Table des matières

Introduction

Bilan d'une année d'alphabétisation a lettres en main ou (si la réalité vous tient a cœur...)

juillet 1984

À l'origine, nous avions prévu d'axer cette recherche action sur l'application de la démarche pédagogique de Célestin Freinet à l'alphabétisation. Nous nous sommes pourtant vite rendus compte qu'une telle approche ne pourrait que donner une image partielle de notre pratique. En effet, plusieurs facteurs influent sur la réalité de notre pédagogie. Voilà pourquoi notre bilan se divise en trois parties:

  1. Organisation interne
  2. Conscientisation
  3. Pédagogie:
    - méthode naturelle et alphabétisation
    - bilans des animateurs

De plus, nous avons voulu que cette recherche-action soit le reflet (le plus fidèle possible) d'une expérience vécue et non le produit d'une quelconque conception théorique. Aussi, nous espérons que ce travail saura susciter de nombreuses réflexions.

Organisation interne

«Démocratisation»: concept utilisé à toutes les sauces qui s'articule beaucoup mieux dans le discours que dans la pratique. Il devient donc essentiel de s'interroger sur la signification que l'on doit lui donner afin qu'il reprenne tout son sens.

Cette réflexion, amorcée au tout début de nos activités comme groupe populaire d'alphabétisation, s'est poursuivie toute l'année et s'est souvent retrouvée au centre de nos discussions. Pourtant, il faut noter que ce type de réflexions répond essentiellement aux préoccupations des animateurs et découle directement d'un souci de partage du pouvoir. En effet, les participants ne s'interrogent pas spontanément sur cette question; ils se conçoivent d'abord et avant tout comme des consommateurs d'un service d'alphabétisation. Dans une telle optique, on comprend aisément le dilemme dans lequel nous semblons nous enfoncer: nous voulons engager un processus de démocratisation afin de répondre aux besoins des participants quand le besoin exprimé par ces derniers est tout autre. Mais en fait, y a-t-il véritablement dilemme?

Répondre à cette question exige de sortir du dogme, de la «formule idéale» et d'observer la réalité avec attention et sans à priori.

Lieu de pouvoir ou lieu de service

À Lettres en main, nous nous sommes rapidement trouvés face à deux perceptions très différentes des objectifs que devrait poursuivre un groupe d'alphabétisation: celle des animateurs et celle des participants.

D'une part, les animateurs, à cause d'une formation axée sur les dimensions sociale et collective du problème de l'analphabétisme, ont tendance à privilégier une démarche «démocratisante» qui va au-delà de l'apprentissage immédiat de la lecture et de l'écriture. Idéalement, il s'agirait de développer des modes d'intervention qui puissent permettre aux participants de s'approprier leur service, c'est-à-dire prendre en charge et contrôler les dimensions administratives et pédagogiques du groupe. Ainsi, Lettres en main pourrait devenir un véritable lieu de pouvoir où les participants exprimeraient librement leurs attentes et leurs besoins, et où les animateurs n'auraient plus qu'à jouer un rôle effacé de personnes-ressources au service de la collectivité...

Cette vision hautement idéalisée de l'alphabétisation populaire se heurte pourtant à la réalité des analphabètes qui viennent s'inscrire à nos ateliers. Pour eux, de prime abord, pas question de pouvoir ou de démocratisation. Ils viennent à Lettres en main pour bénéficier d'un service: l'enseignement de la lecture et de l'écriture. Ils ne s'attendent surtout pas à ce qu'on leur demande de gérer un organisme. Et même s'il leur arrive d'exprimer des attentes autres que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, ces dernières sont directement liées à leur vie personnelle: améliorer leurs conditions de travail, vaincre l'ennui, la gêne et la crainte d'être jugés, accéder à un savoir qui leur est difficilement accessible parce qu'ils ne savent pas lire, etc.

Il va de soi qu'avec le temps ces différences de conceptions ont tendance à s'atténuer. Animateurs et participants apprennent à se connaître et à se comprendre, conditions essentielles à l'élaboration d'un projet commun d'alphabétisation populaire. Pourtant, il n'en reste pas moins que les obstacles sont nombreux sur le chemin de la prise en charge par les participants de leur lieu d'apprentissage.

Difficultés d'accès au pouvoir

La première difficulté que l'on peut identifier réside dans les rapports qu'animateurs et participants entretiennent face à l'alphabétisation. D'une part, nous sommes un groupe de quatre animateurs qui travaillons 35 heures/semaine à orchestrer un projet collectif qui nous tient à cœur. C'est donc dire que nous consacrons une grande partie de notre énergie à en assurer la survie et l'amélioration. Nous sommes ainsi liés au projet d'alphabétisation tant par notre travail que par l'engagement social et politique qu'une telle démarche suppose.

Or, ce rapport à l'alphabétisation n'a aucune commune mesure avec celui que vivent les participants. En effet, ces derniers ne se sont pas consciemment engagés dans la lutte contre l'analphabétisme; ils viennent dans nos ateliers deux fois par semaine pour apprendre à lire et à écrire. En fait, ce qui est perçu par les animateurs comme un problème collectif en devient un d'ordre individuel pour chacun des participants.

De plus, la réalité même de ces participants soulève un autre problème. En effet, la personne analphabète, contrairement à ce que nous avons tendance à penser, ne répond pas toujours à l'image stéréotypée que nous voulons bien lui prêter. En fait, nous nous trouvons plutôt devant une véritable mosaïque de personnalités et de caractères différents. Ainsi, il devient très difficile, voire impossible de créer une cohésion qui garantirait un accès de tous les participants à l'ensemble des mécanismes du pouvoir au sein d'un projet collectif

comme Lettres en main. Alors que certains, à cause de leur vécu, sont prêts à s'engager et à participer, d'autres n'ont pas le temps, se sentent démunis, n'en voient pas la nécessité ou n'en ont tout simplement pas envie.

D'ailleurs, au-delà des intérêts propres à chacun des participants, avons-nous vraiment les structures appropriées pour leur permettre de participer pleinement à la vie du groupe? Afin de répondre à cette question, il s'agirait d'analyser les structures que nous avons à offrir. Ces dernières se divisent en deux parties: au niveau administratif, il y a le conseil d'administration et l'assemblée générale, tandis qu'au niveau pédagogique, on peut compter sur les réunions hebdomadaires des animateurs et les ateliers. Pourtant, malgré leur nombre et leur variété, il faut admettre que ces structures comportent leurs propres limites.

Le conseil d'administration: Il faut d'abord indiquer que, jusqu'à ce jour, seuls les animateurs ont siégé sur le conseil d'administration. En fait, ce principe a souvent été remis en question, mais on se heurte toujours au même problème: l'accès à l'information. En effet, les animateurs qui travaillent à plein temps à Lettres en main développent une vision d'ensemble des problèmes relatifs à la survie d'un groupe populaire d'alphabétisation. Cette vision d'ensemble leur permet de comprendre les tenants et aboutissants des décisions d'ordre administratif qu'il faut prendre, souvent très rapidement. Par exemple, est-ce que le fait d'accepter une subvention d'un organisme donné ne risque pas d'avoir des effets néfastes sur notre autonomie?

Il va de soi que les participants n'ont pas fait le choix d'axer l'essentiel de leur vie quotidienne autour de l'alphabétisation comme l'ont fait les animateurs. D'ailleurs, ils ont conscience de cette différence puisqu'ils ont eux-mêmes formulé à diverses reprises le désir que nous continuions ce travail, considérant qu'il fait partie intégrante de notre tâche et que nous sommes payés pour le faire.

Toutefois, le fait, pour les animateurs-administrateurs, d'obtenir un tel mandat en blanc ne rend pas nécessairement la tâche plus simple. En effet, au-delà du collectif formel d'administrateurs, on constitue un groupe d'amis qui partagent un même travail quotidien. Or, le climat d'intimité qui s'est développé entre nous devient quelquefois difficile à abstraire lorsque les points de vue diffèrent. Les décisions oscillent entre le souci de rester au niveau des principes et celui de ne pas blesser les susceptibilités de chacun. Le rationnel et l'émotif deviennent souvent peu aisés à départager et ce, à des degrés divers dépendant des personnalités. C'est à travers les erreurs de parcours que l'on apprend à faire un certain dosage de l'un et de l'autre.

Cependant, il n'en reste pas moins que, jusqu'ici, les participants restent absents de toute cette dynamique et continueront à le rester, du moins à court terme.

L'assemblée générale: Lieu privilégié de la vie démocratique de n'importe quel groupe populaire, l'assemblée générale a aussi ses limites. Pourtant, avant de s'étendre sur ces dernières, il conviendrait de souligner l'intérêt manifesté par les participants pour ce genre de réunion. Les gens y viennent avec plaisir et en grand nombre. C'est, pour eux, le lieu idéal pour sortir du cloisonnement des ateliers et se livrer à des échanges constructifs sur la réalité de leur vie à Lettres en main. Mais, il va de soi que, à cause de la nature même d'une assemblée générale et de la préparation que cela exige, on ne peut tenir ce genre de réunion plus de deux fois par année, ce qui ne permet pas aux participants de se prononcer sur tous les sujets qu'exigerait un véritable processus de démocratisation. De plus, le fait de se réunir en grand groupe et de devoir se plier à une procédure qui, bien qu'assouplie, génère tout de même certains «blocages» dus à la gêne ou au malaise d'intervenir devant tout le monde et risquer ainsi de se faire juger. Enfin, comme il y a une grande mobilité des participants à Lettres en main, il devient important de définir chaque assemblée générale comme un lieu d'apprentissage où l'on doit sans cesse répéter l'explication des procédures et de l'information de base sur le groupe. On comprend donc aisément que, dans un tel contexte, il reste bien peu de place pour que les participants puissent se pencher sur l'analyse des orientations fondamentales du projet.

Réunions hebdomadaires des animateurs: Idéalement, ces réunions servent aux animateurs à définir les orientations pédagogiques générales de Lettres en main et à évaluer les outils utilisés et les démarches entreprises dans chacun des ateliers. Bien que nous croyions que les participants doivent avoir une prise certaine sur les pratiques qui gouvernent leur accès à l'apprentissage, nous estimons que ces réunions doivent appartenir exclusivement aux animateurs. En effet, c'est le seul endroit où ces derniers peuvent se rencontrer pour évaluer les démarches entreprises dans les ateliers, discuter des cas particuliers de certains participants et mener des débats de fond. En fait, c'est un lieu que nous avons choisi de nous donner et que nous tenons à nous réserver.

Ateliers: Les ateliers, à cause d'un certain climat de confiance et d'amitié, restent le lieu privilégié où les participants peuvent évaluer et critiquer les démarches et les outils qui leur sont présentés. Pourtant, même dans ce milieu où les personnes analphabètes ont plus tendance à s'exprimer, il subsiste des difficultés inhérentes à la relation «maître-élève».

En effet, les participants, conscients de leur manque de formation, hésitent souvent à remettre en question la «compétence» des animateurs. Par contre, en tant qu'éducateurs, il nous semble particulièrement important de mettre l'accent sur la nécessité de prise en charge par les participants d'une telle démarche. D'ailleurs, notre travail en ce sens (qui sera traité de façon plus exhaustive dans les chapitres suivants) semble porter ses fruits puisque, avec le temps, les participants en viennent à prendre une distance critique face aux démarches qu'on leur propose. Par exemple, dans un des ateliers, les participants ont spontanément refusé d'utiliser des cartons pour faire un exercice, jugeant cet outil puéril. Dans un autre, ils ont clairement exprimé leur désintérêt face aux thèmes à saveur sociale, comme le chômage ou le bien-être social. Ainsi, les participants accèdent à un certain pouvoir car ces critiques meublent le contenu de nos réunions hebdomadaires et contribuent à redéfinir nos orientations pédagogiques. Pourtant, même ainsi, ces critiques ne sont que partielles et factuelles.

Formes de participation

 cause des nombreuses lacunes dont nous venons de brosser un tableau (sans doute partiel), il devient évident qu'il faut faire éclater le carcan des structures officielles afin de créer un climat favorisant une critique du travail des animateurs et une plus grande participation des personnes analphabètes à la vie du groupe Lettres en main. Pour ce faire, il nous faut faire preuve d'imagination et favoriser un engagement des participants qui tienne compte de leurs goûts, de leurs capacités et de leurs aspirations. Voilà un énoncé qui semble aller de soi. Les solutions, par contre, sont moins évidentes et il va de soi que nous n'avons pas de formule magique à proposer.

En fait, ce que nous avons tenté au cours de l'année, c'est de développer des lieux qui conviennent au type d'engagement que les participants sont prêts à consentir à Lettres en main. Dans cette optique, en plus des structures déjà mentionnées, nous avons concentré nos interventions à deux autres niveaux: le comité consultatif et ce que l'on pourrait qualifier de «lieux multiples».

Le comité consultatif: Comme certains participants font preuve d'une grande volonté d'engagement personnel, sans toutefois posséder les pré-requis nécessaires pour s'intégrer dans une structure officielle, il nous fallait concevoir un lieu susceptible de répondre à cette demande. Voilà pourquoi nous avons mis sur pied un comité consultatif où ces participants sont appelés à émettre des recommandations sur des problèmes ponctuels touchant divers aspects de la vie quotidienne à Lettres en main. Mis sur pied vers la fin de l'année, ce comité a déjà tenu une première réunion qui s'est avérée très positive. En effet, appelés à se prononcer sur un sujet très controversé au niveau des animateurs, soit celui de la position à prendre quant à l'intégration de nouveaux participants au cours d'une session, les membres de ce comité se sont mis d'accord et ont proposé une recommandation à soumettre à l'assemblée générale. Ainsi, les animateurs obtiennent le point de vue des participants, ce qui leur donne une base de travail pour prendre certaines décisions.

Aussi, devant le succès remporté par cette forme de participation, il va de soi que nous allons poursuivre l'expérience. De plus, ce comité consultatif peut constituer un lieu d'apprentissage qui pourrait éventuellement ouvrir la voie à un engagement direct au sein de structures formelles comme un conseil d'administration.

Les «lieux multiples»: Il est évident que, pour diverses raisons, le désir de participation et d'engagement varie selon les individus. Pourtant, ce n'est pas parce qu'il existe une minorité qui est prête à s'engager de façon assidue dans un exercice plus direct du pouvoir que nous devons ignorer les autres.

En effet, l'expérience nous démontre qu'un grand nombre de participants, même s'ils ne s'engagent pas dans les structures formelles offertes, manifestent un intérêt certain pour Lettres en main. Cet intérêt peut souvent prendre la forme d'initiatives personnelles et ponctuelles: un participant peut nous approvisionner en papier; un autre peut parler de nous à son patron pour que ce dernier nous offre un don; d'autres encore décident de préparer un «party» de fin de session. En fait, peu importe la forme de participation, il s'agit pour nous d'être attentifs à ces manifestations d'intérêt et de fournir le support, tant matériel que moral, nécessaire à la réalisation des projets proposés et, surtout, il s'agit de valoriser ce type de démarches.

Grâce à ces outils, que sont le comité consultatif et les «lieux multiples», nous constatons qu'il se développe peu à peu un véritable sentiment d'appartenance à Lettres en main. Ainsi, ce qui était pour les participants un simple service se transforme avec le temps en un lieu d'engagement où, par le biais de l'alphabétisation, ils développent une certaine conscience collective.

Dans une telle optique où les participants se sentent membres à part entière d'un groupe, il devient plus facile de formuler certaines critiques ou suggestions. Ainsi, il s'installe une certaine dynamique qui permet à Lettres en main de répondre de façon plus appropriée aux besoins qui s'expriment plus aisément.

En définitive, la somme des expériences que nous avons accumulées au cours de Tannée nous a obligés à transformer notre vision idéale du début; nous en sommes venus à concevoir Lettres en main comme un lieu de participation à un milieu de vie plutôt que comme un lieu de prise en charge collective d'un outil d'apprentissage tel qu'idéalement défini. En fait, la réalité nous a forcés à trouver des moyens d'assurer aux participants un accès au pouvoir, parfois indirect mais efficace.

À cause des résultats obtenus qui nous semblent très encourageants, nous comptons poursuivre cette démarche, même si (et peut-être surtout) elle nous force à faire preuve de beaucoup de souplesse et d'imagination.

Conscientisation

Introduction

La conscientisation constitue l'un des thèmes majeurs de notre réflexion et ce, depuis le tout début de nos activités. En effet, notre perception de l'éducation populaire et de la lutte contre l'analphabétisme nous a rapidement poussés sur la voie tracée par ce grand pédagogue brésilien qu'est Paolo Freire. Bien que d'accord avec les principes théoriques qui sous-tendaient le dualisme alphabétisation-conscientisation, nous avons refusé d'en faire un dogme et nous sommes imposés le doute et le questionnement comme outils privilégiés pour non seulement adapter mais surtout faire évoluer ce concept.

C'est donc à travers notre pratique, l'analyse de nos succès et de nos échecs que notre compréhension théorique de départ s'est graduellement modifiée et que l'articulation pratique de ce concept s'est transformée afin de répondre plus adéquatement aux besoins et attentes exprimés par les participants.

D'une vision de la conscientisation séparée de l'alphabétisation, nous en sommes venus à imbriquer la pratique de conscientisation dans la pratique d'alphabétisation de telle sorte que l'un et l'autre se confondent désormais en un concept unique.

Nous tenterons, à travers les pages qui suivent, de rendre compte le plus fidèlement possible de notre démarche réflexive et des dimensions nouvelles sur lesquelles nous avons décidé d'élargir à la lueur de nos deux années de pratique le concept d'alphabétisation-conscientisation.

Cheminement de Lettres en main [...]

Cheminement de Lettres en main quant au concept de conscientisation

La conscientisation: concept strictement politique

Avant même le début de nos activités proprement dites, avant notre premier contact avec les participants, il nous est apparu important de faire le point sur la compréhension que nous avions du concept de conscientisation et ce, afin d'orienter notre pratique à venir. Bien que cette étape de notre travail soit amplement relatée dans notre Recherche-Action 83, il convient ici de rappeler brièvement ce qui a guidé nos premiers pas, la perception commune que nous avions dégagée. Notre consensus s'est établi autour d'une vision exprimée précédemment par J.P. Hautecoeur

«on retrouve des poches d'analphabétisme au sein des classes populaires, principalement au sein de ta «réserve» du capital: ce sont les chômeurs, travailleurs occasionnels, manœuvres, travailleurs non-qualifiés,... l'analphabétisme est produit par des sociétés qui produisent aussi l'«alphabétisme», le savoir...et ta. conclusion logique c'est que ta solution véritable à l'analphabétisme n'est pas l'alphabétisation, mais une modification de l'organisation économique et sociale des sociétés.»1

et que:

«L'alphabétisation est un processus dont l'objectif linguistique ne peut être isolé de ses conditions sociales de réalisation. Elle s'inscrit dans une dynamique socio-politique où l'apprentissage de la tangue est aussi un lieu stratégique de. luttes.»2

Avec le recul, nous sommes amenés à mieux voir ce que cette perception sous-tend comme pratique. La personne analphabète étant issue des milieux socio-économiques exploités par le capital, notre tâche devait viser à rendre l'individu conscient de sa condition d'exploité et à l'amener à s'engager dans la lutte collective visant le changement social et ce, à travers des activités d'alphabétisation.

Cette logique à la limite aurait donc pu nous mener à considérer comme plus valable le fait de s'engager dans une lutte quelconque pour une cause «juste» que de progresser au niveau strictement académique. L'alphabétisation aurait ainsi perdu sa fonction première d'enseignement de la lecture et de l'écriture pour devenir entre autre un outil visant l'objectif plus noble de l'engagement social et politique.

Évolution du concept

Or, nos premiers contacts avec les participants nous ont fourni des indications qui nous ont forcé, dès le départ, à questionner notre conception de la conscientisation. D'abord, au-delà de la masse désincarnée des «analphabètes» décrite dans les livres, nous nous sommes trouvés face à une mosaïque d'individus qui, bien qu'étant effectivement analphabètes à des degrés divers, étaient toutefois doté d'autant de personnalités, de comportements de rapports au travail et de façons de vivre. Ils n'ont pas été longs à nous faire comprendre qu'outre le fait d'être analphabètes, ils étaient autre chose dans la vie; que de les ramener constamment à parler de cette dimension de leur vie les mettait mal à l'aise et même les réduisait à leur plus petit commun dénominateur.

Cette première confrontation aux besoins exprimés nous a amenés à élargir l'éventail des thèmes à traiter et à préciser le sens qu'on devait donner à la conscientisation. Ainsi, plus que de traiter de leur condition d'analphabètes, nous allions diversifier les thèmes, tout en conservant le caractère socio-politique et ce, pour:

  1. Les faire réfléchir sur leurs conditions sociales;
  2. leur en faire prendre conscience;
  3. les amener à participer au processus de prise de décisions;
  4. leur faire connaître les ressources du quartier (Comité Logement, Comité de jeunes chômeurs, etc.).

Cependant, bien qu'on ait établi consensus autour de cette nouvelle formulation de la conscientisation, le lien avec la quotidienneté des ateliers continuait à soulever des interrogations. En effet, nous continuions à percevoir la conscientisation comme un moment, un segment de l'activité d'alphabétisation ou même un discours à transmettre. Les participants nous regardaient respectueusement nous écoutaient dans certains cas et nous comprenaient rarement.

Combien de fois avons-nous entendu des réflexions du type «je suis tanné de parler de chômage, de Bien-être, de société, de gouvernement, etc.» ou encore «je sais comment je suis «pogné» dans ma condition et je viens ici précisément pour apprendre des choses nouvelles pour m'en sortir»? Et sans cesse nous nous accrochions à confronter l'individu à son vécu, à ses conditions de vie et lui expliquions pourquoi il est comme cela, sans trop souvent savoir comment il peut arriver à s'en sortir, quelle voie lui proposer.

Vers une nouvelle définition

La réflexion cheminant, les animateurs en sont venus à comprendre le désir d'apprendre à lire et à écrire des participants de façon plus globale, c'est-à-dire comme un désir de comprendre et d'améliorer leurs conditions de vie, mais aussi et de façon très importante, une soif de savoir et un désir d'ouvrir leurs horizons.

Il fallait donc sortir du cadre socio-politique trop restreint dans lequel on fonctionnait et considérer aussi comme conscientisation tout événement ou toute activité (prévue ou pas) pouvant servir à:

  • revaloriser l'image de soi;
  • apprendre à chercher, décoder et utiliser l'information pour une meilleure compréhension du monde;
  • explorer et exprimer ses sentiments;
  • développer la créativité et l'imaginaire.

Il s'agissait, non pas de repousser du revers de la main l'aspect politique, mais de l'ouvrir sur d'autres aspects de l'activité humaine et sur tous les niveaux d'un processus de changement soit les attitudes, les capacités intellectuelle et la relation au milieu. Il s'agissait aussi d'éviter de livrer nos conclusions personnelles dans un discours et plutôt de suggérer des pistes de recherche, de poser des questions, d'apporter un nouveau matériel, de proposer des débats, de poser des petits gestes quoi! Nous devons ajouter que la préoccupation pédagogique a pris beaucoup de place cette année et que nous n'avions pas prévu d'activités systématiques en regard de la conscientisation.

Toute réflexion sur ce thème de la conscientisation ne peut être achevée et classée. C'est essentiel de l'ajouter à ce qui se passe concrètement, de l'échanger avec d'autres et de la reprendre encore... Ainsi, dire que l'on veut ouvrir le politique soulève l'importance de redéfinir la place du politique dans nos ateliers, de poser de nouveaux paramètres, de nouvelles balises.

Pédagogie

Le choix et la mise en œuvre d'une méthode pédagogique restent peut-être la principale préoccupation des animateurs d'un groupe d'alphabétisation. À Lettres en main, nous nous sommes attardés sur la démarche de Célestin Freinet, soit la méthode naturelle, qui s'articulait autour de principes conformes à notre orientation.

Par contre, il nous est vite apparu que toute réflexion théorique doit s'assouplir au contact des exigences de la pratique. Voilà pourquoi chacun des animateurs a choisi de déposer un bilan de son expérience à la fin de ce chapitre.

Méthode naturelle et alphabétisation

La méthode naturelle, telle que définie par Célestin Freinet, s'appuie sur un certain nombre de grands principes:

  • tâtonnement expérimental: prenant pour acquis que l'être humain apprend grâce à ses erreurs, ce principe pourrait trouver sa substance dans l'analogie suivante: c'est en se jetant à l'eau que l'on apprend à nager.
  • respect et utilisation du vécu des apprenants: il s'agit de reconnaître que l'apprenant possède une somme de connaissances et d'expériences très valables qu'il faut utiliser pour mener plus loin le processus d'apprentissage.
  • respect du système d'apprentissage de chacun
  • utilisation du groupe comme ressource: le groupe peut servir d'outil d'entraide, de support moral et intellectuel pour faciliter sa propre démarche et celle des individus qui le composent; de plus, il permet de focaliser les énergies et les habiletés de chacun sur une prise en charge de toutes les étapes d'une réalisation collective; ainsi, les apprenants peuvent accéder à la globalité d'une démarche et en présenter fièrement le résultat.
  • multiplicité des apprentissages: l'acte d'apprendre ne saurait être réduit à l'apprentissage exclusif d'un «objet» donné, mais doit plutôt s'inscrire à l'intérieur d'une démarche intellectuelle globale, non encadrée dans un ordre hiérarchique d'acquisition des savoirs.- relation au milieu naturel et social: l'être humain n'est pas une entité éthérée mais bien un être social inscrit dans un milieu donné; aussi, le processus d'apprentissage doit tenir compte de cette réalité. Dans cette optique, il s'agit de tirer, partie des ressources du milieu et de relier les actes d'apprentissage à des situations réelles et vécues.
Malgré l'attrait évident d'un tel type de démarche pédagogique, la mise en pratique de ce cadre théorique soulève un grand nombre de réflexions et d'interrogations.
  • tâtonnement expérimental:
Principe très séduisant, le tâtonnement expérimental se heurte pourtant au manque de confiance des participants face à l'écriture. En fait, contrairement aux enfants pour qui le fait de ne pas savoir est tout à fait normal, les adultes vivent cet état comme étant très dévalorisant; ils hésitent à étaler leurs carences devant tout le monde. Aussi, leur demander d'apprendre grâce à leurs erreurs équivaut souvent pour eux à faire étalage de leur ignorance. Évidemment, avec le temps, la confiance grandit et une telle démarche devient plus rentable. Pourtant, à court terme (et n'oublions pas que les apprenants ne viennent à Lettres en main que six heures/semaine) les participants ne perçoivent pas les apprentissages qu'ils peuvent réaliser et réalisent effectivement grâce à cet outil. Dans cette optique, il est permis de se demander jusqu'à quel point nous devons privilégier une telle démarche.
  • respect et utilisation du vécu des participants:

Avant de s'étendre sur ce principe, il s'agit tout d'abord de définir ce que l'on pourrait appeler le «code culturel» des participants. Nous avons réussi à établir consensus autour de la définition suivante. Le code culturel correspond aux différents aspects du vécu des participants; contexte de travail ou de non-travail; famille; quartier; loisirs, etc. Le code linguistique en constitue un sous-ensemble qui comporte lui-même 2 niveaux: l'oral et l'écrit.

Donc, lorsqu'on parle de respect du code culturel des apprenants, on y sous-entend le respect du code linguistique. Or, comment concilier leur façon de parler, de s'exprimer avec les règles et les normes qu'exigent la transmission écrite, le code écrit?

Cette interrogation nous a amenés à préciser de quelle façon chacun conçoit ce respect du code linguistique par rapport à l'obligation d'enseigner un code qui renvoie souvent aux apprenants le fait qu'ils prononcent mal un mot, en utilisent mal un autre, etc.

Il faut donc établir auprès des participants la différence fondamentale qui existe entre l'oral et l'écrit. En effet, lorsqu'on parle à quelqu'un, on n'utilise pas que la parole au sens strict. Le discours s'accompagne d'intonations, de mimiques, de gestes qui aident à sa compréhension. De plus, si on ne comprend pas bien, on dispose de toute la latitude possible pour des questions, demander des éclaircissements, etc.

Or, le code écrit, n'étant pas entouré de tout le contexte présent dans une conversation, demandera nécessairement plus de précision. De plus, contrairement au code oral qui se modifie d'une région à l'autre, d'un pays francophone à un autre, le code écrit est, lui, universel. Ainsi, bien qu'il puisse exister une multitude de prononciations pour un mot, il s'écrira toujours de la même façon.

Cette explication permettra, à la fois de ne pas dénigrer le code oral utilisé par les participants et de faire comprendre l'importance d'écrire correctement les mots dans un français universellement reconnu.

D'autre part, lorsqu'on parle de respect du code culturel des participants, cela sous-entend également l'utilisation de situations, de thèmes, qui réfèrent au vécu des apprenants. En effet, le fait de ne pas savoir lire et écrire ne veut pas dire ne rien savoir. C'est donc à travers l'utilisation de thèmes et de situations en étroite relation avec leur contexte de vie, leurs expériences que les participants seront, d'une part plus à l'aise pour s'exprimer, tant oralement que dans l'écrit et, d'autre part, sentiront de façon plus palpable l'utilisation qu'ils peuvent faire de l'écrit dans leur quotidien.

Par contre, plusieurs questions restent toujours en suspens. Comment circonscrire le vécu des participants? Comment faire pour leur permettre d'accéder à des réalités qui échappent à leur expérience tout en utilisant leur vécu? Jusqu'à quel point pouvons-nous utiliser ce vécu quand les participants eux-mêmes le dévalorisent? De plus, jusqu'où peut-on agir sur leur vécu, surtout quand il ne s'est pas encore installé de dynamique à l'intérieur d'un groupe qui permette aux participants de parler de ce vécu?

  • respect du rythme d'apprentissage de chacun

Dans chacun de nos groupes, il existe des différences dans le rythme d'apprentissage des participants: certains comprennent et apprennent plus vite que d'autres. Il arrive même qu'un individu ait un rythme d'apprentissage qui fasse en sorte de le détacher du groupe. Comment doit-on orienter notre pratique afin que ni ceux qui apprennent plus rapidement, ni ceux qui sont plus lents ne soient lésés ou développent de la culpabilité?

Nous croyons, et notre expérience le confirme, qu'il est moins insécurisant et moins menaçant pour un apprenant d'avoir un rythme personnel d'apprentissage accéléré plutôt que lent. Les moyens utilisés pour éviter la démobilisation en tiendront donc compte.

Moyens:

  • installer dans le groupe un climat qui fasse en sorte que les plus rapides utilisent cet avantage pour aider ceux qui auraient plus de difficulté. Ainsi, on canalisera le fait qu'ils apprennent plus vite dans une activité qui non seulement leur donnera un sentiment de valorisation mais également servira à l'ensemble du groupe. Concrètement, on procédera à des jumelages.
  • un climat de travail axé sur le respect du rythme de chacun procurera une latitude suffisante à l'animateur pour apporter une attention plus individualisée au ou aux participants qui auraient plus de difficulté. Concrètement, le groupe pourra accepter de travailler à des activités individuelles ou collectives pendant que l'animateur fera de l'individuel avec ceux qui en auront besoin.

Par contre, certains participants, à cause d'un grand nombre de facteurs (problèmes émotifs, matériels, mauvaises conditions de travail, etc.) n'arrivent pas à accroître leur rythme d'apprentissage,se découragent et projettent d'abandonner les ateliers. Que faire dans ce cas? Une piste nous semble intéressante.

Dans un premier temps, l'animateur devra évaluer avec le participant la réversibilité ou l'irréversibilité d'une telle décision. Correspond-elle à un sentiment de découragement, comme tous les participants en connaissent un jour ou l'autre? Dans un tel cas, on pourra relater l'expérience d'autres participants qui ont vécu de tels moments ou même susciter une rencontre entre eux. Il ne faut pas craindre d'aborder ce sujet dans les ateliers. L'expression des expériences et sentiments de chacun peut constituer un outil de support important et renforcer les liens dans le groupe.

D'autre part, il ne faut pas perdre de vue qu'un des principaux objectifs visés par l'activité d'alphabétisation est l'autonomie des participants. Il faut respecter leur choix. Il y a une différence entre proposer des avenues nouvelles de réflexions qui pourraient nuancer ou changer la décision et exercer des pressions morales sur le participant concerné pour qu'il reste. Autant le fait de poser le geste de venir apprendre, de façon volontaire, peut constituer une grande source de motivation et d'énergie, autant le fait de venir apprendre pour faire plaisir à, pour ne pas faire de peine à, peut entraîner une perte d'énergie. Ça peut même devenir un facteur de démobilisation dans un groupe.

  • utilisation du groupe comme ressource et mise au ban du principe de compétition
    Ces principes sont à la base de notre action pédagogique. En effet, le groupe nous semble un outil indispensable pour générer chez les participants, et leur permettre de vivre pratiquement, un ensemble de nouvelles valeurs axées autour de l'entraide, de la solidarité et de l'échange des expériences de chacun. Grâce à cet apprentissage, les participants peuvent briser l'isolement et comprendre que l'analphabétisme est un problème social et non pas individuel. Par contre, une telle démarche soulève un grand nombre de problèmes reliés à l'animation. En effet, les personnalités des participants et les situations qui surgissent sont très différentes d'un groupe à l'autre. Aussi, l'animateur doit-il composer avec tous ces éléments pour en arriver à faire naître une dynamique qui permette au groupe de jouer son rôle?
  • - pédagogie du projet et multiplicité des apprentissages
    Même si ces deux principes tiennent une place très importante chez Freinet, nous devons admettre que nous ne les avons exploités que très sommairement. Plusieurs raisons expliquent cet état de chose: l'organisation du temps à l'intérieur des ateliers (2X3 h/sem.) qui ne permet pas un suivi aussi intensif qu'à l'école où les enfants sont présents cinq fois par semaine; la demande des participants qui est réduite et circonscrite à l'apprentissage immédiat de la lecture et de l'écriture; la capacité des adultes à se concentrer sur une matière donnée, ce qui rend moins présente l'obligation de diversifier les apprentissages; enfin, Lettres en main est un groupe très jeune (à peine 2 ans) qui n'a pas eu le temps de tout expérimenter.

Pourtant, les quelques expériences que nous avons menées dans ce sens (journal de bord, service d'aide à l'écriture pour la communauté du quartier, conte collectif pour enfants) nous a permis d'avancer les hypothèses suivantes:

  • les travaux manuels accrochent plus chez les complets parce que ce serait des activités par le biais desquelles ils peuvent se valoriser, tandis que les fonctionnels semblent plus intéressés à des activités liées plus directement à la lecture et à l'écriture, sans doute parce qu'ils ont des connaissances suffisantes dans ce domaine pour ne pas se sentir totalement insécures.
  • au niveau de la préparation du projet, il nous semble qu'à cause de notre organisation du temps à l'intérieur des ateliers, il faille prendre soin de choisir des projets courts et rapidement réalisables, de les présenter avec soin aux participants afin de soulever leur intérêt et de faire attention à ce qu'ils ne les perçoivent pas comme des activités puériles. De plus, une fois le projet engagé, il s'agit de ponctuer l'expérience de bilans évaluatifs des apprentissages afin qu'ils puissent se rendre compte de leurs acquisitions et, peut-être, vaincre des réticences dues à l'impression de ne pas avancer suffisamment.
  • enfin, le projet serait peut-être plus applicable dans un groupe hétérogène où la répartition des tâches pourrait mieux répondre aux intérêts de chacun.

Voilà donc quelques éléments de réflexion que nous comptons vérifier à la lumière de la pratique pour l'année qui vient.

  • relation au milieu naturel et social Jusqu'ici, nous n'avons pas véritablement mené de réflexion sur ce principe. En fait, à part quelques expériences isolées (sortie de groupe pour acheter une horloge, rencontres avec des groupes communautaires du quartier travail sur des objets de de consommation courante, nous n'avons pas vraiment appliqué ce principe. Pourtant, nous croyons qu'il serait important de s'y attarder dans l'avenir. En effet, les quelques expériences que nous avons vécues nous ont permis de mettre certaines questions sur la table. Les participants ont-ils le goût de sortir de leur salle de travail pour connaître les ressources du quartier? Ont-ils une confiance suffisante en eux-mêmes pour accepter d'être identifiés publiquement comme des analphabètes?

Il s'agirait pourtant de se demander jusqu'à quel point toutes ces réflexions et ces interrogations trouvent leur écho dans notre pratique alphabétisante concrète. Voilà pourquoi, dans les pages qui suivent, chacun des animateurs brossera un tableau de son atelier.

Atelier 1

Participants

Guy: 49 ans
Québécois
Assisté social
Connaît les syllabes simples

Gladys: 26 ans
Haïtienne
Assistée sociale
Connaît quelques syllabes simples

Marcel: 44 ans
Québécois
Bénéficiaire de l'assurance-chômage
Semi-fonctionnel
Difficultés avec quelques syllabes complexes

Micheline: 37 ans
Québécoise (anglais, langue maternelle)
Assistée sociale
Connaît les syllabes simples et quelques syllabes complexes

Francine: 40 ans
Québécoise
Assistée sociale
Légèrement déficiente
Semi-fonctionnelle

Pierre: 26 ans
Québécois
Travaille comme garde de sécurité
Ne connaît pas toutes ses lettres
Véritable complet

Déroulement de la session

Il s'agirait tout d'abord de dire que c'était mon premier contact avec un groupe de complets. Auparavant, j'avais travaillé avec des semi-fonctionnels et des fonctionnels. Je dois admettre que la réalité des complets m'a passablement désarçonné. En effet, alors que j'avais pris des habitudes de travail axées sur la maîtrise d'outils tels le dictionnaire et le Bescherelle des verbes et sur une compréhension grammaticale des phrases, je me trouvais confronté à des gens pour qui ce type de travail ne pouvait s'adapter. Ainsi, les premiers ateliers ont été très difficiles, surtout avec l'arrivée de Pierre, qui était plus faible que tous les autres, au cinquième cours.

Pendant les six ou sept premiers ateliers, j'ai donc dû me contenter de proposer au hasard, avec plus ou moins de succès, certaines activités classiques (faire des chèques, apprendre les chiffres, lire les grands titres du journal, etc.). Il va de soi que, pendant cette période, il n'était pas question de démarche, et encore moins d'objectifs à atteindre. En fait, je devais me contenter d'apprendre à m'imprégner des problèmes de chacun relativement à la lecture et l'écriture et d'attendre le filon qui me permettrait d'élaborer une démarche et des objectifs réalistes. Par contre, le temps pressait; en effet, le climat devenait intenable à l'intérieur du groupe. Quand je travaillais avec les plus faibles, les plus avancés s'ennuyaient et, si j'intervenais auprès de ces derniers, les autres se sentaient totalement dépassés.

La solution à ce dilemme vint un peu par hasard, a la suite d'une discussion avec Louise, une animatrice qui avait déjà travaillé avec des complets. Elle me suggéra plusieurs pistes de travail. L'une d'entre elles me sembla particulièrement intéressante; il s'agissait de trouver des objets à l'intérieur du local, d'y accoler un mot d'action (un verbe) et de faire une phrase. Le résultat dépassa mes espérances; tout le monde se montra très satisfait de l'atelier. En effet, tous les participants y trouvaient leur compte; ce que Pierre ou Gladys ne pouvaient identifier a l'intérieur d'une phrase, Marcel ou Francine s'en chargeait.

Dès lors, je continuai à travailler en global, tout en diversifiant la façon d'aborder les phrases. Après un certain temps, d'ailleurs, les participants en sont venus à faire des phrases facilement, sans l'aide d'outils proposés du genre «moi, je pense que...parce que...). Puis, vers la sixième semaine, Francine dut quitter l'atelier,ce qui contribua à solidifier le groupe (voir la section «fonction de groupe»). Le travail sur les phrases se poursuivit ainsi jusqu'à la mi mai, date à laquelle des participants décidèrent d'un commun accord de terminer l'atelier à cause des absences qui se multipliaient avec l'arrivée des beaux jours. À ce moment, nous avions commencé à aborder le texte collectif, à l'intérieur duquel les participants commençaient à devenir critiques les uns envers les autres quant au contenu des phrases.

Fonction de groupe

Il va de soi que le climat qui règne à l'intérieur d'un groupe d'apprenants peut se révéler déterminant quant à la qualité du processus d'apprentissage de chacun. En fait, en tant qu'animateur travaillant dans un groupe populaire d'alphabétisation, je verrais très difficilement comment je pourrais évaluer mon travail sans tenir compte de la réaction de mon groupe. Encore faut-il que l'on puisse parler de groupe.

Quand je suis entré pour la première fois dans le local où devait se dérouler mon atelier, je me suis rendu compte que je me trouvais devant une collection d'individus très différents. Ma première préoccupation a été de faire en sorte que les gens soient à l'aise avec moi, ce qui fut relativement vite fait, et entre eux, ce qui fut moins facile.

En fait, trois événements majeurs ont permis l'émergence de cette entité que l'on appelle le groupe. Deux de ces derniers se sont déroulés pratiquement à mon insu, tandis que j'eus la possibilité d'intervenir pour l'autre.

Guy fut à l'origine du premier de ces trois événements. Guy est un homme qui semble très timide. Il avait l'habitude de toujours crier, de critiquer les moindres détails (les chaises étaient sales, les tables trop basses, le café trop froid, etc.) et de se montrer très familier avec les participantes. Au début, tout le monde avait un réflexe de retrait devant la manifestation de son exubérance. Puis, avec le temps, les femmes apprirent à le remettre doucement à sa place et les hommes à prendre le même ton que lui, ce qui l'amena à adoucir le sien. Ainsi, le climat se détendit et les gens apprirent petit a petit à s'apprécier, ce qui forgea un certain climat de détente à l'intérieur du groupe.

Le deuxième événement fut plus difficile à concevoir pour un animateur préoccupé d'action communautaire. En effet, il concerne le départ de Francine. Cette dernière est une déficiente légère qui a beaucoup de difficulté à ne pas se disperser et à fixer son attention sur un sujet donné. Aussi, avait-elle l'habitude de prendre beaucoup de place au sein de l'atelier et de distraire systématiquement tout le monde au moment des discussions. Une telle façon d'être irritait tous les participants au point que certains d'entre eux ne voulaient plus venir aux ateliers. Aussi, quand elle dut cesser de venir a cause de sa mère malade, les gens ont poussé des soupirs de soulagement et ont retrouvé le plaisir d'être ensembles.

Le dernier de ces trois événements concerne l'état du local où se déroulaient les ateliers. Le local, qui était en fait une cuisine, servait à plusieurs groupes qui travaillaient au carrefour communautaire où nous avons nos locaux. Un jour, en entrant, nous trouvâmes la pièce sans dessus dessous. Quelqu'un était passé avant nous et avait oublié de ramasser ses dégâts. Évidemment, les participants n'apprécièrent pas du tout la situation; en effet, si nous voulions avoir un atelier, nous étions obligés de faire le ménage. Aussi, tout le monde se sentait de méchante humeur et parlait de se plaindre au directeur du carrefour communautaire. J'en profitai donc pour suggérer aux participants de faire une plainte écrite que tout le monde signerait. L'idée fut accueillie avec enthousiasme. Je me retirai donc du local et ils écrivirent leur note qu'ils déposèrent ensuite tous ensembles au bureau du directeur. Dès lors, il s'établit une espèce de complicité entre les participants qui devait se poursuivre jusqu'à la fin de la session. Enfin, j'avais affaire à un groupe véritable. Ceci se passait aux alentours de la cinquième semaine d'activité.

À partir de ce moment, mon travail devint plus facile et les gens apprenaient beaucoup mieux. En fait, chaque groupe a son identité propre et il faut apprendre à reconnaître cette dernière afin de travailler à l'aise. C'est le groupe qui par sa réaction, ou son absence de réaction, en vient à déterminer la façon de travailler de l'animateur; c'est lui qui fixe la pertinence des outils employés, l'intérêt de la démarche entreprise et le climat dans lequel doit se faire l'apprentissage. De plus, le groupe favorise le travail individuel de chacun des apprenants en éliminant le concept de concurrence, en permettant à chacun de se sentir épaulé dans sa démarche personnelle et en agissant comme fortifiant contre le découragement et l'angoisse d'apprendre trop lentement.

Évidemment, cette dynamique n'apparaît pas toujours ou encore peut disparaître pour plusieurs raisons (nouveaux arrivés qui transforment les relations, insuffisances ou maladresses des animateurs, etc.). Par contre, dans ce groupe particulier, j'ai eu la chance de voir se poursuivre cette espèce de magie et, dois-je le dire, j'en suis très heureux.

Outils pédagogiques

Phrases des participants

Cet outil, qui fut l'essentiel de mon travail pour la dernière session, est apparu un peu par hasard comme je l'ai expliqué précédemment. En fait, il s'agissait pour moi de trouver un filon qui me permettrait d'engager un processus d'apprentissage efficace. Aussi, la suggestion de Louise, soit de demander aux participants de trouver des objets dans la salle de travail (une cuisine en l'occurrence) et d'y accoler un mot d'action, fut-elle accueillie avec enthousiasme. Alors qu'auparavant, les participants se sentaient incapables de faire une phrase, ils réussirent au cours de cet atelier à en construire six:

  • J'efface le tableau.
  • J'allume le néon.
  • Je lave la vaisselle.
  • Je fais à manger sur le poêle.
  • Je mets le lait dans le frigidaire.

Pourtant, au-delà des phrases elles-mêmes, l'intérêt de cet exercice réside dans le fait que chacun soit mis à contribution selon ses connaissances et sa compréhension. Ainsi, tous les participants étaient sollicités pour la construction de chaque phrase. Dans un premier temps, les plus avancés devaient tenter de l'écrire dans leur cahier. Quant aux autres, ils devaient identifier soit des lettres, des syllabes ou des mots. Puis, on tentait d'écrire la phrase au tableau, en tenant compte des trouvailles de chacun. Enfin, on regardait systématiquement toutes les difficultés qui se présentaient, en mettant l'accent sur celles des plus faibles.

À la fin de l'atelier, quand vint le moment de l'évaluation, tous les participants se montrèrent enchantés de cette forme de travail, ce qui m'encouragea à continuer dans cette veine.

Dans les cours qui suivirent, j'employai sensiblement la même approche, tout en variant et complexifiant les consignes. Ce fut tout d'abord de trouver des objets hors de la salle de travail; puis de proposer des débuts de phrases du genre «moi je pense que...»; enfin de complexifier le tout avec des formules du genre «moi, je pense que...parce que...». À la fin de cette période, qui dura près d'un mois, les participants étaient à même de formuler oralement, des phrases sur un sujet donné. Évidemment, la syntaxe laissait parfois à désirer; pourtant, le fait de construire une phrase ne les bloquait plus.

Au cours de cette même période, j'ajoutai un élément nouveau au travail sur les phrases. Il s'agissait de les lire en groupe au tableau. En fait, seuls les meilleurs, soit Marcel, Francine et Guy, étaient à même de les lire au complet. Quant aux autres, je leur demandais de suivre la lecture des autres et, de temps à autre, j'interrompais cette dernière pour leur demander d'identifier le mot où l'on était rendu. Au début, ils ne parvenaient pas à le faire; puis, avec le temps, ils développèrent certaines habiletés (reconnaître certains sons, certaines lettres) qui leur permirent d'effectuer un tel exercice. Cette forme de travail s'avéra d'ailleurs très rentable puisque, à la fin de la session, tout le monde parvenait au moins à reconnaître ses propres phrases, ce qui n'était pas le cas au début.

Après cette période de construction de phrases avec une aide technique de l'animateur, les participants avaient démystifié la phrase au point de pouvoir en formuler sans appui extérieur autour d'un thème donné. Évidemment, les phrases redevinrent très simples et déconnectées les unes des autres. Par exemple, pour la journée du 8 mars, nous avons travaillé sur le thème de la femme. Alors que les discussions furent très intéressantes, le résultat fut pour le moins mitigé avec des phrases du genre:
  • Une femme peut sortir un homme.
  • Un homme, ça peut aller au bingo.

Pourtant, vers la fin de la session, ils commençaient à se sentir plus à l'aise pour s'asseoir ensemble et réfléchir sur une production écrite plus cohérente et structurée. Dans ces moments là, j'en profitais pour m'esquiver de la salle de travail et les laisser travailler ensemble. En effet, l'expérience nous avait appris que dans de telles situations, les participants ont plus tendance à tirer profit de leurs connaissances respectives car ils ne peuvent plus se fier au savoir de l'animateur. D'ailleurs, dans ce groupe particulier, je me suis vite aperçu que les gens appréciaient cette façon de travailler. Afin d'illustrer ce propos, je reprendrais une situation déjà mentionnée dans la partie «fonction de groupe». Un jour où nous avions un atelier, nous nous sommes rendus compte que notre local était très sale et en désordre. Évidemment, tout le monde était mécontent. Je suggérai donc d'écrire une note afin de nous plaindre. Les participants approuvèrent la suggestion et je me retirai du local afin de les laisser travailler. Quand je revins, près d'une heure plus tard, ils me présentèrent fièrement le résultat de leur travail: «S.V.P. laissez la cuisine propre parce que ce n'est pas plaisant de venir travailler quand c'est sale.» Après cette expérience, ils accueillirent toujours avec enthousiasme le fait de passer une période à travailler sans animateur.

L'exemple qui précède me permet d'introduire une autre donnée de mon travail. En effet, il ne sert à rien d'écrire des phrases déconnectées de la réalité des participants. Mais, comment circonscrire un sujet qui puisse les intéresser. Auparavant, les animateurs décidaient d'un thème qui pouvait soulever l'adhésion des participants. Malheureusement, nous nous sommes rapidement rendus compte que ces thèmes tombaient à plat. Voilà pourquoi, lors de notre dernière recherche-action, nous avions soulevé l'hypothèse qu'il serait peut-être plus intéressant de se tenir à l'affût des sujets qui pourraient émerger lors des pause-cafés ou des discussions à bâtons rompus à l'intérieur des ateliers. Nous croyions que les sujets apparaissant spontanément dans ces situations pourraient intéresser les participants beaucoup plus que les thèmes proposés par les animateurs.

Cette année, j'ai essayé de travailler de cette façon. Il est très difficile d'évaluer une telle méthode de travail; parfois, les résultats ont été plus que satisfaisants, comme dans l'exemple de la plainte au directeur du centre à cause de la saleté de la cuisine, et d'autres fois, les résultats ont été très mitigés. En fait, je crois que tout tient à l'habileté de l'animateur à récupérer une situation et à structurer rapidement la façon de la traiter. Hélas! il y eut des moments où je n'ai pas fait preuve de toute l'habileté nécessaire. Un jour, par exemple, Guy avait apporté des revues pornographiques à l'atelier. Je crus alors tenir un sujet en or pour générer une discussion. Pourtant, peut-être à cause d'une certaine maladresse de ma part ou de ce que les participants n'avaient pas envie de s'embarquer sur un tel sujet, rien ne sortit de la discussion. En fait, ce fut un atelier tout à fait raté. Heureusement, il n'y en eut pas beaucoup de ce genre. Pourtant, la question demeure: est-ce que cet atelier se serait mieux déroulé si j'avais préféré le préparer soigneusement au dépens d'une certaine spontanéité?

Quant à l'évaluation des acquis des participants à l'intérieur d'une telle méthode de travail, je dois admettre qu'elle me cause certains problèmes. En effet, une approche globale de l'écriture et de la lecture suppose l'apprentissage global d'un code.

Pourtant, certains acquis sont aisément identifiables. Ainsi, à la fin de la session, tout le monde pouvait construire oralement une phrase destinée à être écrite. De plus, au niveau des attitudes, tous les participants se sentaient à l'aise pour s'exprimer et, même, pour critiquer le travail de l'animateur. Enfin, sauf dans le cas de Francine qui n'est pas restée assez longtemps dans l'atelier, tous les participants avaient fait des progrès, Guy reconnaissait toutes les nasales, les sons «ou«, «au», et «eu», ainsi que certaines consonnes doubles comme «ch», «tr», et «bl». Gladys, pour sa part, pouvait maintenant lire assez bien, en plus de maîtriser plusieurs syllabes complexes. Quant à Marcel, il parvenait à tout lire sans difficultés et à écrire, souvent avec des fautes il est vrai, tous les mots qu'il entendait; de plus, il commençait à saisir certaines réalités grammaticales (pluriel, verbes, etc.) qui lui échappaient au début de la session. Pour ce qui est de Micheline, il est plus difficile de cerner certaines acquisitions en particulier, sauf peut-être les nasales. Enfin, Pierre reste celui qui a fait les progrès les plus spectaculaires: à la fin de la session, il reconnaissait toutes ses lettres, il pouvait écrire toutes les syllabes simples et certaines plus complexes.

Par contre, au-delà de ces acquisitions immédiatement identifiables, tous les participants ont appris des choses plus difficilement évaluables. Certains d'entre eux avaient photographié des mots ou des structures grammaticales qui parvenaient à me surprendre dans les derniers ateliers. Ainsi, Pierre a très vite appris à reconnaître et à utiliser les mots «pour» et «avec». Mais, comment évaluer avec précision l'ampleur des acquisitions?

Cependant, malgré ces difficultés d'évaluation, je crois vraiment qu'il faut continuer cette démarche, ne serait-ce que parce qu'elle se révèle efficace tout en plaisant aux participants.

Même si ce travail sur les phrases des participants a occupé le plus clair de mon temps pendant la session, il m'est arrivé à l'occasion d'aborder d'autres types d'approche. Un bilan de ma session serait donc incomplet si je ne tenais pas compte de ces digressions ponctuelles. Dans cette optique, je tiens à présenter deux expériences qui se sont révélées l'une très positive et l'autre absolument désastreuse.

Distribution aux consommateurs

Tentée dès le second atelier, à l'époque où je ne savais pas encore comment composer avec mon groupe, cette expérience s'est avérée très intéressante. Elle s'est déroulée en trois étapes: explication du fonctionnement technique du magasin; visite des lieux physiques; achat d'une horloge pour Lettres en main.

Dans un premier atelier, à la suggestion de Francine, nous avons regardé des catalogues de Distribution aux consommateurs et chacun des participants s'est pratiqué à remplir des bons de commande que nous nous étions préalablement procurés. Une fois ce travail terminé, nous nous sommes tous rendus au magasin pour que je puisse expliquer sur place le processus d'achat.

Deux jours plus tard, je leur ai demandé s'ils voulaient bien acheter une horloge pour Lettres en main. Comme la réponse me semblait suffisamment enthousiaste, nous nous sommes de nouveau rendus au magasin. Là, les participants ont pris en main toutes les démarches de l'achat et sont revenus fièrement au local de Lettres en main avec l'horloge.

Cette expérience eut même des suites; en effet, une semaine plus tard, Francine alla acheter toute seule un cadeau pour sa mère. Puis, plus tard, j'appris que Marcel et Micheline, qui vivent ensemble, allaient à l'occasion faire des achats dans ce magasin. En fait, il s'agissait tout simplement de démystifier un lieu faisant partie intégrante du milieu naturel des participants pour que ces derniers puissent y avoir accès.

Malheureusement, cette expérience resta unique. En effet, je n'ai pas su tirer partie de l'intérêt soulevé et trouver d'autres activités analogues. Cela vaudrait sans doute la peine qu'on s'y attarde un jour.

Horaire de télévision

Pour ce travail, il s'agissait de proposer aux participants de construire l'horaire d'une journée de télévision idéale en tenant compte des heures d'écoute, des commanditaires et de leurs intérêts comme téléspectateurs. Afin de les aider à mener cet exercice à terme, je m'étais procuré quelques horaires de télévision.

Tout confiant en l'intérêt qu'aurait dû susciter un travail de ce genre, je quittai la salle pour les laisser travailler. Quand je revins, quelques minutes plus tard, je dus désenchanter; ils n'avaient rien fait.

En fait, j'avais sous-estimé les problèmes que pouvait présenter la réalisation d'une telle entreprise. En effet, j'aurais dû prévoir qu'ils ne savaient pas reconnaître les heures, qu'ils étaient dans l'ensemble incapables de faire l'addition 12 + 7 = 19 pour comprendre que 19h00 égale 7h00 du soir, qu'ils ne pouvaient absolument pas écrire des titres de séries américaines comme Mannix ou Dan August. De plus, en présentant le projet, j'avais multiplié les consignes sans tenir compte du fait que je n'aurais peut-être pas pu moi-même venir à bout d'un tel travail sans me casser la tête.

Bref, à la fin de l'atelier, les participants me demandèrent d'abandonner le projet, ce que je fis de bonne grâce.

Conclusion

En définitive, malgré les erreurs et les maladresses que j'ai pu commettre, je crois que j'ai connu une très bonne session. Les participants ont appris à s'apprécier, à s'exprimer et à critiquer les outils qui leur étaient présentés. De plus, ils sont sortis des ateliers un peu mieux armés face aux problèmes relatifs à la lecture et à l'écriture. Évidemment, on peut toujours faire mieux, mais j'ai l'impression d'avoir réussi à dégager certaines pistes pouvant faciliter le processus d'apprentissage d'un groupe de complets. Il reste donc à s'interroger sur ces pistes et à tenter de les pousser plus loin.

Atelier 2

Il y a à peine six mois que je travaille en alphabétisation. Six mois et une quarantaine d'ateliers de soir, avec des analphabètes «complets». C'est peu. Et beaucoup en même temps. Peu pour couvrir le terrain du possible en alphabétisation Beaucoup en regard de ce que j'y ai appris.

Je savais des choses sur l'alphabétisation. Je ne les avais pas vécues. C'est donc aux premiers pas de cette expérience que j'essaierai de donner vie dans les pages qui suivent.

Premiers contacts ou le goût de s'apprécier

Mon objectif principal, lors des premières rencontres, était de connaître les participants et de me faire connaître d'eux. Le premier contact est souvent déterminant. C'est donc la dimension affective de l'atelier qui m'a le plus préoccupée au début.

Les premières questions que j'ai posées à mes participants s'articulèrent autour des thèmes suivants: le milieu familial, social, de travail, la santé, les moments ou les lieux où ça nuit le plus de ne pas savoir lire et écrire, les souvenirs de l'école, les trucs, les talents et habiletés développés en dehors de l'école. On a parlé de toutes ces questions longuement. On a beaucoup appris les uns des autres.

Les participants de mon atelier n'en étaient pas à leurs premiers pas à Lettres en main pour la plupart, ça faisait en moyenne un an et demie qu'ils avaient commencé le processus d'alphabétisation. Le groupe s'est avéré être assez homogène. Le niveau socio-économique d'abord est moyen. Les emplois sont manuels (garage, rembourrage, cuisines, petites «shops»), 2 personnes reçoivent de l'aide sociale. Ensuite, l'âge varie de 30 à 41 ans et il y a une femme et quatre hommes dans le groupe. On vit en famille ou seul. La santé (plutôt la maladie) est omniprésente dans leur vie. La plupart ont fréquenté l'école quelques courtes années interrompues. De plus, les participants connaissent les approches de Lettres en main. L'animatrice précédente utilisait beaucoup les techniques Freinet et elle avait développé de bons rapports avec eux. Je rencontrais donc un groupe dynamique, motivé se connaissant déjà et avec beaucoup de jasette! La composition du groupe changera peu durant la session (2 sorties et 1 arrivée). J'ajoute que je me présentai comme une débutante: surtout, ne pas être infaillible!

Le premier problème que j'ai rencontré fut l'absence de matériel écrit. Je m'y attendais cependant. Je savais, en commençant ce travail, que je ne trouverais pas d'infra-structure toute faite pour «partir» le groupe. C'est d'ailleurs là une des originalités des groupes populaires! C'est là aussi un des principes de la méthode naturelle.

Je savais aussi l'arbitraire d'une gradation linéaire des savoirs et d'un livre/marche à suivre; je savais que le tâtonnement l'emporte sur le discours, que le respect du rythme et du vécu de chacun est aussi important que la relation du milieu. Bref, je savais des choses mais maintenant j'avais des choses à faire!

Les textes collectifs ou le plaisir de s'écrire et de se lire

Les premiers textes collectifs sont arrivés très vite. En plus du matériel à bâtir, on avait aussi décidé de tenir un journal de bord. La suggestion venait de moi mais le groupe avait déjà tenu un tel journal et l'idée leur a plu. Je dois dire cependant que le journal n'a été présent que sporadiquement.

Les thèmes qui ont déterminé les discussions et les textes à écrire furent de tous ordres. Peu à peu, ils se sont diversifiés couvrant des réalités nouvelles. Ils venaient ou du groupe ou d'un participant ou de moi dans le désordre. On s'est d'abord présenté comme groupe de personnes analphabètes, on a parlé des problèmes de l'emploi (pas parce qu'il fallait en parler, mais parce qu'Yvon avait été congédié) des syndicats (André y est impliqué), des homosexuels (Michel en est), des handicaps divers (Yvon et Bernard sont handicapés visuellement), de la santé, de la solitude, et de la liberté (pour la journée des femmes). L'éventail est large, l'utilisation possible aussi. Des fois, on discutait seulement, d'autres fois, on écrivait.

Même si le processus des textes collectifs est lent, il fait appel à plusieurs attitudes et capacités importantes: donner son opinion, écouter celle des autres, exprimer ses perceptions, faire un choix des idées à conserver, les formuler, parler beaucoup avant d'écrire donc. Ensuite seulement, je note au tableau. Ceux qui veulent émettre des hypothèses pour l'écriture sont les bienvenus car ils rencontrent alors des difficultés qui permettent des apprentissages nouveaux. En général, on trouve que c'est plus facile à dire qu'à écrire et on découvre que ça ne s'écrit pas nécessairement (et pas souvent!) comme ça se prononce.

Le texte collectif a donné une très bonne partance à l'atelier et aux personnes du groupe (il a été utilisé en début de session surtout). Au niveau des attitudes, ça leur a permis de se connaître comme «multiples» et pas seulement comme analphabètes.

Ça nous a permis de parler, de nous sentir à l'aise et de, peu à peu, développer un rapport. Au niveau des apprentissages, le texte collectif, en plus de proposer une démarche pour développer des capacités, permet de créer un réservoir de phrases, de mots, de difficultés à partir desquels on va travailler, surtout pour la lecture au début.

En ce qui concerne la lecture, disons que j'ai mis l'accent sur le fait qu'on peut lire même si on ne décode pas tous les sons et sur le fait aussi que ça lit mieux quand on essaie de saisir le sens, à mesure qu'on lit. Cela s'avère cependant difficile à réaliser. Les participants en général offrent une certaine résistance à cette approche. Ils préfèrent «démonter la mécanique» plutôt que de prendre le risque de revenir sans cesse en arrière pour relire ce qui a été décodé et saisir le sens, comme si quand on «l'avait eu» une fois, on se compta chanceux!

Ça va vite! Comment évaluer les progrès académiques? Est-ce qu'on ne discute pas trop? Pour quelqu'un qui travaille et qui coupe sur son temps de repos/loisir, est-ce que ça ne devrait pas aller plus rapidement? Pourtant, je crois au tâtonnement! À quoi «écrire et lire» pourrait-il servir concrètement et rapidement aux participants pour encourager et maintenir les apprentissages? Est-ce que je donne un renforcement égal et suffisant à chacun pour ses bons coups? Comment m'assurer qu'on avance? Et ça tourne, et ça tourne!

Les exercices ou le besoin de systématiser

Ce sont toutes ces questions qui m'ont fait essayer les exercices ou des «activités favorisant le tâtonnement» (question d'état d'esprit). J'ai hésité un certain temps à préparer des exercices: j'en avais un peu peur. Encore aujourd'hui d'ailleurs Il me manque des bases pour bâtir un outil utile et fonctionnel. J'ai quand même essayé certaines choses avec plus ou moins de temps et de succès. En voici une liste à peu près complète et dans le désordre (ceci couvre la session):

  • la recherche de mots dans un texte ou dans le dictionnaire (stimulant).
  • la «machine opératoire» suggérée par le Carrefour d'éducation populaire de Pointe St-Charles (excitant).
  • le «listing» de mots à partir d'un thème, la St-Valentin, dans le cas de l'atelier (drôle).
  • la fabrication de phrases à partir de ces mots (laborieux).
  • l'identification de sons décidés d'avance à l'écoute d'une lecture (exigeant)
  • le jeu des cartons pour reconnaître les trois principaux segments de la phrase («bébé» à cause des cartons, dixit les participants).
  • le décompte des phrases d'un texte, des mots, des syllabes ou de certains sons (facile).
  • les phrases à compléter ou à remettre en ordre (rien à dire).
  • la reconnaissance et la classification des «costumes» d'un son (mélangeant).
  • le changement d'un mot, d'une phrase ou d'un texte pour en changer le sens.

Le matériel sur lequel se greffent les exercices est composé des textes collectifs, de phrases que je compose, des phrases écrites par un participant ou le groupe. Un autre exercice auquel le groupe a voulu se prêter, c'est celui d'écrire seul une phrase composée collectivement par exemple avant que je note au tableau. Chacun, par la suite, y va de ses hypothèses (de tous genres: orthographiques, grammaticales ou autres) pour la correction. Cela soulève régulièrement l'enthousiasme dans l'atelier. On prend des risques, on vérifie ses intuitions. Cependant, à ce propos, une question se pose et demeure sans réponse pour moi: d'après Freinet, ce qui est écrit au tableau, le modèle, doit toujours être parfait afin d'éviter de photographier des erreurs. Qu'en est-il vraiment?

Les participants aiment faire des exercices. Ils sont actifs, occupés. La tâche est concrète reposante même car on prend le temps d'asseoir ses nouvelles connaissances, à son rythme. On peut aussi travailler seul.

Cependant, l'exercice n'est pas une panacée. Je ne suis pas toujours à l'aise pour l'utiliser. Il est difficile à construire et délicat à insérer dans un contexte signifiant. Je veux essayer d'éviter que l'exercice ne soit qu'une mécanique stérile qui s'adresse plus à la mémoire à court terme qu'à un véritable processus de la pensée. Ils m'est d'ailleurs difficile de démêler à quel mécanisme de l'apprentissage s'adresse telle ou telle activité.

Je connais bien les étapes (ou niveaux de profondeur?) du savoir qui vont du senti au compris et enfin au su. Je connais aussi certains mécanismes intellectuels tels l'association, la discrimination, la généralisation... je dis bien je connais, car je ne sais pas très bien comment les utiliser.

J'ai quelquefois l'impression que je les ballotte d'une activité à une autre et que ce mouvement ne porte pas en soi de cohérence, de logique, de continuité! De plus, devant la complexité de la langue, comment arriver à «tout couvrir» et à tout intégrer. J'ai donc tendance à courir trop d'objectifs à la fois quand je prépare un exercice. Il arrive aussi que ce soit inutilement long.

L'interaction se fait beaucoup trop des participants à moi. Pas assez entre eux (cela au niveau des exercices). On a négligé le journal. Peut-être que le «projet» peut servir de «coagulant» aux activités/exercices et à d'autres choses aussi (attitudes, conscientisation, transfert, relation au milieu). Intellectuellement, ça semble très intéressant.

L'imprimerie ou le contact avec un outil concret

Une idée se présentait depuis le début de la session pour au moins deux des animatrices du groupe, celle d'expérimenter un «projet».

L'idée était de mettre sur pied un service d'aide à l'écriture et à la lecture (de formulaires ou de lettres en tous genres) pour les gens du quartier qui ont des difficultés à lire et à écrire mais qui ne veulent pas nécessairement l'apprendre. Ce service, il faut le faire connaître par une bonne publicité.

La première étape est donc la fabrication d'un dépliant pour annoncer le service, donner les renseignements d'usage, présenter l'alphabétisation et Lettres en main. La fabrication du dépliant pourra servir de point de départ à plusieurs apprentissages. En effet, ce sont les deux ateliers qui s'occuperont du texte, des informations à donner, de la mise en page, de l'imprimerie, du spécimen de la distribution (au sens de «trouver du monde»!). Je veux traiter ici de l'imprimerie puisque c'est notre atelier qui s'occupera de cette tâche.

Et en guise de préparation à l'imprimerie du dépliant comme tel, le groupe a imprimé un texte sur la condition de la femme (écrit la semaine précédente en vue de la journée du 8 mars).

Ce fut une réussite. Au niveau des attitudes, cela a généré beaucoup de fierté et un sentiment d'appartenance à Lettres en main. On voulait parler avec les gens durant la journée des femmes et on était content de présenter quelque chose de fini. C'est vrai que l'imprimerie «ça fait beau»! Le groupe a été sensibilisé à la mise en beauté d'une feuille blanche, (je pense ici au mauvais traitement que des participants (la plupart) infligent à leurs papiers et à leurs cahiers, peut-être à cause de l'absence de rapports suivis et nécessaires avec l'écrit). Au niveau des acquis, le découpage des phrases du texte en bandelettes a resouligné la notion d'idée/phrase. On a pris soin des espaces entre les mots, de la ponctuation, des lettres majuscules. De plus, tout le monde a beaucoup manipulé les lettres, les a reconnues, démêlées les unes des autres. Tout cela étant motivé par le goût du produit final! Ajoutons en terminant qu'au niveau du transfert, l'expérience a été valable parce que le texte était imprimé en vue de sa diffusion.

Le projet Écrivain Public n'a pas beaucoup vécu encore. Il est donc difficile à évaluer. Il est d'ailleurs difficile de mener un projet sur 3 heures, 2 fois par semaine. À ce propos, je pense aussi au journal de bord.

L'évaluation ou faire et refaire le point

Tout au long de la session, les participants de mon groupe ont été directs et sont régulièrement intervenus dans notre quotidien d'atelier. Des exemples: le choix d'un thème venait souvent des participants ainsi que des suggestions de trucs pour faciliter la lecture à Yvon qui a des problèmes de vue; les réactions du groupe ont été vives à propos de remarques désobligeantes de quelqu'un sur les «tapettes» et sur «ceux qui vont pas vite vite»; leur refus d'un thème concernant la santé a été très spontané et définitif; les demandes pour étudier tel son ont été régulières ainsi que les manifestations nombreuses d'émotions. Bref, un groupe expressif!

On était habitué à se parler, alors l'évaluation s'est faite de façon informelle par un tour de table/échange. C'est au niveau des attitudes encore qu'on sent le plus les effets de l'atelier. Au niveau des acquis, on est capable d'identifier les nouveaux sons qu'on connaît. On lit plus vite, Michel écrit les phrases plus vite qu'avant. En ce qui concerne le transfert, les gestes sont petits mais nouveaux et porteurs de contentement. L'un a acheté un objet au service de Distribution aux consommateurs, une autre a aidé son fils dans son devoir, un autre lit plus les étiquettes ou identifie le nom d'une cliente sur un bon de commande. Les gestes sont petits mais réels. J'ajoute que Lettres en main offre aussi des occasions de transfert à la vie courante comme une journée de cabane à sucre, le 8 mars, des invités, l'accès aux structures formelles ainsi que des rencontres informelles de tous genres.

Pour conclure l'évaluation, je voudrais rajouter que les participants demandent à lire et à écrire plus et à jaser moins. Je note également la satisfaction du groupe malgré le caractère assez flou de leurs réponses, (peut-être à cause du style d'évaluation).

J'ai présenté aussi une auto-évaluation de mon travail. Encore le dilemme de me présenter faillible et pleine de questions au risque de diminuer la confiance. Car je crois (C'est une intuition plus qu'une croyance à vrai dire) que vivre l'essai/erreur véritablement avec eux, rendra l'idée du tâtonnement sensible, faisable et pas seulement conceptuelle ou «magique». Démontrer par des gestes que ça fonctionne de la même manière pour moi. Pour en revenir à la diminution de confiance, disons que cela m'inquiète, mais ne s'est pas encore manifesté. Je n'ai pas beaucoup de moyens pour vérifier cependant. Les participants me disent que tout va bien mais qu'en est-il vraiment?

Comment, en effet, être vraiment sûre qu'on me dit vraiment ce qu'on pense sans gêne, sans peur de blesser; ou qu'on est confiant que ça vaudra la peine de donner son opinion?

Qu'en est-il de la conscientisation dans ma pratique? Mes idées à ce sujet sont bien moins théoriques qu'avant. Vivre la conscientisation est, je crois, une manière de profiter de ce qui se passe dans l'atelier (par hasard ou non) pour échanger des points de vue, des sentiments, des certitudes ou préjugés, pour poser des questions, ouvrir des horizons pour permettre une démarche (affective, intellectuelle ou/et sociale). L'atelier est multiple, complexe... la vie aussi. Les occasions sont de tous ordres et nous essayons de les saisir le plus possible. Je ne considère pas avoir de «façon correcte de voir» à suggérer. J'essaie de poser les bonnes questions au bon moment, de fournir des indications, des nouvelles pistes, de laisser parler, d'écouter dans un esprit égalitaire.

Il me semble qu'avec un discours, je passerais complètement à côté de tout processus conscientisant qui est sûrement aussi bon et subtil que les autres processus.

Les entrées continues ou saisir l'occasion qui passe

Nous avions décidé de faire du recrutement à Lettres en Main pour la session de printemps. En effet, nous avions des places disponibles et nous voulions répondre à la demande le plus possible. Après une certaine résistance (Ne risquait-on pas de briser la cohésion déjà existante, d'être obligés de répéter les mêmes choses pour les nouveaux?), on décide d'ouvrir quand même; on se dit que ce sera une initiation pour tout le monde.

Pour les trois autres groupes de Lettres en main, le printemps, la fatigue et les contextes précis à chaque atelier aidant, les participants sont venus moins nombreux que prévu. On a donc cessé les ateliers (un peu trop facilement peut-être?).

Pour mon groupe, les entrées continues ont eu un effet certain. Nous formions un groupe intime (5 personnes) et deux semaines plus tard, nous nous retrouvons 9 personnes. Atelier nouveau et hétérogène! En effet, deux des nouvelles personnes viennent d'un «foyer protégé» (l'une est au début du processus d'alphabétisation, l'autre est plus avancée), les deux autres sont au stade semi-fonctionnel, mais très différents en ce qui concerne les attitudes et les capacités. La situation du groupe est donc complètement changée et oserais-je dire «conscientisante» même, et ce, pour tout le monde. Je me posais des questions sur le «cocon protecteur» que pouvait être le petit groupe; sur la manière de briser la relation à sens unique (participants-animatrice-participants). J'avais maintenant l'occasion d'explorer plus ces deux questions. Mes préoccupations ne tournaient donc plus exclusivement autour des contenus d'ateliers, mais plutôt autour de la meilleure manière de travailler ensemble malgré les différences.

L'hétérogénéité ou l'apprentissage du travail en équipe

Ma première tentative d'exercice avec le grand groupe a manqué de préparation et de réflexion. J'ai fait trop de demandes en même temps, le matériel que je leur ai fourni n'était pas suffisant en terme de quantité et trop nouveau (une page d'horaire télé d'un quotidien), de plus je les ai laissés travailler seuls trop rapidement. Le groupe ne se connaissait pas assez encore et n'avait pas établi son rythme de croisière.

La deuxième activité a tourné autour de l'échéancier de la session printemps. Comme il ne nous restait que huit rencontres et qu'il y avait beaucoup de suggestions d'activités sur la table, j'ai préparé un calendrier sommaire du temps qui nous restait ainsi qu'une énumération des activités potentielles (correspondance, écrivain public, un film, une sortie, le journal, l'heure). L'activité a été appréciée. On en a lu un bon coup! On a pris des décisions et on les a notées. De plus, cela a favorisé je crois une participation du groupe à la «gestion» de l'atelier.

Une des participantes les plus engagées dans l'atelier, Marcelle est absente depuis deux rencontres. Elle se sent découragée. Elle a l'impression qu'elle ne fait plus rien, qu'elle n'avance pas. Elle se compare aux autres, les nouveaux qui lisent mieux qu'elle. La dynamique du groupe est changée. Je ne suis plus aussi disponible les autres non plus. Comment favoriser les interactions entre eux pour permettre à tout le monde de prendre sa place? Comment organiser les tâches pour que tout le monde travaille autour du même contenu (en l'occurrence le dépliant pour l'Écrivain Public) dans des activités/ étapes différentes?

La première fois, je leur ai demandé de se diviser en 2 sous-groupes, ceux qui voulaient lire et ceux qui voulaient écrire avec du matériel pour chaque activité. La division était peut-être trop rigide. Ça m'a forcée à travailler avec deux groupes aux besoins complètement différents, un peu perdus d'ailleurs d'être sans «ponctuations» régulières de ma part. On a cependant apprécié. On a travaillé très fort. On a avancé. Marcelle s'est sentie mieux malgré une fatigue évidente (et normale). Elle n'était pas la seule! Les deux ateliers suivants ont été mieux. La division du groupe s'est faite de façon plus souple à partir de matériel différent l'un plus difficile que l'autre. Le jumelage s'est fait par affinités naturelles. On a lu, on a écrit, on s'est aidé, on s'est échangé les feuilles pour varier les tâches. Ces deux ateliers ont été très calmes. Nous étions tous moins fatigués.

Mon expérience avec un grand groupe hétérogène est trop court pour avancer des hypothèses ou des conclusions mais elle permet d'envisager des réflexions nouvelles pour l'automne et elle brise une peur que j'en avais. En attendant, j'ai une idée de lettre d'été aux participants de mon atelier pour leur permettre de lire chez eux, dans un contexte plus réel que l'atelier fermé... Et voilà! Ça repart! C'est l'alphabétisation qui veut ça!

Atelier 3

Janvier 1984. J'entame ma 3e session comme animatrice en alphabétisation au groupe Lettres en main. C'est en fait la première session où je me sens plus sûre de moi, les 2 premières, avec des groupes semi-fonctionnels, m'ayant prioritairement servi à me familiariser avec les participants, les méthodes pédagogiques et l'animation.

Nous avons décidé que j'animerais le groupe fonctionnel de jour. Ce sont donc les hauts et les bas de mes mardis et jeudis, de 1 heure à 4 heures que je tenterai de vous livrer dans les pages qui suivent.

Mosaïque des participants

Je devais commencer la session avec 6 participants mais, à la dernière minute, deux d'entre eux se sont trouvés un emploi. C'est donc avec 4 participants que j'entamai mes premiers ateliers, mon groupe restant ouvert à toute nouvelle inscription en cours de session.

Les quatre participants du début

  • Alcide: Âgé de 29 ans, Alcide en est à sa deuxième session à Lettres en main. Originaire d'Abitibi, il est venu à Montréal pour s'inscrire à des ateliers d'alphabétisation et, parallèlement, suivre des cours à la polyvalente Père Marquette. Il conçoit donc Lettres en main comme un service d'appoint, un support pour accélérer la démarche de son cours secondaire. En plus de ses cours, il travaille de nuit comme homme à tout faire dans une cafétéria. Son rêve: retourner en Abitibi et se trouver une bonne job. Malgré un emploi du temps qui laisse peu de place aux loisirs, il est toujours volontaire pour effectuer des tâches ponctuelles pour l'atelier ou Lettres en main. Ainsi, c'est lui qui ira au Centre de main-d'œuvre chercher des formulaires d'inscription à remplir pendant un atelier; il avait organisé le party de Noël; il a participé aux assemblées générales de novembre 83 et mars 84 et désirait faire partie du Comité consultatif: il était cependant en vacances lorsque le comité s'est réuni.
  • Sylvie: Âgée de 25 ans, elle vient tout juste d'arriver à Montréal. Elle habitait Sherbrooke depuis quelques années et avait suivi une session d'alphabétisation avec le groupe L'Arbralettre. Bénéficiaire de l'aide sociale (152,00$/mois) elle a toujours été gardienne d'enfants. Elle espère pouvoir compléter son cours secondaire et décrocher un emploi qui lui permettra de mieux vivre.
    Bien que récemment arrivée à Montréal, elle n'a pas été longue à s'organiser une vie bien remplie. Elle participe en effet activement aux activités du groupe Intégration, programme d'intégration au marché du travail pour les chômeurs et assistés sociaux 18-30 ans. Comme Alcide, elle se porte volontaire à effectuer les tâches ponctuelles du groupe Lettres en main. De plus, elle a participé à l'assemblée générale de mars 84 ainsi qu'à la première rencontre du Comité consultatif des participants.
  • Jacques F.: Âgé de 26 ans, il est également bénéficiaire de l'aide sociale (152,00$/mois). Profondément humilié par sa situation d'assisté social, il est inlassablement à la recherche d'un emploi. Décrochant de petits emplois à droite et à gauche, sa présence aux ateliers est irrégulière. D'ailleurs, en mars, il trouve un emploi permanent et quitte l'atelier. Mis à pied en avril, il s'inscrira aux ateliers du soir.
    Facilement découragé par l'échec ou les difficultés, il m'a fallu apprendre à jongler avec non seulement l'irrégularité de ses présences, mais surtout avec celle de ses humeurs. À cet égard, j'ai travaillé de concert avec les animateurs du groupe Intégration (dont j'ai parlé plus haut) aux activités auxquelles Jacques participait également.
  • Jacques L.: Originaire d'Haïti, il est âgé de 30 ans. Depuis son arrivée au pays, en 1976, il n'a réussi qu'à occuper des emplois temporaires et irréguliers. Convaincu qu'il était analphabète, il lui a suffi de vaincre son «blocage» face à l'écriture pour réaliser que, loin de l'être, il pouvait facilement s'inscrire 5 un cours de niveau secondaire.
    En fait, sa participation aux ateliers lui a certes permis de redécouvrir sa capacité d'écrire mais surtout de vaincre sa timidité extrême.

À ce noyau de base devaient se joindre, en cours de session, 3 autres participants.

  • Normand: Âgé de 33 ans, il est prestataire à vie du RRQ. Il a en effet été victime d'un accident qui, au cours de sa deuxième année universitaire, le rendit complètement amnésique. En réhabilitation dans un centre spécialisé, il a été référé à Lettres en main pour accélérer son réapprentissage de l'écriture. Il se conçoit lui-même comme invalide et est, on le serait à moins, dépressif. Morose, il se mêle difficilement aux autres participants si ce n'est pour leur adresser des reproches. Il n'entre en relation qu'avec moi ce qui devient souvent embarrassant non seulement pour moi, mais encore plus pour le reste du groupe.
    D'autre part, il vient beaucoup plus chercher une oreille attentive et un support moral que des notions de français. Consciente de tout cela j'ai tout de même décidé de le maintenir dans le groupe jusqu'à la fin de la session.
  • Lucie: Âgée de 19 ans, elle est aussi prestataire du B.E.S. Issue d'un cours secondaire «Professionnel court», elle vient à Lettres en main pour se rafraîchir la mémoire et retrouver le goût d'écrire. Timide et réservée, elle se mêle peu aux discussions bien qu'elle soit très active dans les ateliers d'écriture. Elle espère aussi trouver un emploi qui lui permette de quitter la maison de ses parents.
  • Raymond: Âgé de 25 ans, il vient à Lettres en main depuis l'automne 82, durant ses périodes de chômage. Également issu d'un «Professionnel court», c'est l'homme aux 36 métiers. Jeune à l'esprit vif, il s'exprime librement et est un élément très dynamique dans le groupe. Étant à Lettres en main depuis le début des activités du groupe, il connaît bien le fonctionnement des ateliers et y participe pleinement.
    Il a une vie sociale remplie et organisée et ne s'implique pas directement dans les activités qui débordent le cadre des ateliers: assemblées générales, organisation de party ou autre.
    Il fera partie de mon atelier pendant 6 semaines, jusqu'au moment où il a trouvé un autre emploi.

Il s'agit donc d'un groupe jeune (19-33 ans) dont les conditions économiques sont à peu près les mêmes. Ils sont tous mus du désir (sauf peut-être Normand) de trouver un emploi qui leur permette de vivre convenablement. Il n'y a que pour Jacques L. que Lettres en main constitue l'unique sortie de la semaine, les autres ayant une vie sociale assez bien remplie.

Présentation générale

Au cours de cette session, j'ai utilisé le thème comme outil de travail privilégié, y incorporant différentes activités connexes. Pour les 2 premiers thèmes traités dans la session, j'ai fonctionné selon la démarche suivante:

  1. choix du thème par les participants;
  2. discussion autour du thème choisi;
  3. les participants rédigent un texte, individuel ou collectif (pour cette étape du travail, je me retire du local);
  4. correction du ou des textes produits.

Pour ce qui est du troisième thème, j'ai utilisé une démarche différente liée d'une part aux remarques des participants quant à la démarche et au contenu des deux premiers thèmes et, d'autre part à la réflexion que l'équipe d'animateurs avons menée autour de la conscientisation. Cette partie de la session sera élaborée plus loin dans le texte.

1er thème: «Difficultés à trouver un emploi»

Lors du premier atelier, la première partie a été consacrée à la présentation de chacun des participants, de moi-même et du groupe Lettres en main (historique et mode de financement). Puis, je leur ai parlé de l'utilisation du thème comme outil central autour duquel s'articule l'écriture et de l'approche globale comme approche pédagogique.

Dans toute cette partie, l'emphase a été mise sur l'importance pour eux de critiquer, d'évaluer, de décider, afin que le déroulement des ateliers et de la session soit au maximum conforme à leurs besoins et attentes.

Dès la deuxième partie de l'atelier, nous avons discuté le choix d'un thème pour les ateliers à venir. Deux choix ont été mis sur table: Comment retrouver ses parents naturels lorsqu'on est enfant adopté? et, les difficultés à se trouver de l'emploi. Le premier choix n'étant appuyé que par un seul participant, il fut donc décidé que les difficultés à se trouver de l'emploi seraient au centre de nos discussions pour les quelques ateliers à venir.

Or, ce choix de thème aurait dû m'enthousiasmer à cause du grand nombre d'éléments «conscientisants» qu'il recelait et pourtant, il m'angoissait. En effet, et de façon systématique, j'avais la nette impression que les participants s'ennuyaient lorsque je leur parlais des responsabilités et travers de la société. Cette attitude de leur part me gênait à un point tel où je ne savais plus jusqu'où je devais m'exprimer sur mon analyse de la société et des problèmes sociaux. Un de mes objectifs pour cette session-ci était d'essayer de faire le point sur l'aspect conscientisation de l'activité d'alphabétisation et d'essayer d'en finir avec ce blocage. Le deuxième objectif que je m'étais fixé était d'arriver à faire en sorte qu'au moins quelques participants puissent surmonter leurs difficultés de lecture et d'écriture suffisamment pour pouvoir s'inscrire à un cours de leur choix et surtout, cessent de se considérer comme analphabètes.

C'est donc avec ces deux objectifs en tête que j'ai abordé avec les participants le thème choisi. Pour introduire la discussion, j'ai apporté la revue Écrire pour la Première fois (N° 4, automne 83) et leur ai fait lire un texte collectif rédigé par les participants de la maison d'Haïti intitulé «À la recherche d'un emploi». L'utilisation de ce texte avait plusieurs buts:

  1. leur faire connaître l'existence d'un autre groupe d'alphabétisation: La maison d'Haïti;
  2. leur faire voir qu'il est possible d'arriver a écrire correctement sur un sujet;
  3. les sensibiliser aux difficultés particulières des immigrants à la recherche d'emplois;
  4. enclencher la discussion sur leur situation.

Chacun des 4 participants de l'atelier a alors relaté son vécu et surtout ses échecs dans le domaine du travail. Sylvie, Jacques et Alcide ont beaucoup parlé. Toutefois Jacques L. était gêné: son fort accent haïtien y était sûrement pour quelque chose. Je lui ai donc proposé mes services de «traductrice», ce qui l'a aussitôt mis en confiance. Il a donc, à l'instar des autres, relaté ses expériences de travail (éphémères) et ses difficultés à trouver un nouvel emploi.

Vu que la discussion a porté sur des expériences personnelles, je leur ai donc proposé d'écrire chacun un court texte résumant leurs propos. Cet exercice allait également me permettre de mieux évaluer leurs forces et faiblesses quant à l'écriture. Je me suis donc retirée du local et je les ai laissés travailler pendant près d'une heure.

En fait, j'ai assisté assez passivement à la discussion craignant que mes interventions «conscientisantes» ne viennent briser le rythme de la discussion. Et, suite à la rédaction de leurs textes, j'ai entrepris avec eux la correction.

Écrivant au tableau les textes tels que rendus par les participants, la correction a porté sur tous les aspects du texte: orthographe, syntaxe et style. Toutefois, cette activité de correction s'est étendue sur 4 ateliers, ce qui était beaucoup trop long et qui surtout, devenait très monotone.

Cependant, pour rompre cette monotonie, j'ai ponctué les ateliers de quelques activités. Ainsi, nous avons reçu le responsable d'un programme d'intégration au marché du travail pour jeunes chômeurs et assistés sociaux dont les activités se déroulent à l'Entre-Gens, centre communautaire où les locaux de Lettres en main sont également installés. Les participants ont apprécié de connaître cette ressource et 2 sur 4 ont commencé, dès le lendemain, à suivre les activités de ce projet.

Dans un autre atelier, nous avons appris à remplir les formules d'inscription au Centre de main-d'œuvre du Canada. C'est d'ailleurs Alcide qui avait proposé cette activité et qui a fait les démarches pour se procurer les formulaires. Nous avons donc lu chacune des questions et chacun des participants y a répondu en fonction de sa propre situation.

Malgré ces insertions dans les ateliers, il reste qu'à l'avenir je devrai trouver une méthode de correction des textes de chacun qui soit plus rapide sans léser qui que ce soit.

Ayant toutefois pu cerner que l'accord des verbes posait généralement problème, et que certaines fautes d'orthographe pourraient être éliminées par la seule utilisation du dictionnaire, je leur ai proposé un atelier complet traitant de ces deux éléments.

J'ai donc, pour l'atelier suivant, distribué une feuille sur laquelle il y avait les verbes avoir, être, aimer et finir au présent, au passé composé, à l'imparfait et au futur simple. Nous avons décortiqué les verbes avoir, être et aimer en axant beaucoup sur les perceptions relatives à l'emploi des différents temps des verbes (présent, passé, futur).

L'atelier suivant a porté sur une révision des verbes vus en y incluant les verbes du 2e groupe, des verbes en -ir. Ils ont rapidement compris que les verbes du 2e groupe doivent faire -issons lorsqu'ils sont précédés du pronom «nous».

Nous avons également apprivoisé le dictionnaire que j'ai présenté comme un outil quasi indispensable. Certains se le sont seulement réapproprié, l'ayant déjà utilisé, d'autres ont appris à s'en servir.

Suite à ces ateliers somme toute assez magistraux, les participants ont exprimé le désir d'écrire un texte collectif. Mais sur quoi? ils n'en avaient pas d'idée précise. J'ai donc proposé que nous essayions de cerner les causes qui font que nous avons de la difficulté à trouver de l'emploi et que nous écrivions là-dessus.

En fait, susciter cette discussion allait me permettre d'aller vérifier la compréhension globale qu'ils avaient de leur situation. Résultats étonnants me heurtant de plein fouet dans mes préjugés à l'endroit des participants: loin de se culpabiliser, de se sentir responsables de leur situation, ils identifiaient de façon claire les responsables: le gouvernement, les institutions les employeurs.

De cette discussion, j'ai donc appris qu'ils avaient déjà fait nombre de liens que leur propre réflexion par rapport à leur vécu les avait amenés à faire et que je n'étais donc plus obligée de me sentir comme l'unique responsable de cette démarche. Ainsi, au chapitre de la conscientisation, je devrais dorénavant me considérer comme une corde supplémentaire à leur arc; importante certes, mais non pas unique. Cette dernière allégation peut sembler hautaine et, à la limite, méprisante, mais elle est fidèle à la compréhension que j'avais de mon rôle de «conscientiseuse».

Bien que le texte collectif qui a résulté de cette discussion n'en ait pas rendu le contenu, il reste qu'au strict niveau des acquis académiques, il y en avait déjà une amélioration sensible notamment dans l'accord des verbes et des pluriels. La correction terminée, les participants demandèrent qu'on change de thème.

2e thème: Réussir dans la vie

C'est au moment du choix du 2e thème que Normand,Lucie et Raymond sont venus se greffer au groupe. Après leur avoir brièvement présenté le travail fait jusqu'à maintint et, bien sûr les avoir présentés aux «anciens», j'ai proposé au groupe d'utiliser la technique du Brain-Storming pour arrêter le choix d'un nouveau thème. Ayant rapidement saisi le principe, 65 mots-clés se sont alignés au tableau. Au-delà du choix de ce thème, cette expérience devait me permettre d'avoir une vue d'ensemble de leurs différents champs d'intérêt (voir liste en annexe #1). De tous ces mots, c'est autour des thèmes portant sur le loisir et celui de «réussir dans la vie» que se sont arrêtés les participants pour finalement opter pour le deuxième.

Annexe I

Liste des mots issus du brain-storming pour le choix du 2e thème. J'ai moi-même regroupé les mots.

Passe-temps
Bricolage
Où on va danser?
Où on va boire?
Jeux d'enfants
Inventions
Jeux de cartes
La télévision
L'artisanat
Comment gagner au 6/49

Travaux ménagers

Drogue
Alcoolisme
Suicide
Jeunesse

  • ses problèmes
  • que font les jeunes?
  • violence
  • parents

Comment arrêter de fumer?

Réussir ici
Réussir dans la vie
Pensée positive
Psy
Psychologie

Compréhension
Amour
Sexualité
Haïr
Copulation
Relations interpersonnelles
Hommes et femmes
Sexisme
Amitié

Animaux
Insectes
Plantes
Poissons

Syndicat
Grève CTL
Cultivateurs
Agriculteurs
Industrie forestière
Transports
Téléphone
Technologie

Films

Adoption

Religion

Médecine

René Lévesque

La démarche autour de ce thème a été ponctuée de difficultés. Et la plus grande, exprimée par la suite par les participants, est qu'ils ont trouvé le thème émotivement difficile à traiter. Ils ont trouvé difficile d'énumérer des critères de réussite d'une vie, différents pour chacun, et d'être ensuite confrontés à un «tableau de vie idéale» qui était somme toute bien éloigné de leur vécu. Avaient-ils raté leur vie? Peut-être, disaient-ils, mais on ne veut pas se le faire dire. Ils se sont donc entendus pour prendre en considération le facteur engagement émotif dans le choix des prochains thèmes.

L'autre difficulté rencontrée, j'en suis, en toute modestie, la principale artisane. Je n'ai en effet pas pris en considération le fait que le groupe s'était élargi, qu'il n'y avait pas encore d'expérience commune de travail, à part le brain-storming et la discussion qui en a résulté. C'est donc réunis en un collectif de 7 personnes que je les ai invités à rédiger un texte issu de la discussion. Et je me suis, comme je le fais chaque fois, retirée du local.

Au cours de l'activité d'écriture, un participant est venu se plaindre du fait qu'un autre participant avait pris le leadership de la rédaction et rejetait systématiquement les idées émises qui étaient non-conformes aux siennes. J'ai donc adopté l'attitude suivante: j'ai renvoyé le participant dans l'atelier en l'encourageant à défendre ses points de vue, à se tailler une place dans le groupe. Puis, profitant de la période d'évaluation à la fin de l'atelier, j'ai simplement posé la question: «Avez-vous eu des difficultés avec la rédaction du texte?», sans faire allusion à l'un ou l'autre des participants.

La question a immédiatement donné lieu à une discussion animée dans laquelle les participants ont identifié les difficultés rencontrées (trop de gens et trop d'idées différentes pour arriver à un seul texte; les gens se connaissent mal et ont ainsi plus de difficultés à travailler ensemble) et ils ont proposé des solutions (scinder le groupe en deux pour les activités de rédaction de textes; trouver des thèmes plus neutres sur lesquels il soit plus facile d'écrire). Je me suis rendue compte que le groupe avait ensemble généré les solutions que j'avais moi-même projeté leur proposer.

Pour en revenir à la discussion du thème elle-même, disons qu'elle n'a pas porté sur la réussite au niveau matériel mais plutôt aux niveaux philosophique et émotif. Ils parlent beaucoup de l'importance d'aimer et d'être aimés; d'avoir plein d'amis, de gens autour de soi; de faire des choses qu'on aime; de la place importante que le travail devrait occuper dans la vie.

Nous avons repris l'activité de rédaction en scindant cette fois le groupe en deux et nous avons ensuite imbriqué les phrases produites pour créer le texte suivant:

«Pour réussir dans la vie il faut s'aimer soi-même et être positif dans tout ce que l'on entreprend. Le travail occupe une grande partie de notre vie mais il est important de penser à d'autres activités. Moi j'aime le changement parce que je trouve ça important de découvrir d'autres choses dans la vie pour mes satisfaction personnelles. Par exemple on peut se documenter, regarder une partie de hockey...»

Au niveau des acquis académiques, je note de plus en plus de facilité à se débrouiller avec les verbes. Toutefois, je les interroge autant sur ceux qui Sont bien écrits que sur les autres afin de m'assurer que l'orthographe correct n'est pas l'effet du hasard. Cela me permet également de répéter, de réexpliquer les différents accords, tant des verbes que des pluriels. De plus, ils utilisent le dictionnaire de façon plus régulière et avec beaucoup plus d'aisance. Ils découvrent également d'autre matériel de référence, (retrouver dans leur cahier un mot déjà utilisé et corrigé; découvrir des synonymes plus faciles à écrire; regarder autour d'eux s'ils ne verraient pas, écrit quelque part, le mot qu'ils cherchent à orthographier, etc.)

Les hauts et les bas vécus dans le traitement du 2e thème auront servi à recréer le groupe, à lui redonner consistance, bien que le nombre de participants s'élevant, les relations interpersonnelles se complexifient. Ainsi, les manifestations de solidarité et d'entraide cohabitent avec celles de la compétition entre les participants et quelquefois la survalorisation d'un participant au détriment d'un autre; la recherche au consensus se heurte aux opinions arrêtées qui ne souffrent pas de discussion; etc. C'est à travers cela que le groupe se forme, que les participants apprennent à s'accepter mutuellement et à travailler ensemble. Sur ce tableau rapidement brossé, le choix du 3e thème devait s'enclencher.

3e thème: le téléphone: son fonctionnement, son utilité

Le choix du 3e thème de la session allait devenir déterminant dans l'orientation de ma recherche quant à la conscientisation. En effet, soucieux de se protéger émotivement et d'«apprendre quelque chose d'utile», les participants décidèrent que ce à thème serait «le téléphone: son fonctionnement, son utilité.» La question majeure et troublante qui m'est tout de suite venue en tête était: comment faire de la conscientisation à partir d'un tel thème? C'est donc à travers mon engagement personnel et la discussion avec les autres animateurs du groupe que j'en suis arrivé à dissocier conscientisation de discours politique. Conscientiser c'était d'abord et avant tout permettre aux participants de s'engager eux-mêmes dans la démarche cognitive, de franchir les étapes d'ingestion et de digestion de l'information, de se bâtir eux-mêmes une image, une idée, une opinion.

C'est donc parallèlement à cette réflexion que j'ai amorcé le 3e thème. J'aurais bien pu me documenter et préparer un exposé sur le sujet mais encore une fois j'aurais livré aux participants les conclusions de ma recherche sans leur permettre de vivre eux-mêmes le cheminement duquel sont tirées ces conclusions. Je leur ai donc proposé la démarche suivante:

  1. Visite d'une bibliothèque;
  2. Repérer les livres pertinents à la recherche;
  3. Lire et essayer de comprendre, en gros, comment fonctionne le téléphone;
  4. Mettre en commun les éléments d'explications intuitionnés ou compris.
  5. Écrire un texte explicatif des différentes étapes qui font que la voix est «transportée» à distance;
  6. Corriger le texte produit.

L'idée de la visite à la bibliothèque avait déjà surgi à quelques reprises au sein de l'atelier. Toutefois, les deux premiers thèmes s'y prêtaient mal. Et voilà que l'occasion se présentait de réaliser ce vœu et nous allions la saisir. C'est donc sur une note d'enthousiasme mêlée d'inquiétude (autant de ma part que de celle des participants) que nous nous sommes mis d'accord sur la démarche énumérée plus haut. (Raymond s'étant trouvé un emploi, il ne reviendra plus).

J'ai donc pris les dispositions nécessaires avec la bibliothécaire de la bibliothèque Rosemont qui a préparé une visite d'initiation adaptée à une clientèle d'adultes et orientée autour du sujet de notre recherche. Pour tous les participants (à l'exception de Normand) c'était une grande première: ils entraient pour la première fois dans une bibliothèque. Après que la bibliothécaire leur eut expliqué les rudiments du fonctionnement d'une bibliothèque et, plus précisément d'un fichier, elle les a accompagnés dans la démarche de recherche des documents et livres pertinents. Puis, après avoir repéré les livres, ils se sont familiarisés avec leur utilisation: table des matières, repérage des chapitres et sous-chapitres, etc. Le temps nous manquant pour effectuer le tri, nous avons convenu de revenir terminer ce travail à notre prochaine rencontre.

Dès le début de cette rencontre, nous faisons un retour sur la visite et les réflexions sont unanimes. Les participants ont beaucoup aimé cette activité: ils n'y seraient probablement pas allés d'eux-mêmes parce qu'ils croyaient que c'était très «compliqué» de trouver un livre, ils sont très contents d'avoir compris facilement le système des fiches et du repérage. Toutefois, la recherche elle-même les inquiète. Les livres disponibles sur le sujet, après un bref coup d'œil, semblent utiliser un vocabulaire assez technique. Je les assure de mon soutien dans toute la démarche de recherche et nous repartons vers la bibliothèque.

Les participants, qui avaient noté les cotes des différents livres de référence les repèrent à nouveau sur les rayons, empruntent les livres et on revient au local: on pourra parler plus fort et fumer. Chacun prend un livre: les plus simples à ceux qui ont le plus de difficultés à lire, les plus difficiles à ceux qui en ont moins.

La lecture est ardue. Ils mettent tellement d'énergie dans le décodage des mots qu'ils perdent la compréhension globale du texte. Mais chacun garde les yeux rivés à son texte et essaie de comprendre.

Au moment de la mise en commun de ce que chacun a compris ou pense comprendre, je me rends compte qu'ils se sont beaucoup servis des schémas et illustrations, beaucoup plus même que du texte lui-même. C'est donc à travers le dessin du système que s'articule leur compréhension. C'est donc, dans un premier temps, à travers ce médium que nous essaierons de faire le point, de refaire les étapes qui font que les sons émis dans l'émetteur sont propagés à distance.

Donc

  • le son est émis, donc émission de vibrations sonores;
  • les vibrations sonores font vibrer une plaque qui transmet des ondes vibratoires à travers des grenailles de carbone;
  • les vibrations sonores sont ainsi transformées en courant électrique;
  • le courant passe par tout un réseau de fils (fil spirale du récepteur, le fil de branchement du téléphone, fils du poteau extérieur, relais à une centrale, fils extérieurs, fil de branchement de l'autre appareil);
  • le courant repasse à travers le carbone, fait vibrer la plaque de la partie réceptrice de l'autre appareil qui retransmet les sons émis à la personne appelée.

Bien que les participants aient trouvé le vocabulaire technique difficile à lire, ils ont mieux compris en utilisant le schéma. Toutefois, même s'ils comprennent «en gros» comment ça fonctionne, ils croient qu'ils auront de la difficulté à le décrire par écrit.

Ça été un bon coup d'utiliser le dessin comme moyen de vérifier et de rectifier, au besoin, leur compréhension. Chacun y allait de sa bribe et je donnais des explications supplémentaires pour bien faire comprendre, et toujours en m'aidant du dessin et d'exemples pratiques:

  • C'est quoi une vibration sonore?
    mettez la main sous le menton et parlez. Ça vibre? Eh bien c'est ça les vibrations sonores!
  • C'est quoi le système acoustique?
    J'ai démonté le récepteur du téléphone et je leur ai mis les pièces dans les mains.
  • C'est quoi une impulsion par rapport à une vibration?
    une vibration, c'est ça
    une impulsion, c'est ça

Cette approche du thème a permis aux participants de visualiser un système qui leur apparaissait très abstrait et je crois qu'ils ont beaucoup mieux compris ainsi.

Il faudra toutefois que je refasse avec eux le schéma avant qu'ils s'engagent dans la description écrite du fonctionnement du téléphone.

À l'atelier suivant, j'ai donc refait le schéma et redonné les explications de façon détaillée, en répondant aux questions qu'ils soulevaient (quand je pouvais...)

Ils se sont divisés en 2 groupes de 3 et la consigne pour la rédaction était d'écrire un texte explicatif de telle sorte que n'importe qui puisse le lire et le comprendre, grosso modo, le fonctionnement du téléphone, le résultat a été intéressant puisqu'il m'a permis de faire des constatations utiles pour la préparation d'autres ateliers s'inscrivant dans cette démarche.

D'abord, ils sont arrivés à décrire assez facilement toutes les étapes «visibles» brancher l'appareil; décrocher le récepteur; parler dans le microphone. Par contre, toutes les étapes «non-visibles» (transformation des vibrations sonores en courant électrique, parcours du courant électrique, etc.) ont été ramenées en une seule phase assez confuse. Ils m'ont dit être capables de donner les explications oralement, mais que la description écrite était très difficile à rendre et que ça aurait été trop long à faire.

Au cours de la correction, je me suis donc attardée à démystifier la partie «non-visible» du parcours de la voix et surtout à faire le relevé de ces différentes étapes. Cela a contribué à rendre un peu plus concret un ensemble de phénomènes qui leur apparaissait comme une masse abstraite et informe. Peut-être aurais-je dû insister plus sur cet aspect avant la rédaction? Ce sera à vérifier dans des expériences ultérieures.

Toutefois, au strict niveau de l'orthographe, des pas de géant ont été franchis et les erreurs rencontrées relèvent plus de l'inattention que du fait de ne pas savoir. En effet, lorsque je recopie leur texte au tableau, les fautes sont rapidement décelées et corrigées, les corrections étant assorties, dans bien des cas, des règles grammaticales les justifiant.

L'évaluation globale de cette étape de la session a été des plus positives. Ils ont trouvé les activités de recherche et de rédaction difficiles mais sont unanimement fiers de les avoir menées à terme. Ils ont apprécié la variété des outils utilisés en soutien à la recherche et sont surtout contents d'avoir appris «quelque chose de nouveau» sans se détacher des activités de lecture et d'écriture.

Quant à l'aspect conscientisation contenu dans cette démarche, j'ai nettement l'impression d'avoir exploré un nouveau filon. En effet, à travers un thème dont la saveur «conscientisante» n'est pas évidente, j'ai voulu offrir l'occasion aux participants de partir de ce qu'ils savaient ou intuitionnaient, de faire la cueillette d'informations nouvelles, d'échanger autour du thème pour permettre la circulation d'informations et d'ainsi en arriver à ce qu'ils transforment leur idée première à travers une compréhension améliorée de la réalité étudiée. Et pour moi, l'expérimentation de cette démarche intellectuelle constitue beaucoup plus un acte conscientisant que la livraison d'un discours peut l'être. Et de surcroit, l'activité leur a plu. C'est donc avec cette articulation nouvelle du concept de conscientisation que je m'engagerai dans la préparation de la prochaine session.

Ce thème nous ayant menés à quelques semaines de la fin de la session, c'est donc à des exercices de révision qu'ont été consacrés les derniers ateliers. Ces exercices devaient permettre de consolider les acquis de la session et de travailler les faiblesses respectives des participants.

Conclusions

Voila donc le contenu de ma session d'hiver avec ses hauts et ses bas. Où en suis-je maintenant avec mes objectifs de départ?

La session m'aura permis une bonne recherche et réflexion personnelle autour du thème de la conscientisation, démarche d'ailleurs partagée avec les autres animateurs du groupe. Ne serait-ce que d'en être arrivée à faire le départage entre la conscientisation et le «discours» constitue pour moi une étape importante dans la préparation et l'organisation des sessions à venir. C'est bien sûr une amorce de réflexion, un filon à explorer plus avant...

J'avais également pour objectif de faire en sorte qu'au moins quelques-uns des participants de mon groupe puissent quitter les ateliers d'alphabétisation pour s'inscrire à des cours plus spécialisés de leur choix. Â ce chapitre, les résultats dépassent mes espérances, (des 7 participants qui ont suivi les ateliers, Sylvie s'inscrit au secondaire; Jacques L. joindra la Maison d'Haïti pour suivre des ateliers d'histoire ou de géographie et de maths; Alcide est retourné en Abitibi, confiant d'y décrocher un meilleur emploi et Normand s'est inscrit à des cours par correspondance. Jacques F. et Lucie reviendront à Lettres en main en septembre 84.

Pour chacun d'eux, l'étape déterminante a franchir était de retrouver la confiance en eux, en leurs possibilités. Cela devait leur permettre de devenir plus audacieux, d'oser poser des gestes et prendre des décisions que le fait de se considérer analphabètes (donc exclus) les empêchait de réaliser. Je crois que le groupe, avec la dynamique et les liens qui s'y sont développés, a été le grand artisan de ces changements majeurs au niveau des attitudes. Il constitue en lui-même une source de motivation et de stimulation qui aide chacun des participants à surmonter les difficultés et les périodes de découragement.

Toutefois, malgré que mes deux objectifs de départ soient en bonne partie atteints, de nombreuses demeurent en suspens.

  • il est notable que les participants qui progressent le plus rapidement sont ceux qui, au-delà des 6 heures/semaine d'atelier, lisent et écrivent chez eux, pratiquent régulièrement. Or, je n'ai pas encore trouvé de recette miracle pour que cette prise de conscience individuelle chez certains participants se répercute chez les autres. Est-ce une question de motivation, d'urgence?
  • Comment arriver à faire en sorte que les participants arrivent à utiliser les acquis des ateliers dans leur vie quotidienne?
  • Plusieurs participants, bien que connaissant les principales règles régissant l'écriture, sont tout à fait inattentifs lorsqu'ils écrivent. De plus, à la relecture de leur texte, ils reliront souvent ce qu'ils voulaient écrire et non pas ce qu'ils ont véritablement écrit. On se retrouvera donc devant des mots où des syllabes manquent, devant des phrases où auront souvent été escamotés les articles, les prépositions ou même des segments de phrases. À part leur dire d'être plus attentifs, je n'ai pas encore trouvé de moyen pour les amener à s'auto-corriger.
  • Il subsiste également nombre de difficultés au niveau d'une animation qui permettent de concilier les différents rythmes d'apprentissage, de collectiviser les faiblesses de chacun pour qu'elles soient prises en charge par le groupe, etc. Cela a beau faire l'objet d'un principe de base à notre pratique, il demeure que sa mise en œuvre n'est pas chose facile. Comment en heures/semaine, arriver à considérer le travail auprès de chacun des individus et le travail en groupe sans léser l'un ou l'autre des participants?

Et la liste des questions pourrait s'étirer encore longtemps mais je crois qu'en fait, il nous faut d'abord établir à Lettres en main même et entre les différents groupes d'alphabétisation populaire un réseau d'échanges qui permette la mise en commun de nos questions et l'exploration de pistes de solutions.

Atelier 4

Plan

I Description du groupe

II Démarche pédagogique

III Outils et activités pédagogiques

  1. Les exercices
  2. Les activités de transfert
  3. Le développement de la pensée dite «objective» (analyse critique)
  4. Activités diverses

IV Conscientisation

V Conclusion

I Description du groupe

Chaque groupe crée sa propre dynamique, à sa propre histoire individuelle et collective et ses propres expériences. C'est pourquoi, avant même de faire l'évaluation de mon expérience pédagogique de cette année (novembre 83 à mai 84) il m'a semblé important de faire une description sommaire et du groupe et des individus qui le composent.

Tous les participants avec lesquels j'ai travaillé sont des analphabètes fonctionnels qui viennent à Lettres en main depuis au moins un an. Ils sont donc tous familiers avec les méthodes d'apprentissage et la philosophie propre aux groupes populaires. Le groupe est relativement homogène, tant au niveau des acquis académiques que des attitudes. En effet, tous ont des conditions de vie satisfaisantes (famille, travail, loisir...) malgré que certains aient des conditions de travail difficiles, et la raison exclusive de leur présence aux ateliers est l'apprentissage du code contrairement à d'autres groupes où les besoins peuvent être d'un autre ordre également: ennui, solitude etc..

Le groupe était formé au départ de six (6) participants, dont trois(3) allophones auxquels se sont ajoutés par la suite deux (2) autres personnes. Le travail amorcé par les animateurs(trices) précédents(tes) avait déjà façonné en partie le fonctionnement de ce groupe.

Probablement parce qu'ils ont une vie personnelle organisée et non centrée sur Lettres en main, ces participants ont peu tendance à s'impliquer dans les différentes activités extérieures à l'atelier. Cependant, leur participation aux assemblées générales, est bonne, à condition que ces assemblées générales aient lieu les soirs d'atelier...

Comme c'est ma première expérience en alphabétisation, il m'est difficile d'évaluer objectivement ma pratique. Faute de comparaison possible avec d'autres groupes, dans quelle mesure mes interrogations peuvent-elles être généralisées a l'ensemble des personnes analphabètes?

II Démarche pédagogique

Nous avons évalué, en début de session, quels étaient les acquis déjà faits, ceux a consolider et ceux à faire, afin d'avoir une vue d'ensemble du travail à accomplir au cours de la session à venir. La majorité des participants lisaient maintenant bien, connaissaient l'organisation d'une phrase, sa ponctuation et écrivaient relativement bien.

Certaines difficultés avaient été relevées au niveau de l'écriture comme la différence entre ce-se, ça-sa, le pluriel de certains noms etc.. et celles-ci, bien que comprises n'étaient pas assimilées.

Tous les participants m'ont demandé de travailler principalement sur les verbes bête noire de ce groupe (des fonctionnels?). J'avais, quant à moi, fixé comme objectif de cette session, le transfert des acquis hors du contexte de l'atelier car la plupart des participants se servaient encore très peu de leur nouveau savoir dans leur vie de tous les jours. De plus, ils avaient beaucoup de difficultés, à la lecture d'un texte, à faire ressortir les idées exprimées sans donner leur opinion personnelle. Après discussion, nous nous sommes entendus pour porter une attention toute particulière sur les trois points suivants:

  1. Les verbes: être capable de les trouver dans une phrase, les identifier (infinitif) et conjuguer correctement les temps les plus fréquemment utilisés - Être capable de se référer au «dictionnaire des verbes» Bescherelles.
  2. Trouver des «activités de transfert» afin que les participants intègrent la pratique de la lecture et de l'écriture dans leur vie quotidienne.
  3. Élargir et approfondir la pensée dite «objective», leur capacité d'analyse critique sans oublier de consolider les acquis déjà faits.

III Outils et activités pédagogiques

1. Les exercices

L'apprentissage des verbes s'est fait principalement à travers des exercices: textes troués, phrases à compléter, inversées, donc d'une façon très académique, malgré le fait que ces exercices étaient toujours conçus à partir du vécu de l'atelier. Cette approche «scolarisante» m'a rendu très mal à Taise (Freinet m'as-tu-vu?) tiraillée que j'étais entre les demandes des participants qui voulaient travailler avec cet outil et mes propres doutes. Après un mois de cette pratique, j'ai donc senti le besoin de mettre au point un sondage (voir annexe) écrit afin d'évaluer la satisfaction et les attentes du groupe. J'espérais que le fait d'y répondre par écrit élimine une part des inhibitions propres à l'évaluation du travail de l'animatrice.

Les participants, satisfaits dans l'ensemble, ont manifesté le désir d'écrire plus souvent et... de faire encore plus d'exercices! Suite à ce questionnaire, nous avons longuement parlé des limites des exercices de mes craintes face à ce type d'approche (aspect mécanique, peur de perdre leur intérêt, qu'ils perdent les acquis déjà faits...) Les participants se sont également rendus compte qu'ils avaient plus de difficultés qu'avant à lire, trop occupés qu'ils étaient à faire des exercices. Nous nous sommes entendus pour continuer à en faire ponctuellement tout en diversifiant davantage les activités de lecture, écriture, expression... Cependant, avec le recul, je suis plus en mesure d'évaluer les bons et mauvais aspects de l'exercice comme outil pédagogique:

Pour:

  • Je pense que pour les participants, le fait d'isoler une difficulté, leur permet d'apprendre une chose à la fois et de bien la comprendre.
  • Les participants se sentent très fiers d'eux à la fin de l'exercice et cela augmente incidemment leur confiance en eux.
  • Cet outil a largement contribué à consolider le groupe et à créer un esprit d'équipe, car ils travaillaient tous ensemble, s'aidaient entre eux, sans se référer continuellement à l'animatrice.
  • À ce stade, les participants étaient très contents de refaire, mais avec succès, ce qu'ils n'avaient pas été capables de faire auparavant. Les exercices les ont donc débarrassés en partie de ce sentiment d'échec vécu à l'école, les a valorisés et a ainsi augmenté leur motivation à apprendre.

Contre:

  • J'ai souvent remarqué que les participants bien qu'ils soient capables de faire correctement un exercice n'avaient pas pour autant intégré cet acquis dans un contexte plus large d'écriture. L'apprentissage se fait en deux étapes: la réalisation de l'exercice dans un premier temps, et l'intégration de l'acquis dans un contexte plus global par la suite. (Faire ses gammes n'est pas faire de la musique...)
  • Tous les autres aspects de l'apprentissage ont souffert de cette pratique. De plus, les participants sont devenus paresseux lorsqu'est venu le temps de faire leur propre texte et de formuler leurs propres idées.

Il faut donc rester vigilants, il me semble quant à l'utilisation de cet outil, s'en servir d'une façon ponctuelle soit pour isoler temporairement une difficulté, soit pour valoriser et consolider le groupe. De plus, la nature de l'exercice est importante. Certains exercices étaient trop faciles ou trop compliqués, d'autres encore leur ont plu particulièrement comme les phrases inversées, les participants devaient refaire la phrase correctement. Cela leur permit de bien comprendre l'organisation de la phrase, de repérer les mots d'action et les sujets du verbe. Ils pouvaient donc en plus de procéder par tâtonnements, se référer à des acquis déjà faits: pluriel des noms et adjectifs, pluriel des verbes etc.. Notons que les participants avaient beaucoup de plaisir à faire cet exercice et qu'il nous a également permis de travailler le sens d'une phrase puisque certains participants reconstituaient des phrases qui tout en étant correctes grammaticalement, ne l'étaient pas au niveau du sens. Voici un exemple de ces phrases inversées:

«Mieux, participants, ateliers, écrivent, les, depuis, aux, viennent, qu'ils.»

Bien sûr, la phrase à trouver était la suivante:

«Les participants écrivent mieux depuis qu'ils viennent aux ateliers.»

Pourtant, certains participants avaient écrit:

«Les participants viennent aux ateliers depuis qu'ils écrivent mieux»

Joli lapsus littéraire non?

2. Les activités de transfert

Un des problèmes majeurs au niveau du travail avec des groupes fonctionnels est celui de sortir les acquis du cadre restreint des ateliers afin de favoriser la prise en charge de leur propre apprentissage.

La plupart des participants de ce groupe avaient maintenant acquis la base essentielle de la lecture et de l'écriture sans qu'ils en bénéficient pour autant dans leur vie. J'ai donc proposé, en début de session que chacun se fixe un objectif à court terme à réaliser hors de l'atelier. Chaque personne devait trouver quelque chose à faire qu'elle ne faisait pas avant, et devait par la suite en rendre compte à l'atelier, une des participantes a écrit une petite lettre pour la fête de son fils au lieu d'une simple signature, une autre après deux tentatives (elle a eu trop peur de faire des fautes la première fois) a écrit les noms de son équipe lors d'une partie de «bowling», un autre enfin a accepté nerveusement de payer par chèque dans un magasin.

De plus, nous avions pris l'habitude de chercher chaque semaine des mots d'usage courant que je leur donnais (ceci en réponse à la demande de dictées d'un des participants) et dont ils pouvaient trouver l'orthographe facilement (cigarette, œuf, lait...) dans leur environnement. Ceci eut pour effet de développer leur sens d'observation et une certaine curiosité par rapport à l'écriture. Un des participants a d'ailleurs fièrement remarqué une faute d'orthographe sur un menu de restaurant...

Nous avons également travaillé beaucoup au niveau des outils dont ils disposaient; leur cahier avec des exemples type de chèques, liste des chiffres, exceptions du pluriel..., avec le dictionnaire, le dictionnaire Bescherelles des verbes. Toutefois, j'ai du insister à plusieurs reprises sur l'importance de prendre soin de leur cahier personnel. La prise en charge de leur apprentissage, donc leur autonomie, commence certainement avec leur propre cahier.

Il est en effet important que les participants puissent se débrouiller le plus rapidement possible et ces outils leur ont facilité la tâche.

La préparation dans les ateliers des assemblées générales (discussions, textes, apprentissage d'un langage plus technique) et leur participation active au sein de ces assemblées ont également contribué à apprivoiser et à démystifier l'écriture puisque cela avait une application directe dans l'utilitaire. De plus, ces expériences ont développé Te sentiment d'appartenance des participants à Lettres en main.

Nous avions mis sur pied, afin de faciliter le transfert, le projet «Écrivain Public» (voir annexe). Ce projet a d'abord été conçu pour mon groupe qui devait écrire Te texte pour le dépliant publicitaire et idéalement les participants intéressés devaient aider comme personnes-ressources, une fois le projet démarré, ce dans une optique de post-alphabétisation. Cependant pour toutes sortes de raisons dont le fait que j'avais toujours l'impression de leur imposer ce projet (à tort ou à raison), qu'ils n'étaient pas intéressés et que nous avons annulé d'un commun accord la session de printemps (mai-juin) c'est le groupe d'analphabètes complets qui a pris en charge ce projet.

Tout au long de la session, chaque idée nouvelle en dehors de l'apprentissage des verbes était reçue avec très peu d'enthousiasme, comme si les participants avaient l'impression que le dernier bastion à éliminer afin d'accéder au «savoir» était les verbes. Cependant, comme toute chose a du bon (paraît-il), les participants ont bien intégré les verbes: l'infinitif (afin de retrouver le verbe dans le dictionnaire Bescherelles) le présent, passé composé, les participes les verbes avoir et être... À ce propos, ils ont eu beaucoup de difficultés à comprendre le sens du verbe avoir et être parce que trop abstraits. Un participant m'a même affirmé catégoriquement que le verbe AVOIR au passé ça n'existait pas car «si tu ne l'as plus, ce n'est pas le verbe avoir».

Cette observation m'a fait remarquer à quel point les personnes analphabètes avaient une capacité d'abstraction restreinte et peut-être faudrait-il prévoir une intervention plus systématique afin de développer cette capacité.

3. Développement de la pensée dite objective [...]

Développement de la pensée dite objective (analyse critique)

Nous avons également travaillé beaucoup à partir de textes apportés la plupart du temps par l'animatrice. Les sujets étaient variés et avaient pour but d'ouvrir les participants à de nouvelles réalités ou de leur permettre d'exprimer leur vécu: texte sur les coopératives d'habitation, une assemblée générale, le travail au noir, la publicité, extraits du Rapport Hite sur la Sexualité des hommes, articles de la revue «CROC»...Normalement l'activité se déroule comme suit:

  • Lecture du texte par les participants à haute voix et travail sur la lecture.
  • Deuxième lecture individuelle et explication des mots de vocabulaire nouveaux.
  • Discussion et rédaction collective au tableau des idées principales sans le recours au texte (de mémoire).
  • À partir des idées écrites au tableau les participants font un résumé par écrit individuellement.
  • Correction des textes au tableau avec explication grammaticales et syntaxiques.
  • Rédaction de leur opinion.

À partir de cette démarche, j'ai souvent remarqué que les participants confondent aisément résumé objectif et opinion personnelle. Ils ont tendance également, de prime abord, à énoncer les clichés et les opinions les moins engageantes possibles. Suite à une discussion sur la situation des femmes de plus de deux heures, j'ai décidé de prendre un sujet moins chargé émotivement pour amener les participants à chercher l'information et à analyser une situation ou un énoncé plus profondément avant de se faire une opinion.

Nous avons donc travaillé sur un article de journal où il était question de la violence dans le métro et de l'intervention des Anges Gardiens. Nous avons d'abord relevé les informations contenues dans l'article et tous les participants m'ont affirmé être d'accord avec leur action, dans un premier temps. Le pourquoi a été moins facile à énoncer et nous avons alors fait une liste des arguments en faveur de et contre (je faisais «l'avocat du diable») À partir de cet exercice, ils devaient formuler par écrit une seconde fois leur opinion. Tous les participants avaient changé d'idée, à la lueur des nouvelles données sauf un. Une des personnes présentes a même écrit qu'elle n'était pas en mesure de prendre position pour le moment, faute d'information suffisante! Cette expérience a été très positive car elle a permis de faire ressortir à quel point il est avantageux et intéressant d'aller au-delà des lieux communs dans l'expression de sa pensée.

4. Activités diverses

Les outils et activités décrits ci-dessus, ne représentent qu'une partie des activités de la session. Plusieurs ont été faites à partir d'événements ponctuels lors des ateliers. Nous avons par exemple travaillé sur l'heure et ses équivalences dans le système européen sur la transformation des livres en kilogrammes, car plusieurs participants (devrais-je dire participantes?) éprouvaient des difficultés à évaluer ce que représente un kg de bœuf par exemple. Nous avons également étudié une carte géographique lorsqu'un des participants qui est Cambodgien a parlé de la situation actuelle au Cambodge. Comme il y a deux autres allophones dans le groupe, nous avons passé le reste de la soirée à «jaser» des différentes ethnies et systèmes politiques. Les participants appréciaient beaucoup ces discussions spontanées, sauf un qui avait nettement l'impression de perdre son temps.

Vers la fin de la session, j'ai eu envie de leur proposer des activités plus fantaisistes. J'ai donc choisi une lettre dans le courrier du cœur de Solange Harvey (Journal de Montréal, rien de moins!) qui me semblait correspondre à la réalité de certains de mes participants. Ceux-ci devaient trouver une réponse au problème exposé. Par la suite, des participants ont eux-mêmes inventé un problème, se sont échangé leur copie et ont répondu à la lettre d'un autre participant. Cette activité s'est faite autour de nombreuses discussions, et rires et il serait souhaitable de multiplier ces expériences car elles permettent de développer l'imaginaire.

IV Conscientisation

Ce chapitre sera bref. En effet, je n'ai pas eu à intervenir souvent au niveau de ce qu'on a défini comme étant la conscientisation (voir chapitre sur la conscientisation). Ce groupe est autonome et n'entretient pas de relations hiérarchique avec l'animatrice. Leur seule dépendance est face à leur apprentissage du code. Hormis ce point, les relations sont donc très égalitaires et ouvertes. J'ai surtout eu à intervenir au niveau du cognitif quoique un des participants ait dû faire beaucoup d'efforts pour surmonter sa gêne et sa honte. Lors de son arrivée dans le groupe, il refusait d'aller au tableau et il écrivait si pâle que je ne pouvais lire ses textes. Le groupe l'a beaucoup soutenu et encouragé, ce qui lui a permis de faire des progrès académiques remarquables et de s'ouvrir au groupe.

Cet esprit d'équipe est-il le fruit du travail fait auparavant par les autres animateurs ou est-il lié aux individus qui forment le groupe? Quoiqu'il en soit, les participants de ce groupe n'étaient pas compétitifs, n'étaient pas gênés de poser des questions ou de faire des erreurs et misaient volontiers sur les compétences de tous et chacun pour un meilleur apprentissage possible.

V Conclusion

J'aimerais simplement terminer ce bilan en ajoutant que la plupart des participants de ce groupe d'analphabètes fonctionnels sont maintenant prêts à quitter Lettres en main. Ils ont tous fait des progrès rapidement, s'absentaient peu et étaient satisfaits des apprentissages qu'ils faisaient. Malgré de fréquents questionnements tout au long de l'année, ce fut pour moi une démarche passionnante. Le manque d'expérience m'a sans doute fait commettre des erreurs. Cependant, j'y ai appris que quelquefois, des interventions en apparence insignifiantes facilitent grandement l'apprentissage comme de ne pas oublier de les encourager,surtout au début,ne jamais être avare de compliments, ne pas toujours poser des questions à celui qui ne connaît pas la réponse mais penser à le questionner sur ce qu'il sait, varier les activités, tenir compte de leur capacité de concentration en prévoyant des activités plus faciles ou plus légères en fin d'atelier, varier les caractères d'imprimerie afin qu'ils se familiarisent avec leur diversité, etc...

Je termine en précisant que ce bilan a été fait le plus honnêtement possible, sans chercher aucunement à embellir les résultats obtenus.

Annexe I

Évaluation

1. Lecture

A. Trouvez-vous que dans l'atelier nous lisons:

Suffisamment

Pas assez souvent

Trop souvent

B. Voulez-vous lire:

Plus souvent

Moins souvent

Comme maintenant

C. Quand vous lisez, trouvez-vous que vous comprenez:

Très bien

Bien

Pas beaucoup

2. Discussion

A. À l'atelier, nous discutons:

Pas assez souvent

Trop souvent

Suffisamment

B. Je trouve que les discussions m'apportent :

Beaucoup de choses

Peu de choses

Ne servent à rien

C. J'aimerais que nous discutions:

Plus souvent

Moins souvent

Comme maintenant

D. Les sujets de discussion sont:

Intéressants

Pas intéressants

Variés

Pas assez variés

3. Écriture

A. Dans l'atelier, nous écrivons:

Pas assez souvent

Suffisamment

Trop souvent

B. Dans l'atelier, nous voulons écrire:

Plus souvent

Moins souvent

Comme maintenant

C. Depuis que je viens a l'atelier, je lis, j'écris et me sers de ce que j'apprends:

Chez moi

Un peu

Beaucoup

Pas du tout

Au travail

Un peu

Beaucoup

Pas du tout

4. Exercice

A. Trouvez-vous que nous faisons des exercices:

Trop souvent

Suffisamment

Pas assez souvent

B. Dans l'atelier, nous voulons faire des exercices:

Plus souvent

Moins souvent

Comme maintenant

C. Je trouve que les exercices m'aide à comprendre:

Un peu

Beaucoup

Pas du tout

5. Textes

A. Je trouve que nous travaillons avec des textes:

Assez souvent

Pas assez souvent

Suffisamment

B. J'aimerais travailler avec des textes:

Plus souvent

Moins souvent

Comme maintenant

6. Écrivain Public:

Le projet m'intéresse:

Un peu

Beaucoup

Pas du tout

7. Depuis que je viens à l'atelier, J'apprends:

Pas assez vite

Trop vite

Assez vite

8. Je pense que maintenant je sais assez de choses pour me débrouiller:


Oui

Non

Ne sais pas

9. Je désire poursuivre les cours à la prochaine session:

Oui

Non

Ne sais pas

Annexe II

Projet: Écrivain public.

I Description du projet

Création d'un service de soutien pour la population du quartier Rosemont ayant des difficultés avec la lecture et l'écriture (lettres aux propriétaires, formulaires...).

II Objectifs généraux théoriques

1) Pédagogiques

  • Développer la confiance en soi, là solidarité, l'expressivité et la créativité
  • Maîtriser un outil: l'imprimerie
  • Comprendre un nouveau langage, celui de la publicité
  • Appliquer des acquis académiques dans le concret et l'utilitaire
  • Intégrer un savoir à leurs conditions concrètes d'existence afin de sortir les acquis du cadre restreint des ateliers pour amorcer la prise en charge de leur propre apprentissage
  • Élaborer des outils d'évaluation par rapport à la méthode naturelle appliquée aux adultes analphabètes et par rapport à la pédagogie du projet

2) Services offerts

Soutenir la population du quartier Rosemont pour la rédaction de:

  • Formulaires gouvernementaux (Assurance chômage, aide sociale, RRQ, Constat à l'amiable, C.A.T.)
  • Lettres officielles (bail, école, loi, demandes d'informations générales, annonces dans les journaux)
  • Facturation (Hydro, Bell, Gaz, grands magasins)
  • Transactions bancaires
  • Lettres personnelles

* Ne comprend pas les rapports d'impôt.

III Objectifs spécifiques

1) Pédagogiques

  • Permettre l'échange, la mise en commun des ressources comme substitut à la compétition
  • Sensibiliser les participants à un processus concret de production (appropriation-démystification d'un outil et du processus)
  • Permettre aux «fonctionnels» de participer à ce service (entraide)
  • Ouverture sur le milieu (connaissance)
  • Fonctionnement de groupe

2) Services offerts

  • Faire connaître Lettres en main dans le quartier
  • Donner le goût aux personnes concernées de s'inscrire à des ateliers éventuellement

IV Évaluation

1) Objet

A) Attitudes

  • Confiance en soi
  • Solidarité

B) Capacités

  • Maîtrise de l'OUTIL
  • Goût d'apprendre
  • Ouverture hors atelier

C) Acquis académiques

D) Produit fini

E) Efficacité du service: nombre de personnes rejointes, type de services demandés, implication des participants

2) Outils

a) Circulaire

b) Auto-évaluation: satisfaction, intérêt, plaisir

c) Fonctionnement ultérieur du groupe en ateliers

d) Intégration des connaissances hors atelier (ce qu'ils font qu'ils ne faisaient pas)


  • 1 Hautecoeur, Jean-Paul, Alpha 82, DGEA, Québec 1982 pp. 48-49, p. 288
  • 2 HAUTECOEUR, Jean-Paul, Alpha 82, DGEA, Québec 1982 pp. 48-49, p. 288