LES GROUPES DE FEMMES ET LA COMMISSION ROCHON DOCUMENT DE
TRAVAIL
Préparé avec des représentantes des groupes
suivants:
Alternative-Naissance
Centre de santé des femmes de Montréal
Comité des maisons de naissance
Fédération des associations de familles monoparentales du
Québec (FAFMQ)
Fédération des femmes du Québec (FFQ)
Fédération du Québec pour le planning des
naissances L'R des centres de femmes Naissance-Renaissance
Regroupement des centres de santé des femmes Regroupement provincial
des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes
de violence Regroupement québécois des CALACS
Avec la participation de:
La Faculté d'Education Permanente de l'Université de Montréal
Les services à la collectivité de l'UQAM
Relais-Femmes
Rédigé par: NICOLE LACELLE
Janvier 1986
1- LES GRANDS PRINCIPES
Dans les années '60, un large consensus social
s'établissait autour de grands objectifs tenus, à
l'époque, pour pratiquement indiscutables: un réseau de
services de santé et de services sociaux public, universel
et gratuit, véritablement accessible et de qualité.
Quoique les moyens d'atteindre ces objectifs aient été
- et sont encore aujourd'hui - éminemment discutables, ces
grands principes représentaient et représentent
toujours non pas un indice de prospérité à
remettre en question selon le contexte économique mais
un réel progrès social à préserver, d'autant
plus qu'une crise économique a de graves effets sur la
santé de la population.
A- Un réseau public
Les systèmes publics de santé et de services sociaux coûtent
moins chers que les systèmes privés dans les années '70,
les dépenses totales de santé représentaient 7%, en moyenne,
du PNB canadien contre 9% du PNB américain y compris en temps de
crise économique en 1982, les dépenses de santé ont atteint
8.5% du PNB au Canada mais elles ont grimpé à 10.5% aux Etats-Unis.
*(Soderstrom 1983)
(Financial Post Avril 1984)
Ce n'est d'ailleurs pas, non plus, le caractère public de
notre système de santé qui fait augmenter les
coûts parce que les gens consulteraient "pour rien". La
R.A.M.Q. elle-même constate que ce ne sont pas les
consommateurs mais les médecins qui déterminent la
demande.
(Les consommateurs et les coûts de santé au
Québec
1971-1975)
* Professeur à l'Université McGill
La gestion publique permet non seulement un financement
simple, une efficacité administrative et un contrôle
des coûts a travers les tarifs médicaux, les budgets
des institutions et les nouvelles technologies mais un
choix public des priorités à établir. Malgré
un réseau public, il faut encore combattre le secret
et, tout particulièrement en ce qui a trait aux nouvelles
technologies de reproduction, exiger l'accès aux
données afin que les priorités de recherche
n'échappent pas complètement aux principales
intéressées. Mais, à la limite, sans un
réseau public, notre démarche, aujourd'hui, ne
serait même pas possible.
B- Universalité et gratuité
Un système universel et gratuit assure un minimum de
sécurité matérielle - et par là, émotive
- à tout le monde en évitant aux gens à revenus
moyens des problèmes financiers très graves et aux plus
démuni-e-s une perpétuelle humiliation avec, pour
conséquence, dans les deux cas, de retarder, souvent
jusqu'à ce qu'il soit trop tard, la demande de soins ou
services.
Le réseau doit demeurer universel et gratuit dans la
mesure-même où la sélectivité des programmes
sociaux y compris l'introduction de tickets modérateurs ou
de surfacturation, ne réduit ni la pauvreté, ni
les coûts sociaux tout en menaçant sérieusement la
santé de la population.
La remise en question de l'universalité et de la
gratuité du réseau de services de santé et de
services sociaux aurait, de plus, deux conséquences
très graves. D'abord, si la gratuité était
réservée à la population vivant sous le seuil de
la pauvreté - où les femmes sont majoritaires - les
payeurs d'impôts ne tarderaient pas à questionner
à leur tour des programmes sociaux qui ne leur seraient plus
accessibles. En plus de cette rupture de consensus social, un
réseau qui ne serait plus universel et gratuit renverrait
à l'ensemble des femmes du Québec le poids de la
totalité des services non rendus, comme, par exemple, le
soin des personnes âgées ou handicapées.
C- Des services accessibles et de qualité
Les services de santé et les services sociaux doivent
être disponibles non seulement en principe mais en pratique.
Les coupures budgétaires ne doivent pas les rendre
inaccessibles et/ou déficients que ce soit à
travers les disparités régionales, encore énormes
en 1986, les fermetures de lits ou de places d'hébergement,
les coupures de postes et de services essentiels.
L'accessibilité, la qualité des services et son
corollaire, la continuité, dépendent d'une
évaluation rationnelle des besoins en personnel et en
équipement de services axés sur la personne et non sur
le morcellement de son corps et ne devrait pas relever d'une
psychose des déficits.
Les femmes sont les premières à souffrir de cette
dernière et de moultes façons: la contraception qui
n'est pas reconnue dans le concept de santé, l'avortement
qui n'est toujours pas libre et gratuit, la présomption
automatique que toutes sont hétérosexuelles, le
développement inadéquat du réseau des centres de
femmes, des maisons pour femmes victimes de violence etc.
Les femmes en souffrent en tant que bénéficiaires
-majoritaires - des services, en tant que travailleuses
-majoritaires - du secteur public, en tant que
ménagères -plus que majoritaires - à cause du
fardeau des services non rendus et en tant
qu'héritières - majoritaires - d'une conception de plus
en plus étroite du travail rémunéré qui fait
d'elles des bénévoles "formées",
enrégimentées, souvent même conscrites en ce qui
concerne les bénéficiaires du Bien-Etre Social.
Les institutions publiques excluent de plus en plus des tâches
rémunérées toute "l'humanisation des soins" - donner
à manger, faire la toilette, frictionner le dos etc. -qu'elles
renvoient aux bénévoles. Mais il ne s'agit plus du réconfort,
des petits luxes qu'offraient les bénévoles auparavant mais
de soins essentiels dont la continuité dépend d'équipes
de services permanentes. Les bénévoles se proposent pour
rendre gracieusement service aux bénéficiaires, non pour dispenser
gratuitement les services qui relèvent du personnel salarié
des institutions. Ce que certains qualifient de revalorisation du bénévolat
est en réalité une exploitation, une volonté de retour
en arrière aux jours où les femmes assuraient massivement,
sans salaire et sans équipement le gros des tâches des services
publics actuels.
2- LE POINT DE VUE DES FEMMES
Peu de temps après la cristallisation de ces grands
principes au Québec, des femmes, de plus en plus nombreuses,
se sont intéressées à la santé sur leurs
propres bases. Les fruits de nos réflexions et de nos
pratiques sont, comme ces grands principes, toujours
d'actualité, d'autant plus, même, qu'on s'est rendu
compte (C.S.F. 1985) que c'est le secteur santé qui
affichait le bilan le plus négatif de la politique
d'ensemble a la fin de la décennie.
A- Le grand "C", les trois "D" et les deux "P"
Que ce soit à travers l'organisation des luttes sur
l'avortement et la contraception libres et gratuits,
l'auto-santé et les pratiques alternatives, le retrait
préventif et la santé sécurité au travail,
que ce soit à travers les publications qui ont rallié
les groupes de femmes comme l'Essai sur la santé des
femmes, Nous, notre santé, nos pouvoirs , Va te
faire soigner t'es malade, ressort constamment l'importance
primordiale pour les femmes de reprendre le contrôle sur nos
corps par la désexisation, la démédicalisa-tion,
la déprofessionnalisation, bref, une prise en charge pour
une réelle prévention. Ce qui se résume si
rapidement aujourd'hui au point de sonner creux comme une slogan
évidé est bien au contraire le résultat de notre
"consensus social" propre issu de dix-sept ans de luttes. Nos
revendications précises peuvent varier selon les
champs d'intervention mais elles sont toutes axées sur
le contrôle de nos corps et de nos vies.
B- Les groupes de femmes sur le terrain de la
santé
Les groupes de femmes qui luttent sur le terrain de
l'avortement et la contraception, de la violence faite aux femmes
et aux enfants, de l'accouchement réapproprié par les
femmes, pour l'intégration des sages-femmes, les centres de
santé, les collectifs sur l'auto-santé et les
médecines douces, sur les nouvelles technologies de
reproduction, forment un réseau parallèle dont l'apport
et la complémentarité au réseau public doit
être reconnu.
Ce réseau ne forme pas et ne peut former une
"alternative" au réseau public, au sens plein du terme,
puisqu'il ne peut ni ne veut le remplacer sur tous les fronts; il
n'est pas et ne saurait être une réponse aux projets
actuels, de désinstitutionnalisation.
Son rôle est d'abord et avant tout l'action, la
réflexion et l'exploration de voies nouvelles pour avancer
les intérêts des femmes en matière de santé
et ce, sur une base autonome. Sans ses coudées franches, le
réseau des groupes de femmes ne pourra jamais continuer
à développer des objectifs, des approches voire des
techniques originales à très peu de frais.
Il ne pourra pas non plus continuer à suppléer
temporairement aux lacunes des services publics ni leur fournir
fréquemment, comme c'est le cas depuis plusieurs
années, une expertise sûre... en plus d'être
gratuite, non-reconnue et le résultat de sacrifices
pécuniaires considérables de la part de toutes celles
qui y ont travaillé. Combien de groupes, en effet,
reçoivent plusieurs fois par semaine des appels
d'institutions publiques pour des conseils, des
références, de la documentation. Cette
"récupération", plutôt qu'odieuse, pourrait
être "normale" si le travail des groupes était reconnu
et financé convenablement.
Tout comme dans les services publics, le bénévolat a
ses limites dont la principale outre l'épuisement des
intéressées est de briser la continuité du
travail. Or c'est cette continuité, qui permet de
dépasser manifestations et symptômes pour cerner les
causes des problèmes des femmes et identifier, par voie de
conséquence, les possibilités de prévention.
Or le rôle de prévention des groupes n'est ni
reconnu, ni financé; les maisons d'hébergement, par
exemple, sont financées sur la base du nombre d'appels de
détresse qu'elles reçoivent et l'on continue à
nommer "prévention" le fait d'envoyer les femmes à la
radiologie cancérigène pour détecter le cancer du
sein plutôt que de s'attaquer aux causes!
Dans un contexte où le curatif déborde
déjà les capacités des services publics et
où, malgré toutes les meilleures intentions, une
réorganisation en vue de programmes de prévention qui
dépassent le dépistage précoce est, pour le moins,
une possibilité à moyen terme, le réseau des
groupes de femmes est indispensable... pourvu qu'on lui en
fournisse les ressources...
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