Table des matières

Avant-propos

Le langage intégré est une approche pédagogique novatrice qui préconise l'apprentissage simultané de la lecture et de l'écriture et ce, en continuité avec l'expression orale.

Au printemps 1991, une douzaine d'animatrices et d'animateurs, provenant de groupes membres du RGPAQ, assistaient à une session de formation de deux jours portant sur cette approche. Guy Boudreau, professeur à la Faculté de l'éducation de l'Université de Sherbrooke, a préparé et animé cette session. À partir des commentaires émis par les personnes qui ont participé à la session, le présent document vise à arrimer cette approche dans le contexte du groupe d'alphabétisation populaire, qui diffère des contextes de l'école primaire ou secondaire.

Après une brève définition de l'alphabétisation populaire et du langage intégré où nous dégageons des points de jonction, nous vous proposons quelques variantes de l'application du langage intégré dans des ateliers d'alphabétisation populaire que l'on peut déjà prévoir.

L'alphabétisation populaire

Dans les groupes d'alphabétisation populaire, on tend à s'éloigner d'une approche scolarisante pour faire connaître la lecture, l'écriture et le calcul aux adultes. Mais la démarche alternative de ces groupes ne s'arrête pas là: elle favorise aussi une prise de conscience et une connaissance critique du vécu des personnes apprenantes ainsi que des différentes réalités de la société.1 La démarche proposée dans ces groupes populaires vise la prise de parole par les personnes qui s'alphabétisent, cette appropriation de la parole apparaissant comme l'outil d'émancipation qui leur permettra de participer plus pleinement au développement de leur espace social, culturel, politique et économique.

Le langage intégré

La démarche que propose le langage intégré pourrait se résumer ainsi: l'apprentissage de la lecture et de l'écriture se fait à travers l'expérimentation de la tâche d'écrire. À la manière de l'écrivain qui prépare un projet de roman ou de biographie, la personne apprenante découvre, par l'intermédiaire d'un projet d'écriture, les différentes étapes que cette démarche implique: elle exerce sa réflexion, elle fait de la recherche, elle organise des éléments dans une logique, elle vérifie et intègre des notions de grammaire...Le tout à partir du principe que si on écrit, dans la vie, c'est pour être lu!

Les deux approches: points de jonction

L'apprentissage en contexte signifiant, l'écriture dans une intention de communication, le code au service de la communication, la collaboration comme appui à l'apprentissage, figurent parmi les principes communs à l'approche du langage intégré et aux pratiques des groupes populaires d'alphabétisation.

Quant aux objectifs partagés par les deux approches, notons celui de la démystification de l'écriture. Le langage intégré permet, même en cours d'apprentissage, au participant ou à la participante à un atelier d'accéder au pouvoir d'écrire. Parce qu'elle produit un texte qui répond à ses propres besoins ou intérêts, la personne apprenante fait ainsi l'exercice de la prise de parole. Or, cette prise de parole, dans ses dimensions individuelle ou collective, selon le projet en cours dans l'atelier, est un objectif important de l'alphabétisation populaire.

Si on peut dégager des points reliant l'approche de l'alphabétisation populaire et les méthodes du langage intégré, il n'en reste pas moins que ce sont les conditions et les pratiques de chaque groupe qui vont façonner l'application du langage intégré.

Une application créative

Certains groupes, pour la modélisation de lecture, vont surtout utiliser des textes se prêtant directement à une fonction de conscientisation, c'est-à-dire des textes dont le contenu est porteur d'une vision critique de la société. Dans d'autres groupes, les animatrices et les animateurs négocieront, avec l'ensemble des personnes participant aux ateliers, le choix des textes à lire en groupe. Dans ce cas, on travaillera à partir d'un éventail de littérature plus large et les «conférences* de groupe» deviendront des moments privilégiés pour exercer son sens critique en discutant des valeurs véhiculées dans les textes. Ailleurs, on se servira plutôt d'un texte relatant une discussion antérieure du groupe ou de textes écrits par des gens ayant participé à des ateliers passés.

Dans d'autres groupes encore, on commencera l'animation des ateliers à partir de la méthode du photolangage avant de se lancer dans celle du langage intégré2. Ailleurs, là où on produit annuellement un journal des participantes et des participants (passant ainsi des projets individuels au projet collectif), on peut dire qu'il existe déjà une certaine pratique des «conférences» et un lieu «d'édition».

Par ailleurs, des animatrices et des animateurs considèrent que cette approche rend moins difficile l'évaluation du transfert des connaissances dans la vie quotidienne. Puisque la personne apprenante travaille à la rédaction d'un texte répondant à une intention de communication (livrer une expérience personnelle, une opinion...), cette production s'inscrit d'emblée dans des activités et des préoccupations journalières, donc plus proche de la vie quotidienne que des exercices comme les dictées par exemple.

En fait, tant en alphabétisation populaire qu'en langage intégré, on apprend dans l'action.

Comité de pédagogie

Introduction

L'intervention didactique en alphabétisation a suscité déjà beaucoup de débats. Le présent document se situe en dehors de toute polémique et cherche à rendre compte d'une pratique en alphabétisation auprès des apprenants et apprenantes adultes. Nous privilégions, bien sûr, l'approche du langage intégré et les postulats théoriques qui l'accompagnent. Il faut voir dans ce choix une simple préférence qui repose sur une certaine expertise et non pas une position partisane qui exclurait toute autre option.

Ce sont les orientations fondamentales propres au langage intégré qui nous conduisent à proposer cette démarche aux apprenantes et apprenants adultes. Comme nous le verrons plus loin, il s'agit d'une approche qui cherche à responsabiliser la personne apprenante en ce sens qu'elle est elle-même porteuse de ses projets de lecture et d'écriture, sur lesquels viendront se greffer la supervision et les enseignements de l'animatrice ou de l'animateur. Pour permettre à la personne apprenante d'émettre des hypothèses qu'elle peut formuler elle-même sur les différentes caractéristiques du fonctionnement de l'écrit, l'approche du langage intégré prend le contre-pied d'une pédagogie où l'on prescrit aux élèves ce qu'il faut pour apprendre. Les concepteurs du langage intégré (Goodman, 1987; Smith, 1988; Graves, 1983; Weaver, 1989; Atwell, 1987; McCormick Calkins, 1986) postulent que tout apprentissage repose d'abord sur la production directe de la personne apprenante, comme c'est le cas de l'apprentissage de la parole.

Nous avons bien conscience, par ailleurs, que non seulement les animatrices et animateurs doivent réviser ou adapter leur pédagogie, mais qu'il faut aussi que les personnes apprenantes modifient leur représentation de l'apprentissage de l'écrit. Les adultes en alphabétisation s'attendent à retrouver un style pédagogique ou didactique qu'ils ont connu antérieurement, et cette attente est généralement le signe d'une certaine insécurité devant l'inconnu d'un nouvel apprentissage. Pour ces personnes, accepter de «revenir ou de venir à l'école» s'accompagne souvent d'une conception linéaire de l'apprentissage, c'est-à-dire d'un apprentissage pas à pas où les notions s'emboîteront les unes dans les autres pour aboutir, en bout de piste, à une maîtrise satisfaisante de l'objet d'apprentissage. Il faudra donc beaucoup discuter avec les personnes apprenantes pour qu'elles acceptent de faire le plongeon dans l'écrit autrement que par l'enchaînement d'exercices spécifiques à certaines notions dont l'apprentissage isolé ne pose généralement pas de problèmes, sans toutefois que le transfert de ces soi-disant acquisitions se fasse sur les véritables situations de lecture et d'écriture.

Nous présentons dans le présent document les principes théoriques qui dominent en langage intégré, pour examiner ensuite les principaux mécanismes mis au point dans cette approche. Nous présenterons la pratique des conférences, des mini-leçons ainsi que les dispositifs de l'édition. Dans la première partie, nous aborderons plus spécifiquement l'apprentissage de la lecture.

Nous espérons que ce survol de l'approche du langage intégré appliquée en alphabétisation saura non seulement venir en aide aux animatrices et animateurs, mais surtout qu'il pourra amorcer un renouvellement de notre pédagogie du langage écrit. Il ne faut pas croire, toutefois, que ce type de démarche puisse résoudre tous les problèmes que pose l'intervention pédagogique en français. Nous pensons que de nouvelles pistes s'offrent désormais à ceux et celles qui sont à la recherche d'une intervention efficace. Quant aux animatrices et animateurs qui auraient déjà exploré certaines pratiques du langage intégré, nous osons croire que ce document viendra les conforter dans leur démarche et, le cas échéant, compléter leur pratique pédagogique.

Quelques principes généraux du langage intégré

Avant de proposer la démarche d'intervention issue de l'approche du langage intégré, il est nécessaire de délimiter les grands principes sur lesquels se fonde cette approche. Toute la pratique du langage intégré s'appuie sur ces principes qui non seulement balisent l'intervention mais annoncent également une philosophie de l'apprentissage de l'écrit.

L'approche du langage intégré présente l'avantage de fournir une démarche rigoureuse en accord avec les positions théoriques qu'elle préconise.

On reconnaît généralement cinq grands principes à la base du langage intégré:

  1. la formation d'un «club littéraire» par les personnes apprenantes;
  2. l'apprentissage naturel de la langue écrite;
  3. les prises de risques et la tolérance de l'erreur;
  4. le contexte signifiant des apprentissages;
  5. la valorisation des productions écrites des personnes apprenantes par le partage et la diffusion.

1. Créer une véritable communauté de lecteurs/ scripteurs: le «club littéraire».

Il importe, en langage intégré, de faire en sorte que les personnes apprenantes s'approprient l'objet d'apprentissage que constitue le langage écrit. Elles doivent se sentir concernées par l'écrit qui doit devenir un «objet de convoitise» et pas seulement représenter une technique extérieure à leurs besoins. Les personnes apprenantes sont trop souvent amenées à contempler l'écrit en tant qu'observateurs. Il faut donc créer un environnement où elles seront formées à manipuler l'écrit tout comme elles ont abordé l'oral, c'est-à-dire dans un contexte signifiant de communication, où la réception et l'émission d'un message écrit proviennent d'un véritable besoin de créer, de communiquer, d'échanger, etc.

Un tel contexte suppose que les personnes qui apprennent la langue écrite vont pouvoir utiliser l'écrit au sein d'une communauté dont les membres manifestent tous le besoin d'échanger et de discuter sur leurs activités et productions respectives. Il faut que le groupe des apprenantes et apprenants devienne un «club littéraire» où chaque personne se prononce sur ses lectures, soumet ses premiers jets aux autres, se prononce sur «l'œuvre» de ses pairs. Dans ces conditions, les personnes apprenantes sont considérées comme des utilisateurs de l'écrit et l'animatrice3 joue un rôle de soutien à titre d'expert de l'écrit qui saura guider les apprentissages des apprentis lecteurs et des apprentis scripteurs.

Au sein de ce «club littéraire» l'animatrice joue le rôle de modèle. La personne apprenante doit être soumise à des démonstrations de lecture et d'écriture. Les formateurs ou les formatrices sont les premiers représentants de la langue écrite et, à ce titre, des experts. Il s'impose donc que l'animatrice montre non seulement les processus qu'elle utilise lorsqu'elle lit ou écrit, mais aussi le plaisir qu'elle en retire.

2. Favoriser un apprentissage naturel de l'écrit.

L'apprentissage naturel suppose qu'on laisse toute la place aux apprenantes et apprenants pour qu'ils expérimentent le pouvoir communicatif de l'écrit et les mécanismes qui le régissent. Il faut, par exemple, que la personne apprenante puisse avoir l'occasion d'émettre librement ses hypothèses sur le fonctionnement de la langue écrite. À ce titre, le langage intégré favorise l'émergence de ce qu'il est convenu d'appeler l'écriture temporaire, c'est-à-dire que nous encourageons les scripteurs à produire de l'écrit même s'ils ne connaissent pas encore tous les rouages de l'écriture. On parlera aussi d'écriture inventée, elle-même témoin de la représentation qu'a l'adulte de l'écrit. Tout comme l'émission des premiers sons, des premiers mots, des mots-phrases, a fait l'objet d'encouragements de la part du milieu éducatif des enfants, la situation pédagogique en langage intégré devrait également promouvoir et encourager ces tentatives sur la langue écrite.

Le morcellement de la langue écrite en ses diverses composantes (sons, syllabes, mots, phrases, etc.) va à rencontre de l'apprentissage naturel. L'enfant qui a appris à parler l'a fait dans un contexte intégral de communication auquel étaient subordonnés les aspects mécaniques de la parole. L'apprentissage de l'écrit n'échappe pas à une telle règle. Il faut que la personne apprenante reçoive ou produise de l'écrit et c'est au cours de ces activités que certains enseignements lui seront dispensés.

3. Encourager les prises de risques et tolérer l'erreur.

Le respect de l'apprentissage naturel implique donc la prise de risques. Il ne faut pas attendre que la personne apprenante sache écrire pour lui permettre d'écrire. C'est en écrivant qu'elle mettra à l'épreuve ses hypothèses sur la langue, et un tel fonctionnement oblige le scripteur à oser proposer ses solutions devant la production d'un mot, d'un message, d'un texte, etc.

Dans une telle perspective, l'erreur n'est plus l'erreur. Elle devient une réponse que la personne apprenante a trouvée et elle nous permet d'accéder plus facilement à la représentation que cette dernière se fait du fonctionnement de l'écrit. Pointer du doigt les «erreurs» a pour effet d'inhiber le scripteur. En revanche, c'est précisément sur ces écritures temporaires que l'enseignement prendra sa source.

4. Les apprentissages se font en contexte signifiant.

La communication implique l'engagement des interlocuteurs. On peut difficilement demander à une personne apprenante d'assimiler des notions si l'objectif premier de ces apprentissages est noyé dans une kyrielle d'exercices où la langue se réduit à apposer des «s», des «x», des «nt», etc., dans des cases vides. Toute règle doit être enseignée lorsque le scripteur manifeste qu'il l'ignore ou la connaît mal et ce, lors d'un projet de production écrite. L'enseignement d'une connaissance déclarative (règles lexicales, grammaticales, etc.) doit venir se greffer à un travail en cours et non pas précéder les tentatives de production de textes des scripteurs. Écrire et lire obligent à tenir compte d'un projet de communication bien plus qu'à se soumettre à un code. L'objectif d'une production littéraire continue est à la base même de l'approche du langage intégré.

5. Valoriser les productions écrites des apprenantes et apprenants par le partage et la diffusion.

La production de textes a pour fin ultime la diffusion des réalisations du scripteur. Écrire uniquement pour soi implique que le scripteur soit parvenu à un niveau élevé de motivation et généralement, cet intérêt repose sur des expériences antérieures de diffusion. Les scripteurs, quel que soit leur âge, manifestent toujours le besoin de communiquer leurs productions ou encore leurs impressions à la suite d'une lecture qui les a intéressés. En langage intégré, le partage des productions est présent dans la démarche; ce partage concerne non seulement les textes terminés, mais aussi toute portion de texte que la personne apprenante souhaite soumettre pendant le processus d'élaboration. Écrire dans le seul but d'être corrigé n'a pas sa place en langage intégré. Toute production est assujettie au projet de communication et avant de procéder à la diffusion, la correction du texte se fera dans un contexte d'échanges et de discussions sur l'œuvre que la personne analphabète est en train d'élaborer.

6. Une définition générale de l'approche du langage intégré.

On pourrait être tenté de définir l'approche du langage intégré en se référant à ses seuls principes théoriques. Même si le fait de définir le langage intégré comporte le risque de le réduire à ses divers principes, au détriment peut-être de toute la «mentalité» qui l'anime, nous proposons ici une définition qui se veut la plus représentative possible de son esprit et de son application.

Selon l'approche du langage intégré, les apprenantes et apprenants sont les premiers acteurs de la relation pédagogique qui s'instaure autour de l'apprentissage de la langue écrite. Le premier objectif d'une telle approche consiste à considérer les personnes apprenantes comme des utilisateurs de la langue écrite même si elles ne maîtrisent pas encore tous les rudiments de la langue. À ce titre, tous les membres du groupe sont considérés comme faisant partie du même «club littéraire» où chacun produit de l'écrit et le soumet aux autres membres de la communauté de lecteurs et de scripteurs pour fins de communication, de discussion et d'échange. Un tel contexte nécessite la mise sur pied d'un dispositif pédagogique où l'apprentissage repose sur l'expression écrite spontanée des personnes apprenantes et ce, dans un climat d'échanges naturels et signifiants; le projet de communication doit être élaboré le plus rapidement possible de manière à ce que les personnes apprenantes pratiquent régulièrement la langue écrite. Il ne faut donc pas attendre que tous les mécanismes de l'écrit soient en place pour les lancer dans des activités de lecture et d'écriture. Il faut laisser une certaine place à la prise de risques et à la tolérance de l'erreur. Ces imperfections feront l'objet d'un enseignement spécifique (mini-leçon) ou de discussions entre les personnes apprenantes et avec l'animatrice (conférences). En langage intégré, la signifiance du projet de communication doit primer. On consent à utiliser l'écrit en autant que le scripteur ressente le besoin de livrer un message. Les productions finales doivent être diffusées, ce qui, tout compte fait, confirme et «célèbre» la démarche du scripteur qui voit ses réalisations littéraires valorisées par le sort qu'on leur réserve.

Nous n'avons pas la prétention de fournir ici une définition complète et définitive de l'approche du langage intégré, mais nous croyons avoir cerné les principaux principes qui l'animent. D'autres éléments importants de cette approche seront développés au cours du présent texte lorsque nous jugerons nécessaire de préciser certaines notions.

Soulignons enfin que s'engager dans l'approche du langage intégré n'exclut pas l'effort, le travail et la persévérance auxquels doivent se soumettre les personnes apprenantes. Nous croyons toutefois qu'une telle pratique pédagogique dépasse largement la simple et unique transmission de connaissances pour laisser plus de place à la responsabilité de la personne apprenante qui, petit à petit, s'approprie la langue écrite pour la mettre au service de ses besoins de communication. L'intervention auprès d'apprenants et apprenantes adultes ne peut que bénéficier de ce principe de l'engagement de celui ou celle qui apprend.

La lecture en langage intégré

Nous proposons ici une démarche calquée sur l'approche du langage intégré. Dans la littérature concernant cette approche, on ne retrouve pas exactement la démarche que nous proposons ici. Nous nous inspirons cependant de l'esprit du langage intégré où la lecture n'est pas uniquement définie par les divers mécanismes qui la composent, mais bien comme une activité de communication. On accordera donc autant d'importance aux messages du texte qu'aux particularités concernant le code.

L'apprentissage du langage écrit doit être appuyé par des activités d'animation où tout écrit est appréhendé en tant que message significatif et spécifique sur lequel la personne apprenante doit pouvoir réagir. La lecture est d'abord un acte de communication. L'introduction à l'écrit, même pour le non-lecteur, doit d'abord faire valoir l'importance du contenu sans encore insister sur les aspects mécaniques de l'acte de lire. La démarche que nous esquissons ici comporte diverses composantes qui sont :

  1. la lecture quotidienne d'un récit par l'animatrice;
  2. une discussion sur le texte lu;
  3. la sélection d'un extrait à travailler
  4. la détermination des notions à apprendre et des exercices à faire;
  5. le lien à établir avec les pratiques d'écriture.

1. La lecture quotidienne d'un récit par l'animatrice

Pour stimuler le goût de lire, il importe que l'animatrice se présente en tant que lecteur auprès des personnes apprenantes et leur fasse découvrir les différents contenus que la lecture rend accessible. Il est donc suggéré, en regard d'un tel objectif, de procéder à la lecture d'un livre au rythme de 5 à 10 minutes par jour. Il est fortement recommandé ici de recourir, surtout au départ, à une littérature simple au contenu proche du vécu des personnes apprenantes. Les autobiographies dites populaires se prêtent très bien à ce genre d'exercice. Nous suggérons en ce sens une bibliographie sommaire à la fin du document. Tout au long du présent document, nous utilisons le genre littéraire de l'autobiographie tant en lecture qu'en écriture; il s'agit d'un choix personnel et qui n'empêche en rien le recours à un autre genre. N'importe quel autre type de texte peut parfaitement convenir aux exigences de l'approche du langage intégré.

Avant de poursuivre plus en détail, nous tenons à signaler que le recours à la littérature populaire ne signifie pas que nous sous-estimions le potentiel littéraire et esthétique des apprenantes et apprenants adultes. Nous voulons plutôt mettre à leur disposition des textes simples dont le contenu est plus susceptible de les renvoyer à des événements de leur vie personnelle, pour progressivement tendre vers des types de textes de plus en plus variés. À l'inverse, nous ne portons pas de jugements discriminatoires sur cette littérature populaire. Aussi naïve qu'elle puisse paraître, elle possède néanmoins certaines qualités qui n'échappent pas au lecteur aguerri.

À titre d'exemple, nous prendrons le livre de Gilles Lemay, «Lueur d'espoir», qui pourrait être divisé en différents épisodes que l'on lira au groupe. Ce témoignage relate la vie de Lemay, un ex-détenu qui a dû se réinsérer dans la société après avoir passé vingt ans derrière les barreaux.

Il ne faut pas hésiter en début d'intervention à présenter le livre sous tous ses aspects matériels. Cette publication s'y prête très bien car elle comporte d'abord une préface du père de la Sablonnière et de Guy Gilbert, prêtre-éducateur en France. De plus, cet ouvrage a bénéficié de la collaboration de la sociologue Deroy-Pineau, qui s'est particulièrement intéressée à la vie carcérale. Il faut aussi mentionner aux personnes apprenantes la présence d'une table des matières qui présente le contenu des sept chapitres et des appendices placés à la fin du livre. Au verso de la jaquette, on retrouve une notice biographique et une photo de Lemay ainsi que quelques précisions sur le travail de Deroy-Pineau. Tous ces éléments devraient être signalés aux personnes apprenantes pour qu'elles puissent avoir une idée exacte de la façon dont se construit un livre.

En fait, l'animatrice doit se poser comme un modèle de lecteur. Nous présentons ici quelques pistes d'intervention susceptibles d'intensifier ce rôle.

Nous dressons ici quelques commentaires ou questions qui devraient introduire la lecture quotidienne du texte et faciliter l'animation de la modélisation de lecture.

Questions du lecteur Éléments de discussion

Quels motifs m'ont incité à choisir ce livre ou ce texte?

Il faut bien faire ressortir ici l'intention de lecture. Si on choisit de lire une telle autobiographie, c'est qu'on veut savoir ce qui a pu conduire un individu à une aussi longue incarcération. On peut aussi désirer savoir comment se déroule la vie en milieu carcéral; avec ce livre, nous avons accès au témoignage d'une personne qui a vécu concrètement la situation. On pourra aussi découvrir les difficultés qui se posent à la personne qui doit se réinsérer dans la vie sociale.

Quel type d'information devrais-je y retrouver?

Avec ce livre, on pourra probablement savoir pourquoi l'auteur est délinquant car il nous livre des passages sur son enfance, sa famille, son quartier, etc. On découvrira aussi les conditions de l'incarcération ainsi que les difficultés de la réinsertion sociale.

Que peut m'apprendre un premier survol du livre ou du texte?

En pratiquant un bref survol du livre, on peut déjà dégager que l'auteur nous parlera de son enfance, car il y a des photos de famille. On peut voir aussi que le récit est chronologique en ce sens qu'il débute avec la description de son enfance et de son adolescence pour se terminer sur les difficultés de la réadaptation à la vie en liberté. En survolant le livre, on apprend que l'auteur a été aidé par des personnes compétentes pour rédiger son autobiographie.

Est-ce-que le style du texte me convient?

Bien que le sujet puisse être intéressant, il faut vérifier si le style du texte nous convient. Dans ce cas-ci, lorsqu'on lit au hasard quelques petits passages, on découvre que le style est direct, que les descriptions ne semblent pas trop longues, que les paragraphes sont généralement assez courts et que le texte est accompagné de nombreux titres (chapitres et sous-chapitres). Si on privilégie des textes où l'information est transmise de manière directe, ce livre peut effectivement convenir à nos exigences.

Est-ce-que je peux prévoir à l'avance le contenu du livre ou du texte?

Après un premier survol, on peut assez facilement prévoir les grandes lignes du livre. Ce qui échappe encore aux lecteurs, c'est le contenu plus spécifique et surtout les états émotifs de l'auteur.

La lecture d'un tel livre pourrait-elle m'inspirer en tant que scripteur?

Sans avoir vécu d'expérience similaire à celle de l'auteur, on pourrait s'inspirer des grandes structures du texte pour planifier ou préparer un texte autobiographique. Par exemple, on sait qu'on peut commencer une autobiographie en s'arrêtant sur sa propre enfance.

Il faut donc, tous les jours, lire une portion du récit autobiographique aux personnes apprenantes. Il importe que le débit de lecture soit le plus près possible du langage oral. À titre indicatif, les deux pages et demie de l'introduction et les trois premières pages du premier chapitre peuvent être lues lors de la première séance de lecture.

Il ne faut pas craindre, par ailleurs, de vérifier auprès des personnes apprenantes si une telle activité leur convient et, en l'absence d'intérêt manifeste, de s'enquérir des types de textes qu'elles préféreraient pour cette activité de lecture. Ces périodes de lecture doivent être courtes (au maximum dix minutes) et ne seront prolongées qu'à la condition que les personnes apprenantes en fassent la demande.

Nous croyons que cette lecture publique favorise une première incursion dans le monde de l'écrit et l'animation subséquente à cette première activité devrait permettre aux personnes apprenantes d'acquérir progressivement une plus grande autonomie devant l'écrit. Il se peut que celles-ci réagissent en début d'intervention en prétextant qu'elles n'apprendront pas à lire en écoutant quelqu'un leur lire un texte. Il faut très bien délimiter avec elles les objectifs d'une telle activité. En fait, on vise à leur faire connaître les diverses composantes du livre puisqu'elles auront elles aussi à produire un essai autobiographique. Il faut aussi les informer que la période de français ne se limite pas à ce seul instant et qu'une section du texte lu sera sélectionnée pour travailler des notions particulières de l'écrit.

Au cas où certaines des personnes apprenantes se montrent suffisamment autonomes en lecture, on peut leur confier à l'occasion la responsabilité de cette lecture publique. Il faudrait qu'elles s'exercent au préalable à lire l'extrait choisi afin que la présentation au groupe soit compréhensible et intéressante. Bien sûr, ces personnes doivent être volontaires pour se prêter à un tel exercice.

2. Discussion sur le texte lu

Après cette lecture publique, on entame une discussion en groupe sur le contenu du texte lu. Quelles sont les idées qui ont le plus frappé l'auditoire? Les personnes du groupe sont-elles d'accord avec les jugements portés dans le texte? Quels sont les personnages qui plaisent ou déplaisent le plus? Y en a-t-il dans le groupe qui ont connu des expériences similaires à celles de l'auteur?

La discussion peut ensuite porter sur les caractéristiques internes du texte. On interroge alors les personnes apprenantes sur la clarté du texte, l'organisation des idées, la justesse des dialogues, les ambiguïtés de certaines expressions ou tout autre élément relevant de l'expression.

Cette deuxième partie doit en fait amener les membres du groupe à observer le texte écrit selon les composantes qui le caractérisent. La familiarisation avec l'écrit doit dépasser les éléments du code pour porter sur la globalité du texte écrit. Les enseignements qui suivront pourront alors prendre appui sur ce contexte signifiant et connu des personnes apprenantes.

3. Sélection d'un extrait à travailler

Dans le passage lu au groupe, on choisit un extrait dans lequel on dégage les notions qui donneront lieu à un enseignement. Cet extrait peut être plus ou moins long selon le niveau du groupe. Nous prendrons ici, à titre de démonstration, un extrait du livre autobiographique de Gilles Lemay, dont on retiendra un certain nombre de paragraphes (voir le Tableau 1). Chaque personne apprenante doit avoir en mains la copie de l'extrait et l'animatrice lit à haute voix et très lentement le texte reproduit sur acétate en pointant chacun des mots qu'elle prononce. Les membres du groupe sont d'abord invités à suivre la lecture du texte projeté. L'animatrice procède ensuite à une seconde lecture, que les personnes apprenantes vont suivre cette fois sur la copie qu'on a mise à leur disposition.

On procède ensuite à la lecture-mosaïque du texte. Cet exercice consiste à demander aux apprenantes et apprenants de reprendre le texte et d'identifier à l'aide d'un marqueur de couleur tous les mots qu'ils ou elles reconnaissent. On vérifie avec chacun des lecteurs le nombre de mots qu'ils peuvent identifier. D'une leçon à l'autre, on doit constater une augmentation du nombre de mots reconnus.

Tableau 1 - Introduction

Bonjour. Mon nom c'est Gilles Lemay. J'ai 41. ans et je suis un ex-détenu. J'ai passé vingt ans de ma vie en prison. J'ai consommé beaucoup de boissons alcoolisées, de drogues, de pilules. J'ai fréquenté de «bons chums». Avec le temps, j'ai fini par comprendre que la vraie vie, c'était pas ça. J'étais toujours gelé et bien mélangé. Pas étonnant que j'ai été mélangeant pour bien du monde. J'ai voulu fuir la réalité et j'ai beaucoup souffert.

Je ne suis pas un écrivain. Si j'ai entrepris de raconter ma vie, c'est parce que je veux crier à chacun de ceux qui seraient tentés de faire comme moi: «N'essaye pas! J'ai visité pour toi presque tous les pénitenciers du Québec et je ne conseille cette expérience à personne! Si j'en suis sorti, c'est grâce aux Alcooliques anonymes et à la chaleur humaine de tous les gens qui ont eu confiance en moi.»

Un jour, alors que je n'avais plus d'espoir, dans le fin fond de ma cellule, ça a crié «au secours». Je me suis demandé comment être heureux. Sans le savoir, j'ai pris le départ de la course pour le bonheur.

4. Déterminer les notions à apprendre

Après avoir procédé aux diverses lectures du texte, on prendra soin de sélectionner différents contenus sur lesquels proposer un enseignement aux apprenantes et apprenants. Dans l'exemple que nous offrons, trois aspects sont couverts: la conjugaison des verbes à la lre personne du passé composé, un lexique portant sur les drogues et la prison ainsi que l'étude de deux phonèmes (la consonne «v», la voyelle nasale «on»).

La conjugaison

Dans chacun de ces cas. on procède par induction des différentes notions à enseigner. Pour la lre personne du passé composé, on demande aux personnes apprenantes de repérer sur leur texte tous les mots «j'ai». On lit ensuite avec elles chacun des verbes conjugués à la 1re personne du passé composé: «j'ai pris, j'ai visité, j'ai entrepris, etc.» On leur demande alors de détecter à l'oral ce qu'il y a de commun pour l'ensemble des expressions repérées. La syllabe «j'ai» devrait être identifiée comme l'élément commun puisqu'elle se prononce de la même façon. De là, on présente la première colonne du tableau 2 pour faire dégager l'élément commun à toutes les expressions énumérées. L'auxiliaire «avoir» conjugué à la lre personne devrait être détecté. Il faut alors faire saisir aux personnes apprenantes que ce qui se dit de la même façon à l'oral s'écrit aussi de manière identique.

Tableau 2 - Verbes conjugués (1ère pers.passé composé)

j'ai pris
J'ai visité
j'ai entrepris
J'ai voulu
j'ai été
j'ai fini
J'ai fréquenté
j'ai consommé
j'ai passé

Au cas où cette notion est très rapidement saisie ou si elle est déjà connue, on peut reprendre les mêmes exemples et les conjuguer à la 2e personne et à la 3e personne du singulier. On peut aussi prolonger l'exercice en insérant d'autres verbes conjugués au même temps et à la même personne.

Lexique sur un thème

Toujours à partir du même texte, on choisit différentes thématiques pour extraire le vocabulaire spécifique à ces thèmes. Dans le présent exemple, il s'agit des drogues et de la prison. Nous reproduisons au tableau 3 deux listes de mots.

On demande aux personnes apprenantes d'observer un à un les mots figurant au tableau 3 et de les repérer ensuite dans le texte. On génère ainsi une perception globale du mot qui oblige le lecteur ou la lectrice à fixer son attention sur certaines caractéristiques morphologiques des mots qui lui permettent de les retrouver dans le texte. Certaines personnes pourraient disposer de suffisamment de connaissances de décodage pour procéder rapidement à un tel exercice. Dans ce cas, on peut ne donner qu'une liste orale des mots à repérer dans le texte. La liste par thèmes fournit un support sémantique à la rétention des mots, d'autant plus que ces thèmes sont tirés du texte qui a donné lieu à la lecture de la leçon.

Tableau 3 - Les thématiques (lexique)

Thème des drogues Thème de la prison

Boissons alcoolisées

Drogues

Pilules

Alcooliques anonymes

Barbiturique

Amphétamine

Dope

Cocaïne, coke

Seringue

etc.

Prison

Pénitenciers

Cellule

Gardien

Barreaux

Verrous

Mirador

Ex-détenu

etc.

À partir du moment où les personnes apprenantes parviennent à identifier assez rapidement les mots, on leur présente ces derniers isolément pour qu'elles les reconnaissent.

Si l'exercice pose trop de difficultés, on réutilise le texte pour faciliter la reconnaissance des mots. Ainsi, on présentera tout le texte disposé cette fois phrase par phrase (Tableau 4).

Tableau 4 - Les propositions sémantiques du texte

  1. Bonjour. Mon nom c'est Gilles Lemay.
  2. J'ai 41 ans et je suis un ex-détenu.
  3. J'ai passé vingt ans de ma vie en prison.
  4. J'ai consommé beaucoup de boissons alcoolisées, de drogues, de pilules.
  5. J'ai fréquenté de «bons chums».
  6. Avec le temps, j'ai fini par comprendre que la vraie vie, c'était pas ça.
  7. J'étais toujours gelé et bien mélangé.
  8. Pas étonnant que j'ai été mélangeant pour bien du monde.
  9. J'ai voulu fuir la réalité et j'ai beaucoup souffert.
  10. Je ne suis pas un écrivain.
  11. Si j'ai entrepris de raconter ma vie, c'est parce que je veux crier à chacun de ceux qui seraient tentés de faire comme moi:
  12. «N'essaye pas!
  13. J'ai visité pour toi presque tous les pénitenciers du Québec et je ne conseille cette expérience à personne!
  14. Si j'en suis sorti, c'est grâce aux Alcooliques anonymes et à la chaleur humaine de tous les gens qui ont eu confiance en moi.»
  15. Un jour, alors que je n'avais plus d'espoir, dans le fin fond de ma cellule, ça a crié «au secours».
  16. Je me suis demandé comment être heureux.
  17. Sans le savoir, j'ai pris le départ de la course pour le bonheur.

On relit chacune des phrases avec les personnes apprenantes pour s'arrêter sur les mots figurant sur l'une ou l'autre des deux listes thématiques. Chacune des phrases est numérotée. Ceci permet de segmenter le texte en ses diverses propositions sémantiques pour faciliter une plus grande rétention du contenu et un meilleur repérage des mots se rapportant aux thèmes choisis.

Si certaines personnes réussissent très bien cet exercice, on peut leur demander d'expliquer au groupe de quelle façon elles s'y prennent pour reconnaître les mots. On suscite alors une discussion sur les processus mobilisés par chacun pour reconnaître ces mots. D'une leçon à l'autre, on s'apercevra que les stratégies se raffinent et que le bagage de mots reconnus s'accroît. La lecture-mosaïque peut être reprise ici pour réinvestir les acquisitions faites lors de la reconnaissance globale des mots.

L'étude des phonèmes

Tout comme on a constitué dans l'exercice précédent des lexiques thématiques, on retire cette fois des mots qui comportent des phonèmes identiques. Dans l'exemple du tableau 5, il s'agit des phonèmes «v» et «on». Pour chacun des phonèmes arrêtés, on présente également une expression comportant des mots comprenant ces phonèmes.

Si les personnes apprenantes manifestent une bonne compréhension de la correspondance phonème/graphème, on leur demande de retrouver ces mots dans le texte et de tenter de lire ou de reconnaître la phrase où se situent ces mots. Par exemple, la phrase no 3 - «J'ai passé vingt ans de ma vie en prison.» - comporte deux mots où le phonème «v» est présent et un mot («prison») qui a été vu lors de l'exercice sur la reconnaissance de mots thématiques. Si cette notion ne pose pas de difficultés, on demande aux apprenantes et apprenants de trouver des mots de leur vocabulaire qui comportent ce phonème pour les écrire au tableau, et là encore, on met en évidence la similitude graphique. Si cette relation semble poser problème, on reprendra la lecture des mots concernés tout en faisant à nouveau remarquer que le premier son est toujours le même, ainsi que la première lettre du mot.

On peut enfin fabriquer des exercices où tous les mots vus comportant le phonème «v» sont reproduits sur une fiche avec d'autres mots qui ne comportent pas cette particularité phonétique. Il s'agit alors de faire repérer les mots commençant par «v» et si possible de les faire lire.

Tableau 5 - L'étude des phonèmes

Similitude phonétique

Le son «V»/ La lettre «V»

vie
vingt
voulu
veux
visité

vingt ans de ma vie

Le son «ON»

Prison
boisson
bons
monde
raconter
conseille
confiance
fond

Le bon monde de la prison

Nous procédons ensuite de façon similaire pour l'autre phonème («on») qui a été retenu pour la leçon.

Ici encore, la lecture-mosaïque pourrait être reprise pour que les personnes apprenantes reconnaissent en contexte les mots appris à partir de l'entrée grapho-phonétique.

Nous tenons à signaler ici que si l'intervention ne portait que sur cette dernière partie de la leçon, où on s'arrête plus particulièrement sur l'apprentissage de la correspondance phonème/graphème, l'esprit de toute la démarche serait altéré puisque l'apprentissage ne concernerait que les aspects mécaniques de la lecture. Il importe que toute la dimension de la signification, du contenu, soit constamment présente dans l'enseignement de la lecture.

En dernier lieu, la fiche récapitulative de la leçon peut être présentée aux personnes apprenantes et mise à leur disposition dans leur cahier de lecture où figure également tout le matériel qui leur a été fourni lors de la leçon (tableau 6). Il faut bien leur faire voir que tout ce lexique leur est désormais disponible et qu'elles peuvent s'y référer d'une leçon à l'autre pour se remémorer un mot, une notion, etc.

Tableau 6 – Fiche récapitulative de la leçon

Verbes conjugués (1ère pers. passé composé Thème des drogues Thème de la prison Similitude phonétique

J'ai pris

J'ai visité

J'ai entrepris

J'ai voulu

J'ai été

J'ai fini

J'ai fréquenté

J'ai consommé

J'ai passé

Boissons alcoolisées

Drogues

Pilules

Alcooliques anonymes

Barbiturique

Amphétamine

Dope

Cocaïne, coke

Seringue

etc.

Prison

Pénitenciers

Cellule

Gardien

Barreaux

Verrous

Mirador

etc.

Le son «v»/La Lettre»v»

Vie

Vingt

Voulu

Veux

Visité

etc.

Vingt ans de ma vie

Le son «on»

Prison

Boisson

Bons

Monde

Raconter

Conseille

Confiance

Fond

Le bon monde de la prison

Cette reconnaissance de mots à partir d'un contexte signifiant, ainsi que l'enseignement des notions grapho-phonétiques jumelé à toute l'animation qui est faite en lecture, assurent, croyons-nous, un apprentissage progressif de la lecture. La fiche récapitulative de la leçon illustre bien la somme des acquisitions possibles au cours d'une intervention de ce type qui peut s'étendre sur une période d'une dizaine d'heures. Lorsque nous passons à l'exploitation d'un autre texte, la procédure est connue des personnes apprenantes et les stratégies auxquelles elles recourent vont s'affiner d'un texte à l'autre.

Nous n'avons fourni ici qu'une leçon-type. Il appartient par ailleurs aux animatrices d'adapter cette procédure aux compétences et au rythme d'apprentissage des personnes de leur atelier.

5. Le lien avec les pratiques d'écriture

Si on s'adresse à des personnes avancées en lecture, les leçons antérieures viendront rappeler certains mécanismes de lecture, consolider des automatismes pas encore parfaitement intégrés et, surtout, donner le goût de la lecture.

Si les personnes du groupe sont moins avancées et qu'elles manifestent néanmoins, pour ce qui est du décodage en lecture, des compétences laissant présumer une assimilation rapide des notions couvertes lors des exercices précédents, on passera plus rapidement aux pratiques d'écriture. Si la lecture d'autobiographies intéresse les personnes apprenantes, on peut leur proposer de rédiger leur propre autobiographie. Comme nous le verrons plus loin, il faut alors mettre sur pied toute une pratique de conférences pour engager la discussion sur un tel projet de production de textes. Les enseignements antérieurs en lecture pourront dès lors servir de modèles pour chacun des projets personnels et les contenus plus spécifiques portant sur des notions particulières serviront de facilitateurs.

Dans la foulée des leçons de lecture et de toute l'animation qui l'entoure, il importe d'inciter les personnes apprenantes à se lancer dans leur propre projet d'écriture, leur propre autobiographie. Il faut alors instaurer un climat de tolérance où l'erreur n'est plus objet de sanction mais devient l'occasion de fournir en contexte les explications nécessaires pour résoudre le problème qui se pose. L'apprentissage de l'écriture chez les enfants fait de plus en plus intervenir l'écriture inventée ou l'écriture temporaire, pour reprendre les termes utilisés en langage intégré. Selon ce concept, le scripteur apprenti jette les mots sur papier selon sa représentation du moment; il devrait en être de même pour les apprenantes et apprenants adultes. Il faut permettre à ces derniers de procéder à des tentatives d'écriture pour qu'ensuite, l'animatrice puisse sélectionner les principales difficultés afin de déterminer le contenu des mini-leçons qui seront dispensées avec chacun des scripteurs.

Dans les pages qui suivent, nous décrivons plus en détail le fonctionnement de ces mini-leçons ainsi que celui des conférences. Au préalable, il importe que les personnes apprenantes aient adopté l'idée de produire des textes signifiants et de faire face aux difficultés de la langue. On consultera à ce sujet une publication antérieure (Boudreau, 1991) dans laquelle, à partir d'une expérience de l'autobiographie en alphabétisation menée à terme, nous avons pu constater que l'écriture prend un sens véritable pour les personnes apprenantes lorsqu'on la met à leur service pour leur permettre de s'exprimer, de se raconter.

La production de textes : Apprentissage de l'écriture en langage intégré

1. Le modèle scripteur

Tout comme pour les activités de lecture, la pratique de la modélisation est d'une très grande importance pour les activités d'écriture. Les personnes apprenantes doivent pouvoir observer les stratégies qu'un scripteur expert met en branle lors de la production de textes. Les difficultés que tout scripteur rencontre ne doivent pas être évacuées du processus de mise en texte. Écrire demande un certain effort et les embûches ne manquent pas, même pour le scripteur expert. C'est pourquoi il importe de démontrer que l'écriture n'est pas un acte automatique et qu'elle implique des stratégies de résolution de problèmes. À ce sujet, Girard (1991) soutient que:

«Les personnes qui n'ont jamais écrit ne savent pas comment on procède. L'écrit leur a toujours été présenté sous sa forme finale (journal-livre-article-matériel scolaire), comme s'il était le fruit d'un premier jet. De sorte qu'elles ne soupçonnent pas le travail par étapes qui se cache derrière ce produit fini. Ces personnes en déduisent que l'écriture se fait d'un seul jet et sont, par conséquent, persuadées que savoir écrire est synonyme d'écrire sans faute.»

(GIRARD, Nicole. 1991, p. 4.)

Nous présentons dans les lignes qui suivent la démarche générale de la modélisation en écriture. Pour de plus amples informations à ce sujet, nous renvoyons les lectrices et les lecteurs à une publication antérieure qui fait état de cette pratique pédagogique en milieu scolaire (Boudreau, 1991).

2. Une procédure générale

La première consigne qu'il faut respecter en modélisation d'écriture, c'est la production de textes qui ne soit pas préalablement préparée. Il ne sert à rien de produire un texte devant les personnes apprenantes si l'animatrice en connaît le thème à l'avance. Il faut éviter toute préparation mentale relative au thème à développer avant de s'exécuter devant les personnes apprenantes. Il faut présenter l'écriture avec toutes les contraintes qu'elle impose. L'objet de la modélisation est précisément de bien faire saisir d'abord que tout scripteur est confronté à une série de problèmes, et ensuite qu'il dispose de diverses stratégies pour résoudre ces problèmes de rédaction.

L'animateur modèle scripteur

Il va de soi que la démonstration est faite par l'animatrice. Il n'est pas interdit cependant d'inviter une autre personne (ami, collègue, personne de la direction de l'institution, etc.) pour venir écrire devant les personnes apprenantes; il faut, au préalable, lui faire connaître la démarche de modélisation.

La démonstration s'effectue sur un tableau-conférence; ce support, contrairement au tableau noir, ressemble aux instruments scripteurs dont disposent les personnes apprenantes. L'écriture sur acétate est aussi un instrument adapté à la modélisation. Il s'agit donc d'un exercice spontané d'écriture sur lequel les personnes apprenantes pourront se modeler.

Ces séances de modélisation doivent être les plus fréquentes possible. Nous en suggérons une par semaine, même dans les cas où l'horaire hebdomadaire ne comporte que six ou neuf heures d'intervention. Chacune des séances, par ailleurs, ne doit pas dépasser une dizaine de minutes. Quand elle se prolonge, on constate généralement que l'intérêt faiblit; si toutefois l'attention des personnes du groupe est soutenue et qu'elles manifestent le besoin d'observer encore davantage le modèle, on pourra prolonger la séance de modélisation.

Raisonner tout haut

Dans le contexte de la rédaction spontanée devant les personnes apprenantes, l'animatrice doit d'abord rédiger la liste des idées qu'elle compté retenir sur le sujet; il ne s'agit pas d'un plan mais bien d'un «listing» dictées qui permettra la rédaction du brouillon. A partir de cette liste d'idées, elle écrit son texte tout en faisant ressortir à haute voix les questions qu'elle se pose sur le choix des mots, les structures de phrases, les accords qu'on peut prévoir, l'enchaînement des phrases, etc. En fait, il s'agit ici de faire saisir aux personnes apprenantes toute la démarche d'autorégulation qu'exige le premier jet.

Bien entendu, il faut que ce questionnement soit réel pour qu'il ait une certaine crédibilité auprès des personnes du groupe. Il n'est pas nécessaire de signaler au cours de cette démonstration toutes les règles grammaticales et lexicales nécessitées par le texte pour éviter que l'intérêt faiblisse.

À l'occasion, il est possible d'insister sur une règle précise qu'on voudrait que les personnes apprenantes retiennent. Il ne faut pas, néanmoins, que cet exercice dérive vers la description systématique de certaines règles.

Puisqu'il s'agit d'un brouillon, l'animatrice ne doit pas hésiter à biffer, raturer, faire des renvois. Quand le scripteur modèle rencontre une question pour laquelle il ne dispose pas toujours d'une réponse immédiate, il recourt à des symboles en guise d'aide-mémoire. Si nous doutons, par exemple, de l'orthographe d'un mot, nous inscrivons la lettre «D» au-dessus de ce mot; une fois le premier jet terminé, on se rappellera ainsi qu'on doit vérifier certains mots dans le dictionnaire. Il ne faut pas, par ailleurs, multiplier le nombre de catégories ou de codes. Nous suggérons ici quatre catégories:

D = dictionnaire
G = grammaire
C = conjugaison
? = quelque chose ne va pas dans l'expression. (exemple: construction de la phrase)

Transcription du brouillon

Après avoir corrigé le brouillon, l'animatrice procède à la mise au propre du texte. Si elle a le temps de le faire, elle peut s'exécuter tout de suite après son premier jet; si ce dernier a nécessité une dizaine de minutes, elle pourra mettre au propre le brouillon corrigé à un autre moment et présenter ensuite le texte final aux personnes apprenantes. Notons que la mise au propre permet de faire d'autres corrections.

3. La conférence en langage intégré

La pratique des conférences est surtout appliquée à la production de textes. Les animations de lecture publique et les discussions qui peuvent en découler constituent des conférences de groupe où chacun peut émettre son opinion sur le contenu et la forme d'un texte lu. Dans les pages qui vont suivre, nous nous attacherons plus particulièrement à la production de textes. Les principales procédures présentées concernent donc l'écriture. Il nous faut préciser toutefois que les procédures de la conférence, de la mini-leçon, et de l'édition pourraient être appliquées pour l'apprentissage de la lecture. Si nous les rattachons surtout à l'écriture, c'est que nous croyons, à l'instar des principaux concepteurs du langage intégré, que le contact le plus direct avec l'écrit est celui de la production de textes.

La procédure du langage intégré se caractérise tout particulièrement par la pratique des conférences. Celle-ci assure, en fait, le maintien de la communication entre le scripteur et ses interlocuteurs. L'écriture étant rarement destinée à la simple satisfaction d'écrire, il importe que l'apprenti scripteur puisse éprouver, lors du processus d'acquisition, l'efficacité de son texte auprès de différents destinataires. Plus concrètement, la conférence peut être définie comme une discussion que le scripteur engage sur son texte avec un interlocuteur de son choix. Cette discussion devrait normalement faire ressortir les faiblesses du texte, auxquelles il faudra ultérieurement apporter les corrections qui s'imposent. Une telle procédure permet un apprentissage en contexte où toutes les règles de l'écriture ont leur raison d'être pour mieux desservir la production écrite du scripteur. La pédagogie de l'écrit a progressivement évolué pour faire en sorte que la production de textes devienne le moyen de vérifier si la personne apprenante a bel et bien appris et assimilé les règles de l'écriture; dans un tel cas, le message écrit n'est qu'un prétexte et il est subordonné aux règles qui le régissent. En langage intégré, en revanche, on tente plutôt de réhabiliter la production de textes, les divers systèmes de règles n'étant que des instruments à acquérir pour servir les objectifs poursuivis lors d'une production de texte.

On néglige souvent cet acte de communication dans les démarches pédagogiques habituelles, à un point tel que le fait d'écrire est souvent réduit à une résolution de problème qui met surtout l'accent sur le respect des critères d'une bonne écriture, qu'il s'agisse de la forme (orthographe grammaticale et lexicale) ou du contenu (cohérence, style, etc.). En langage intégré, on accorde aux scripteurs l'écoute la plus authentique possible; la première habileté visée, c'est de pouvoir procéder à la production du premier jet, pour ensuite apporter des correctifs aux faiblesses que la conférence aura fait ressortir.

Les divers types de conférences

Nous présentons dans le tableau 7 une nomenclature des divers types de conférences pratiquées en langage intégré. Selon les besoins du scripteur, on aménagera l'un ou l'autre type de conférence. Nous proposons ici un schéma d'ensemble des diverses conférences. Il ne faut voir là qu'un simple dispositif pour mieux différencier chacune des conférences et pour les situer plus clairement dans une pratique globale. Il ne s'agit donc pas ici d'établir un ordre d'importance des divers types de conférences, car chacun répond à un besoin spécifique des scripteurs en fonction des progrès du projet d'écriture.

Tableau 7 – Les diverses conférences

Conférence avec l'animatrice Conférence entre pairs Conférence de groupe Conférence avec soi-même

Conférence de contenu

Conférence d'idées

Conférence d'édition

Conférence d'évaluation

Conférence de contenu

Conférence d'idées

Conférence de contenu

Conférence d'idées

Conférence de contenu

Conférence d'idées

Conférence d'édition

Pour assurer une meilleure gestion du groupe en écriture, il importe de s'enquérir régulièrement de l'évolution des projets d'écriture de chacun des membres. La conférence sur les productions du groupe vise précisément à colliger ce type d'information, afin d'établir un suivi individualisé de tous les projets.

Quatre conférences, par ailleurs, se définissent en fonction de la ou des personnes avec qui elles se tiennent: la conférence avec l'animatrice, la conférence avec les pairs (les autres personnes apprenantes du groupe), la conférence de groupe et la conférence avec soi-même.

Ces quatre types de conférence peuvent prendre différentes formes. On peut ainsi, pour chacune d'elles, tenir des conférences spécifiques: conférences de contenu et conférences d'idées; la conférence d'édition ne se tient qu'avec l'animatrice ou avec soi-même, alors que la conférence d'évaluation se tient exclusivement avec l'animatrice.

Conférence sur les productions du groupe

Atwell (1987) propose de procéder d'abord à une conférence qui permet à l'animatrice de savoir où en sont rendus les scripteurs du groupe dans leur projet de production de textes.

Une des particularités de l'approche de Atwell (1987) consiste à tenir de courtes conférences avec les personnes apprenantes au sujet des productions d'ensemble du groupe («Status-of-the-Class Conference»). Cette conférence se déroule au début de chaque période d'écriture. Ce type de conférence est devenu une nécessité car la procédure du langage intégré implique le respect des rythmes de production de sorte que chaque personne apprenante peut être parvenue à une étape différente dans son projet d'écriture; il y en a qui progressent très rapidement, tandis que d'autres éprouvent plus de difficultés et élaborent lentement leur projet; certains enfin cherchent à se soustraire à l'effort qu'il faut fournir pour coucher le premier jet sur papier. Devant cette diversité des rythmes de production, l'animatrice peut perdre de vue l'évolution des apprentissages et avoir l'impression de perdre le contrôle en ce qui concerne les objectifs à atteindre.

Pour pallier à une telle situation, Atwell (1987) propose donc qu'on procède, tous les jours, à une cueillette d'informations pour s'enquérir de l'évolution des travaux de chacune des personnes du groupe et pour préciser avec elles leur plan de travail pour la période d'écriture. En fait, cette conférence rejoint deux objectifs: d'abord, s'Informer soi-même de l'évolution des projets de chacun des scripteurs et, ensuite, les inciter à bien planifier chacune des périodes d'écriture. Atwell (1987) donne la consigne suivante:

«Que faites-vous aujourd'hui? Vous pouvez peut-être continuer la rédaction de votre premier jet que vous avez commencé hier. Peut-être que vous procédez à un deuxième premier jet sur le thème que vous avez développé précédemment. Peut-être que vous révisez ou reconsidérez ce que vous avez écrit hier pour apporter certains changements à votre premier jet. Vous pouvez aussi vouloir tenir une conférence avec une personne du groupe ou avec moi afin d'obtenir un avis sur ce que vous avez produit jusqu'ici. Ou encore vous voulez choisir un autre sujet qui vous convient mieux et ainsi abandonner le premier jet que vous avez fait hier. Prenez quelques instants pour observer ce que vous avez fait hier et précisez ce que vous ferez aujourd'hui»

(Atwell, 1987, p.89)4

À tour de rôle, les personnes apprenantes font part de leur projet et l'animatrice note sur une fiche préparée à cette fin l'étape où chacune d'elles est parvenue. Nous fournissons ici un modèle de fiche pour la tenue des conférences sur la production du groupe (Tableau 8).

À l'aide d'une symbolisation (exemple: P. 1 = premier jet; P. 2 = deuxième jet; CON. ED.+ EDT. = conférence d'édition et écriture du texte final; PART.GR = partage avec le groupe, etc.), tous ces renseignements sont consignés sur la fiche de la classe. On peut bien entendu consigner sur cette liste d'autres informations au cas où on adapte ou on modifie cette procédure.

Tableau 8 – Fiche de la conférence sur les productions du groupe

Apprenant Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi






















































Légende :

P1 = premier jet
P2 = deuxième jet
CONF. ED. = conférence d'édition
CONF. ED. + Ed.FT = conférence d'édition et édition finale du texte
PART. GR. = partage avec le groupe

Ainsi, si cette conférence a lieu tous les jours, l'animatrice peut suivre chacune des personnes apprenantes et détecter celles qui prennent trop de temps pour réaliser leur premier jet, celles qui parviennent rapidement au stade de l'édition, etc. Un tel instrument apparaît indispensable pour assurer un bon suivi individualisé auprès des scripteurs du groupe.

Conférence: les divers interlocuteurs

Conférence avec l'animatrice

Pour les membres du groupe, l'animatrice est sans doute la personne qui maîtrise le mieux les pratiques d'écriture. Elle devient ainsi celle qui a le plus de crédibilité à leur yeux. Certains vont manifester un besoin constant de lui présenter leur esquisse pour s'assurer de la justesse de leur production; chez d'autres, la compétence attribuée à l'animatrice provoquera certaines inhibitions qui les rendront réticents à partager leur travail. Les moments d'échanges entre personnes apprenantes et animatrices doivent donc prendre le caractère d'une discussion spontanée sur le sujet traité par le scripteur, plutôt que devenir le lieu où son texte sera soumis à une critique, à un jugement. Cette discussion sur la production du scripteur doit favoriser l'émergence de nouvelles idées, amener la réorganisation de quelques passages, la révision des objectifs originaux du projet d'écriture, etc.

Lorsque le scripteur soumet son texte à un interlocuteur donné, il importe que ce dernier réagisse sur le contenu et non sur la forme. Une telle conduite correspond au respect authentique du projet de communication. On demande aux personnes apprenantes d'avoir une production littéraire, de transmettre des contenus signifiants; il faut donc traiter leur production dans le même esprit. Imaginons par exemple qu'un correspondant à qui un scripteur envoie un texte réponde uniquement en pointant les fautes d'orthographes sur les plans lexical et grammatical, le style parfois boîteux de l'expression et sur l'écriture pénible à déchiffrer. Qu'il s'agisse de lettres personnelles ou d'échanges d'informations, il y a fort à parier que cette correspondance ne se poursuivra pas longtemps. Pourquoi en serait-il autrement avec les scripteurs débutants? L'enfant qui apprend à parler reçoit des réponses sur le contenu de son message. On ne lui apprend pas, par exemple, une série de sons, de syllabes, de mots en dehors d'un contexte signifiant. La parole se développe en autant que l'activité de communication s'appuie sur le besoin d'interagir sur différents contenus. Une telle règle, qui va de soi pour le langage oral, devrait aussi s'appliquer à l'apprentissage du langage écrit.

C'est au nom de ce principe que McCormick Calkins (1986) préconise que l'on accueille le plus naturellement possible les productions écrites des scripteurs. Il faut dans ce contexte d'échanges porter une attention exclusive au message livré.

On appelle donc conférence cette discussion entre l'apprenti scripteur et l'animatrice. Le «moteur» de la conférence consiste à ouvrir la discussion sur le sujet traité par le scripteur. Certaines déformations pédagogiques entraînent facilement l'animatrice à porter une attention parfois exclusive aux erreurs et lacunes du texte. Cette façon de faire l'éloigne du message du scripteur; il faut donc apprendre à développer de nouvelles attitudes devant le texte de la personne apprenante. La première chose à développer, selon McCormick Calkins (1986) est une attitude d'écoute qui s'avère indispensable pour accéder au message du scripteur dans son intégralité.

L'interaction doit donc privilégier la réception du texte du scripteur, mais il faut aussi réagir sur son contenu. McCormick Calkins (1986) suggère une série de questions/discussions qu'on peut transmettre au scripteur pour qu'il objective lui-même son texte avant de le soumettre définitivement à ses interlocuteurs. Ces questions demeurent plutôt générales et visent la globalité de la signification. Nous n'en énumérons ici que quelques-unes que nous avons librement traduites.

  • Y a-t-il quelque chose dans le texte qui m'embarrasse? qui semble ne pas aller?
  • Quelles découvertes ai-je faites en écrivant mon texte?
  • Quel est l'élément le plus important que j'essaie de communiquer?
  • Y a-t-il des passages où je m'éloigne de l'idée principale?
  • Quelles sont les questions que mon lecteur pourrait m'adresser?

Toute cette objectivation demeure donc centrée sur le projet de communication en insistant principalement sur la signification globale du texte ou sur celle de certains passages.

La conférence avec l'animatrice ne vise pas exclusivement l'amélioration du texte; elle doit également susciter chez la personne apprenante un processus de questionnement. La discussion doit aussi être l'occasion de fournir à la personne apprenante un modèle d'objectivation de son propre texte. D'une conférence à l'autre, celle-ci s'approprie le questionnement sur le texte. Nous pouvons avancer que si les conférences avec l'animatrice sont bien et régulièrement menées, la personne apprenante intégrera en cours de production les processus d'objectivation et, plus tard, les processus d'autorégulation de son texte. Ces pratiques sont essentielles à l'émergence de bonnes stratégies de révision de texte. En fait, McCormick Calkins (1986) soutient que la pratique des conférences entraîne des comportements de révision au moment même de la production d'un texte et les scripteurs sont plus susceptibles de devenir des lecteurs plus critiques de leurs propres textes. La conférence, en définitive, permet le développement progressif de compétences en révision de textes.

De plus, cette appropriation du questionnement critique peut favoriser le bon déroulement des conférences avec les pairs. La discussion entre deux ou plusieurs personnes apprenantes qui suit la communication d'un texte sera beaucoup mieux structurée et plus pertinente, sans vraiment laisser place à une discussion trop ouverte et conduite à bâtons rompus. La pratique des conférences avec l'animatrice sert de modèle aux personnes apprenantes. Elle leur apprend à interagir dans ce contexte de rétroaction ou d'objectivation.

Conférence entre pairs

Un des principes de l'approche du langage intégré consiste à transformer la classe en «club littéraire» (Smith, 1988). Qu'il s'agisse de lecture ou d'écriture, les personnes apprenantes sont appelées à parler entre elles de leurs impressions de lecture, de leur propre projet d'écriture, de leurs textes, etc. En apprentissage du langage écrit, on préconise la collaboration entre scripteurs par la mise sur pied des conférences entre pairs. Après une période où les scripteurs utilisent surtout la conférence avec l'animatrice, on les incitera à se consulter mutuellement. De la même manière qu'avec l'animatrice, les personnes apprenantes devront amorcer des discussions sur leurs textes respectifs. On les invitera donc à communiquer leur production à une personne de leur choix qui émettra ses commentaires sur le contenu du texte.

McCormick Calkins (1986) propose une démarche susceptible de faciliter la tenue des conférences entre pairs:

  • Le scripteur lit son texte à une autre personne du groupe;
  • L'interlocuteur (récepteur) doit prêter une attention particulière au contenu qui lui est communiqué;
  • L'interlocuteur réagit au texte ou questionne le scripteur si le texte est confus. Le scripteur répond aux interrogations ou aux discussions suscitées par son interlocuteur;
  • L'accent est ensuite déplacé sur la poursuite du texte en demandant au scripteur comment il prévoit continuer et comment il s'y prendra pour le faire.

La conférence entre pairs comporte toutefois quelques difficultés. Tout d'abord, il importe que le scripteur communique son texte de manière intéressante. Une lecture monotone, par exemple, pourrait compromettre la conférence. On suggère aux scripteurs de préparer la communication de leur texte. En ce sens, ils peuvent se relire attentivement et préparer une petite introduction orale afin de mieux situer leur interlocuteur face au contenu de leur texte. Il importe donc de porter une attention particulière à la tenue de ces conférences de manière à s'assurer que la communication du texte se fasse dans les meilleures conditions possibles.

Les interlocuteurs, d'autre part, peuvent avoir des difficultés à faire preuve d'une bonne écoute lors de la communication d'un texte. Au-delà d'attitudes comportementales (distraction, manque de concentration, etc.) non propices à l'accueil du texte, les personnes apprenantes ne parviennent pas tout de suite à disposer d'une écoute sélective leur permettant de toujours «rétroagir» adéquatement sur le texte. C'est pourquoi l'animatrice doit maintenir les conférences avec les scripteurs, car ces dernières procurent à toutes les personnes apprenantes un modèle d'interaction qu'elles peuvent reproduire lorsqu'on leur demande de recevoir le texte d'un pair.

Comme cela arrive souvent dans tout processus de modélisation, les personnes apprenantes peuvent avoir tendance à copier ou imiter la démarche de l'animatrice. Par exemple, elles vont toujours poser les mêmes questions, faire les mêmes commentaires, etc. Au début, ce genre d'attitude est prévisible et normale, car le processus de rétroaction n'est pas encore vraiment intégré, de sorte que les comportements des personnes apprenantes peuvent être plaqués. Selon l'expression de McCormick Calkins (1986) «they act a part» (p. 132). Nous verrons plus loin que la façon de procéder pour mener de bonnes conférences peut faire l'objet d'une mini-leçon.

Il ne faut pas, en revanche, que cette démarche soit trop rigide. À partir du texte présenté par le scripteur, elle doit laisser place à une discussion spontanée entre les interlocuteurs.

La conférence de groupe

Un autre type de conférence consiste à présenter son texte à l'ensemble du groupe. Cette conférence peut se tenir à la fin de chacune des périodes d'écriture. Il n'est pas requis toutefois de tenir une conférence de groupe lors de tous les ateliers. Il se peut par ailleurs que les scripteurs ne sentent pas le besoin de faire partager leur texte à tout le groupe. Il ne faut pas dans ce cas, les obliger à présenter leur texte. On sait que les apprenantes et apprenants adultes peuvent avoir certaines pudeurs en ce qui concerne leur production écrite et les obliger à participer à la conférence de groupe ne ferait que les inhiber davantage. À la suite d'une observation continue dans une classe de langage intégré (secondaire I), Perl et Wilson (1986) ont constaté que l'attitude d'un enseignant qui obligeait les élèves à venir en conférence de groupe a totalement compromis le fonctionnement des ateliers d'écriture.

On offre la conférence de groupe aux scripteurs lorsqu'ils manifestent le besoin de tester leur texte auprès d'un auditoire plus large et davantage susceptible de donner lieu à un plus grand nombre de commentaires. La discussion, dans un tel contexte, risque d'être plus diversifiée et, en conséquence, d'enrichir davantage le scripteur.

Il peut aussi advenir qu'un scripteur se retrouve en difficulté face à l'un ou l'autre des passages de son texte. Il peut là aussi recourir au groupe pour soumettre la difficulté qu'il rencontre et pour esquisser les solutions qu'il envisage. En général, ce type de consultation débouche toujours sur des suggestions intéressantes, ce qui réduit du coup un tâtonnement parfois trop laborieux.

Lorsque, par ailleurs, un scripteur soumet un texte qui comporte des caractéristiques intéressantes, l'animatrice peut lui suggérer de présenter son texte devant tout le groupe. La conférence de groupe peut ainsi devenir un lieu où les progrès réalisés par un scripteur sont en quelque sorte reconnus et valorisés par la communauté de ses pairs.

En dernier lieu, la conférence de groupe peut être l'occasion de présenter un texte terminé. C'est l'occasion pour le scripteur de partager son texte définitif avec tout le groupe. Il s'agit en fait du «lancement» de son texte. Tous les membres du groupe sont appelés à interroger l'auteur tant sur le contenu du texte que sur la procédure qu'il a utilisée pour parvenir à ses fins.

Conférence avec soi-même

Atwell (1987) a remarqué au cours de sa pratique du langage intégré que les élèves du secondaire pouvaient développer une certaine dépendance par rapport à l'un ou l'autre type de conférence. Dès qu'ils manquent d'idées, qu'ils bloquent en cours de rédaction, la majorité des élèves avait pour premier réflexe de demander une conférence avec l'enseignante ou l'enseignant ou avec un autre élève. Désireuse de voir les scripteurs développer une plus grande autonomie lors dé leur production de textes, Atwell (1987) a conçu ce qu'on appelle la conférence avec soi-même. Lors de quelques mini-leçons5, elle explique comment un scripteur peut s'interroger lui-même sur ce qu'il a écrit ou sur ce qu'il est en train d'écrire. Elle fournit ensuite aux scripteurs une liste de questions qu'on peut se poser aux moments où la rédaction est plus laborieuse et moins spontanée (Tableau 9).

Un premier bloc de questions concerne la somme d'informations que comporte le texte (trop ou trop peu), un deuxième s'adresse aux idées principales. Trois autres blocs sont aussi prévus. Ils couvrent la conclusion du texte, les titres et les sous-titres et enfin le style du texte. Ce «listing» est fourni aux scripteurs qui doivent le garder sous la main dans leur chemise d'écriture. Nous reproduisons dans les pages suivantes cette liste de questions, qui présente à peu près toutes les questions qu'on devrait se poser en révision de textes. On ne soumettra pas tout de suite cette liste aux personnes apprenantes. Selon les niveaux de performance et les caractéristiques d'écriture des scripteurs, l'animatrice pourra sélectionner quelques questions pour procéder à la révision. Progressivement, elle complètera la liste des questions de révision selon des objectifs spécifiques qu'elle recherche avec chacun des scripteurs. Ces derniers doivent toujours avoir sous la main cette liste de révision.

Ce type de conférence vise l'appropriation d'une procédure de révision de texte. Les enseignements de toutes les autres conférences doivent se transposer dans les pratiques de révision individuelle du texte du scripteur. Plus on tiendra de conférences, et plus les scripteurs pourront, en cours de rédaction ou en fin de rédaction, procéder à la révision de leur texte.

Tableau 9 – La conférence avec soi-même (selon Nancy Atwell)

La somme d'informations

Mon texte contient-il suffisamment d'informations?

  • Quelle est la partie la plus forte et la plus intéressante de mon texte et comment pourrais-je l'exploiter davantage?
  • Ai-je trop utilisé d'exemples plutôt que de formuler mes idées?
  • Mes idées et mes sentiments sont-ils exprimés de telle sorte que mes lecteurs devront les chercher ou encore les deviner?
  • Ai-je bien précisé où, quand et avec qui tous ces événements se produisent?
  • Ai-je décrit les scènes et les gens avec suffisamment de détails pour que mes lecteurs puissent bien se représenter chacune des scènes de mon texte?
  • Y-a-t-il des épisodes où mes lecteurs pourraient être confus? Suis-je assez explicite dans chacune des parties du texte pour que mes lecteurs saisissent exactement ce que j'exprime?
  • Est-ce que mon texte devrait comporter des dialogues? Les gens parlent-ils dans mon texte?

Mon texte contient-il trop d'informations?

  • Quelles parties du texte ne sont pas nécessaires à mon texte? Est-il possible de les retrancher?
  • Quel est le contenu spécifique de mon texte? Y-a-t-il des parties qui s'éloignent de mon sujet? Puis-je les retirer?
  • Est-ce-que je raconte plus qu'une seule histoire dans mon texte? Quelle est celle que je voulais vraiment raconter?
  • Mon texte n'est-il pas trop descriptif de tous les moments de la journée? Est-il possible de ne retenir que les moments importants de la journée et d'éliminer les autres?
  • Mon texte comporte-t-il trop de dialogues? Comporte-t-il trop de détails superflus? Ai-je décrit trop longuement certains passages?

Les idées principales

  • L'idée principale du texte est-elle suffisamment apparente pour orienter mes lecteurs dans l'action ou l'argument que je veux développer?
  • Où mon texte commence-t-il vraiment? Puis-je enlever le premier paragraphe, les deux premiers paragraphes ou encore la première page sans que mon idée principale soit tronquée?

Les conclusions

  • Est-ce que ma conclusion est trop rapide et laisse mes lecteurs perplexes?
  • Est-ce que je répète constamment ma conclusion?
  • Quels sentiments mes lecteurs auront-ils à la fin de mon texte? Ma conclusion provoque-t-elle ces sentiments?
  • Quelles sont les informations que je voudrais que mes lecteurs retiennent à la lecture de mon texte? Ma conclusion assure-t-elle l'acquisition de ces informations?

Le titre

  • Le titre annonce-t-il bien le contenu de mon texte?
  • Mon titre est-il suffisamment accrocheur pour inciter les lecteurs à lire mon texte?

Au sujet du style

  • Ai-je suffisamment introduit d'adjectifs et d'adverbes dans mon texte?
  • Ai-je répété la même information à plusieurs reprises?
  • Ai-je utilisé trop souvent les mêmes mots?
  • Mes phrases sont-elles trop longues ou mal construites? Sont-elles trop brèves?
  • Mon texte comprend-il assez de paragraphes pour permettre à mes lecteurs de faire des pauses?
  • Le rythme de mon texte est-il trop saccadé par la présence de trop dé paragraphes?
  • Les informations sont-elles présentées dans l'ordre logique? Est-ce bien la séquence où se sont déroulés les événements?
  • Ai-je bien regroupé en bloc les idées qui sont reliées entre elles?
  • Est-ce que les verbes sont toujours au même temps?

Conférences spécifiques

Conférence sur le contenu

Nous avons mentionné précédemment que la conférence doit privilégier le contenu du texte que le scripteur présente pour fins de discussion. C'est pourquoi on va jusqu'à procèder à une conférence sur le contenu où on discute exclusivement des idées apportées dans le texte, sous forme d'échange qu'on animera le plus naturellement possible.

McCormick Calkins (1986) précise les principales attitudes qu'il faut adopter au moment de la conférence. Atwell (1987), d'une manière un peu plus élaborée, détaille la procédure de la conférence sur le contenu du texte du scripteur. Notons toutefois qu'elle rejoint la position de McCormick Calkins (1986) en ce sens que l'attention est principalement portée sur «ce qui est dit» et non pas sur «comment c'est écrit».

Atwell (1987) résume en huit directives la conduite d'une bonne conférence sur le contenu. Nous les rapportons succinctement ici:

  • Les conférences doivent être courtes. Si la conférence dure trop longtemps, le scripteur peut se désintéresser du dialogue engagé avec lui et, surtout, pourrait très bien ne pas retenir tout ce qu'on a dégagé avec lui excepté les derniers éléments de la conversation. Il n'est pas toujours requis par ailleurs de s'entretenir sur tout le texte de la personne apprenante. On peut très bien lui demander de lire ou de mentionner les passages où elle rencontre le plus de difficultés à exprimer sa pensée;
  • Il faut rencontrer dans une même période le plus de scripteurs possible. À la suite de la conférence sur les productions du groupe, il importe de tenter de travailler, si possible, avec tous les scripteurs. Il faut en fait éviter d'oublier l'un ou l'autre des membres du groupe;
  • Aller vers les scripteurs. L'animatrice doit circuler parmi les scripteurs et non pas attendre à son bureau qu'ils sollicitent sa collaboration. Ainsi, la personne apprenante sait qu'à un moment ou un autre, l'animatrice viendra s'entretenir avec elle. Atwell (1987) précise qu'on ne doit pas nécessairement établir un ordre prédéterminé des rencontres avec les scripteurs: «It's like a commando raid: they never know where you'll be next (p.94).»;
  • Établir le contact visuel avec le scripteur. Si on tient une conversation, il importe de faire attention aux aspects non-verbaux de la communication. Dans de telles situations, il peut advenir qu'on ait tendance à ne regarder que le texte et très peu le scripteur. Il faut pouvoir se libérer de la lecture ou, du moins, de l'observation du texte émis par le scripteur;
  • Ne pas dire au scripteur ce que son texte devrait contenir. On doit plutôt l'interroger sur divers éléments de son texte pour qu'il y injecte des ajouts conformes à son projet initial d'écriture. Si on intervient de manière trop directive sur le contenu, le scripteur peut avoir le sentiment qu'il traduit les idées de l'animatrice et non plus les siennes. «The piece of writing belongs to the writer (Atwell, 1987, p.95).»;
  • Construire sur ce que le scripteur connaît et sur ce qu'il a écrit. Plutôt que d'intervenir sur les lacunes ou encore les imprécisions du texte en demandant à la personne apprenante de faire des ajouts ou autres corrections, on discutera du contenu de la production écrite à partir de ce qui est développé dans le texte;
  • Éviter de porter des jugements sur le texte du scripteur. Une telle directive ne concerne pas seulement les jugements négatifs qu'on pourrait faire sur la production de texte d'une personne apprenante, mais aussi tout jugement positif s'exprimant par un commentaire fermé du type: «C'est très bon.» L'animatrice qui se permet un tel jugement agit en tant qu'évaluateur qui sait comment on doit écrire et qui sanctionne ainsi la valeur du texte. Dans une démarche «naturelle» de communication, on porte très peu de jugements sur la manière dont un message peut être transmis; l'attention est plutôt centrée sur le contenu de ce qui est transmis. On doit donc s'abstenir, le plus possible, de porter ce type de jugement sur le texte de la personne apprenante. Il faut ici que l'intérêt porté à un texte s'exprime surtout par la conversation que ce texte peut susciter, plutôt que de porter un jugement global sur la valeur du texte produit;
  • Intervenir sur les éléments du texte qui suscitent la curiosité. Comme dans toute situation de communication, on doit intervenir sur le texte du scripteur à partir de ce qui attire l'attention ou de ce qui suscite le plus d'intérêt, en évitant de poser des questions fer-mées sur le contenu. Par questions fermées, il faut entendre ici tout commentaire ne provoquant que des réponses par «oui», «non», «peut-être», «des fois», etc.

Il n'est pas interdit cependant de questionner le scripteur, si on s'assure de faire siennes les attitudes qui sont sous-entendues dans les huit points précédemment mentionnés; à cet égard on peut prévoir un questionnement approprié sur la production du scripteur. Nous reproduisons dans les lignes qui suivent (Tableau 10) les questions qu'on peut adresser au scripteur à partir de certaines stratégies dysfonctionnelles d'écriture.

Tableau 10 – Questions pour la conférence sur le contenu (selon Nancy Atwell)

Situation d'écriture Questions en conférence

Le texte est confus: la notion de temps est peu claire, beaucoup d'événements sont entremêlés, beaucoup d'idées se chevauchent, etc.

* Ton texte comporte-t-il plus d'une histoire?

* Quelle est la chose la plus importante que tu tentes de raconter?

* Quelle est la section de texte que tu préfères? Comment pourrais-tu construire ton texte à partir de cette section?

On retrouve trop peu d'informations dans le texte.

* Je ne comprends pas.

* Raconte-moi plus de choses à propos de ton sujet.

* Que connais-tu d'autre sur ton sujet?

* Comment peux-tu trouver d'autres idées sur ton sujet?

On retrouve trop d'informations dans le texte.

* Est-ce que toutes ces informations sont vraiment importantes pour tes lecteurs?

* Quelles sont les parties qu'on pourrait retrancher?

Le texte est un recueil d'événements où n'apparaissent guère les réflexions de l'auteur.

* Devant tel ou tel passage de ton texte, quels sont tes sentiments?

* Que penses-tu au sujet de tel fait que tu relates dans ton texte?

* Pourquoi tel ou tel fait est-il signifiant pour toi?

L'idée principale est submergée dans des détails à un point tel que la thèse de l'auteur est difficilement perceptible.

* Est-ce-que ton idée principale conduit bien le lecteur dans ton texte?

* Où ton texte commence-t-il vraiment? Peux-tu retrancher de l'information et commencer ton texte autrement?

La conclusion est trop subite ou encore constamment répétée.

* Que veux-tu provoquer chez ton lecteur à la fin de ton texte? Est-ce-que ta conclusion le permet?

* Où ton texte finit-il vraiment?

Peu de dialogues sont utilisés alors que les personnes du texte parlent.

* Que pourrais-tu faire pour que tes lecteurs comprennent mieux que les personnages discutent?

Conférence d'idées

Une des principales stratégies dysfonctionnelles en écriture consiste à ne pas trouver de sujet de rédaction. Souvent, les personnes apprenantes n'ont pas été entraînées à se centrer sur ce qu'elles aimeraient écrire. À force d'écrire à partir de sujets imposés, l'état d'esprit qui consiste à percevoir tous les faits et gestes de notre environnement comme des sujets éventuels d'écriture devient complètement inhibé. La conférence d'idées est justement un mécanisme qui consiste à permettre au scripteur en panne de trouver des sujets pouvant très bien se prêter à la rédaction d'un texte. Il peut aussi advenir qu'un scripteur manque d'idées en raison du fait qu'il veuille varier sa production ou qu'il désire écrire dans un style différent de celui qu'il a pu adopter jusque-là. Là aussi, la conférence d'idées peut être suffisamment riche en suggestions pour qu'un scripteur se réajuste en fonction d'un genre littéraire différent, d'une nouvelle thématique, etc.

Pour procéder à la conférence d'idées, il faut aménager dans le local un lieu où il est possible de discuter avec la personne apprenante. Cette discussion peut être amorcée par des questions préparées à l'avance, où on met l'accent sur le vécu de la personne apprenante afin de puiser dans cette expérience d'éventuels sujets de textes. La conférence d'idées peut aussi se tenir entre deux personnes apprenantes. On peut interroger le scripteur en panne d'idées sur ses faits et gestes quotidiens, ses loisirs, son passé, sa famille, ses amis, etc. On peut aussi lui demander quels types de textes il aimerait produire (biographie, récit d'aventures, textes poétiques, etc.).

Il nous a été donné d'intervenir auprès d'un groupe d'adultes en alphabétisation où les conférences d'idées ont été le déclencheur des projets d'écriture des personnes apprenantes. Après avoir consulté différents textes à caractère autobiographique, celles-ci étaient invitées à parler de ce qu'elles écriraient si elles devaient rédiger leur propre autobiographie. Après un certain nombre de conférences d'idées sur ce thème de l'autobiographie, les personnes apprenantes, quand elles en manifestaient l'intérêt, entamaient la rédaction de leur récit de vie. La plupart d'entre elles sont parvenues à rédiger des textes autobiographiques assez substantiels. Tous les apprentissages se sont effectués dans ce contexte de production où chacun pouvait partager sa démarche et le contenu de son récit avec les autres personnes apprenantes et avec l'animateur. Nous ne voulons ici qu'illustrer l'importance de la conférence d'idées et, plus loin, nous reviendrons de manière plus explicite sur cette expérience.

Conférence d'édition

Lorsqu'un écrivain parvient à l'édition de son manuscrit. Il doit procéder à la révision de son texte et après la première impression du texte, il doit en corriger les épreuves. En langage intégré, cette étape de la production de textes n'est pas escamotée. Quand le scripteur est satisfait de son brouillon remanié, il peut passer à l'étape de l'édition. Il revoit alors son texte pour apporter les corrections qui concernent non seulement l'organisation d'ensemble du texte, mais aussi le code (orthographe lexicale et grammaticale). Muni d'un crayon de couleur différente de celui avec lequel il a rédigé son brouillon, il indique toutes les corrections qu'il apporte à son texte. Ainsi, l'animatrice peut observer les corrections que le scripteur effectue lui-même sur le texte. Toutes les erreurs, bien sûr, ne sont pas corrigées et cette pratique permet de voir ce qui échappe encore au scripteur.

L'animatrice prend ensuite connaissance de la dernière production corrigée de la personne apprenante et corrige à son intention les erreurs qui figurent encore dans le texte. Deux procédures peuvent être utilisées ici, en fonction du degré de difficulté des notions non encore maîtrisées dans le texte du scripteur. On corrigera d'abord les erreurs que le scripteur n'a pu éviter parce que ses connaissances grammaticales n'étaient pas assez avancées. Dans ces cas, on écrit correctement le mot au-dessus du mot erroné ou encore dans la marge. On relève ensuite les erreurs grammaticales qui auraient pu être corrigées par le scripteur; il s'agit ici des erreurs sur des choses ayant déjà fait l'objet d'un enseignement. Pour chacune de ces erreurs, un crochet (V) est inscrit dans la marge, ce qui informe le scripteur qu'il peut lui-même apporter la correction qui s'impose. Pour l'orthographe d'usage (lexicale), on sélectionne une dizaine de mots incorrectement orthographiés et on les écrit sur une courte liste qu'on met à la disposition du scripteur. Ce dernier devra prendre connaissance de cette liste de mots pour ensuite les repérer dans son texte et les corriger.

Il faut ensuite choisir quelques erreurs portant sur des notions qui n'ont pas été enseignées. Lors d'une rencontre ultérieure, l'animatrice tiendra une conférence d'édition avec le scripteur pour lui fournir les informations relatives à ces quelques difficultés préalablement sélectionnées.

Chaque scripteur possède dans sa chemise d'écriture la liste des règles qui sont vues en conférence d'édition; après chacune de ces conférences, il ajoute à cette liste les nouvelles informations qui viennent de lui être transmises afin de pouvoir, lors d'une prochaine production, procéder lui-même, le cas échéant, à cette correction. Nous fournissons au tableau 11 un exemple de la liste des notions couvertes mise à la disposition des scripteurs.

Tableau 11 – Liste des règles explicitées en conférence d'édition («Check-list»)

Titre du texte Date Notions enseignées Règles

Introduction à l'autobiographie

10/12/91

Pluriel du no

Lorsqu'un nom est précédé des déterminants les, mes, tes, ses, des, nos vos, leurs, etc. il s'accorde en prenant un «s» à la fin.

Exemples: les personnes, nos compagnons, des fleurs..

















C'est ainsi que les règles sont présentées aux personnes apprenantes. Plutôt que de présenter les règles lexicales et grammaticales au cours d'une leçon suivie d'exercices pratiques - qui, tout compte fait, ne servent à rien - le langage intégré préconise le développement préalable d'habiletés en écriture, pour ensuite, en contexte, fournir les connaissances relatives au code.

Pour chacun des scripteurs du groupe, l'animatrice tient à jour la liste des notions explicitées en conférence d'édition (tableau 12). Sur cette liste, elle inscrit les notions qui sont connues et celles pour lesquelles il faut prévoir un enseignement.

Tableau 12 – Fiche de la conférence d'édition

[Voir l'image pleine grandeur] Fiche de la conférence d'édition

Conférence d'évaluation

La conférence d'évaluation consiste à rencontrer individuellement chacun des scripteurs pour faire le point avec lui sur l'évolution de son écriture. Cette rencontre est structurée autour de quelques questions qui lui sont adressées. La personne apprenante est avisée à l'avance de la tenue d'un tel entretien et une dizaine de jours avant de procéder à l'entrevue, elle est invitée à revoir sa chemise d'écriture où tous les textes qu'elle a produits, qu'ils soient publiés ou non, sont rangés. On lui demande d'essayer de faire part de sa propre évolution, de dégager les principales difficultés qu'elle rencontre sur l'ensemble de la production. Précisons aussi que les questions sont affichées au babillard du local afin que les personnes apprenantes se préparent de manière encore plus spécifique à réfléchir sur leur propre production.

À chacune des conférences, trois questions sont toujours posées :

  • «Quelle démarche doit-on suivre pour être un bon scripteur?»
  • «Quel est le meilleur texte que tu as écrit au cours de la dernière étape et pourquoi le considères-tu comme le meilleur?»
  • «Quels sont tes objectifs pour la prochaine étape et que veux-tu essayer de nouveau en tant que scripteur?»

On adresse également d'autres questions au scripteur, questions qui peuvent varier d'une étape à l'autre selon ce qu'on a pu observer au cours de l'étape. Par exemple, on peut s'enquérir de la façon dont les scripteurs trouvent leurs sujets de texte. On peut aussi les interroger sur la manière dont ils commencent un texte. En fait, toute interrogation qui peut survenir au cours de l'étape peut être réinvestie dans la conférence d'évaluation.

Les conférences d'évaluation permettent, d'autre part, de fournir des objectifs aux scripteurs. Puisqu'ils sont évalués, il importe qu'ils détiennent les éléments sur lesquels portera l'évaluation. De manière générale, Atwell (1987) propose huit objectifs généraux aux personnes apprenantes :

  • Trouver un sujet;
  • Colliger de l'information spécifique sur ce sujet;
  • Organiser cette information;
  • Présenter cette information avec clarté et «élégance»;
  • Respecter les limites de l'usage et des mécanismes orthographiques;
  • La somme de temps et d'effort consacrée à l'écriture;
  • Oser prendre des initiatives nouvelles («risk-taking»);
  • La préparation à l'atelier d'écriture.

Atwell (1987) ajoute aussi qu'il est possible d'attribuer une note en pourcentage à la suite de la conférence d'évaluation. En tant qu'enseignante, elle s'est heurtée à cette problématique de l'évaluation à laquelle elle ne peut échapper, car elle doit produire pour tous les élèves et à chacune des étapes de l'année un bulletin scolaire. Elle est parvenue à mettre au point une procédure d'évaluation qui permet de vérifier les acquis des élèves tout en respectant l'esprit du langage intégré. Elle a donc mis sur pied la conférence d'évaluation.

Prenant en compte la dernière production du scripteur ainsi que les commentaires de la conférence, on peut assigner différents pourcentages à chacun des aspects suivants: l'organisation du contenu, la clarté ou la cohérence du texte et les mécanismes orthographiques, les sujets bien délimités («focus»), une bonne utilisation du temps mis à la disposition du scripteur et, enfin, le choix d'initiatives nouvelles. En alphabétisation, ce genre d'évaluation normative ne se pratique pas. On peut en revanche retenir ces critères d'évaluation afin de procéder à ce type de conférence, qui permet de faire le point avec les personnes apprenantes, en faisant ressortir les acquisitions qu'elles ont faites ainsi que les nouvelles habiletés qu'elles ont acquises. Ces conférences constituent aussi un moment privilégié pour diriger les personnes apprenantes vers de nouveaux objectifs d'apprentissage.

Il se peut qu'on veuille être encore plus précis quant à cette évaluation et qu'on délimite plus en détail les notions que les scripteurs devraient progressivement assimiler. Nous proposons donc la grille6 suivante pour compléter l'information au sujet de l'évaluation (Tableau 13).

Cette grille a été prévue pour des élèves de 2e année. Il est bien évident que les différentes rubriques peuvent varier selon le niveau auquel nous nous adressons. La rubrique pourcentage (%) temporaire signifie que le scripteur n'a pas respecté l'orthographe du mot; on parle alors d'orthographe temporaire.

Tableau 13 – Grille d'évaluation en écriture

[Voir l'image pleine grandeur] Grille d'évaluation en écriture

À l'inverse, le pourcentage (%) de convention fait référence aux mots bien orthographiés. Il faut spécifier ici que la notion de l'orthographe temporaire est une façon positive de considérer les erreurs. La personne apprenante ne peut pas parvenir tout de suite à une orthographe conventionnelle et ses tentatives pour reproduire les mots sont considérées comme des hypothèses orthographiques. Plutôt que de ne rien écrire, elle est encouragée à risquer une première solution pour être capable de rédiger son texte. Des correctifs pourront lui être suggérés lors de la conférence d'édition ou encore, comme nous le verrons plus loin, au moment des mini-leçons. En tenant en compte des «% temporaire» et des «% convention», on peut d'une évaluation à l'autre apprécier l'évolution des acquisitions de l'orthographe conventionnelle.

Au fur et à mesure des apprentissages, cette grille peut être modifiée par l'adjonction de nouveaux objectifs à l'une ou l'autre des rubriques. On peut aussi l'adapter au niveau de performance des personnes apprenantes, en ce sens que pour un même groupe, on peut construire deux ou trois grilles différentes.

4. La mini-leçon en langage intégré

À l'exception de la conférence d'édition, toutes les conférences portent globalement sur les processus de production de textes sans aborder l'apprentissage centré sur le respect des codes orthographiques. L'instauration des mini-leçons permet, et plus particulièrement selon la position de Atwell (1987), d'aborder en cours du projet d'écriture ces aspects liés au code.

La mini-leçon est une autre pratique qui caractérise le langage intégré. Elle peut souvent être confondue avec les diverses conférences. Nous tenterons ici de bien dégager en quoi elle consiste et de quelle manière elle se distingue des conférences. Notons tout de suite que la conférence concerne directement la production de textes d'un scripteur, alors que la mini-leçon est plutôt consécutive à une observation qu'on a pu faire sur une stratégie d'écriture ou sur le fonctionnement général de l'atelier d'écriture. La conférence présente un caractère d'objectivation directement relié au texte de la personne apprenante, et la mini-leçon concerne une règle de fonctionnement général ou encore un élément procédural de l'acte d'écrire. Normalement, le contenu de la mini-leçon provient d'une observation issue des conférences sur les productions des scripteurs du groupe.

Il faut mentionner dans un premier temps que la mini-leçon n'est jamais dissociée des productions de textes des personnes apprenantes. À partir des premiers jets des scripteurs, l'animatrice relève les principales difficultés manifestées en cours d'écriture. Après la lecture et la correction des productions écrites des personnes apprenantes, l'animatrice prépare la mini-leçon, qui peut porter sur une règle d'écriture spécifique à un scripteur ou commune à quelques scripteurs; cette mini-leçon sera tenue avec les scripteurs concernés par cette règle et ne s'adressera pas à tout le groupe. Jamais, en revanche, une règle d'écriture ne sera enseignée si elle n'émane pas de la production des scripteurs; un des fondements de l'approche du langage intégré consiste justement à procéder à l'apprentissage en contexte. L'appropriation et le maintien des connaissances est fonction du contexte d'apprentissage où le fonctionnement d'une règle (connaissance discursive) est appréhendé en même temps que son utilité (connaissance pragmatique) et que la procédure nécessaire pour l'appliquer (connaissance procédurale).

Tous les auteurs, cependant, ne s'entendent pas sur le contenu de la mini-leçon. Alors que McCormick Calkins (1986) exclut tout contenu relatif aux codes grammatical et lexical, Atwell (1987) profite des mini-leçons pour transmettre des informations spécifiques aux règles grammaticales et lexicales. McCormick Calkins (1986) réserve l'apprentissage du code au moment de la conférence d'édition et Atwell (1987) ne renvoie pas cet apprentissage à l'étape de l'édition. Pour notre part, nous préférons la démarche de Atwell (1987), en autant que toutes les mini-leçons ne se transforment pas en leçons systématiques et exclusives d'orthographe grammaticale et lexicale.

Nous abordons maintenant la conception et le contenu de la mini-leçon selon McCormick Calkins (1986), tout en spécifiant au passage les adaptations que Atwell (1987) a pu y apporter.

Pour McCormick Calkins (1986), la mini-leçon est, dans toute la démarche du langage intégré, la démarche qui permet de transmettre divers types d'information. Elle précise sept contenus qui peuvent se prêter à la mini-leçon.

Nous les énumérons d'abord ici pour les préciser ensuite :

  • L'entrée dans l'écrit;
  • Le démarrage de l'atelier d'écriture;
  • Les sujets ou la thématique d'écriture;
  • À propos de la tenue des conférences;
  • L'organisation de l'atelier en «langage intégré»;
  • Les stratégies de révision;
  • Les qualités d'une bonne écriture.

Tout comme l'intitulé de ces rubriques le suggère, la mini-leçon pour McCormick Calkins (1986) porte principalement sur l'organisation de l'atelier du langage intégré ainsi que sur le contenu de la production de textes. La mini-leçon, pour elle, ne devrait pas être l'occasion de structurer des enseignements sur les règles de la langue.

Nous reprenons ici chacun de ces points pour les appliquer à une population d'apprenantes et apprenants adultes en alphabétisation. Les directives de McCormick Calkins (1986) concernent les élèves de l'école primaire et ne s'appliquent pas toujours à la clientèle adulte. Nous les adaptons donc ici à l'intervention en alphabétisation.

L'entrée dans l'écrit

Plusieurs des personnes en démarche d'alphabétisation ont une représentation de la langue écrite qui est plus ou moins juste. Pour certaines, cette représentation renvoie à un code idéographique; pour d'autres, tous les mots auraient une symbolisation exclusive, c'est-à-dire des graphèmes qui leur sont propres et non reproductibles dans d'autres mots; pour d'autres encore, l'écrit serait spécifique au point qu'elles ne reconnaissent pas les relations qu'il entretient avec la langue parlée. La personne analphabète et de surcroît illettrée aurait aussi une perception globale de la langue parlée, de sorte que le travail d'analyse que peut exiger l'apprentissage de l'écrit s'avère difficile pour elle. À ce dernier sujet, Allegria et Morais (1989) admettent sur la base de leur étude que la structure segmentale de la parole échappe aux personnes illettrées. «...Les illettrés sont extrêmement faibles dans des tâches qui exigent la manipulation du segment initial d'une expression (p. 186).» En d'autres termes, ces personnes n'auraient pas conscience que la langue orale est constituée de mots, de syllabes, de sons, etc. La phrase «Je mange du pain» ne constituant qu'une seule action, elle renverrait à la représentation d'un seul mot.

Au tout début de l'apprentissage, il s'impose donc de prévoir des mini-leçons où le travail portera principalement sur le développement de la conscience segmentale, phonologique, de la langue orale pour assurer une meilleure introduction à l'écrit.

En ce sens, on tentera à partir du langage oral de faire saisir aux personnes apprenantes la construction syllabique et phonologique des mots que nous utilisons. À partir d'un mot suggéré par une ou l'autre de ces personnes, on demandera à chacune de prononcer très lentement le mot de sorte que les composantes syllabiques deviennent plus facilement perceptibles que sur la chaîne phonique de l'oral. De cette façon, les personnes apprenantes sont mises en contact avec un des mécanismes de l'écrit qu'elles tenteront progressivement d'injecter dans leur propre stratégie d'écriture. Il ne faut pas cependant viser tout de suite l'écriture exacte dès les premières tentatives. Il importe que les apprenantes et les apprenants puissent manipuler la langue écrite et recourir à une procédure où la production d'hypothèses sur la langue est tolérée, voire même encouragée.

À titre d'illustration, les mini-leçons portant sur l'entrée dans l'écrit pourraient comprendre des analyses de la langue orale. Nous dressons ici une liste sommaire de propositions d'intervention.

  • À partir de courtes phrases (Paul ouvre la porte.), faire relever le nombre de mots;
  • Devant trois phrases de longueur différente, demander laquelle est la plus longue, laquelle est la plus courte (Je lis souvent. Le soir, je mange peu. Je pense parfois à mes dernières vacances d'été.);
  • Après l'énumération de trois ou quatre mots, faire dégager les similitudes phonologiques. Ces similitudes pourraient concerner la première syllabe (chapeau, chalet, chaton, chacun), la dernière syllabe (mannequin, requin, arlequin, coquin) et, le cas échéant, la syllabe médiane (étagère, otage, montage, potable);
  • Après l'énumération de trois ou quatre mots, faire dégager celui qui se distingue. Cette distinction pourrait concerner la première syllabe (patin, patrie, patois, garçon), la dernière syllabe (tablette, bicyclette, allumette, téléphone);
  • Dicter dans le désordre une liste de mots monosyllabiques et procéder à un classement selon le premier phonème des mots (chat, chien, chaud, vie, vol, vert);
  • Dicter dans le désordre une liste de mots et procéder à un classement selon le dernier phonème des mots (cheval, envol, sel, chef, récif, pouf).

On pourrait allonger encore la liste des exercices portant sur la conscience phonologique de la langue orale, mais nous croyons que les quelques exemples présentés ici peuvent suffire à la présente démonstration et inciter les animatrices à proposer d'autres exercices du même type.

Précisons, par ailleurs, que pour chacune des situations énumérées précédemment, il faut que l'animatrice, une fois l'exercice oral terminé, écrive au tableau les différentes expressions utilisées pour bien faire ressortir que ce qui comporte des similitudes ou des dissemblances à l'oral en comporte aussi à l'écrit.

Toute cette section de la mini-leçon sur l'entrée dans l'écrit vise principalement le développement chez les personnes apprenantes de la conscience phonologique et segmentale indispensable aux apprentissages liés à l'écrit. La chaîne phonique du langage oral doit être morcelée en ses diverses composantes afin que les notions de mots, de sons, de syllabes, de phrases, etc. fassent l'objet d'une représentation la plus juste possible. Ce type de mini-leçon se pratique surtout en début d'intervention et est progressivement délaissé au fur et à mesure des acquisitions.

Le démarrage de l'atelier d'écriture

La mini-leçon est d'une très grande importance pour introduire l'organisation de l'atelier en «langage intégré». Dès la première période de l'année, il importe de réunir les personnes apprenantes pour les aviser que nous les considérons comme des scripteurs et que durant toute la formation, les cours de français seront le lieu où nous aurons à travailler notre production littéraire.

Lors de cette première mini-leçon, l'animatrice agit en tant que modèle auprès des personnes qui participent à l'atelier. Elle les invite à réfléchir sur ce qu'elles aimeraient écrire en leur faisant part de sa propre démarche. On peut, par exemple mentionner une anecdote qu'on vient de vivre et réfléchir à haute voix sur cet événement pour pouvoir en faire un texte ou un récit susceptible d'intéresser d'éventuels lecteurs. Il est suggéré aussi de proposer plusieurs sujets devant les participantes et les participants à l'atelier: «Je pourrais faire un texte sur un épisode important de ma vie... je pourrais aussi faire un texte sur mon père... ou encore peut-être serait-il plus intéressant d'écrire une nouvelle où je deviendrais le personnage imaginaire dont j'ai souvent rêvé.» Il est important que les personnes apprenantes voient comment le scripteur s'interroge sur le sujet ou la thématique qu'il compte arrêter pour son projet.

Il faut profiter aussi de cette première mini-leçon pour s'entendre sur le fonctionnement de ces périodes des mini-leçons. Elles sont courtes et, règle générale, c'est l'occasion pour l'animatrice d'expliquer différents éléments de la procédure de production de textes, où elle agira en tant que modèle, etc.

Le contenu, bien sûr, de la mini-leçon va varier d'une leçon à l'autre et au cours de la formation, il peut devenir de plus en plus spécifique.

Les procédures de l'atelier en langage intégré

Pour le bon fonctionnement de l'atelier d'écriture selon les modalités du langage intégré, il importe, surtout en début d'année, de prévoir des mini-leçons sur le fonctionnement comme tel. En cours d'année, si des modifications sont apportées à ce fonctionnement, la mini-leçon sera le moyen de transmettre l'information à tout le groupe.

Dans la foulée de McCormick Calkins (1986), nous suggérons ici de prévoir des mini-leçons où on aidera les personnes apprenantes à préciser leur projet d'écriture. Un des genres les plus prisés en alphabétisation est l'autobiographie. On pourrait alors proposer aux apprenantes et apprenants de préciser les épisodes majeurs de leur vie pour tenter de retenir les moments les plus pertinents qui constitueraient leur autobiographie. L'animatrice peut faire l'exercice de la délimitation du contenu de son propre projet autobiographique et servir de modèle pour cette période d'activation d'idées. Cette démonstration ne doit pas être trop longue afin que les personnes apprenantes s'approprient les comportements procéduraux mobilisés par l'animatrice.

Notons en passant que certaines périodes d'écriture pourraient aussi débuter, comme nous l'avons précédemment illustré, par une mini-leçon où l'animatrice lirait des textes aux membres du groupe. Si ces derniers adoptent le projet de l'autobiographie, les lectures faites par l'animatrice pourraient être tirées d'autobiographies populaires qui, règle générale, captivent passablement les apprenantes et apprenants adultes en raison du contenu même des textes et aussi parce que le niveau de langage est simple et proche de la langue parlée. Ces mini-leçons où l'animatrice écrit et lit devant le groupe ont pour but d'illustrer la démarche que les personnes apprenantes doivent s'approprier.

Toute autre procédure concernant le fonctionnement du groupe en langage intégré (conférence, révision, édition, etc.) peut aussi être l'objet de certains réajustements lors des mini-leçons. Il s'agit ici d'indiquer aux apprenantes et apprenants qu'il y aura des conférences, des périodes de révision, une édition des productions; il faut surtout que toutes et tous comprennent qu'on n'insistera pas sur les divers aspects du code mais bien sur le contenu à partir duquel les connaissances relatives à la production de textes seront enseignées et apprises.

Les sujets ou la thématique d'écriture

La mini-leçon sur la thématique doit porter sur la dimension créatrice de l'écriture. Lorsqu'on se rend compte que la recherche d'un sujet devient de plus en plus pénible pour la majorité des scripteurs, ou encore lorsqu'on constate que les scripteurs se cantonnent dans un seul genre littéraire ou dans une thématique unique (par exemple les sports), il importe d'organiser une mini-leçon, avec les scripteurs concernés et parfois avec tout le groupe pour trouver des moyens susceptibles de faire surgir un bon sujet. Lors d'une telle mini-leçon on peut procéder par «brainstorming» où chacun apporte une première proposition pour faciliter cette recherche de sujets.

McCormick Calkins (1986) suggère différentes options qui peuvent être proposées par l'intervenante et, dans bien des cas, par les personnes apprenantes elles-mêmes. Ainsi, la mini-leçon peut conduire le groupe à se munir d'une liste de toutes les suggestions qui peuvent être faites pour trouver un sujet.

On peut répertorier toutes les idées qui sont sorties de la mini-leçon et les reproduire sur un «poster» qu'on affiche dans le local. Sur cette affiche, on peut retrouver les suggestions qui suivent:

  • Écrire tout ce qui nous vient en tête («free write »);
  • Faire le «listing» de tout ce qui nous intéresse;
  • Faire une conférence d'idées avec un autre scripteur.
  • Dresser une liste de mauvais sujets en espérant qu'il s'en dégage un bon;
  • Relire un ancien brouillon pour voir s'il ne pourrait pas se prêter à un nouveau texte;
  • Penser à un domaine où on est un expert;
  • Observer ce que les autres scripteurs écrivent.

Si le projet d'autobiographie est adopté par tous les membres du groupe, la recherche de la thématique s'en trouve simplifiée. Il n'en demeure pas moins que la sélection de différents épisodes de vie ainsi que leur organisation en un tout cohérent pose souvent problème aux scripteurs. Dans ce cas, la mini-leçon portant sur la recherche d'une thématique devrait permettre aux scripteurs de ne pas sélectionner tous les moments de leur vie, mais bien de choisir les plus percutants et les plus susceptibles de captiver leurs lecteurs. À cet égard, on pourrait consulter une autobiographie populaire pour dégager l'agencement des principaux épisodes sélectionnés par l'auteur. On voit ici que les animations en lecture, dont il est question au début du présent texte, sont réinvesties lors des périodes d'écriture.

Mini-leçons à propos de la tenue des conférences

On a vu précédemment que la conférence occupait une place très importante dans le fonctionnement de l'atelier de langage intégré. Il faut que les personnes apprenantes soient préparées à tenir de bonnes conférences et, au-delà de la modélisation sur les conférences individuelles tenues avec l'animatrice, McCormick Calkins (1986) propose d'organiser des mini-leçons sur la tenue de ces conférences.

Lors de ces mini-leçons, il importe de répéter aux personnes apprenantes qu'elles sont aussi des «enseignants» qui peuvent venir en aide au scripteur qui propose son texte en conférence. «I might ask the entire class to act as teachers for one child» (McCormick Calkins, 1986, p. 182). Mais encore faut-il rendre les personnes apprenantes capables d'une objectivation adéquate du texte d'un auteur. Souvent, celles-ci vont poser des questions qui concernent le détail ou qui débordent un peu du contenu présenté. La mini-leçon doit les initier à interagir sur les éléments de contenu les plus signifiants.

«Cette mini-leçon doit montrer à quel point il est important de poser des questions pertinentes. On peut suggérer aux personnes apprenantes de formuler une seule question, qui serait la plus importante sur le premier jet d'un scripteur. (McCormick Calkins, 1986, p.182).7

Pour procéder à ces mini-leçons, on peut ouvrir la discussion sur le fonctionnement visé; il est aussi suggéré que l'animatrice tienne une conférence publique avec un auteur de sorte que les personnes apprenantes puissent se modeler sur les comportements démontrés.

Les stratégies de révision

La mini-leçon est aussi le moment où la procédure de révision est définie de manière opérationnelle aux scripteurs de la classe. La révision suppose qu'au préalable, il y ait eu conférence sur le texte d'un scripteur. Avant de passer à l'édition du texte, il importe qu'on fasse une répétition générale («rehearsal») pour que le scripteur teste, mette son texte à l'épreuve, et apporte ensuite les modifications qui peuvent s'imposer. Notons ici que cette démarche ne concerne pas encore la correction des erreurs portant sur le code. On ne tient compte que du contenu du texte.

Lors des mini-leçons, on peut graduellement proposer aux scripteurs différentes stratégies pour procéder à une bonne révision. Dans le cas de l'autobiographie, on n'attendra pas que tout le texte soit terminé. La révision pourrait ne porter que sur une portion du texte; lorsque cette section est considérée comme suffisamment travaillée, le scripteur procède à la rédaction de la suite de son récit. Nous reproduisons ici la liste de suggestions de McCormick Calkins (1986) :

  • Modifier le genre littéraire (d'une narration personnelle à un poème);
  • Travailler un passage confus (la fin, le titre, l'idée principale, etc.);
  • Modifier la voix des verbes du texte (de l'actif au passif);
  • Raccourcir un long brouillon;
  • Allonger un court texte;
  • Expérimenter un autre début de texte;
  • Sélectionner un objectif du texte et le réorganiser si nécessaire pour mieux répondre à cet objectif;
  • Prévoir des questions qui pourraient provenir des lecteurs et s'assurer que le texte peut y répondre;
  • Relire le brouillon et dégager ce qui fonctionne bien et ce qui ne va pas dans le texte;
  • Refaire un brouillon où on enlève, réajuste ou laisse de côté les passages qui posent problème;
  • Relire à haute voix le brouillon et écouter ce que le texte peut produire;
  • Mettre le brouillon de côté et le reprendre un autre jour;
  • Faire une conférence avec un pair pour ensuite réajuster le texte;
  • Prendre un très long brouillon et l'organiser en paragraphes ou en chapitres.

Si on considère ces différents contenus de la mini-leçon portant sur la révision du texte, on se rend compte que, très tôt, le scripteur est initié à la véritable procédure de construction de texte. C'est précisément en fonction de la maîtrise progressive de cette procédure que les aspects du code ne sont pas tout de suite abordés avec les scripteurs.

La mini-leçon sur les procédures de révision peut très bien ne pas toujours être consécutive à la production d'un scripteur en particulier. L'animatrice peut arrêter un objectif particulier et, par exemple, à partir d'un texte qu'elle est elle-même en train de rédiger, suggérer une petite procédure qui consiste à améliorer le texte en encadrant chacune des parties du texte, pour déceler si tout ce qu'il fallait en particulier écrire dans ces sections y figure bien.

Atwell (1987) profite des mini-leçons portant sur la révision du texte pour introduire des stratégies de repérage et de correction d'erreurs reliées aux codes grammatical et lexical. Comme nous l'avons mentionné lors des conférences d'édition, les scripteurs sont appelés à identifier certaines erreurs et à les corriger. Lors de la mini-leçon portant sur la révision, on leur fournit une procédure leur permettant d'accéder à une correction maximale de leur texte. Ainsi, c'est au cours de ces mini-leçons qu'on initiera les scripteurs à se relire tout en utilisant une grille de correction où sont inscrits les différents contenus grammaticaux et lexicaux qui ont fait l'objet d'un enseignement lors des conférences d'édition antérieures; on leur indique aussi qu'ils doivent inscrire leurs corrections de manière à ce que nous puissions observer ce qu'ils sont parvenus eux-mêmes à assimiler. Il faut que les personnes apprenantes s'approprient cette étape de la rédaction, qui pose comme objectif le doute orthographique, lui-même essentiel à une première démarche d'objectivation.

Les qualités d'une bonne écriture

Dans la démarche du langage intégré où le groupe est un club littéraire, il importe que les participantes et participants apprennent à porter un jugement sur l'écrit, à reconnaître les genres et les styles d'écriture qui leur plaisent le plus, bref, à pouvoir se faire une opinion précise sur les qualités de l'écriture. La mini-leçon peut être le lieu où les gens sont initiés à cet «esprit critique» face à l'écrit. Cette attitude qu'on veut développer chez eux ne s'applique pas seulement à la littérature qui leur est soumise, mais aussi à leurs propres productions écrites.

McCormick Calkins (1986), à titre d'illustration, présente une mini-leçon portant sur l'observation d'un texte: les personnes apprenantes doivent mentionner la phrase ou l'épisode qu'elles trouvent le plus réussi; elles doivent aussi préciser pourquoi cette portion du texte leur a davantage plu. Une telle mini-leçon consiste à les rendre capables de faire des choix et d'arrêter des critères pour se faire une idée précise de ce qu'est un bon texte.

Vue d'ensemble

À ce stade de notre propos, une description du fonctionnement général de l'atelier en langage intégré s'impose. Il s'agit d'un exercice descriptif qui cherche à illustrer le ou les parcours que peut suivre une personne apprenante. Nous ne pouvons décrire ici tous les cheminements possibles, et les exemples présentés ne représentent en rien un parcours obligatoire pour la personne apprenante.

En nous référant au tableau 14, nous pouvons simuler l'atelier en langage intégré. Après avoir procédé à une modélisation en lecture et/ ou en écriture pendant une dizaine de minutes et après avoir donné des informations générales sur le déroulement de l'atelier en langage intégré, on invite les personnes apprenantes à activer leurs idées pour démarrer leur projet d'autobiographie. Ce moment de réflexion ne devrait pas dépasser 10 minutes; pour certaines, la période d'activation peut être suffisante pour commencer leur premier jet. Dans ce cas, le reste de la période, c'est-à-dire 30-35 minutes, sera consacré à la rédaction de leur texte. Quant à celles qui ne parviennent pas à démarrer malgré la période d'activation, on les dirigera en conférence d'idées avec l'animatrice ou avec des pairs (8-10 minutes). Il faudra alors engager la discussion sur leur expérience passée et faire ressortir les idées intéressantes pour le projet d'autobiographie. On les invitera ensuite à s'attaquer à leur premier jet. Notons ici que le premier jet en début de projet se limite à une page ou deux sur lesquelles le scripteur amorce l'introduction de son autobiographie.

Lorsqu'une personne apprenante estime son premier jet satisfaisant, elle peut soit le remettre à l'animatrice pour correction, soit demander une conférence de contenu avec elle ou avec un pair. Cette conférence ne doit pas durer plus de 15 minutes et doit aussi permettre à l'interlocuteur de réagir sur le contenu du texte. Ensuite, le scripteur réorganise et, selon le cas, complète et enrichit son texte.

Au cas où la personne apprenante remet son texte à l'animatrice, celle-ci pourra, après lecture du texte, organiser une mini-leçon pour enseigner au scripteur une notion non assimilée en cours de rédaction du texte. Cette mini-leçon se tiendra plus tard, pour donner à l'animatrice le temps de prendre connaissance du texte produit et de dégager les notions sur lesquelles elle interviendra. La mini-leçon peut se donner individuellement ou en petit groupe. À partir de là, la personne apprenante pourra procéder à la correction de son texte, surtout en ce qui concerne l'organisation du sens. Elle pourra aussi solliciter une conférence de contenu ou une conférence d'idées avec un pair ou l'animatrice. Ensuite, elle s'attaquera à son deuxième jet.

Au deuxième jet, le texte devrait déjà présenter une organisation assez satisfaisante pour être remis à l'animatrice qui, après avoir pris connaissance des productions, structure des mini-leçons pour revenir sur des notions non encore assimilées ou pour introduire de nouvelles notions. Précisons ici que tous les scripteurs ne parviennent pas tous ensemble et au même moment à cette deuxième remise de texte. Certains peuvent en être en encore à une étape antérieure. Si après le deuxième jet, le scripteur est satisfait de son texte, il peut solliciter une conférence d'édition (cheminement pointillé).

A la suite de ces mini-leçons, le scripteur remanie son texte pour ensuite venir en conférence d'édition où on parlera surtout des aspects liés au code. Si. à cette étape de l'atelier d'écriture, une période de quatre ou cinq semaines s'est déjà écoulée, on peut tenir une conférence d'évaluation. Après l'une ou l'autre de ces conférences, le scripteur procède aux corrections relatives au sens ou au code et, dans l'éventualité où le texte est satisfaisant, peut sauter l'étape du troisième jet et remettre tout de suite le texte à l'animatrice. Si le texte mérite encore certains ajustements, le scripteur rédige son troisième jet pour, selon les besoins, solliciter ensuite une conférence de groupe, une conférence avec un ou des pairs ou encore une conférence avec l'animatrice. Des corrections sont ensuite portées en ce qui a trait aux sens et aux aspects du code. Le texte corrigé est remis à l'animatrice qui jugera alors s'il faut dispenser une autre mini-leçon qui sera suivie d'une dernière correction. Le scripteur procède ensuite au quatrième jet et accédera enfin à l'édition finale de son texte.

Tableau 14 – Cheminements possibles en atelier langage intégré

[Voir l'image pleine grandeur] Cheminements possibles en atelier de langage intégré

Références

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Boudreau, G. (1991). Le «langage intégré» en alphabétisation. Alpha Liaison, 11,3, p. 23-32.

Girard, Nicole. (1991). Le modèle scripteur. Le monde alphabétique, p.3-5.

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Vault, Carole de, Desmarais, Richard. (1984). Donald Lavoie Tueur à gages. Québec-livres, Montréal.

Crédits

Coordination
Berthe Lacharité
Ginette Richard

Rédaction
Guy Boudreau

Comité de pédagogie
Maryse Beaudoin
Claudette Bérubé
Laurent Demers
Madeleine Jean
Claire Lachapelle
Lucie Latraverse
Mario Raymond

Correction du texte
Claudine Vivier

Relecture du texte
Maryse Beaudoin
Elise De Coster
Bernard Hudon
Thomas Kearns
Berthe Lacharité
Lucie Latraverse
Françoise Lefebvre
Mario Raymond
Ginette Richard
Micheline Séguin

Conception graphique
Pierre Lachance

Correction d'épreuve
Berthe Lacharité et Ginette Richard

Impression
Les publications La Maîtresse d'école inc.

Les opinions exprimées dans ce document sont celles de l'auteur et ne représentent pas nécessairement la position officielle du RGPAQ.

Publié par le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) avec l'appui financier du Secrétariat national à l'alphabétisation.

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Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec
5040, boulevard St-Laurent, app. 1
Montréal (Québec) H2T 1R7
Tél.: (514) 277-9976


  • 1 Collectif. La pédagogie au R.G.P.A.Q. d'hier à demain. Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec, Montréal. 1991, page 57.
  • 2 Le monde alphabétique, no.2, automne 1991-hiver 1992. Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec. Montréal, pp. 8-9.
  • 3 Nous utiliserons pour la suite du présent document le terme «animatrice», pour éviter d'alourdir la lecture et parce que les animateurs en alphabétisation populaire sont majoritairement des animatrices.
  • 4 Nous traduisons ici l'extrait de l'auteure car la traduction de ce livre n'est pas disponible.
  • 5 Nous verrons plus loin en quoi consiste la mini-leçon; pour l'instant, on peut fournir la définition suivante: «Si j'observe les types de mini-leçons que j'ai utilisées (-) ...je dégage trois catégories de mini-leçons. Parfois je présente une information procédurale où j'interviens au sujet du fonctionnement de l'atelier et du rôle des apprenantes dans cet atelier. Parfois, je discute du brouillon en explicitant certaines techniques, styles ou genres littéraires. Et parfois, j'enseigne des habiletés, en introduisant des conventions de la langue qui aident les scripteurs à respecter leur intention d'écriture.» (Atwell. 1987. p.125)
  • 6 Cette grille a été constituée par Yves Nadon, enseignant de 2e année. Elle a été révisée par Guy Boudreau.
  • 7 Nous traduisons ici l'extrait de l'auteure car la traduction de ce livre n'est pas disponible.