Table des matières

Introduction

Présentation générale

Contenu
Le kit comprend un film sur DVD de 31 minutes ainsi qu'un guide d'animation portant sur le film (incluant une mise en situation).

Sujet
La relation entre les intervenantes sociales1 et les personnes qu'elles rencontrent, souvent issues d'une culture différente de celle de l'intervenante (ici le cas utilisé est celui de la culture populaire); les effets (négatifs) des attitudes «culturocentristes» dans l'intervention; des pistes de solution pour améliorer l'intervention.

Public cible
L'outil s'adresse tout d'abord aux intervenantes qui souhaitent améliorer leur pratique et aux futures intervenantes: étudiantes et stagiaires en travail social et en intervention collective. Il vise de façon générale toute personne qui est ou sera amenée à intervenir, dans le cadre de son travail, sur les conditions de vie d'autrui.

Objectifs
Amener les intervenantes et futures intervenantes à réfléchir à l'impact de leur appartenance culturelle sur:

  • leur perception des personnes auprès desquelles elles interviennent;
  • leur définition du ou des problèmes;
  • leur perception des besoins;
  • leur attitude.

    De façon générale: augmenter le niveau de sensibilité à la question culturelle autre que ethnique.

Principe de base
Approche qui s'appuie sur l'interprétation que font les personnes de leur situation.

À propos du film

Le film relate une rencontre entre une intervenante et des personnes de milieux populaires (en démarche d'alphabétisation), les réflexions et prises de conscience que cette rencontre a entraînées chez l'intervenante et ses efforts pour améliorer sa pratique.

Comment utiliser les outils

Ce guide accompagne le film «Y'ont inventé un nouveau monde» en pochette à la fin du document

Le film

Le film, en format DVD, est d'une durée de 31 minutes.

À la page d'accueil du document DVD, vous trouverez cinq icônes. Le premier est le «Film complet». Les quatre autres icônes sont les sections du film représentant chacun de ses quatre thèmes principaux:

  1. les différences culturelles (7 minutes),
  2. le culturocentrisme et ses conséquences (7 minutes),
  3. les besoins face à l'intervention (2 minutes),
  4. les problèmes et leurs définitions (14 minutes).

Vous pouvez donc revenir sur un thème particulier puisque chacun peut être sélectionné directement

Le guide d'animation

Le guide d'animation est partagé en trois parties principales.

Sur le contenu du film
La première partie contient des questions liées au contenu, présentées selon ses quatre thèmes. Ensuite, la section intitulée «Oui, mais...» se veut un outil pour aider le formateur ou la formatrice à répondre à des questions litigieuses qui pourraient survenir.

Sur le culturocentrisme
Le guide contient ensuite des suggestions d'activités pour approfondir le thème du culturocentrisme, suivies d'exemples de situations perçues comme des problèmes par des intervenantes alors que les personnes qui vivent ces situations en ont une interprétation différente.

Sur l'analphabétisme
Suivent enfin quelques données complémentaires sur l'analphabétisme.

Vous pouvez donc mettre l'accent sur la compréhension du contenu du film, sur un thème plus particulier, sur la question du culturocentrisme ou encore sur celles liées à l'analphabétisme, dépendamment de vos besoins et intérêts.

L'animation liée au film peut être d'une durée d'une demi-heure ou d'une journée, en fonction de l'utilisation que vous en ferez.

Suggestions d'activités préalables au visionnement

Voici quelques suggestions d'activités préalables au visionnement du film. Si vous choisissez d'utiliser une de ces activités, nous suggérons d'y faire un retour à la fin de la formation: y a-t-il des changements de perceptions ou d'opinions?

Faire un remue-méninges sur des mots associés au milieu populaire (personnes défavorisées et faiblement scolarisées) ou à un quartier populaire.

Tenter d'imaginer ce qui est le plus souffrant dans le fait de ne pas savoir lire et écrire. Tenter d'identifier ce qu'une personne analphabète veut changer en apprenant à lire et écrire.

Sur le contenu du film

Questions pour guider l'animation

(pour vérifier la compréhension et susciter la discussion)

Sur les différences culturelles
(1re partie du film)

De quelles différences Saran parle-t-elle (première intervention au début du film)?

  • Saran parle des différences entre les personnes très scolarisées et les personnes qui le sont beaucoup moins (entre l'animatrice et le groupe dont elle fait partie). Elle fait remarquer que les personnes scolarisées peuvent anticiper davantage que celles qui ne savent pas bien lire qui, elles, foncent plutôt la tête la première.

«Quelqu'un qui sait lire et quelqu'un qui sait pas lire, c'est très différent, ça peut pas être la même chose. La façon de parler, la façon de faire les choses...» (Saran)

Quelle culture Noël et Saran partagent-ils? Comment le constate-t-on dans le film?

  • Noël et Saran partagent certains aspects de la culture populaire. Ils réagissent de la même façon quand ils sont dans une file d'attente et leur interprétation de cette réaction est semblable (l'utilisation de la force pour arriver à ses fins).

«Parce que je sais pas lire, je pense qu'avec la force, je peux» (Saran)

«C'est à peu près ça moi avec, je sais pas lire, je vas passer devant les autres [...] Tu te sers de la force, au lieu de te servir de la tête» (Noël)

Quelle culture Noël et Saran ne partagent-ils pas?

  • Ils ne partagent pas la même culture ethnique, de genre, de génération...

Quelle(s) culture(s) l'intervenante partage-t-elle avec Noël?

  • Esther et Noël partagent la même culture nationale.

Quelle(s) culture(s) l'intervenante partage-t-elle avec Saran?

  • Esther et Saran partage une culture de genre (féminine), ainsi qu'une culture de génération, si on les compare à Noël.

Sur le culturocentrisme et ses conséquences
(2e partie du film)

Pourquoi ce titre («Vont inventé un nouveau monde»)?

  • Le titre fait référence à un extrait du film où Nicole parle des interventions des travailleuses sociales. Elle ironise sur le fait que les travailleuses sociales ne cessent de vouloir lui apprendre comment il faut élever ses enfants, comme si elles avaient inventé un monde auquel il faut maintenant se conformer. Pour Nicole, en fait, il s'agit bel et bien d'un nouveau monde puisqu'il est construit selon des valeurs et des normes qui ne sont pas les siennes, qui ne correspondent pas à son expérience et à sa perception du monde. Les intervenantes considèrent toutefois ces normes comme généralisâmes, comme universelles.

Qu'est-ce que les témoins 2 reprochent aux travailleuses sociales?

  • Ils reprochent aux intervenantes de ne pas répondre à leurs besoins, de les juger, de décider à leur place ce qui est bon pour eux, de dévaloriser ce qu'ils sont et ce qu'ils font, de leur demander de changer.

«On n'a pas le choix vraiment de décider pour nous-, c'est eux qui ont le droit» (Lise L.)

«Dans le fond, qu'est-ce qu'ils font? Ça vient que c'est fatigant. "Faut que ton enfant déjeune, faut que ton enfant dîne..." Ben oui! Je sais pas ça, moi, à mon âge!» (Nicole)

«Chu pas niaiseuse à ce point-là. J'ai peut-être pas gros d'instruction, mais j'ai appris à vivre» (Nicole)

«C'est comme [...] de te montrer comment faire avec tes enfants, comment les élever... comment tu devrais faire, là.» (Nicole)

«Des fois, tu te sens jugée, tu te sens dégradée, par les personnes comme ça» (Lise L.)

«On est des moins que rien. Dans le fond, qu'est-ce qu'ils nous font sentir: on mérite ce qu'on a» (Lise L.)

Sur les besoins face à l'intervention
(3e partie du film)

Quelles sont les attentes des témoins, leurs souhaits face à l'intervention?

  • Ils souhaitent de l'aide matérielle (logement, école), ils souhaitent être accompagnés dans leurs démarches et surtout ils souhaitent une meilleure écoute (temps et qualité).

«J'aurais besoin d'aide pour changer Christelle d'école, m'aider pour avoir un logement» (Nicole)

«Qu'ils soient là pour nous appuyer quand on fait nos démarches» (Lise L.)

«Une personne qui prend le temps de nous écouter, et non de nous juger» (Lise C.)

«La personne va se donner la peine de comprendre, elle va nous donner le temps d'expliquer» (Lise L.)

Sur les problèmes et leur définition
(4e partie du film)

Pourquoi le film parle-t-il de la culture populaire, puis soudain de l'analphabétisme? Quel est le lien entre les deux?

  • L'analphabétisme est une réalité importante du milieu populaire. Les personnes de milieu populaire sont très généralement peu scolarisées3.

Maurice Imbert (1979: 15) définit d'ailleurs le terme populaire en se référant à «la partie de la nation considérée par opposition aux classes où il y a soit plus d'aisance, soit plus d'instruction». Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) reconnaît par ailleurs «qu'il y a un lien entre analphabétisme et pauvreté et que la majorité des personnes analphabètes provient des milieux défavorisés» (RGPAQ, 2004: 2).

Pourquoi les gens parlent-ils du métier de leurs rêves?

  • Le fait que plusieurs témoins répondent par un métier à une question d'ordre général («Si vous pouviez changer votre vie avec une baguette magique, qu'est-ce qui changerait?») démontre que l'accès au travail est un problème primordial pour les personnes analphabètes.

De quoi les gens disent-ils souffrir davantage du fait de ne pas savoir lire et écrire?

  • Les éléments qui reviennent le plus souvent sont liés à deux thèmes principaux: le marché du travail (exclusion et conditions de travail) et le regard des autres.

    Ils nomment aussi, de façon plus générale, les problèmes d'argent ainsi que les contraintes liées au mariage hâtif. Certains nomment de plus les problèmes de santé, mais le film ne fait pas ressortir ce thème.

«Quand on va dans (es bâtisses publiques, pis il y a du monde instruit, là on vient à côté, on vient pour dire quelque chose à une personne, [...] il le sait tout de suite si on est instruit ou pas instruit, la personne est comme, tsé, il veut rien savoir de toi, "Tasse-toi", là, tsé, il va piler par-dessus toi. Là, nous autres, on se sent comme coupable...» (Gérald)

«Eux autres, ils sont haut, ils vont nous regarder plus bas» (Nicole)

«Si on savait lire, on pourrait se pogner plus d'ouvrage» (Gaétan)

«Tu fais pas beaucoup d'argent, parce que les jobs, c'est pas payant, quand tu sais pas lire pis écrire. Pis à part de ça, ils te font travailler quasiment au fouet, tsé?: "Envoyé, je vas te mettre dehors..." Pis toi, tu sais pas lire, tu sais pas écrire, t'es nerveux, pis là tu cours comme un cave, tsé? Là tu tombes malade, pis envoyé donc. C'est l'enfer un peu» (Noël)

«Aujourd'hui, c'est ça, le secondaire 5 pour ramasser les vidanges, tsé? Ils exagèrent un peu, là, je trouve.» (Noël)

«Ils pensent que nous autres on vaut pas la peine, on n'a pas de valeur, dans le fond» (Nicole)

À prime abord, qu'est-ce que l'intervenante avait identifié comme étant un problème majeur des personnes peu alphabétisées?

  • Elle croyait que le seul fait de ne pas maîtriser le code écrit les rendait malheureuses, avec tout ce à quoi ceci enlève l'accès: non seulement ce qui est lié à l'autonomie au quotidien (métro, étiquettes, etc.), mais aussi la lecture comme loisir, moyen d'acquérir des connaissances, etc.

Pourquoi l'intervenante avait-elle fait ces suppositions?

  • Parce que la lecture joue un rôle primordial dans sa propre vie: dans ses apprentissages, ses loisirs, son travail. Elle a du mal à s'imaginer la vie sans elle, et a encore plus de mal à s'imaginer avoir une vie satisfaisante, complète, sans elle.

Ce que l'intervenante identifiait comme source de souffrance n'est donc pas la même chose que ce que les témoins disent. Que cela démontre-t-il?

  • Cela démontre que sa perception du problème se base sur sa propre réalité, sur son système de référence, sur sa culture, qui sont différents de ceux des témoins.

Questions d'ordre général

Selon vous, quel est le message principal du film?

  • L'intervenante avait tendance à appréhender et analyser les situations de vie des autres à partir de ses propres référents culturels.

    Cela la menait souvent à interpréter des différences comme des problèmes, particulièrement dans le cas des personnes de milieux populaires.

    Croyant sa propre façon de vivre la seule acceptable, elle imposait ses solutions aux personnes rencontrées.

    Apprendre à relativiser les normes associées à son appartenance culturelle, puis apprendre à chercher et entendre la propre interprétation que font les gens de leur situation l'a amenée à respecter davantage les personnes et à intervenir de façon plus appropriée.

Est-ce qu'on pourrait généraliser le propos du film à d'autres groupes de personnes? Lesquels?

  • Oui, à n'importe quelle communauté qui peut présenter des différences culturelles par rapport à l'intervenante: une communauté ethnique, bien sûr, mais aussi homosexuelle, celles qui vivent différents handicaps, celle des jeunes ou des personnes âgées, des femmes ou des hommes, des communautés rurales ou urbaines, etc. Il y a aussi des éléments culturels spécifiques à des communautés plus précises encore: les jeunes de la rue, les détenus et ex-détenus, les itinérants, etc. Chaque individu peut appartenir à plus d'une de ces communautés. S'il est impossible de connaître en profondeur chacun des groupes, une façon d'intervenir de manière à répondre davantage aux besoins des personnes est d'adopter une approche qui cherche à connaître l'interprétation par les personnes de leur situation.

Quel est l'intérêt, pour Nicole et Noël, d'aller dans un centre communautaire?

  • Cela leur a permis de connaître et fréquenter des gens comme eux, donc qui les comprennent et ne les jugent pas, et avec lesquels ils peuvent enfin être eux-mêmes.

    Pour Noël, cela lui a permis de sortir de son isolement et d'avoir des activités sociales.

    Cela leur a de plus permis de constater à quel point ils sont loin d'être seuls dans leur situation (collectivisation du problème), ce qui a un effet énormément déculpabilisant.

    Être en groupe permet aux personnes de se reconnaître une légitimité (ils ont le droit d'être ce qu'ils sont) et la déculpabilisation que cela entraîne est un pas primordial vers l'action et l'amélioration des conditions de vie.

«Tu te l'imagines pas qu'il y en a autant qui vivent la même chose que toi, pis ils iront pas te le dire. Fait que on vit tout chacun dans nos coins respectifs sans améliorer rien, dans le fond. Si tu vas pas dans un centre, tu fais pas quelque chose, tu peux pas savoir» (Nicole)

«Ça te fait sortir un peu le soir, ça t'enlève un peu d'agressivité que t'as dans toi. [...] Parce que t'es avec du monde comme toi, ils te comprennent.» (Noël)

Oui, mais...

(Réponses aux questions ou objections qui pourraient surgir...)

Sur la définition du problème

Il est proposé dans le film de se baser sur la propre définition que font les gens de leurs problèmes. Oui, mais est-ce qu'on prétend que les gens sont tous capables d'identifier eux-mêmes leurs problèmes?

  • Non, car, tout comme les intervenantes, ils ont souvent tendance à tenir un discours qui correspond au discours dominant. C'est pour cette raison que le film montre l'intervenante poser une question très ouverte: «Si vous pouviez changer votre vie avec une baguette magique, quelle est la première chose qui changerait?» Une telle question favorise l'expression des problèmes réels des personnes qui ne se sentent plus obligées de donner «la bonne réponse»; elle leur permet donc de dépasser le discours habituellement entendu. En faisant appel à leur imaginaire, cette question leur permet de libérer leur parole; elle leur ouvre un monde de possibles qu'ils auraient du mal à entrevoir autrement.

On affirme dans le film que le problème de Nicole n'est pas dans le fait qu'elle a trop de responsabilités familiales. Oui, mais où est le problème alors?

  • Le problème réside davantage dans le stress que lui procurent les conditions matérielles, de santé et scolaires.

Sur les difficultés scolaires

Dans le film, on laisse entendre que les parents (ainsi que les enfants, d'ailleurs) ne sont pas responsables des difficultés scolaires des enfants. Oui, mais alors pourquoi les enfants de milieux populaires réussissent-ils moins bien que les autres?

  • Parce que ce ne sont pas seulement les travailleuses sociales qui sont éloignées culturellement des familles de milieux populaires. L'école aussi, tant dans la façon d'enseigner que dans le contenu de l'enseignement. Des théoriciens affirment même qu'entrer dans le monde de l'écrit est une forme d'acculturation pour les familles de milieux populaires (Dabène, 2001). Les conditions sociales et matérielles difficiles (qui parfois entraînent de surcroît des rapports familiaux difficiles) s'ajoutent à cette distance culturelle.

Sur les difficultés liées à l'analphabétisme

On prétend dans le film que ce sont d'autres raisons que celles liées au quotidien qui constituent le problème de l'analphabétisme. Oui, mais ces difficultés quotidiennes ne sont-elles pas suffisantes pour constituer un problème sur lequel il faut intervenir?

  • Effectivement. Mais être conscient que le problème existe à cause des normes présentes dans la société change notre regard sur la situation. Ce n'est pas le simple fait de ne pas maîtriser le code écrit qui fait souffrir les personnes (ou qui en fait des individus qui ont moins de valeur), mais plutôt la difficulté de fonctionner dans une société axée sur l'écrit. Quand la majorité des gens vivaient et travaillaient sans savoir lire et écrire, l'analphabétisme n'était pas un problème. Maîtriser le code écrit est, ici et aujourd'hui, la norme, mais ne l'a pas toujours été (comme en témoigne Noël d'ailleurs: «Moi je me débrouillais assez ben quand même [...] je faisais de l'argent en masse; mais aujourd'hui c'est pus de même... »). Ce constat amène à prôner une reconnaissance des différences culturelles, une reconnaissance de la valeur de ceux qui n'écrivent pas ainsi que des efforts d'adaptation dans la société pour ceux qui ne maîtrisent pas le code écrit.

Sur le marché de l'emploi

On dit dans le film que les personnes déplorent leur exclusion du marché du travail. Oui, mais en même temps celles qui ont un emploi se plaignent du travail qu'elles ont...

  • Ce n'est pas le type de travail qu'elles n'apprécient pas, mais vraiment les conditions qui l'accompagnent.

Sur les habitudes de vie

Une femme se plaint qu'on lui dit quoi manger. Oui, mais n'est-ce pas vrai que les gens de milieux populaires s'alimentent mal? Ils sont plus malades, plus gros...

  • Tout d'abord, attention à la généralisation! La grande majorité des gens s'alimente plutôt mal (mange trop de sucre, d'aliments chimiques et industriels et de gras) mais on le remarque davantage chez le milieu populaire. Pourtant, la population ciblée par les activités ou interventions de formation à l'alimentation est constituée en grande majorité par les gens de milieux populaires.

    Les faibles moyens financiers de cette population s'additionnent au fait que les aliments riches et de moindre qualité sont souvent moins chers (en plus d'être souvent plus faciles à trouver).

    Il est aussi possible d'améliorer les habitudes alimentaires tout en évitant que les gens sentent que l'on dévalorise leurs préférences alimentaires et qu'on leur dicte quoi faire (qui ne se rebuterait pas contre cette façon de faire?), ainsi qu'en respectant leurs moyens financiers.

    Il est aussi intéressant de se rappeler que la norme change et que c'est encore la classe moyenne qui définit cette norme (ce qui était perçu positivement il n'y a pas si longtemps est maintenant vu de façon négative; ce qui est perçu positivement maintenant ne le sera peut-être plus bientôt).

    D'autre part, Noël nous aide bien à comprendre toutes les conséquences désastreuses sur sa santé du stress lié à sa condition (regard des autres, marché du travail). Ce n'est donc pas qu'une question d'alimentation.

Sur les intervenantes auprès des collectivités

Le film semble s'adresser uniquement aux intervenantes auprès des individus. Oui, mais est-ce qu'il ne concerne pas aussi les intervenantes communautaires?

  • Tout à fait. L'attitude culturocentriste concerne tout autant les intervenantes en action collective ou en milieu communautaire que celles qui interviennent auprès des individus ou en milieu institutionnel. Ces intervenantes ont aussi de la difficulté à ne pas ancrer leurs interventions ou animations dans leur propre univers culturel. D'ailleurs, l'intervenante du film en est un exemple. Toutefois, comme on le voit dans le film, les personnes en souffrent moins car elles côtoient leurs pairs et ont des espaces de liberté et de parole. De plus, les interventions collectives en milieu communautaire sont moins souvent basées sur un rapport d'autorité.

Sur le culturocentrisme

Éléments de discussion

(pour aller plus loin sur les effets du culturocentrisme sur l'intervention auprès des milieux populaires)

  • Amener les intervenantes ou futures intervenantes à réfléchir sur leurs appartenances culturelles et les effets de celles-ci sur leur perception du monde.
  • Amener les intervenantes ou futures intervenantes à réfléchir sur leur perception du milieu populaire. Les amener à percevoir l'ampleur du mépris de la population envers ce milieu (paresseux, sales, parlent fort et mal, irresponsables, désintéressés, etc.) et l'humiliation qui en résulte. Les faire réfléchir sur les effets que peuvent avoir ces perceptions sur ces personnes (Noël nous le dit bien: «Le monde te font chier [...] Tu me fais chier, je vas te faire chier moi avec»), leur développement, leur perception d'eux-mêmes, leur confiance en eux, leur capacité de se reconnaître une légitimité (avoir le droit d'être ce que l'on est). Les amener à voir l'importance de cette longue étape de «légitimisation» dans toute intervention.
  • Plus spécifiquement, amener les intervenantes ou futures intervenantes à réfléchir sur le sens sous-entendu des interventions axées sur le développement d'habiletés et de compétences: les personnes n'agissent pas comme il faut, elles sont responsables de leurs difficultés (sentiment de culpabilité), développent un fort sentiment d'incompétence (certaines ressentent un fort sentiment d'impuissance, énormément de frustrations et de colère, peuvent devenir très cyniques, voire agressives...). Vouloir un changement d'habiletés, dire qu'elles font mal telle chose, sous-entend qu'il y a une bonne façon de la faire...
  • Faire l'exercice de s'imaginer ce que les personnes du milieu populaire diraient de «notre» milieu.

Voici quelques exemples:

nous ne sommes pas démonstratifs (nous ne nous extériorisons pas)
nous ne savons pas fêter
nous sommes froids et distants
nous sommes individualistes
nous avons peu de relations familiales
nous avons confiance en nous
nous sommes convaincus de posséder la vérité
nous ne sommes pas à l'écoute
nous sommes davantage généreux matériellement qu'humainement4
nous passons trop peu de temps avec nos enfants (selon certains participants du CEDA)

  • Essayer de faire un budget avec un revenu d'aide sociale. Discuter ensuite de la perception selon laquelle les assistés sociaux s'organisent mal...

Des exemples de perceptions différentes interprétées comme des problèmes

Les parents défavorisés et peu scolarisés ne viennent pas souvent quand on les invite à l'école. Ceci est interprété comme de la négligence ou de l'indifférence des parents relativement à la réussite scolaire de leurs enfants 5 .

  • Concernant les rencontres avec les enseignantes, les parents savent très bien qu'on va leur parler de problèmes avec leurs enfants. Ils savent qu'il sera question de leur échec à aider leurs enfants, donc de leur incompétence (voire de leur incompétence à éduquer leurs enfants de façon générale). Ils savent qu'ils auront à se dévoiler, et ils savent que ce qu'ils sont est méprisé. Ils sont aussi souvent conscients que l'école renvoie à leurs enfants une image très négative d'eux («Ce que tes parents font/sont n'est pas bon, tu ne dois pas faire/être comme eux»). Ils savent aussi qu'ils ne comprendront pas bien ce que l'enseignante leur dira et qu'ils ne seront probablement pas en mesure de suivre toutes les consignes que les enseignantes leur donneront. Ils savent surtout qu'eux ne seront pas compris par les enseignantes.
  • Concernant les rencontres de comités, ils savent que les contenus et procédures de ces instances seront inaccessibles et inintéressants pour eux (car ils ne correspondent pas à leur univers culturel). D'ailleurs ces structures mêmes leur sont incompréhensibles.
  • Plusieurs écoles refusent aux parents de passer par la cour d'école ou même par l'entrée principale pour entrer dans l'école. De plus, ils se font reprocher d'intervenir, par exemple s'ils voient leur enfant maltraité par un autre dans la cour. Certains ne se sentent donc pas bienvenus. L'école définit très exactement la forme de présence des parents à l'école, qui n'est souvent pas celle que les parents choisiraient.
  • Des enseignantes reconnaissent que les parents sont présents à la moindre prestation artistique de leur enfant... Certains s'impliquent aussi très fortement comme bénévoles pour les activités à l'extérieur de l'école (par exemple, pour accompagner les groupes d'enfants).

    Peut-on encore parler de désintérêt ou de négligence?

Les parents soutiennent peu leurs enfants pour les devoirs à la maison. Ceci est interprété, encore une fois, comme une démission des parents, de la négligence.

  • Ce qui est interprété comme du désinvestissement n'a pas du tout le même sens pour les parents. Tout d'abord, parfois ils se sentent tout à fait incompétents pour accomplir une telle tâche, tout en ayant une confiance totale envers les enseignants. Ensuite, plusieurs familles ont une perception différente des rôles respectifs de la famille et de l'école. Pour elles, l'école est l'endroit où se font les apprentissages. À la maison, on s'amuse ensemble et on se repose. Pour l'école et ses différents acteurs, à l'inverse, la maison et l'école sont tous les deux des lieux de socialisation et d'apprentissages.

La maternité précoce (le cas des «filles-mères»), est identifiée comme un problème social par l'État et plusieurs intervenantes. Des interventions sont donc mises en place pour rejoindre cette population «à risque» (donc étiquetée d'avance) et lui offrir un soutien qui comprend de la formation à la maternité (par exemple, le programme Naître égaux - Grandir en santé, application de l'approche épidémiologique utilisée par l'État).

  • L'interprétation par ces filles de leur maternité est souvent très différente. Par exemple, selon plusieurs chercheurs, certaines de ces femmes, souvent défavorisées et peu scolarisées, ont cherché dans la maternité une identité, une raison d'être, une valeur qu'elles avaient l'impression de ne pas avoir avant.

    Cela ne veut pas dire qu'elles n'expriment pas certaines difficultés liées à leur maternité. Seulement le problème pour ces femmes est d'un autre ordre. Il s'agit davantage de difficultés matérielles liées à l'exclusion ou aux conditions de travail, au gardiennage et à la monoparentalité. Ajoutons qu'être mère à 16 ans a déjà été la norme. Pendant longtemps, cela n'était pas un problème.

Le film présente plusieurs situations où une supposée «caractéristique» du milieu populaire prend un sens différent du moment où l'on prend connaissance des interprétations qu'en fait la personne.

  • Passer devant les autres dans une file d'attente
  • Ne pas isoler les enfants dans leur chambre pour les devoirs
  • Les attitudes violentes ou agressives

Quelle est l'interprétation faite par Noël de la violence et de l'agressivité?

  • C'est une réponse à l'humiliation vécue au quotidien:

«Tu sais pas lire, tu sais pas écrire, on dirait que le monde te font chier. Fait que toi tu te dis à toi-même -. "Tu me fais chier, je vas te faire chier moi avec"».

«Ça t'enlève un peu d'agressivité que t'as dans toi. Parce que t'es avec du monde comme toi, tsé, qui te comprennent [...]».

«la violence, c'est ça qu'on apprenait. [...] Dans les shops, on était porté à se battre […] "C'est moi le meilleur". Mais pourquoi? Parce qu'on était frustré en quelque part. Vu qu'on n'était pas instruit: "Je vas te montrer que shus capable". Tsé?" C'est moi le plus fort, le plus beau"...».

On a tellement tendance à facilement «rejeter hors de la culture tout ce qui n'est pas conforme à la norme sous laquelle on vit»

Claude Lévi-Strauss

Sur l'analphabétisme

Vous ne vous sentez pas concernés par l'analphabétisme?

Vous travaillez ou voulez travailler avec...

  • les nouveaux arrivants?
  • les ex-détenus?
  • les femmes?
  • les chômeurs ou les assistés sociaux?
  • les personnes de la rue?
  • les personnes physiquement handicapées?
  • les personnes victimes de violence?
  • les communautés ethniques ou autochtones?
  • les personnes souffrant de maladie mentale?
  • les déficients intellectuels?
  • les personnes âgées?
  • les homosexuels ou les lesbiennes?
  • les personnes toxicomanes, alcooliques ou dépendantes du jeu?
  • les jeunes?
  • les enfants de Duplessis?
  • les personnes violentes?
  • les mal-logés?
  • les personnes malades?

Vous travaillez ou voulez travailler dans...

  • un CLSC?
  • un groupe communautaire?
  • une école?
  • un hôpital?

Vous rencontrez ou rencontrerez souvent des personnes analphabètes dans votre vie professionnelle.

Quelques informations complémentaires sur l'analphabétisme

  • L'analphabétisme ne se définit pas seulement par la difficulté à décoder une information écrite, mais aussi par les difficultés à utiliser le code écrit dans le quotidien.

    L'analphabétisme est intimement lié à la pauvreté et à l'incapacité de l'École à intégrer tout le monde dans son système. Pourtant, les personnes se croient seules à vivre ce problème, se perçoivent comme responsables de leur situation et cherchent à la cacher.

    Cela les amène donc à développer des stratégies surprenantes de débrouillardise, ce qui fait qu'il n'est pas facile de détecter une personne analphabète.

«J'ai eu le numéro de téléphone, pis ça m'a pris deux ans avant d'appeler». Francine

«Dépister l'analphabétisme, c'est rejoindre une personne dans un de ses secrets les plus intimes». Fernand Cardinal, CLEM

Le film donne un bon aperçu de la réalité des personnes analphabètes. Nous mettrons donc ici l'accent sur certains éléments que le film n'aborde pas: la communication et le rapport au temps.

La communication: quel défi!

La communication entre une personne scolarisée et une qui l'est peu est un défi constant.

L'accessibilité de la communication écrite est fondamentale.

Pensons notamment à tout le matériel promotionnel habituellement utilisé par les différents organismes: dépliants, affiches, etc. Il est préférable de réduire l'information au minimum essentiel, ce qui permettra l'utilisation d'une typographie lisible, de mots simples, concrets et connus dans le langage populaire, de phrases courtes et simples, d'une mise en page simple et aérée comprenant des illustrations ou pictogrammes, une numérotation ou des encadrés. L'information doit être organisée (choisie et ordonnée) de façon à faciliter la compréhension pour ces personnes qui ont du mal à repérer les informations importantes dans un texte.

Mais il n'y a pas que la communication écrite qui pose un défi. La communication orale l'est tout autant. Les boîtes vocales à choix multiples, par exemple, sont un véritable enfer pour les personnes.

Il ne faut jamais tenir pour acquis que les mots ou expressions utilisés sont connus ou compris de l'interlocuteur. Les concepts abstraits sont notamment très éloignés de leur univers culturel. C'est pourquoi il est de loin préférable de faire appel à l'expérience concrète des personnes plutôt que d'utiliser des concepts abstraits (ex.: droits, démocratie, objectif, mandat, pourcentage, province, Ottawa...). Il ne faut pas oublier que les personnes ne peuvent prendre de notes... C'est pourquoi les informations doivent être transmises en petites quantités; c'est aussi une raison pour laquelle les personnes veulent dire tout de suite ce qu'elles pensent, ce qui peut être hors d'ordre. C'est à l'intervenante de noter l'idée et d'y retourner au moment opportun.

Le rapport au temps

Le temps, dans les milieux populaires, semble souvent circulaire plutôt que linéaire (comme dans plusieurs cultures traditionnelles). Aborder le temps à long terme est peu habituel; donc il y a peu de projection dans le futur et un calcul difficile du temps passé.

D'autre part, les personnes ont des conditions de vie (ou de survie) qui les placent souvent dans des situations d'urgence (profiter d'une aubaine, s'occuper de l'enfant puni et renvoyé à la maison par l'école, amener l'enfant à l'hôpital...) qui rendent difficile le respect des rendez-vous. D'autant plus qu'elles ne peuvent souvent pas noter les rendez-vous, qu'elles ont du mal à prévoir le temps nécessaire pour se rendre au rendez-vous, si encore elles ont compris l'heure qu'on leur a donnée (14h45, par exemple).

L'alphabétisation populaire

L'alphabétisation populaire se base sur le rythme, les besoins et intérêts des personnes, veut valoriser leur culture, défendre leurs droits et utiliser un mode de fonctionnement démocratique.

Petit guide pratique

Comment concrétiser tous ces constats et éléments théoriques dans l'intervention? Comment faire pour «s'appuyer sur l'interprétation que font les personnes de leur situation»?

Voici quelques exemples qui peuvent guider l'intervention:

Débuter l'intervention...
Il est très facile pour moi d'imposer un langage, un cheminement,... Il est pourtant préférable que ce soit moi, l'intervenante, qui fasse les efforts d'adaptation, plutôt que le contraire.
... en laissant les personnes parler en premier, à leur façon.

Les personnes me concèdent généralement un meilleur jugement qu'à elles-mêmes, elles se perçoivent comme moins compétentes que moi de façon générale. Elles ne se jugeront peut-être pas capables de prendre de bonnes décisions. Elles ne se jugeront pas expertes de leur propre situation. Je dois intervenir en prenant cela en considération.
... en s'attaquant au sentiment d'illégitimité.

Poser des questions...
«Si tu pouvais changer ta vie avec une baguette magique, quelle est la première chose qui changerait?»
«Complète cette phrase: "Je me sentirais mieux si..."»
... qui font appel à l'imaginaire.

«Repasse dans ta tête ta journée d'hier. Est-ce qu'il y a des moments où tu ne t'es pas sentie bien?»
«Est-ce que tu as parlé de ça à quelqu'un cette semaine? À qui?»
«Parle-moi d'une activité que tu as faite cette semaine et que tu as particulièrement aimée.»
... qui font référence à l'expérience concrète des personnes.

Écouter...

Dans un centre communautaire, un nouveau comité de participants est mis sur pied, formé de quatre membres qui, note l'animatrice, semblent un peu mis de côté par les autres participants6. Le mandat du comité: organiser des activités pour l'ensemble du groupe. Comme première activité, les participants décident de vendre des macarons sur lesquels serait inscrit le nom de leur comité. L'animatrice les informe qu'ils possèdent déjà un budget et qu'elle doute que d'autres personnes achètent un macaron d'un comité dont elles ne font pas partie. Les membres du comité sont d'accord avec l'animatrice mais persistent tout de même dans leur choix.

Qu'est-ce que ces personnes étaient en train de dire à l'animatrice?
Le fait d'avoir le nom de leur comité sur un macaron est une façon de rendre visible, aux yeux de tous, l'existence et la valeur du comité et, par extension, des membres qui le composent. Ces participants soulèvent peut-être par ce choix le manque de reconnaissance du groupe envers eux, phénomène que l'animatrice avait observé.
... ce que disent les choix des personnes.

Lors d'une pièce de théâtre où des animatrices voulaient illustrer des problèmes qu'elles croyaient propres aux participants de l'organisme, les participants ont applaudi à la fin de chacun des quatre sketches. Mais ils ont réagi, interagi et crié pendant seulement l'un d'entre eux: celui qui concernait leur exclusion du marché du travail.

Qu'est-ce que cela m'apprend sur ce groupe?
Cette réaction me dit que l'exclusion du marché du travail est un sujet qui le préoccupe beaucoup, probablement plus que les autres.
... ce que disent les réactions des gens.

Quand on leur demande ce qui leur plaît dans l'organisme, les participants répondent invariablement: «On est comme une famille, on se sent respecté, on n'est pas gêné ici, on s'entend bien, on peut parler, ils nous écoutent.»

Que ce groupe est-il en train de nous dire par ce commentaire?
En exprimant à quel point ils apprécient le respect, la liberté de parole et l'harmonie dans l'organisme, ils disent peut-être qu'ils vivent rarement ces sentiments et qu'exception faite de leur famille, ils se sentent rarement respectés, écoutés...
... les sujets qui reviennent souvent.

Je considère parfois que les gens ont tendance à faire des commentaires qui ne correspondent pas au sujet dont il est question, qu'ils ne répondent pas à la question que j'ai posée.

Qu'est-ce que ces commentaires peuvent m'apprendre sur les personnes?
Il s'agit certainement de sujets de préoccupation pour les gens qui les émettent.
... les commentaires «hors propos» et y revenir plus tard.

Me poser des questions...

Est-ce que la personne ou le groupe peut deviner mon opinion sur le sujet en cours? Si oui, je suis probablement en train d'influencer les discussions ou décisions qui seront orientées selon ma propre opinion. Le ton de ma voix, mes gestes, les mots que j'utilise, ce sur quoi j'insiste, tout peut me trahir!
... sur l'influence que je peux exercer.

Parfois je considère qu'une personne ne pose pas les bons gestes pour améliorer sa vie ou celle de sa famille. Je me rappelle alors que ma vision d'une vie de qualité correspond à ce qui est valorisé dans mon propre milieu et que ceci n'est pas universel.
... sur les normes que sous-tendent mes jugements.

Lors d'une assemblée générale, lorsque vient le temps de discuter de la «Répartition du budget pour l'année à venir», les membres posent des questions sur les sources de financement, la répartition des sommes, le choix des dépenses, etc. Un membre intervient alors pour se plaindre que les membres qui fument à la sortie de l'organisme ne sont pas protégés de la pluie et du vent. Son commentaire est jugé hors sujet. Pourtant, s'il s'était exprimé en ces termes: «je déplore que, dans l'attribution des sommes allouées à l'amélioration des immobilisations, aucune dépense ne soit prévue pour l'achat et l'installation d'un abri attenant au bâtiment qui permettrait aux membres de fumer sans subir le froid et la pluie», peut-être son propos aurait-il été pris en compte!
... sur ma compréhension du sens des mots et des actions de l'autre.

Des nouvelles des témoins...

Si Nicole n'a pas réussi à changer Christelle (sa petite-fille) d'école, elle a cependant réussi pour Samuel (son petit-fils). Tel que Nicole l'avait prédit, le jeune garçon réussit effectivement mieux dans cette école où les méthodes sont différentes de celles de la majorité des écoles: périodes de cours plus courtes, activités physiques et artistiques plus nombreuses, plus petit groupe toujours accompagné de la même enseignante, soutien scolaire individuel, etc. Après seulement quelques mois, Samuel s'est amélioré de façon importante.

Nicole a dû déménager car son propriétaire a repris son logement. Elle a réussi, après des semaines d'angoisse et plusieurs démarches, à trouver un nouveau logement dans le même quartier grâce à un contact de son frère Noël.

Noël a succombé à sa maladie.

L'usine Impérial Tobacco est maintenant fermée. Elle est présentement dans la mire d'un groupe promoteur d'un projet de transformation en condos.

Définitions

Culture:
«Nous appelons culture tout ensemble [...] qui [...] présente, par rapport à d'autres, des écarts significatifs» (Lévi-Strauss, 1958: 325). Toutefois, pour éviter le risque de hiérarchisation de certaines cultures par rapport à d'autres, la définition de la culture utilisée dans le film fait appel à l'idée d'une interprétation qu'un groupe fait de la vie: «a System of meanings through which social life is interpreted!» (Winthrop, 1991: 50). Ainsi, l'intérêt de cette définition de la culture dans l'intervention est «le fait d'utiliser la propre interprétation des individus sur leurs expériences pour comprendre ces individus, pour avoir une expérience d'eux, pour voir le monde à travers leurs lunettes. Comme on ne peut aborder une culture qu'à partir de ses propres critères, de ses propres perceptions, l'étude de leurs propres représentations est peut-être la seule voie qui permette de saisir la logique propre aux groupes» (Filion, 2005: 31, 32). Il s'agit donc, face à un groupe social, de troquer cette pensée: «ils sont comme ça» par celle-ci: «je les perçois comme ça. Quel sens donnent-ils, eux, à ce qu'ils font, voient ou pensent?».

Culturocentrisme:
Ce concept a longtemps été réduit à celui d'ethnocentrisme. Il est lié à la domination d'une culture sur une autre: «en fournissant des codes d'action que l'on accepte d'emblée et que nous jugeons "normaux", [notre culture] nous amène à envisager les activités qui ne se conforment pas à ces codes comme anormales» (Morgan, 1989: 131). Il est en effet très facile, comme le disait Lévi-Strauss, de «rejeter hors de la culture tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit» (Lévi-Strauss, 1961: 20). Souvent, cela se traduit par une définition d'une culture à travers des caractéristiques qui sont «formulées avec comme référence la culture dominante, [qui] sont des constructions de l'observateur [et] entraînent des comparaisons» (Filion, 2005: 28).

Culture populaire:
C'est ainsi que les traits de la culture populaire ne sont qu'appréhendés «comme des distorsions, des versions pathologiques ou incomplètes de la culture de référence: celle de la classe moyenne» (id.). On définit rarement cette culture selon des repères qui lui seraient propres. Tout au plus, le terme «populaire» peut-il se référer à «la partie de la Nation considérée par opposition aux classes où il y a soit plus d'aisance, soit plus d'instruction» (Imbert, 1979: 15). Et pour le sociologue Lalive d'Epinay, la culture populaire signifie le système culturel de grands groupements réels occupant une situation subalterne et dominée dans la société globale (Lalive d'Epinay, 1982: 87).

Bibliographie

Ampleman et al. (1983). Pratiques de conscientisation: expériences d'éducation populaire au Québec, Montréal, Éditions Nouvelle optique, 304 pages.

Cardinal, Fernand. L'analphabétisme chez nous: guide de sensibilisation et de dépistage à l'intention des intervenants. Centre des lettres et des mots (CLEM), 20 pages.

Dabène, Michel (2001). «Le monde de l'écrit: pratiques et représentations» dans Illettrisme et cultures, Élizabeth Beautier et al. (dir.), Paris, Montréal, L'Harmattan, pp. 45-61.

Filion, Esther (2005). Les pratiques démocratiques dans les groupes d'alphabétisation populaire: libération ou insertion culturelle? Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en intervention sociale, Université du Québec à Montréal, 120 pages.

Filion, Esther avec la collaboration de Martine Fillion (2003). La communication entre l'école et les parents peu scolarisés: un pont à bâtir, un lien à définir, Montréal, Atelier des Lettres, 64 pages.

Hoggart, Richard (1970). La culture du pauvre: étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 420 pages.

Imbert, Maurice (1979). «Les cultures populaires: sous-produit culturels ou cultures marginalisées?» dans Les cultures populaires, Geneviève Poujol et Raymond Labourie (dir.), Toulouse, Privât, pp. 13-21.

Lalive D'Epinay, Christian et collaborateurs (1982). «Persistance de la culture populaire dans les sociétés industrielles avancées», Revue française de sociologie, XXIII, pp. 87-109.

Lévi-Strauss, Claude (1958). Anthropologie structurale. Paris, Pion, 452 pages.

Lévi-Strauss, Claude (1961). Race et histoire. Paris, Gonthier, 130 pages.

Morgan, Gareth (1989). Images de l'organisation, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 556 pages.

RGPAQ (2004). Déclaration de principes. Montréal, RGPAQ, 3 pages.

Winthrop, Robert H. (1991). Dictionnary of Concepts in Cultural Anthropology, Westport, Greenwood Press, 347 pages.


  • 1 La forme masculine est généralisée et inclut le féminin. Toutefois, comme le groupe que forment les intervenantes sociales (et les étudiantes) est constitué en grande majorité par des femmes, le féminin sera utilisé pour les désigner.
  • 2 Le terme «témoin» sera parfois utilisé pour parler des personnes qui font un témoignage dans le film.
  • 3 Le titre d'un ouvrage de Richard Hoggart (1970) et sa traduction sont à cet effet révélateurs. En anglais, l'ouvrage s'intitule «The Uses of Literacy: Aspects of Working Class Life». En français: «La culture du pauvre: étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre». On considère donc sans distinction l'alphabétisation, la culture de pauvre, la classe ouvrière et les classes populaires.
  • 4 Selon Ampleman et collègues, 1983
  • 5 Les informations contenues dans cette page sont tirées du rapport de recherche de Filion et coll. (2003)