Mémoire présenté au Comité permanent du secrétariat d'État concernant le programme de promotion de la femme

AVRIL 1987

REGROUPEMENT PROVINCIAL DES MAISONS D'HÉBERGEMENT ET DE TRANSITION POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE

1.  LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE EN MILIEU CONJUGAL

Il y a dix ans au Québec, il fallait taire la violence faite aux femmes en milieu conjugal:  taire les coups, taire  les injures, taire les mauvais traitements psychologiques, taire les abus sexuels.  Tout ceci faisait partie traditionnellement du lot matri­monial, "pour le meilleur et pour le pire", "prends ton mal en patience, pense à tes enfants, l'enfer est ici-bas mais ta persévé­rance sera récompensée..."   Lui, par contre, avait toujours beau jeu - le chef de famille ordonne, dispose et la bergère exécute!

Des centaines, pour ne pas dire des milliers, de femmes à bout de souffle, terrorisées, isolées, résignées, enchaînées à l'idéal du château fort familial à préserver à tout prix, mais à quel prix! Aux prises avec une douleur profonde, psychologique, morale et physique, ces femmes sombraient incognito:  plusieurs prenaient le chemin de l'asile psychiatrique, leur santé mentale étant irrémé­diablement détériorée (il suffit de consulter les dossiers de femmes en milieu psychiatrique pour constater le nombre désarmant de celles dont les problèmes remontent à la violence conjugale ou familiale); d'autres désertaient le domicile conjugal, elles étaient alors bannies de leur milieu bien souvent, ou privées de leurs enfants; certaines femmes  mourraient assassinées par leur conjoint et les causes du décès étaient couramment étouffées, "un drame passionnel, une chicane qui a mal tourné"; et puis, il y avait celles qui enduraient, tant bien que mal, "pauvre femme, une bonne femme, patiente, jamais un mot de trop, à son ouvrage, doci­le, une vraie bonne mère de famille, elle mérite un mari mieux que ça..."; et puis plus rien, le silence.

Les temps ont changé, direz-vous? ...

En effet, certaines choses ont changé.  On sait, on ose le dire aujourd'hui publiquement, une femme sur sept au Canada est battue ou maltraitée par son conjoint, son mari, son "chum".  Ce constat nous amène à plus de 250 000 québécoises violentées par l'homme qui partage leur vie.  Le bilan est lourd.

Mais qu'est-ce qui a changé? ...

Aujourd'hui, lorsqu'une femme subit de tels abus, elle trouvera d'autres femmes pour l'appuyer en lui venant en aide, elle aura un recours, elle trouvera une ressource, un lieu où se réfugier avec ses enfants, elle pourra décider de rompre avec l'abus, les offen­ses de l'homme qui l'agresse.

Mais de quels abus, de quelles offenses parle-t-on? ...

Qui sont les femmes violentées  chez-elles  par leur conjoint? ...

Elles n'ont pas un profil unique.  Elles n'appartiennent pas à une classe sociale spécifique, elles sont de tous les milieux, de toute origine culturelle, de toutes les gêner rations, elles ont dif­férents degrés de scolarité.  Par femme victime de violence, il faut entendre des femmes continuellement dévalorisées par leur conjoint, méprisées, injuriées,  menacées avec des mots, avec le poing levé, avec des objets, avec des armes, des femmes frappées à coups de poing, coups de pied, giflées, mordues, poignardées, prises à la gorge, des femmes bousculées, coincées au mur, agres­sées sexuellement, rabaissées et humiliées dans leur sexualité, des femmes assassinées, tirées à bout portant, étranglées, mutilées, par leur conjoint...  La liste des abus est alarmante.

En 1975 au Québec, le silence complice et meurtrier est ébranlé. Des femmes de toutes expériences et de différents milieux, des re­ligieuses, des jeunes militantes féministes, des femmes ordinaires aussi, se serrent les coudes et s'organisent pour porter un secours direct à d'autres femmes, violentées par leur conjoint.

Il fallait, avant tout, un lieu où les femmes victimes de violence pouvaient accourir avec leurs enfants, en toute sécurité. Il fal­lait s'en parler entre femmes pour ne plus se sentir seule à vivre cette violence, en dépit de tous ceux et celles qui faisaient la sourde oreille ou qui s'acharnaient à blâmer la victime, "la femme provocatrice, la femme hystérique" ...

Il fallait s'écouter, se raconter, s'appuyer.  Il fallait s'infor­mer, agir, se réorganiser, exiger.

Il fallait lutter et revendiquer des droits, à part entière.

Il fallait du courage, dans la clandestinité, sans reconnaissance ou support financier de l'État, en dehors des institutions et malgré celles-ci.

L'émergence du féminisme mettait du vent dans les voiles, pour dé­cortiquer le malaise et ses sources, pour trouver des balises sur lesquelles s'appuyer afin d'argumenter ce que les femmes voulaient pour elles-mêmes comme changements dans la société et ce qu'elles refusaient .

Aujourd'hui, le Regroupement Provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence compte 45 maisons membres, réparties partout au Québec.  Ces maisons sont nées d'un besoin criant et se sont façonnées à la mesure du vécu et de la situation des femmes victimes de violence et Je leurs enfants.  Les femmes hébergées réclament la confidentialité et l'anonymat  pour plus de sécurité; elles demandent un accueil chaleureux, personnalisé, différent de l'approche institutionnelle; elles peuvent avoir besoin d'aide, d'écoute ou d'un hébergement à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit; leur situation est une situation d'extrême urgence; elles et leurs enfants ont besoin d'une attention généreuse et de beaucoup de solidarité, surtout à l'abri des préju­gés; elles ont besoin d'être informées de leurs droits et d'être accompagnées dans leurs démarches.

Elles repartent à zéro et les services d'hébergement d'urgence cons­tituent un droit primordial; elles n'ontpas à faire les frais de la violence qu'elles subissent et qui est largement cautionnée socialement; cette aide doit être apportée gratuitement car les ressources financières dont elles disposent (le minimum bien sou­vent) leur sont essentielles pour assurer leurs besoins propres et ceux de leurs enfants.

De plus, les femmes ont besoin d'être soutenues après leur séjour à la maison d'hébergement, car la blessure est lente à guérir et l'autonomie ne s'acquiert pas du jour au lendemain lorsque l'ona très peu confiance en soi.

Tous les services offerts par les maisons du Regroupement Provincial tiennent compte de ces besoins exprimés par les femmes hébergées, elles-mêmes, et aussi par leurs enfants.

L'intervention privilégiée est basée sur une analyse féministe de la condition sociale des femmes et de leur droit à l'intégrité et à l'autodétermination.  L'important est d'amener les femmes à réali­ser où cette violence s'inscrit, à reconnaître le contrôle qui s'exerce sur elles dans une dynamique dominant/dominée et les rap­ports de force.

Les femmes victimes de violence auront été pour la plupart isolées, coupées du monde par leur conjoint ou par la honte,  envahies par un sentiment atroce de culpabilité et de dévalorisation ou perte d'estime de soi. Les effets de cette violence qu'elles subissent, sans jamais l'ac­cepter, mais parce qu'elles se sentent dépourvues de moyens, traquées incomprises, peuvent être désastreux.

Une étude récente menée par une équipe de chercheuses de l'Univer­sité de Montréal, sur le "Portrait de la santé des femmes violentées et de leurs enfants" - un tableau de 130 répondantes - (puisqu'il fa parler statistiquement), démontre entre autres que 56.9% de ces femmes consomment des médicaments à des fréquences variables (allant de régulièrement, souvent, à l'occasion) des médicaments répertoriés en anti dépresseurs du système nerveux central (des calmants) et des analgésiques, des anxiolytiques.  46.2% des femmes disent souffrir de dépression nerveuse, de fatigue générale et d'insomnie.  Certai­nes rapportent ne pas sentir leur corps ou avoir la perception d'une mort imminente.

  • 63.1% éprouvent des difficultés à s'endormir et des interruptions fréquentes de sommeil.
  • 70% des femmes (sur 130 interviewées) répondent à des symptômes de dépression à divers degrés, tels qu'un profond sentiment de tris­tesse, de solitude, une impression de se sentir au ralenti, des pleurs faciles, l'impression d'être prise au piège, traquée.
  • 44.8% ont des pulsions suicidaires.
  • 60% rapportent des signes d'anxiété et de somatisation (faiblesse, étourdissements, douleurs dans la poitrine, lourdeur des membres, tremblements intérieurs, tensions, battements rapides du cœur, etc.

C'est pour amener un plus grand nombre possible de femmes à sortir de ce marasme, de cette douleur, que les travailleuses des maisons d'hébergement donnent le maximum d'elles-mêmes à celles qui doivent rapatrier leur autonomie et trouver  les garanties essentielles à une meilleure qualité de vie.

2.  LE REGROUPEMENT PROVINCIAL

L'histoire du choix spécifique des femmes victimes de violence comme clientèle visée par les maisons d'hébergement est aussi l'histoire même de l'évolution des maisons du Regroupement Provincial.  De réflexion en prise de conscience, il devenait évident que l'analyse, la dénonciation et l'approche d'une problématique unique nous permettraient de mieux la cerner, la comprendre et influencer les gouvernements dans leurs politiques et lois à l'endroit des femmes victimes de violence et leurs enfants .

Le Regroupement Provincial est né en 1979 de la volonté des maisons d'hébergement qui existaient à ce moment, de se doter d'unoutil collectif de représentation.

OBJECTIFS:

L'objectif du Regroupement Provincial est de viser à une prise de conscience collective de la problématique des femmes victimes de violence et de travailler au développement d'un réseau de maisons d'accueil et d'hébergement dans les différentes régions du Québec.

Les moyens pour y arriver:

  • créer des liens entre les différentes maisons existantes et les projets;
  • sensibiliser la population et les organismes publics aux pro­blèmes des femmes victimes de violence par des colloques, des tables de concertation, des journées d'étude, des conférences etc. et en dénoncer les causes;
  • permettre chez les personnes impliquées dans les maisons d'hé­bergement une réflexion et une formation continue sur la problé­matique ; négocier une politique de financement équitable et véritable qui assure la viabilité d'unréseau de maisons d'hébergement.

SERVICES:

Le Regroupement Provincial dispense prioritairement des services à l'interne à ses maisons membres: informations, formations, aide technique, outil de travail, etc.

Cependant, compte tenu de son rôle de porte-parole, de mandataire et d'interlocuteur unique et privilégié auprès du gouvernement et des organismes publics, il se voit par le fait même offrir de plus en plus de services à l'externe.  Les services varient de centre d'information sur la problématique, de référence au femmes ayant besoin de ressources, de consultant et de ressource à de nombreuses recherches et auprès des intervenants du réseau public et privé.

DES ACQUIS:

Malgré la courte histoire du Regroupement Provincial et de celle de la prise de conscience de la problématique des femmes victimes de violence conjugale, un chemin déjà très long a été parcouru et c'est avec encouragement que l'onconstate aujourd'hui

Des maisons de plus en pi us solidaires et conscientes de leur rôle comme ressource alternative et qui offrent présentement plus de 500 places disponibles pour les femmes et enfants vic­times de violence.

4 maisons se répartissent le territoire québécois. Des dizaines d'heures d'antenne à la télévision et à la radio auront fait une large brèche dans l'indifférence et le silence de l'opinion publique.

Un changement de comportement se dessine dans l'appareil judiciaire québécois.  Le ministère de la Justice du Québec, en mars 1986, sortait une politique d'intervention en matière de violence conjugale. Sinon un changement marqué du moins un intérêt de plus en plus évident des intervenants du réseau social et médical pour une nouvelle approche face à la problématique. Une reconnaissance dans le rapport de la consultation pour une politique familiale du rôle et de la nécessité de consolider les maisons d'hébergement.

DES ACTIONS FUTURES:

Il nous faudra dorénavant:

  • Renforcer et défendre nos acquis.
  • Consolider l'efficacité et la viabilité des maisons.
  • Faire en sorte que les lois et les droits existants soient efficaces.
  • Amener le débat et la réflexion à l'école et dans les "temples" de formation juridique, médical et social.

Nous sommes conscientes que tous ces objectifs d'égale importance et que l'on doit atteindre concurremment seront possible à court terme qu'avec la volonté concertée et la complicité de toutes et de tous.  Il appartient donc à chacun(e):  politicien(ne) , inter­venante) du réseau social, juridique et médical, militantes, béné­voles, ex-femmes hébergées de jouer activement leur rôle.  Si certaines de ces parties concernées sont déjà fort avancées dans la course, d'autres ne sont pas encore sur la ligne de départ.

3.  LA PERTINENCE DU PROGRAMME PROMOTION DE LA FEMME

Le gouvernement fédéral, en instaurant en 1973, au Secrétariat d'État, le Programme Promotion de la Femme, s'inscrivait comme partenaire des groupes de femmes dans leur volonté d'améliorer la condition des femmes au Canada. En ce sens, nous entérinons les objectifs du programme, soit la promotion des femmes, à savoir :

  • "de favoriser la participation accrue des femmes à tous les aspects de la vie collective canadienne, en parti­culier, à la prise de décision et à l'exercice du pouvoir
  • d'accroître les moyens d'action et d'efficacité des asso­ciations et des groupes de femmes qui travaillent à amé­liorer la condition  féminine" (texte de la brochure présentant le programme).

Ces objectifs doivent être maintenus et même renforcés s'alignant sur la réalisation des articles 15 et 28 de notre charte cana dienne, ainsi que sur la convention des Nations Unies.  Il reste encore beaucoup de travail à faire pour atteindre l'égalité. Seuls les groupes visant ces objectifs devraient être éligibles au Programme Promotion de la Femme.  Le financement même du programme devrait aussi s'accroître donnant ainsi aux groupes de femmes les outils pour atteindre leurs objectifs.  En terminant, nous voulons souligner l'excellent support apporté par le personnel oeuvrant à ce programme.