Avis du Groupe des 13 sur le Projet de politique de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue

Présenté au ministre d'État à l'Éducation et à la Jeunesse,

monsieur François Legault

et

au ministre d’État au Travail, à l’Emploi et à la Solidarité sociale

Monsieur Jean Rochon

21 septembre 2001


Sommaire

Introduction

  • Appliquer l'analyse différenciée selon les sexes à tous les aspects du Projet de politique de l'éducation des adultes

  • L'obligation d'appliquer l'analyse différenciée selon les sexes
  • Quelques exemples d'impacts déjà identifiés

  • Faire du Projet de politique tel que proposé une véritable politique gouvernementale de l'éducation des adultes

  • Une définition beaucoup plus large de l'éducation des adultes
  • Le ministère de l'Éducation : un acteur central
  • La reconnaissance, la consolidation et le développement des groupes et des réseaux mis en place par les femmes

  • Reconnaître l'importance de la formation continue spécifiquement pour les femmes

  • Les obstacles que rencontrent les femmes pour accéder à l'éducation des adultes et l'élaboration de mesures spécifiques pour que ces obstacles soient levés
  • La solution de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue pour les femmes

Recommandations


“ L'éducation des adultes devient donc plus qu'un droit; elle est une clé pour le XXIe siècle. Elle est à la fois la conséquence d'une citoyenneté active et la condition d'une pleine et entière participation à la vie de la société. Il s'agit d'un concept propre à contribuer puissamment à l'instauration d'un développement écologiquement durable, à la promotion de la démocratie, de la justice, de l'équité entre les sexes et du développement scientifique, social et économique, ainsi qu'à l'édification d'un monde qui, à la violence, préférera le dialogue et une culture de la paix fondée sur la justice. L'éducation des adultes peut forger l'identité et donner sens à la vie. La notion d'éducation tout au long de la vie suppose que l'on repense le contenu de l'éducation de manière à prendre en compte des facteurs tels que l'âge, l'égalité des sexes, les handicaps, la langue, la culture et les disparités économiques. ” (souligné par le Groupe des 13)

Extrait de La Déclaration de Hambourg sur l'éducation des adultes, 5e Conférence internationale sur l'éducation des adultes, 14 au 18 juillet 1997, page 1.

              


Introduction

Le Groupe des 13 existe depuis 1986. Même si cette coalition n’est pas incorporée, elle est reconnue par le gouvernement comme interlocuteur des regroupements nationaux de groupes de femmes du Québec qui en sont membres. Elle a été mise sur pied pour favoriser l’échange d’information, le soutien, le ressourcement, la solidarité et la prise de positions communes. Voici les membres du Groupe des 13 :

  • l’Association des collaboratrices et partenaires en affaire (ACPA)
  • l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFÉAS)
  • le Centre de documentation sur l'éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF)
  • le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)
  • la Fédération des femmes du Québec (FFQ)
  • la Fédération des ressources d’hébergement pour les femmes violentées et en difficulté du Québec (FRHFVDQ)
  • la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)
  • la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN)
  • Femmes regroupées en options non traditionnelles (FRONT)
  • Nouveau départ national
  • l’R des centres de femmes du Québec
  • le Regroupement Naissance-Renaissance
  • le Regroupement provincial des maisons d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale (RPMHTFVVC)
  • le Regroupement québécois des CALACS (centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)
  • Relais-Femmes
  • le Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ)
  • le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF)
  • la Société Élizabeth-Fry

D'entrée de jeu, le Groupe des 13 souhaite ramener à la mémoire, puisqu'elles ont été perdues au fil des projets, quelques définitions utiles, à titre de prémisses, pour mieux saisir les commentaires et les recommandations qui suivront. Voici donc quelques définitions en matière d'éducation des adultes que le Groupe des 13 fait siennes ou propose :

Éducation des adultes: La définition à laquelle le Groupe des 13 adhère, se trouve dans la Déclaration de Hambourg. Nous citons un extrait pour plus de facilités : “ L'éducation des adultes désigne l'ensemble des processus d'apprentissage, formels ou autres, grâce auxquels les individus considérés comme adultes dans la société à laquelle ils appartiennent développent leurs aptitudes, enrichissent leurs connaissances et améliorent leurs qualifications techniques ou professionnelles ou les réorientent en fonction de leurs propres besoins et de ceux de la société. ” Selon celle-ci, les adultes sont donc non seulement des hommes et des femmes qui travaillent, mais l'ensemble de la population incluant celle qui n'est pas active sur le marché du travail.

Formation continue : Tel que le titre du Projet de politique l'énonce, l'éducation des adultes se doit d'être conçue dans une perspective de formation continue, c'est-à-dire tout au long de la vie des personnes, hommes et femmes, en emploi ou non.

Formation de base : Une formation de base équivaut aux études secondaires menant à l'obtention du diplôme de secondaire 5. Cette formation de base est accessible à toute la population et gratuite.

Formation générale : Une formation générale inclut non seulement les matières enseignées dans le réseau scolaire traditionnel, mais des matières reliées à tous les aspects de la vie des personnes, sociale, culturelle, politique, économique et autres. Nous l'associons à la notion d'éducation citoyenne. Cette formation générale doit aussi être accessible à toute la population et gratuite. 

Ces définitions sont rappelées parce qu'à notre sens, le Projet de politique démontre sans équivoque que des mots se sont perdus depuis la Déclaration de Hambourg. Malheureusement, il ne suffit pas non plus de les citer pour leur redonner un sens véritable. Dans cet esprit, nous trouvons des plus logiques que les principes énoncés dans le Projet de politique que l'on retrouve à la page 4, se traduisent par des engagements de la part de chacun des ministères à réaliser des actions concrètes.


« un processus qui vise à discerner de façon préventive au cours de l’élaboration et de la conception d’une politique, d’un programme ou toute autre mesure, les effets distincts que pourra avoir son adoption par le gouvernement sur les femmes et les hommes ainsi touchés compte tenu des conditions socio-économiques différentes qui les caractérisent »

  • Appliquer l'analyse différenciée selon les sexes à tous les aspects du Projet de politique de l'éducation des adultes

Le recours à l'analyse différenciée selon les sexes nous apparaît être un moyen des plus concrets pour traduire certains aspects des principes dont l'accès à l'éducation des adultes pour toute la population, de façon équitable pour les femmes. L'analyse différenciée selon les sexes (ADS) devrait traverser la politique d'éducation des adultes dans tous ses volets et le gouvernement s'est lui-même engagé à le faire.

            1.1            L'obligation d'appliquer l'analyse différenciée selon les sexes

L'application de l'analyse différenciée selon les sexes nous apparaît devoir être un principe liminaire de la politique de l'éducation des adultes. À ce titre, son application serait inconditionnelle et elle en traverserait tous ses volets.

Nous le rappelons : le gouvernement s'est lui-même obligé à appliquer l'ADS. Cette obligation prend sa source dans le Programme d'action 1997-2000 pour toutes les Québécoises issu de la Politique québécoise en matière de condition féminine. Ainsi, via le Programme d'action, dès le début d'un projet, les hautes instances gouvernementales sont incitées à promouvoir l'application de l'ADS.

Le Groupe des 13 apprécie que les signataires du Projet de politique aient pensé à appliquer la politique aux trois groupes cibles que sont les jeunes adultes de 16 à 24 ans, les adultes handicapés et les personnes immigrantes. Il ne peut que se réjouir de retrouver dans une politique gouvernementale une référence à l'ADS. Le Projet fait également état de l'exigence de disposer de données ventilées selon les sexes. Leur existence est en effet conditionnelle à l'application de l'ADS, mais celles-ci ne suffisent pas à elles seules. Le Groupe des 13 s'attend à ce que l'ADS soit appliquée à tous les groupes de la population.

Même auprès de ces trois groupes, nous déplorons qu'il ne soit pas assuré que l'ADS sera utilisée. Nous référons à la page 17 du Projet de politique : “ Dans ces groupes, une approche différenciée selon les sexes sera adaptée. Ainsi, une attention particulière pourrait être portée aux femmes qui vivent des situations différentes de celles des hommes. ” Vous noterez l'emploi du conditionnel et le fait que l'ADS soit adaptée.

Le recours à l'ADS permettrait de cibler les obstacles auxquels les femmes sont confrontées, qui sont liés à leur statut, et d'identifier les mesures pour lever chacun de ces multiples obstacles et répondre adéquatement à leurs besoins d'éducation et de formation.

  • Quelques exemples d'impacts déjà identifiés

À propos de la pauvreté des femmes qui leur rend beaucoup plus difficile l'accès à l'éducation :

“ La pauvreté : une réalité qui vise plus particulièrement les femmes, jeunes et moins jeunes. En 1995, les femmes représentent toujours la majorité des plus pauvres parmi les pauvres. Pour l'ensemble du Canada, la proportion des personnes qui sont le chef d'une famille monoparentale et qui ont un revenu avant impôt inférieur aux seuils de faible revenu de Statistique Canada est deux fois plus importante pour ce qui est des femmes (45,4 %) qu'en ce qui a trait aux hommes (22,9 %). De plus, au Québec et toujours en 1995, 95,3 % des femmes âgées de 15 à 24 ans et qui sont cheffes d'une famille monoparentale, à savoir la presque totalité a un revenu avant impôt inférieur aux seuils de faible revenu de Statistique Canada. ”

Le Groupe des 13 est fermement convaincu que la pauvreté des femmes est un des principaux obstacles qui doit être résolu pour leur rendre accessible l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue. L'application de l'ADS le réaffirmerait et inciterait à la mise en place de mesures pour lever cet obstacle.

À propos de l'accès aux technologies de l'information pour la formation à distance

“ Si l'on considère la quantité d'ordinateurs performants de dernière génération et les ratios de personnes employées par ordinateur récent, dans les secteurs où on compte plus de 10 répondants, les groupes répondants des secteurs loisirs, femmes, santé et services sociaux, et personnes handicapées apparaissent moins bien nantis comparativement aux répondants des secteurs du développement économique, de l'insertion professionnelle et du développement communautaire. ”

Les groupes de femmes seraient donc moins équipés en nouvelles technologies et moins formés. L'application de l'ADS ferait probablement ressortir, si cela n'a pas déjà été démontré dans le passé, que les femmes, de manière générale, ont moins accès aux nouvelles technologies et sont moins formées pour ce faire. Les raisons invoquées auraient trait, notamment, à la pauvreté et au fait que les connaissances techniques ne sont pas valorisées traditionnellement chez les femmes. L'application de l'ADS devrait inciter à la mise en place de mesures spécifiques pour favoriser les femmes dans l'accès à la formation à distance et, de manière générale, à  l'information.

À propos des inégalités entre les hommes et les femmes en emploi

“ Qu'il s'agisse du salaire horaire ou du salaire hebdomadaire, les femmes, peu importe leur âge, gagnent un salaire inférieur à celui des hommes, en 1998. De manière générale, les femmes gagnent l'équivalent de 83,4 % du salaire horaire moyen des hommes et 71,5 % de leur salaire hebdomadaire moyen. L'écart entre le salaire des femmes et celui des hommes est plus élevé dans le secteur de la production de biens qu'il ne l'est dans le grand secteur des services. Pour l'ensemble du secteur de la production de biens, le salaire horaire moyen et le salaire hebdomadaire moyen des femmes représentent respectivement 74,1 % et 68,4 % du salaire horaire moyen et du salaire hebdomadaire moyen des hommes. Pour ce qui est du grand secteur des services, le salaire horaire moyen et le salaire hebdomadaire moyen des femmes en représentent respectivement 85,2 % et 73,6 %. ”

Oui, la situation des femmes a progressé tant à l'école que sur le marché du travail, mais elle n'est pas comparable à celle des hommes, loin de là. L'application de l'ADS confirmerait que les femmes subissent encore des iniquités en emploi et inciterait à la mise en place de mesures pour favoriser l'accès des femmes à la formation continue parce qu'elles en ont d'autant plus besoin sur le marché du travail.

Quelques autres exemples

L'application de l'ADS pourrait permettre de dégager les inégalités subies par les femmes sous plusieurs autres aspects du Projet de politique :

  • La reconnaissance des acquis est plus significative pour les femmes que pour les hommes, les femmes étant plus absentes du marché du travail pendant de longues périodes pour la grossesse et l'éducation des enfants. L'application de l'ADS affirmerait la nécessité de mettre l'emphase sur la reconnaissance des acquis, ce que ne fait pas de manière adéquate le Projet de politique à l'exception de la reconnaissance des acquis pour les personnes immigrantes, en restant encore à l'étape des vœux pieux.

  • De façon générale, tel que le confirme le Projet de politique, la présence des femmes dans le travail autonome, atypique et dans les entreprises de petite taille est significative. Le Groupe des 13 trouve peu réaliste d'exiger des employeurs de ces petites entreprises et des travailleuses et travailleurs eux-mêmes de contribuer au financement de leur formation en emploi tel que le suggère le Projet de politique. Encore plus, leur demander de contribuer au retour aux études relève d'une véritable utopie. Mais si cette mesure était maintenue, l'application de l'ADS réaffirmerait la nécessité de prendre en compte le fait que les personnes désavantagées par cette mesure seraient en majorité des femmes et d'apporter des correctifs.

  • Faire du Projet de politique tel que proposé une véritable politique gouvernementale de l'éducation aux adultes

  • Une définition beaucoup plus large de l'éducation des adultes

Le Groupe des 13 considère que le Projet de politique, tel qu'il est proposé actuellement, ne constitue pas une politique de l'éducation aux adultes, mais plutôt une politique de formation de la main-d'oeuvre. Il en veut pour preuve la place plus que considérable consacrée à la formation à l'emploi et en emploi. Cette place est démesurée dans un Projet de politique de l'éducation des adultes. De plus, le Projet de politique débute sans ambages par l'objectif de “ répondre avec cohérence aux besoins de la main-d'œuvre et des entreprises ” et s'y consacre en majeure partie alors que nous croyons que la formation de la main-d'œuvre aurait dû prendre une place beaucoup moindre et surtout ne pas débuter le Projet de politique.

Si nous revenons à l'exercice fait précédemment de définir certaines expressions, il est certain qu'une politique de l'éducation des adultes, selon le Groupe des 13, doit définir beaucoup plus largement l'éducation des adultes et surtout proposer des engagements clairs de la part de tous les ministères concernés. De plus, une telle politique doit favoriser l'accès libre et gratuit à l'éducation des adultes.

Cette définition de l'éducation des adultes inclut l'accès à la formation de base et à une formation générale. La formation de base à laquelle adhère le Groupe des 13 exige le soutien aux adultes dans leurs études jusqu'à l'obtention du diplôme d'études secondaires, soit à la fin du secondaire 5. Quelle est la formation de base évoquée dans le Projet de politique ? Celle-ci serait-elle réduite au secondaire 3 ? Que s'est-il passé pour que le secondaire 3 devienne suffisant comme formation de base dans notre société de plus en plus complexe ? Entendons-nous bien. Le Groupe des 13 ne croit pas que le diplôme de secondaire 5 doive devenir une exigence pour obtenir un emploi. Mais ce qui est primordial, c'est que l'État conserve sa responsabilité de soutenir les adultes dans leurs démarches pour recevoir la formation de base, ce jusqu'à l'obtention du diplôme de secondaire 5.

De plus, l'État doit affirmer dans une véritable politique de l'éducation des adultes, son rôle d'offrir une formation générale à toute la population en développant tous les aspects de la vie des personnes, culturelle, sociale, politique, économique, environnementale, communautaire et autres. Le Groupe des 13 croit qu'il est fondamental de former des êtres humains complets, éduqués et citoyens.

C'est dans ce cadre que la formation de la main-d'œuvre s'inscrit. Cet aspect de la formation des personnes est tout aussi fondamental, mais il constitue un des aspects parmi tous les autres de la formation générale. Oui, la plupart des personnes doivent se trouver un emploi, mais elles s'intègreront au marché du travail et de façon satisfaisante, d'autant plus qu'elles seront capables de réfléchir, de se questionner et de trouver des solutions aux difficultés qui se dresseront devant elles, que ce soit au travail ou dans la vie en général. La formation générale leur aura permis de transférer leurs connaissances d'un domaine à un autre. La transférabilité est l'une des caractéristiques principales de la formation générale, non seulement d'une entreprise à une autre, d'un emploi à un autre, mais d'un domaine à un autre de la vie en société.

Une nouvelle expression survient dans le Projet de politique : la formation commune. Encore là, peu d'indices sont révélés sur ce qu'elle permettrait d'acquérir comme connaissances. Est-il proposé qu'elle remplace la formation de base ? Le concept est flou dans le Projet de politique, mais puisque nous ne croyons pas utile qu'elle soit introduite et qu'elle entraîne davantage de confusion, nous recommandons tout simplement de la supprimer de tout nouvel énoncé de politique.

  • Le ministère de l'Éducation : un acteur central

D'une part, le maître d'œuvre de la politique de l'éducation aux adultes doit demeurer sinon redevenir le ministère de l'Éducation, ce que nous ne sentons pas affirmer dans le Projet de politique. Plutôt, le MEQ semble en être réduit à jouer un rôle de dispensateur de services de formation aux entreprises et aux employeurs, et le Projet nous semble avoir été élaboré pour s'adresser aux employeurs obligés de consacrer un pourcentage de leur masse salariale à la formation et qui ont besoin de ressources pour y parvenir. Ainsi, à plusieurs reprises dans le Projet de politique, selon les différentes expressions employées, il est question soit des “ besoins de formation des adultes et des employeurs ”, des “ besoins de la main-d'œuvre et des entreprises ”, ou encore des “ besoins de toutes les catégories de main-d'œuvre et de tous les types d'entreprises ”, des “ besoins de formation du personnel ” et des “ besoins du marché du travail ”.

D'autre part, la proposition de réduire la formation de base à une exigence de secondaire 3 donne l'impression que le MEQ tende à se déresponsabiliser de fournir une formation de base adéquate à toute la population. Le Groupe des 13 est inquiet de cette nouvelle orientation que semble privilégier le MEQ et croit que ce dernier doit se positionner de façon très claire pour conserver dans l'éducation des adultes, le soutien aux adultes qui veulent acquérir la formation de base menant au diplôme de secondaire 5.

Dans le présent mémoire, le Groupe des 13 tient à insister sur la mission fondamentale du MEQ qui est de voir à l'éducation de toute la population, enfants et adultes, femmes et hommes. La distinction entre l'éducation et l'insertion à l'emploi doit aussi être réitérée, l'insertion à l'emploi ne relevant pas de la mission du MEQ. Ainsi, lorsqu'il est écrit dans le Projet de politique que les entreprises sont en droit de s'attendre à avoir accès à un bassin de main-d'œuvre qualifiée selon leurs besoins, cette responsabilité ne relève pas de la mission du MEQ. Mais à la fois, le Groupe des 13 croit qu'il ne doit pas être créé deux niveaux de formation, l'un s'inscrivant dans une formation générale des adultes dans une perspective de formation continue, et l'autre étant constituée à rabais pour les besoins des employeurs.

De plus, nous sommes d'avis que lorsque des entreprises ont recours à des équipements qui leur sont spécifiques, il relève de leurs responsabilités de former leur personnel pour l'utilisation de ces équipements. Cette formation n'est pas une responsabilité d'Emploi-Québec, encore moins du MEQ et n'est pas essentielle à une formation générale, selon nous, puisqu'une de ces caractéristiques principales est de ne pas être transférable d'une entreprise ou d'un emploi à l'autre.

Le Groupe des 13 croit également que l'éducation des adultes doit être considérée spécifiquement par le MEQ. Comme l'écrit Claude Ryan dans le texte d'une conférence prononcée, le 6 juin dernier, lors du congrès annuel de la Table ronde des responsables de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle des commissions scolaires du Québec : “ Les adultes ne sont pas des élèves attardés à qui il s'agirait d'inculquer, en leur appliquant les mêmes normes et exigences qu'aux élèves réguliers, des connaissances qu'ils auraient dû acquérir plus tôt. Porteurs d'expériences variées, ils ont leurs manières de faire, leurs modes propres de fonctionnement intellectuel. Au lieu de les traiter comme des élèves réguliers, l'éducation des adultes doit au contraire considérer leur expérience de la vie et leurs modes de fonctionnement comme des actifs précieux. ”


  • La reconnaissance, la consolidation et le développement des groupes et des réseaux mis en place par les femmes

L'éducation des adultes est assumée notamment par les lieux de formation qu'ont mis en place les groupes communautaires et particulièrement les groupes de femmes pour offrir une formation citoyenne au moyen de l'éducation populaire autonome. La reconnaissance, la consolidation et le développement de ces groupes et de leurs réseaux sont nécessaires pour maintenir la qualité de la formation qui est offerte. Des personnes y recourent parce qu'elles les préfèrent au réseau “formel” de l'éducation des adultes et la notion de volontariat est essentielle selon nous. 

L'expression utilisée couramment par les groupes communautaires et les groupes de femmes est “ éducation populaire autonome ”. Pourtant, le Projet de politique ne s'en préoccupe guère. Il en est question uniquement à la section 5.4 pour proposer une “ reconnaissance légale des groupes populaires en formation des adultes ”. Bien que souhaitable, la reconnaissance légale doit être accompagnée du financement adéquat pour consolider et développer ces lieux de formation. À cet égard, dans les dernières années, le MEQ a adopté un moratoire sur le Programme de soutien à l'éducation populaire autonome (PSEPA); peu de nouveaux groupes ont été accrédités et les groupes déjà financés n'ont reçu aucune augmentation de leur financement. Actuellement, le PSÉPA demeure un programme discrétionnaire, donc menacé de disparition au MEQ.

Même si les efforts demeurent tout à fait insuffisants, d'autres ministères tel le MSSS ont, quant à eux, fait plus pour l'éducation populaire autonome que le MEQ lui-même. Qu'en est-il de la responsabilité du MEQ face à l'éducation populaire autonome ? Le Groupe des 13 croit que le Projet de politique constitue l'occasion d'affirmer sa responsabilité face à l'éducation populaire autonome et de prendre les engagements financiers qui s'imposent auprès des groupes communautaires et des groupes de femmes.

Les groupes de femmes et leurs réseaux constituent une infrastructure très élaborée de lieux de formation à la citoyenneté pour les femmes au Québec. Voici quelques-uns de ces lieux qui en illustrent l'ampleur :

  • Relais-femmes, créé depuis 1982, relève le défi de la recherche, de la réflexion et de la formation en concertation avec les groupes de femmes et les milieux universitaire et syndical.
  • Le Centre de documentation sur l'éducation des adultes et la condition féminine, créé en 1983, s'est donné, d'une part, un mandat de diffusion des connaissances sur l'éducation des adultes et la condition féminine et, d'autre part, de dépôt d'une mémoire collective sur ces deux thèmes.
  • Les regroupements de groupes de femmes ont à peu près tous développé des services de formation auprès de leurs groupes membres.
  • Enfin, les groupes de femmes eux-mêmes offrent de la formation aux femmes qui en sont membres ou qui les fréquentent.

  • Reconnaître l'importance de la formation continue spécifiquement pour les femmes

  • Les obstacles que rencontrent les femmes pour accéder à l'éducation des adultes et l'élaboration de mesures spécifiques pour que ces obstacles soient levés

Les femmes en particulier doivent faire face à des obstacles pour acquérir la formation de base et la formation générale auxquelles elles ont droit. La pauvreté est une des réalités spécifiques que vivent les femmes : elles sont plus pauvres que les hommes. Cette réalité doit être rappelée constamment pour favoriser l'accès des femmes à l'éducation des adultes qui est une des clés pour améliorer leurs conditions de vie et de travail.

Le Groupe des 13 rappelle que le recours à l'analyse différenciée selon les sexes, ce dans tous les volets d'une politique de l'éducation des adultes, de façon transversale, permettrait de mieux cibler les obstacles que rencontrent les femmes pour accéder à l'éducation des adultes et, surtout, d'identifier les mesures pour qu'ils soient levés.

Le Groupe des 13 croit que la pauvreté des femmes constitue la trame de fond qui doit être prise en compte constamment lors de l'élaboration des mesures qui permettront aux femmes d'accéder à l'éducation des adultes. Actuellement, les mécanismes tels le régime de prêts et bourses et les allocations versées par Emploi-Québec pour de la formation en vue d'une insertion sociale et professionnelle, ne sont pas adéquats pour inciter les femmes à accéder à l'éducation. Le régime de prêts et bourses doit être révisé en profondeur, notamment pour mettre fin à la pratique qui consiste à prendre en compte le revenu familial comme condition d'accès à ce régime.

De la pauvreté des femmes découlent de multiples conséquences. Isolées moralement et physiquement, l'accès à l'éducation ne peut être que difficilement une priorité pour elles. L'état de survie dans lequel bon nombre d'entre elles sont confinées leur impose de répondre à leurs besoins essentiels, avoir un toit et la nourriture pour elles et leurs enfants, et l'éducation ne peut malheureusement pas en faire partie. Les femmes vivant en dehors des grands centres urbains se trouvent doublement isolées parce qu'il n'y a pas ou peu de services de transport en commun en dehors des grands centres et elles n'ont pas l'argent pour se payer un véhicule.

De plus, même si la société québécoise a évolué en ce qui concerne le partage des responsabilités familiales, c'est encore une majorité de femmes qui les assument. Lorsqu'elles sont sur le marché du travail, elles ont une double tâche et doivent concilier travail et famille. Mentionnons également la violence physique et psychologique faite à de nombreuses femmes, tant dans le milieu familial qu'au travail. Il est alors extrêmement difficile pour plusieurs d'entre elles de s'inscrire dans une démarche éducative.

Lorsque tous ces obstacles se dressent, l'accès libre et gratuit à l'éducation des adultes peut bien être offert, mais les conditions pour poser des choix n'existent pas ou sont déficientes. Pour lever les obstacles, des mesures spécifiques pour les femmes sont donc nécessaires. Le Groupe des 13 recommande que ces mesures aient trait, entre autres, au financement de services de garde, du transport, à l'adaptation des horaires pour concilier l'éducation avec les responsabilités familiales et à la révision du régime de prêts et bourses. En formation professionnelle, une mesure est depuis longtemps revendiquée par des groupes de femmes, soit celle de réserver cinq places aux femmes dans les programmes de formation où elles représentent moins du tiers de la population étudiante.

  • La solution de l'éducation des adultes dans une perspective de formation continue pour les femmes

Nous avons vu que les femmes demeurent désavantagées sur le marché du travail. Elles auront donc besoin, d'autant plus, d'accéder à de la formation pour maintenir leurs acquis. Quant aux femmes qui ne sont pas sur le marché du travail et qui ont aussi droit à de la formation, celle-ci constitue un des moyens, parmi les plus importants, soutient le Groupe des 13, d'acquérir une certaine autonomie, sinon d'améliorer leurs conditions de vie, et de devenir des citoyennes actives dans la société québécoise.

Plus particulièrement, en ce qui concerne la formation de la main-d'œuvre, que les femmes soient déjà en emploi ou à la recherche d'un travail, la formation s'inscrit dans un processus pour atteindre une certaine autonomie économique. Distinguons les travailleuses dans les entreprises assujetties à la Loi 90 de celles qui ne le sont pas. Les premières ont accès à de la formation en emploi en vertu de la Loi 90. Cependant, ne nous leurrons pas. Nous les retrouvons dans les secteurs d'emploi traditionnels et la formation qui risque de leur être offerte va porter sur l'amélioration de leurs connaissances dans ces secteurs d'emploi.

Quant aux travailleuses dans des entreprises non assujetties à la Loi 90, nous avons vu qu'elles constituent une bonne partie de la main-d'œuvre féminine, dans des emplois atypiques ou pour de petites entreprises. Les mesures suggérées par le Projet de politique sont utopiques, avons-nous exprimé comme opinion précédemment, et ne risquent pas, selon nous, de favoriser l'accès à la formation pour ces travailleuses.

Dans tous les cas, l'éducation des adultes doit permettre aux femmes de se former pour une éventuelle réorientation et de faire des choix. Il est évident que tant les travailleuses dans les entreprises assujetties à la Loi 90 que les autres n'ont pas cette possibilité parce qu'elle implique pour les employeurs de contribuer à leur formation générale. Ces femmes, après une formation pouvant mener à une réorientation, quitteraient leur emploi auprès d'employeurs qui auraient investi dans leur formation. Les employeurs investiront-ils dans une formation pour n'en recevoir aucun bénéfice ? Qu'il nous soit permis d'en douter.

Le Projet de politique est l'occasion idéale pour corriger ces inégalités que l'application de l'analyse différenciée selon les sexes viendrait fort probablement réaffirmer. Le Groupe des 13 affirme, en conclusion, que la formation continue constitue bel et bien un jalon vers la pleine autonomie des femmes. Aussi faut-il lever les obstacles qui se dressent devant elles pour y accéder, quelles que soient leurs réalités et leurs conditions.


Recommandations

En conséquence de ce qui précède, le Groupe des 13 qui réunit 18 regroupements et organisations intervenant en condition féminine, dépose les recommandations suivantes :

  • Que l'analyse différenciée selon les sexes soit appliquée à la politique de l'éducation des adultes, ce dans tous ses volets, de façon transversale et inconditionnelle.

  • Que le Projet de politique soit modifié pour constituer une véritable politique de l'éducation des adultes plutôt qu'une politique déguisée de formation de la main-d'œuvre, assurant l'accès libre et gratuit à la formation de base et à une formation générale à la citoyenneté.

  • Que le soutien pour acquérir la formation de base soit assuré jusqu'à l'obtention du diplôme d'études secondaires, à la fin du secondaire 5.

  • Que soit supprimé le concept de “ formation commune ”.

  • Que le ministère de l'Éducation soit confirmé dans sa mission fondamentale de voir à l'éducation de toute la population, quelque qu'en soit l'âge.

  • Que le MEQ reconnaisse la spécificité des besoins des adultes en terme d'éducation.

  • Que le MEQ soutienne par un financement adéquat les groupes communautaires, les groupes de femmes et leurs regroupements, ayant constitué une infrastructure de lieux de recherche et de formation générale à la citoyenneté.

  • Que des mesures spécifiques pour favoriser l'accès des femmes à l'éducation des adultes soient mises en place tels le financement de services de garde et de transport, l'adaptation des horaires pour concilier l'éducation avec les responsabilités familiales et la révision du régime de prêts et bourses.

  • Que la politique de l'éducation des adultes fasse en sorte que le MEQ et Emploi-Québec réserve cinq places aux femmes dans les programmes de formation où elles représentent moins de 33 % de la population étudiante.

  • Que l'apport de la formation continue soit reconnu parmi les facteurs d'amélioration des conditions de vie des femmes et que des mesures spécifiques aux femmes soient instaurées pour en favoriser l'accès. 

Québec, Projet mobilisateur portant sur l’instruction de l’analyse différenciée selon les sexes dans les pratiques gouvernementales : rapport de la première étape, 1999. p.5

Éduconseil, La situation économique et professionnelle des femmes dans le Québec d'aujourd'hui : iniquités, réflexion, interventions, Comité aviseur femmes en développement de la main-d'œuvre, juin 2000.

Communautique, Le monde communautaire et Internet : défis, obstacles et espoirs. Résultats de l'enquête auprès des groupes communautaires, 2000, chap. 1 Synthèse des résultats (http://www.communautique.qc.ca).

Éduconseil, op. cit.

Voir à ce sujet les mesures envisagées, aux pages 29 et 30 du Projet de politique.

Voir le Projet de politique, à la page 7.

À la page 40.

Voir le Projet de politique, aux pages 8 et suivantes.

À ce sujet, la Déclaration de Hambourg affirme à l'article 4, page 2 : “ La contribution potentielle de l'éducation des adultes et de l'éducation permanente à l'émergence de citoyens informés et tolérants, au développement économique et social, aux progrès de l'alphabétisation, à l'atténuation de la pauvreté et à la préservation de l'environnement est énorme; il faut donc l'exploiter. ”

À la page 25.

Aux pages 7 et 15.

À la page 9.

Aux pages 12 et 13.

Aux pages 16 et 29.

À la page 9.

Page 4 du texte de sa conférence.