La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) souligne le 30e anniversaire de la Caravane pour l'avortement, geste collectif qui a été le fer de lance en vue de la décriminalisation de l'avortement. Trente ans plus tard, nous voulons marquer nos victoires et nos gains, et sensibiliser la population aux enjeux actuels. Le droit à l'avortement, arraché de hautes luttes, est illusoire car les services ne sont pas encore accessibles et gratuits partout au Québec et pour toutes les femmes.


Un peu d'histoire

Toute une lutte que celle des femmes pour le droit à l'avortement. Pour bien comprendre la situation actuelle, il importe de dresser les grands moments de cette lutte qui a marqué l'histoire du mouvement des femmes.

Il est intéressant de se rappeler qu'avant 1869, aucune loi n'existait sur l'avortement. C'est alors que, le Parlement canadien adopte la première loi qui criminalise l'avortement. Elle rend passible d'emprisonnement à vie toute personne qui tente de s'avorter ou de procurer un avortement à une femme. En 1892, ce même parlement criminalise toute diffusion d'information sur la contraception ainsi que l'annonce et la vente de produits contraceptifs.

Cette loi n'empêchait tout de même pas les femmes d'avoir recours à l'avortement. D'ailleurs, en 1962, selon le Bureau fédéral de la statistique, 57 617 admissions hospitalières sont dues aux complications liées à un avortement. En 1966, c'est la principale cause d'hospitalisation des femmes au Canada. Le gouvernement fédéral, ne pouvant plus ignorer ce scandale des avortements clandestins, adopte le 14 mai 1969 le projet de loi C-150 (Bill Omnibus). À partir de ce moment, l'information sur la contraception et la vente de contraceptifs sont légalisées et l'avortement, sous certaines conditions, est permis. En d'autres mots, l'avortement demeure un crime, sauf s'il est effectué dans un hôpital accrédité à cette fin et si un comité thérapeutique composé de trois médecins évalue que la vie ou la santé de la femme est en danger (articles 251 et 252 du Code criminel). Au niveau de l'avortement le Bill Omnibus est le résultat de compromis qui ne satisfont ni les personnes pro- avortement, ni celles qui s'y opposent.

Le mouvement des femmes s'organise.

C'est le début d'une longue lutte juridique et politique qui mobilise de plus en plus de groupes de femmes. D'ailleurs, un premier rassemblement aura lieu un peu plus tard. Le 9 mai 1970, des centaines de femmes se réunissent à Ottawa, point culminant de la Caravane pour l'avortement qui avait auparavant sillonné le Canada. Le lendemain, plusieurs Québécoises ajoutent leurs voix à celles des Canadiennes en manifestant à Montréal.

Par le biais de manifestations, mémoires, conférences de presse, manifestes, lettres, pétitions, télégrammes,teach-in, brochures, articles, etc., le mouvement se fait entendre. Les femmes réclament : le retrait de l'avortement du code criminel; l'avortement libre et gratuit; l'arrêt des poursuites judiciaires; le droit des femmes de décider de leur maternité; la maîtrise de leur fécondité; le contrôle de leur corps; le respect sans jugement du choix des femmes; la contraception gratuite, efficace et non nocive; un financement et un soutien accru aux programmes de planning des naissances, incluant des services d'avortement assurables, accessibles et de qualité, et ce, dans toutes les régions du Québec.

La décriminalisation de l'avortement

Dès la fin des années 1960, le Dr Morgentaler commence à pratiquer des avortements dans sa clinique à Montréal. Il est poursuivi par le ministre de la Justice en 1973. Trois ans plus tard, devant la lenteur des procédures judiciaires, le Dr Morgentaler avoue publiquement avoir pratiqué 5 000 avortements illégaux dans sa clinique et avorte une femmes devant les caméras de la télévision. Appuyé par le mouvement pro-choix, le Dr Morgentaler traversera trois procès et trois acquittements. En 1976, le Parti québécois ordonne l'arrêt de toutes les procédures.

Pendant les années 1980, le Dr Morgentaler met en place des cliniques d'avortement dans le reste du Canada. Chacune des provinces le poursuit à tour de rôle. Le Dr Morgentaler décide d'en appeler à la Cour suprême du Canada. Le 28 juillet 1988, la Cour suprême invalide les articles 251 et 252 du code criminel. Enfin après 20 ans de lutte, les femmes qui avortent ne sont plus des criminelles. Santé Canada décrète alors que l'avortement est une procédure médicale nécessaire qui doit être entièrement financée par les plans provinciaux d'assurance-santé. Depuis, toute femme résidant au Canada a le droit de décider par elle-même de recourir à l'interruption de grossesse.

Les tentatives de recriminalisation

« La Cour suprême a décidé que les exigences pour obtenir un avortement thérapeutique allaient à l'encontre des droits et libertés garantis à la femme par la Charte constitutionnelle. Par contre, la Cour a également laissé entendre que l'État peut validement restreindre le droit à l'avortement en raison de son intérêt de protéger le foetus »'

Cédant aux pressions des groupes anti-choix, le gouvernement conservateur tente de recriminaliser l'avortement par le projet de loi C-43 dès 1989. Adopté à la majorité par la Chambre des communes, ce projet de loi est rejeté, à la surprise générale, par le Sénat canadien.

Pendant ce temps, Jean-Guy Tremblay, au double titre de père et de défenseur du droit à la vie d'un être humain, obtient de la Cour supérieure une injonction qui interdit à Chantale Daigle le droit de se faire avorter. Mme Daigle porte ce jugement en appel devant la Cour suprême du Canada qui accepte d'entendre le cas rapidement. Le 26 juillet, plus de 10 000 personnes manifestent dans les rues de Montréal en appui à Mme Daigle. C'est à l'unanimité que les juges de la Cour suprême cassent l'injonction le 8 août 1989. Quelques mois plus tard, la Cour suprême rend son jugement et affirme que les droits du foetus ou les droits du père en puissance n'existent pas: « Le foetus n'est pas compris dans les termes"être humain" employés dans la Charte québécoise ».

À partir de ce moment, le mouvement pro-choix canalise ses énergies pour s'assurer que des services d'avortement de qualité soient disponibles pour toutes les femmes, dans toutes les provinces canadiennes. En 1989 au Québec, seulement 12 des 168 CLSC et 35 des 140 hôpitaux, 3 centres de santé des femmes et quelques cliniques privées offraient les services d'avortement.2

Et depuis...

Durant les années 1990, malgré la volonté des féministes de se consacrer à l'accessibilité des services, divers enjeux menacent le droit à l'avortement et obligent le mouvement à être vigilant sur plusieurs fronts.

La montée de la droite

La montée de la droite en Amérique du Nord est inquiétante. Cette idéologie prônant, entre autres, le retour des femmes au foyer, menace toujours les gains des femmes. Aux États-Unis, par exemple, depuis la décriminalisation de l'avortement le 22 janvier 1973, ce mouvement a réussi à influencer 31 états qui ont légiféré pour limiter l'avortement chez les mineures, interdire l'avortement tardif ou bloquer l'aide financière accordée aux cliniques. De plus, depuis 1994, sept médecins ont été tués, plusieurs intervenants et intervenantes ont été agressé-e-s, par des organisations fanatiques anti-avortement et plus d'une centaine d'attentats à la bombe contre des cliniques ont été commis. Un de leur site Web, le Nuremberg Files, donnait des renseignements personnels sur les intervenants et intervenantes en avortement et leurs familles. Même si ses créateurs ont été condamnés et ce site abolit, le mouvement demeure actif et violent.

Au Québec, les mouvements anti-choix de droite organisent des conférences, des congrès. Moins fanatiques qu'aux États-Unis, leurs principales stratégies consistent à se faire élire aux différents conseils d'administration des CLSC, des hôpitaux, des conseils d'établissement des écoles, etc. Cette stratégie pose une menace constante aux services d'avortement et à l'éducation sexuelle. Par exemple, depuis 1994, des membres des conseils d'adminis- tration de certains CLSC proposent annuellement d'abolir leur service d'avortement, et même celui de planning des naissances.

Les droits du foetus

Tel que mentionné plus haut, tout en décriminalisant l'avortement, la Cour suprême reconnaissait en 1988 l'intérêt de l'État à légiférer pour protéger le foetus. D'ailleurs, par trois occasions la Cour suprême a dû entendre des causes réclamant une certaine reconnaissance des droits du foetus : en 1989, l'affaire Chantale Daigle ; en 1997, le cas G où l'on demandait l'internement d'une jeune toxicomane pendant sa grossesse pour protéger la santé du foetus ; en 1999, le cas d'une femme du Nouveau-Brunswick poursuivie pour avoir eu un accident de voiture alors qu'elle était enceinte et avoir mis au monde, prématurément, un enfant handicapé suite à l'accident. À notre grand soulagement, aucun de ces procès n'a donné de droit au foetus. La Cour suprême maintient que le statut de personne s'acquiert à la naissance et que « ...la femme enceinte et l'enfant à naître ne forment qu'une seule personne, et rendre une ordonnance visant à protéger le foetus empiéterait radicalement sur les libertés fondamentales de la mère. ».3 Mais, à quand la prochaine saga ?

La lutte au déficit

La réforme de la santé et des services sociaux et les restrictions budgétaires reliées à l'atteinte du déficit zéro ont eu des impacts énormes sur les services d'avortement. Durant les dix dernières années, plusieurs CLSC et centres hospitaliers (CH) ont diminué le nombre d'avortements réalisés chaque semaine. Les CLSC n'acceptent plus de femmes résidant hors de leur territoire, des CH qui offraient le service d'avortement ont été fermés sans qu'il y ait eu transfert de budget ou d'équipements vers d'autres établissements. Plusieurs CH ont cessé de faire des avortements de deuxième trimestre (plus de 12 semaines de grossesse). Les CLSC concentrent de plus en plus leurs services de planning aux jeunes (moins de 25 ans) en délaissant les femmes plus âgées.

La relève médicale

Peu de médecins acceptent de faire des avortements sur demande. Cela a de grandes conséquences pour les médecins qui en font et sur la disponibilité des services. À certains endroits, seulement un ou une médecin effectue des avortements, le service est donc interrompu temporairement lorsque ce dernier ou cette dernière est en vacances. S'il ou elle quitte la région, la recherche d'un remplaçant ou d'une remplaçante est problématique et le service peut être définitivement interrompu. L'avortement n'étant pas considéré comme un service médicalement requis, les médecins n'ont donc aucune obligation de fournir ce service. Ils et elles peuvent refuser pour des raisons morales. Il est inquiétant de constater que seulement une quarantaine de médecins pratiquent des avortements au Québec et que la formation liée au planning des naissances ne semble pas valorisée par les facultés de médecine.4

Les orientations ministérielles

En 1995, le gouvernement québécois déposait ses Orientations ministérielles en matière de planification des naissances. Celles-ci ont comme principe directeur l'accessibilité universelle et la gratuité des services de planning des naissances, y compris des services d'avortement. Ceux-ci doivent être offerts dans toutes les régions du Québec.

En 1999, seulement la moitié des 17 régies régionales de la santé et des services sociaux ont déposé leur plan d'action dans ce domaine, pourtant exigés dans les Orientations. En l'an 2000, nous attendons toujours l'application de ces orientations. Après trente ans de lutte, l'avortement n'est toujours pas gratuit et accessible et il demeure un gain fragile.

La réalité des femmes

La fertilité des femmes peut s'étendre sur une quarantaine d'années et les femmes ont en moyenne moins de deux enfants. Les chances de vivre une grossesse non planifiée sont très grandes. Une Québécoise sur trois vivra, en moyenne, un avortement dans sa vie.

L'extrême pauvreté, le statut d'étudiante ou l'absence du père sont les raisons les plus souvent mentionnées lors d'une demande d'avortement. Le contexte social actuel ne favorise pas le choix d'avoir plusieurs enfants. Les femmes n'ont pas envie de vivre plus pauvrement, isolées, seules avec leurs enfants, d'avoir de la difficulté à trouver du travail ou encore de le perdre ou de vivre à la course. L'avortement demeure pour la très grande majorité un choix difficile mais qui fait

partie de la réalité des femmes. Elles décident d'interrompre leur grossesse pour des raisons qui leur appartiennent. Elles ont droit au respect de leur décision.

De plus, aucun moyen de contraception n'est sûr à 100%. Aussi, l'entrée en vigueur, en 1997, du nouveau plan d'assurance-médicaments a, de façon perverse, limité l'accès à la contraception chez plusieurs femmes démunies financièrement. En effet, ce régime a enlevé la gratuité des contraceptifs à plusieurs de ces femmes.

Contrairement à ce que les gouvernements tentent de véhiculer, l'accessibilité à des services d'avortement ne fait pas augmenter son nombre. Plusieurs études dans différents pays du monde prouvent le contraire. Plus l'avortement est restreint plus son nombre est élevé. Au Pays-Bas, par exemple, l'avortement est facilement accessible et son taux est un des plus bas au monde. Fait marquant, dans ce pays la contraception est distribuée gratuitement depuis 197l.5

Portrait de la situation actuelle au Québec

En 1998, il s'est pratiqué au Québec plus de 28 833 avortements. Les femmes âgées de 20 à 24 ans y ont le plus souvent recours.6

En décembre 1999, 31 centres hospitaliers (CH), 14 CLSC, 5 cliniques médicales privées et 3 centres de santé des femmes offrent des services d'avortement au Québec. Une femme qui désire se faire avorter et qui est à moms de 12 semâmes de grossesse devrait pouvoir trouver un point de service gratuit dans sa région, sauf pour les régions Chaudière-Appalaches et Conseil-Cri-de-la-Baie-James, qui n'offrent aucun service d'avortement.

La région Montréal-Centre se démarque par le nombre (18 établissements comparativement à 25 en 1990) et la diversité (CH, CLSC, centres de santé des femmes, cliniques privées) des ressources en avortement. Dans les autres régions, on en dénombre :

  • Six en Montérégie
  • Trois     au     Saguenay-Lac-St-Jean,     Québec, Mauricie, Lanaudière
  • Deux dans le Bas-St-Laurent, Centre-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue,  Côte-Nord,  Gaspésie- îles-de-la-Madeleine, Laval, Laurentides
  • Un en Estrie, Outaouais et Nord-du-Québec.

Les régions de l'Abitibi-Témiscamingue, de Mauricie- Centre-du-Québec, de l'Outaouais et du Saguenay- Lac-St-Jean offrent des services d'avortement jusqu'à la 14e semaine de grossesse, la région des Laurentides, jusqu'à la 15e semaine et celle de Québec jusqu'à la 16e semaine. L'Estrie, Lanaudière, Montérégie et Montréal sont les quatre régions qui offrent les services complets d'avortement, soit jusqu'à la 20e semaine. Encore aujourd'hui, plusieurs femmes devront se trouver une ressource d'avortement à l'extérieur de leur région; particulièrement, pour des services pour les grossesses de 14 semaines et plus.

Les services offerts en CH et en CLSC sont entièrement financés par l'État et donc gratuits. Depuis 1998, les avortements réalisés à la Clinique des femmes de l'Outaouais et au Centre de santé des femmes de la Mauricie sont financés par les régies régionales, le Centre de santé des femmes de Montréal est actuellement en pourparlers afin obtenir un tel financement.

Et pourtant, un tiers des avortements ont lieu en cliniques privées. Plusieurs femmes se tournent vers ces cliniques privées faute de place dans leur région, parce que le délai d'attente est trop long (deux à huit semaines), ou parce que les services d'avortement en clinique d'un jour les met en contact avec du personnel irrespectueux et moralisateur, ou parce qu'il y a peu de services pour les grossesses de 15 à 20 semaines. En fait, des milliers de femmes ont déboursé entre 180 $ et 600 $ pour obtenir leur avortement, et ce, sans compter les frais de déplacement, de gardiennage, etc.

Malgré qu'au Québec il y ait 53 lieux pour obtenir un avortement, les femmes rencontrent toujours des obstacles quant à l'accès, la qualité et la gratuité des services.

L'avortement dans le inonde : un petit tour d'horizon...7

En l'an 2000, les femmes du monde peuvent-elles choisir librement et en toute connaissance de cause d'interrompre une grossesse ?

Si la tendance actuelle qui traverse la planète est celle de la mondialisation, en matière d'avortement, on ne peut pas encore remarquer les effets d'ouverture que cette tendance pourrait créer. Force nous est de constater que les traditions culturelles, les législations politiques et les religions, propres à chaque pays, tracent encore les balises en matière d'avortement.

Certain pays et états offrent des services d'avortement comme un service de santé faisant partie des services de base et cela sans restriction. D'autres qualifient l'avortement d'homicide dans toutes les circonstances, que la femme ait été victime d'inceste ou de viol, elle demeure passible d'un emprisonnement de 20 ans. Des pays vont obliger l'avortement comme moyen de contrôle démographique. Peu importe, que ce soit dans la légalité, dans l'illégalité, clandestinement ou par des spécialistes ou par des charlatans, partout à travers le monde les femmes se font avorter, parfois même au risque de perdre leur vie.

Au niveau mondial, près de 50 millions d'avortements sont pratiqués à chaque année. Plus du tiers de ceux-ci sont des avortements illégaux réalisés principalement dans les pays de l'hémisphère sud. Près de la moitié de ces avortements ont lieu en dehors de tout système de santé. Comme le souligne un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), chaque année, 80 000 femmes meurent, à travers le monde, des suites d'un avortement, sans compter des centaines de milliers d'autres qui sont mutilées ou deviennent stériles des suites d'un avortement clandestin. Des études démontrent que plus l'avortement est restrictif, plus les femmes meurent des suites d'un avortement.

Selon une publication du Centre for Reproductive Law and Policy, sur les 151 pays de plus d'un million d'habitants, environ 62% de la population vit dans les 55 pays où l'avortement est légal sans restriction ou pour une vaste gamme de raison socio-économiques, 13% de la population vit dans les 42 pays qui permettent l'avortement pour des raisons de santé physique ou mentale et environ 25% de la population vivent dans les 54 pays où l'avortement est complètement illégal sauf pour sauver la vie de la femme.

Si aujourd'hui, les deux tiers des femmes de la planète peuvent obtenir un avortement sur demande en invoquant des raisons sociales, économiques ou personnelles, il y a aussi et en même temps 100 millions de femmes qui n'ont pas accès à la contraception.

Faisons donc un petit tour d'horizon pour connaître davantage la situation de l'avortement des pays qui forment l'Europe, l'Asie et l'Océanie, l'Afrique et les Amériques.


L'Europe

L'Europe de l'Ouest :

Plusieurs des pays formant cette partie de l'Europe ont été et sont encore traversés par de fortes allégeances religieuses. Ainsi pour l'Espagne, l'Italie, le Portugal, l'Irlande, la Grèce et la Belgique, la législation actuelle en matière d'avortement continue d'être influencée par la question religieuse.

D'autre part, l'ensemble des pays nordiques incluant le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Suède, la Norvège et les Pays-Bas demeurent les pays qui ont été, dans les 30 dernières années, les plus avant-gardistes et les plus permissifs en matière de législation, d'éducation et de mesures offertes aux femmes relativement à l'avortement et à la contraception. D'ailleurs il est intéressant de constater, aujourd'hui, les effets de ces politiques, puisque le taux de demande d'avortement chez les jeunes filles de ces pays demeurent très bas, comparativement aux autres pays occidentaux.

L'Europe de l'Est :

Pour comprendre les mesures et les législations qui sont actuellement en vigueur en matière d'avortement dans les pays formant cette partie de l'Europe, il est important de se rappeler que ces pays formaient, jusqu'à peu, l'ensemble des pays du bloc communiste. Si cet ancien régime politique a permis à l'ensemble des pays de légiférer en faveur et avec une certaine ouverture en matière d'avortement, un peu plus tard, des mesures pour contrer le faible taux de natalité feront apparaître certaines restrictions.

La majorité de ces pays ont aussi été secoués par des crises profondes et des guerres, créant de nouvelles frontières sur des territoires qui étaient habités auparavant par une population mixte, tant en regard de leurs nationalités que de leurs appartenances religieuses. Plusieurs de ces anciens et de ces nouveaux pays se sont donc vus forcés de légiférer, soit en faisant preuve d'une plus grande tolérance en matière d'avortement (afin de tenir compte des crimes de guerres perpétrés contre les femmes), soit en développant des mesures plus restrictives et coercitives, prescrites cette fois-ci, sous les fortes pressions religieuses (musulmanes et catholiques) qui resurgissent suite aux nombreuses séparations et reconfigurations territoriales.


L'Asie et 1'Oceanie

L'ensemble des pays formant l'Asie et l'Océanie offrent des services assez limités en matière d'avortement, celui-ci n'étant pas légal pour la majorité des pays de ces deux continents. Soulignons tout de même que l'Australie et la Nouvelle-Zélande demeurent les pays les plus ouverts d'Océanie.

Pour l'Asie, la Chine représente une exception. Compte tenu de sa politique de contrôle des naissances, l'avortement se pratique couramment puisqu'il est obligatoire pour toutes les femmes après la première naissance.

D'autre part, au Népal, l'avortement est considéré comme un homicide et n'est soumis à aucune exemption, même dans le cas ou la santé ou la vie de la mère est en danger. Une sentence de 20 ans d'emprisonnement est donnée à toute personne qui y aura recours. On constate également qu'il s'agit du pays sud-asiatique où le plus grand nombre de femmes meurent des suites d'un avortement.

L'Afrique

Dans le Nord de ce continent, où se retrouve majoritairement un ensemble de pays arabes d'appartenance islamique, les services d'avortements sont très restrictifs. Les pratiques religieuses donnent de manière prédominante un rôle de reproductrices aux femmes de ces pays. Bref, dans l'ensemble de ces pays, l'avortement continue d'être illégal sauf dans certains cas médicaux. Deux pays font tout de même bande à part dans leur façon d'interpréter les lois de l'Islam. Il s'agit de la Turquie et de la Tunisie, où la pratique de l'avortement est légale.

Dans les autres pays d'Afrique, 2 pays sur 53 seulement permettent l'avortement sur demande soit, le Togo et la Tunisie. Soulignons aussi que récemment le Burundi et la Zambie ont légalisé l'avortement pour des raisons de santé. Mais le fait marquant pour l'ensemble des pays formant ce continent demeure que les femmes n'ont pas accès à des services d'avortement sur demande. Ce qui se traduit par la réalité suivante : à chaque jour, près de 10 000 femmes avortent dans des conditions précaires et dangereuses et plusieurs même meurent durant cette intervention. On signale également que près des 2/3 des femmes qui vivent des complications au moment d'un avortement sont âgées de moins de 25 ans et sont surtout des adolescentes.


L'Amérique

L'Amérique latine et les Caraïbes :

En Amérique latine la forte présence de l'église catholique et du pouvoir qui lui est conférée est une donnée importante à prendre en compte pour comprendre ce que plusieurs de ces pays vont accorder aux femmes en matière d'accès à des services d'avortement.

Le Chili, par exemple, interdit l'avortement en toute circonstance, même lorsque la vie de la mère est en danger. Malgré cette interdiction, 50% des grossesses dans ce pays se terminent par un avortement.

On estime d'ailleurs que l'Amérique latine et les Caraïbes représentent la partie du monde où il y a le plus haut taux d'avortements, soit entre 2.7 et 7.4 millions par année. On dit également qu'il y a, chaque année, jusqu'à près de 800 000 femmes qui sont hospitalisées pour des complications post-avortement.

La Barbade, le Belize et Cuba demeurent les seuls pays à faire exception en ayant opté pour une législation donnant accès à des services d'avortement sur demande, évitant ainsi la multiplication des pratiques clandestines et non sécuritaires pour les femmes.

L'Amérique du Nord :

Le fait le plus marquant à souligner, pour l'Amérique du Nord, demeure la tendance selon laquelle diverses factions politiques cherchent à resserrer certaines législations décriminalisant l'avortement, tant aux États-Unis qu'au Canada. Même si dans ces deux pays, le droit à l'avortement et à des services permettant aux femmes d'avorter s'est gagné après de longues batailles, il ne demeure pas pour autant un affaire classée. Ce droit demeure fragile. En fait, il est important de souligner que dans les dernières années, l'accessibilité aux services ne s'est pas améliorée tant en regard du nombre, de la disponibilité que de la gratuité.

De plus, au cours de la dernière décennie une recrudescence des tendances religieuses intégristes et des courants d'extrême droite ont fait apparaître et se multiplier le phénomène des commandos anti- avortement. Ces interventions remettent au centre des débats le statut social des femmes comme reproduc-trice, le libre choix de disposer de leur corps comme elles l'entendent et le droit pour celles-ci d'avoir accès à des services de qualité et ce, tant en regard de la contraception, de la grossesse que de l'avortement. Les gains faits par et pour les femmes, en matière d'avortement, demeurent donc précaires et fragiles et ont besoin de s'actualiser encore dans des services disponibles, ouverts et gratuits pour toutes les femmes au même titre que tout autre soin de santé.

En conclusion

Ce rapide tour de la planète, nous fait prendre conscience que les luttes à mener, en regard de la santé des femmes et du droit à disposer de leur corps librement, sont loin d'être dépassées.

Plus ça change, plus c'est pareil

Voici une déclaration faite par la FQPN le 19 novembre 1985, avant même la décriminalisation de l'avortement. Comme par hasard cette déclaration demeure, 15 ans plus tard, d'actualité !!!

«De l'avis de la FQPN, il appartient aux femmes de décider d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants, d'en déterminer le nombre et le moment et de choisir les moyens adéquats pour y parvenir. Or, ce droit au libre choix de la maternité n'a de sens, dans la pratique, que si les femmes ont accès, partout au Québec, à des services de contraception et d'avortement gratuits, appropriés à leur situation particulière et sur demande. Nous sommes encore loin de cette qualité de services. Ceux-ci demeurent toujours incomplets, concentrés dans les grands centres urbains, soumis aux coupures budgétaires ou encore à l'arbitraire de quelques personnes occupant des postes-clés. (...) De plus, ils peuvent être abandonnés n'importe quand parce qu'ils ne sont pas jugés essentiels et obligatoires.»


Références

  • DESMARAIS,  Louise, Mémoire d'une bataille inachevée : La lutte pour l'avortement au Québec 1970-1992, Éditions Trait d'union, Québec, 1999, p. 301.
  • Idem, p. 330.
  • Version française du jugement de la Cour suprême du Canada dans la cause Office des services à l'enfant et à la famille de Winnipeg (région du Nord- ouest) appelant c. D.F.G. intimée, no du greffe : 25508, 31 octobre 1997, pp. 11-12.
  • GUÉNETTE,  Françoise,   «Un  droit  si fragile», Dossier enquête, La Gazette des femmes, mai-juin 1999, vol. 21 no 1, pp. 13 à 18.
  • Association canadienne pour le droit à l'avortement, Forum pro-choix, mai 1999.
  • Institut de la statistique du Québec, Gouvernement du Québec   2000,   Interruption   volontaire   de grossesse.
  • - Abortion in Law, History and Religion, Childbirth by Choice Trust, Toronto, 1995. - L'avortement dans le monde, travail universitaire réalisé par Luce Cardinal dans le cadre du cours «Le monde vu par les femmes», Sherbrooke, 2000.


POSITION DE LA FQPN

Le travail de la FQPN dans le dossier de l'avortement se situe à plusieurs niveaux : informations, production de dépliants et d'un bottin des ressources en avortement, conférences, formations, interventions dans les médias, participation à diverses consultations, pressions politiques et actions collectives.

Depuis ses débuts, la FQPN travaille et lutte pour la reconnaissance du droit des femmes d'avoir ou de ne pas avoir d'enfants, d'en déterminer le nombre et le moment, d'avoir à leur disposition des moyens efficaces et adéquats pour y parvenir, ceci en vue d'une meilleure qualité de vie. L'exercice du libre choix face à la maternité n'est possible que si nous respectons toujours les droits à l'égalité, l'intimité, l'intégrité physique et à la dignité des femmes.

Pour nous cela signifie que toute femme a droit à des services de planning des naissances complets, accessibles, gratuits et sans impact nuisible sur leur santé et leur fertilité. L'avortement est un des volets des services de planning.

Le corps médical, l'école, la famille ou la collectivité ne donnent pas toujours l'information sexuelle nécessaire. Aussi, l'ignorance, les tabous, la gêne ou les croyances religieuses limitent l'accès à un véritable contrôle des femmes sur leur fécondité. Les femmes ont besoin de recevoir une information complète et adaptée à leurs besoins pour ainsi être en mesure de décider librement sans conséquence sur leur santé. La FQPN juge aussi essentiel que des recherches sur tout ce qui entoure le planning des naissances s'effectuent dans le respect des femmes.

La FQPN revendique que les femmes puissent consulter et recevoir une information complète et immédiate, que les services d'avortement soient prodigués dans les plus brefs délais, que des services complets soient accessibles dans toutes les régions, et que les femmes soient accompagnées dans le respect de leur décision, sans jugement.


Recherche : Luce Cardinal

Marcelle Dubé Rédaction : Luce Cardinal

Marcelle Dubé

Nathalie Parent

Anne St-Cerny Mise en page : Lorraine Dagenais

Réalisée en mai 2000.

Toute reproduction est permise à la condition d'en citer la source.