GUIDE POUR FACILITER LE PASSAGE DES VICTIMES D'AGRESSION À CARACTÈRE SEXUEL À LA COUR

OCTOBRE 1996

Rédaction
Isabelle Fontaine

Collaboration
Catherine Bérard

Coordination
Diane Lemieux
Claudette Vandal

Ce document a été réalisé grâce à la contribution

du Programme de soutien aux organismes communautaires

du ministère de la Justice du Québec.

Le contenu n'engage que l'organisme.

Dépôt légal, 4e trimestre 1996                     Dépôt légal, 4e trimestre 1996

Bibliothèque Nationale du Québec Bibliothèque Nationale du Canada

ISBN: 2-9803350-6-1


Merci infiniment à tous ceux et celles qui ont participé à l'élaboration de ce document. Un merci spécial aux participantes et participants des groupes-témoins qui nous ont consacré du temps et qui nous ont fait part de leur expérience. Cette générosité est inestimable pour la qualité d'un guide comme celui-ci.


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

Malgré les nombreux progrès enregistrés au cours des dernières années, il n'en demeure pas moins qu'il reste encore des défis importants à relever pour les femmes agressées sexuellement avant de prétendre au libre accès à la justice. Plusieurs femmes ayant choisi de dénoncer une agression à caractère sexuel par le biais du système judiciaire ont souvent trouvé leur expérience extrêmement difficile. Elles se sentent jugées, bafouées, seules, etc. Elles ne se sentent pas intégrées au processus qui vise à sanctionner un geste commis contre elle. Il s'agit d'un des motifs qui explique pourquoi peu de femmes choisissent de dénoncer leur agresseur. Les obstacles envisagés font en sorte qu'elles préfèrent ne pas déposer de plainte.

Dans le cadre du défunt «Programme de soutien financier à des projets d'organismes communautaires» du ministère de la Justice québécois, le Regroupement québécois des CALACS (centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) a choisi d'élaborer un guide ayant pour objet de faciliter le passage des victimes d'agression à caractère sexuel à la cour. Ce guide s'adresse aux femmes agressées sexuellement, aux différents intervenants et intervenantes oeuvrant auprès des victimes d'actes criminels mais aussi aux substituts du Procureur général, principal intervenant avec lequel la femme interagit tout au long du processus judiciaire.

Nous voulions, bien sûr, que ce guide ait des retombées pratiques. Nous avons donc sollicité la collaboration des intervenantes des CALACS, de femmes agressées sexuellement et de procureurs. Ainsi, trois groupes-témoin de femmes ont été formés; soit un à Sherbrooke, un à Montréal et un autre à Québec. En tout, une quinzaine de femmes ont participé. Un groupe-témoin de procureurs de différents districts judiciaires a également été consulté.

Le guide vise une meilleure compréhension du problème des agressions à caractère sexuel, une meilleure connaissance des attitudes et des gestes pouvant être facilitant pour la femme, une lecture différente des enjeux sur des questions tel le huis clos. Nous voulions connaître les besoins de chacun, leur perception des problèmes et des solutions, leurs limites, etc.

Il est possible de dire: mission accomplie. Le premier chapitre présente la problématique des agressions à caractère sexuel. Le second concerne la décision de dénoncer, on y retrouve donc les facteurs liés à la décision, des données concernant les plaintes, etc. Les autres chapitres se succèdent au rythme du système judiciaire, de l'accusation en passant par l'enquête préliminaire et le procès jusqu'à la détermination de la peine et le suivi de la sentence. La section sur le procès, plus consistante, se divise en trois sections: les aspects techniques, les aspects relationnels et les aspects liés à la preuve.

Finalement, chaque chapitre a le même modèle. Ainsi, chacun d'entre eux débute par une présentation factuelle de l'étape judiciaire. Cette section présente des définitions, des données statistiques, etc. Elle se rapporte aussi aux besoins et aux contraintes que vivent chacun. Enfin, on retrouve une section Trucs et conseils, qui s'adresse directement aux victimes et aux procureurs et qui contient des conseils pratiques et réalistes. Ceux-ci sont issus de ce dont nous ont fait part les femmes et les procureurs que nous avons rencontrés et cherchent à rejoindre les réalités de chacun.

Dans le texte, les expressions femmes, victimes, plaignantes désignent toutes les femmes agressées sexuellement. Nous avons également pris la liberté de faire référence aux substituts du Procureur général par le terme plus simple de procureurs.

Enfin, nous souhaitons que ce document facilite à la fois le passage des femmes à la cour et à la fois le travail des procureurs. Ces derniers verront leur travail facilité notamment par des relations plus aisées avec la plaignante. De plus, chaque femme individuellement en bénéficiera et l'on peut penser qu'à long terme, elles dénonceront davantage les crimes de nature sexuelle et que les perceptions négatives qu'elles entretiennent face au système judiciaire s'estomperont. En bout de ligne, l'intérêt de la justice sera mieux servi.

Bonne lecture!

I-  L'AGRESSION À CARACTÈRE SEXUEL

1.1   Définition

Les articles 271, 272 et 273 du Code criminel présentent les agressions sexuelles en trois niveaux. Le premier niveau, l'agression sexuelle simple, implique une agression et une atteinte simultanée à la sexualité de la victime provenant de l'agression. Elle inclut un très grand nombre de gestes allant des attouchements au viol. L'agression sexuelle armée (deuxième niveau) comporte pour sa part un degré de violence plus élevé qui peut se traduire par le port, l'utilisation ou la menace d'utilisation d'une arme; la menace d'infliger des blessures à une autre personne que la plaignante; infliger des blessures corporelles; commettre l'agression avec la complicité d'une autre personne. Enfin, l'agression sexuelle grave (troisième niveau) implique des blessures, mutilations ou défiguration de la plaignante ou encore que sa vie ait été mise en danger.

L'inceste pour sa part est défini comme un rapport sexuel entre personnes liées par le sang. D'autres infractions sont prévues au Code criminel en ce qui concerne les infractions d'ordre sexuel commises envers les enfants, les adolescentes et les adolescents. En 1988, le législateur a apporté des modifications aux infractions concernant les enfants afin de mieux tenir compte de leur réalité. Ainsi, les infractions de contacts sexuels avec un enfant de moins de 14 ans (article 151 C.cr.), incitation à des contacts sexuels avec un enfant de moins de 14 ans (article 152 C.cr.) et contacts sexuels ou incitation à des contacts sexuels par des personnes en situation d'autorité ou de confiance (article 153 C.cr.) ont été créées.

La définition de l'inceste au sens de la loi est relativement restrictive. Trois conditions doivent être réunies. Il doit y avoir eu un rapport sexuel, c'est-à-dire une pénétration même à un moindre degré. Ceci exclut les pénétrations orale, anale ou avec un doigt ou un objet. Il doit y avoir lien de sang; ceci inclut uniquement père, mère, enfants, grand-parents. Enfin, il doit y avoir connaissance de ce lien.

Ainsi, dans le présent document, lorsque nous nous référons aux survivantes d'inceste nous faisons référence à une définition sociale plus large. Celle-ci inclut aussi les enfants abusés par leur beau-père ou leur oncle, ou encore les victimes ayant subie la sodomie ou des attouchements sexuels par un parent. Pour tenir compte de cette réalité, les chefs d'accusations dans les cas de survivantes d'inceste doivent fréquemment porter sur d'autres chefs que celui d'inceste.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Familiarisez-vous avec la définition légale. Ce sera celle à laquelle vous serez confrontées tout au long du processus judiciaire. Ceci est particulièrement utile pour les survivantes d'inceste puisque souvent les infractions, autres que l'inceste qui elle demeure la même depuis 1893, ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'autrefois et que le système judiciaire retient celles du moment où le crime a été commis. Vous pouvez consulter à cet égard deux documents produits par le Regroupement québécois des CALACS à savoir «L'évolution de la loi relative aux agressions sexuelles» et «Recours criminels dans les cas d'abus sexuels dans l'enfance». Ces documents vulgarisent très bien les changements survenus et les principales règles de preuve en jeu. Vous pouvez aussi faire appel au procureur, à une intervenante d'un CALACS ou tout autre organisme venant en aide aux victimes pour comprendre comment cela s'applique à votre situation.

Aux procureurs

La problématique des agressions à caractère sexuel ne se résume pas à l'appellation légale. Pour en arriver à une meilleure compréhension des victimes d'agressions à caractère sexuel, il est nécessaire de vous familiariser avec une définition plus sociale du phénomène. En effet, ce que vous voyez dans le cadre de votre travail n'est qu'une petite portion de la problématique et pour en saisir toute l'ampleur, il faut vous ouvrir sur l'ensemble du phénomène. Les victimes d'agression à caractère sexuel ont vécu une atteinte à leur corps, leur âme, leur intégrité. Les conséquences sont dramatiques. Elles s'identifient donc davantage à la définition sociale de la problématique. Le Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel a retenu, dans son rapport, la définition suivante:

«Toute activité sexuelle forcée c'est-à-dire où la personne est intimidée, menacée explicitement ou implicitement. L'agression à caractère sexuel inclut donc le viol (et la tentative de viol); les relations sexuelles obtenues sous la menace verbale, l'utilisation de l'autorité, la pression sociale; et les autres activités sexuelles qui n'impliquent pas une pénétration (embrasser, caresser, etc.) obtenues sans le consentement de la victime et par l'utilisation de la force physique, verbale ou psychologique[Bohmer, s.d.; Koss et al., 1988; Russell, 1984, dans L'agression sexuelle; Stop, 1995].»

Les sections qui suivent vous éclaireront un peu sur cet aspect en vous apportant des chiffres et des faits qui décrivent l'ensemble de la problématique. Toutefois, l'ouvrage le plus complet à l'heure actuelle à ce sujet demeure le rapport du Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel intitulé «Les agressions sexuelles: Stop».

1 .2  Les victimes d'agression sexuelle: qui sont-elles?

Bien que l'information précise ne soit pas disponible dans le système actuel des données, de nombreuses études démontrent que la très grande majorité des agressions sexuelles sont commises envers des femmes. Les jeunes sont l'autre groupe le plus touché par cette réalité. Selon Roberts [mars 1994], 84 % des victimes d'agressions sexuelles déclarées à la police sont des femmes et 63 % des victimes ont moins de 18 ans au moment de l'agression.

Les jeunes femmes sont donc particulièrement à risque, spécialement celles dans le groupe d'âge des 15 à 24 ans [Tourigny et Lavergne, 1995]. Selon l'enquête sur la violence faite aux femmes de Statistique Canada, le taux d'incidence annuel est trois fois plus grand que la moyenne nationale pour les femmes âgées entre 18 et 24 ans.

Alors que les enfants ont plus de risque d'être victime d'abus intrafamilial, les adolescentes sont plus souvent victimes d'un agresseur connu faisant partie de leur réseau social. On estime qu'une adolescente sur six aurait vécu un viol et que 50 % d'entre elles aurait vécu de la coercition sexuelle [Tourigny et Lavergne, 1995],

/ Trucs et conseils

Aux procureurs

II ne faut pas vous méprendre entre la réalité et ce portrait statistique. En effet, ceci vous donne des indications, représente une tendance. Toutefois, il serait imprudent de vous faire une image des victimes à partir de ces données. En effet, la personne moyenne n'existe que dans les statistiques. Vous pourriez vous attendre à certaines réactions provenant d'un portrait-type alors que la personne devant vous est, dans les faits, fort différente.

1.3   Des chiffres

De nombreuses études ont été menées pour déterminer les taux d'incidence et de prévalence des agressions à caractère sexuel. Les résultats varient beaucoup d'une étude à l'autre compte tenu, principalement, de différences méthodologiques. L'une des études les plus récentes et les plus rigoureuses est celle menée par Statistique Canada: L'Enquête sur la violence envers les femmes. Cette étude rapporte que 3 % des Québécoises ont été victimes d'une agression sexuelle au cours des douze mois précédant l'enquête. Ce taux, appliqué à la population féminine du Québec d'alors, nous apprend que 86 952 Québécoises de plus de 15 ans seraient victimes d'agressions sexuelles à chaque année. Cette enquête rapporte également que 34 % des femmes du Québec ont été victimes d'au moins une agression sexuelle depuis l'âge de 16 ans [L'agression sexuelle: Stop, 1995].

2- LA DÉNONCIATION

2.1   Dénoncer ou pas

L'agression sexuelle est I'un des crimes le moins rapporté à la police. En effet, les différentes études estiment que les taux de dénonciation varient entre 6 % et 38 % au Canada. Ces enquêtes démontrent également que le lien entre l'agresseur et la victime est un facteur important pour expliquer le fait qu'une victime dénonce ou non. En effet, plus les liens entre la victime et l'agresseur sont étroits, moins il y a de chance que le crime soit rapporté à la police. Par ailleurs, en comparant ces données avec les voies de faits, on constate qu'il s'agit d'une caractéristique spécifique aux agressions sexuelles [Tourigny et Lavergne, 1995].

«les victimes agressées par une connaissance semblent plus susceptibles de chercher de l'aide auprès de leur réseau social qu'auprès des professionnels des services sociaux, des milieux communautaires et de la justice pénale.» [Tourigny et Lavergne, 1995]

Parmi les femmes rencontrées au sein des groupes-témoin, la motivation principale de dénoncer était d'empêcher la récidive. Dans les cas d'inceste, l'abuseur menaçait souvent la deuxième génération. Pour d'autres femmes, il s'agissait de se libérer d'un poids qu'elles portaient depuis plusieurs années. Enfin, certaines se sont vues prises par les circonstances et elles n'ont pas eu nécessairement l'occasion de faire un choix réfléchi. C'est le cas, par exemple, d'une femme dont un témoin de l'agression a prévenu la police qui est arrivé sur les lieux ou encore d'une jeune dont une amie à signaler l'agression à la Direction de la protection de la jeunesse.

Par ailleurs, les raisons qui empêchent de le faire sont aussi nombreuses. Les enquêtes effectuées à ce sujet font état de cinq raisons principales que les femmes évoquent pour justifier le fait qu'elles n'aient pas dénoncé l'agression. Elles mentionnent le fait que c'est une question personnelle, que c'était sans importance, que la police ne pouvait rien faire, qu'elles avaient des appréhensions face à la justice pénale et qu'elles craignaient des représailles de la part de l'agresseur [Tourigny et Lavergne, 1995]. La perception de l'agression, notamment quant à sa gravité, semble donc influencer le choix des victimes tout comme leur manque de confiance dans le système judiciaire ainsi que la peur de l'agresseur.

Les sentiments suscités par l'agression telles la peur, la honte, la culpabilité peuvent aussi influencer le choix des victimes. La réaction de l'entourage compte aussi parmi les facteurs déterminants quant au choix de dénoncer une agression sexuelle. La perception des démarches à entreprendre fait partie du pour ou du contre à dénoncer. Pour leur part, les changements législatifs et les programmes de prévention contribuent à faire augmenter le taux de dénonciation. Enfin, certaines clientèles telles les femmes handicapées, autochtones, marginales, etc., se retrouvent souvent dans des situations encore plus difficiles. Elles sont plus vulnérables et n'ont pas toujours les ressources pour entreprendre des démarches.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

II est important de vous entourer, de ne pas rester seule. Il s'agit d'une décision difficile à prendre qui aura plusieurs conséquences sur votre vie et ce, que vous choisissiez de dénoncer ou non. Les deux comportent des avantages et des inconvénients. Les nombreuses difficultés envisagées, crainte de représailles de l'agresseur, peu de confiance dans le système judiciaire, longueur des procédures, et autres, dissuadent plusieurs femmes de dénoncer.

Par ailleurs, plusieurs ressentent le besoin de dénoncer publiquement, faire en sorte que justice soit rendue, etc. La décision de s'engager dans le processus comporte donc des difficultés mais aussi des avantages dont le soulagement et la satisfaction d'avoir agi. Par ailleurs, la décision de ne pas s'engager permet d'éviter de témoigner, d'être humiliée, etc., mais peut aussi être frustrante à certains égards puisque l'agresseur continue à vivre comme si de rien n'était. Toutefois,. le système judiciaire n'est pas la seule alternative et si vous ne vous sentez pas capable de l'affronter, discutez-en avec une intervenante des CALACS (centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) ou à tout autre ressource qui peut vous venir en aide. Néanmoins, il est nécessaire que vous pesiez le pour et le contre. Un document peut vous être particulièrement utile pour vous aider à prendre votre décision, il s'agit de «Agressions sexuelles, femmes et justice: guide de l'usagère» produit par le CALCACS de Sherbrooke.

Aux procureurs

«Ce qui m'a poussé à dénoncer c'est que je sentais beaucoup de danger pour ma nièce qui avait beaucoup de symptômes, je voulais la protéger. Je n'ai pas dénoncer avant parce que je ne crois pas au système judiciaire. Un aspect important était ma sécurité: quand y va sortir de là, qu'est-ce qui va m'arriver à moi? En plus, j'avais pas le goût de commencer à raconter mon histoire à tout le monde.» N.

Prenez conscience qu'il ne s'agit pas d'une décision facile. Le recours au système de justice n'est pas du tout évident pour un grand nombre de victimes. Choisir de dénoncer une agression est une démarche très exigeante qui demande énormément de courage. Par ailleurs, celles qui dénoncent l'agression dont elles ont été victimes ne choisiront pas toutes d'emprunter la voie des démarches judiciaires. La victime qui se présente devant vous mérite donc toute votre considération. Enfin, souvenez-vous qu'une victime bien soutenue et bien informée fera une meilleure témoin. Il est important qu'elle reçoive ce soutien dès que possible, n'hésitez donc pas à la référer aux ressources appropriées.

2.2   Le traitement de la plainte

Les  agressions  sexuelles  sont  plus  souvent traitées  comme  non  fondées

comparativement à d'autres crimes violents. Ainsi, l'on constate un écart important si l'on compare avec le crime de voie de faits, crime équivalent aux agressions sexuelles qui est aussi composé de trois niveaux. En effet, le pourcentage moyen des plaintes jugées non-fondées au chapitre des agressions sexuelles simples entre 1983 et 1992 est de 15 % alors qu'il est de 7 % pour les voies de faits de même niveau. Il est de 10% et 14 % pour les agressions sexuelles graves et armées respectivement, alors que pour les voies de faits de mêmes niveaux, il se situe à 4% et 3 %. [Roberts, octobre 1994]

L'écart entre ces deux crimes est révélateur. Le taux de plaintes non fondées dans le cas d'agressions sexuelles est signifïcativement plus élevé. Ceci est en grande partie attribuable aux préjugés qui persistent envers les agressions sexuelles, les femmes et la sexualité des femmes.

Par ailleurs, le classement des plaintes est aussi significatif. Encore une fois, la comparaison avec les voies de faits est éloquente. En effet, 94 % des plaintes d'agressions sexuelles sont classées de niveau 1 comparativement à seulement 79 % pour les voies de fait de même niveau.

«Vraisemblablement, la tendance ne représente pas simplement une augmentation plus marquée des rapports au premier niveau de gravité, mais est probablement reliée davantage à une modification des pratiques policières. Les policiers sont peut-être plus disposés à classer les rapports au premier niveau de gravité. Par conséquent, certaines affaires qui en 1983, auraient été classées aux niveaux II et III, le sont maintenant au niveau /.» [Roberts, octobre 1994].

De plus, l'expérience du système judiciaire étant souvent difficile pour les femmes agressées sexuellement, il est primordial que la décision de dénoncer à la police soit éclairée. Cette décision va avoir d'importantes répercussions sur leur vie. Il est donc essentiel pour elles de prendre le temps de s'informer sur les démarches à entreprendre.

«Je me suis fait dire : «fais-le, si tu le fais pas pour toi fais-le pour ne pas qu'ils le fassent à d'autres filles», mais pourquoi faut-il qu'il y en ai une qui paye, pourquoi faut-il que ce soit moi, pourquoi?» C.

Cette étape est également le moment pour la femme de réviser ses attentes et vérifier si elles concordent avec ce que notre système de justice est en mesure de lui offrir.

«Si une personne s'attend à avoir la justice avec un grand J, elle se trompe. La justice criminelle n'est pas là pour rendre justice. Le système est conçu pour éviter à tout prix qu'un innocent soit reconnu coupable.» Un procureur

Une fois que la victime a choisi de dénoncer l'agression sexuelle qu'elle a subi, elle doit déposer une plainte à la police.  Elle fera alors une déposition qui contiendra les informations sur l'agression sexuelle dont elle a été victime. Suite au dépôt de la plainte, les enquêteurs doivent juger si elle est fondée.

S'ils estiment cette dernière fondée, les policiers doivent comparaître à la cour afin de dénoncer officiellement le ou les actes criminels commis par un ou des individus. Pour ce faire, ils doivent recevoir l'autorisation d'un procureur. Dans la plupart des districts judiciaires, les procureurs procèdent à une entrevue préalable à l'autorisation de déposer des actes d'accusations. Cette entrevue est automatique lorsque les victimes sont des enfants, des adolescentes ou des survivantes d'inceste. Cette entrevue sert principalement les intérêts des procureurs puisqu'elle leur permet d'évaluer la fiabilité de la preuve au dossier, la crédibilité de la victime, la possibilité de condamnation, etc.

Afin de démystifier le système judiciaire et d'avoir des attentes réalistes, les victimes ont besoin de recevoir des informations sur les démarches à entreprendre. La personne la mieux située est le procureur puisqu'il sera sa référence à travers le processus judiciaire. Les accompagnatrices des CALACS par exemple, dans un tel contexte, peuvent être très utiles puisqu'elles peuvent donner une bonne part des informations à la victime et prendre charge de la dimension affective.

«Je réalise que c'est difficile pour les gens qui rentrent dans le système judiciaire, tout est lourd , il faut donner l'heure juste.» Un procureur

«II arrive très souvent que l'on rencontre les victimes par l'entremise des accompagnatrices qui nous appellent en nous disant qu'elles ont une victime très inquiète et elle voudrait avoir des éclaircissements.» Un procureur

Une fois la plainte déposée, deux éléments sont souvent cause de déception pour les femmes.   D'abord,   il arrive parfois que les victimes constatent un écart entre la manière dont la plainte a été classée et ce qu'elle a vécu. De plus, bien qu'en principe ça ne devrait pas avoir lieu, des femmes rapportent des cas où des enquêteurs leur ont donné de faux espoirs ou de fausses informations.

«Les enquêteurs étaient super fins mais m'ont donné des illusions tout le long. Ils me disaient constamment que j'avais des grosses chances et après le verdict [non coupable], ils m'ont dit: ah! c'est à ça qu'on s'attendait. C'est quoi leur problème!» G.

«Ils [les enquêteurs] m'avaient dit qu'ils allaient me trouver une femme procureure, c'était même pas vrai!» A.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

II est primordial qu'à cette étape vous alliez chercher toutes les informations nécessaires à une décision éclairée. Ceci peut notamment se faire par le biais de l'entrevue préalable à l'autorisation de déposer des actes d'accusations. N'hésitez pas à rencontrer un procureur avant de porter plainte si vous n'êtes pas certaine de vouloir le faire. Ce dernier pourra vous informer sur la teneur des informations ainsi que le niveau de détails que vous devrez inclure dans une éventuelle déclaration policière.

Lors de cette entrevue, il est absolument crucial que vous mettiez toutes vos cartes sur table avec le procureur. Ce dernier doit effectivement savoir toute la vérité sur votre histoire. Souvent, par manque de confiance dans le système ou en vertu des préjugés encore véhiculés par la société, les victimes évitent de parler de certaines choses ou éliminent volontairement certains détails pourtant utiles à la cause. Il est essentiel de dire les choses telles qu'elles ont été puisque toute la preuve recueillie par la Couronne se retrouve inévitablement dans les mains de l'accusé. Effectivement, il existe une règle de la communication de la preuve qui oblige le procureur à transmettre à l'accusé l'ensemble des éléments de la preuve contenu au dossier.

«On peut perdre des causes pour un détail oublié. Des types se retrouvent en liberté parce qu'une fille n'a pas eu confiance qu'on la croirait.» Un procureur

II est essentiel, surtout pour les survivantes d'inceste, que vous preniez le temps de bien vous remémorer le crime, les circonstances, la violence, etc. Vous devez arriver à cette entrevue en ayant en tête un récit qui soit le plus clair, ordonné, cohérent et précis possible.

Aux procureurs

Habituellement, les victimes apprécient énormément ces rencontres avant leur prise de décision. Cela les aide à prendre la meilleure décision les concernant. Vous êtes probablement la personne la mieux placée pour démystifier le système judiciaire et vous serez sûrement la principale référence de la victime au cours du processus. N'hésitez pas à vous munir de toutes les ressources nécessaires. À cet effet, les accompagnatrices des CALACS, par exemple, peuvent vous être très utiles puisqu'elles peuvent donner une bonne part des informations à la victime tout en tenant compte de la dimension affective. La présence d'une accompagnatrice est souvent bénéfique et vaut la peine d'être tentée. Certains procureurs mettent eux-mêmes les victimes en contact avec un centre d'aide et son réseau d'accompagnatrices afin de voir leur tâche facilitée.

2.3  Taux d'inculpation

C'est donc lorsqu'ils choisissent de porter une ou des accusations contre un individu que les substituts du Procureur général entrent vraiment en jeu. La statistique qui traduit ce choix est le taux d'inculpation. Roberts [octobre 1994] a constaté que ce dernier s'élève avec le niveau de gravité de l'agression sexuelle. Ainsi, au Canada, le taux d'inculpation pour les agressions sexuelles simples (niveau I) est de 49 %. Pour les agressions sexuelles de niveau II, il est de 57 % et il est de 64 % pour le troisième niveau. La comparaison avec les voies de fait nous apprend que les agressions sexuelles et les voies de fait de niveau I sont traitées sur le même pied. Toutefois, pour les crimes de niveau II et III, les taux d'inculpation des agressions sexuelles sont inférieurs.

2.4  Attrition

À travers les différentes statistiques sur le cheminement judiciaire des plaintes d'agressions sexuelles, il est possible de constater un phénomène d'attrition. L'attrition réfère au pourcentage d'infractions signalées pour lesquelles il n'y a pas d'accusation. Les données disponibles ne permettent que l'évaluation de l'attrition jusqu'au moment de l'inculpation, l'idéal serait bien entendu de pouvoir en faire l'analyse jusqu'à la détermination de la peine. Des 39 829 rapports déposés à la police en 1992, seulement 43 % ( 17 046 cas) de l'échantillon de départ a été retenu en bout de ligne. Plus de la moitié des cas ont donc été supprimés, soit 57 %. En comparant aux autres crimes violents, on observe que les taux d'attrition pour les infractions d'agression sexuelle sont parmi les plus élevés [Roberts, octobre 1994]. Par conséquent, les substituts du Procureur général ne traitent qu'une infime partie des cas d'agressions sexuelles. Toutefois, pour les victimes des crimes pour lesquels ils auront à prendre une action, leur rôle est essentiel.

3- COMPARUTION, DÉTENTION OU LIBÉRATION DE L'ACCUSÉ

Cette étape est le moment où l'accusé enregistre son plaidoyer et où il est décidé s'il sera remis en liberté ou détenu. Généralement la présence de la plaignante n'est pas formellement requise. Par ailleurs, le manque de ressources et les difficultés dans la transmission des décisions de la cour aux autorités compétentes causent parfois des inconvénients aux plaignantes tout comme aux procureurs. En effet, il arrive que les conditions de remise en liberté imposées ne soient pas respectées.

Les femmes que nous avons rencontrées ont exprimé le regret face au manque de suivi et d'information concernant cette étape. Par exemple, certaines croyaient que la détention était automatique. Ou encore, certaines auraient préféré être présentes mais n'ont pas été informées à temps.

«Je ne savais pas qu'il était en liberté, on ne m'avait pas prévenue, ça m'a fait tout drôle quand je l'ai vu dans le corridor, y'arrêtait pas de me regarder, ce n'était pas le fun.» S.

Les conditions restreignant la liberté sont souvent rassurantes pour les femmes. Le fait de savoir que l'on se préoccupe de leur sécurité leur fait le plus grand bien. Par contre, lorsque l'accusé est remis en liberté, les femmes sont souvent effrayées et craignent des représailles de sa part.

«Sachant que mon agresseur était en liberté, je me sentais abandonnée, en danger, je ne voulais plus sortir, j'étais aux aguets, peureuse.» L

«Je me sentais en prison. Lui est en liberté mais toi tu as peur, c'est comme si tu es en prison.» A.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Si vous désirez participer aux étapes du processus où votre présence n'est pas requise, discutez-en avec votre procureur. Il peut vous encourager à le faire tout comme il peut vous le déconseiller. Dans ce dernier cas, il vous présentera ses arguments et ceci vous permettra de prendre une décision éclairée.

Pour faire toutes les requêtes appropriées en ce qui concerne les demandes de remise en liberté, le procureur doit être au courant des dangers que représente l'accusé pour vous et pour la société. À ce niveau, votre collaboration lui est précieuse. Par ailleurs, la décision ne relève pas de lui mais du juge. La seule action qu'il peut poser à cet égard est donc d'en faire la demande.

N'hésitez pas à informer l'enquêteur de vos craintes face à l'accusé. Il est souvent la meilleure personne pour transmettre cette information au procureur. Pour la victime, l'enquêteur joue également un rôle important en matière d'information. Il est l'un de ceux qui peut vous renseigner sur le moment de l'arrestation, la date de la comparution, le statut de l'accusé et les conditions de remise en liberté. À ce niveau, l'enquêteur en sait souvent davantage que le procureur. Enfin, notez le numéro de la cause, ceci facilitera les demandes d'informations sur le développement du procès.

Aux procureurs

L'information que vous pouvez transmettre aux victimes concernant le déroulement de cette étape peut contribuer à les rassurer. La plupart des femmes que nous avons rencontrées avaient l'impression que leur procureur avait fait le maximum pour assurer leur sécurité. Dans la mesure où. on les tient informées et où elles savent qu'elles peuvent choisir d'assister à cette étape, les plaignantes sont davantage satisfaites. Il est important de prévoir les mesures à prendre par la plaignante lorsque les conditions de remise en liberté ne sont pas respectées par l'accusé.

4- ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE ET PROCÈS

Ces deux étapes se ressemblent beaucoup. L'enquête préliminaire sert à vérifier si la preuve est suffisante pour tenir un procès. Si le juge estime qu'il y a assez de preuves, il fixe une date pour le procès. Par contre, s'il juge qu'il y a insuffisance de preuve, il libère l'accusé. Il ne s'agit pas d'un acquittement puisque si d'autres preuves sont amenées au dossier, le processus pourra reprendra.

L'enquête préliminaire et le procès sont habituellement des étapes déterminantes sur la perception qu'ont les femmes de leur expérience et du système judiciaire. En effet, ces étapes sont celles qui requièrent le plus leur participation et se sont celles susceptibles de leur faire vivre le plus de frustrations (contre-interrogatoire, manque de disponibilité du procureur, refus du juge d'accorder un huis clos, etc.). Nous allons aborder dans cette section trois aspects distincts qui comportent à la fois des enjeux pour la plaignante et pour le procureur. Il s'agit des aspects techniques, relationnels ainsi que les éléments qui sont liés à la preuve.

4.1   Aspects techniques

4.1.1 • Lieux physiques et accueil des témoins

Les palais de justice sont souvent perçus comme austères, formels et peu accueillants. Lorsqu'on y entre pour la première fois, on ne s'y sent pas nécessairement à l'aise. De plus, il est parfois difficile de s'y retrouver. On craint de se perdre dans ce labyrinthe de corridors et d'escaliers!

Au premier abord, on serait porté à croire que l'on ne peut pas agir sur cette aspect qui relève plutôt de l'administration. Or, le fait d'avoir démystifié un lieu peut changer la manière de le concevoir du tout au tout.

«Quand tu connais un lieu, tu te sens  beaucoup plus à l'aise, c'est utile de voir avant le palais de justice.»  M.

En outre, il est déplorable que l'accès à des salles de témoins aménagées de façon convenable ne soit toujours pas généralisé. Les femmes déplorent le fait que les quelques salles disponibles soient souvent mobilisées par les accusés et leurs avocats. La perception qu'ont les procureurs du palais de justice est évidemment différente de celle des victimes puisqu'il s'agit de leur lieu de travail. Mais généralement, ils appuient les plaintes des victimes concernant l'aménagement des lieux. Avoir des salles de témoins accessibles pour les plaignantes faciliterait leur travail. Ils n'auraient plus à chercher un lieu adéquat où faire patienter la plaignante afin de lui éviter de se retrouver face à face avec l'accusé.

«J'ai eu accès à une salle des témoins mais il s'agissait d'un cubicule vitré sans rideaux, moi qui ne voulait pas voir mon père... Il n'avait qu'à se promener dans le corridor et je le voyais. Si j'allais à la toilette, je devais passer devant. Moi, juste de voir la menace dans le regard de mon père était terrible, c'était les mêmes yeux que quand j'étais enfant, la même menace à me faire rentrer en dessous du plancher.» N.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

II est évident que l'accès à une salle des témoins est l'idéal. Si toutefois, elles sont toutes occupées ou inexistantes, demandez à votre procureur s'il peut vous proposer une alternative. Ainsi, il pourrait vous proposer, par exemple, la salle d'attente du bureau des procureurs. Parlez-lui de l'effet que cela vous fait de rencontrer votre agresseur et demandez-lui par exemple, de faire écran lorsque vous circulez en sa compagnie. Il ne peut pas faire plus car il n'est pas responsable de l'aménagement du palais de justice, mais ces petits gestes diminueront déjà l'intimidation que l'accusé peut exercer sur vous.

Aux procureurs

Les plaignantes perçoivent souvent le palais de justice comme un endroit froid, protocolaire, peu accueillant, écrasant, stressant, impressionnant, etc. Le fait de visiter les lieux au préalable permet de diminuer substantiellement la tension. En bout de ligne, la femme est plus calme et un peu plus encline à se trouver dans ce lieu.

De plus, la vue de l'agresseur a un impact important sur l'état émotif de la victime. Par de petits gestes, vous arriverez facilement à diminuer le stress et la peur que vit la plaignante. Il vous suffit, par exemple, de vous servir de votre corps comme écran entre la victime et l'accusé lorsque vous l'accompagnez ou encore, lorsque c'est possible, de l'accompagner à la salle de bain pour lui éviter de se retrouver face à face avec celui-ci. Ce rôle peut également être rempli par une accompagnatrice ou encore par le policier-enquêteur. Ils ont l'expérience et ne se laisseront pas intimider aussi facilement qu'une parente ou une amie.

4.1.2-         Négociations de plaidoyer

La négociation de plaidoyer ou «plea bargaining» est une pratique courante. Contre un plaidoyer de culpabilité de la part de l'accusé, la poursuite acceptera de demander une peine moins sévère, de retirer un ou des chefs d'accusations ou encore d'accuser l'individu d'une infraction moins grave. Par exemple, si l'agresseur était accusé d'agression sexuelle armée pour laquelle la poursuite demanderait une peine de 3 ans, il pourrait, en échange d'un verdict de culpabilité, n'être accusé que d'une agression sexuelle simple et sentence au même 3 ans.

Cette pratique comporte certainement l'avantage de mettre fin rapidement au processus judiciaire. Elle est une source d'épargne importante en terme de temps et d'argent. De plus, il s'agit d'une manière plus facile de régler un dossier surtout si le procureur considère la preuve comme étant faible. Aux yeux des procureurs, il s'agit généralement d'un compromis fort intéressant qui de surcroît évitera à la victime de témoigner et de voir sa version mise en doute au moment du contre-interrogatoire. Toutefois, il ne faudrait pas prendre pour acquis qu'elle convient à toutes les situations.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Si le procureur vous demande votre avis sur une éventuelle négociation de plaidoyer, vous pouvez tenter de peser le pour et le contre d'une telle négociation et distinguer ce qui vous semblerait acceptable de ce qui ne le serait pas. Le procureur pourra ainsi savoir ce que vous êtes prête à accepter et pourra davantage tenter de respecter votre choix. Par contre, vous devez savoir que la décision relève de lui seul.

En effet, votre choix personnel ne va pas toujours dans l'intérêt de la justice. Le procureur est là pour juger de la solidité de la preuve. Il connaît bien le niveau nécessaire de preuve pour en arriver à un verdict de culpabilité. Il est davantage en mesure que vous d'évaluer si la négociation de plaidoyer sert la cause. Il peut donc choisir de passer outre votre désir.

«Chez nous la victime est au courant de tout ce qui se passe, elle va être informée mais pas nécessairement en accord.» Un procureur

Aux procureurs

D'abord, les femmes désirent être informées de ce processus et souhaitent y prendre part. En effet, ce qui semble être un bon «deal» pour le procureur ne l'est pas nécessairement pour la femme. Elle peut se sentir lésée dans ce processus. Elle peut être déçue de le voir purger une peine plus légère; elle aurait préféré aller jusqu'au bout dans l'espoir d'une sentence plus élevée. Par ailleurs, certaines femmes comptent sur leur témoignage pour se libérer. L'idée de témoigner a pesé dans la balance au moment de choisir de porter plainte. Elles ont choisi de dénoncer. Elles trouvent donc très frustrant qu'on minimise ainsi l'affaire. Une femme nous a fait part de sa grande frustration d'avoir vu disparaître le chef d'accusation de sodomie alors que pour elle, c'était sans doute le plus grave.

En effet, la négociation de plaidoyer peut être aussi frustrante que soulageante. Les femmes peuvent ressentir une grande satisfaction à l'idée que l'agresseur plaide coupable tout comme elles peuvent être en colère de le savoir coupable et de le voir s'en tirer à bon compte. Il est donc essentiel de ne pas présumer de ce qui est le mieux pour la victime. Elle seule peut le dire.

Prenez le temps d'en discuter avec la plaignante, vous trouverez sans doute un compromis satisfaisant pour vous, pour la victime, du point de vue de la preuve comme du point de vue de l'intérêt de la justice.

4.1.3-          Ordonnance de non-publication et huis clos

Ces deux procédures doivent faire l'objet d'une demande spéciale auprès du juge.

Le huis clos (exclusion du public) peut être obtenu dans le cas où le juge est d'avis qu'il est dans l'intérêt de la moralité publique, du maintien de l'ordre ou de la bonne administration de la justice d'exclure le public de la salle d'audience. L'ordonnance de non-publication vise quant à elle à interdire la publication ou la diffusion de l'identité de la plaignante ou de renseignements permettant de la découvrir [Hudon et al., 1994b].

Il faut se rappeler que la décision d'accorder un huis clos ou une ordonnance de non- publication est laissée à la discrétion du juge. Leur mise en application peut donc varier selon les régions. Toutefois, il est possible d'affirmer qu'en général le huis clos est rarement accordé dans les cas impliquant des victimes adultes alors que l'ordonnance de non-publication est pratiquement toujours accordée.

«Je n'ai plus de vie privée dans ma ville, tout le monde connaît mes petites histoires. Quand je rencontre quelqu'un maintenant, dans ma tête je me demande s'il sait que c'est moi et s'il est en train de me juger, j'ai tout le temps peur.» C.

Avoir sa vie privée étalée au grand jour ne plaît généralement à personne, encore moins lorsqu'il s'agit de détails à caractère sexuel. Une femme victime d'inceste que nous avons rencontrée, nous faisait part des difficultés vécues lors de son témoignage, difficultés d'autant plus grandes compte tenu qu'elle racontait son histoire pour la première fois. Toutefois, ce n'est pas la seule raison pour laquelle on préfère demander ou ne pas demander un huis clos. En effet, certaines femmes souhaitent que le procès reste public, elles veulent que tous sachent ce qu'elles ont vécu et elles veulent que l'agresseur soit condamné publiquement. Il arrive également que dans certaines situations, des femmes doivent choisir entre un huis clos et la présence de leurs parents, amie-s ou accompagnatrices qui leur apportent du support. II faut donc choisir entre le moindre des deux maux.

Il existe quand même certaines alternatives qui permettent de retirer les avantages d'un huis clos sans pour autant avoir a en subir tous les inconvénients. D'une part, certains juges acceptent d'accorder le huis clos seulement pour le témoignage de la victime. Ainsi, la qualité du témoignage est meilleure et la difficulté de voir sa vie privée étalée publiquement est réduite. Par ailleurs, il est aussi possible, selon les disponibilités, de faire en sorte que l'audition de la cause soit placée en fin de journée. Il y a alors généralement moins de curieux dans la salle. Moyennant quelques efforts, il est donc possible de trouver des compromis heureux dans les limites mêmes du système.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Pour les procureurs, la décision de faire la demande d'un huis clos ou d'une ordonnance de non-publication est d'abord limitée par ce que le droit prévoit. De plus, sa décision peut être influencée par la connaissance qu'il a du juge devant qui il doit plaider. Il peut savoir par exemple, qu'un tel juge est défavorable au huis clos et qu'en faire la demande l'irriterait. Par ailleurs, certains procureurs prennent pour acquis que vous préférez nécessairement avoir une audience la moins publique possible. D'autres croient profondément que la justice doit être publique et que vos intérêts sont desservis par ces mesures d'exception. Les avis sont partagés.

Prenez donc au préalable la décision pour vous. Si on vous donnait le choix, qu'est-ce que vous préféreriez? Vous serez ainsi en mesure d'argumenter votre choix avec le procureur. Rappelez-vous que le huis clos est rarement accordé et que le procureur peut avoir des raisons stratégiques de le demander ou de ne pas le demander. En effet, le procureur peut juger dans certains cas que la crédibilité de la cause peut être entachée s'il y a une demande de huis clos. Enfin, si vous en faites la demande auprès du procureur assigné à votre dossier, il se pourrait que vous vous butiez à une réponse du genre: «ce n'est pas la peine d'en demander puisque ce juge n'en accorde jamais». Comme il est mentionné plus haut, il s'agit d'une décision discrétionnaire du juge. Lorsque que vous souhaitez un huis clos, précisez également au procureur si vous désirez aussi la présence d'une accompagnatrice. Ceci devra faire partie de la demande auprès du juge.

Aux procureurs

Ne prenez pas pour acquis que la plaignante préfère un huis clos et une ordonnance de non-publication. Elle peut avoir autant de raisons d'en vouloir que de ne pas en vouloir. Une femme nous a rapporté que son procureur a obtenu un huis clos en pensant lui faciliter la tâche alors que pour elle, l'élément essentiel de sa démarche à la cour était la dénonciation publique.

«Je commence par lui demander ce qu'elle veut avant de lui dire mes préférences.»  Un procureur

II est donc préférable de toujours vérifier auprès de la plaignante ce qu'elle préfère. Bien sûr, son choix ne sera pas toujours le vôtre ou ne sera pas toujours réaliste. Vous êtes le mieux placé pour le lui expliquer. Vous connaissez bien la cour et ses juges, vous êtes donc davantage en mesure de savoir ce qui passera, ce qui ne passera pas ou encore ce qui passera mieux... Expliquez ce qui motive votre décision ou encore le contexte qui rend inutile ou nuisible à la cause une demande de huis clos ou d'ordonnance de non- publication.

4.1.4- Télé-témoignage

Certaines mesures permettent à la plaignante de témoigner en dehors de la salle d'audience, à l'aide du télé-témoignage, derrière un écran ou un paravent l'empêchant ainsi de voir l'accusé. Cependant, certaines conditions restreignent leur utilisation. La plaignante doit avoir moins de 18 ans ou avoir de la difficulté à faire son témoignage en raison d'une déficience. Le juge doit aussi penser que cette mesure est nécessaire à l'obtention d'un récit complet et franc [Hudon et al., 1994a].

Ces mesures, particulièrement le télé-témoignage, sont encore peu explorées mais selon les dires des procureurs rencontrés, elles peuvent être très utiles pour les cas particuliers. Les palais de justice qui ne disposent pas des moyens techniques pour le faire peuvent en faire la demande auprès des Services judiciaires pour la région de Montréal et pour le reste de la province auprès du Chef de l'enregistrement audio et de l'électronique, Direction générale des services juridiques1.

Ces pratiques demeurent très restreintes pour le moment, mais pour que cela change il faut continuer à en explorer les possibilités. Ainsi, certains juges, à la demande du procureur, vont faire en sorte que l'accusé soit assis derrière la victime de façon à ce qu'elle ne puisse pas le voir. II s'agit d'une mesure alternative, particulièrement pour les adultes, qui n'entrave pas l'aspect public et qui facilite grandement le témoignage.

1     Vous pouvez les rejoindre, respectivement, au (514) 393-2300 et au (418) 644-1171.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Ces mesures sont encore peu accessibles. II vaut donc mieux ne pas trop y compter. Par contre, n'hésitez pas à en faire la demande. Plus les femmes feront part de ce besoin à la cour, plus celle-ci a des chances de s'y adapter.

Aux procureurs

II est souvent très difficile pour les victimes d'avoir à témoigner, à raconter les agressions dont elles ont été victimes et d'avoir un contact visuel avec l'accusé. Certaines survivantes d'inceste nous ont fait part de la détresse qu'elles ont ressentie quand elles ont retrouvé en cour le même regard pesant et contrôlant qu'exerçait sur elle leur père lorsqu'elles étaient petites. Même si elles ne le regardent pas directement, elles sentent le regard de l'agresseur. Elles sont souvent intimidées et blessées par ce regard. Leur peur est légitime. Alors, n'hésitez pas à innover. Ces mesures sont bénéfiques pour la bonne marche de la justice puisqu'elles permettent d'obtenir un meilleur témoignage.

4.1.5-          Délais

II est normal que le processus judiciaire s'échelonne sur quelques mois. On parle ici davantage de délais occasionnés par une foule de raisons aussi variées les unes que les autres (maladie, procédures, disponibilité, etc.) qui prolongent substantiellement l'expérience judiciaire.

Mais pour les femmes, peu importe le temps que prendra le déroulement d'une cause, ce sera probablement toujours trop long. En effet, passer quelques ou plusieurs mois à ressasser l'agression, à devoir la raconter plusieurs fois, à être confrontée à l'agresseur et à être dans l'attente peut être extrêmement long et stressant. De plus, les délais occasionnent souvent des déplacements inutiles et Conséquemment des pertes de journées de travail. Cet inconvénient, si coûteux au plan personnel et professionnel, justifie minimalement des explications.

S Trucs et conseils

Aux victimes

Les délais font partie des aspects sur lesquels vous n'avez aucun contrôle. Toutefois, vous avez le droit d'être informée de ce qui les provoque et autant que possible à l'avance. Si c'est important pour vous, demandez expressément au procureur chargé de votre dossier de vous tenir informée. Notez les dates importantes à votre agenda, afin d'effectuer un meilleur suivi.

Aux procureurs

Considérant les enjeux pour les plaignantes, celles-ci apprécieront certainement d'être prévenues à l'avance dans la mesure du possible ou à tout le moins de savoir ce qui cause les délais. Il est particulièrement important de tenir la plaignante au courant lorsqu'une étape du processus est retardée. Elle peut angoisser du fait de ne pas recevoir de nouvelles alors que l'étape est simplement reportée.

4.2  Aspects relationnels

4.2.1 Attentes, rôles et perceptions

Le procureur est le principal intervenant avec qui la femme entre en contact dans le processus dans lequel elle s'est engagée. Il s'agit souvent pour elle de sa personne contact, de sa ressource, de sa personne de confiance, de son avocat (!).

Perceptions biaisées et attentes démesurées ne font pas exception. La femme victime d'agression sexuelle a du mal à comprendre que l'État poursuit l'agresseur. L'État poursuit au nom de la société et non pas en son nom. Il est tout aussi difficile d'admettre qu'elle sera témoin principal plutôt que victime.

Par contre, il arrive parfois que le système n'est tout simplement pas à la hauteur. Les attentes sont dans ces cas plus que raisonnables mais ne reçoivent aucune considération. C'est le cas par exemple, d'une femme dont le procureur ne lui a jamais parlé, ne l'a jamais rencontrée. Elle n'a eu aucune information, aucune préparation de sa part.

Par ailleurs, les connaissances sur le système judiciaire sont généralement limitées. C'est le cas également des grands principes qui sous-tendent notre système de justice pénale tels la présomption d'innocence et le concept du «hors de tout doute raisonnable».

Les agressions à caractère sexuel font partie des crimes contre la personne. La victime est bafouée dans son intimité et son intégrité. Les conséquences sont énormes et difficiles. Ses besoins sont infiniment plus grands que la victime d'un vol de bicyclette. Elle est très affectée émotivement et le passage à la cour est pour elle très difficile.

Elle devra notamment étaler sa vie privée, sa crédibilité sera mise en doute, elle se sentira jugée, etc.

«Je ne m'attendais pas à trouver une thérapeute, un avocat, c'est un avocat, je me serais quand même attendue à trouver un peu de chaleur et de compréhension.» N.

Pour les victimes, il est important de créer un lien de confiance avec le procureur chargé de leur dossier. Elles souhaitent retrouver davantage qu'une relation d'affaire. Elles s'attendent notamment à trouver de la compréhension. Elles s'attendent à être traitées avec chaleur. De plus, elles souhaitent un minimum de disponibilité et de confidentialité.

«Tu parles avec les enquêteurs ou tu es dans le bureau des procureurs et tu entends plein de noms de victimes et des bouts de leur histoire, j'ai su toutes les histoires qui se passaient dans ma ville. Là maintenant quand il rencontre une nouvelle victime c'est peut-être mon histoire qu'il raconte, ça rend super inconfortable.» C.

«Qu'est-ce qui allait se passer ce n'est pas le procureur qui me l'a dit mais les journaux, c'est vrai des fois je lisais le journal et apprenais des choses. Le journal avait les informations avant moi, c'est pas drôle.» C.

Les procureurs n'arrivent pas toujours à combler les besoins de support et d'information ressentis par les victimes. Plusieurs facteurs font en sorte que leur travail ne s'effectue pas dans des conditions optimales. Ceci fait en sorte que la satisfaction exprimée par les plaignantes est très variable.

«Ma procureurs dépassait mes attentes, elle prévenait mes besoins et me rassurait avant, c'était très aidant.» M.

«J'aurais aimé minimalement rencontrer mon procureur.» S.

D'abord, il faut savoir que les dossiers d'agression à caractère sexuel constituent une tâche plus lourde. Ce sont des dossiers plus exigeants au niveau professionnel comme au niveau personnel. Il y a donc d'une part, un manque de temps et, d'autre part, un manque de ressourcement.

«Ce qui rend notre travail difficile, c'est le manque de temps. Souvent, j'essaie de penser de prendre des rendez-vous quelques semaines avant. Mais c'est difficile, souvent tu es retenu en cour et tu arrives dans ton bureau les bras chargés de dossiers et les gens t'attendent depuis une heure et tu dois te plonger dans leur dossier. C'est la réalité et il faut vivre avec...» Un procureur

Malheureusement, le système judiciaire à l'heure actuelle n'est pas en mesure de diminuer le «case load» des procureurs ayant plusieurs dossiers d'agressions sexuelles. Résultat: les procureurs manquent de temps, ne sont pas satisfaits et la surcharge de travail et la difficulté des dossiers mènent rapidement à l'épuisement. Le contexte fait en sorte qu'il est très difficile pour eux d'apporter aux victimes d'agressions sexuelles l'attention particulière que leur dossier requiert. II n'est pas facile d'entendre des histoires d'horreurs ou de constater son impuissance devant une insuffisance de preuve. On oublie parfois que ceci est exigeant au plan émotionnel et qu'il est souhaitable d'avoir des lieux d'échanges et de ressourcement face à ces situations difficiles. Or, le milieu juridique prête très peu à cela au détriment de ceux travaillant dans des dossiers particuliers telles les agressions sexuelles.

D'énormes efforts sont actuellement consentis afin de construire un réseau permettant aux procureurs traitant des dossiers d'agressions à caractère sexuel d'échanger des informations sur la jurisprudence, les nouvelles tendances, les experts, etc. Le manque de ressources rend cette tâche parfois difficile. Par exemple, il n'est pas toujours possible pour les procureurs de faire venir les experts nécessaires pour appuyer leur preuve, faute d'argent.

Les conditions de travail des procureurs ne sont donc pas optimales. La lourdeur de la tâche, le manque de temps, de partage et de ressources font en sorte qu'il ne leur est pas toujours possible d'offrir le maximum à la plaignante.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Vous devez, de votre côté, faire la réflexion nécessaire afin que vos attentes concernant votre relation avec le procureur soient réalistes. D'abord, rappelez- vous qu'il n'est pas votre avocat. Il travaille pour l'État. Demandez-lui de vous expliquer les grands principes qui régissent notre droit pénal. Demandez- lui aussi quel est le rôle qu'il est prêt à jouer auprès de vous. Gardez en tête que souvent, pour des raisons en dehors de son contrôle, tel une surcharge de travail, il devra s'en tenir au strict minimum. Toutefois, le minimum ne veut pas dire rien du tout. Il est possible, en respectant les limites que le système impose, d'établir une relation de confiance. Par ailleurs, vous n'avez pas le choix du procureur qui est assigné à votre dossier, il peut donc arriver que vous ne vous entendiez tout simplement pas avec cette personne. Tirez-en le meilleur et sachez que c'est un professionnel dont le travail ne sera pas entravé par un conflit de personnalité. Encore une fois, essayez de vous informer et de nommer vos besoins. Si vous n'obtenez pas de succès auprès de votre procureur, vous pouvez aller chercher du support à l'extérieur auprès d'un centre d'aide par exemple. En outre, si le travail du procureur vous apparaît nettement inacceptable, vous pouvez vous adresser par écrit au procureur en chef. Notez toutefois que ceci constitue une mesure extrême.

Aux procureurs

La première étape auprès des victimes d'agression à caractère sexuel est d'établir un lien de confiance. Elle doit avoir la conviction que vous allez tout faire pour sa cause. Bien sûr, c'est une manière de dire les choses puisque vous n'êtes pas son avocat, elle n'est qu'un témoin. Il est important que vous lui donniez l'explication concernant votre rôle, le sien et les grands principes. Mais vous devez admettre que votre explication restera un peu abstraite, qu'il y a bien des chances que dans les faits la plaignante continue à vous percevoir comme son avocat, comme celui qui défend sa cause. Par ailleurs, elle ne connaît probablement pas les difficultés rattachées à l'exercice de votre profession, vous pouvez lui en faire part, elle ajustera ses attentes en conséquence. En ce qui vous concerne personnellement, ce serait peut-être une bonne idée de discuter avec des collègues d'une manière de vous donner du support mutuel autant sur le plan professionnel que personnel.

4.2.2           Équipe spécialisée et poursuite verticale

Dans certains districts judiciaires, on retrouve des équipes spécialisées de procureurs, c'est-à-dire qu'un certain nombre d'entre eux sont affectés uniquement ou majoritairement à des dossiers d'agressions à caractère sexuel ou de violence envers les femmes et les enfants. Cette formule comprend évidemment l'avantage inhérent à toute spécialisation, c'est-à-dire une plus grande expérience et une plus grande connaissance. La poursuite verticale consiste à ce qu'un même procureur ait un dossier du début des procédures jusqu'à la fin. Il arrive à l'occasion, que la quantité de dossiers, les congés de maladie, l'horaire des juges, etc., fassent en sorte que cette formule ne soit pas possible.

En général, les victimes sont favorables à ces deux pratiques. Le concept d'équipe spécialisée inspire confiance. C'est un peu comme aller voir un neurologue pour un problème épineux plutôt que de consulter un médecin généraliste. Toutefois, les femmes qui n'ont pas eu un procureur spécialisé n'en sont pas ressorties insatisfaites pour autant. En ce qui concerne la poursuite verticale, la majorité des femmes s'entendent pour dire que c'est l'idéal.

«Même si je n'aimais pas particulièrement mon procureur, j'aimais en avoir seulement un parce qu'à la longue tu établies un lien un peu plus grand, à la cour ce sont tous des visages différents, c'est réconfortant de voir un visage connu, quelqu'un avec qui tu établies un lien de confiance.» N.

Par ailleurs, les victimes restent réalistes par rapport à la poursuite verticale et admettent que cela ne soit pas toujours possible. Même dans les districts où la poursuite verticale est pratique courante, il arrive qu'il y ait un changement de procureur. Bien que très populaire auprès des plaignantes, la poursuite verticale pose des exigences très grande quant à la disponibilité des procureurs. En outre, cette pratique n'exclut pas tout changement puisqu'il arrive que pour des raisons de maladies ou autres, un procureur doive se faire remplacer. Dans ce cas, l'important pour les femmes réside dans le fait d'être prévenue qu'il y aura un changement.

«Je n'avais pas été prévenue que mon procureur était tombé malade et je suis arrivée en cour le matin et il n'était pas là, j'ai capoté, tout s'écroulait C'était très angoissant.» M.

Comme nous l'avons mentionné précédemment, les dossiers d'agressions à caractère sexuel sont parmi les plus exigeants. La possibilité d'épuisement et de surmenage est donc plus élevée .pour les procureurs spécialisés dans ce genre de dossier. Si les contraintes reliées à ce type de dossier -tel le fait qu'il demande plus de temps, plus de ressourcement- étaient palliées, les équipes spécialisées constitueraient probablement l'idéal.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Ces pratiques relèvent du fonctionnement de chaque district judiciaire, vous n'avez donc pas le choix. Le seul élément sur lequel vous pouvez agir est le changement de procureur. En effet, demandez dès le début qu'on vous prévienne d'avance pour chaque changement qui doit avoir lieu. Essayez de prendre un rendez-vous avec votre nouveau procureur avant la procédure en cour. Une rencontre à son bureau permettra plus facilement d'établir un lien de confiance que quelques minutes dans un corridor de palais de justice.

Aux procureurs

Expliquez dès le départ à la plaignante quelle est votre situation. Lorsqu'il n'y a pas de poursuite verticale dans votre district, prenez quelques minutes de plus pour lui expliquer que ceci ne se fait pas au détriment de son dossier. De plus, si possible, il serait gentil que vous la présentiez vous-même au procureur qui prendra la relève.  La transition se fera plus facilement.

4.2.3 Rencontre et suivi

«Ça a été bénéfique pour moi de rencontrer mon procureur, ça m'a rassuré de voir que c'est du monde quand même!» M.

La rencontre constitue une étape primordiale pour les victimes. En effet, nous avons mentionné déjà à plusieurs reprises le besoin d'information et de support dont elles ont besoin. Or, c'est à travers le contact personnel avec le procureur que cela s'effectue. Malheureusement, les contraintes que vivent les procureurs font en sorte que cette étape est souvent escamotée ou négligée. Souvent, les rencontres préalables se limitent à quelques minutes dans le corridor au palais de justice. Nous l'avons dit plus tôt, les cas d'agressions à caractère sexuel exige plus de temps à ce chapitre. Néanmoins, la rencontre entre le procureur et la plaignante est essentielle pour les deux. En effet, la rencontre sert d'abord à établir un lien, à faire connaissance, mais elle est très utile pour partager les informations et faciliter le témoignage.

L'autre aspect important est le suivi assuré par le procureur concernant le dossier. Ce suivi peut s'effectuer par téléphone ou en personne. L'essentiel est que l'information concernant l'évolution du dossier soit transmise à la plaignante.

«J'avais beaucoup d'attentes face à la rencontre avec la procureure. Je pensais que j'aurais des informations. En fait, ce qui est arrivé, c'est elle qui a pris des informations dont elle avait besoin pour son dossier mais ne m'a rien donné. Il aurait fallu que ce soit moitié-moitié.» N.

Nous l'avons dit précédemment la victime d'agression à caractère sexuel trouve en général très difficile son passage à la cour. La relation qu'elle a avec le procureur joue pour beaucoup dans son appréciation. Si elle a été bien informée et bien préparée, particulièrement au contre-interrogatoire, l'expérience est habituellement plus positive. Elle s'attend en premier lieu à ne pas être jugée par le procureur et elle veut être crue. Elle a besoin d'en connaître un peu plus sur celui ou celle en charge de son dossier. Elle a besoin de savoir que le procureur fera le maximum pour ce dossier. Mais elle désire également ne pas se sentir comme un dossier, comme un numéro...

«C'était important pour moi de suivre toutes les procédures, ça me demandait du «guts» mais ça m'en donnait aussi, ça permettait de reprendre du pouvoir un peu. Ils peuvent tout faire sans toi, il ne faut pas que ce soit juste un dossier, je voulais qu'il voit qu'il y a du monde derrière tout ça. Mon procureur avait de la misère à comprendre pourquoi je voulais être là.» M.

Par ailleurs, les craintes quant au témoignage et au contre-interrogatoire sont nombreuses. La plaignante craint ces moments parce qu'elle fait face à l'inconnu. Elle n'a aucune idée du déroulement ou des questions qui lui seront posées. Elle a peur d'avoir des pertes de mémoire, peur de se faire juger, peur de se parjurer suite au harcèlement de l'avocat de la défense. Elle a besoin d'être préparée à ce qu'elle va vivre. Elle a besoin d'être informée sur la manière d'agir, la manière de s'exprimer, comment répondre aux questions, que faire lorsqu'elle ne comprend pas la question. Elle craint d'être jugée si elle éclate en sanglot ou si elle exprime sa colère, etc.

De plus, le suivi de la cause est très important pour la victime. Ainsi, elle souhaite que le procureur l'appelle pour lui dire où en sont les procédures. Elle veut être informée des délais par exemple. Elle veut recevoir du feedback sur son témoignage ou sur le contre-interrogatoire.

La rencontre et le suivi sont tout aussi essentiels pour le procureur. La préparation des témoins est considérée par le Barreau du Québec comme un aspect primordial. Des notions concernant cet aspect sont d'ailleurs enseignées au Barreau [Barreau du Québec, 1994]. Les procureurs savent qu'il serait très utile pour leur travail de rencontrer la plaignante. Ceci leur permet principalement de préparer adéquatement la plaignante en tant que témoin principal.

«Ma priorité quand je rencontre une victime est de mettre carte sur table, je ne leur fais pas de promesse, je leur dit que ça va être dur, que ce n'est pas facile. Quand il y a du positif, je leur dit aussi, profites-en aujourd'hui tu es la seule sur le rôle, etc. Il faut donner l'heure juste.» Un procureur

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Si vous désirez rencontrer le procureur, vous devez en faire la demande. Ne vous étonnez pas si le procureur a du retard ou s'il doit vous consacrer moins de temps que prévu. Il n'a parfois pas le contrôle de son agenda, il peut être retenu à la cour par exemple. Préparez vos questions d'avance afin de maximiser votre temps avec lui. Essayez d'identifier vos principales craintes afin d'en discuter avec le procureur et, si possible, trouver des solutions. Par exemple, si vous craignez de rencontrer l'accusé dans les corridors et qu'il n'y a pas de salles pour les témoins, il pourra peut-être trouver une alternative. Si vous désirez que le procureur vous informe à chaque étape du procès, vous devez le lui préciser. Attendez-vous à ce que ce suivi s'effectue par téléphone, c'est un moyen plus simple et plus rapide. Écrivez dans votre agenda les dates concernant le procès et si vous n'avez pas de nouvelles à ces moments, appelez vous-même le procureur. Si toutefois le suivi téléphonique ne convenait pas à vos besoins, demandez un rendez-vous au procureur. Ne craignez pas de demander des précisions ou des explications supplémentaires si nécessaire, c'est le rôle du procureur de vous informer et de vous préparer à votre témoignage.

Par ailleurs, il ne faut pas vous étonner si dans la préparation du témoignage, le procureur aborde des questions telles votre langage ou votre tenue vestimentaire à la cour. En effet, il s'agit d'un milieu très conservateur et le décorum à la cour est plutôt formel. Par conséquence, il peut, par exemple, vous suggérez une tenue vestimentaire plus sobre.

Enfin, lorsqu'arrivera le moment de témoigner, vous devrez vous identifiez à la cour c'est-à-dire donner votre nom et votre adresse. Si vous le désirez, vous pouvez demander la permission au juge de le faire par écrit plutôt qu'à voix haute. De plus, durant votre témoignage, n'hésitez pas à demander une pause ou encore à demander la reformulation d'une question.

Aux procureurs

D'abord, la rencontre vous permet de vous assurer que la plaignante a les connaissances nécessaires sur le système judiciaire. Elle donne également l'occasion de l'informer sur la manière de se comporter et de parler, par exemple: éviter les expressions vagues telles «il me semble que...», regarder le juge lorsqu'elle parle, etc. C'est le moment de parler avec elle de son témoignage, de revoir les faits et, si nécessaire, de relire les versions antérieures de son témoignage, etc.

«Ma  procureure s'attendait à   ce  que durant mon témoignage je sois calme et triste mais je n'avais pas le droit d'être en colère ou impatiente. Il faut que tu es l'air d'une victime mais ils te prennent comme témoin...» N.

«Je me suis faite engueulée parce que j'ai parlé de mes tentatives de suicide en cour, ils m'ont dit d'en dire le moins possible mais de rien dire ça te fait violence, c'était le même dit rien que quand j'étais petite, c'était une autre agression, la loi du silence.» N.

Il faut également penser à lui expliquer quelques règles de la Cour et les règles d'interrogatoire. Par exemple, il peut être fort utile d'expliquer à la plaignante quand et pourquoi vous émettrez des objections. Certaines femmes dont la vision du système judiciaire correspond à celle des films américains peuvent croire à l'incompétence du procureur si celui-ci ne soulève jamais d'objections.

Pour calmer les craintes de la plaignante concernant l'accusé, vous pouvez lui rappeler qu'elle n'a pas à donner son adresse à voix haute. Prévenez-la d'avance de la règle de l'exclusion pour qu'elle sache qu'elle devra attendre à l'extérieur de la salle d'audience. En ce qui concerne le contre-interrogatoire, il serait très apprécié de la plaignante que vous la préveniez du genre de questions que l'avocat de la défense peut poser et quels sont les trucs qu'il peut employer pour la déstabiliser. Le choc en sera moins grand. Aussi, il est recommandé que vous portiez attention à votre langage, le jargon juridique peut en perdre plus d'un, essayez de vulgariser le plus possible.

II est certes difficile de concilier le peu de temps dont vous disposez avec une préparation parfaite d'un témoin. Il est toutefois important pour la plaignante d'avoir avec vous au moins une rencontre à votre bureau. Si vous ne pouvez pas en faire davantage, expliquez-le lui. Mais surtout rappelez-vous que vous pouvez accomplir énormément avec de petits gestes réconfortants comme lui offrir un mouchoir ou un verre d'eau durant son témoignage, comme être attentif au fait qu'elle ne se retrouve pas face à face avec l'accusé. De simples gestes attentionnés peuvent accomplir énormément puisqu'ils apporteront du réconfort à la plaignante. Celle-ci sera mieux disposée à témoigner, elle vous fera davantage confiance, etc.

4.2.4 Accompagnement et référence

L'accompagnement des victimes d'agression à caractère sexuel à la cour est offert par certains organismes qui viennent en aide aux victimes, comme les CALACS (centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) et les CAVAC (centres d'aide aux victimes d'actes criminels). Ces organismes aident les victimes à se préparer à la cour. Ils leur donnent l'information nécessaire sur le système judiciaire et leur apportent le support émotionnel dont elles ont besoin. Le fait d'être accompagnée peut être très aidant pour la victime. Elle a quelqu'un à ses côtés qui peut lui apporter du support et des informations sur le déroulement du processus, et ce, en tout temps. De plus, l'accompagnatrice peut lui faciliter certaines choses par exemple en se posant en écran physique entre elle et l'accusé pour éviter que ce dernier ne l'intimide ou encore en la tenant informée de ce qui se passe. Elle peut donc pallier, en grande partie, au peu de temps que le procureur peut consacrer à la victime.

«Je n'aurais pas tout fait ça si je n'avais pas été accompagnée d'une intervenante.» M.

Bref, l'accompagnement dans les différentes étapes du processus, allant de la rencontre avec le procureur jusqu'au procès, est fort utile pour les victimes comme pour les procureurs. Il faut préciser que le fait qu'une victime ait reçue de l'information par l'entremise d'un organisme ne la dispense pas de la rencontre avec le procureur.

«Lorsque je reçois la victime, la première chose qui me vient à la tête est: est-ce que cette personne sait qu'on est dans un système où il faut prouver hors de tout doute raisonnable, que c'est nous qui avons le fardeau de la preuve, que le juge ne connaît rien de son histoire et qu'elle devra la raconter en détails. C'est à ce niveau là que les accompagnatrices sont très utiles puisque souvent les victimes arrivent déjà toutes préparées, elles savent tout ça.» Un procureur

Ainsi, si la victime a déjà les connaissances de base sur le système judiciaire, le procureur peut se concentrer sur les aspects juridiques de la préparation du témoin. Les attentes de la victime accompagnée par une intervenante sont généralement plus réalistes. De plus, les dossiers d'agressions à caractère sexuel étant souvent plus exigeants sur le plan émotif, l'expérience de l'accompagnatrice peut être bénéfique.

Il existe d'autres types de ressources pouvant renseigner les victimes. C'est le cas du programme Infovac mis sur pied par le Ministère de la justice et destiné à informer les victimes d'actes criminels impliquées dans le système judiciaire. Ainsi, lorsque des accusations sont officiellement portées contre l'agresseur, la victime reçoit une lettre en faisant état. Cette dernière est accompagnée de deux brochures dont l'une vise à les informer des tenants et aboutissants du processus judiciaire et l'autre à faire connaître aux victimes leurs droits, leurs recours et les ressources à leur disposition. Une «déclaration de la victime» est également jointe à l'envoi. Cette dernière est conçue pour que la victime puisse faire état des séquelles que lui a laissé l'agression. Il n'est pas obligatoire de remplir cette déclaration, mais cela peut toutefois s'avérer très profitable pour les victimes. De plus, si elles sont assignées à témoigner à la cour, une brochure évoquant leur rôle en cour criminelle accompagnera l'assignation.

Finalement, une dernière lettre est envoyée suite au prononcé du jugement. Celle-ci fait part des conclusions retenues par la juge et du verdict qu'il a rendu. Cette lettre est accompagnée d'une brochure relative aux sentences et à leur suivi. II est bien évident que ces brochures ne peuvent remplacer l'intervention du procureur et les contacts qu'il est possible d'entretenir avec lui, mais, à tout le moins, elles reflètent bien le système de justice criminelle canadien et sont une source importante d'informations.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Vous pouvez choisir d'être accompagnée d'une intervenante, d'une amie ou d'une parente. Plusieurs personnes à la fois peuvent vous accompagner. Sachez seulement que l'intervenante est sans doute la mieux placée pour vous donner des informations sur le système judiciaire. Elle est celle qui peut vous rassurer lorsque quelque chose d'inconnu se déroule. Ce ne sont pas tous les procureurs qui acceptent la présence d'une accompagnatrice. Informez-vous auprès de celle-ci, elle connaît généralement bien les habitudes des procureurs de votre région. Toutefois, on ne peut pas vous refuser que quelqu'un vous accompagne sauf en cas de huis clos. En effet, lorsqu'il y a un huis clos, le juge peut exiger que celui-ci soit complet et que l'accompagnatrice attende à l'extérieur. Vous pouvez en tenir compte dans votre décision concernant le huis clos (voir section 4.1.3 concernant cet aspect). Ce problème se pose particulièrement dans le cas des adolescentes. En effet, celles-ci ont droit au huis clos mais doivent parfois y renoncer pour bénéficier de la présence de leur mère, par exemple.

Aux procureurs

La présence d'une accompagnatrice peut faciliter votre travail. En effet, celle- ci peut assumer l'aspect émotif, celui qui contribue le plus à alourdir votre dossier et qui ne fait pas partie de votre tâche. Certains procureurs réfèrent les plaignantes dans les centres d'aide afin que celles-ci puissent trouver le support émotif dont elles ont besoin et qu'ils ne peuvent pas leur donner eux- mêmes. D'ailleurs, les plaignantes apprécient énormément qu'on les réfère car elles ne connaissent pas toujours les ressources disponibles et en ont grandement besoin. Il serait sans doute plus facile de référer les plaignantes ou d'accepter la présence d'une accompagnatrice si vous connaissez ces organismes. Si vous le jugez nécessaire, essayez de prendre contact avec eux ou faite leur connaître votre ouverture.

4.3  Aspects liés à la preuve

4.3.1 Circonstances de l'agression et consentement

Dans le passé, la femme victime d'une agression à caractère sexuel était aussi souvent victime de préjugés grossiers quant à son consentement, sa manière de s'habiller, etc. Souvent, on jugeait qu'elle avait couru après son propre malheur. Aujourd'hui les préjugés se sont transformés, ils sont beaucoup plus nuancés mais toujours présents. La société dicte un certain nombre de règles que la femme ne doit pas transgresser. Si elle ne respecte pas ces normes, on remet en question la valeur de son consentement. Heureusement, le législateur fait désormais appel à la prudence et nous rappelle que l'on ne doit pas déduire du consentement [Hudon et al., septembre 1994a]. Il est évident que les procureurs, en tant que membres de la société, peuvent eux aussi véhiculer certains préjugés à l'égard des agressions à caractère sexuel. Les procureurs examinent leurs dossiers avec ce qu'ils sont et ce qu'ils pensent. Ils doivent tenter de rester objectifs mais il est parfois difficile de ne pas franchir la zone qui les sépare des préjugés. Toutefois, le travail des procureurs les confronte à cette réalité et les met en contact avec des groupes venant en aide aux victimes. On est donc en mesure de s'attendre à ce qu'ils soient généralement mieux informés.

Les victimes ont besoin de se sentir crues et non jugées par le procureur. Elles se sentent très seules dans ce processus et ont besoin de pouvoir compter sur lui. Il est très décourageant pour une victime de devoir justifier les circonstances entourant son agression, de devoir démontrer au procureur qu'elle est victime d'un acte criminel et qu'elle ne l'a pas provoqué.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Si vous êtes victimes de préjugés de la part du procureur, vous devrez prendre le temps de lui expliquer ce qu'il en est vraiment. Vous vous retrouvez en quelque sorte avec la responsabilité d'expliquer ce qui vous est arrivé et de le vivre. Toutefois, vous aidez sans doute les prochaines victimes qui se retrouveront devant des procureurs ayant une meilleure compréhension de la problématique. Vous pouvez faire appel à un centre d'aide afin qu'il vous supporte dans cette démarche.

Par le passé, les victimes se faisaient questionner sur leur comportement sexuel antérieur. Aujourd'hui, vous n'avez plus à craindre que la défense présente une preuve liée à votre comportement sexuel. Effectivement, des changements législatifs ont été apportés au Code criminel de façon à contrôler l'admissibilité de cette dernière. À cet égard, très peu de requêtes sont faites puisque la présentation de cette preuve s'avère rarement pertinente. En ce qui a trait à vos dossiers personnels tels que vos notes, journaux intimes, agendas, lettres, etc, sachez que la défense pourra en prendre connaissance, en vertu de la communication de la preuve, si la Couronne les inclut à son dossier. Il est donc important de ne pas remettre à la police ou à la Couronne les documents que vous ne voudriez pas que l'accusé consulte.

Il est également utile que vous sachiez que lorsque l'avocat de l'accusé vous téléphone ou désire vous rencontrer, vous n'êtes jamais tenues de répondre à ses questions ou d'accéder à ses demandes.

Aux procureurs

Une meilleure compréhension de la problématique des agressions à caractère sexuel éliminera peu à peu les préjugés à l'égard des victimes. Il est donc nécessaire que vous vous informiez et que vous restiez en contact avec les organismes travaillant auprès des victimes. Si vous détectez des préjugés chez vos collègues, prenez le temps d'en discuter avec eux. Ceci fera une grande différence pour les plaignantes qui se sentiront mieux accueillies dans le système judiciaire.

4.3.2 Conséquences

Les conséquences reliées à une agression à caractère sexuel peuvent être d'ordre physique et/ou psychologique. En cour, il est généralement facile, voire souhaitable, de présenter en preuve les conséquences physiques qui sont visibles et facilement vérifiables. Pourtant, les conséquences psychologiques sont nombreuses et souvent beaucoup plus douloureuses mais aussi plus souvent absentes des procès.

«Moi, j'ai fait beaucoup, beaucoup de tentatives de suicide parce que c'était intolérable ce que mon père m'a fait vivre de bébé à l'âge de 16 ans, ce qui ressortait c'est que j'avais un équilibre psychologique instable. C'est sûr que quand tu vis ça tu as un équilibre psychologique instable. Ils m'ont fait passer pour folle!!» N.

Par conséquent, il faut tenir compte que les femmes qui entreprennent des démarches judiciaires vivent des conséquences psychologiques suite à l'agression. Ces conséquences, elles les vivent ou les ont vécu avec beaucoup d'intensité. Ce sont pour elles, en quelque sorte, une démonstration de l'agression dont elles ont été victimes. Elles veulent que la cour sache ce qu'elles ont vécu ou ce qu'elles vivent.

«Je sais que vous voulez juste savoir les fois où c'est arriver mais moi je veux vous dire toutes les fois où j'ai eu peur que ça arrive. J'avais peur, je ne dormais pas, j'étais incapable de fonctionner...» N.

Les conséquences sont très rarement utilisées comme élément de preuve puisqu'elles n'amènent pas un lien certain. Par exemple, il est difficile de démontrer que l'anxiété que vit la victime est directement liée au fait qu'elle a subi une agression sexuelle. Il n'existe malheureusement que très peu d'études scientifiques qui font état des conséquences psychologiques des agressions à caractère sexuel. Il n'y a donc à peu près pas de moyen pour le procureur de présenter les conséquences dans sa preuve.

Les recherches à cet égard sont encore trop peu nombreuses. Cependant, elles nous apprennent notamment que l'agression sexuelle provoque des troubles de l'intimité, des problèmes de santé mentale. L'anxiété, l'hostilité et les comportements auto- destructeurs font souvent partie de la vie d'une victime d'agression sexuelle [Firsten, 1991]. De plus, les victimes d'agression sexuelle sont huit fois plus susceptibles de faire des tentatives de suicide et cinq fois plus susceptibles de faire une dépression nerveuse [Gordon et Riger, 1992].

Par conséquent, il est nécessaire de rester à l'affût puisque ce domaine intéresse de nombreux chercheurs et l'on peut croire que dans un avenir rapproché, beaucoup de phénomènes vécus par les victimes d'agression à caractère sexuel auront une explication scientifique et pourront être présentés en cour.

4.3.3 Expertise

L'expertise est de plus en plus sollicitée par les tribunaux. En effet, les causes se sont complexifiées et la venue d'experts est fort utile pour venir appuyer ou détruire un élément de preuve. Les experts dans les causes d'agressions sexuelles sont donc nombreux. Malheureusement, il ne s'exerce à peu près aucun contrôle sur la qualité des expertises produites. En fait, c'est la cour qui doit juger de celles-ci mais elle ne dispose pas, la plupart du temps, des outils pour le faire. Effectivement, il est difficile pour la cour de juger de la valeur d'un expert et de ces affirmations scientifiques puisque cela dépasse les connaissances de la cour. Il se présente donc des situations malheureuses où, par exemple, un expert qui n'est plus reconnu dans une région, témoignera dans un autre district judiciaire.

Le manque d'informations et de connaissances des procureurs constitue également un problème important. En effet, la plupart des procureurs n'ont pas la formation nécessaire pour juger de la valeur d'une expertise et donc pour contre-interroger l'expert de la défense. Aux dires des procureurs, il existe un besoin important de constituer un réseau d'échanges entre eux à ce sujet.

Comme il y a beaucoup d'experts dans les causes d'agressions sexuelles (surtout de la part de la défense) les procureurs se trouvent fréquemment confrontés au problème de l'expertise. Certains nous ont fait part de la difficulté de trouver de la contre- expertise. De plus, dans les cas d'agressions sexuelles, il est très rare que la cour accepte une expertise autre que celle des médecins et des psychologues, ce qui limite l'éventail des démonstrations possibles. Le manque de ressources est aussi en cause, car il faut les payer ces experts!

Enfin, la question de l'expertise est assez désarmante pour les femmes. Celles-ci se sentent souvent sans recours devant un expert qui l'évalue, la juge et parfois s'avance sur la probabilité qu'il y ait eu ou non agression. Elle sait qu'on donnera beaucoup de crédibilité à un expert. Or parfois, celui-ci ne l'a même pas rencontrée pour l'évaluer et porte un jugement dit «scientifique» sur ce qu'elle a vécu. Cette situation crée un grand sentiment d'impuissance chez les victimes.

/ Trucs et conseils

Aux procureurs

La question de l'expertise est préoccupante. N'hésitez pas à participer à des colloques sur cette question. Essayez de vous bâtir un réseau d'échanges entre collègues de différents districts judiciaires. Le seul moyen de faire face à l'expertise est de vous appuyer sur l'expérience des uns et des autres.

4.3.4 Clientèles particulières

A)      SURVIVANTES D'INCESTE

Les survivantes d'inceste constitue près de 60 % de la clientèle des CALACS [Les agressions sexuelles, ça suffit!, 1993]. Les demandes de leur part se sont multipliées dans le réseau de la santé et des services sociaux mais aussi dans le système judiciaire. Plusieurs survivantes d'inceste choisissent de dénoncer leur agression des années plus tard. Ceci complique le processus judiciaire. En effet, il faut alors tenir compte au niveau juridique des changements législatifs, puisque la poursuite se fera sur les chefs d'accusation du moment où a eu lieu l'agression (pour en savoir plus à ce sujet consulter le document «Recours criminels dans les cas d'abus sexuels dans l'enfance» du Regroupement québécois des CALACS). De plus, l'enquête est souvent plus difficile, des témoins sont décédés, des preuves ont été détruites, etc...

Pour les procureurs, les causes des survivantes d'inceste ressemblent souvent au procès d'une vie; il est alors difficile de faire la part des choses. De plus, ce sont souvent des causes plus complexes puisque la preuve est différente et qu'ils doivent se référer à des accusations et des règles de droit du passé. Ce sont des dossiers souvent plus difficiles sur le plan émotif puisque l'on parle d'agressions s'échelonnant sur plusieurs années et qui impliquent souvent plusieurs membres de la famille. Du point de vue des victimes, dénoncer après tant d'années s'avère également un choix difficile.

«J'ai dénoncé parce que je sentais beaucoup de danger pour ma nièce qui avait beaucoup de symptômes, je l'ai surtout fait pour la protéger.» N.

Plusieurs des femmes que nous avons rencontrées ont mentionné qu'elles ont choisi de dénoncer l'agresseur parce qu'il menaçait la deuxième génération. Elles ont dénoncé davantage pour protéger cette génération, pour qu'il cesse de faire du mal plutôt que pour elle-même.

Souvent, elles craignent de ne pas se rappeler de tous les détails. En effet, la cour s'attarde aux faits et est donc pointilleuse sur les dates, les âges, les gestes, etc. Il est parfois difficile de se rappeler avec exactitude ce genre de détails. Elles se souviennent des gestes mais pas nécessairement du nombre de fois où l'agresseur les a posés. Il y a également la crainte d'être jugée. Dans les cas des survivantes d'inceste, plusieurs se questionnent sur le fait qu'elles n'aient pas parlé avant, pourquoi elles acceptaient des cadeaux, etc.

«Ma procureure m'a demandé pourquoi je n'ai pas dit non à mon père. La première fois que j'ai essayé de lui dire non, il a failli me tuer. Une fille apprend vite, tu sais que tu te sauves la vie.» N.

Par ailleurs, de nombreuses études démontrent des conséquences importantes pour les survivantes d'inceste telles une plus grande dépendance à l'alcool et aux drogues [Pauzé et Mercier, 1994]. Selon une étude torontoise, parmi les femmes hospitalisées en psychiatrie, on retrouve deux fois plus de victimes d'inceste que dans la population en général [Firsten, 1991]. En outre, plusieurs aspects sont encore peu étudiés comme l'acuité sensorielle, le syndrome post-traumatique, tout ce qui concerne l'oubli, en tout ou en partie, de l'expérience. Comme le font remarquer Pauzé et Mercier [1994], certaines victimes d'inceste présenteront des symptômes qu'une fois rendues à l'âge adulte. Ces phénomènes méconnus sont souvent source de préjugés à l'égard des survivantes d'inceste. Lors de nos rencontres, une femme rapportait qu'à la cour, on ne l'a pas cru lorsqu'elle a rapporté entendre les tintements du verre d'alcool de son père contre le sous-verre, à l'autre bout de la maison. Pourtant, elle avait développé une acuité sensorielle puisque ces tintements signifiaient pour elle une agression imminente de la part de son père. Il est donc nécessaire de garder un esprit ouvert face à ces phénomènes méconnus et de rester attentif aux recherches qui pourraient nous en apprendre davantage.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Du point de vue légal, les causes d'inceste représente un défi. Il est difficile de porter un regard d'aujourd'hui sur le passé. Vous serez confrontées régulièrement avec cette réalité. Il faudra vous armer de patience puisqu'il y a fort à parier que vous devrez prendre le temps d'expliquer au procureur certains événements ou gestes qui a ses yeux demeurent incompréhensibles. Enfin, souvenez-vous que la tâche du procureur est loin d'être simple puisqu'il doit composer avec des dispositions et des infractions passées et sans doute avec une preuve altérée.

Aux procureurs

Les cas de survivantes d'inceste décidant de porter plainte sont de plus en plus fréquents, il est donc nécessaire de s'y préparer. II est essentiel de vous rappeler que la femme qui décide de porter plainte des années plus tard pour des gestes commis durant l'enfance entreprend un processus personnel important. En effet, elle décide de rompre le silence dans lequel elle vit depuis des années. Il est primordial que vous fassiez un effort spécial et soutenu dans l'acquisition de connaissance sur la problématique de l'inceste. Restez à l'affût de la recherche scientifique mais surtout restez ouvert à ce que la femme vous exprime. -Certains phénomènes peuvent vous paraître inhabituels, mais pourtant, ils font partie de son expérience et méritent un effort de compréhension de votre part. Enfin, souvenez-vous toujours que la femme devant vous était une enfant au moment où l'abus sexuel a eu lieu. Cette enfant n'avait pas les mêmes possibilités et ressources qu'une adulte.

B) ADOLESCENTES

Les adolescentes sont sans doute les victimes qui demandent le plus d'attention de la part des procureurs. D'une part, elles ont davantage de besoins et d'autre part, les procureurs les identifient comme la catégorie qui ment le plus. En général, on leur attribue un problème de crédibilité, de fabulation. En effet, certains pensent que les adolescentes inventent l'agression sexuelle comme excuse pour un retard ou par vengeance.

«Moi, une fille qui me dirait qu'elle a tout inventé, je la considérerais comme une surfemme, je ne peux pas concevoir faire un affaire de même, qu'elle passe à travers ça puis en plus qu'elle se mette dans marde de même pour le fun.» C.

En fait, les adolescentes constituent un groupe à risque d'être victime d'une agression sexuelle important. La majorité des agresseurs des adolescentes font partie de leur réseau social [Tourigny et Lavergne, 1995]. De plus, on estime qu'une adolescente sur six aurait vécu un viol et que 50 % d'entre elles auraient subi de la coercition sexuelle [Les agressions sexuelles: Stop, 1995]. La situation est préoccupante.

Les adolescentes choisissant de passer par le système judiciaire ont besoin particulièrement d'information afin de démystifier l'image acquise dans les films américains.

«l'avais besoin de beaucoup d'explications.» L

Elles se sentent davantage insécures face au système judiciaire et ont besoin de bien cerner ce qui va leur arriver. Elles ont besoin, encore plus que les femmes adultes, d'établir un lien de confiance avec le procureur. Elles ont besoin de se sentir crues, surtout parce qu'elles sont davantage sensibles à se faire juger et aux répercussions dans leur milieu. Par ailleurs, il est moins facile pour elles de prendre leur place vis-à-vis l'autorité. Il faut donc être attentif à leurs besoins puisqu'elles ne prendront pas leur place aisément. De plus, leur langage est différent, souvent hésitant ou cru, lorsque vient le temps de nommer des choses au niveau sexuel. Elles ont, par conséquent, un plus grand besoin de préparation pour le témoignage. Mais surtout, elles ont besoin de plus d'attention et de compréhension de la part du procureur.

Les procureurs sont généralement prudents avec les dossiers d'adolescentes car leur expérience leur a appris que ce sont elles qui mentent le plus. Ils doivent donc faire preuve de vigilance et s'assurer de la véracité des faits rapportés par l'adolescente. Ils savent qu'ils feront face à un problème de crédibilité en cour. De plus, les adolescentes s'ouvrent plus difficilement, ils doivent donc donner un effort supplémentaire pour qu'elle donne une version complète des faits.

«C'était des gars [les policiers] je ne sais pas pourquoi je leur aurais fait confiance. J'ai pas tout raconté au début, ma dénonciation a commencé par 2 pages, en fin de compte ça c'est ramassé à 40 pages. La procureur de la Couronne m'a apprivoisée, c'est à elle que je parlais.» L.

/ Trucs et conseils

Aux adolescentes

Malgré le fait que la situation semble particulièrement difficile pour les adolescentes dans le système judiciaire, il ne faut pas lâcher. Partir un pas en arrière ne veut pas dire qu'on ne peut pas atteindre le fil d'arrivée. Par contre, connaissant les difficultés possibles, if est essentiel d'être accompagnée par quelqu'un en qui vous avez confiance. Il ne faut pas vous décourager, avec le support adéquat, vous pouvez passer au travers.

Aux procureurs

Le fait qu'une adolescente se retrouve devant vous est très révélateur. Cela lui a sans doute demandé beaucoup de courage. Il y a fort à parier que plusieurs adultes significatifs l'ont laissé tomber et ne l'ont pas crue. Elle compte sur vous. Vous jouez un rôle capital dans la manière qu'elle établira ses relations de confiance et ses rapports à l'autorité à l'avenir.

D'abord, prenez davantage de temps avec elle pour bien lui expliquer ce qu'impliqué le processus judiciaire. Expliquez-lui certaines particularités qui risquent de la toucher comme le fait de ne pas pouvoir être accompagnée lors d'un huis clos. Il est préférable d'entretenir un suivi plus serré qu'avec une adulte car il est peu probable que, même si elle en ressent le besoin, elle prenne la peine de vous appeler pour avoir davantage de renseignements. La préparation du témoignage et du contre-interrogatoire est essentielle, pour elle comme pour le dossier. En effet, sa tenue ou son langage pourrait être inappropriés pour la cour.

Enfin, si vous ne pouvez pas poursuivre les procédures, faute de preuves mais que vous croyez sa version, assurez-vous qu'elle le sait et qu'elle distingue bien les deux.

5- VERDICT ET DÉTERMINATION DE LA PEINE

Le verdict est la décision du juge concernant la culpabilité ou l'innocence de l'accusé. Il peut être prononcé soit immédiatement après le procès, soit à une date ultérieure fixée par le juge. Dans notre système judiciaire, l'un des principes de base est que l'accusé doit être prouvé coupable hors de tout doute raisonnable. Le fait qu'il soit acquitté ne veut pas dire nécessairement que le juge croit que la version de la victime est fausse.

Dans l'éventualité où l'accusé est reconnu coupable ou qu'il plaide coupable, le juge doit déterminer la sentence. Dans sa décision, il doit prendre plusieurs critères en considération notamment la gravité du crime, les circonstances atténuantes, par exemple, sa participation à une thérapie et les circonstances aggravantes comme le risque de récidive. Le juge peut ordonner une amende; l'absolution conditionnelle, c'est-à-dire qu'en échange du respect de certaines conditions, l'accusé est libéré sans casier judiciaire; une ordonnance de probation, il purge alors sa peine en société avec des conditions; le sursis de sentence qui consiste en une ordonnance de probation, qui lorsque rompue, peut mener à une autre peine; ou finalement l'emprisonnement selon les peines prévues par la loi.

L'Enquête sur la détermination de la peine, menée par le Centre canadien de la statistique juridique, apporte des données récentes sur ces types de sentences. Alors que pour l'ensemble des infractions étudiées, un taux de 29% d'incarcération était observé, on constate que les agressions sexuelles font partie des sept infractions pour lesquelles ce taux était d'au moins 80 %. L'incarcération dans les dossiers d'agressions sexuelles est très souvent accompagnée d'une période de probation. Les autres types de sanctions sont moins souvent imposés. Parmi les cas recensés d'agressions sexuelles simples, 20 % ont eu droit à un sursis de sentence. La médiane des sentences, c'est-à-dire le point où la répartition des sentences se divise en deux, est de 6 mois pour l'agression sexuelle simple, de 2 ans pour l'agression sexuelle armée et de S ans pour l'agression sexuelle grave. On constate un écart important entre les peines imposées et les peines maximales prévues par le Code criminel, mais ceci n'est pas exclusif aux agressions sexuelles [Turner, 1993].

Il est possible que la plaignante soit appelée à témoigner dans une audience de détermination de la peine (représentations sur sentence). On lui demandera alors de faire part des conséquences physiques et psychologiques de l'agression dans le cadre cette audience. Il est aussi possible pour la plaignante d'écrire au juge à ce sujet, par le biais de la déclaration de la victime, référez-vous à la section sur le programme Infovac.

Le verdict et la sentence peuvent provoquer une palette d'émotions très variées chez les femmes. En effet, les victimes peuvent ressentir du soulagement, de la joie, de la colère, de la révolte, de l'injustice, etc. Ces émotions sont légitimes et dépendent énormément de ce que les femmes attendent dès le départ du système judiciaire.

«Il n'avait pas besoin de faire de la prison tant qu'il avouait, au moins je n'aurais pas passé pour folle.» L

«Je suis satisfaite parce que je me suis forcée à décrocher de la sentence, même si on lui avait donné dix ans, ça ne m'aurait pas redonner ce qu'il m'a enlevé. J'ai le sentiment que justice a été rendue parce que j'ai témoigné et j'ai senti que quelque chose a passé entre moi et le juge. Le fait de m'être battue, que je me sois forcée à prendre ma place dans le processus judiciaire m'a redonné du pouvoir.» M.

«J'ai demandé à témoigner pour que le juge voit des victimes, qu'il sente ce qui se passe, la plupart du temps, ils jugent sur des choses écrites, ils ne peuvent pas sentir ce qu'on vit à partir de papiers écrits par d'autres. Je voulais lui dire ce que je vivais, pas pour chialer contre l'agresseur mais vraiment lui raconter qu'est-ce que je ressentais.»  M.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

Ne croyez pas que les procureurs sont insensibles au résultat du procès. Toutefois, ils ne sont pas impliqués au niveau personnel mais au niveau professionnel. C'est donc la conviction d'avoir fait le maximum qui les rendra satisfaits. Ils ont aussi moins de chance d'être surpris du type de sentence imposé puisqu'ils connaissent bien le système judiciaire.

Essayez de bien comprendre pourquoi vous avez entrepris les démarches judiciaires. Vous aviez sans doute plusieurs motivations qui ont justifié votre décision de déposer une plainte, il peut s'agir de votre désir de dénoncer publiquement l'agresseur, de le voir en prison, de le voir admettre sa culpabilité, etc. Certaines d'entre elles sont comblées même si la sentence ou le verdict rendu ne vous satisfait pas pleinement. Le fait que l'accusé soit reconnu non coupable ne veut pas dire que le juge ne vous croit pas, mais plutôt qu'il subsiste un doute dans son esprit concernant un ou des éléments de la preuve présentée.

Par ailleurs, rappelez-vous que vous avez la possibilité de témoigner ou d'écrire au juge à l'occasion de l'audience de détermination de la peine. Le contact avec le juge vous apportera peut-être le sentiment que vous n'étiez pas un numéro ou une cause mais bien une personne victime d'un acte criminel.

Aux procureurs

II est important que vous soyez réaliste lorsque vous donnez à la plaignante votre appréciation des chances de gagner ou de perdre puisqu'elle croira sans doute beaucoup à votre diagnostic. Il serait indiqué de lui faire part des données sur les sentences et des différents types de sentence pour lui éviter d'être surprise et fort probablement déçue si l'accusé n'a pas de peine d'emprisonnement. Le fait de savoir que ceci ne s'applique pas uniquement aux agressions à caractère sexuel peut aussi être aidant. Enfin, les femmes apprécient l'opportunité de s'exprimer sur les conséquences qu'elles vivent et qui ont contribué au fait qu'elles ont choisi de dénoncer. Elles ne savent pas toujours qu'elles peuvent témoigner, faites-en leur part.

6- SUIVI DE SENTENCE

Lorsqu'un accusé est condamné à passer un certain temps derrière les barreaux, il lui sera éventuellement possible d'avoir droit à une libération conditionnelle. Cette mesure permet à l'accusé de purger le reste de sa sentence en société. Elle a pour but de réintégrer l'individu dans la société à l'aide de mécanismes de surveillance et de contrôle. L'information concernant ces futures mises en liberté ne relèvent pas des procureurs, mais plutôt des Commissions de libérations conditionnelles. Celles-ci accordent de telles libérations en évaluant le risque que peut représenter le contrevenant pour la société. Pour ce faire, elles appuient leur décision sur plusieurs informations provenant des rapports psychologiques et psychiatriques, de la police, de la cour, de la victime, des démarches concrètes de l'accusé en vue d'actualiser sa réinsertion sociale, des problèmes sociaux vécus par l'accusé (alcool, drogues, violence, etc.), du comportement de ce dernier en détention, etc.

Il existe deux commissions accordant ce type de libérations. L'une d'elle, la Commission québécoise des libérations conditionnelles a le pouvoir de rendre des décisions concernant la liberté sous surveillance des contrevenants purgeant leur peine dans les établissements provinciaux, c'est-à-dire ceux dont la sentence est inférieure à deux ans moins un jour. Pour sa part, la Commission nationale des libérations conditionnelles a la responsabilité des détenus purgeant des peines de deux ans et plus dans des établissements fédéraux.

Il est à noter que les libérations conditionnelles, sous quelque forme que ce soit, ne sont jamais accordées automatiquement. C'est un privilège accordé à certains détenus qui rencontrent des critères très précis. Tout détenu jouissant d'une mise en liberté sous conditions peut être réincarcéré s'il ne se conforme pas aux conditions imposées par la commission.

/ Trucs et conseils

Aux victimes

II est inutile de contacter le procureur ayant pris en mains votre dossier afin de lui demander des informations sur la mise en liberté de I'accusé. Ils ne sont pas au courant des mesures de libération. Adressez-vous plutôt directement à la Commission québécoise des libérations conditionnelles ou à la Commission nationale des libérations conditionnelles selon la sentence imposée à l'accusé. Elles sauront vous communiquer les diverses dates d'admissibilité aux différents types de libérations ainsi que la teneur des décisions rendues. Moyennant une demande écrite auprès des commissions, vous pourrez obtenir une copie de la décision relative à la mise en liberté sous conditions. Au niveau de la Commission nationale, vous pourrez demander d'être présente à l'audience de mise en liberté et les victimes qui le désirent peuvent être entendues par celle- ci.

Aux procureurs

Compte tenu de la sentence imposée par le juge à l'accusé, n'hésitez pas, à la fin des procédures, à référer la victime auprès de la commission appropriée. Rappelez-lui qu'il n'est pas de votre rôle de la tenir informée du suivi de sentence. Expliquez-lui brièvement que votre mandat est désormais terminé relativement à ce dossier.

7- ET SI C'ÉTAIT À REFAIRE?

«Ça m'a démolie, ça fait trop mal, tu te fais tellement rabaissée, tu passes pour la menteuse, la folle, à force de te faire rabaisser, tu viens quasiment à les croire.» C.

«Ça vaut la peine de le faire parce que après tu es libérée, tu es bien, tu t'enlèves la culpabilité. Mais heureusement, je suis allée aux renseignements mais ce n'est pas la chance de tout le monde.» J.

«Je me suis sentie niée.»  L

«J'encourage les femmes à dénoncer, à témoigner. Ça m'a fait du bien. J'ai eu affaire avec des gens humains, je me considère chanceuse. Mais si c'était à refaire, je m'impliquerais plus.» M.

«Je ne voulais pas porter plainte, je ne voulais pas que le monde le sache, je ne voulais pas être jugée.» C.

«Je me dis que pour que le système change, il faudrait que toutes les filles qui se font agresser, téléphone à la police et leur raconte ce qui s'est passé mais ne porte pas plainte. Ils seraient obligés de faire quelque chose.» C.

Le faible taux de dénonciation en fait foi, la grande majorité des femmes ne dénoncent pas les agressions à caractère sexuel dont elles sont victimes. Sans la présence de préjugés à l'égard de cette problématique dans notre société et avec une plus grande confiance dans le système judiciaire, ce taux grimperait sans doute de façon significative. Ce guide apporte des réponses à ces deux préoccupations. Il vise une meilleure compréhension des agressions à caractère sexuel et un passage à la cour plus facile.

Le système judiciaire présente de nombreux obstacles pour les femmes agressées sexuellement. Toutefois, lorsque l'on s'y attarde, très peu de ces obstacles et ces difficultés sont insurmontables. Même s'ils ne sont pas les seuls responsables, il n'en demeure pas moins que les agissements des procureurs conditionnent bien souvent l'évaluation que les victimes font du système judiciaire. Les gestes qu'ils posent ont un impact important sur le plan émotif et humain de la victime.

C'est grâce à l'expérience des femmes et des procureurs qu'il a été possible d'identifier les actions réalistes et réalisables devant mener à une expérience judiciaire plus positive. Ce guide propose avant tout des gestes simples à poser à la fois par les victimes et par les procureurs. Ces acteurs ont un rôle central dans la manière dont se déroulera l'expérience d'une victime d'agression à caractère sexuel dans le système judiciaire.

L'information, la préparation et la compréhension demeure sans doute les mots clés d'une meilleure expérience. Il est primordial que les femmes qui choisissent de dénoncer leur agression sexuelle à travers le système judiciaire ciblent mieux leurs attentes. Il est tout aussi essentiel qu'elles acquiert une meilleure connaissance du rôle des procureurs et du système. En se sentant mieux accueillies dans le système, les victimes deviennent de meilleures alliées pour les procureurs. En effet, le travail du procureur se trouve grandement facilité lorsqu'il fait face à une victime qui comprend le système, lui fait confiance et se sent prête à témoigner. Les victimes d'agression sexuelle comme les procureurs peuvent bénéficier d'une collaboration plus étroite.

Ce guide doit servir de pont entre les victimes d'agression sexuelle et les procureurs. Il doit également être l'occasion de réaliser les possibilités d'entraide. Mieux se connaître et collaborer permettront en bout de ligne de rendre plus positive l'expérience des femmes à travers le système judiciaire et de rendre plus facile la tâche des procureurs.

Il nous apparaît évident que les victimes et les procureurs ont un objectif commun. Ils recherchent une plus grande Justice. Or, en mettant en application les simples trucs et conseils contenus dans ce guide, peut-être en arriveront-ils à obtenir des échanges plus fructueux et à voir ainsi plus de femmes dénoncer les agressions sexuelles dont elles sont victimes.

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