PRÉSENTATION DE MADAME GINETTE BUSQUE, PRÉSIDENTE LORS DE LA RENCONTRE "LES FEMMES ET LA FISCALITÉ"

ORGANISÉE PAR LA MINISTRE DÉLÉGUÉE À LA CONDITION FÉMININE DU QUÉBEC

LE 2 NOVEMBRE 1987

FONDEMENTS DE LA FISCALITÉ

M. Lévesque  - Si cette rencontre est un défi pour vous, imaginez un peu ce que c'est pour nous.

La consultation d'aujourd'hui aura, j'en suis certaine, un caractère particulier pour chacun de nos groupes.

Je fais cette affirmation parce que, dans la mesure où la majorité d'entre nous sommes en train de faire ou de refaire nos classes sur le dossier de la fiscalité et que, par le fait même, c'est un dossier que nous n'avons que peu discuté entre groupes, nous ne savons pas encore, contrairement à plusieurs autres matières reliées à la situation des femmes, jusqu'à quel point nous nous rejoignons quant aux mesures et aux moyens que nous proposerons dans le cadre de la présente consultation.

Je suis convaincue, cependant, que sur le plan du fondement et des objectifs qui doivent être poursuivis nous nous entendrons sans nous être concertées.

Étant réunies pour examiner la fiscalité sous l'angle de son impact sur les femmes, nous avons toutes pour objectif de jeter les bases d'une réforme qui leur soit favorable.

La fiscalité est, en effet, au coeur même des dossiers économiques et on sait, en retour, que l'amélioration de la situation éco- nomique des femmes est, à son tour, au coeur de leur autonomie et du principe d'égalité.

Avant d'aborder plus spécifiquement ce qui pourrait justement constituer les bases d'une réforme favorable aux femmes, nous aimerions reprendre deux des principes énoncés dans le projet de réforme fiscale du gouvernement fédéral et demander au gouvernement du Québec de les reprendre à son compte.

Le premier a trait à l'équité et au respect de la justice sociale et vise à faire en sorte que dans le cadre d'un régime progressif on n'impose pas de fardeau fiscal aux personnes qui n'ont pas de capacité de payer.  Nous savons que nous visons là un grand nombre de femmes.  En effet, les femmes et leurs enfants constituent, nous le savons 75% de la popu- lation pauvre du Canada.  Comme nous savons aussi que celles qui ont des revenus ne gagnent en moyenne que 69% du revenu des hommes.

Le second principe avancé par le gouvernement fédéral vise l'élargissement de l'assiette fiscale de sorte que les personnes à revenu supérieur et les sociétés ne bénéficient plus de mesures qui ont pour effet de réduire à zéro, ou presque, leur fardeau fiscal.  La préposée à la caisse dans une banque ne doit pas payer autant, ou même plus, d'impôt que le président de la même banque.

Pour ce qui est des sociétés nous savons qu'elles n'assument qu'une bien faible portion du fardeau fiscal global.  Dans la prévision 84-85 des revenus budgétaires du Québec, on peut en effet, constater que l'impôt des sociétés (qui comprend l'impôt sur les profits, les taxes sur le capital et les primes d'assurances) ne correspond qu'à 5.9% des revenus du gouvernement du Québec alors que 1'impôt sur le revenu des particuliers correspond à 46.3% des revenus du gouvernement.

Nous incitons donc le Québec à fonder ses politiques fiscales sur la progressivité et à  rechercher une équité autant verticale qu'horizontale ainsi qu'une meilleure répartition entre les diverses catégories de contribuables, plus parti- culièrement entre les particuliers et les sociétés.

En ce qui a trait aux femmes en particulier, nous demandons au gouvernement du Québec de viser spécifiquement

  • l'adoption de mesures qui favorisent l'autonomie financière des femmes et l'amélioration de la situation de celles qui font face à une situation financière fragile;
  • à inciter les femmes au travail; incitation qui doit mener à autre chose, cependant, qu'une course folle d'un travail précaire à un autre travail précaire et qui doit s'inscrire plutôt dans le cadre plus large de politiques de dévelop- pement de l'emploi;
  • nous demandons au gouvernement québécois de viser une meilleure redistribution de la richesse entres les hommes et les femmes, en reconnaissant, entre autres, la contri- bution économique des femmes à la société, le travail domestique et la prestation de soins aux enfants venant au premier chef;

4.   Nous demandons aussi que soit poursuivi un objectif

de développement des familles.  Qu'il soit bien entendu, cependant, qu'une politique fiscale ne doit pas tenir lieu de politique familiale, laquelle, répétons-le doit être beaucoup plus globale.

4 a) Nous voulons tout de même que le gouvernement se montre conscient de la charge financière que représente la prise en charge d'enfants et de la nécessité de répartir cette charge.

Si les parents ont légalement la charge de leurs enfants, l'État, par le biais de la fiscalité, peut prendre à son compte ce qui profitera à l'ensemble des citoyens et citoyennes.  Nous reprendrons cette idée dans le cadre de la thématique traitant du soutien aux membres d'un ménage.

5.   D'une manière plus générale, nous demandons au gouvernement d'harmoniser la réforme fiscale avec l'ensemble des objectifs qu'il s'est fixé en matière d'égalité.  Nous lancerons, là-dessus, quelques pistes de réflexion au cours de nos interventions ultérieures.

Finalement, nous demandons que des discussions s'engagent avec le gouvernement fédéral sur la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe de vente sur des biens essentiels comme la nourriture.  Nous reviendrons également sur cette question.

Merci.

RÉALITÉS PARTICULIÈRES LES IRRITANTS DU SYSTÈME

L'un des irritants les plus fréquemment mentionnés est celui qui se rapporte au traitement des pensions alimentaires au sein du régime fiscal.

Nous croyons que le conjoint-débiteur doit pouvoir continuer à déduire de son revenu le montant qu'il verse à titre de pension alimentaire.  Cependant, là où le bât blesse, c'est que même lorsque la pension alimentaire n'est versée que pour les enfants elle doit être ajoutée au revenu du conjoint qui en a la garde.  Quand la pension est versée pour l'ex-conjoint lui-même il va de soi que le montant soit ajouté à ses revenus, mais quand cet ex-conjoint (le plus souvent la mère), n'est que l'administrateur d'un montant accordé pour les enfants il ne devrait pas en porter le poids sur le plan fiscal.  Le revenu étant celui des enfants ce sont les enfants qui devraient payer de l'impôt.  Il est fort possible qu'une fois la pension divisée entre deux ou trois enfants, le montant soit trop faible pour qu'un impôt soit payé.  Cela ne sera pas plus répugnant que l'employeur qui embauche plusieurs personnes à des salaires qui les exemptent d'impôt ce qui n'empêche pas que les montants versés soient considérés comme des dépenses d'entreprise.

La question des pensions alimentaires soulève la question plus large de la non neutralité du système.  Le conjoint débiteur a droit de déduire tout ce que lui coûte financièrement sa progéniture, droit refusé également aux parents non divorcés. Cette question doit donc être examinée de plus près.

LES TAXES INDIRECTES DE VENTE SUR LA NOURRITURE

Nous savons que le gouvernement fédéral a l'intention de s'engager dans une réforme de la taxe de vente, laquelle pourrait prendre la forme d'une taxe de vente multi-stades qui remplacerait l'actuelle taxe fédérale de vente et celle sur les ventes des fabricants.

Nous savons aussi que ce même gouvernement se propose de taxer des éléments aussi essentiels que la nourriture. Le crédit de taxe est nettement insuffisant et le fardeau de cette réforme serait encore une fois supporté par ceux et celles qui ont le moins les moyens de payer.  Nous demandons à notre gouvernement d'intervenir auprès du fédéral pour négocier en notre faveur.  Nous préférons un système d'impôt direct et un système plus transparent.

Parmi les autres irritants il y en a un qui nous touche toutes en tant que groupe et c'est celui de la difficulté d'obtenir un statut d'organisme de charité à des fins de levée de fonds.  Plusieurs organismes font pression auprès du fédéral sur cette question et  au moment où nous sommes incitées à l'auto-financement, un appui du gouvernement québécois serait apprécié.

SOUTIEN AUX MEMBRES D'UN MÉNAGE

Même si nous abordons ici une problématique qui touche les liens de certains individus entre eux, nous voulons affirmer dès le départ que nous demandons, nous aussi, le maintien de la base individuelle comme unité de taxation. Nous craindrions qu'en adoptant une autre unité de taxation, comme l'unité familiale, nous n'aboutissions tout simplement à imposer un plus grand fardeau fiscal aux femmes dont les revenus sont, la plupart du temps, inférieurs à ceux de leur conjoint, sans qu'il y ait pour autant une meilleure répartition des revenus à l'intérieur du couple.

Quant au conjoint au foyer, nous sommes d'avis que la priorité est de ne plus le considérer comme une personne à charge.

Le système permet actuellement qu'une personne soustrait de ses revenus un montant qui, soi-disant, correspond au coût des besoins essentiels; il permet aussi qu'un conjoint qui satisfait aux besoins essentiels d'un autre conjoint puisse également se prévaloir d'une exemption supplémentaire en raison de cette charge.  On oublie que le conjoint qui assume une responsabilité financière à l'égard de l'autre reçoit un service d'une valeur correspondante, et la plupart du temps supérieur, au bénéfice fiscal réclamé et qu'il n'y a pas de raison que ce bénéfice ne profite qu'à lui seul. Surtout dans une société dont la loi reconnaît qu'un conjoint peut s'acquitter de sa contribution aux charges du ménage par son travail au foyer.

Nous proposons donc que les présentes exemptions personnelles et de personne à charge soient transformées en crédit d'impôt et que ce crédit soit remboursable auprès de la personne pour laquelle il est réclamé.  Une telle mesure s'inscrit directement dans un objectif d'autonomie des femmes puisque, on le sait bien, ce "conjoint" au foyer ne s'identifie à toute fin pratique au masculin que sur papier. Dans la "vraie" vie, c'est la conjointe qui est au foyer.

Parallèlement à un objectif d'équité entre les conjoints et de redistribution de la richesse, la transformation de l'ex- emption en crédit d'impôt poursuit un autre objectif: celui de la conformité avec le principe de "progressivité du sys- tème fiscal".  On sait, en effet, que les exemptions rapportent davantage aux personnes à haut revenu qu'aux autres. Elles contredisent donc le principe de la progressivité.

En 1986, le gouvernement du Québec a éliminé la possibilité d'un gain minimal pour le conjoint au foyer sans qu'il y ait diminution de l'exemption de personne mariée.  Cette mesure désincite les femmes au foyer à se procurer une certaine indépendance financière.  C'est une attaque au droit au travail peu respectueuse de l'autonomie individuelle.

Le gouvernement du Québec devrait donc revenir à la formule du gain minimal qui n'affecte pas l'exemption (ou le crédit si nous devions nous diriger vers cette formule).

LE TRAITEMENT FISCAL DES ENFANTS

Il est clair que la prise en charge des enfants, dans notre société, demeure le fait de ceux et celles qui ont voulu les mettre au monde, et non pas le fait de ceux et celles qui vont profiter de leur présence et des fruits de leur travail par la suite.

Plus le potentiel d'un enfant aura été développé, ce qui malheureusement veut souvent dire "plus il aura coûté cher," plus il sera rentable pour la société.

Aujourd'hui, les familles reçoivent l'appui de la collectivité pour l'éducation primaire, secondaire et collégiale, ainsi que pour les services sociaux et de santé, ce qui est déjà énorme.  Certaines familles ont aussi accès à des services de garde.

Mais, la présence d'un enfant, sur le strict plan financier, est infiniment plus exigeante.

Les exemptions qui sont accordées présentement profitent davantage aux familles à haut revenu.

Le crédit d'impôt remboursable, serait donc, dans le cas des enfants comme dans celui de leurs parents, plus équitable. Pourvu cependant, qu'il ne s'applique pas comme le crédit d'impôt fédéral, lequel est sélectif et ne profite même pas aux familles à revenu moyen, ou du moins à toutes les familles à revenu moyen.  Ce crédit d'impôt remboursable devrait donc être universel et substantiel.  Un crédit remboursable, universel et substantiel pourrait remplacer à la fois les exemptions pour enfants (et l'allocation familiale); à ce crédit universel pourrait s'ajouter un crédit sélectif pour les familles à faibles revenus.

À défaut de ce crédit, cependant le gouvernement du Québec devra modifier radicalement sa politique en matière d'allo- cations familiales.  C'est, avec le revenu de travail des assisté-e-s sociaux-les, le seul revenu actuellement qui est imposable à un taux marginal de cent pour cent.  À ce moment- là on ne parle plus "d'imposable" mais de "remboursable" et on ne parle plus, non plus, de programme universel.  Le traitement fiscal des allocations familiales du Québec est une farce monumentale dont les familles font les frais. Le gouvernement a tout juste réussi à faire en sorte que ces allocations ne soient pas de surcroît imposées au fédéral ce qui aurait eu pour conséquence que les parents auraient à payer de l'impôt sur de l'argent qui ne leur est, en somme, que prêté.

La question du revenu minimal se pose pour les jeunes comme pour les conjoints au foyer.  Du fait que le premier dollar gagné par 1'adolescent-e vient réduire l'exemption du parent qui la réclame, on désincite le travail chez les jeunes et on ne les considère pas comme ayant droit à une autonomie per- sonnelle .

Quant aux familles mono-parentales c'est une problématique que nous laissons à celles qui en sont les spécialistes mais nous proposerons un traitement fiscal de la pension alimentaire dans la thématique suivante.

INCITATIFS AU TRAVAIL

Nous répétons ici que la suppression du revenu exempté de la conjointe au foyer a pour effet de lui retirer la mince marge de manoeuvre que celle-ci avait de gagner un petit revenu autonome.

Si on ajoute cette mesure à l'accroissement de l'exemption de personne mariée force nous est de constater qu'il s'agit là d'une manoeuvre de désincitation à l'emploi pour les femmes sans que celles-ci en retirent de bénéfices personnels.

C'est une négation du droit au travail.

LE TAUX MARGINAL DE TAXATION ET LES PRESTATIONS D'AIDE SOCIALE

II y a nécessité de réduire les taux marginaux de taxation pour rendre, auprès des personnes à faible revenu, le travail plus intéressant sur le plan financier.  Cela permettrait aussi de réduire le travail sur le marché noir.  Les bénéficiaires d'aide sociale doivent pouvoir continuer à recevoir de l'aide sociale même si elles occupent un emploi.  Cinquante pour cent (50%) de l'imposition de ces gains de travail constituerait un taux marginal acceptable.

PROGRAMME DE PRÊTS ET BOURSES

Le régime de prêts et bourses devrait favoriser l'autonomie

des femmes mariées quel que soit leur âge et étendre aux couples

mariés légalement les conditions faites aux conjoints de fait et aux cheffes de familles monoparentales.  Également il faudrait admettre à ces programmes les étudiants-es à temps partiel.  Les coûts reliés aux études devraient être entièrement déductibles.

QUANT AUX PROGRAMMES DE RÉINSERTION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL IL FAUDRAIT;

a)   que les programmes qui existent déjà tels le programme Transition Travail, les Semo et les programmes qui offrent une initiation aux métiers non traditionnels soient poursuivis et même accentués et développés.

Il faut aussi développer des services régionaux d'orien- tation, d'accueil et de référence et offrir des alloca- tions de formation suffisantes, recommandation issue de groupes lors des consultations sur la politique familiale,

Il faut aussi mettre en place les mécanismes de reconnais- sance des acquis.

Les diverses incitations au travail doivent déborder, rappelons-le, le champ de la fiscalité et s'inscrire dans une politique plus large de l'emploi et idéalement dans une politique de plein emploi.

Les programmes d'accès à l'égalité doivent faire partie politique globale.