fiscales et autres, ventilées selon le sexe, et à en diffuser les résultats. Nous souhaitons , d'une part, que cet engagement soit respecté par le gouvernement central et, d'autre part, que le gouvernement du Québec, à l'instar des autres gouvernements provinciaux, s'engage à faire de même. Soulignons qu'avant même de remplir leur déclaration de revenus, les femmes sont dans une situation économique inférieure à celle des hommes. Le système fiscal doit permettre d'accroître l'indépendance économique des femmes et reconnaître leur autonomie.

Voici les principes et les critères que nous désirons voir respectés dans le cadre d'une réforme de la fiscalité et des décisions touchant les dépenses publiques:

L'universalité

Le principe d'universalité a guidé la création de la plupart de nos programmes sociaux. De fait, les programmes universels, dans les pays les plus industrialisés, coûtent moins cher et sont plus efficaces que les programmes sélectifs. En outre, il a été démontré qu'il est plus facile, pour la population, de soutenir des programmes où chaque contribuable participe et retire des bénéfices, peu importe son statut économique, social ou autre. À l'inverse, les programmes sélectifs misent sur les contributions obligatoires des uns pour aider les autres et sont, le plus souvent, accompagnés de mesures d'allègement fiscal pour les mieux nantis. Alors que ceux-ci peuvent se payer les meilleurs services, la classe moyenne et les plus pauvres voient la qualité de leurs services se détériorer progressivement. En période de décroissance ou de crise, ce processus mène tout droit à une fracture sociale et à l'émergence de phénomènes tels que les révoltes de contribuables, l'évasion fiscale, etc. Les programmes sélectifs isolent aussi davantage les populations démunies et favorisent l'ostracisme envers elles. À cet égard, l'exemple le plus criant de l'inefficacité des programmes sélectifs est certainement le système de santé américain qui a privilégié une approche ciblée des populations les plus démunies. Non seulement ce programme coûte-t-il 40% de plus aux contribuables américains que le programme canadien,mais il est également inefficace : 37 millions de citoyens n'ont aucune couverture médicale et on estime que 100 000 personnes meurent chaque année faute d'accès adéquat aux soins de santé.3

L'équité horizontale

Le principe d'équité horizontale permet, d'une part, d'assurer un traitement égal aux personnes ou ménages dans des situations égales et, d'autre part, de reconnaître les différences et de les traiter de façon équitable. Ainsi, une fiscalité qui respecte ce principe voit à ce qu'à revenu égal, une femme responsable de jeunes enfants au sein d'une famille monoparentale paie moins d'impôt ou reçoive plus de transferts qu'un célibataire.

Afin de réaffirmer ce principe et d'améliorer son application dans le cadre de notre système fiscal, nous souhaitons que soient pris en compte les critères suivants:

  • accorder un soutien convenable aux familles avec enfants;
  • accorder une aide spéciale aux familles monoparentales;
  • dans la mesure du possible, traiter tous les adultes de la même façon quel que soit leur statut marital et leur sexe;
  • dans la mesure où l'on reconnaît le statut de conjoint, qu'il s'agisse de conjoints légaux ou de fait, homosexuels ou hétérosexuels, utiliser la même définition partout;
  • reconnaître le travail des personnes au foyer;
  • traiter les revenus qui proviennent de sources différentes de la même façon (par exemple, mettre les revenus en gains de capital, les revenus de travail, les revenus de dividendes, etc., sur le même plan) ou s'il faut privilégier un type de revenus, privilégier les revenus de travail.

L'équité verticale

L'équité verticale consiste à assurer un traitement fiscal équitable à tous les individus à l'intérieur d'un même groupe en tenant compte de la capacité de payer : par exemple, dans le groupe des personnes vivant seules, on tiendra compte, dans le taux d'imposition, des différences de revenus. Ce principe a été quelque peu malmené depuis plusieurs années par l'ajout, souvent à la pièce, de mesures fiscales telles que les déductions et les exemptions qui rendent le système fiscal souvent incohérent et qui viennent en saper la progressivité.

Afin de rétablir cette progressivité, nous souhaitons voir respectés les critères suivants:

  • l'ensemble du système fiscal et de sécurité du revenu doit assurer des conditions de vie décentes à tous les citoyennes et citoyens, particulièrement aux familles avec enfants;
  • Les différentes personnes doivent contribuer au système fiscal en fonction de leurs revenus.

L'efficacité

L'évaluation de tout programme ou mesure fiscale doit être faite sur la base de leur efficacité. Cela signifie que cette évaluation doit non seulement prendre en compte les coûts, mais aussi les objectifs poursuivis, les résultats et les bénéfices retirés par la population et, dans le cas qui nous occupe, par les femmes. En d'autres mots, ce n'est pas parce qu'un programme coûte moins cher qu'il est plus efficace. Par exemple, l'exigence que les bénéficiaires de la Sécurité du revenu ou les personnes âgées paient une partie du coût de leurs médicaments peut avoir pour résultat que plusieurs cessent de prendre ce qui leur a été prescrit, provoquant une aggravation de leur condition qui nécessite une hospitalisation coûteuse. Ce n'est pas le plus bas coût qu'il faut rechercher mais le meilleur ratio bénéfices/coûts.

La création d'emplois et le soutien aux personnes à la recherche d'un emploi

Nous estimons qu'à l'heure actuelle, il est inutile de parler d'incitation à l'emploi sans parler de son corollaire, la création d'emplois. De fait, nous croyons que le concept du développement de l'employabilité a donné, jusqu'à maintenant, fort peu de résultats concrets en termes de réduction sensible du taux de chômage. Nous exigeons donc que, désormais, l'on ne considère le principe de l'incitation au travail qu'assorti de mesures incitatives à la création d'emplois. De fait, la tendance à imputer les problèmes structurels de chômage et de la pénurie d'emplois aux individus qui en sont les premières victimes nous apparaît odieuse et, surtout, fait en sorte que l'on ne nomme jamais, ou rarement, les problèmes réels. Or, nommer un problème, c'est déjà amorcer la solution. Nous estimons que le problème de la pénurie d'emplois concerne autant, sinon plus, les entreprises et les gouvernements que les personnes sans emploi. En conséquence, nous souhaitons voir appliqués les critères suivants:

  • on doit encourager les entreprises à créer des emplois et toute subvention ou avantage fiscal consentis à cette fin devraient être assorties d'une obligation de résultats concrets (nombre d'emplois, conditions de travail et de salaire);
  • il faut que le travail offert permette d'améliorer réellement la situation financière même s'il est à temps partiel et se combine avec une aide de l'État;
  • les différentes mesures fiscales et sociales doivent encourager activement la participation au marché du travail par des mesures positives et non répressives;
  • la contribution sociale, familiale, communautaire des individu-e-s doit être reconnue par des mesures financières.


Les changements structurels souhaités

Pour voir au respect des principes et des critères mentionnés plus haut, les changements structurels suivants doivent faire partie des modifications à apporter au régime fiscal:

  • Il faut revoir et uniformiser, s'il y a lieu, les définitions des termes tels: la famille, la famille monoparentale, les conjoints de fait et les enfants à charge et ce, autant dans la fiscalité que dans les divers programmes gouvernementaux. Cela facilitera la compréhension et clarifiera l'utilisation que peuvent en faire les contribuables. Ces définitions doivent tenir compte des nouvelles réalités sociales et familiales et permettre par exemple:
    • aux conjoints de même sexe de bénéficier des mêmes avantages et d'être investis des mêmes responsabilités que les autres types de couples;
    • de reconnaître et de traiter équitablement les différentes formes de famille : recomposée, monoparentale, couple homosexuel avec enfants, etc.
  • Pour des raisons d'équité, les exemptions et les déductions, qui profitent de façon disproportionnée aux contribuables à revenu élevé, devraient être remplacées par des crédits d'impôt à pourcentage unique ou décroissant avec le revenu, remboursables ou non, selon les cas.
  • Pour rétablir la progressivité du régime fiscal, les taux marginaux les plus élevés doivent être rehaussés et les taux d'imposition pour la classe moyenne mieux étalés.
  • Il faut augmenter les recettes de l'État québécois en récupérant les sommes qui lui échappent présentement par le biais de certaines dépenses fiscales qui minimisent la contribution fiscale des entreprises et des individus à revenu élevé. Il faut également tenir un débat public sur l'évasion fiscale et le travail au noir afin de déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour contrer ces phénomènes sociaux qui grèvent les finances de l'État. Afin de corriger cette situation, nous souhaitons voir instaurer, entre autres, un mécanisme de vérifications systématiques des déclarations des entreprises et des particuliers ayant un revenu élevé.

Mentionnons à ce sujet que la généralisation de l'évasion fiscale et le recours au travail au noir a certainement à voir avec le laxisme dont bénéficient ouvertement les plus nantis, occasionnant, de la part du reste de la population, une sorte de démission morale par rapport à une juste répartition des richesses, à une participation de tous au financement des services publics, etc. Lorsque le contribuable moyen constate, par exemple, que près de 700 personnes gagnant 100 000 $ et plus par année ne paient pas un sou d'impôt, il est en droit de se demander s'il a raison de payer son dû. Il est certain que le paiement, par ces 700 personnes, de leur juste part ne résoudra pas la crise des finances publiques. Par contre, le fait de soumettre ces personnes aux mêmes règles que toutes les autres serait certainement bénéfique socialement.


La Sécurité du revenu

Encore une fois, nous ne pouvons qu'insister sur le fait qu'un des principaux rôles du gouvernement est d'assurer des conditions de vie décentes aux personnes démunies. Les coupures à l'aide sociale, et particulièrement les dernières en lice concernant les allocations au logement, certaines des contributions exigées par le nouveau régime d'assurance-médicaments, la diminution de certains barèmes, ne sont pas des réponses valables à la crise économique du Québec. Face à l'accroissement de la pauvreté, nous avons besoin d'un gouvernement qui fasse appel à la mobilisation, à l'innovation et qui assume pleinement son rôle de chef de file dans la reprise économique.

En ce qui concerne la Sécurité du revenu, un enjeu crucial pour les femmes, nous attendons de ce gouvernement des mesures concrètes pour faire en sorte que ce programme atteigne deux grands objectifs:

  • assurer des conditions de vie décentes;
  • devenir un moyen de sortir de la pauvreté plutôt qu'un moyen d'y rester.

Pour atteindre ces objectifs, nous devons envisager une restructuration de la Sécurité du revenu qui consisterait à :

  • restaurer les montants coupés récemment;
  • hausser et uniformiser les barèmes;
  • créer une allocation-logement indépendante de la Sécurité du revenu qui permette aux personnes à revenu faible ou modeste de consacrer, au maximum, 25% de leurs revenus pour se loger;
  • retirer les enfants de la Sécurité du revenu et créer, en lieu et place, une prestation unifiée pour enfants à toutes les familles tout en accordant un soutien accru aux familles à faibles revenus;
  • maintenir un crédit d'impôt pour les familles monoparentales;
  • assurer un traitement équitable des pensions alimentaires pour les prestataires de la Sécurité du revenu ou de tout autre programme de soutien du revenu (APPORT, par exemple) en déduisant les pensions alimentaires des prestations à un taux maximum de 50% seulement;
  • prévoir un soutien spécial pour les responsables de familles monoparentales prestataires qui ne reçoivent pas de pension alimentaire;
  • revoir le programme APPORT en lien avec l'aide de dernier recours et une prestation unifiée pour enfant. Entre autres, il faut permettre aux familles à faible revenu qui sont admissibles à ce programme de réclamer les montants dûs au moment de leur déclaration d'impôt même si la demande n'a pas été faite en cours d'année;
  • veiller à l'application non-discriminatoire de la présomption de vie maritale vis-à-vis des femmes;
  • revoir à la baisse les contributions à la nouvelle assurance-médicaments exigées des personnes à faible revenu, qu'elles aient ou non des personnes à charge;
  • assouplir le programme de la Sécurité du revenu afin de permettre aux responsables de famille monoparentale avec de jeunes enfants ou plusieurs enfants (3 ou plus), ainsi qu'aux personnes atteintes d'une déficience physique ou intellectuelle, de travailler ou d'étudier à temps partiel tout en jouissant d'un niveau de vie supérieur à celui dont elles peuvent bénéficier en étant uniquement prestataires de la Sécurité du revenu;
  • assurer l'accès gratuit des familles à faible revenu aux services de garde.

Le soutien aux familles

Le gouvernement du Québec a déjà pris des engagements envers les familles et nous tenons à l'encourager dans cette voie. En se donnant une politique familiale et des mesures fiscales qui allègent le fardeau des personnes ayant des enfants à charge, on a reconnu l'importance de la famille, de l'éducation et du développement des enfants. Il y a cependant de nettes améliorations à apporter, entre autres:

  • convertir les crédits non remboursable pour enfants à charge en crédits remboursables à la personne concernée afin de reconnaître l'apport du travail d'une majorité de femmes auprès des enfants;
  • créer une banque de congés de congés parentaux québécoise de façon à bonifier le taux de remplacement de 90% du revenu au moment de la naissance ou l'adoption d'un enfant et créer une banque de congés pour soins aux enfants plus âgés;
  • inscrire dans la Loi sur les normes du travail la protection des emplois des personnes qui doivent s'absenter afin de prendre soin de proches; octroyer des congés sociaux à cette fin ou offrir la possibilité de convertir des congés de maladie personnels en congés de prise en charge de personnes malades;
  • augmenter le nombre de places en garderie à travers la province et accroître les subventions aux garderies sans but lucratif;
  • consentir des crédits d'impôt remboursables aux personnes qui prennent en charge une personne malade ou en perte d'autonomie.

La création d'emplois dans l'économie sociale

Nous tenons à rappeler ici la revendication de la Marche des femmes qui se rapportait à la création immédiate d'emplois pour les femmes dans l'économie sociale. Nous ne parlons pas de programmes d'employabilité s'adressant aux personnes assistées sociales mais bien d'emplois réels et accessibles prioritairement aux femmes. Nous entendons par là des emplois d'une durée minimale de trois ans avec un salaire minimum de 8,30$/l'heure.

Pour nous, le concept d'économie sociale doit se démarquer du «workfare» américain. Notre conception de l'économie sociale se base sur la reconnaissance que l'investissement dans les infrastructures sociales, tout comme dans les infrastructures (routes, bâtiments publics,etc.) est un moteur économique. Comme on retrouve majoritairement des femmes dans ce type d'emplois et que le gouvernement s'est déjà engagé dans la création d'emplois dans les infrastructures, nous réclamons un investissement équivalent dans les infrastructures sociales (réseau des organismes communautaires en santé, défense des droits, culture, environnement, etc.).

Pour encourager cet investissement, nous réclamons, premièrement, des mesures favorisant les investissements privés (individuels ou corporatifs) dans les entreprises d'économie sociale.

Deuxièmement, nous demandons l'octroi de subventions pour les entreprises d'économie sociale sans but lucratif, entre autres, la consolidation des organismes communautaires existants comme par exemple, le réseau des garderies.

Tout comme nous le demandons pour les entreprises à but lucratif, les entreprises sociales doivent être tenues à l'obtention de résultats concrets concernant:

  • le nombre d'emplois durables créés, les conditions salariales et de travail;
  • le nombre et l'accessibilité des services, socialement utiles aux personnes et aux collectivités, qui ont été consolidés ou créés localement;
  • une gestion démocratique du travail et des capitaux;
  • l'accès au travail et le maintien en emploi pour les femmes et les jeunes.

Conclusion

Comme nous l'avons souligné en introduction, nous avons fait le choix, dans ce mémoire, de concentrer notre analyse et nos recommandations sur des aspects de la fiscalité touchant plus précisément les femmes. Nous savons que des alliés, d'autres acteurs sociaux , proposeront des mesures s'adressant à l'ensemble de la population. La spécificité du rapport des femmes à la fiscalité nécessiterait cependant une étude et une consultation plus approfondies.

Nous espérons, par ailleurs, avoir su rendre évidente l'urgence, pour le gouvernement, de renverser la vapeur dans ses analyses économiques et ses choix budgétaires. La réforme de la fiscalité doit mener à un engagement formel à accroître les revenus de l'État par la création d'emplois et une révision des abris fiscaux consentis aux contribuables à revenus élevés et aux entreprises. Nous demeurons convaincues que la fiscalité doit avoir pour objectif de développer véritablement l'indépendance financière et l'autonomie des femmes.

Nous avons comme attente que le gouvernement du Québec réaffirme l'importance de nos programmes sociaux et de leur universalité, et qu'il fasse tout en son pouvoir pour contrer le type de discours les dénigrant. Le gouvernement actuel a été élu à partir d'une plate-forme sociale démocrate dont la justice sociale est le pivot. Cela doit transparaître dans sa façon de gouverner. En ce sens, il doit se distinguer véritablement des politiques monétaires canadiennes et réclamer du gouvernement central un retour au rôle initial de la Banque du Canada, soit l'atteinte d'un équilibre entre l'inflation et la lutte contre le chômage.

La lutte contre la pauvreté, de la part du gouvernement du Québec, doit se démarquer des sentiers empruntés par de trop nombreux gouvernements avec les résultats que l'on sait. À cet égard, le présent exercice nous a permis d'exposer le rôle que peut jouer la fiscalité dans cette lutte. Nous ferons valoir dans d'autres commissions l'importance, pour les femmes, de mesures telles que l'augmentation du salaire minimum et l'adoption d'une loi sur l'équité salariale.

1 Tirés de Entre l'espoir et le doute, Rapport du comité d'orientation et de concertation sur l'économie sociale, mai 1996. (retour)

2 Information tirée de Fiscalité et financement des services publics. Oser choisir ensemble. No. 3 : Les finances publiques du Québec. Avant-propos.Gouvernement du Québec, 1996. (retour)

3 Informations tirées de L'érosion des programmes sociaux canadiens, rapport spécial, Linda Mc Quaig, Bourse Atkinson en politique publique, 1992. (retour)