ÉVOLUTION DE LA LOI RELATIVE AUX AGRESSIONS SEXUELLES

Rédaction                    :

Consultant                 :

Coordination             :

Comité de lecture   :

Marie-Claude Hudon Stéphane Reynolds Diane Lemieux Catherine Bérard

Me René Turcotte, professeur

Faculté de Droit, Université de Sherbrooke

Jacynthe Lambert Diane Lemieux

Linda Bérubé, CALACS de Rimouski Christiane Ouellet,  Point d'appui de  Rouyn- Noranda


Mise en page et traitement de texte:

Monique Dulac Isabelle Fontaine


Dans le présent document, le féminin désigne aussi bien les femmes que les hommes. Il en est de même pour la forme masculine. Nous avons voulu ainsi refléter la réalité des agressions sexuelles, à l'effet qu'en général ces crimes sont commis par des hommes et que les victimes sont en majorité des femmes.

Ce document a été réalisé grâce à la contribution

du Programme de soutien aux organismes communautaires

du ministère de la Justice du Québec.

Le contenu n'engage que l'organisme.


Dépôt légal, 3e trimestre 1994 Bibliothèque Nationale du Québec

ISBN 2-9803350-4-5

Dépôt légal, 3e trimestre 1994 Bibliothèque Nationale du Canada


TABLE DES MATIÈRES


«L'agression sexuelle est différente d'un autre crime. Dans la majorité des cas, la cible est une femme et l'accusé un homme. Contrairement aux autres crimes de nature violente, ces crimes sont en grande partie non rapportés. Toutefois, il est reconnu que les femmes continuent d'être victimisées à un rythme alarmant et il existe certaines indications que le taux déjà effroyablement élevé d'agressions sexuelles est à la hausse. En ce qui concerne les agressions sexuelles, le taux de poursuite et de déclaration de culpabilité sont parmi les moins élevés de tous les crimes violents. Peut-être plus que dans le cas de tout autre crime, la crainte et la réalité constante de l'agression sexuelle influent sur la façon dont les femmes organisent leur vie et définissent leurs rapports avec l'ensemble de la société».

L'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé dans l'affaire R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 9.

INTRODUCTION

L'enquête sur la violence envers les femmes menée et rendue publique en 1993 par Statistique Canada a confirmé le fait que l'agression sexuelle est Tun des crimes les moins dénoncés. En effet, cette enquête indique que 39 % des femmes ont déclaré avoir subi une agression sexuelle. L'enquête rapporte que seulement 6 % de ces agressions ont été signalées à la police. Lorsque vient le temps d'affronter le système judiciaire, la plupart des femmes, tant les intervenantes que les femmes agressées, se sentent démunies devant la complexité de la loi et du processus judiciaire.

Parmi toutes ces lois, il y a bien sûr le Code criminel. Cette loi fédérale régit et sanctionne les agressions sexuelles. Elle a subi de multiples changements au fil des années. Plusieurs documents traitant de cette évolution ont été rédigés. Cependant, la rédaction des textes rend souvent ceux-ci complexes pour quiconque veut en entreprendre la lecture. Et la quantité considérable de publications sur le sujet rend souvent leur consultation ardue.

Conscientes de cette réalité, les responsables du Regroupement québécois des CALACS nous ont confié le mandat de produire un texte explicatif à la fois simple et facile à consulter. Le présent document est le fruit de ce travail. Il se présente en trois parties, respectant ainsi les grandes étapes de la réforme du Code criminel en matière d'agressions sexuelles. Chaque partie se divise elle-même en plusieurs sections (définitions, peines, parties à l'infraction, règles de preuve et publicité). Dans la mesure du possible, nous avons illustré nos propos d'exemples tirés de décisions rendues par les tribunaux. Afin de vous permettre d'avoir une vue d'ensemble sur les notions abordées dans le texte, nous avons inclus deux tableaux synthèse en annexe. Ce document prend tout son sens lorsque l'on rappelle que les règles de preuve utilisées au cours d'un procès sont celles qui étaient en vigueur à la date de l'infraction alors que les règles ayant trait à la publicité et les peines imposés (si elles sont plus douces) sont celles en vigueur au moment du procès.

Dans le présent texte, nous avons préféré employer le terme «plaignante» plutôt que «plaignant» (utilisé dans le Code criminel). À notre avis, cela correspond mieux à la réalité sociale actuelle où les victimes d'agressions sexuelles sont en grande majorité des personnes de sexe féminin.

Enfin, nous désirons attirer votre attention sur une «technicalité»: Les numéros d'articles cités sont ceux du Code criminel de l'époque concernée. Par exemple, si quelqu'un recherche l'article 246.1, qui traitait de l'agression sexuelle «simple», il devra se référer dans un Code criminel édité entre 1983 et 1985. En effet, cet article n'existait pas auparavant, et après 1985, les articles du Code ont subi un changement de numérotation (l'article 246.1 est maintenant l'article 271 C.cr.).

En comprenant l'évolution de la loi et sa situation actuelle, vous serez plus en mesure d'en saisir les impacts. Nous souhaitons que la maîtrise de ces notions devienne un outil fort utile dans le combat que vous livrez quotidiennement.

DE 1976 À 1983

Les lois se sont montrées de tout temps soupçonneuses et méfiantes à l'égard des femmes et des victimes d'agressions sexuelles. Les premières lois adoptées sur le viol visaient la protection des femmes en tant que propriété du père et du mari. La question du viol, lorsqu'elle était criminalisée, était le plus souvent une question réglée par l'auteur du geste et la famille de la victime. Les «sanctions» étaient conséquentes à l'esprit possessif du crime: représailles militaires, indemnité au père ou à l'époux selon le cas, mariage forcé...

À la fin du 13e siècle, le viol change légèrement de statut: H devient davantage une question de sécurité et d'intérêt public. Jusqu'en 1983, d'ailleurs, ce crime est classé dans les crimes contre les bonnes moeurs.

Au 19e siècle, les lois canadiennes (qui s'inspirent largement du droit britannique) commencent, très doucement, à concevoir le viol comme une violation de la femme. Au même moment, les tribunaux introduisent les notions de consentement et de résistance en insistant sur le fait que la victime devait prouver qu'elle avait résisté de façon active à l'agres- sion. À cette même époque également, apparaît la peur des fausses plaintes; la moralité et la réputation de la victime deviennent aussi des questions cruciales. Ces thèmes obsèdent tout autant notre système judiciaire un siècle plus tard... Si bien que les victimes de viol à l'époque avaient intérêt à être vertueuses, droites, vierges (sous la protection du père) ou mariées (sous la protection du mari)...

Au cours du 19e siècle, on assiste à un léger glissement. La définition du viol se rapproche davantage du droit pour les femmes d'être protégées contre les mauvais traitements sexuels et du droit à une autonomie sexuelle. Ainsi les conditions requises de ('ejaculation, de la rupture de l'hymen et même de la pénétration s'estompent.

20e siècle, peu de changements. Les règles et la procédure spéciales, exceptionnelles rappelons-le, élaborées au fil des ans sont fondées sur les mêmes perceptions et attitudes qu'au siècle précédent.

Examinons de plus près les dispositions du Code criminel qui ont donné le ton de l'intervention judiciaire pour une grande partie du 20e siècle.

A.       Les délits et les peines

  • Ils étaient regroupés à la partie IV du Code criminel sous le titre: Infractions d'ordre sexuel, actes contraires aux bonnes moeurs et inconduite.
  • Les principaux délits étaient: le viol, la tentative de viol, l'attentat à la pudeur.

A-l    Le viol

  • L'article 143 C.cr. a défini ainsi le viol: «Une personne du sexe masculin commet un viol en ayant des rapports sexuels avec une femme qui n'est pas son épouse (...)». Le rapport sexuel devait être obtenu sans consentement ou suite à un consentement obtenu sous la menace, la violence (on l'appelle alors un consentement vicié).
  • Pour obtenir une condamnation pour viol, la poursuite devait établir la preuve de quatre éléments:

  • Un rapport sexuel, soit une pénétration même à moindre degré (article 3(6) du Code criminel). On parle ici d'une pénétration du pénis dans l'appareil reproducteur féminin. L'expression «même à moindre degré» signifie que le pénis doit pénétrer au moins les lèvres (petites ou grandes), peu importe le degré de pénétration; le rapport sexuel ne nécessite pas la perforation de l'hymen, ni la pénétration vaginale (ces critères furent dégagés par les tribunaux dans l'affaire R.c. Johns (1956) 116 CGC 200). Sont donc exclues les pénétrations orale et anale avec le pénis ou les pénétrations vaginales avec un doigt ou un objet. L'article 3(6) du Code criminel posait de grandes difficultés de preuve.
  • Absence de consentement de la plaignante aux relations ou obtenu sous la menace, la violence ou de fausses représentations (notion laissée à l'interprétation des tribunaux).
  • La connaissance par l'accusé de l'absence de consentement.
  • L'absence de lien de mariage entre l'accusé et la victime au moment des événements.

-   La peine maximale pour le viol était l'emprisonnement à perpétuité.

A-2    L'attentat à la pudeur

-   L'attentat à la pudeur a été défini comme un comportement qui constitue des voies de fait simples visant une atteinte à la sexualité de la victime. Sa définition, contrairement à celle du viol, ne tient pas compte du sexe de la victime. Cet élément est toutefois important au niveau de la peine.

La peine pour attentat à la pudeur variait selon le sexe de la victime. Si l'attentat à la pudeur était perpétré contre une personne de sexe féminin, la peine maximale était de 5 ans; s'il s'agissait d'une victime de sexe masculin, la peine maximale était de 10 ans.

Une multitude de gestes à connotation sexuelle pouvaient constituer un attentat à la pudeur (articles 149 et 156 du Code criminel). Par exemple, les tribunaux ont jugé que les comportements suivants constituaient des attentats à la pudeur: une fellation, la manipulation du clitoris par un médecin de façon non conforme à l'art médical, des attouchements d'ordre sexuel, le fait d'exhiber ses organes génitaux et de se masturber devant quelqu'un.

L'article 149 (2) prévoyait la question du consentement vicié (obtenu sous la menace, la violence ou de fausses représentations), de façon semblable à ce qui était édicté à l'article 143 concernant le viol. II revenait donc aux tribunaux de définir ce qui constituait un consentement vicié.

Si l'attentat à la pudeur était commis envers une personne de moins de 14 ans, le consentement de celle-ci ne constituait pas une défense (article 140 C.cr.).

A-3    La tentative de viol

  • La tentative de viol était prévue à l'article 145 C.cr.  Le législateur avait tenu à séparer ce crime afin d'édicter des sanctions plus graves que celles généralement prévues pour les autres types de crimes, mais le Code criminel ne précisait pas ce qu'était une tentative de viol. Cependant, les tribunaux ont conclu que, lorsque l'accusé avait l'intention avouée d'accomplir l'acte complet mais qu'il persistait un doute quant à la pénétration réelle du pénis dans l'appareil reproducteur féminin, nous étions en présence d'une tentative de viol.    Il était important que les gestes posés par l'accusé constituent plus qu'un simple acte préparatoire.
  • La   peine   maximale   pour   la   tentative   de  viol était   de   dix   ans d'emprisonnement.

B. Les parties à l'infraction

B-1 Sexe de l'accusé et de la plaignante

  • Selon 143 C.cr., le viol et sa dynamique impliquaient un homme agresseur et une femme agressée.
  • Pour ce qui est de l'attentat à la pudeur, si la victime était une femme, l'agresseur pouvait être de sexe féminin ou masculin. Si la victime était un homme, l'agresseur ne pouvait qu'être un homme.

B-2    État matrimonial

-   Le mari ne pouvait jamais être poursuivi pour le viol de son épouse, même s'ils vivaient séparés. Un homme pouvait être accusé du viol de son épouse seulement dans le cas où il participait à l'agression de celle-ci par un autre homme.

B-3    Âge de l'accusé

-   Un garçon de moins de 14 ans ne pouvait être accusé de viol ou de tentative de viol (article 147 C.cr.).

C.      Règles de preuve et publicité

Des règles de preuve particulières à ce domaine reflétaient des idées héritées du 19e siècle. Selon lesquelles une femme accuse un homme uniquement pour se venger ou tenter de sauvegarder sa réputation de fille de bonnes moeurs. Par conséquent, devant ce danger, il semblait normal au législateur et aux tribunaux de faire bénéficier l'homme accusé d'agression de moyens de protection supplémentaires. De cette façon, la gent masculine était prémunie contre les accusations frivoles!

C-l     Règles de preuve

- La corroboration: Corroborer, c'est confirmer une preuve amenée devant le tribunal. Jusqu'en 1976, on ne pouvait rendre un verdict de culpabilité dans les affaires de viol et d'attentat à la pudeur sans preuve venant corroborer le témoignage de la victime. L'affaire Thomas c. R., [1952] 103 C.C.C. 193, définit les deux attributs de la preuve corroborante:

  • Indépendance: La preuve doit émaner d'une source autre que le victime.
  • Caractère substantiel: Les éléments substantiels de l'infraction doivent être corroborés.

L'article 142, qui édictait cette règle, fut abrogé en 1976. Cependant, certains juges continuèrent d'exiger la corroboration. D'autres servirent au jury une mise en garde quant au danger de condamner un individu sur le seul témoignage de la plaignante, sans confirmation de ce dernier. La question fut finalement réglée en 1982 par la Cour suprême du Canada, dans la cause Vetrovecc. R., [1982] 1 R.C.S. 811. Le plus haut tribunal du pays fit une critique et modifia les techniques de la règle de la corroboration, jugée trop complexe. Les tribunaux commencèrent alors à s'éloigner de l'application stricte de la règle de la corroboration.

La doctrine de la plainte spontanée: Ce concept provient de notre héritage anglais en matière de lois criminelles. Il ne s'applique qu'aux procès en matière d'infractions sexuelles. En vertu de cette règle, il est souhaitable que la victime se confie à un tiers le plus tôt possible après une agression, ajoutant ainsi de la crédibilité à son témoignage. En effet, selon la croyance sous-jacente à cette règle, une femme vertueuse et de bonnes moeurs subissant une agression sexuelle va s'en plaindre à la première opportunité raisonnable. Si au contraire, elle ne porte pas plainte immédiatement, on peut présumer qu'elle a consenti aux relations. Les tribunaux ont dégagé des critères quant à l'admissibilité de cette preuve. Par exemple, l'affaire Timm c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 315, énonce les critères suivants:

  • La plainte ne doit pas avoir été obtenue par des questions suggestives, comme: «Avez-vous été violée?».    La victime doit avoir parlé spontanément.
  • Les témoignages de la victime et de la personne qui a reçu la plainte doivent être compatibles.
  • Avant d'admettre une preuve de plainte spontanée, le juge doit l'analyser et vérifier si elle rencontre les conditions énumérées (moment, questions suggestives, compatibilité).
  • Le jury détermine quelle valeur donner à la plainte (en d'autres mots, les jurés ont le choix de croire ou non la plaignante).

Le comportement sexuel de la plaignante: Notre héritage anglais en matière de lois criminelles permettait à un accusé de mettre en preuve le passé de la victime avec d'autres personnes. Cette preuve visait à ébranler la crédibilité de la plaignante et à tenter de démontrer le consentement. Elle est admissible sans autres formalités que la règle de la pertinence, ce qui signifie que l'avocat de l'accusé pouvait poser toutes les questions qu'ils souhaitait mais devait toutefois prouver la pertinence de ces dernières au procès en cours afin qu'elles soient admissibles. En 1976, le législateur vint toutefois restreindre ce moyen de preuve en imposant certaines conditions d'application. Ainsi, l'article 142 spécifiait que l'accusé devait produire un avis écrit s'il désirait poser des questions sur le passé sexuel de la plaignante. Le juge entendait, en l'absence des membres du jury et du public (à huis clos), les questions et décidait de leur pertinence dans le procès. L'article 142 C.cr. permettait d'interroger la plaignante sur son passé sexuel lors de ce huis clos, mettant ainsi l'emphase sur la relation entre le passé sexuel de la plaignante et sa crédibilité. Voici deux causes illustrant ce principe:

R.. c. Moulton, [1979] W.W.R. 82

La crédibilité de la plaignante est une question de fait. La plaignante peut donc être contre-interrogée et on peut réfuter (contredire) ses réponses au sujet de sa conduite sexuelle avec d'autres personnes.

Forsythe c. La Reine, [1980] 53 C.C.C. (2nd) 225 Définit les deux objectifs de l'article 142:

  • Alléger le traumatisme,  l'humiliation et l'embarras causés à  la plaignante par le dévoilement de son comportement sexuel avec d'autres personnes.
  • Équilibrer les droits de l'accusé.

C-2    La publicité

- L'article 442(1) C.cr. autorisait l'exclusion du public dans certaines circonstances. L'alinéa (3) du même article permettait l'obtention d'une ordonnance de non-publication couvrant l'identité de la plaignante et le contenu de sa déposition.

DE 1983 À L'ARRET SEABOYER (1991 )

LA RÉFORME DE 1983

En 1983, le législateur canadien a amendé le Code criminel. En fait, les féministes réclamaient cette réforme depuis longtemps. L'objectif avoué de cette réforme était de faire de la loi un instrument plus efficace de répression contre les agressions sexuelles, d'améliorer l'expérience des femmes victimes vécue au sein de l'appareil judiciaire et d'éliminer la discrimination sexuelle dans le traitement des infractions sexuelles. Sans faire l'unanimité, ces modifications ont reçu un large appui du mouvement féministe et de la population.

Le projet de Loi C-127 modifiait assez substantiellement les règles de fond et de preuve applicables aux infractions sexuelles:

  • Les crimes de viol, de tentative de viol, d'attentat à la pudeur sont abolis pour être remplacés par une structure d'infractions d'agression sexuelle à trois paliers.  Les nouvelles infractions sont introduites dans la partie du Code qui concerne les infrac- tions contre la personne.
  • Le crime d'agression sexuelle n'est plus lié au sexe des personnes en cause.
  • Il n'est plus nécessaire de prouver la pénétration pour obtenir une condamnation.
  • Plusieurs règles de preuve spéciales sont abolies:

  • suppression de la plainte spontanée;
  • suppression de la nécessité de la corroboration;
  • interdiction de présenter toute preuve relative à la réputation sexuelle;
  • interdiction également en ce qui concerne les antécédents sexuels sous réserve de certaines exceptions.

  • Un homme peut être accusé d'agression sexuelle à l'endroit de son épouse.
  • Le pouvoir discrétionnaire des juges est limité.

Les amendements de 1983 ont atteint en partie les objectifs initiaux. Le taux de signalement des agressions sexuelles a augmenté à l'échelle nationale. Il semble toutefois qu'on peut attribuer ce changement davantage aux efforts d'information sur le phénomène. Malgré ce «succès», l'agression sexuelle demeure l'un des crimes contre la personne les moins dénoncés (1/5 si on est optimiste, 1/10 si on est pessimiste...). Par ailleurs, le taux de mise en accusation est semblable à celui avant les modifications. Quant au taux de condamnation, il n'y a pas véritablement de moyen de le vérifier faute de système statistique fiable. Finalement, le type d'accusation portée est le plus souvent celui d'agression sexuelle «simple».

Entrée en vigueur le 4 janvier 1983, voyons comment la Loi modifiant le Code criminel en matière d'agression sexuelle a transformé le traitement de ce crime.

A. Les délits et les peines

  • Les crimes de viol, tentative de viol et attentat à la pudeur sont abrogés.
  • On les remplaça par le concept d'agression sexuelle, présentant trois niveaux de gravité: l'agression sexuelle «simple», l'agression sexuelle «armée» et l'agression sexuelle «grave».
  • Par ces nouvelles distinctions, on veut soustraire le crime à son contexte sexuel pour faire reconnaître son caractère violent. Ces nouvelles infractions sont insérées à la Partie VI du Code criminel: Infractions contre la personne et la réputation. (N.B.: Aujourd'hui (1993), nous retrouvons ce titre à la Partie VIII du Code criminel.)
  • Le sens à donner au mot agression est déjà connu, mais la définition de sexuelle ne se retrouve nulle part dans le Code criminel. Après une période d'incertitude, la Cour suprême du Canada a finalement établi les critères permettant de distinguer le caractère sexuel d'une agression (Affaire R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293). Le critère adopté est objectif. La question à se poser est: «Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable pouvait-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?». Parmi les circonstances, on peut noter, par exemple: la partie du corps touchée, la nature du contact, la situation, les paroles et gestes accompagnant l'acte, les autres circonstances (incluant menaces ou emploi de la force), le dessein ou l'intention de la personne qui commet l'acte (tirer un plaisir sexuel); ce dernier mobile demeure un facteur parmi plusieurs autres et son importance varie selon les circonstances.

A-l    L'agression sexuelle «simple»

  • L'agression sexuelle implique deux éléments: une agression et une atteinte simultanée à la sexualité de la victime provenant de l'agression.
  • Cette infraction englobe une très grande variété d'actes.   Elle n'est pas limitée à l'ancien concept de viol (pénétration de l'appareil reproducteur féminin  par le  pénis).     Ainsi,  l'agression sexuelle inclut autant les attouchements que le viol collectif.  Bien sûr, comme nous le soulignions auparavant, le degré de violence détermine si l'agression est simple, armée ou grave. L'agression sexuelle «simple» peut se définir de la façon suivante: Toute agression sexuelle ne présentant pas le degré de violence requis pour

la qualifier d'agression sexuelle armée ou grave. L'agression sexuelle «simple» est donc celle présentant le caractère le moins violent.

La peine maximale pour l'agression sexuelle «simple» est de 10 ans (article 246.1 C.cr.).

A-2    L'agression sexuelle armée

  • On retrouve à l'article 246.2 C.cr. plusieurs types d'actes qui, combinés à une agression sexuelle, présentent un degré de violence plus grand que celui de l'agression sexuelle simple.
  • Sont regroupées dans ce type d'infraction, les agressions sexuelles présentant l'un des caractères suivants:

  • Port, utilisation ou menace d'utilisation d'une arme;
  • Menace d'infliger des lésions corporelles à une autre personne que la plaignante (par exemple, à son enfant);
  • Infliction de lésions corporelles à la plaignante;
  • Commission de l'agression avec la complicité d'une autre personne.

-   Par exemple, le tribunal a considéré les agressions suivantes comme entrant dans la catégorie des agressions sexuelles armées:

L'accusé en état d'ébriété s'est introduit dans l'appartement de la victime. Armé d'un couteau, il a forcé la victime à avoir des relations sexuelles (R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la paix, Abitibi, 615- 01-000665-888, 615-01-000669-880, J.E. 88-1150).

La plaignante a fait la connaissance de l'accusé dans une discothèque. Elle s'est ensuite rendue à l'appartement de l'accusé pour y boire de la bière. Elle a refusé les avances de l'accusé, mais a finalement dû s'y soumettre lorsque ce dernier a menacé de faire usage d'une arme à feu

L'accusé a agressé son ex-épouse en la menaçant avec un couteau. Elle n'a subi aucune blessure physique, mais elle conserve d'importantes séquelles psychologiques (Rajotte c. R., Cour d'appel, Montréal, 500- 10-000217-917, J.E. 92-327).

L'accusé a forcé la plaignante à le suivre chez lui. En route, il l'a menacée avec un couteau. Par la suite, ils ont eu des relations sexuelles. Cependant, elle n'a subi aucune blessure physique (Tait c. R., Cour d'appel, Montréal, 500-10-000020-923, J.E. 92-930).

  • Le terme lésions corporelles (246.2 b)) est défini à l'article 245.1 (2) C.cr.: Blessure qui nuit à la santé ou au bien-être du plaignant et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance.
  • La peine maximale d'emprisonnement pour le crime d'agression sexuelle armée est de 14 ans.

A-3    L'agression sexuelle grave

-   Dans l'agression sexuelle grave, l'accusé, en commettant l'agression sexuelle, blesse, mutile, défigure la plaignante ou met sa vie en danger. Par exemple:

L'accusé a commis une agression sexuelle de façon préméditée et à caractère très violent, causant des traumatismes graves chez la femme agressée (Pronovost c. R., [1987] R.J.Q. 1485, J.E. 87-815).

L'accusé a commis deux agressions sexuelles. La première, sur une adolescente, fut précédée d'une séquestration et accompagnée de blessures. Dans la deuxième, l'accusé s'est introduit de nuit chez une inconnue pour la séquestrer, proférer des menaces à son endroit, l'agresser sexuellement et avoir avec elle des relations anales. Les séquelles sont importantes chez les deux plaignantes, particulièrement dans le cas de la deuxième qui venait de subir un traitement médical pour un cancer du sein (R. c. Bélanger, [1992] R.J.Q. 2710, J.E. 92- 1679).

-   Le terme blessure implique l'infliction de lésions corporelles, mais d'une gravité supérieure à celle rencontrée dans l'agression sexuelle armée.

La peine maximale pour l'agression sexuelle grave est l'emprisonnement à perpétuité.

A-4    La tentative d'agression sexuelle

- La tentative d'agression sexuelle n'est plus une infraction expressément prévue au Code criminel. Tout emploi de la force contre une autre personne suffit pour constituer une agression, si l'auteur est (ou semble être) en mesure d'accomplir son dessein. Par conséquent, une personne tentant d'agresser sexuellement quelqu'un devrait être accusée d'agression sexuelle, même si l'agression n'est pas «réussie».

B.      Les parties à l'infraction

B-l     Sexe de l'accusé et de la plaignante

- Le législateur a délaissé le schéma homme agresseur - femme agressée. L'agression sexuelle n'est pas définie comme la pénétration du pénis dans l'appareil reproducteur féminin. L'accusé et la plaignante peuvent donc être de l'un ou l'autre des sexes.

B-2    État matrimonial

- L'époux peut être inculpé d'agression sexuelle sur la personne de sa conjointe. La cohabitation des deux conjoints au moment de l'infraction importe peu (article 246.8 C.cr.).

B-3    Âge de l'accusé

-   La personne de moins de 14 ans n'a plus d'immunité face aux agressions sexuelles, elle peut être accusée.

C.       Règles de preuve et publicité

C-l     Règles de preuve

La corroboration; Corroborer, comme nous l'avons vu auparavant, c'est confirmer une preuve amenée devant le tribunal. La corroboration n'est plus nécessaire pour déclarer une personne coupable d'agression sexuelle. De plus, le juge doit s'abstenir d'aviser le jury qu'il est imprudent de déclarer l'accusé coupable en l'absence de corroboration (article 246.4 C.cr.).

La doctrine de la plainte spontanée: Les règles concernant la plainte spontanée sont abolies en matière d'agression sexuelle (article 246.5 C.cr.). Rappelons qu'en vertu de cette règle, il était souhaitable pour la victime de se confier à un tiers le plus tôt possible après une agression, ajoutant ainsi de la crédibilité à son témoignage. Malgré son retrait au Code criminel, un préjugé subsiste toujours à l'effet qu'une femme agressée sexuellement devrait s'en plaindre immédiatement.

La réputation sexuelle de la plaignante: II est maintenant interdit d'interroger la plaignante sur ce sujet (article 246.7 C.cr.), si cette preuve vise seulement à attaquer ou à défendre sa crédibilité. La constitutionnalité de cet article a été reconnue dans l'affaire Seaboyer (voir à la section suivante intitulée DE SEABOYER À LA RÉFORME DE 1992 pour de plus amples détails). La réputation sexuelle est l'impression générale qui se dégage d'une personne. Ce n'est pas un geste ou un acte particulier.

Le comportement sexuel antérieur de la plaignante; Les circonstances dans lesquelles le tribunal peut accepter les preuves sur le comportement sexuel antérieur de la plaignante ont été limitées (article 246.6 Ccr.). Les antécédents sont des actes précis (pas une réputation générale) posés par la plaignante avec l'accusé ou d'autres personnes et que la défense désire amener en preuve. Cela est admis dans les trois cas suivants:

a) La défense désire réfuter la preuve d'un comportement sexuel présentée par la poursuite. Par exemple, fa poursuite tente d'établir la chasteté de la plaignante (ou sa morale sexuelle sans reproche). La défense peut alors tenter de discréditer cette réputation en amenant devant le tribunal la preuve du comportement sexuel antérieur de la plaignante. Cela peut permettre d'établir que cette dernière n'est pas de moeurs chastes.

b)         L'activité sexuelle passée peut permettre d'établir l'identité de la personne ayant eu avec la plaignante des rapports sexuels lors   de   l'événement  mentionné   dans l'accusation.      Par

exemple, l'accusé prétend qu'il n'y a pas eu de relation sexuelle entre lui et la plaignante, mais entre la plaignante et quelqu'un d'autre. Pour cela, il désire mettre en preuve les relations sexuelles antérieures entre la plaignante et ce même individu. Ainsi, l'accusé tente par ces faits d'établir la probabilité que la relation sexuelle qui fait l'objet de l'acte d'accusation a eu lieu entre la plaignante et cet autre individu.

c)         Une activité sexuelle a eu lieu en même temps que celle à l'origine de l'accusation et la preuve porte sur le consentement apparemment donné par la plaignante, selon les prétentions de l'accusé. Selon la défense, le comportement de la plaignante a amené l'accusé à croire au consentement de cette dernière. Par exemple, dans l'affaire R. c. Bresse, Vallières et Théberge, [1978] 48 C.C.C. (2d) 78, (Cour d'appel), la plaignante s'est rendue chez l'un des accusés. Le premier accusé, laissé seul avec elle, l'a menacée, agressée et a eu une relation sexuelle avec la plaignante.   Par la suite, les deux autres accusés eurent des relations avec celle-ci, sans résistance ni tentative de sa part de quitter les  lieux.     Peu  de preuves viennent soutenir une manifestation du désaccord de la victime aux relations sexuelles avec ces deux accusés.   Ces derniers n'étaient pas présents lorsque les menaces furent proférées à la jeune fille ni lorsqu'elle fut assaillie par le premier accusé.   Il est donc possible qu'en l'espèce ils aient eu une croyance honnête mais erronée au consentement de la plaignante à avoir des relations avec eux.

Il y a des règles techniques à respecter avant de présenter cette preuve; une demande à cet effet doit être présentée au juge (article 246.6 al. 2, 3 fit 4 C.cr.). La constitutionnalité de cet article fut abordée dans l'affaire Seaboyer (voir à la section suivante intitulée DE SEABOYER À LA RÉFORME DE 1992 pour de plus amples détails).

- Comportement de l'accusé; En règle générale, les actes antérieurs illégaux d'un accusé sont irrecevables pour prouver l'accomplissement probable de l'acte illégal faisant l'objet du procès en cours. Cependant, une telle preuve peut être admise si elle est jugée pertinente et importante. Les tribunaux ont accepté la preuve de faits similaires, c'est-à-dire que l'accusé a fait la même chose ou quelque chose de semblable à la victime elle-même ou à une autre personne. L'utilité d'un tel argument est de venir confirmer les autres éléments de preuve présentés contre l'accusé. Ce principe est confirmé dans l'affaire R. c. Green, [1988] 1 R.C.S. 228:

Un homme de 46 ans, célibataire et professeur, est accusé de deux agressions sexuelles sur une fille et un garçon. Son comportement envers d'autres enfants a été jugé admissible en preuve, puisqu'il revêtait un caractère identique (systématique). Les gestes posés étaient similaires dans tous les cas. Ici, le tribunal ne cherche pas à savoir si les actes commis avec d'autres enfants constituaient des agressions sexuelles; cette preuve de faits similaires est admissible pour juger uniquement de l'acte reproché.

Notons que la décision finale quant à l'admissibilité de cette preuve appartient au juge qui a entière discrétion.

C-2    La publicité

  • L'article 442 C.cr. permet le huis clos (exclusion des membres du public de la salle d'audience).    Cela survient lorsque le juge est d'avis que les circonstances de la cause peuvent amener chez le témoin une tension le rendant incapable de témoigner, risquant ainsi de nuire à l'administration de la justice (Lefebvre c. La Reine, RJ.Q.P. 84-366 (C.A.Q.)).
  • L'article 442(3) C.cr. permet d'obtenir une ordonnance de non-publication couvrant l'identité de la plaignante et le contenu de sa déposition.
  • Les tribunaux ont accordé, en de rares occasions, la non-publication des renseignements relatifs à l'accusé.  Une telle permission est justifiée si les données fournies permettent également d'identifier la plaignante. Elle ne peut pas être arbitraire; elle doit reposer sur un fondement rationnel.

- Ces dispositions confèrent au juge un pouvoir discrétionnaire très grand. C'est à lui de décider s'il accorde ou non le huis clos ou l'ordonnance de non-publication, selon son appréciation des circonstances.

DE L'ARRÊT SEABOYER À LA RÉFORME DE 1992

LA CAUSE R. c. SEABOYER

1991, quelques jours après l'annonce d'une Commission d'enquête sur la violence faite aux femmes, la Cour suprême provoque un revirement par son jugement dans l'affaire Seaboyer. Elle décide que limiter les preuves sur le comportement sexuel d'une plaignante contrevenait au droit de l'accusé à une défense pleine et entière. Ce jugement est un retour en arrière puisqu'il réintroduit l'utilisation judiciaire du passé sexuel des femmes (en étirant la liste des circonstances donnant lieu à des preuves sur le comportement sexuel). De plus, le plus haut tribunal du pays rétablit le pouvoir discrétionnaire des juges pour évaluer l'admissibilité de ces preuves. Pourtant, la réforme de 1983 avait voulu limiter ce pouvoir discrétionnaire justement pour stopper son utilisation discriminatoire et abusive.

Les critiques de ce jugement ont été virulentes. Cette décision laisse entendre que si une femme a déjà consenti à une relation sexuelle avec l'accusé ou avec d'autres partenaires, la Cour sera autorisée à en tenir compte pour démontrer que l'accusé a cru à un consentement. Distinction d'autant plus subtile quand on sait que cette croyance n'a pas à être «raisonnable», elle doit être tout au plus «sincère». Pire encore, le décision permet de présenter des preuves concernant le passé sexuel même si elles n'étaient pas connues de l'accusé (la preuve d'actes similaires). C'est une façon détournée de faire allusion à la «réputation» sexuelle d'une femme. La Cour suprême a ainsi permis de faire indirectement ce qu'elle prétend vouloir empêcher.

Dans son jugement, la Cour suprême du Canada déclara donc certains articles du Code criminel inopérants (sans effet). Jetons donc un coup d'oeil sur cette cause (R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577).

La question soulevée était: Les articles 276 et 277 du Code criminel portent-ils atteinte aux droits fondamentaux de l'accusé (droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière) garantis par la Charte canadienne des droits et libertés? L'article 276 interdit l'admission de preuve concernant le comportement sexuel de la plaignante. L'article 277 prohibe la preuve de réputation sexuelle visant uniquement à attaquer ou à défendre la crédibilité de la plaignante.

La réputation ne se rapporte pas à un geste ou un acte particulier, mais concerne plutôt l'impression générale se dégageant d'une personne (exemple: réputation d'être une fille «facile»). Le comportement, contrairement à la réputation, n'est pas une impression générale des gens au sujet de quelqu'un. Il est constitué par les actes précis posés par la plaignante avec l'accusé ou d'autres personnes que l'accusé.

Le plus haut tribunal du pays a maintenu la validité de l'article 277 (c'est-à-dire l'inadmissibilité de la preuve de réputation sexuelle pour attaquer la crédibilité). Il a jugé que celui-ci ne violait pas les droits fondamentaux protégés par la Charte, tels le droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière. Selon les juges, il n'existe aucun lien rationnel entre la réputation sexuelle d'une femme et sa crédibilité comme témoin.

La décision ne fut pas la même dans le cas de l'article 276 (preuve de comportement sexuel). Ainsi, il fut jugé que cet article pouvait empêcher l'admission d'arguments susceptibles d'être pertinents et utiles pour la défense. Si l'on refuse ces preuves, on risque de voir condamné un innocent, allant ainsi à l'encontre des principes de notre système de droit. Même si le but visé par cet article (abolir l'usage sexiste et dépassé de preuves concernant le comportement sexuel) est très important, cela porte trop atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Charte. La disposition a donc été déclarée invalide (sans effet).

Par la suite, les juges ont tenu à édicter quelques principes de base destinés à remplacer la règle écrite qu'ils venaient d'abroger. Ils voulaient éviter le vide juridique causé par l'abolition d'une disposition qui n'est pas remplacée par une autre. H fallait suppléer à l'absence de règle jusqu'à ce que le législateur adopte un nouvel article.

LA RÉFORME DE 1992

La réponse ne tarda pas à venir: Des changements furent apportés au Code criminel l'année suivant le jugement, soit en 1992 (Loi modifiant le Code criminel (agression sexuelle), Chapitre 38 des lois fédérales de 1992). Le texte de ces changements est précédé par un préambule1 (introduction) spécifiant le contexte et les buts de cette nouvelle législation (à noter que ce préambule ne se retrouve pas dans le Code criminel, mais seulement dans le texte de la nouvelle loi). Le législateur y souligne que la preuve relative au comportement sexuel antérieur de la plaignante est rarement pertinente lors d'un procès pour infraction d'ordre sexuel.

Regardons maintenant l'état des infractions relatives aux agressions sexuelles au lendemain de l'entrée en vigueur des nouveaux articles du Code criminel. II faut prendre note que les dispositions concernant la nature des délits, les peines, les parties à l'infraction n'ont pas été modifiées. Seules certaines règles relatives à la preuve ont subi un changement.

le texte de ce préambule apparaît à la page 49.

A.      Les délits et les peines

Les règles concernant les délits et les peines sont les mêmes qu'avant les modifications. Le seul changement est la numérotation des articles, modifiée en 1985. Nous effectuons un bref rappel des concepts vus précédemment (voir section A de la partie DE 1983 ÀSEABOYER (1991)).

  • Les crimes de viol, tentative de viol et attentat à la pudeur n'existent plus depuis leur abrogation en 1983. Ils ont été remplacés par le concept d'agression sexuelle, présentant trois niveaux de gravité: l'agression sexuelle «simple», l'agression sexuelle armée et l'agression sexuelle grave.
  • Par ces nouvelles distinctions, on veut soustraire le crime à son contexte sexuel pour faire reconnaître son caractère violent.
  • La Cour suprême du Canada a établi les critères permettant de distinguer le caractère sexuel d'une agression (Affaire R. c. Chase [1987] 2 R.C.S. 293).  Le critère adopté est objectif. La question à se poser est: «Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable pouvait-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?».
  • Ces infractions se retrouvent à la Partie VIII du Code criminel: Infractions contre la personne et la réputation.

A-1     L'agression sexuelle «simple»

  • Le concept est le même depuis 1983; il se retrouve à l'article 271 C.cr.
  • L'agression sexuelle implique deux éléments: une agression et une atteinte simultanée à la sexualité de la victime provenant de l'agression.
  • Cette infraction englobe une très grande variété d'actes.   Elle n'est pas limitée à l'ancien concept de viol (pénétration de l'appareil reproducteur féminin  par le  pénis).     Ainsi,  l'agression sexuelle inclut autant les attouchements que le viol collectif.   Bien sûr, comme nous le soulignions auparavant, le degré de violence détermine si l'agression est simple, armée ou grave. L'agression sexuelle «simple» peut se définir de la façon suivante: Toute agression sexuelle ne présentant pas le degré de violence requis pour la qualifier d'agression sexuelle armée ou grave. L'agression sexuelle «simple» est donc celle présentant le caractère le moins violent.

De l'arrêt Seaboyer à la réforme de 1992

La peine maximale pour l'agression sexuelle «simple» est de 10 ans (article 27l (t)a)C.cr.).

A-2    L'agression sexuelle armée

  • On retrouve à l'article 272 C.cr. plusieurs types d'actes qui, combinés à une agression sexuelle, présentent un degré de violence plus grand que l'agression sexuelle simple.
  • Sont regroupées dans ce type d'infraction, les agressions sexuelles présentant l'un des caractères suivants:

  • Port, utilisation ou menace d'utilisation d'une arme;
  • Menace d'infliger des lésions corporelles à une autre personne que le plaignant (par exemple, à son enfant);
  • Infliction de lésions corporelles au plaignant;
  • Commission de l'agression avec la complicité d'une autre personne.

-   Par exemple, le tribunal a considéré les agressions suivantes comme entrant dans la catégorie des agressions sexuelles armées:

L'accusé en état d'ébriété s'est introduit dans l'appartement de la victime. Armé d'un couteau, il a forcé la victime à avoir des relations sexuelles (R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la paix, Abitibi, 615- 01-000665-888, 615-01-000669-880, J.E. 88-1150).

La plaignante a fait la connaissance de l'accusé dans une discothèque. Elle s'est ensuite rendue à l'appartement de l'accusé pour y boire de la bière. Elle a refusé les avances de l'accusé, mais a finalement dû s'y soumettre lorsque ce dernier a menacé de faire usage d'une arme à feu (Gervais c. R., [1990] R.L 305, j.E. 90-991).

L'accusé a agressé son ex-épouse en la menaçant avec un couteau. Elle n'a subi aucune blessure physique, mais elle conserve d'importantes séquelles psychologiques (Rajotte c. R., Cour d'appel, Montréal, 500- 10-000217-917, ].E. 92-327).

L'accusé a forcé la plaignante à le suivre chez lui. En route, il l'a menacée avec un couteau. Par la suite, ils ont eu des relations sexuelles. Cependant, elle n'a subi aucune blessure physique (Tait c. R., Cour d'appel, Montréal, 500-10-000020-923, J.E. 92-930).

Le terme lésions corporelles (272. b)) est défini à l'article 267 (2) C.cr.: Blessure qui nuit à la santé ou au bien-être du plaignant et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance.

La peine maximale d'emprisonnement pour l'agression sexuelle armée est de 14 ans (article 272 C.cr.).

A-3    L'agression sexuelle grave

-    Dans l'agression sexuelle grave (article 273 Ccr.) l'accusé, en commettant l'agression sexuelle, blesse, mutile, défigure la plaignante ou met la vie de celle-ci en danger.  Par exemple:

L'accusé a commis une agression sexuelle de façon préméditée et à caractère très violent, causant des traumatismes graves chez la femme agressée (Pronovost c. R., [1987] R.J.Q. 1485, J.E. 87-815).

L'accusé a commis deux agressions sexuelles. La première, sur une adolescente, fut précédée d'une séquestration et accompagnée de blessures. Dans la deuxième, l'accusé s'est introduit de nuit chez une inconnue pour la séquestrer, proférer des menaces à son endroit, l'agresser sexuellement et avoir avec elle des relations anales. Les séquelles sont importantes chez les deux plaignantes, particulièrement dans le cas de la deuxième qui venait de subir un traitement médical pour un cancer du sein (R. c. Bélanger, [1992] R.J.Q. 2710, J.E. 92- 1679).

  • Le terme blessure implique l'infliction de lésions corporelles, mais d'une gravité supérieure à celle rencontrée dans l'agression sexuelle armée.
  • La peine maximale pour l'agression sexuelle grave est l'emprisonnement à perpétuité (273 (2) C.cr.).

A-4    La tentative d'agression sexuelle

- La tentative d'agression sexuelle n'est plus, depuis 1983, une infraction expressément prévue au Code criminel. Tout emploi de la force contre une autre personne suffit pour constituer une agression, si l'auteur est (ou semble être) en mesure d'accomplir son dessein. Par conséquent, une personne «tentant» d'agresser sexuellement quelqu'un devrait être accusée d'agression sexuelle, même si l'agression n'est pas «réussie».

B.       Les parties à l'infraction

Les règles  concernant les  parties à  l'infraction sont les  mêmes  qu'avant les modifications.

B-l     Sexe de l'accusé et de la plaignante

- Depuis 1983, le législateur a délaissé le schéma homme agresseur - femme agressée. L'agression sexuelle n'est pas définie comme la pénétration du pénis dans l'appareil reproducteur féminin. L'accusé et le plaignant peuvent donc être de l'un ou l'autre des sexes.

B-2    État matrimonial

- L'époux ou l'épouse peut être inculpé d'agression sexuelle sur la personne de son conjoint. La cohabitation des deux conjoints au moment de l'infraction importe peu. Le seul changement est le numéro d'article, en 1985 (article 278 C.cr.).

B-3    Âge de l'accusé

-   La personne de moins de 14 ans n'a plus d'immunité face aux agressions sexuelles, elle peut être accusée.

C.      Règles de preuve et publicité

C-1     Règles de preuve

C'est à ce sujet que la réforme de 1992 a apporté des

modifications.    Elles sont identifiées dans le présent document par /.

  • La corroboration; (Aucun changement depuis la réforme de 1983, sauf la numérotation de l'article en 1985) Corroborer, comme nous l'avons vu auparavant, c'est confirmer une preuve amenée devant le tribunal.   La corroboration n'est plus nécessaire pour déclarer coupable une personne accusée d'agression sexuelle. De plus, le juge doit s'abstenir d'aviser le jury qu'il  est imprudent  de  déclarer l'accusé coupable en  l'absence de corroboration (article 274 C.cr.).
  • La doctrine de la plainte spontanée: (Aucun changement depuis la réforme de 1983, sauf la numérotation de l'article en 1985) Les règles concernant la plainte spontanée sont abolies en matière d'agression sexuelle (article 275 C.cr.).   Rappelons qu'en vertu de cette règle, il était souhaitable pour la victime de se confier à un tiers le plus tôt possible après une agression, ajoutant ainsi de la crédibilité à son témoignage. Malgré son retrait au Code criminel, un préjugé subsiste toujours à l'effet qu'une femme agressée sexuellement devrait s'en plaindre immédiatement.
  • La réputation sexuelle de la plaignante: (Aucun changement depuis la réforme de 1983, sauf la numérotation de l'article en 1985) II est interdit d'interroger la plaignante sur sa réputation sexuelle (article 277 C.cr.), si cette preuve vise seulement à attaquer ou à défendre sa crédibilité.   La validité constitutionnelle de cet article a été reconnue dans l'affaire Seaboyer (voir ci-dessus en introduction pour de plus amples détails). Un rappel: La réputation sexuelle ne se rapporte pas à un geste ou un acte particulier, mais concerne  plutôt l'impression  générale  se dégageant d'une  personne (exemple: réputation d'être une fille «facile»).

S Consentement de la plaignante;Les modifications tentent de préciser ce concept. En effet, l'article 273.1 est ajouté au Code criminel et définit la notion de consentement comme un accord volontaire à l'activité sexuelle. La disposition énuméré ensuite les cas où l'on ne peut déduire le consentement:

  • L'accord est manifesté non par la plaignante, mais par des paroles ou le comportement d'une tierce personne.
  • La plaignante est incapable de former un consentement.
  • L'accusé incite la plaignante à l'activité sexuelle par abus de confiance ou de pouvoir.
  • La plaignante manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à l'activité sexuelle.
  • Après avoir consenti à l'activité, la plaignante manifeste, par ses paroles ou son comportement, l'absence d'accord à la poursuite de celle-ci.

Cette liste n'est pas limitative et d'autres circonstances peuvent permettre d'en arriver à une conclusion d'absence de consentement:

/ La croyance au consentement; (Article 273.2 C.cr.) Désormais, l'accusé ne pourra plus se défendre en affirmant qu'il croyait que la plaignante consentait à l'acte sj:

  • Cette croyance provient de l'affaiblissement (volontaire) des facultés de l'accusé.  Par exemple, si l'accusé a bu de l'alcool ou a consommé des drogues affaiblissant ses facultés. Il est fort probable que cette disposition ait été édictée pour contredire la position adoptée par la Cour suprême dans l'affaire R. c. Varsil, [1981] 1 R.C.S. 469. Les juges du plus haut tribunal du pays avaient alors émis l'opinion que l'ivresse de l'accusé pouvait être pertinente pour déterminer la connaissance que celui-ci avait des circonstances. Cet arrêt n'a jamais été plaidé par la suite dans d'autres causes et son principe fut complètement renversé en 1992 par l'introduction de l'article 273.2 C.cr.
  • Cette croyance provient de l'insouciance de l'accusé ou de son aveuglement   volontaire   (il   refuse   de percevoir  le   non- consentement de la plaignante). Voici quelques exemples:

Un homme s'est introduit dans l'appartement de son ex- amie, la menaçant, l'insultant et la blessant. Elle a laissé l'homme avoir des relations sexuelles avec elle, tout en pleurant. L'accusé a plaidé la croyance honnête mais erronée au consentement. Cette défense fut rejetée, puisqu'il y a eu aveuglement volontaire de la part de l'accusé (Gélinas c. R., ).E. 91-25, non-répertorié (C.A.)).

L'accusé et la plaignante ont vécu ensemble pendant une année. Cette dernière mis fin à la relation. Plus tard, l'accusé s'introduit chez elle par effraction. Devant ses menaces et son comportement violent, la plaignante a eu des rapports sexuels avec l'accusé. Elle a agi ainsi dans le but de le calmer et d'éviter d'autres actes de violence. Accusé d'agression sexuelle, l'accusé a soutenu qu'il croyait sincèrement au consentement de la victime. Sa défense fut rejetée, car l'accusé s'est «fermé les yeux» devant la réalité. Il a fait preuve d'ignorance volontaire, car il savait ou aurait dû savoir que le consentement de la plaignante était forcé (Sansregret c. R., [1985] 1 R.C.S. 570).

L'accusé ne pourra pas invoquer la croyance au consentement s'il n'a pas pris des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour s'assurer de celui-ci. Le terme «mesures raisonnables» est un concept difficile à cerner, mais ces deux causes démontrent l'application qu'en font jusqu'à maintenant les tribunaux. Ce concept n'étant pas clairement défini, il est possible de croire qu'il pourrait être contesté dans le futur.

la distinction entre l'absence de consentement et ta croyance au consentement se résume ainsi: II est possible que même s'il ressort clairement qu'il n'y a pas eu de consentement de ta part de la plaignante, l'accusé prétende que tes circonstances l'ont amené à croire au consentement de celle-cl te tribunal évaluera alors si la croyance était sincère et honnête,

/ Le comportement sexuel antérieur de la plaignante: Le comportement, contrairement à la réputation, n'est pas une impression générale des gens au sujet de quelqu'un. Il est constitué par les actes précis posés par la plaignante avec l'accusé ou d'autres personnes que l'accusé. La défense peut, si elle le désire, amener ces actes en preuve.

Cette disposition constitue le changement majeur de la réforme de 1992. L'article 276 (ancien) est remplacé par l'article 276 C.cr. (nouveau). En vertu de ce nouveau texte, la preuve d'une activité sexuelle antérieure de la plaignante avec l'accusé ou une autre personne est irrecevable si, par ce moyen, la défense tente de démontrer que:

  • Par son activité sexuelle antérieure, la plaignante est plus susceptible d'avoir consenti à l'acte à l'origine de l'accusation; on   tenterait  de   prouver  que,   puisqu'elle  avait consenti antérieurement, elle a consenti aussi lors de l'acte reproché à l'accusé.
  • Par son activité sexuelle antérieure, la plaignante est moins digne de foi; on veut établir ainsi que, vu le comportement sexuel antérieur de la plaignante, on peut difficilement la croire lorsqu'elle soutient avoir été victime d'une agression.

Cependant, cette preuve d'activité sexuelle antérieure de la plaignante peut être admise si l'accusé en fait la demande au juge. La procédure à suivre est prévue aux articles 276.1 à 276.5 C.cr. La demande doit être formulée par écrit et le juge tient une audience à huis clos (en l'absence du jury et du public). La plaignante n'est pas un témoin contraignable lors de cette demande d'audition (elle ne peut être forcée à témoigner). Dans l'intérêt de la justice et pour préserver la vie privée de la plaignante, le contenu de la demande d'audition ne peut être rendu public.

Dans le processus de décision, le juge tient compte des facteurs suivants:

  • L'intérêt de la justice, incluant le droit de l'accusé à une défense pleine et entière;
  • L'intérêt de  la société à encourager la dénonciation des agressions sexuelles;
  • La possibilité, dans de bonnes conditions, de parvenir à une décision juste grâce à cette preuve;
  • Le besoin d'écarter de la recherche des faits toute opinion ou préjugé discriminatoire;
  • Le risque de susciter abusivement chez le jury des préjugés, de la sympathie ou de l'hostilité;
  • Le risque d'atteinte à la dignité de la plaignante et à son droit à la vie privée;

g)       Le droit de la plaignante et de chacun à la sécurité de leur personne, ainsi qu'à la pleine protection et au bénéfice de la loi;

h)       Tout autre facteur jugé pertinent selon les circonstances.

La preuve deviendra admissible si, au cours de l'audition, le juge en arrive à la conclusion que:

  • La preuve porte sur des activités sexuelles particulières (des faits précis et non une réputation générale);
  • Elle a un lien avec la présente cause;
  • Son importance est plus forte que le risque d'effet néfaste sur la bonne administration de la justice.

C-2    La publicité

  • Aucun changement depuis la réforme de 1983, sauf la numérotation de l'article en 1985.
  • L'article 486 C.cr. permet le huis clos (exclusion des membres du public de la salle d'audience).    Cela survient lorsque le juge est d'avis que les circonstances de la cause peuvent amener chez le témoin une tension le rendant incapable de témoigner, risquant ainsi de nuire à l'administration de la justice (Lefebvre c. La Reine, R.J.Q.P. 84-366 (C.A.Q.)).
  • L'article 486(3) C.cr. permet d'obtenir une ordonnance de non-publication couvrant l'identité de la plaignante et le contenu de sa déposition.
  • Les tribunaux ont accordé, en de rares occasions, la non-publication des renseignements relatifs à l'accusé.  Une telle permission est justifiée si les données fournies permettent également d'identifier la plaignante.
  • Comme nous l'avons vu auparavant (partie DE 1983 À SEABOYER), ces dispositions confèrent au juge un pouvoir discrétionnaire très grand. C'est à lui de décider s'il accorde ou non le huis clos ou l'ordonnance de non- publication, selon son appréciation des circonstances.

D.      Les moyens de défense

LES MOYENS DE DÉFENSE RECEVABLES

D-l    Consentement

-   L'accusé soutient que la plaignante a consenti aux actes sexuels.   Par exemple:

L'accusé prétend que la plaignante n'a opposé qu'une résistance timide et qu'il y a eu plusieurs rapports sexuels avec le consentement de celle- ci. La plaignante soutient au contraire qu'elle a protesté et résisté. Le tribunal a retenu la version de la plaignante et déclaré l'accusé coupable de viol. Dans un tel cas, le tribunal décidera quelle version lui semble la plus plausible et retiendra celle-là pour rendre sa décision.

D-2    Défense d'erreur de fait (croyance au consentement)

-   L'accusé   soutient   qu'il   croyait sincèrement   mais   erronément   au consentement de la plaignante aux actes sexuels.   D'après les tribunaux, cette croyance doit seulement être honnête; elle n'a pas à être raisonnable. Si l'accusé prouve sa conviction sincère au consentement de la victime, il y a acquittement. Par exemple:

L'accusé et la plaignante ont vécu ensemble pendant une année. Cette dernière a mis fin à la relation. Plus tard, l'accusé s'introduisit chez elle par effraction. Devant ses menaces et son comportement violent, la plaignante a laissé l'accusé avoir avec elle des rapports sexuels. Elle a agi ainsi dans le but de le calmer et d'éviter d'autres actes de violence. Accusé d'agression sexuelle, l'accusé a soutenu qu'il croyait sincèrement au consentement de la victime. Sa défense fut rejetée, car l'accusé s'est «fermé les yeux» devant la réalité. Il a fait preuve d'ignorance volontaire, car il savait ou aurait dû savoir que le consentement de la plaignante était forcé (Sansregret c. R., [1985] 1 R.C.S. 570). La croyance au consentement n'était pas honnête.

-   La preuve de l'accusé quant à sa croyance honnête doit cependant rendre un tel argument vraisemblable, réaliste. Par exemple:

L'accusé a réussi à pénétrer dans l'appartement de la plaignante, qui ne le connaissait pas, en prétendant être un ami de sa compagne de chambre. Une fois à l'intérieur, il a menacé la victime et lui a donné un coup. Puis il a eu avec elle des rapports sexuels. En défense, il a plaidé sa croyance au consentement de la plaignante à avoir des relations sexuelles. Cette défense fut rejetée; il n'existait aucune circonstance pouvant rendre cette croyance vraisemblable. En d'autres mots, rien dans le comportement de la plaignante, dans les paroles échangées, n'aurait pu lui laisser croire que celle-ci consentait à avoir des rapports sexuels (R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918).

-   La personne acceptant de se soumettre à l'acte sexuel sous la menace ne fournit pas un consentement volontaire. L'accusé ne peut donc se défendre en soutenant que la plaignante consentait. Par exemple:

La femme agressée a affirmé ne pas avoir résisté à son agresseur, car elle avait été forcée de se soumettre aux relations sexuelles. Le juge, après avoir entendu les divers témoins, a conclu à la véracité de la version de la plaignante. Le consentement donné n'était pas volontaire et l'accusé le savait, donc il y a eu agression (Daigneault c. R., J.E. 90- 992, non-répertorié (C.A.)).

-   Tel que vu précédemment, la croyance au consentement ne peut provenir (article 273.2):

a)         de l'insouciance ou l'aveuglement volontaire. Par exemple, l'affaire Sansregret (ci-dessus) illustre bien ce principe. Un autre exemple:

Un homme s'introduit dans l'appartement de son ex-amie, la menaçant, l'insultant et la blessant. Elle a laissé l'homme avoir des relations sexuelles avec elle, tout en pleurant. L'accusé a plaidé la croyance honnête mais erronée au consentement. Cette défense fut rejetée, puisqu'il y a eu aveuglement volontaire de la part de l'accusé (Gélinasc. R., ).E. 91-25, non-répertorié (ÇA.)).

b)         de l'affaiblissement (volontaire) des facultés de l'accusé.

c)       du fait de ne pas avoir pris les mesures raisonnables pour s'assurer du consentement de la plaignante.

D-3    Défense d'automatisme non démentiel (blackout)

- L'accusé peut prétendre qu'un abus d'alcool ou de drogue l'a rendu inconscient de ce qu'il faisait. Notons que c'est le seul cas où un accusé pourra invoquer son intoxication. L'état d'automatisme non démentiel est très rare. Cela peut parfois arriver à des personnes très endurcies à l'alcool, tel les alcooliques. Seule une ingestion énorme d'alcool ou encore de drogue peut entraîner un tel état. Cela peut permettre à l'accusé d'être déclaré non responsable criminellement, étant donné qu'il ne savait pas ce qu'il faisait.

D-4    Aliénation mentale

- L'accusé peut parfois établir de façon prépondérante son aliénation mentale. Si ces troubles mentaux le rendent incapable de juger de la nature et de la qualité de l'acte commis ou de savoir que cet acte est mauvais, il ne peut être déclaré coupable. Dans ces conditions, l'aliénation mentale constitue une cause d'irresponsabilité en matière criminelle (article 16 C.cr.).

LES MOYENS DE DÉFENSE IRRECEVABLES

D-5    Défense d'ivresse (intoxication volontaire)

- Un accusé ne pourra invoquer son état d'ivresse pour démontrer qu'il ne savait pas ce qu'il faisait. (À moins, tel que vu précédemment, que l'état d'ivresse soit extrême et que l'accusé soit en «blackout».) Par exemple:

L'accusé, ivre, a forcé la plaignante à avoir des relations sexuelles et à accomplir d'autres actes humiliants, sous la menace d'un couteau. L'accusé a plaidé que, par son ivresse, il avait été incapable de savoir qu'il commettait un viol. Sa défense fut rejetée (Leary c. R., [1978] 1 R.C.S. 29).

L'accusé a été reconnu coupable d'avoir forcé la plaignante à avoir des relations sexuelles et de lui avoir causé des lésions corporelles. Il a soutenu qu'il avait attaqué la plaignante à cause de son état d'ivresse. Cette défense fut jugée irrecevable (R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833).

- Selon l'article 273.2 C.cr., un accusé ne peut plaider l'intoxication volontaire (ivresse) pour soutenir son ignorance du non-consentement, de sa croyance erronée au consentement de la plaignante. Jusqu'à présent, personne n'a contesté la validité de cette disposition. De l'avis de certains juristes, elle pourrait être contestée sous l'angle de la Charte des droits et libertés comme violant le droit fondamental de l'accusé à une défense pleine et entière, droit garanti par l'article 7.

D-6    Défense de contrainte

- L'accusé prétend qu'il a commis l'acte reproché sous l'effet d'une contrainte «extérieure» exercée par menace de mort immédiate ou de lésions corporelles. La défense de contrainte ne peut être soulevée dans les cas d'agression sexuelle (article 17 C.cr.).

Un tableau synthèse des diverses défenses possibles est présenté à la page suivante.

DÉFENSES POSSIBLES DANS LES CAS D'AGRESSION SEXUELLE

CONCLUSION

La loi relative aux agressions sexuelles a subi d'importantes modifications au fil des années. Ainsi, on a abrogé les crimes de viol, tentative de viol et attentat à la pudeur, pour les remplacer par le concept d'agression sexuelle, crime présentant trois niveaux de gravité. Plusieurs règles de preuve ont été modifiées ou abolies: plainte spontanée, corroboration, antécédents sexuels de la plaignante, et autres. De plus, l'immunité dont bénéficiait le conjoint agressant sexuellement son épouse a été supprimée; un mari peut désormais être accusé d'un tel crime. Quant à la réforme de 1992, elle modifie essentiellement les règles relatives à la preuve. Ainsi, elle clarifie la notion de consentement et elle précise la procédure applicable qui régit la preuve de comportement sexuel antérieur.

De telles modifications législatives ne surviennent jamais par hasard. La loi relative aux agressions sexuelles a évolué en grande partie grâce aux pressions constantes des groupes de femmes. Malgré ces gains incontestables, les critiques exprimées quant à la réponse judiciaire aux cas de violence sont sérieuses. En d'autres mots, nous n'en sommes plus à une question de législation, mais plus globalement à des questions d'interprétation et d'administration de la justice.

En fait, les bévues du système judiciaire relatives à la réalité de la violence faite aux femmes sont liées à la fois aux difficultés associées au statut de «victime» dans le système et à l'inadaptation plus généralisée aux questions qui concernent les femmes. En effet, le traitement des victimes et des témoins par l'appareil judiciaire a fait l'objet de débats ces dernières années. Ont été soulevées, entre autre, des questions ayant trait à la réparation, à la protection, à l'indemnisation, aux délais, aux services d'aide, aux conditions générales de participation des témoins et victimes à l'administration de la justice. Les femmes, en tant que victimes et témoins de crimes, partagent donc la réalité commune de l'ensemble des victimes et témoins d'actes criminels. Mais elles sont également piégées par une autre réalité: celle d'être femme, victime de gestes qui soulèvent impuissance, ignorance et quelques fois incompréhension pouvant aller jusqu'au mépris. Le système judiciaire, à toutes ces étapes, n'est pas exempt de ces attitudes et comportements.

Les quelques progrès constatés ces dernières années ne nous permettent certainement pas de conclure que notre système de justice soit plus rationnel et plus juste envers les femmes. La justice n'est pas neutre. Comme le signalait les documents de préparation au Colloque national sur la femme, le droit et la justice en 1991 à Vancouver: «On applique aux femmes un droit pénal, des règles de preuve et de procédure conçus par des législateurs masculins, appliqués par une magistrature masculine afin de contrôler des actes commis en grande majorité par des hommes. Toute personne ayant le pouvoir de décision est non seulement munie de textes juridiques, mais également de tout un lot de valeurs, d'expériences et d'hypothèses qui sont profondément ancrées en e//e».

Notre société doit avoir un message clair: Lorsqu'une personne a des attouchements sexuels avec une autre personne sans obtenir le consentement de celle-ci ou sans prendre les mesures raisonnables pour assurer qu'il v a consentement, il s'agit d'un comportement coupable sur le plan social et pénal.

Le système judiciaire est une institution fondamentale dans notre société. Ce n'est pas le seul instrument pour prévenir la violence des hommes envers les femmes. Mais il doit, lui aussi, combattre la tolérance à ce phénomène. Toute loi ou règle de preuve qui favorise ou entraîne la non-dénonciation de crimes devient forcément une mesure anti-sociale et dans ce cas-ci, discriminatoire puisqu'elle vise particulièrement les femmes.

«J'ai honte de dire en tant que juriste et ex-juge que le système juridique a laissé tomber les femmes [...]. Les femmes perçoivent souvent le système juridique comme étant aliénant et oppressif [...]. Espérons que les années 90 mettront fin au visage cruel de l'inégalité».2

Extrait d'un discours prononcé par l'honorable juge Bertha Wilson à Toronto le 26 mal 1991 lors de la convention nationale de l'Association «B'nal Brlth Women of Canada».

LES DIFFÉRENTES PHASES DE LA LÉGISLATION TOUCHANT LES AGRESSIONS SEXUELLES

QUELQUES ARTICLES DU CODE CRIMINEL CANADIEN





PRÉAMBULE DU PROJET DE LOI C-49


JURISPRUDENCE

DE 1976 À 1983

Notion de corroboration:

Thomas c. R., [1952] 103 CGC 193 Vetrovecc. R., [1982] 1 R.C.S. 811

Notion de plainte spontanée:

Timm c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 315

Notion de comportement sexuel antérieur de la plaignante:

R. c. Moulton, [1979] W.W.R. 82

Forsythe c. La Reine, [1980] 53 C.C.C. (2nd) 225

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DE 1983 À L'ARRÊT SEABOYER (1991)

Notion de contexte sexuel de l'agression:

R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293

Notion d'agression sexuelle armée:

R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la paix, Abitibi, 615-01-000665-888, 615- 01-000669-880, J.E. 88-1150

Gervais c. R., [1990] R.L. 305, J.E. 90-991

Rajotte c. R., Cour d'appel, Montréal, 500-10-000217-917, J.E. 92-327

Tait c. R., Cour d'appel, Montréal, 500-10-000020-923, J.E. 92-930

Notion d'agression sexuelle grave:

Pronovostc. R.f [1987] R.J.Q. 1485, J.E. 87-815 R. c. Bélanger, [1992] R.J.Q. 2710, J.E. 92-1679

Notion d'admission du comportement sexuel antérieur de la plaignante:

R. c. flresse, Vallières et Théberge, [1978] 48 C.C.C. (2d) 78, (Cour d'appel)

Notion de comportement de l'accusé: R. c. Green, [1988] 1 R.C.S. 228

Notion de huis clos:

Lefebvre c. La Reine, R.J.Q.P. 84-366 (C.A.Q.)

R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577 R. c. Varsil, [1981] 1 R.C.S. 469

Notion de défense d'erreur de fait:

Célinas c. R., J.E. 91-25, non-répertorié (ÇA.) Sansregret c. R., [1985] 1 R.C.S. 570 R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918 Daigneaultc. R., J.E. 90-992, non-répertorié (ÇA.)

Notion de défense d'ivresse:

Learyc. R., [1978] 1 R.C.S. 29 R. c. Bernard, [1988] 2 R.CS. 833

BIBLIOGRAPHIE

BARIL, Micheline, Marie-Josée BETTEY et Louise VIAU, Les agressions sexuelles avant et après la réforme de 1983; Une évaluation des pratiques dans le district judiciaire de Montréal. Université de Montréal, Centre International de Criminologie Comparée et Faculté de Droit, Montréal, mars 1989.

BOILARD, Jean-Guy, Manuel de preuve pénale. Éd. Yvon Biais, Cowansville, 1991.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Section de la Recherche, Vue d'ensemble. La loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une évaluation, Rapport #5, Ottawa, 1990.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Section de la Recherche, Examen de la jurisprudence en matière digression sexuelle. 1985-1988. La loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une évaluation. Rapport #6, Ottawa, 1992.

RUEBSAAT, Gisela. Les nouvelles infractions en matière digression sexuelle: Question juridique d7actualité. La loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une évaluation, Rapport #5, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, 1990.

STANLEY, Marilyn G. Les victimes de viol et la justice pénale avant le projet de loi C-l 27. La loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une évaluation, Rapport #\, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, Juillet 1985.

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L'ÉVOLUTION DE LA LOI RELATIVE AUX AGRESSIONS SEXUELLES

Le Regroupement québécois des CALACS (centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) vous annonce la parution du document «L'évolution de la loi relative aux agressions sexuelles». Ce document se veut un guide pratique pour toute personne qui côtoie la réalité des agressions sexuelles.

II se présente en trois parties, respectant les grandes étapes de la réforme du Code criminel en matière d'agressions sexuelles:

1°       De 1976 à 1983

2°       De 1983 à l'arrêt Seaboyer ( 1991)

3°       De l'arrêt Seaboyer à la réforme de 1992

Chaque partie se divise elle-même en plusieurs sections (définitions, délits et peines, parties à l'infraction, règles de procédure et publicité, et moyens de défense pour la troisième partie).

Document 55 pages                                        20.00 $ chacun

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