Table des matières

À la mémoire de Nicole Lachapelle, engagée de la première heure et coordonnatrice du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec pendant 11 ans.
À l'origine de ce projet de mémorisation de notre histoire, Nicole nous aura prêté, pour une dernière fois, son intelligence, sa rigueur et sa passion.

Présentation: Se constituer une mémoire collective

Lors de nos rencontres provinciales ou encore à l'occasion de sessions de travail en comité, des «vieux et vieilles» se remémorent, avec nostalgie et avec vive émotion, des événements passés tels que la Grande Rencontre ou le programme distinct, pour n'en nommer que deux. Les «nouveaux» s'engagent peu dans ce type de conversation, ne sachant trop de quoi il s'agit. D'ailleurs, ne parle-t-on pas de la réalité de notre mouvement en utilisant souvent des expressions comme «les vieux groupes», «les jeunes groupes», «des anciens dans des nouveaux groupes», «des nouveaux dans des anciens groupes»?

Puisque certains et certaines d'entre nous sont là depuis les débuts du RGPAQ et que d'autres ont pris le train en marche, il devient important que l'ensemble du mouvement se constitue une mémoire collective et que les références historiques soient les mêmes pour tout le monde. Relatons ensemble notre histoire, redécouvrons nos belles traditions, donnons un sens à ce que nous avons fait, permettons-nous de transmettre et de partager nos connaissances du passé avec ceux et celles qui ne l'ont pas vécu. Préparons finalement une copie de sûreté pour s'assurer de pallier toute défaillance de notre disque dur!

Et pourquoi en faire un livre? Les «souvenirs» racontés, commentés par les acteurs et les actrices du temps vont permettre à plusieurs de comprendre et de remettre en question les pratiques actuelles des groupes membres ainsi que de participer plus activement aux débats de l'heure. Ils vont aussi permettre d'en arriver à une vision collective du présent et de dégager des pistes de réflexion pour les pratiques futures.

Ce livre s'inscrit donc aussi dans un processus de réflexion qui mènera à un troisième congrès d'orientation, congrès qui redonnera une certaine uniformité à notre vision idéologique, à nos positions politiques et à nos pratiques d'alphabétisation.

Nous avons choisi de laisser la parole aux gens qui ont vécu les événements plutôt que de prendre le parti de l'«objectivité historique». Nous voulions leurs impressions afin de juxtaposer les visions et d'en arriver non pas à l'histoire (officielle et avec un grand H), mais à une forme d'histoire.

Après plus de 20 ans de promotion, de défense, de développement de notre réseau et de l'alphabétisation populaire ainsi que de défense collective des droits des personnes lésées en raison de leur niveau d'alphabétisme, nous sommes toujours là, toujours en expansion malgré nos luttes continuelles pour assurer la survie des groupes et garder notre spécificité en alphabétisation populaire. Ne perdons pas de vue que nous sommes le seul réseau provincial de groupes populaires d'alphabétisation qui combat l'analphabétisme dans une perspective de transformation sociale. Soyons toutes et tous fiers de notre passé et de notre présent!

Entrez maintenant dans ce livre, laissez-vous charmer par toutes ces ambiances du temps, habillez-vous selon les périodes pour avoir encore plus l'impression de faire partie de l'histoire, notez vos commentaires et ne formons plus qu'une seule grande ligue du «vieux poêle» pour en discuter.

Alphabétiquement vôtre
Alain Cyr,
coordonnateur du Groupe Alpha Laval,
pour le Comité de lecture

De l'alphabétisation populaire au Regroupement

Gilles Landry,
formateur à Lettres en main

Ce texte s'appuie en grande partie sur les notes de travail amassées par France (Montréal) depuis 1982 Saïa et Marie-Reine Thouvenot (alors du groupe d alphabétisation populaire montréalais Lettres en main) dans le cadre d'une recherche sur l'histoire de l'alphabétisation populaire. Ces notes consistaient principalement en des monographies de groupes et des rapports d'entrevues de personnes ayant vécu cette histoire.

Malgré son jeune âge (mais 22 ans, est-ce bien si jeune?), le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) est perçu comme une véritable institution au Québec. Il est au carrefour des courants idéologiques, des revendications politiques et des expérimentations pédagogiques qui traversent l'alphabétisation populaire. Aussi peut-on avoir l'impression qu'il résume à lui seul l'histoire de l'alphabétisation populaire au Québec. Il n'en est rien. En fait, pour bien comprendre le RGPAQ, il faut d'abord savoir d'où vient l'alphabétisation populaire.

Les années 60

L'alphabétisation n'est pas une pratique nouvelle. Dès les débuts de la colonie, il y a des initiatives visant à montrer à lire et à écrire aux adultes. Les religieuses et, plus tard, les Cercles des fermières sont souvent à la base de ces initiatives. Toutefois, il n'y a rien de véritablement structuré avant les années 60.

En 1962, les travaux de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement1 font ressortir que le Québec est en retard sur les autres provinces, en ce qui concerne autant la scolarisation que la situation économique de ses habitants et habitantes. Aussi assiste-t-on à une volonté politique du gouvernement de hausser le niveau de scolarité de la population en vue d'améliorer son niveau de vie.

Au milieu des années 60, le ministère de l'Éducation créera la Direction générale de l'éducation permanente, et les commissions scolaires mettront sur pied des services d'éducation des adultes. Les premiers cours du soir commencent2.

En 1966, dans le cadre des ententes Canada-Québec en formation de la main-d'œuvre, le ministère de l'Éducation entreprend un mouvement de rescolarisation des adultes. Évidemment, on ne parle pas encore d'alphabétisation, mais de retour à l'école ou de rattrapage scolaire. En fait, ce qui distingue la scolarisation des adultes de celle des jeunes, c'est uniquement le caractère volontaire de la participation aux cours.

Bien que ces mesures connaissent un certain succès dans quelques régions du Québec, il s'avère rapidement qu'une partie de la population, en général la plus défavorisée, n'est pas plus rejointe par ces nouveaux services qu'elle ne l'avait été par le système scolaire traditionnel. Il est illusoire de penser que des personnes ayant quitté l'école sur un constat d'échec puissent se rasseoir sur les mêmes bancs des années plus tard, retrouver les mêmes manuels ainsi que les mêmes méthodes et connaître du succès.

Les premières véritables expériences en alphabétisation

À la fin des années 60, devant l'incapacité des écoles à rejoindre la population analphabète et à répondre à ses besoins, un certain nombre d'organismes voient le jour. Trois d'entre eux joueront un rôle déterminant en alphabétisation: le Comité d'éducation de base aux adultes de Montréal (CEBAM), le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles et le Centre de perfectionnement des adultes.

Le CEBAM

En 1968, le CEBAM naît de la volonté d'une religieuse, sœur Madeleine Carmel, décidée à suivre les pas de la fondatrice des sœurs de Sainte-Anne, Esther Blondin, et à descendre dans la rue pour y rejoindre «ceux qui, de toute façon, n'iraient pas à l'école». Le centre s'installe dans les locaux du Pavillon d'éducation communautaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Non soumis aux normes des institutions d'enseignement, il élabore une approche pédagogique qui lui est propre. En 1972, le centre sera récupéré par la Commission des écoles catholiques de Montréal (maintenant la Commission scolaire de Montréal) et deviendra le SEBAM (Service d'éducation de base aux adultes de Montréal). Il fermera ses portes en 1982, et ses activités seront transférées dans des écoles de la commission scolaire.

L'apport du CEBAM-SEBAM est énorme dans le monde de l'alphabétisation institutionnelle. C'est là qu'est apparue une nouvelle sorte de professionnel de l'éducation (l'alphabétiseur) qui intervient auprès d'une nouvelle «clientèle handicapée» (les analphabètes). C'est en s'appuyant sur cette approche que le ministère de l'Éducation concevra dans les années 80 le Guide de formation sur mesure, qui est toujours à la base des pratiques éducatives dans le réseau des commissions scolaires.

Le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles et le Centre de perfectionnement des adultes

À l'automne 1967, un groupe d'adultes analphabètes quitte les cours du soir organisés par la commission scolaire et fait part de son insatisfaction au Regroupement des citoyens de Pointe Saint-Charles: on les a installés dans une classe pour enfants avec du matériel didactique destiné aux enfants. Un comité de citoyens se forme alors pour étudier le problème et proposer des solutions. Cet événement marquera les débuts du Carrefour d'éducation populaire en 1968.

À la même époque, les prêtres de la paroisse Sainte-Cunégonde, dans le quartier de la Petite-Bourgogne, constatent, lors de rencontres visant à aider la population à faire face aux opérations d'expropriation et de relogement, qu'un grand nombre de personnes ne peuvent lire, ni donc remplir, les documents qui leur sont remis. Ils demandent alors à une religieuse enseignante, sœur Marie-Thérèse Saint-Denis, de mettre sur pied un atelier d'alphabétisation. En 1968, le Centre de perfectionnement des adultes, qui deviendra le Comité d'éducation des adultes de la Petite-Bourgogne et de Saint-Henri, est officiellement fondé.

Ces deux centres du sud-ouest de Montréal sont les pionniers d'une nouvelle conception de l'alphabétisation au Québec. Dès le début, ils rompent avec les façons de faire de l'école. Les intervenants et les intervenantes y mettent de côté les manuels scolaires et élaborent leurs propres outils (généralement axés sur une approche instrumentale-fonctionnelle) afin de mieux répondre aux besoins des adultes. De plus, ils s'inspirent des expériences sud-américaines d'alphabétisation conscientisante, notamment celles de Paolo Freire (voir l'encadré des pages suivantes). Les animateurs et animatrices ne se perçoivent pas comme des professionnels de l'alphabétisation, mais comme des militants qui favorisent un processus collectif d'éducation populaire. Même si, avec le temps, l'alphabétisation populaire a exploré de nouveaux espaces pédagogiques, elle s'appuie toujours sur cette approche pour se définir.

Les années 70

Au début des années 70, le gouvernement fédéral, avec son Programme de formation de la main-d'œuvre du Canada, relance l'offensive à l'analphabétisme. Cette fois, on cible directement la main-d'œuvre la moins qualifiée et la plus chroniquement au chômage. On ne parle plus de rattrapage scolaire, mais de formation de base. Les cours sont offerts à plein temps et les gens bénéficient d'une allocation de formation. Ce sont les commissions scolaires qui s'occupent du volet pédagogique. À la fin de la décennie, on doit se rendre à l'évidence: c'est un échec, en partie à cause du décalage entre les véritables demandes des adultes et les services offerts.

Mais s'il ne répond pas aux besoins réels de la population analphabète, le programme favorise par réaction l'émergence de groupes populaires d'alphabétisation. Aussi, dans la première moitié des années 70, plusieurs groupes voient-ils le jour: le Sant N A RIVE (maintenant le Centre N A RIVE), qui s'adresse à la communauté haïtienne de Montréal, le Centre portugais de référence et de promotion sociale, le Collectif d'alphabétisation des détenus et ex-détenus, la Place Vermeil, le Comité du peuple de Longueuil, la Maison du quartier à Québec, etc. Il y aura même un groupe à Huntingdon qui expérimentera intégralement la méthode de Paolo Freire. Plusieurs ne survivront pas, surtout à cause de problèmes de financement ou d'organisation. Toutefois, ces groupes obligeront l'État à percevoir l'alphabétisation populaire comme une incontournable solution de rechange à l'alphabétisation institutionnelle.

À l'occasion du séminaire Alpha 78, organisé par la Direction générale d'éducation des adultes (DGEA), tous les intervenants et intervenantes en alphabétisation (groupes populaires et commissions scolaires) sont invités à se rencontrer et à discuter de leurs pratiques. C'est la première fois qu'on réunit des formateurs et formatrices qui travaillent de façon isolée, souvent depuis une dizaine d'années.

Les retombées de ce séminaire sont multiples et spectaculaires. Dans les deux années qui vont suivre, la problématique de l'analphabétisme sort du placard et devient un enjeu social. Ainsi, l'alphabétisation est désormais perçue comme une véritable spécialité pédagogique qui se démarque de ce qu'on appelait auparavant la formation de base.

Paulo Freire est sans aucun cloute le pédagogue qui a le plus inspiré les pionniers et pionnières de l'alphabétisation populaire au Québec. Son approche dite de conscientisation a été largement adaptée au contexte des quartiers, des régions et des populations servis par les groupes.

Qui est Paolo Freire?
Né en 1921 au Brésil, il étudie en philosophie et en droit. Pendant quelques années, il est avocat dans un syndicat des quartiers pauvres. C'est en 1947 qu'il commence à s'intéresser à l'alphabétisation. Rapidement, il se dissocie des méthodes scolarisantes et décide de créer sa propre méthode, qui connaîtra un vif succès. En 1962, un plan d'alphabétisation est mis sur pied dans toutes les villes importantes du pays. Le coup d'État de 1964 met fin à la campagne d'alphabétisation, et Paolo Freire doit s'exiler.

Quelques grands principes de son approche 3
L'être humain est créateur. Il peut agir sur sa vie et participer pleinement à la transformation du monde, car ce qui le caractérise, c'est sa capacité de se distancier de lui-même et de son milieu, sa capacité d'analyse critique. Devenir un sujet conscient signifie être en mesure de s'engager dans un processus de changements sociaux aussi bien qu'individuels.

Deux réseaux sont officiellement reconnus, celui des commissions scolaires et celui des groupes communautaires, et leur financement augmente de façon substantielle (entre 1978 et 1980, le nombre de groupes populaires passe de 5 à plus de 15 et le nombre de commissions scolaires qui offrent des programmes en alphabétisation, de 12 à près de 40). Finalement, dès 1979, la lutte à l'analphabétisme devient une priorité ministérielle en éducation des adultes.

Par contre, si, dans les faits, les deux réseaux sont reconnus, ils ne sont pas financés de façon égale. En fait, ce sont les commissions scolaires qui obtiennent la grosse part du gâteau. Alors que ces dernières bénéficient d'enveloppes ouvertes, les groupes obtiennent à peine le tiers de ce qu'ils demandent. De plus, les groupes constatent que même si l'État tient à regrouper toutes les forces vives dans sa lutte à l'analphabétisme, il a tendance à vouloir en être le maître d'œuvre.

Aussi, au début de 1980, les groupes populaires, dont beaucoup n'en sont qu'à leur première ou deuxième année d'existence, se sentent-ils menacés dans leurs pratiques (qui, pour plusieurs, sont encore fragiles) et craignent d'être récupérés par les commissions scolaires. Les contacts se multiplient entre les groupes, qui tiennent à partager leurs inquiétudes.

L'automne suivant, la DGEA organise de nouveau un séminaire sur l'alphabétisation populaire, Alpha 80. À cette rencontre, il y a des représentants et représentantes des groupes populaires ainsi que du ministère de l'Éducation et de diverses commissions scolaires. Les gens des groupes se rendent vite compte que l'objectif du séminaire n'est pas uniquement de favoriser les discussions sur les pratiques. Pour les fonctionnaires, il s'agit plutôt de définir la place de l'alphabétisation populaire dans la structure du ministère de l'Éducation. On fait miroiter des possibilités de financement accru afin que les groupes participent à des tables consultatives pilotées par les commissions scolaires et quittent le programme des OVEP (organismes volontaires d'éducation populaire).

Ainsi, toute intervention éducative doit être précédée d'une réflexion sur l'être humain et d'une analyse du milieu dans lequel il vit, car c'est par une réflexion sur sa situation et sur son milieu qu'il devient sujet.

De plus, elle doit être basée sur le dialogue. Les personnes peu alphabétisées doivent pouvoir prendre la parole individuellement et collectivement, exprimer leur réalité, car tout dialogue suppose un rapport d'égalité entre les personnes.

La conscientisation doit nécessairement déboucher sur l'action, car la seule réflexion ne peut suffire à changer les conditions de vie des gens et à répondre à leurs besoins immédiats. L'action est donc l'autre source d'apprentissage, dans la mesure où il y a en retour réflexion sur cette action.

«Paolo Freire a refusé les méthodes d'alphabétisation mécaniques. Il a cherché une méthode liée à la démocratisation de la culture; une méthode qui serait un instrument de l'élève et non de l'éducateur; une méthode qui serait un acte de création, capable d'entraîner d'autres actes créateurs; une méthode qui donnerait confiance au peuple, qui réaliserait l'humanisation à partir des masses populaires et avec elles 4

En réaction à ces pressions, plusieurs groupes se rencontrent et décident de ne prendre aucune décision pendant le séminaire. Ils se fixent un rendez-vous pour discuter expressément de ces problèmes.

La rencontre a lieu le 26 novembre 1980. Les groupes décident de former un comité de travail pour élaborer un projet de regroupement provincial des OVEP en alphabétisation.

En février 1981, le projet se concrétise, et le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec voit le jour.

Tableau d'ensemble: Chronologie de nos luttes et de nos actions sur deux décennies

... et toute une histoire!

Brigitte Létourneau,
responsable de la formation au RGPAQ

L'histoire se construit à partir d'événements, mais elle est faite aussi et surtout d'émotions, de passions, de controverses, de déchirements, de départs, de nouveautés et de bien plus encore. Il devient alors difficile de résumer nos 22 ans d'existence en quelques pages seulement!

Ainsi, vous trouverez dans cette chronologie les événements les plus significatifs, ceux ayant contribué à bâtir le RGPAQ, et qui sont très certainement atténués ou magnifiés par nos souvenirs...

1980

  • Lors du séminaire Alpha 80, le ministère de l'Éducation réunit les intervenants et intervenantes en alphabétisation pour discuter de coordination et de développement de services au Québec. Un enjeu majeur: la place des OVEP en alphabétisation au sein du ministère (OVEP: organismes volontaires d'éducation populaire, ancien nom des groupes d'alphabétisation et d'éducation populaires). Des pressions sont exercées par des fonctionnaires du ministère sur certains groupes pour qu'ils quittent le programme de subvention de l'éducation populaire et s'intègrent à la structure des commissions scolaires.
  • Les groupes refusent, réaffirment leur appartenance au milieu de l'éducation populaire et s'organisent! Un comité de travail est créé afin de mettre sur pied un regroupement provincial des OVEP en alphabétisation.

1981-1982

  • Février: fondation du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) par 11 OVEP en alphabétisation. Le Regroupement devient un lieu de réflexion sur les pratiques et permet de faire front commun, de concert avec les autres groupes d'éducation populaire, pour obtenir un meilleur financement de l'alphabétisation populaire.
  • Juillet: première action officielle du RGPAQ. Dépôt d'un mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes (commission Jean). Le RGPAQ est alors le seul à aborder le problème de l'analphabétisme.

«Compte tenu des nombreuses activités de cet organisme (le RGPAQ) entreprises de juillet à novembre 1981 aux seules fins de protester contre les subventions réduites en alpha, nous recommandons de lui donner une subvention finale correspondant à l'ensemble de sa demande initiale dans l'espoir de lui permettre ainsi de réaliser le programme initialement prévu.»
Camille Laurin, ministre de l'Éducation du Québec, 1981

  • Novembre: à la suite d'une lutte médiatique menée à l'endroit du ministre de l'Éducation de l'époque, M. Camille Laurin, on annonce une augmentation de 150 000 $ de l'enveloppe budgétaire des OVEP en alphabétisation. Le budget total passe alors de 276 000 $ en 1981-1982 à 426 000 $ en 1982-1983.
  • Parution de la première revue du RGPAQ, Alphabétisation populaire (1981), ainsi que du premier bulletin des participants et des participantes, Écrire pour la première fois (1982).

1984

  • Un tournant survient dans la reconnaissance de l'analphabétisme au Québec avec \'Énoncé d'orientation et le plan d'action en éducation des adultes du gouvernement; l'alphabétisation des adultes est alors inscrite comme priorité. Publication, par le RGPAQ, d'un mémoire en réaction à ce document dans lequel plusieurs des recommandations du rapport Jean sont absentes, par exemple assurer aux adultes des conditions qui favoriseraient leur retour aux études (comme des garderies).
  • Création de 42 nouveaux groupes d'alphabétisation après la levée du moratoire. De ce nombre, plusieurs sont mis en place par les commissions scolaires afin de faire du recrutement... pour les cours des commissions scolaires! L'enveloppe globale augmente de 239 °/o, atteignant ainsi plus d'un million et demi de dollars. Le nombre de groupes membres du RGPAQ passe de 20 à 24.

Entre 1981 et 1984, le RGPAQ organise des assemblées de concertation qui sont en fait des moments de discussion sur la pédagogie. Plusieurs questions y sont abordées:

  • Les animateurs et les animatrices doivent-ils préférablement être issus du milieu populaire plutôt que de détenir un diplôme d'études universitaires?
  • Doit-on alphabétiser dans la langue maternelle du participant, de la participante ou dans celle du pays d'accueil?
  • Doit-on montrer à écrire comme on parle, dans le respect du code utilisé par les personnes analphabètes, ou enseigner le code écrit universel?
  • Quelle est la place des participantes et des participants dans les groupes et au RGPAQ?
  • Quels doivent être nos liens avec les commissions scolaires?

1985

Les discussions en assemblées de concertation sur la place des participantes et des participants mènent à l'organisation de la Grande Rencontre. Ainsi, 450 participants et participantes de partout au Québec se rencontrent pour parler de sujets qui les intéressent (la façon de se débrouiller en voyage, les femmes et l'analphabétisme, la confiance en soi, les raisons de l'analphabétisme...). Ils prennent également part à l'organisation de l'événement et à l'animation d'ateliers. Leur collaboration est vue comme une résultante logique des pratiques de conscientisation dans les groupes.

1986

Premier congrès d'orientation, dont l'objectif est de s'assurer que les 31 groupes membres possèdent les mêmes objectifs et orientations. Naissance de la Déclaration de principes et définition commune de ce qu'est un groupe d'alphabétisation populaire. On décide également de remettre le cap sur la lutte au financement. Résultante de la Grande Rencontre, une vingtaine de participantes et de participants sont présents. Bien que le congrès soit un peu trop théorique et pas assez pédagogique, ils se réunissent en ateliers et formulent des recommandations qui ne seront malheureusement pas suivies en raison du manque de moyens.

1987

Reprise des luttes pour le financement, particulièrement en ce qui concerne l'obtention d'un programme distinct en alphabétisation. Pressions exercées sur le ministre de l'Éducation de l'époque, M. Claude Ryan, concernant cette question. Levée d'un second moratoire imposé en 1985: le RGPAQ compte maintenant une quarantaine de groupes membres.

1988

  • On réinvestit en pédagogie! Un projet d'étude des besoins des formatrices et des formateurs en matière de formation et de perfectionnement est mis sur pied. Deux documents sont produits, État des besoins et DIRA (Documentation, information, ressources, alphabétisation).
  • Première entente fédérale-provinciale, les IFPCA (Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation), programme de subvention du Secrétariat national à l'alphabétisation, pour la recherche, le recrutement, la sensibilisation, la production de matériel pédagogique et le perfectionnement des intervenantes et des intervenants.

1989

  • Contribution du RGPAQ à la mise sur pied du Centre de documentation sur l'éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF). En 1983, l'Équipe d'aide au développement de la Direction générale de l'éducation aux adultes (DGEA) avait transmis son fonds documentaire au Regroupement. En 1989, le Regroupement dépose au CDEACF sa collection de quelque 800 documents de toutes sortes (vidéos, monographies, périodiques). Ce fonds n'a cessé de croître avec les années.
  • Lancement du premier programme de perfectionnement, qui mènera à la publication de la collection Un visa pour l'alpha pop. Seize sessions sont données dans quatre régions du Québec sur quatre thèmes différents: l'animation, la créativité, les approches et méthodes et l'apprentissage.
  • La lutte pour un programme distinct continue. Le but est d'obtenir un programme qui finance tout, c'est-à-dire autant les infrastructures que les activités, et d'empêcher les transferts d'argent avec les autres groupes d'éducation populaire. Le programme est finalement instauré en 1990, mais, dans les faits, l'objectif n'est pas atteint puisque seules les activités sont financées.

1990

  • L'Année internationale de l'alphabétisation: plusieurs activités de visibilité et de sensibilisation à l'analphabétisme sont organisées par le RGPAQ, dont le Voyage du Livre de l'Année internationale de l'alphabétisation dans les régions du Québec. Dans cette publication, on trouve des textes des participantes et des participants. Le RGPAQ organise également une soirée de clôture de l'Année internationale à laquelle participent plusieurs artistes québécois.
  • A de plus lieu le forum Une société sans barrières, organisé conjointement par l'Institut canadien d'éducation des adultes, le RGPAQ et la Centrale des enseignants et enseignantes du Québec. On y aborde notamment la défense des droits des personnes analphabètes.
  • Malheureusement, les activités de visibilité et de sensibilisation ne mènent à aucune victoire en matière de financement pour les groupes. Le RGPAQ décide alors d'amorcer une lutte politique pour remédier à la situation.

1991

Résultante de l'Année internationale, la revue Le Monde alphabétique (encore publiée de nos jours) fait son apparition. Le premier numéro porte sur la métacognition, thème lié à une pédagogie alternative.

1992

Deuxième congrès d'orientation, sous le thème Renforcer l'unité. On y discute de la spécificité des groupes d'alphabétisation populaire, de leur autonomie face aux bailleurs de fonds, de la place des participantes et des participants, des liens avec l'éducation populaire autonome, de la structure du RGPAQ ainsi que de la démocratie et de la pédagogie. S'ensuit un processus de révision du membership en fonction des principes discutés (de 1992 à 1993).

1992-1993

  • Le RGPAQ participe à la lutte contre la loi 37, qui introduit la notion de workfare, c'est-à-dire l'obligation de travailler pour recevoir des prestations d'aide sociale.
  • Adoption d'un cadre de référence sur le financement des groupes membres du RGPAQ expliquant en quoi consiste l'alphabétisation populaire et faisant valoir la nécessité d'un tel réseau.
  • Publication de l'ouvrage Le livre de l'Année internationale de l'alphabétisation. Un jury présidé par Michel Tremblay fait la sélection des textes.

1994-1995

  • Importante campagne d'actions du RGPAQ pour la reconnaissance et le financement de l'alphabétisation populaire. Les moyens de pression sont variés: déjeuner aux céréales Alpha-Bits avec le ministre de l'Éducation, Jean Garon, message-choc sur une montgolfière lors de la campagne électorale provinciale, interventions dans les médias. Le ministre annonce à une assemblée générale en février 1995 que les budgets en alphabétisation populaire doubleront et qu'un minimum de 25 000 $ sera alloué à chaque groupe.
  • Parution du premier numéro du deuxième journal des participantes et participants, Mon journal.

1995

  • Participation active du RGPAQ aux processus régionaux d'accréditation de nouveaux groupes d'alphabétisation afin de s'assurer qu'ils s'emploient à faire de l'alphabétisation populaire. Au RGPAQ, le nombre de groupes passe à 71. Une formation sur la philosophie et les pratiques du RGPAQ est offerte aux nouveaux membres.

1996 à 1999

  • Mise sur pied, en 1996, d'un comité ad hoc de participants et de participantes dont l'objectif est de démontrer la pertinence de créer un comité permanent qui prendrait en compte les besoins et les intérêts des participants et des participantes des groupes; finalement, en 1998, un comité permanent est créé.
  • Participation du RGPAQ aux États généraux sur l'éducation et, par la suite, aux divers processus qui mèneront à l'élaboration d'une politique de formation continue. Le RGPAQ y défend la nécessité de reconnaître l'alphabétisation populaire comme priorité au Québec.
  • En 1996, le Regroupement amorce une réflexion en vue de réviser son fonctionnement et de bien définir les rôles, les responsabilités et les pouvoirs de ses structures (conseil d'administration ou COCOA, comités, équipe de travail).
  • En 1998, il se joint au Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté.
  • Poursuite des actions du Regroupement pour un financement adéquat. Pendant la campagne électorale de 1998, la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, annonce une injection supplémentaire de 4 000 000 $ pour l'alphabétisation populaire. Son successeur, François Legault, concrétisera cet engagement. En 1995-1996, l'enveloppe budgétaire du PSAPA (Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome) pour 130 groupes atteint 5 302 269 $, ce qui représente une moyenne de 39 000 $ par groupe. En 2002-2003, les 132 groupes se partagent un total de 10 024 492 $, stabilisant ainsi la moyenne à 75 943 $ par groupe.

1999-2000

  • Réaffirmation du troisième volet de la mission du RGPAQ se rapportant à la défense des droits.
  • Première tournée dans les groupes du Comité des participantes et des participants. La réflexion porte sur les difficultés que vivent les personnes peu alphabétisées dans leur vie et leur travail.

2001-2002

  • Présentation d'un mémoire aux audiences publiques sur le projet de politique de formation continue qui oriente, entre autres, les actions d'alphabétisation vers le retour au travail. Dénonciation de cette orientation.
  • Suivi des travaux de mise en application de la Politique de l'action communautaire autonome en regard des enjeux qu'elle représente pour l'alphabétisation populaire.

2003

  • Le RGPAQ tient un troisième congrès d'orientation pour actualiser les principes de l'alphabétisation populaire sur lesquels il se fonde.

Arrêt sur image: Le détail des faits saillants et des moments forts de notre histoire

[Voir l'image pleine grandeur] Photo de gens à une table

Première période: Les débats idéologiques - de 1981 à 1986

On dit qu'à sa naissance, plusieurs perçurent des signes particuliers, inhabituels, annonciateurs de grands changements et de bon augure.

C'était le temps d'une société en mouvement, où le rêve et la réalité étaient momentanément confondus, où il y avait des espaces sans limite pour loger ses idées. Des grands moments d'excès et de démesure. De l'humour. De la passion.

Les premiers événements de l'histoire du Regroupement donnent le ton et auront une forte influence sur son évolution. Ce qu'on en retient: la fébrilité, la force des convictions, le brassage d'idées, les petits et les grands débats, l'attrait du risque, la volonté d'explorer et d'inventer, le partage, la recherche d'une plus grande justice sociale, la générosité et l'engagement presque sans fin. La création du RGPAQ, c'est aussi l'avènement d'un grand mouvement, celui de l'alphabétisation populaire...

La fondation (1981)

Tu enfanteras dans la douleur

Naissance de l'alphabétisation populaire au Québec (1970-1981)

Micheline Laperrière,
à l'époque coordonnatrice de l'alphabétisation et formatrice au Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint- Charles (Montréal)

et Serge Wagner,
à l'époque membre du C.A. du Collectif d'alphabétisation des détenus (Montréal)5

La formation du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation est le fruit d'une longue gestation qui a abouti, en 1980-1981, à un enfantement plutôt laborieux. Notre présentation évoquera des faits et des anecdotes, mais ces événements prennent leur sens seulement lorsqu'ils sont replacés dans leur contexte social, historique et idéologique.

La préhistoire: de l'Estérel à Pointe Saint-Charles

Les racines du Regroupement remontent à 1969-1970, période de mise en ouvre de la Révolution tranquille. Dans la foulée de la grande réforme de l'éducation, les institutions publiques (des commissions scolaires aux universités) s'ouvrent aux adultes. Une Direction générale de l'éducation permanente (DGEP) est créée au ministère de l'Éducation du Québec (MEQ), qui soutient également l'éducation populaire. L'alphabétisation et l'éducation de base sont confiées au monopole des commissions scolaires.

L'Institut canadien d'éducation des adultes (ICEA) est un ferment important de ce mouvement d'institutionnalisation et d'expansion. Son ancien directeur et président, Claude Ryan, préside un Comité d'étude sur l'éducation des adultes dont les conclusions (1964) sont intégrées dans le rapport de la commission Parent et instaurées dans la réforme menée par le nouveau ministre de l'Éducation, Paul Gérin-Lajoie.

Il y a pourtant des oubliés, les «milieux défavorisés», à qui on offre un «rattrapage scolaire» limité et peu adapté. En 1970, les laissés-pour-compte de la Révolution tranquille se manifestent à l'assemblée générale de l'ICEA qui se tient à l'Estérel, un chic et coûteux hôtel des Laurentides. Des groupes communautaires et populaires viennent participer à un atelier sur l'éducation de base. Des religieuses socialement engagées invitent celles et ceux qui ne peuvent se payer les nuitées à l'hôtel à monter leur tente sur le terrain de leur résidence d'été. Religieuses ainsi que militantes et militants laïcs distribuent un manifeste intitulé L'alphabétisation, une priorité à prioriser (sic), car les responsables éducatifs refusent d'admettre l'importance de l'analphabétisme au Québec. L'atelier des mouvements de base dénonce la pauvreté et la marginalité, et réclame une éducation contribuant à une réelle démocratisation. Ses propositions et le manifeste sur l'alphabétisation sont mal accueillis par une partie de l'establishment corporatiste de l'Institut. Ainsi, le Conseil du patronat et la Confédération des syndicats nationaux (CSN) s'opposent aux recommandations alors que la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) s'y déclare plus favorable.

L'assemblée générale de l'ICEA est ajournée dans la controverse et se termine, quelques semaines plus tard, à... Montréal. L'Institut fait alors de l'éducation en milieu défavorisé une priorité. Les groupes se rassemblent dans une structure qu'ils nomment Carrefour des groupes populaires, sous le leadership du Centre de formation populaire (CFP), du Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles et de l'Association des travailleurs étudiants du Québec. Le Carrefour des groupes populaires devient le fer de lance de la lutte pour la démocratisation du vaste projet gouvernemental d'éducation de base appelé Multi-Média (1971 - 1973). Cette coalition affirme la dimension culturelle et politique de l'éducation populaire, entre autres par la publication (par le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles d'abord, puis par l'ICEA) du document de Guy Lafleur, La promotion culturelle collective des classes défavorisées. Deux événements symbolisent le virage de l'ICEA: le Conseil du patronat quitte les rangs de l'Institut et l'assemblée générale de 1973 de l'Institut se tient au Carrefour de Pointe Saint-Charles.

Mais la concertation se distend peu à peu. L'éducation populaire connaît son essor propre alors que l'alphabétisation communautaire ou populaire entre dans une longue période de stagnation et de quasi-disparition entre 1973 et 1975. D'autres réseaux de solidarité se tissent. Pendant ce temps, tant le MEQ que l'ICEA font de l'alphabétisation et de l'éducation populaire deux dossiers distincts.

La relance de la concertation

Dans la seconde moitié des années 70, d'autres projets communautaires d'alphabétisation voient le jour. Au début, les groupes sont accaparés par la mise sur pied et la survie de leurs activités. Mais au bout d'un certain temps, les contacts officieux s'accentuent; certains, qui ne sont pas sous la tutelle des commissions scolaires, décident de se concerter. Les liens se tissent plus intensément en 1979-1980, avec l'appui d'une permanente de l'ICEA, Monique Ouellette. Les rencontres, qui ont lieu à l'UQAM, font place à la nouvelle configuration de l'alphabétisation de base: aux groupes communautaires «traditionnels» comme le Carrefour de Pointe Saint-Charles s'ajoutent des groupes intervenant auprès de communautés ethnoculturelles (comme la Maison d'Haïti, le Centre portugais de référence et de promotion sociale), des organisations plus spécialisées (le Collectif d'alphabétisation des détenus, par exemple), et même un groupe francophone hors Québec (Alfa-action de Hawkesbury).

L'enjeu de base est d'expliciter le dénominateur socio-éducatif et socioculturel qui nous réunit. L'enjeu contextuel est la survie et l'expansion de notre type d'action, avec, en toile de fond, la localisation administrative de l'alphabétisation alternative: à l'intérieur du programme d'alphabétisation, avec les commissions scolaires, ou en lien avec l'éducation populaire, mais de façon distincte. La situation devient rapidement tendue, car certains groupes se sont vu promettre un financement accru s'ils s'engageaient dans le programme «alpha» du MEQ plutôt que de réclamer leur rattachement à l'éducation populaire. De plus, les groupes réaffirment l'importance sociale du phénomène de l'analphabétisme - réalité encore niée par les autorités politiques et éducatives.

En 1980, le MEQ ouvre deux brèches dans le monopole alpha des commissions scolaires: un Énoncé de politique annonce la venue d'autres intervenantes et intervenants ainsi que la mise sur pied d'une table consultative... tandis qu'une priorité alpha est décrétée dans le programme des organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP).

Et le milieu est polarisé en octobre 1980: d'une part, le MEQ organise le séminaire Alpha 80 sur l'alphabétisation populaire au chic hôtel Far Hills des Laurentides; d'autre part, l'ICEA publie le manifeste Pour une alphabétisation populaire qui propose une intervention radicale dans le champ de l'alphabétisation.

La nuit des longs couteaux

Au séminaire Alpha 80, deux positions s'affrontent. D'un côté, plusieurs groupes se définissent dans une perspective socialement engagée. Leur orientation est fortement marquée par le courant de l'alphabétisation conscientisante inspiré par Paolo Freire (voir encadré des pages 14 et 1 5). De l'autre côté, des commissions scolaires et certains groupes sont plutôt axés sur un apprentissage du code écrit tout en reconnaissant la nécessité d'une valorisation personnelle des adultes vivant en marge de l'écrit.

Cette opposition est un peu vicieuse dans la mesure où s'affrontent des positions certes différentes, mais somme toute alternatives. En effet, l'alphabétisation populaire s'oppose avant tout non pas à l'alphabétisation scolarisante, mais à la marginalisation sociale et culturelle des «classes populaires», alors que l'alphabétisation dite «scolarisante» veut améliorer la situation d'individus qui n'ont pas accès à l'écrit et qui subissent les conséquences de leur marginalité scolaire et «alphabétique».

Cela dit, certaines nuances s'imposent. Ainsi, dans le courant populaire, les groupes s'adressant aux immigrants et aux immigrantes n'adhèrent pas entièrement à la plate-forme radicale. En outre, les groupes populaires «de souche» éprouvent une certaine difficulté à intégrer la réalité de l'alphabétisation-langue seconde. Du côté scolaire, plusieurs sont conscients que les modèles simplistes d'alphabétisation-scolarisation doivent être modifiés et «fonctionnalisés» ou «communautarisés».

Surtout, le débat s'envenime autour de l'enjeu du financement. En assemblée plénière d'ouverture, le MEQ annonce une «enveloppe budgétaire» pour les groupes qui adhéreront au programme alpha liant commissions scolaires et organismes communautaires. Des activités parallèles aux ateliers s'organisent... des caucus ont lieu dans les chambres. La division s'installe entre les groupes et parfois entre les membres d'un même groupe. Les tenants des deux courants se réunissent dans deux chambres différentes. Certains ont des accointances étonnantes: par exemple, des fonctionnaires du ministère de l'Immigration et de la Commission canadienne pour l'UNESCO se montrent plutôt favorables à l'alphabétisation autonome. Des groupes font l'aller-retour de la chambre MEQ à la chambre alpha-pop alors que d'autres répartissent leurs membres dans l'une et l'autre chambre! Le débat est déchirant, en particulier pour celles et ceux qui proposent la voie alternative, car ils n'ont aucune garantie d'obtenir des subventions. L'auberge Far Hills prend des allures de Far West.

Au petit matin de l'assemblée plénière de clôture, une majorité des groupes rejette la proposition de «table provinciale alpha» ainsi que l'«enveloppe budgétaire» du MEQ et prend position en faveur de l'adhésion et du rattachement à l'éducation populaire. Ces groupes remettent en cause la compétence d'une assemblée où le MEQ les transfigure en associés-partenaires des représentantes et représentants tant scolaires que ministériels. Le positionnement des groupes ouvrant auprès des minorités culturelles aura été déterminant. Mais le temps presse, car les consensus sont fragiles.

Des lendemains difficiles

Le courant affirmant la spécificité de l'alpha populaire a gagné, mais les lendemains sont difficiles. Le MEQ est insatisfait de la position majoritaire des groupes. Pour sa part, le mouvement de l'éducation populaire est méfiant dans la mesure où il estime que le gouvernement préférera financer celles et ceux qui font de l'alphabétisation plutôt que les personnes engagées dans d'autres champs de l'éducation populaire. Le mouvement n'a pas tort.

Mais le noyau passe à l'action. Les négociations s'amorcent avec le MEQ. Une plate-forme est préparée en vue de la fondation officielle du Regroupement - dont l'appellation avec le qualificatif «populaire» est finalement acceptée. Le groupe de mise en place (Comité de coordination en alphabétisation ou COCOA) demande à l'ICEA de maintenir l'aide professionnelle qui lui avait été officieusement accordée. L'assemblée générale de 1981 de l'Institut sera houleuse à ce sujet: à la suite d'une intervention du président de la CSN, une majorité des membres refuse l'appui aux groupes populaires puisque «l'alphabétisation n'est pas une priorité». On croit retrouver l'ICEA élitiste de 1970. Mais le Regroupement est néanmoins officiellement fondé!

1981-1982. Crise économique. Le nouveau-né survit difficilement. Les groupes, qui voulaient d'abord parler de leurs pratiques, doivent s'occuper surtout de financement, car ils ont peine à survivre. Un mémoire est tout de même soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA ou commission Jean), recommandant qu'une priorité soit accordée à la formation de base, à l'alphabétisation et à l'alpha non scolaire6. D'autre part, le Regroupement lance sa propre publication périodique, Alphabétisation populaire, qui se veut un espace d'information, de concertation et de réflexion en alphabétisation populaire autonome. De plus, une première au Québec, il publie Écrire pour la première fois, revue composée exclusivement de textes rédigés par les participantes et les participants des groupes membres. Le MEQ, qui subventionne le Bulletin Alpha liaison7, refuse d'appuyer les publications du Regroupement. L'UQAM le fera.

Printemps 1982. Une délégation du COCOA rencontre le ministre de l'Éducation, Camille Laurin. S'opposant à la demande de financement des groupes d'alphabétisation, le ministre évoque les coûts considérables de la formation des médecins au Québec. Le Regroupement rétorque avec l'exemple du Nicaragua: un pays ayant des besoins de santé au moins aussi considérables que les nôtres et qui, pourtant, investit en alphabétisation.

M. Laurin est interloqué. Le lendemain, le sous-ministre de l'Éducation téléphone à l'une des membres de la délégation. Quelques semaines plus tard, une subvention spécifique est accordée aux groupes populaires d'alphabétisation, brisant ainsi formellement le monopole des commissions scolaires.

Enfin, une première victoire accordait une certaine crédibilité à l'alphabétisation populaire et à son Regroupement. Notre croisade pour une alphabétisation alternative axée sur l'engagement social et la reconnaissance du droit à l'éducation de base n'avait pas été vaine.

De la naissance aux premiers pas du RGPAQ

Louise Miller,
responsable du dossier politique au RGPAQ de 1981 à 1990

Parler de la naissance du Regroupement, de ses premiers pas, c'est un peu comme demander à un parent de raconter les premières années de son enfant maintenant adulte. On se souvient des moments forts, des grandes joies et des grandes peines, des crises, mais rarement du détail, du quotidien des premières années. On revoit des visages, des lieux marquants, on revit des impressions, des prises de conscience importantes et qui ont souvent dessiné la route empruntée par la suite. Je n'ai pas envie de parler de contenu; d'autres l'ont très bien fait et je ne ferais que répéter. J'ai plus envie de retourner dans cette atmosphère fébrile des premiers temps, dans cette militance qui a permis au Regroupement de se développer et de devenir en peu de temps l'un des grands acteurs de l'éducation des adultes au Québec.

C'était il y a plus de 20 ans maintenant, soit en février 1981, et pourtant je me souviens du moment. Je me souviens de cette salle enfumée (eh oui! la chasse aux fumeurs n'était pas encore ouverte!) où nous sommes entassés, où je rencontre pour la première fois la plupart des personnes présentes. Comme je viens à peine d'arriver en alpha, je n'interviens pas trop, mais je saisis très bien l'intérêt des organismes à se regrouper puisque j'ai déjà fait partie de regroupements. Les besoins et les objectifs exprimés sont clairs: parler de nos pratiques et de pédagogie, avoir un outil de liaison et d'information, informer et sensibiliser la population sur le problème de l'analphabétisme et, enfin, revendiquer un financement adéquat de nos organismes.

Nous sommes une quinzaine de personnes provenant de groupes diversifiés. Certains interviennent dans un quartier ou dans une ville, d'autres offrent une gamme de services dont des activités d'alphabétisation. Certains sont engagés auprès de populations spécifiques, par exemple auprès des détenus, alors que d'autres représentent des membres des communautés culturelles. Nous voulons que cette diversité de pratiques soit reflétée lors de notre premier conseil d'administration.

Après avoir indiqué ce que nous attendons du C.A. que nous allons élire, baptisé COCOA (comité de coordination en alphabétisation), nous procédons à l'élection, et je me retrouve parmi les personnes proposées pour occuper l'un des cinq postes. Je ne sais pas trop quoi faire. Je suis déjà en processus d'apprentissage dans mon nouveau métier de formatrice en alpha et j'en connais tellement peu. Mais j'ai une bonne expérience de ce que fait un regroupement et j'aime ce travail collectif de mise en commun. Puisque j'ai déjà participé à la naissance d'autres organismes, l'idée de relever ce nouveau défi me stimule et m'emballe.

«Les premières années ont été difficiles.» C'est généralement ce qu'on dit, mais ce n'est pas le souvenir que j'en garde. Je nous revois, en COCOA, assis autour d'une table, parfois dans les locaux du Tour de lire8, parfois dans la cuisine chez Micheline Laperrière9 qui n'a pas trouvé de gardienne pour ses trois enfants. Nos réunions sont plus souvent au Tour de lire, car s'y trouvent les seuls biens que nous possédons en tant que nouvel organisme, soit un classeur dans le coin du local! Je nous revois donc autour de la table en train de créer et de brasser des idées. Très rapidement, nous avons voulu faire vivre ce regroupement en élaborant un plan d'action concret et en organisant des activités qui répondent aux attentes de nos membres.

Entre mars et juillet 1981, nous nous investissons à fond. L'actualité en éducation nous force à agir vite. La Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA ou commission Jean) termine sa première étape de consultation, et nous voulons profiter de l'occasion pour faire inscrire dans son rapport l'urgence d'accorder une priorité à la lutte contre l'analphabétisme ainsi que pour faire reconnaître le travail des groupes populaires d'alphabétisation et leurs besoins en matière de financement. C'est notre première action politique, et elle aura un impact déterminant sur notre avenir.

Durant la même période, nous organisons aussi notre première assemblée de concertation. Nous n'avons pas de moyens, mais nous avons pour nous la richesse des pratiques élaborées par nos groupes membres, et ce sont eux qui seront au cour de cette journée de formation. Nous y présentons des outils de formation, discutons de questions pédagogiques, partageons nos bons coups et nos découvertes. Nous parlons de nos participants et participantes, et songeons déjà à leur faire une place dans le Regroupement. Nous terminons la journée en planifiant la prochaine rencontre. Nous définissons les thématiques à y aborder et mettons en place un comité pédagogique pour l'organiser.

Ce n'est pas tout. Il nous faut également un outil de liaison pour rejoindre les membres, les informer sur l'évolution des dossiers et rendre des comptes en ce qui a trait aux mandats que nous avons reçus. Le petit feuillet d'information du début amène rapidement les groupes à souhaiter une publication plus régulière, qui permette aussi l'expression des groupes et offre une place à des partages pédagogiques. C'est ainsi que nous formons un comité d'information et que démarre Alphabétisation populaire [Alpha-pop pour les intimes!), bulletin de liaison des groupes populaires d'alphabétisation et carrefour d'échange d'idées sur les pratiques.

Nous sommes jeunes et motivés, nous bouillonnons d'idées, mais après une année à ce rythme-là, nous commençons à nous épuiser... à réaliser que la tâche est de plus en plus lourde et que nous n'y arrivons plus. De plus, le coût de notre engagement est de moins en moins facile à assumer par nos groupes. Enfin, nous commençons à manquer de place. S'il n'a pas été difficile de trouver un groupe qui nous prête un petit coin pour notre classeur, c'est un peu plus compliqué pour la tenue des multiples réunions du COCOA et de tous les comités mis en place.

La bonne volonté ne suffit donc plus. En moins d'un an, le Regroupement est devenu un outil indispensable au service des groupes, et il devient urgent de trouver un financement de base pour soutenir nos activités et notre développement. Nous profitons d'une ouverture du ministère quant au financement de nouvelles activités pour présenter une demande de subvention.

Le travail réalisé durant l'année précédente de même que la visibilité obtenue lors de la présentation de notre mémoire à la commission Jean font en sorte que notre demande reçoit un accueil favorable. Notre première subvention nous permettra de louer un local (enfin I) et d'embaucher deux personnes, l'une à l'administration et au secrétariat, et la seconde aux communications et au soutien des groupes. Le COCOA aura donc de l'aide dans son travail et pourra ainsi consacrer plus de temps et d'énergie au dossier politique et au financement des groupes.

Quand on regarde cette année avec du recul (et 22 ans de plus!), on se demande comment on a pu y arriver. La réponse vient vite: on y croyait. On savait ce qu'on défendait, en ce qui concerne tant les besoins des personnes analphabètes que ceux des groupes. On se battait pour un droit fondamental, celui d'apprendre, et on se battait pour un outil au service des personnes analphabètes, le groupe populaire d'alphabétisation. Et comme je le disais parfois, notre objectif ultime était de ne plus exister parce qu'il n'y aurait plus de personnes analphabètes. Ce n'est pas encore pour demain, puisque 22 ans plus tard, le gouvernement vient d'adopter une nouvelle politique d'éducation des adultes qui fait de nouveau de l'alphabétisation une priorité gouvernementale. L'histoire se répète donc, et le Regroupement sera encore aux premières lignes pour faire en sorte qu'elle ne se termine pas de la même façon.

De chambre d'hôtel en réunion de cuisine

Deux décennies d'apprentissage, de générosité, de solidarité

Robert Chatigny,
cofondateur du Tour de lire (Montréal) et formateur pendant les six premières années d'existence de l'organisme

Montréal, rue Bourbonnière, local du Tour de lire, groupe en alphabétisation populaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve, un certain soir d'avril 1981, 19 h...

Ça bourdonne fort, y a du monde dans la cuisine! Salutations, présentations, bribes de débats déjà fougueux, sonneries continues du téléphone et drelin répété de la porte d'entrée virevoltent dans les relents de boucane. Des accents janois, créoles, montréalais, portugais ponctuent les conversations croisées. Deux ateliers d'alpha commencent dans quelques minutes. Cahiers, crayons, café; la moitié du Babel bruyant quitte la cuisine. On déplace la table de formica gris et jaune au centre de la pièce; une douzaine de personnes s'attablent. Dossiers, crayons, café et... ordre du jour!

Des intervenants, intervenantes, des formateurs, formatrices, des animateurs, animatrices (on ne savait plus quelle appellation choisir puisqu'on était un peu tout ça) représentant divers groupes d'alphabétisation «étiolés» à la grandeur du Québec tiennent ce soir un COCOA10 élargi. Leur mandat: planifier une première stratégie de sensibilisation publique et s'entendre sur les grandes lignes d'une plate-forme de revendication et de définition des enjeux en alphabétisation populaire. Ça a fini ben-ben tard ce soir-là... Et il y a eu bien d'autres soirs comme celui-là.

Depuis quelques semaines déjà, le Tour de lire, venant juste de fêter son premier anniversaire, héberge le tout jeune RGPAQ. Pendant près d'une année, nos locaux feront office de QG, de local de négociation ainsi que de centre de conférence pour le Regroupement et son Comité de coordination et ses comités de travail et... Cette cohabitation, parfois tapageuse, toujours joviale, rarement envahissante, jamais conflictuelle sauf pour l'utilisation des locaux et du téléphone, plongera l'équipe du TDL et les participants et participantes des ateliers au cour d'un formidable laboratoire social. Nous sommes dans l'œil du cyclone, et certains jours, y vente fort... Témoins et protagonistes à la petite semaine des cogitations lumineuses, des grandes interrogations, des douces victoires, des amères déceptions et parfois des bévues, des idées foireuses d'un mouvement en pleine germination.

Ces rencontres, ce foisonnement de stratégies, de débats, nous ne nous en rendions pas compte à ce moment-là, ont modifié profondément notre propre conception de l'alphabétisation, notre engagement et notre pratique, encore en expérimentation et pas toujours très affirmés.

Au fil de mes incursions mémorielles à travers deux décennies de militance, de crises, de luttes et de grandes réalisations, je me pose la question suivante: Qu'est-ce qui caractérise l'évolution et le cheminement du Regroupement tout au long de ces 22 années? Émergent alors, bien avant les grandes considérations idéologiques, de puissantes images de solidarité, de partage, de créativité, de fébrilité inventive, d'oppositions affirmées mais saines, de complicité et d'humanité.

La décision de former un regroupement a été alimentée par la nécessité conjoncturelle de nous positionner clairement au sortir du désormais tumultueux et désormais historique séminaire Alpha 80. Face aux tentatives des institutions gouvernementales et des milieux scolaires de régenter, voire de récupérer les pratiques innovatrices et efficientes des groupes œuvrant en alphabétisation populaire, il nous fallait affirmer l'urgence de la reconnaissance, de l'autonomie et du soutien concret, matériel et financier, des pratiques et approches communautaires-populaires dans la lutte contre l'analphabétisme. Nous voulions aussi mettre au jour notre analyse politique de l'analphabétisme, en nommer les causes et les effets multiples tant pour les individus que pour la société.

Dès les débuts, avant les luttes de reconnaissance et de financement, prévaut (et se pratique de façon officieuse) la volonté de nous interroger collectivement sur nos pratiques et nos expérimentations tant sociales que pédagogiques. Ce goût pour l'aventure de la concertation, le beau risque du partage des visions, des positions, des connaissances et des acquis, voilà à mon sens ce qui constitue l'un des grands caractères de la spécificité que se forgera le Regroupement au fil des ans.

Ce besoin de partager prend sa source dans le contexte particulier du développement de l'alphabétisation au tournant de la décennie 70, où en quelques années seulement plus d'une douzaine de nouveaux groupes ou d'ateliers sont mis sur pied tant en région que dans les quartiers urbains.

Inspirés par certaines expériences pilotes, c'est suivant leurs convictions que les animateurs et animatrices de ces groupes, riches de leurs pratiques en action communautaire mais démunis au chapitre des méthodes, outils et moyens adaptés et adaptables, explorent, cherchent, se visitent, rencontrent les intervenants et intervenantes des quelques groupes pionniers.

Ils y trouvent porte ouverte, écoute, préoccupations communes, complicité. Un réseau officieux se tisse et préfigure le style réunion de cuisine, le cadre de travail et le climat qui coloreront la démarche des comités de travail dans les premières années du Regroupement.

Certains de ces groupes sont issus de comités de citoyens et de citoyennes, d'organismes d'éducation populaire engagés dans d'autres démarches, ou agissent auprès des communautés culturelles. Préoccupés par les effets de l'analphabétisme et de la sous-scolarisation sur les conditions sociales et sur les conditions de vie de leurs membres, ils adjoignent un volet alpha à leur cadre d'activité. Quelques-uns, surtout en région, élaborent leurs activités en marge du cadre scolaire. D'autres voient le jour dans la mouvance socioculturelle des prises de conscience collectives résultant du formidable brassage idéologique des années 70, à l'initiative d'individus sensibilisés aux phénomènes d'acculturation, de marginalisation, d'exclusion, de pauvreté liés à l'analphabétisme et qui choisissent de s'y investir à plein temps.

Reflets de l'évolution particulière de chacun de ces groupes, des conceptions, des analyses et des stratégies d'action se situant parfois aux antipodes deviendront assez tôt sources de conflits et de débats. Le Regroupement est aussi un forum où s'expriment et s'affrontent théorie et pratique, militantisme et professionnalisation, idéologies et réalités terre-à-terre.

À la différence d'autres associations et regroupements nationaux, cependant, même en période de crise, d'un congrès d'orientation à l'autre, on y pratique le droit à la différence, l'ouverture d'esprit, le doute libertaire, l'expression des contradictions, la tolérance au-delà des dogmes et du radicalisme, un autre trait de caractère propre au Regroupement, présent dès sa formation, et qui marquera profondément son cheminement démocratique, ses structures organisationnelles et décisionnelles. À l'image sans doute de ce qui se vit au quotidien dans chacun des groupes entre intervenants, intervenantes et participants, participantes.

Et les personnes analphabètes dans tout ça? Chez l'ensemble des groupes fondateurs, le consensus a toujours été très net. L'activité d'alphabétisation, de formation, d'apprentissage et son contenu, sa matière sont perçus comme un moyen d'émancipation plutôt qu'une fin en soi. Il ne s'agit pas d'une simple entreprise d'éducation, ni de simplement lettrer, mais de faire en sorte qu'en améliorant ses compétences en lecture-écriture, la personne puisse être mieux en mesure de se réaliser, de reprendre confiance en ses potentiels, de casser les jougs de la dépendance et de l'exclusion, d'agir sur elle-même et son milieu, d'améliorer ses conditions de vie.

Forts de ces principes, nous avions, dès la création du Regroupement, l'utopique volonté d'engager les personnes analphabètes dans les réflexions et les réalisations, de leur laisser exprimer leurs aspirations et leurs revendications, pour qu'il n'y ait pas seulement nous et nos préoccupations et priorités d'intervenants et d'intervenantes. Pour que ce soit aussi leur Regroupement. Pas facile tous les jours, très exigeant, souvent dérangeant, plein de contradictions. Démarche de conscientisation globale, de libération, de prise de parole qui se vit au jour le jour entre participants, participantes et formateurs, formatrices dans l'accompagnement, l'entraide, les abandons et les reprises, la compassion et l'opposition, le doute et l'assurance, la déprime et l'exubérance, dans la longueur du temps, avec la tête, le cour et les émotions.

Avec le recul du temps me viennent en tête deux réflexions à propos du cheminement des groupes et du Regroupement quant à la place des participants et participantes. Ce que nous attendions d'eux, d'elles, nous avons dû le vivre nous-mêmes, entre nous, dans le cadre des activités du Regroupement, lors des comités et tout le long de la laborieuse construction de ce mouvement; avec tout ce que ça implique d'embûches, de remises en question, de persévérance et de patience. Belle leçon de vie...

De la mobilisation à l'autoformation, les approches, les outils, les moyens organisationnels ou pédagogiques que les «membres participants» ont élaborés sont à l'image de ce processus. En cela, le Regroupement a été et demeure un vaste laboratoire d'expérimentation et d'innovation, un espace de conscientisation, un lieu d'apprentissage, un terreau où se brassent des valeurs.

Et puis, ce sont les participantes et les participants eux-mêmes, à leur façon, qui ont progressivement pris leur place - quand on les a laissés faire - et utilisé les ressources qui leur étaient nécessaires.

Les puissantes images de solidarité, de partage et d'humanité qui me sont venues tout à l'heure, je les dois aussi à tous ceux et celles que j'ai rencontrés au Regroupement, avec qui j'ai travaillé, rigolé, je me suis colletaillé, j'ai pris deux-trois bières ou trop de café, je me suis questionné, j'ai appris. Tous ces camarades d'utopie, ces entêtés de justice et de liberté qui ont cru, un soir de novembre 1980, empilés dans une chambre d'hôtel de Val-Morin, après maints conciliabules et palabres, que l'alphabétisation populaire devait avoir droit de cité et que ça valait le coup de s'organiser, de se regrouper pour affirmer et défendre ce droit.

La Grande Rencontre (1985)

Une rencontre bien spéciale

Pierre Simard,
contractuel au RGPAQ en 1989

C'était en mai 1985. Quatre cent cinquante personnes analphabètes inscrites dans des groupes populaires prenaient d'assaut l'Université Laval pour une rencontre bien spéciale: une Grande Rencontre.

Proposée lors de l'assemblée générale annuelle du 28 avril 1984 par un groupe de participants et de participantes, et appuyée par l'ensemble des 25 groupes membres présents, l'idée d'un grand rassemblement à l'échelle du Québec était lancée. Un comité composé de trois formatrices et formateurs (Raymond R obi ta i M e, Hélène Rheault et Monique Boucher [où êtes-vous donc maintenant?]) et de trois participants et participantes (Serge Fontaine d'Atout-Lire (Québec), Nicole Trudeau de Clé (Montréal) et Guy Desfossés du Tour de lire (Montréal)) jetèrent sur-le-champ les prémisses de ce qui serait un an plus tard la Grande Rencontre. Sylvie Roche, alors permanente du RGPAQ, fut mandatée pour suivre de près le dossier et Pierre Simard, alors jeune recrue du COCOA, accepta de prêter main-forte au comité dans les derniers milles...

Dire tout ce que cette aventure a signifié pour le Regroupement n'est pas le défi que je veux relever ici. Sur le plan politique d'abord, sur le plan pédagogique ensuite et sur le plan humain, surtout, je me contenterai de partager quelques-unes des réflexions que m'inspire cet événement. N'étant pas aux commandes du RGPAQ, je ne peux pas dire tout ce que cela a représenté pour le Regroupement; par contre, à titre d'acteur au sein du comité d'organisation et de membre du COCOA de l'époque, je peux risquer quelques analyses qui, je le souhaite, ne seront pas partagées par tous et toutes.

Pourquoi une Grande Rencontre?

Le RGPAQ, en 1984, a à peine trois ans. Le Québec vit les dernières consultations de la commission Jean, et nous attendons candidement la première politique qui situera la place de l'alphabétisation en éducation des adultes. Deux réseaux se battent pour des miettes (celui des commissions scolaires et celui des groupes communautaires) et le concept d'alphabétisation populaire, alors naissant, se voit menacé par un clone issu des commissions scolaires, qui ose porter le nom d'alphabétisation communautaire.

Le premier mandat du Regroupement est alors (et il l'est toujours) de faire reconnaître la légitimité d'une approche alternative en alphabétisation. Bien que tout jeune, le RGPAQ se voit déjà menacé à grand coup de concept hybride vaguement copié sur le modèle original. Il faut donc réagir. Il y a bien sûr notre participation aux travaux de la commission Jean qui vise notamment à assurer une place à l'alphabétisation populaire. Il faut être partout, il faut s'assurer de la visibilité du Regroupement.

Et la Grande Rencontre sert cet objectif. Enfin, un peu! Je ne peux pas dire qu'elle est une réplique orchestrée pour faire valoir la spécificité des groupes populaires. Je crois plutôt que c'est à partir d'une demande pressante des participants et des participantes des groupes que l'assemblée générale de 1984 accepte l'idée d'organiser un tel événement. Si certains veulent miser sur le caractère sensationnel de l'événement pour rendre visible le Regroupement, c'est sans compter sur la retenue pudique des participants et participantes, qui décident que la rencontre en sera une entre «intimes». En effet, à la grande déception de plusieurs, les journalistes ne sont pas invités, et l'événement n'est donc pas couvert.

La Grande Rencontre

C'est donc à Québec, à l'Université Laval, qu'on se donne rendez-vous les 10 et 11 mai 1985. Près de 450 personnes répondent à l'appel! Il s'agit d'un gros party de famille pour se connaître, se reconnaître et se dire à quel point il fait bon appartenir à ce mouvement aux pratiques alternatives. Dix-huit ans plus tard, ceux et celles qui y étaient se souviennent encore de cette soirée d'ouverture, organisée de main de maîtresse par Francine et Solange du Théâtre des cuisines.

Des présentations de groupes, préparées de longue date, s'enchaînent tout au long de la soirée: théâtre, chansons et poésie, avec un moment de pure magie sur l'air de Prête-moi ta plume... De fragiles moments de vérité qui préparent d'heureuse façon le lendemain. Un lendemain ensoleillé, truffé d'ateliers sur les femmes, les hommes, les jeunes, les immigrants, la retraite; sur les causes de l'analphabétisme, sur la pression exercée par l'entourage, la vie dans les groupes, les méthodes pédagogiques, la confiance en soi; sur la production d'un journal, l'improvisation, la décoration de pâtisseries... Plus de 35 sujets tout aussi intéressants les uns que les autres. Les ateliers donnent lieu à des témoignages inoubliables, à des expérimentations et apprentissages variés, à des ouvertures sur d'autres univers... Bien sûr, les participants et participantes ne manquent pas de dire en assemblée plénière que des grandes rencontres, ils en veulent chaque année. Bien que très satisfaits, les responsables du RGPAQ (permanentes et membres du COCOA) n'en demandent pas tant.

Les enseignements de la Grande Rencontre

La Grande Rencontre a posé de façon non équivoque la question de la place des participants et participantes dans les groupes et au RGPAQ. Depuis leurs origines, le Regroupement et les groupes populaires revendiquent la reconnaissance de leur spécificité. Au cour de ce «spécifique», il y a le rôle et la place des participants et des participantes dans la vie démocratique du groupe. Officiellement, ces derniers sont invités à participer aux prises de décisions, à l'organisation des activités, etc. Trop souvent, malheureusement, il y a loin du discours à la pratique. C'est que concrètement les enjeux, le vocabulaire utilisé pour expliquer la complexité de la réalité à laquelle les groupes ont à faire face relèguent les participants et les participantes au second plan. Et l'expérience de la Grande Rencontre, éloquente sur le plan de l'importance de leur engagement, est riche d'enseignements.

L'organisation de l'événement fut difficile. Un comité plein d'énergie et de bonne foi, mais sans expérience, en tenait la barre. En accord avec les principes de pédagogie du projet, le rôle des animateurs et des animatrices au sein du comité était de soutenir le travail des participants et des participantes. Les demandes de financement, la liaison avec les groupes (notamment par le journal Écrire pour la première fois, abandonné après le départ de Sylvie Roche, la permanente qui encadra aussi le comité d'organisation de la Grande Rencontre), les représentations de toutes sortes, tout était assumé par eux. Pour pallier le problème des distances, il fut décidé qu'à Québec on s'occuperait de l'organisation technique et qu'à Montréal on veillerait au dossier financement. Dans chacun des groupes membres, un comité Grande Rencontre fut formé. Tous les documents durent être vulgarisés et simplifiés. Bref, un travail d'envergure que personne ne voulait voir revenir chaque année. Le Regroupement avait amorcé quelque chose qu'il ne pouvait assumer sur une base régulière. À l'assemblée d'orientation organisée l'année suivante, la question de la place des participants et des participantes fut débattue encore une fois. Entre la volonté de les engager de façon significative et la capacité de soutien du RGPAQ ainsi que l'encadrement qu'il pouvait offrir, il y avait un net décalage... qui n'est toujours pas comblé.

Si la G.R. m'était contée

Diane Mockle,

formatrice à Lettres en main (Montréal) de 1983 à 1998

Juin 1984. Dernier après-midi de l'assemblée générale annuelle. Marathon de propositions, toutes plus importantes les unes que les autres. Pas vraiment le temps de discuter si on veut finir avec un maximum de délégations dans la salle. On soumet en quatrième vitesse une proposition qui dit, grosso modo, qu'outre la défense des droits des personnes analphabètes, le RGPAQ s'engage à créer un événement visant la promotion des valeurs populaires et de la culture populaire. Pas de questions. Pas de discussions. Personne contre. Personne ne s'abstient. ADOPTÉ.

Septembre 1984. Le nouveau COCOA élu à l'assemblée de juin se réunit pour la première fois. On passe en revue les propositions adoptées pour se faire une idée du mandat pour l'année. Un événement de promotion des valeurs populaires et de la culture populaire. Ça veut dire quoi? Sais pas. Qu'est-ce qu'on entend par valeurs populaires et culture populaire? Sais pas. Même l'organisme qui a fait la proposition ne le sait pas très bien lui non plus. On constitue le COCOA, on a été élu pour réaliser le mandat de l'A.G., alors on n'a qu'à se creuser la tête. Et c'est ce qu'on fait.

De discussions formelles en discussions de coin de table, de discussions de coin de table en discussions de corridor, l'idée prend forme: il faut libérer la parole, mettre en valeur les savoir-faire, promouvoir l'entraide et la solidarité. Et comment? En créant une occasion où un grand nombre d'adultes en démarche d'alpha pourront se réunir, se parler, partager, créer des liens et, pourquoi pas, rire et danser. Le beau concept! Reste à le réaliser maintenant...

Tout le monde est mis à contribution. On sonde les groupes. Les groupes sondent leurs participants et participantes qui en parlent à leur tour à leurs proches. On met en place un comité de participants et participantes pour «superviser» le tout et élaborer des stratégies afin de trouver du financement. L'idée fait son chemin. Le temps passe. La tension monte. Les demandes de financement ne donnent pas les résultats escomptés et les réponses entrent à un rythme de tortue. À peine a-t-on une idée qu'il faut l'abandonner: pas d'argent. L'événement aura lieu les 10 et 11 mai 1985 et s'appellera la Grande Rencontre. Les moyens sont modestes et les attentes, très grandes.

Les participants et les participantes arrivent la veille à Québec, en autobus scolaire. Ils sont hébergés dans les résidences de l'Université Laval. Dans la soirée, on se réunit dans une salle où l'on peut siroter bières ou boissons gazeuses, écouter des témoignages de participants et participantes, les discours d'accueil du RGPAQ et surtout, à la fin de la soirée, rire et danser ensemble. Demain, on passera aux choses sérieuses.

Il faut voir l'émotion de ces centaines d'adultes qui, pour plusieurs, n'ont jamais mis les pieds hors de leur patelin. Ils sont venus de toutes les régions du Québec. Et les voilà rendus non seulement dans la belle ville de Québec mais en plus, dans une UNIVERSITÉ. Le rêve devenu réalité. Mais attention! À vos marques... La deuxième journée sera longue!

Ateliers de discussions sur des sujets choisis par les participants et participantes, stands animés par eux sur des thèmes aussi variés que le secourisme ou la plongée sous-marine où ils font la démonstration de leur savoir-faire, où d'autres personnes s'intéressent à ce qu'ils font et posent des questions, rencontre avec les participants et participantes qui réalisent le journal Écrire pour la première fois, édité par le RGPAQ, visite commentée de la ville de Québec, repas communautaire, pause sur le gazon entourant le pavillon De Koninck, sous un soleil de plomb. Tout le monde est ravi. On se quitte en fin d'après-midi avec les larmes aux yeux.

Et après... Et entre nous... les derniers milles ont été exténuants! Les tensions ont été grandes, même très grandes. Il faut faire le bilan. En ce qui a trait à l'événement lui-même, c'est l'unanimité: on a réussi à faire vivre aux participants et participantes une expérience extraordinaire. Bien qu'ils ne se soient pas mêlés entre eux autant qu'on l'aurait voulu, on a senti leur bonheur d'être là tout au long de la G.R. Tous ont participé avec enthousiasme aux activités proposées et ont même regretté de ne pas avoir le don d'ubiquité (ils disaient: «J'aimerais ça être capable d'être partout en même temps!»). Quant à reprendre un tel événement à court ou à moyen terme, on était loin d'être sûr! Ou en tout cas, on agirait différemment.

On prévoirait un encadrement beaucoup plus serré du comité d'organisation composé de participants et participantes. On éviterait de leur donner des responsabilités trop lourdes en évaluant mal leur capacité à atteindre les objectifs. Et cela touchait notamment la recherche de financement, dont une bonne partie avait été confiée aux participants et participantes.

Il faudrait prévoir une période d'organisation beaucoup plus longue afin de permettre aux commanditaires éventuels de bien étudier la demande de financement qui leur est adressée et d'y répondre. Une partie du financement se trouvant ainsi assurée, on pourrait tabler sur du concret au moment de l'organisation proprement dite.

Et avec le recul, on aurait souhaité que les liens créés entre les participants et les participantes se maintiennent. Ils sont trop souvent épuisés à la fin de la dernière journée. Bien sûr, on n'était pas encore à l'âge des nouvelles technologies de l'information et des communications, qui permettraient aujourd'hui d'envisager la création de ces liens de façon beaucoup plus réaliste.

Et le RGPAQ n'avait alors que trois ans d'existence! C'était bien jeune pour se lancer dans une aventure pareille!

Quant à refaire un tel événement aujourd'hui, ce n'est peut-être pas si bête que ça de l'envisager. Mais on s'y prendrait sans doute bien autrement... Et les jeunes d'hier ont vieilli...

On l'appelait la G.R.

Entrevue avec Marianne Payette, participante à Groupe Centre-Lac d'Alma

Propos recueillis par
Françoise Bouchard,
formatrice à Groupe Centre - Lac d'Alma de 1980 à 2002

Dans la région du Saguenay- Lac-Saint-Jean, en 1984, les groupes d'alphabétisation étaient nombreux et fonctionnaient à pleine vapeur... Ils créaient des motifs de rencontres entre les participants, les participantes. Suffit de rappeler ici le dynamisme d'une Monique Tremblay, de Dolbeau, qui s'était mis en tête d'organiser un événement collectif d'écriture qui résulta en une rencontre régionale en avril 1985 où 33 projets furent présentés!

Les rencontres régionales, c'était bien, mais on rêvait de plus... d'une rencontre provinciale organisée par et pour les participants et les participantes. Cela fit naître le projet de la Grande Rencontre des 10 et 11 mai 1985 à Québec. Groupe Centre-Lac serait-il là avec sa clientèle spéciale, composée de personnes vivant avec des handicaps intellectuels ou physiques? On ne voulait pas en être exclu...

Je vous présente une interview réalisée avec une participante de cette époque, Marianne Payette, déléguée à la Grande Rencontre. Elle a fouillé dans sa mémoire, elle a cherché des détails sur la G.R... c'était loin! «Les écrits restent et les paroles s'envolent», dit-elle.

F.B.: La Grande Rencontre, à Québec, ça te dit quoi, Marianne?

M.P.: Je prenais des cours de mathématiques à Centre-Lac à l'époque de la Grande Rencontre et j'ai été parmi les huit délégués qui ont participé à cet événement. On nous disait que c'était une fête qui se préparait, une grande, grande rencontre pour réunir le plus de monde possible et se connaître. On nous avait préparés par des feuilles d'information. On avait ce besoin de se voir, de créer des liens, de voir ce qui se passait dans d'autres groupes. On se demandait parfois: «Est-ce qu'on est seul comme ça, analphabète, exclu, sur le 6.5.?»

F.B.: Qui organisait la Grande Rencontre?

M.P.: Un comité, et il était formé de participants et participantes de quelques groupes. C'était ça, la nouveauté: les participants auraient une place pour animer, prendre la parole, être plus forts, se sentir pas pire que les autres...

F.B.: Où a eu lieu la G.R.?

M.P.: À l'université, ma chère, à l'Université Laval de Québec. On ouvrait l'université à plusieurs personnes qui n'avaient jamais mis les pieds là! On avait dit à Lynda Tremblay, une des formatrices qui nous accompagnaient: «Laisse-nous pas dans l'université, on va se perdre. Nous autres, on n'est pas habitué!»

F.B.: Raconte comment s'est déroulée votre arrivée.

M.P.: Chaque groupe arrivait de sa région le vendredi soir, à l'Université Laval même. Le comité d'accueil, composé de participants et participantes surtout, nous accueillait en chantant la chanson-thème du rassemblement.

Pendant la soirée, chaque groupe ou une région se présentait, à sa façon, avec un sketch, une chorale, un poème ou l'histoire de la région représentée. Nous, c'est ça qu'on leur a raconté, notre région. Puis la fête a continué: on était comme chez nous déjà, la glace était cassée; il y avait tant de monde! Il parait qu'on était 450 personnes! Ils nous ont donné des chandelles, et dans la noirceur, on se balançait avec ces petites lueurs, on riait, chantait, puis ce fut la danse. On s'est défoulé. Il y avait aussi des gros ballons, des confettis tirés en l'air et sur nous autres. Ça a fêté dur... j'vous l'dis...

F.B.: Et le lendemain?

M.P.: C'était des ateliers animés par des participants et participantes, avec une trentaine de sujets choisis aussi par eux, comme les jeunes, les immigrants, les problèmes de ne pas savoir lire, écrire, compter, la vie des groupes, comment produire un journal. Si je me rappelle bien, il y avait un atelier sur comment développer la confiance en soi et quelque chose sur la décoration de gâteaux. Même, nous, à Centre-Lac, on avait exposé le jeu Multi-X-Multi® que Françoise Bouchard, l'une des formatrices, venait d'inventer pour nous aider à apprendre les tables de multiplication.

F.B. . As-tu des souvenirs, Marianne, du déroulement des ateliers?

M.P.: Il me semble qu'il se racontait pas mal de choses vécues, émouvantes des fois. Il y avait des discussions. Ça nous instruisait l'affaire des autres, d'autres expériences, d'autres apprentissages. Il y en a qui ont parlé de leur vie... Il y a eu des photos de prises. Je suis même photographiée sur le journal-souvenir de la G.R., où l'on me voit dans un atelier et quand on a joué au parachute dehors avec Sylvie Bouchard de notre groupe.

On pouvait se promener dans le corridor où il y avait des tables avec des productions, du matériel pour les cours fait par les groupes, et des gens nous expliquaient ces choses. Il y avait beaucoup de gens de couleur. Si on avait du temps, on pouvait voir des vidéos et des diapositives qui montraient des gens en alpha, je pense.

Dans l'après-midi, vers la fin, on s'est réuni dans une grande salle, toute la gagne (Françoise appelle ça une plénière), puis c'était dirigé par des participants et participantes capables, habitués, fonceurs. Y a juste nous qui avions le droit de prendre la parole. Moi, j'ai pas parlé... Y en a qui ont dit être contents de c'te sorte de rencontre, puis qu'on était nombreux. D'autres ont remercié les personnes qui étaient venues et celles qui avaient préparé l'événement. Ils voulaient qu'on répète cela encore et en plus long. Il y en a qui auraient voulu que les journalistes soient là...

F.B.: As-tu trouvé cela long?

M.P.: Pantoute, ah! non! J'ai aimé ça tout Hong. J'avais la chance de vivre ça sur place, là; c'est pas une autre personne qui me l'a raconté. J'étais là, contente d'en voir d'autres.

F.B.: Et quoi de plus, car la journée avançait?

M.P.: Ben, ça a été le souper... un gros banquet... et ça continuait de chanter, de fêter... c'était une rencontre de fête...

Notre groupe a dû quitter plus de bonne heure, je pense qu'on a manqué le gâteau. On retournait à Aima en minibus, mais le cour heureux et souhaitant retrouver tout ce monde dans un jour proche.

F.B.: Qu'est-ce que la G.R. t'a laissé encore comme apprentissage?

M.P.: Ah! on était donc heureux ensemble avec d'autres gens comme nous, des gens qui ne riraient pas de nous... Je voulais dire merci à ceux et celles qui ont préparé cet événement et qui l'ont payé. Vivre ensemble, beaucoup de personnes pareilles, sans le jugement des autres, c'était pour moi la première fois de ma vie. Ce genre de rencontre a été une occasion pour mieux se connaître, réunis pour la première fois dans l'histoire du RGPAQ, des gens comme nous qui ont le problème de ne pas être à l'aise dans le grand public, parce qu'ils ne sont pas solides en lecture, en écriture, en calcul et qui sont exclus, mis de côté trop souvent, nous, les moins bons et surtout les handicapés.

F.B.: As-tu un souhait en terminant?

M.P.: De revivre cet événement de rencontre très bientôt et pour d'autres aussi.

Le premier congrès d'orientation (1986)

De la scission au ralliement

Anne Pasquier,
recherchiste à la pige

Après cinq ans d'existence, et une croissance rapide, il est devenu essentiel pour les groupes du RGPAQ de faire le point sur certains grands principes communs. Dès le mois de novembre 1985, le Regroupement lance une large consultation auprès de ses membres, un grand débat démocratique auxquels participent une vingtaine des 31 membres, qui vivent des réalités parfois très différentes, mais qui sont aussi aux prises avec les mêmes problèmes, tels que le financement et la reconnaissance de leur spécificité.

Qu'est-ce qu'un groupe populaire d'alphabétisation? En quoi consiste l'autonomie d'un groupe populaire? Qu'est-ce que l'alphabétisation populaire? Ces notions sont à explorer dans leurs dimensions pédagogique, politique et sociale afin d'établir les orientations que le Regroupement doit prendre pour son avenir.

Le congrès de mars 1986 se veut le véritable reflet de ces réflexions, et a pour objectif d'adopter une déclaration de principes à laquelle devront adhérer les anciens et les nouveaux groupes du RGPAQ.

Cette déclaration sera l'aboutissement d'un débat sur 10 recommandations, dont les 2 premières sont les définitions de l'alphabétisation populaire et d'un groupe populaire d'alphabétisation et intègrent la notion d'autonomie. Les suivantes portent sur les orientations du Regroupement, telles que la promotion, la défense et le développement de l'alphabétisation populaire, des groupes d'alphabétisation et des groupes populaires d'alphabétisation, la promotion et la défense des droits des personnes analphabètes et de l'alphabétisation en général. La dernière recommandation porte sur les priorités de travail pour répondre aux orientations adoptées.

La Déclaration de principes, document encore en vigueur aujourd'hui, a émergé de ces trois jours d'intense réflexion et de débats ardus. Elle a ensuite été rédigée, puis adoptée au mois de juin suivant et a donné force et arguments au RGPAQ dans ses luttes et face aux différents partenaires.

Par un beau matin d'avril enneigé de 2002, une animatrice, Carole Doré, ancienne formatrice à CLE (Montréal], de même que cinq anciens et anciennes du congrès d'orientation de 1986, Françoise Bouchard de Groupe Centre-Lac d'Alma, Marcel Desjardins du Centre Alpha des Basques (Trois-Pistoles), Louise Miller, ancienne permanente du RGPAQ, responsable du dossier politique, Diane Mockle, ancienne formatrice à Lettres en main (Montréal), et Sylvie Roy, ancienne formatrice à La Boîte à lettres (Longueuil), se retrouvent autour d'une table pour évoquer leurs souvenirs de cet événement, un des plus importants de l'histoire du RGPAQ. Voici ce qui reste dans l'esprit de ces quelques acteurs et actrices, avec ce qu'ils ont oublié et ce qu'ils ont retenu de ces journées essentielles; le texte qui suit tente de transmettre dans toute leur subjectivité leurs impressions et vérités, et d'être à la mesure de leur générosité.

Mieux définir notre spécificité

Une date précise impossible à retrouver, ce devait être au printemps car il y avait encore quelques plaques de neige. Le lieu, lui, a marqué les esprits: il faisait beau à la base de plein air de Jouvence, dans la région de Sherbrooke, où, dans les petites maisonnettes ou dans les chambres d'hôtel, on pouvait retrouver son calme et reprendre son souffle auprès de son groupe. Car il y avait beaucoup de fébrilité!

Un an après la Grande Rencontre, c'est dans un climat de tension que plus d'une centaine de personnes se réunissent pour définir leur «spécificité», mot-mascotte du congrès, et pour procéder à ce que certains et certaines n'auront pas peur d'appeler des «règlements de comptes» qui pourraient aboutir à la scission.

Et des peurs, il y en a. Peur justement de ces déchirements entre la ligne dure de certains groupes montréalais et les compromis de survie de groupes régionaux face aux commissions scolaires, seules sources de financement; peur chez ces derniers d'être expulsés du RGPAQ ou de devoir se plier à une dialectique politique incompatible avec leur réalité quotidienne; peur de ne pas atteindre les objectifs du congrès, c'est-à-dire la définition des orientations du RGPAQ à partir des notions communes d'alphabétisation populaire et de groupe populaire d'alphabétisation. Et puisque l'ordre du jour a volé en éclats, le samedi soir, on n'y croit plus! Seules deux propositions de recommandations ont été discutées alors que toutes sont contestées, malgré la consultation ayant eu lieu auprès des groupes avant la tenue du congrès.

Mais il y a aussi des attentes et des découvertes. Les membres sont venus très nombreux pour faire entendre leur voix dans ce débat entre pédagogie et financement. De nouveaux groupes découvrent avec intérêt l'idéologie de gauche qui sous-tend l'alphabétisation populaire et, en même temps, la démarche démocratique du RGPAQ qui vise à donner la parole à tous les groupes.

Le congrès porte sur les fondements de l'alphabétisation populaire, sur sa spécificité, mais pour certains des invités à la table ronde, la Grande Rencontre, avec ses 450 personnes, avait déjà prouvé cette spécificité et celle du Regroupement. Aussi, la mise en commun des pratiques aurait-elle pu faire l'objet de plus de débats, et le congrès aurait dû se dérouler de manière plus sereine.

Autour de la table, on baptise avec humour le congrès d'orientation de «Congrès des mots». Il s'agit de définir les notions de groupe populaire autonome et d'alphabétisation populaire, d'animateur-animatrice, de formateur-formatrice, de participant-participante, d'apprenant-apprenante... tout en reconnaissant l'importance de ces concepts dans la définition des orientations du Regroupement.

Mais certains et certaines se rappellent aussi que ce besoin de définitions a peut-être pour but d'exclure quelques groupes, en particulier ceux qui, en région, conservent des liens étroits avec les commissions scolaires afin d'obtenir un financement dont ils estiment ne pas pouvoir se passer pour survivre, mais qui mettent ainsi le principe «d'autonomie» en péril. Toutefois, contrairement à la scission envisagée, voire souhaitée par certains, certaines, ces discussions incessantes (le jour, le soir, la nuit) permettent d'aller à l'essentiel, de prendre conscience des différences entre les réalités des groupes, en particulier ceux de Montréal et ceux des régions. De plus, il apparaît essentiel de se rallier à des principes communs pour être un mouvement réellement autonome représenté par un regroupement démocratique. Dans ces débats, chacun et chacune a pu donner son avis sans censure, et pas seulement quelques «ténors».

Ce résultat n'a pas été simple à obtenir. Il est l'aboutissement de longues et difficiles tractations de couloirs. Mais en fait de couloirs, on a plutôt une piste de danse et des promenades en nature, endroits propices à la détente, où tout le monde est sur un pied d'égalité. La nuit du samedi au dimanche semble très animée et surtout interminable; les organisateurs et organisatrices arrivent l'air bien abattu le matin. Et pourtant, toutes ces négociations ne sont pas vaines. La tension des 36 dernières heures disparaît enfin dans les applaudissements chaleureux de l'assemblée plénière, qui salue l'adoption à l'unanimité des 9 propositions finales! La Déclaration de principes donnera corps à cette volonté de rester unis.

Pourtant, cette «unité de façade», selon l'un des invités à la table ronde (ou ce consensus, selon d'autres), en déçoit plusieurs, car elle n'a pu être obtenue qu'en diluant trop la vision de chacun. Les définitions sont contestables et les contradictions sont restées les mêmes. Quelques groupes se sont ensuite retirés ou, du moins, retirés de la «militance», et l'ouverture à certains autres s'en est trouvée limitée.

Les résultats de ce congrès sont d'une très grande importance. Bien sûr et tout d'abord, grâce à l'adoption des recommandations, qui rend possible la Déclaration de principes, le congrès solidifie les arguments affirmant le caractère distinct et la spécificité des membres du Regroupement et de sa démarche face au mouvement d'éducation populaire. Ces arguments seront décisifs dans la reconnaissance d'un «programme distinct». Ils renforcent aussi les groupes en leur donnant les arguments nécessaires à leurs prises de positions et en consolidant la solidarité entre eux. Il est clair que la place des groupes est avec le RGPAQ, où les différences sont reconnues et qui se révèle une véritable force nationale face à ses partenaires.

Le congrès aboutit à un consensus et à l'affirmation d'une spécificité, au terme d'une démarche difficile mais respectueuse des différences. Le congrès a, pour beaucoup de ses participants et participantes, fait prendre conscience des diverses réalités des groupes et de l'isolement de certains d'entre eux en région.

À ce fameux «Congrès des mots», les mots ont évolué de crise, tension, guerre à consensus, alliance et démocratie... Comme le comité d'orientation l'avait prédit, «c'est le début d'un temps nouveau», le fondement de la spécificité du Regroupement, qui donnera l'argumentation et l'énergie dont on aura besoin dans les luttes qui suivront.

[Voir l'image pleine grandeur] Une manifestation

Deuxième période: La reconnaissance de l'alphabétisation populaire - de 1986 à 1991

Quand on grandit, on voit plus grand, plus loin, et on finit par vouloir s'échapper. Imaginez ce que cela donne quand, de surcroît, on s'appelle Autonome. On se sent à l'étroit et on cherche des moyens à la hauteur de ses aspirations.

C'était le temps où faire reconnaître l'alphabétisation populaire était fortement lié à une recherche d'identité et à une quête d'autonomie. Et, on le sait, l'autonomie se calcule souvent en termes de pertes, pour soi ou pour les autres.

Après plusieurs années et de nombreux débats, toujours présents dans nos mémoires, il est encore difficile d'évaluer l'impact de notre «départ» du mouvement d'éducation populaire et les retombées de l'Année internationale de l'alphabétisation. Des choix qui en ont laissé plus d'un perplexe. Des questions restées sans réponse. N'y a-t-il pas des moments dans la vie où l'on se sent ou trop petit ou trop grand?

Le Secrétariat national à l'alphabétisation (1988)

Un programme pour la recherche et le développement en alphabétisation

Jean-François Aubin,
a travaillé au RGPAQ de 1990 à 1995 à titre notamment de responsable du dossier politique

C'est en 1988, un peu avant l'Année internationale de l'alphabétisation, que Brian Mulroney, alors premier ministre du Canada, annonce dans le discours du trône la création d'un programme national en alphabétisation visant à soutenir les efforts pour contrer l'analphabétisme, qui sera géré par le Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA).

Dans ses premières années, le SNA réalise des publications et des recherches sur l'analphabétisme. Louise Miller, alors permanente au RGPAQ, collabore d'ailleurs à certaines d'entre elles. Il s'agit de plaquettes portant sur des sujets comme l'alphabétisation en milieu de travail ou les droits des personnes analphabètes. On demande à une personne d'écrire sur un sujet précis et l'on publie ce document dans les deux langues officielles.

Mais le volet le plus connu du programme a pour nom Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation (IFPCA). Il comporte trois parties: une première servant à financer des projets présentés par les groupes populaires en alphabétisation, une deuxième répondant spécifiquement aux besoins des commissions scolaires et une troisième, appelée Réserve centrale, soutenant des projets proposés par des personnes qui n'interviennent pas en alphabétisation, mais qui souhaitent agir dans le domaine.

Grâce aux deux premières parties, groupes populaires et commissions scolaires ont accès à des fonds supplémentaires pour réaliser leurs projets. Cependant, une règle incontournable doit être respectée: ces projets ne doivent pas porter sur la formation, laquelle est considérée comme un champ de compétence provinciale, mais sur la sensibilisation, la recherche, le perfectionnement des intervenants et des intervenantes, la promotion ou la création de matériel pédagogique.

Les groupes auraient souhaité que l'argent serve plutôt à offrir des activités d'alphabétisation. Mais c'est un moindre mal puisque cela leur permet d'avoir accès à du financement supplémentaire... et bien souvent de stabiliser l'équipe de travail en rémunérant certaines personnes à partir de la subvention. Sans les IFPCA, les groupes seraient dans l'obligation de procéder plus souvent et plus rapidement à des mises à pied. Aujourd'hui, sans être parfaite, la situation s'est un peu améliorée, mais à l'époque, plusieurs groupes d'alphabétisation recevaient moins de 20 000 $ du PSAPA (Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome). On peut alors comprendre aisément le bien-fondé des projets IFPCA. De plus, le programme, en soutenant des projets expérimentaux, aura aussi permis à certains groupes d'innover. Enfin, il aura permis de créer un patrimoine important, puisque les outils et les recherches réalisés ont été déposés au Centre de documentation sur l'éducation des adultes et la condition féminine. Ils constituent un ensemble de documents forts pertinents.

Le reproche le plus souvent adressé à l'égard du programme est que les projets sont annuels plutôt que triennaux, même si plusieurs d'entre eux seraient plus efficaces s'ils s'échelonnaient sur trois ans. Ensuite vient la question des «deux poids, deux mesures» dans le traitement réservé aux groupes populaires en alphabétisation et aux commissions scolaires. Il est de notoriété publique qu'un groupe présentant un projet faible n'obtient rien ou une très petite subvention, alors qu'une commission scolaire... se voit demander de modifier son projet! Enfin, il faut reconnaître que la Réserve centrale subventionne les projets à caractère national à même le budget des IFPCA. Le problème vient du fait que ce sont les fonctionnaires du ministère de l'Éducation qui décident des projets à financer en fonction des besoins du ministère et de ceux des commissions scolaires. Selon l'entente IFPCA, ces décisions devraient se prendre «en consultation avec les partenaires» mais, dans la réalité, les groupes en alphabétisation ne sont pas réellement consultés relativement à l'utilisation des sommes allouées. Cela devient donc parfois simplement un moyen pour le ministère de soutenir des projets - souvent loin d'être jugés prioritaires par le milieu de l'alphabétisation - qu'il aurait en d'autres temps financés à même son budget régulier. Malgré cela, certains projets très intéressants ont vu le jour, portant, entre autres, sur la prévention de l'analphabétisme, ainsi qu'une recherche traitant des obstacles à l'emploi pour les personnes analphabètes.

En résumé, la création du SNA et du programme IFPCA a été bénéfique pour le milieu de l'alphabétisation au Québec. Leur disparition serait une perte importante pour les intervenants et les intervenantes du domaine.

L'Année internationale de l'alphabétisation (1990)

Mettre l'alphabétisation populaire sur la mappe

Quatre membres du Comité d'organisation de l'Année internationale de l'alphabétisation (AIA) se sont penchés sur les tenants et les aboutissants de l'événement: Louise Miller, à l'époque responsable du dossier politique au RGPAQ, Sylvie Bernier de Atout-Lire (Québec), Gilles Landry de Lettres en main (Montréal), à l'époque membre du COCOA, et Mario Raymond, de La Porte ouverte (Saint-Jean-sur-Richelieu), à l'époque membre du COCOA et du Comité pédagogique du RGPAQ.

Comment le RGPAQ s'est-il retrouvé à participer à l'organisation d'activités au Québec pour souligner l'Année internationale de l'alphabétisation?

Louise Miller

Les origines de l'Année internationale remontent en fait à 1985, à la Conférence de l'UNESCO sur l'éducation des adultes. Le RGPAQ avait été invité par l'Institut canadien d'éducation des adultes à faire partie de la délégation du Conseil international d'éducation des adultes (CIEA), dont l'ICEA était membre. Lors de cette conférence, les organisations non gouvernementales, dont le CIEA, ont travaillé à l'élaboration d'une déclaration de clôture qui a été véhiculée par la délégation du gouvernement canadien et qui portait sur «le droit d'apprendre». Par la suite, après consultation des pays membres, l'UNESCO a décrété que 1990 serait l'Année internationale de l'alphabétisation.

Le CIEA a alors décidé de mettre en place un groupe de travail pour que des activités se réalisent dans tous les pays. Le RGPAQ a été invité à participer à ce groupe composé d'une vingtaine de personnes représentant tous les continents. Les rencontres ont commencé en 1987 et se sont terminées au début de 1991. C'est ce groupe qui a proposé comme action centrale le Voyage du Livre, qui donnerait la parole aux participants et participantes dans tous les pays concernés, et qui résulterait en un livre international devant être déposé à l'ONU à la fin de l'année.

Le RGPAQ faisait donc partie des organisateurs des activités de l'Année internationale, non seulement au Québec mais aussi à l'échelle mondiale. Et c'est le RGPAQ qui a pris l'initiative au Québec et entraîné ensuite différents partenaires.

Sylvie Bernier

Si mes souvenirs sont bons, le RGPAQ était un acteur reconnu et incontournable en alpha à cette époque, beaucoup plus que ses groupes membres d'ailleurs, qui avaient une misère noire à se faire financer et même à se faire reconnaître dans leur milieu respectif.

Je pense que c'est de notre propre initiative que nous nous sommes embarqués dans l'AIA, mais je suis loin d'en être certaine. Une fois annoncée par l'UNESCO, l'Année nous a semblé une merveilleuse occasion de sensibiliser la population au phénomène encore peu connu de l'analphabétisme et de mettre l'alpha pop sur la mappe pour se faire reconnaître et financer adéquatement. Dans le fond, ça n'a pas vraiment changé. Encore aujourd'hui, nous devons saisir toutes les chances de défendre notre cause, de parler des personnes analphabètes et d'essayer de convaincre l'État de nous donner les moyens de faire notre ouvrage d'une manière alternative.

En 1989, le RGPAQ réussissait à obtenir un financement substantiel pour organiser des activités dans le cadre de l'AIA. Je crois que ce financement venait surtout du fédéral, le provincial finançant les activités de son réseau public. La Société canadienne des postes avait investi pas mal ainsi que des donateurs privés comme Québécor (pour la publication du journal Alpha pop).

Le RGPAQ avait engagé une attachée de presse qui ne lésinait pas avec l'ampleur des événements. On s'était donné un beau programme pour toute l'année dont le fil conducteur était le Voyage du Livre de l'AiA. Et puis, on s'est aperçu que le réseau public avait à peu près le même programme... On en sautait de... joie...

Gilles Landry

Autant que je me rappelle, le RGPAQ voulait profiter de l'Année internationale pour se faire reconnaître comme un acteur majeur en alphabétisation au Québec. Le but ultime était d'utiliser cette reconnaissance et la visibilité qui en aurait découlé pour amener l'État à mieux financer les groupes. Il faut dire qu'avant l'Année internationale, les groupes d'alpha étaient très peu financés et que cette question de la reconnaissance et du financement était omniprésente.

C'est donc en vue de tenir un certain nombre d'activités que le RGPAQ a créé un comité d'organisation de l'Année internationale et a déposé des demandes de financement auprès du Secrétariat national à l'alphabétisation (SNA). Ce financement a permis entre autres d'engager une personne - dont je ne me rappelle plus le titre exact, peut-être était-ce agente d'information - pour orchestrer une grande campagne de visibilité.

Il faut également mentionner et même souligner au trait foncé que les groupes et le RGPAQ avaient mis beaucoup d'espoir dans cette Année internationale quant à la reconnaissance et au financement. Beaucoup d'entre nous croyions même fermement (et de toute évidence naïvement) qu'elle allait marquer le début d'une ère nouvelle pour l'alphabétisation en général et pour l'alphabétisation populaire en particulier.

Mario Raymond

À mon arrivée au COCOA, en juin 1989, le RGPAQ était déjà en train de préparer l'Année internationale. Il faut souligner que le réseau des commissions scolaires n'avait à ce moment-là aucun programme. Nous avons alors choisi d'aller de l'avant en ébauchant un programme complet d'activités. Le ministère de l'Éducation préconisant la concertation des deux réseaux, le COCOA avait accepté de participer à une rencontre portant sur l'AIA avec des représentants et des représentantes de l'Équipe interrégionale en alphabétisation, qui nous avaient alors confirmé que leur programme était embryonnaire, tout en prenant bonne note du programme du RGPAQ. Quelques mois plus tard, l'Équipe interrégionale annonçait un programme d'activités directement calqué sur le nôtre. Grâce à la reconnaissance dont il jouissait sur la scène internationale et à la participation de ses groupes membres, le RGPAQ a pu élaborer et mener un vaste programme d'activités qui a eu des retombées sur la reconnaissance de l'alpha pop à l'échelle tant locale, régionale, nationale qu'internationale. Tout au long de l'AIA, nous avons dû mener notre programme d'activités tout en nous démarquant du réseau institutionnel, qui avait des moyens beaucoup plus considérables que les nôtres.

Quel rôle devait jouer le RGPAQ? Quel rôle a-t-il joué?

Louise Miller

L'objectif de l'AIA était de mettre le problème de l'analphabétisme sur la carte et de mobiliser largement le public en faveur de l'alphabétisation. Mais avant tout, il s'agissait de donner la parole aux personnes analphabètes.

Du côté du RGPAQ, nous voulions aussi profiter de l'occasion pour mieux faire connaître les groupes et leurs besoins, en donnant une visibilité très grande aux actions que nous organisions tout au long de l'année: voyage du livre dans toutes les régions avec activités pour l'accueillir, large distribution du journal de l'AIA (si je me souviens bien, 4 numéros à 100 000 exemplaires), mise en place d'un comité de promotion de l'alphabétisation avec des représentants et des représentantes des partenaires sociaux (employeurs, syndicats, organismes, etc.). Il y a donc eu une multitude d'activités et de productions autour de l'Année internationale.

Sylvie Bernier

La belle question! Pas simple pour autant! Le RGPAQ devait promouvoir l'alpha pop évidemment. Mais... d'une part, ça ne voulait pas dire la même chose pour tout le monde. Il y a eu du «drabe» et des couleurs plus vives... Pour certains groupes et membres de l'équipe du RGPAQ, l'AIA devait servir à sensibiliser la population au phénomène de l'analphabétisme, à faire connaître notre travail... et le reste suivrait. Pour d'autres, il fallait politiser encore plus le contenu, mettre de l'avant notre spécificité, revendiquer, etc. Certains groupes disaient ne pas se reconnaître dans les événements «grandioses» organisés pendant l'Année (dont la soirée de clôture avec la chanteuse Marjo). D'autre part, même si on le veut, ce n'est pas facile de faire ressortir la spécificité de l'alpha pop pour le grand public et les médias. Quand ces derniers faisaient la différence entre les deux réseaux, c'était plus en termes d'opposition. Ils s'intéressaient beaucoup plus au vécu des personnes analphabètes qu'au problème de survie du réseau d'alpha pop.

Je crois qu'il y a eu des efforts, par bouts, pour faire ressortir la spécificité de l'alpha pop, mais peut-être aussi une tendance à traiter cet aspect d'une manière «accessoire». Somme toute, on n'a pas rué fort, fort dans les brancards. Cela a été une belle année, mais une année... sage... Même aujourd'hui, je me demande encore s'il aurait pu en être autrement.

Gilles Landry

Le RGPAQ voulait profiter de l'Année internationale pour acquérir une grande visibilité publique dans une perspective de reconnaissance et de financement. Dans les faits, il a atteint son objectif. Pendant l'Année internationale, le RGPAQ a organisé plusieurs événements (le lancement du livre de l'Année internationale à l'aréna Maurice-Richard, la soirée de clôture au palais des congrès de Montréal), attiré des personnalités médiatiques (le gouverneur général du Canada, Michel Tremblay, Antonine Maillet, etc.), participé à des congrès internationaux (Thaïlande, Yougoslavie), fait circuler le livre des participants et participantes dans toute la province à grands renforts de messages transmis par les médias locaux, participé à des dizaines d'émissions de radio et de télévision, créé une fondation en alpha pop appuyée par un comité de prestige composé de représentants et représentantes de grandes compagnies (Bell, la Société canadienne des postes, etc.). En fait, le RGPAQ et ses membres étaient partout. On ne parlait que de nous. En comparaison, la présence des commissions scolaires était pratiquement nulle.

Par contre, un certain nombre de critiques ont assez rapidement fusé a l'interne. Certains, certaines avaient l'impression que tout le côté «glamour» de ce type de visibilité était de plus en plus étranger à la réalité des groupes populaires et, encore plus grave, à celle des adultes analphabètes. Cette impression s'est aggravée après que le ministre de l'Éducation, Claude Ryan, eut envoyé sur les roses des représentantes du RGPAQ qui lui demandaient plus d'argent en prenant comme exemple les groupes qui n'avaient que 10 000 $ de subvention. Le ministre avait alors répondu que 10 000 $ pour les groupes bénévoles, c'était bien suffisant. Peu de temps après, la politique du ministère en alphabétisation est devenue claire: augmentation de 400 % du budget des commissions scolaires et de 4 °/o de celui des groupes populaires.

C'est à partir de ce moment que les choses ont commencé à se dégrader entre le comité Année internationale et le COCOA. Alors que le premier voulait continuer son programme d'activités comme si de rien n'était, le second tenait à donner une couleur plus politique et revendicatrice à l'événement. Ce «désaccord» devait culminer après une demande du COCOA de projeter une vidéo de Ryan lançant la réponse citée précédemment lors de la soirée de clôture de l'Année internationale, demande rejetée sous prétexte qu'il n'y avait pas d'écran disponible au palais des congrès. Malheureusement, pour cette fin d'Année internationale et l'harmonie au RGPAQ, nous nous sommes rendu compte que la salle où l'événement se déroulait comportait deux écrans géants qui fonctionnaient très bien pour le spectacle de Marjo.

Mario Raymond

Le RGPAQ entendait utiliser l'AIA pour faire avancer le dossier de la reconnaissance des groupes d'alpha pop. Pour avoir participé activement aux activités du RGPAQ pendant cette période, je crois pouvoir affirmer que nous n'avons que partiellement atteint notre objectif. Trop occupés à démystifier l'analphabétisme auprès des non-initiés (ex.: comité de promotion et grand public), il nous était difficile d'amener ces derniers à faire des distinctions fines entre réseau scolaire et réseau populaire.

Par ailleurs, l'obligation dans laquelle nous nous trouvions de fonctionner dans les cadres serrés d'un programme d'activités ayant des airs de mégalomanie laissait peu d'espace à la promotion de l'alpha pop à proprement parler, du moins à l'échelle nationale. Le RGPAQ a quand même réussi à être un interlocuteur de premier plan en matière d'alphabétisation au Québec pendant cette période, et l'est demeuré jusqu'à aujourd'hui.

Les retombées locales et régionales de l'AIA toutefois ont permis, selon moi, d'atteindre l'objectif de reconnaissance de l'alpha pop. Cette réussite s'explique d'abord par le grand engagement des groupes membres et ensuite par l'absence de stratégies locales et régionales de la part du réseau des commissions scolaires.

Quel a été le degré de participation des personnes analphabètes?

Louise Miller

Il y a eu une large mobilisation des personnes analphabètes dans tous les groupes membres, tant pour la production des textes du livre et pour l'organisation des activités régionales et nationales que pour la prise de parole publique, et ce, tout au long de l'année.

Sylvie Bernier

Je ne crois pas que les participantes et les participants aient été consultés sur le contenu national de l'AIA. Mais pour ce qui est de la participation aux événements, je pense que les membres des groupes ont été très sollicités et engagés, surtout ceux et celles des groupes qui avaient utilisé CAIA comme moment fort.

Dans certains groupes, beaucoup d'activités pédagogiques ont été réalisées autour du Voyage du Livre (qui a connu d'ailleurs quelques ratés, plusieurs personnes l'ayant à peine vu) et de l'AIA de manière plus générale. On écrivait sa propre histoire, des réflexions et même des textes fictifs ou poétiques. On correspondait avec des gens d'autres groupes. À Atout-Lire, par exemple, on étudiait la planète avec, comme fil conducteur, la question de l'analphabétisme. Pourquoi on ne sait pas lire en Haïti? Pourquoi on ne sait pas lire au Québec? On a donc vécu de grands moments d'éducation populaire et de solidarité dans certains groupes d'alpha.

Quand venait le temps de participer à des grands événements régionaux ou nationaux, les gens étaient prêts et s'investissaient avec fierté. Je dois dire, par contre, que ça n'a pas été le cas partout. L'AIA n'a pas été «célébrée» de manière uniforme dans toutes les régions et dans tous les groupes.

Selon certains groupes membres, les participants et les participantes ne se sont pas réellement engagés. Ils étaient invités dans de beaux party et servaient de figurants. Je ne partage pas ce point de vue. J'ai constaté, plus particulièrement dans l'organisme où je travaille, que des personnes prenaient conscience d'une manière tangible qu'elles n'étaient pas seules à éprouver des difficultés en lecture, en écriture et en calcul. Cela a donné lieu à des remontées spectaculaires d'estime de soi.

Gilles Landry

Autant que je me rappelle, la participation des personnes analphabètes a été très bonne pendant l'Année internationale. Elles sont venues très nombreuses aux divers événements, elles ont participé au comité ad hoc mis sur pied pour l'occasion et ont surtout travaillé très fort à écrire des textes pour le livre de l'Année internationale qui a circulé dans tous les groupes.

Toutefois, beaucoup d'entre elles ne se sont pas toujours senties à l'aise à cause du côté «glamour» des différentes activités.

Mario Raymond

Localement et régionalement, l'engagement des participants et des participantes a été très bon, et ce, tant pour la préparation des événements que pour leur réalisation. À l'échelle nationale, ça a été une autre affaire... Mis à part l'investissement d'un nombre limité de participants et de participantes au comité de lecture du livre du RGPAQ sur l'AIA et la présentation, par des membres des groupes de Montréal, d'une pièce de théâtre à l'aréna Maurice-Richard, je cherche toujours le signe d'une participation «évidente». Il faut dire qu'à l'époque nous en étions encore à penser que les structures du RGPAQ étaient hostiles à toute participation des personnes analphabètes. Heureusement, avec l'avènement du Comité des participants et des participantes, les choses ont bien changé, ce qui me porte à croire qu'une AIA en 2002 verrait une participation accrue et significative des adultes analphabètes.

Quelles ont été les retombées de l'événement?

Louise Miller

Évidemment, cela a donné beaucoup de visibilité aux groupes, au Regroupement ainsi qu'au problème de l'analphabétisme. Certains diront que cela a eu peu d'impact sur la reconnaissance et le financement des groupes, mais ce n'est pas mon avis. Selon moi, c'est l'ensemble des actions menées par le Regroupement depuis sa fondation, sa présence publique et visible dans le champ de l'éducation des adultes qui ont fait avancer la cause et non seulement les actions de lutte pour le financement. Quant aux autres retombées (notamment pour les participants et les participantes), ayant quitté le Regroupement vers la fin de l'Année internationale, je ne suis pas la meilleure personne pour en parler. Ce que je peux dire, par ailleurs, c'est que le travail de promotion réalisé autour de l'Année a fait en sorte que les grands syndicats ont été sensibilisés à la question. C'est ainsi que la Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec m'a invitée à joindre ses rangs pour m'occuper de ce dossier.

Sylvie Bernier

C'est difficile à évaluer. Pour cette question encore plus que pour les autres, j'aurais bien aimé assister à un groupe de discussion. Assise seule devant l'ordinateur, il ne me vient pas beaucoup de choses intelligentes à dire, encore moins de certitudes.

Globalement, c'est certain que la question de l'analphabétisme a été mise sur la place publique. On en a réalisé l'ampleur aussi. Grâce aux témoignages des participants et des participantes, le Québec a mieux saisi les conséquences au quotidien du fait de ne pas savoir lire et écrire.

Mais je ne pense pas que l'idée de l'alpha pop comme solution de rechange au réseau institutionnel ait réussi à dépasser le cercle des initiés. D'ailleurs, ça prend plus qu'un intérêt «en passant» pour saisir cette question.

Sur le plan du financement de l'alpha pop, c'est certain qu'il y a eu de l'amélioration à moyen terme et que le fait d'avoir fait autant parler de nous pendant plus d'un an y a contribué, mais je ne sais pas jusqu'à quel point, et il va sans dire qu'il n'y a pas eu de miracle de ce côté. Certains «vieux de la vieille» vous diront sûrement que sur ce plan on a manqué le bateau... Que les événements organisés dans le cadre de l'AIA ne nous ressemblaient pas et projetaient une image de «prospérité» qui était loin de constituer la réalité des groupes pop en alpha.

Je crois que le plus grand impact de l'AIA, c'est que les personnes analphabètes ont pris elles-mêmes conscience de l'ampleur d'un phénomène les concernant directement. De tare individuelle, leur problème de lecture et d'écriture est passé à phénomène social. Au départ drame personnel, il est devenu le drame de milliers et de milliers de personnes au Québec, au Canada et partout dans le monde.

Mais, aujourd'hui, que reste-t-il des retombées de l'AIA Le travail de sensibilisation et de lutte est toujours à recommencer et on aurait besoin d'un autre moment fort comme l'AIA pour faire en sorte que l'analphabétisme, les personnes qui le vivent et l'alpha pop préoccupent les Québécoises et les Québécois.

Gilles Landry

L'Année internationale a eu des conséquences inattendues et parfois même contradictoires. Pour les participants et participantes, ce fut la dissolution des comités et le retour au train-train normal, un peu comme après la Grande Rencontre. Pour ce qui est de la sensibilisation de la population au problème de l'analphabétisme, ce fut une grande année. Au chapitre de l'alphabétisation en milieu scolaire, ce fut la manne pendant plusieurs années, avec des enveloppes ouvertes et l'obligation, pour les gens recevant des prestations d'aide sociale, de suivre des programmes d'alphabétisation. Par contre, ce furent également l'augmentation des ratios, les 2 000 heures et finalement les taux d'abandon élevés (70 à 80 %) quelques années plus tard. On assista donc à une démobilisation énorme d'un grand nombre de personnes analphabètes qui étaient prêtes à s'intégrer dans une démarche d'apprentissage et qui ont été «scrapées» de nouveau par le système scolaire. Pour l'alphabétisation populaire, ce fut la colère de la désillusion. Ce fut la volonté ferme de s'engager dans une lutte politique. Ce fut le congrès d'orientation sur le membership, afin de regrouper les forces vives pour cette lutte. Ce furent de grands débats sur la façon de mener cette lutte. Ce fut finalement une lutte qui devait aboutir quelques années plus tard à une augmentation appréciable des budgets des groupes et à la création de plusieurs nouveaux groupes.

Mario Raymond

L'AIA a mis l'alphabétisation (au sens large) sur la carte des problèmes sociaux, et ce n'est pas négligeable. Avant 1990, le grand public concevait encore l'analphabétisme comme un problème individuel qui ne touchait que des personnes âgées, déficientes intellectuelles ou des adultes particulièrement «poqués». L'AIA aura permis de faire ressortir la responsabilité sociale et collective de la société face à ce problème. Le slogan de l'AIA, Ça vous concerne!, aura donc, selon moi, atteint son objectif.

Régionalement, l'AIA aura permis aux groupes de se faire connaître - étape préalable à la reconnaissance - du grand public de leur région et de leur localité. En ce sens, l'AIA aura été un élément déclencheur menant à la reconnaissance de l'alphabétisation populaire. Le RGPAQ avait lancé le mouvement; il restait aux groupes à poursuivre le travail dans leurs collectivités respectives, ce que la plupart d'entre eux firent avec brio. La régionalisation des événements aura aussi amené les groupes à travailler ensemble sur une base régionale, ce qui leur permit de mieux se connaître et de tisser des liens bénéfiques pour la continuité du travail dans le dossier de la reconnaissance.

Là où les retombées ont été les plus faibles, c'est à l'égard de la reconnaissance des droits des personnes analphabètes, élément pourtant fondamental de la mission du RGPAQ et de ses groupes membres. La faute à qui? À personne! L'AIA était une année pour tout le monde, on avait une programmation serrée à laquelle il fallait se mouler... et la réflexion collective sur la défense des droits n'en était pas là où elle en est maintenant.

Tout compte fait, j'estime que les retombées de l'AIA en valaient l'effort. Il faut faire preuve de réalisme: on partait de si loin dans le dossier de la reconnaissance qu'il était impossible d'obtenir tous les résultats escomptés à l'intérieur d'une seule année, fusse-t-elle l'Année internationale de l'alphabétisation. Les efforts combinés et convergents du RGPAQ et de ses groupes membres ont certainement eu un impact sur notre reconnaissance auprès du ministère de l'Éducation. Après l'AIA, le MEQ ne pouvait plus ignorer l'existence du RGPAQ et de ses groupes membres.

Un programme de financement distinct (l990)

Un regard distinct sur le programme distinct

Jean-François Aubin,
a travaillé au RGPAQ de 1990 à1995 à titre notamment de
responsable du dossier politique

Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) a connu une vive discussion lorsqu'il s'est trouvé devant la possibilité de choisir entre continuer de faire partie du Programme de soutien à l'éducation populaire autonome (PSEPA) et avoir son propre programme, devenu par la suite le Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome (PSAPA). Le PSEPA et le PSAPA résultaient tous deux du Programme OVEP (organismes volontaires en éducation populaire), le seul à soutenir financièrement, souvent au moyen de sommes modestes mais néanmoins fort utiles, des organismes non institutionnels réalisant un travail d'éducation auprès des adultes.

Le tout débute en 1987, alors que le RGPAQ siège au comité de refonte du Programme OVEP. Ce comité créé par Claude Ryan, ministre de l'Éducation de l'époque, a pour mandat de revoir le Programme OVEP et de formuler des propositions.

Trois objectifs sont visés: améliorer les modalités de gestion du programme, faire reconnaître le caractère spécifique de l'alphabétisation populaire et faire augmenter les budgets. Les deux premiers objectifs sont à peu près atteints, pas pleinement, bien entendu, et le troisième ne l'est pas du tout. Il faudra attendre quelques années pour voir les premiers gains financiers en alphabétisation.

Depuis les débuts, les groupes d'alphabétisation populaire se définissent comme des groupes d'éducation populaire, et plusieurs craignent que le fait d'avoir un programme distinct pour l'alphabétisation nous éloigne du mouvement d'éducation populaire. En même temps, plusieurs groupes pensent que le caractère spécifique des groupes d'alphabétisation n'est souvent pas pris en compte dans le programme de financement de l'éducation populaire.

Par exemple, en alphabétisation, le ministère de l'Éducation finance en majeure partie le budget des groupes, ce qui est très rarement le cas dans le mouvement d'éducation populaire. De plus, en alphabétisation, le ministère est enclin à reconnaître dans les dépenses admissibles les coûts d'infrastructure, mais hésite beaucoup à le faire dans les autres secteurs de l'éducation populaire.

C'est ainsi que s'amorce le débat autour du programme distinct en alphabétisation. Doit-on oui ou non aller de l'avant avec cette idée? La réflexion se base sur deux paramètres. D'abord, est-ce que le fait d'aller de l'avant entraînera l'augmentation des subventions des groupes en alphabétisation? Ces groupes étant sous-financés, un des objectifs principaux du RGPAQ est de travailler à l'amélioration du financement. Ceci se fait en alliance avec le mouvement d'éducation populaire, mais également sur une base autonome (mais transparente).

En ce qui a trait à ce premier aspect, la majorité des groupes d'alphabétisation croit que le programme distinct ne peut pas nuire à l'augmentation du financement et qu'au contraire il peut permettre de mieux faire valoir le caractère spécifique de leur réalité à l'intérieur du vaste mouvement d'éducation populaire. Certains espèrent grandement que la création du programme distinct donnera lieu à une hausse des budgets.

L'autre grande question est l'opportunité de continuer à s'inscrire dans le cadre de l'éducation populaire. Un certain nombre d'interventions ont lieu tant auprès du ministère que des «alliés» en éducation populaire pour réaffirmer cette appartenance.

Par ailleurs, tout ce débat suscite un certain «brassage d'idées» sur ce que nous sommes et sur nos origines. Le congrès d'orientation de 1992 est, en partie, le résultat des réflexions amorcées dans la foulée des discussions portant sur le programme distinct. Disons que cela nous conduit à nous interroger sur le sens de cette distinction.

La majorité conclut que nous devons réaffirmer non seulement notre appartenance à l'éducation populaire mais également, ce qui est encore plus déterminant, nos pratiques d'éducation populaire. Ceci se concrétise entre autres par un vaste programme de formation que le RGPAQ élabore pour ses membres.

Personnellement, je crois que les bons choix ont été faits. L'obtention du programme distinct a été l'un des éléments qui allaient permettre par la suite d'améliorer la situation financière des groupes. Bien sûr, cela ne s'est pas produit tout de suite, et certains ont été déçus, au lendemain de l'obtention du programme distinct, de s'apercevoir que l'argent ne suivait pas. Mais si nous regardons la situation avec un peu de recul, cela a permis de «mettre la table» et de mieux s'organiser pour demander par la suite des augmentations de budget et des améliorations à la gestion du programme.

Cela a aussi contribué indirectement à renforcer le sentiment d'appartenance à l'alphabétisation populaire et a donné lieu à une série de débats importants. D'autre part, le PSEPA ayant une importance relative en matière de financement pour les groupes d'éducation populaire, la mobilisation sur ce dossier a fluctué beaucoup d'une année à l'autre. Tout en étant liés au mouvement d'éducation populaire, les groupes en alphabétisation tiennent à être reconnus pour leur intervention spécifique, comme c'est le cas dans d'autres secteurs de l'éducation populaire. Sur le plan organisationnel, cela a également aidé le RGPAQ à affirmer son autonomie dans l'action, notamment par l'élaboration de stratégies touchant le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MEPACQ), ce qui a été fort utile en plusieurs occasions.

En définitive, ce ne sont pas les deux programmes distincts de financement qui ont fait évoluer dans un sens ou dans l'autre les liens avec les autres groupes d'éducation populaire, mais bien un ensemble de facteurs plus déterminants tels les objectifs, les stratégies et les personnes en place. Par exemple, c'est l'existence de visions et d'analyses parfois différentes, beaucoup plus que la création de deux programmes distincts, qui a souvent provoqué des remous entre l'alphabétisation populaire et l'éducation populaire et entraîné certaines prises de distance significatives. Au-delà des divergences, les groupes en alphabétisation continuent à se définir comme faisant partie de la grande famille de l'éducation populaire, ce qui sera sans doute encore le cas pendant de nombreuses années.

Se dissocier ou non du mouvement d'éducation populaire

Gilles Landry,
formateur à Lettres en main (Montréal) depuis 1982

Après le congrès d'orientation de 1986, plusieurs groupes ont senti souffler un vent de militance reflétant une volonté de s'attaquer à ce qu'on percevait alors comme le principal problème de l'alphabétisation populaire: le manque de reconnaissance et de financement. Très rapidement, une proposition de programme distinct venue des groupes s'est imposée au CAP (comité Action politique) du RGPAQ.

L'argumentation était la suivante: contrairement à la majorité des autres groupes d'éducation populaire, les groupes d'alphabétisation populaire ne peuvent compter sur aucune subvention pour financer leurs infrastructures (secrétariat, loyer, services publics, etc.). Or, comme le Programme OVEP ne subventionne que des activités éducatives, il ne peut répondre à ces besoins. Il faut donc que le ministère de l'Éducation mette sur pied un programme distinct pour les groupes d'alphabétisation populaire qui tienne compte à la fois de l'infrastructure et des activités éducatives. Pour ce faire, il doit injecter de nouveaux fonds en alphabétisation populaire.

La proposition de programme distinct a été présentée en assemblée générale au début de 1987. Elle a soulevé un débat houleux: d'un côté, il y avait ceux et celles qui disaient que l'on devait rester unis avec l'éducation populaire et que se dissocier nous affaiblirait en tant que mouvement, et de l'autre, il y avait ceux et celles qui soutenaient que la solidarité avec l'éducation populaire ne se limitait pas à un programme de financement et qu'au contraire le fait d'avoir notre propre programme nous donnerait plus de force dans nos revendications.

Ce sont les tenants de la deuxième option qui l'ont emporté lors de cette assemblée générale. Ainsi, l'idée de programme distinct est passée de proposition à revendication. C'est donc avec cette dernière en poche que le Regroupement est allé siéger au comité de refonte du Programme OVEP.

La suite appartient à l'histoire: le programme distinct est passé, le Programme OVEP a été scindé en PSAPA et PSEPA et les groupes n'ont pas eu un sou de plus, si ce n'est l'augmentation du pourcentage des dépenses d'infrastructure à 20 % du montant des subventions, comparativement à 15 °/o pour l'éducation populaire.

Par contre, cette victoire qui a semblé mitigée à l'époque nous a permis d'affirmer notre identité et nous a donné des assises solides pour les luttes ultérieures.

[Voir l'image pleine grandeur] Une manifestation

Troisième période: Les années de crise - de 1991 à 1995

Crise, cela vous dit quelque chose? Malaise et tension, désaccords, instabilité. Lieux communs, identification à des valeurs, intégrité et audace. Rupture et changement. Au fait, crise ou défi? Défi de la cohabitation de la diversité et du sens?

Dès le début, la diversité a été un trait caractéristique du RGPAQ. Diversité des pratiques, des réalités et des regards portés sur la réalité. Le Regroupement ne s'est-il pas rapidement engagé à créer un climat favorable à l'expression des différents points de vue de ses membres?

Parallèlement, s'il voulait rester fidèle à sa mission et travailler à bâtir une société plus juste, il devait continuer à se distinguer. Remettre sur la table les questions entourant son identité sociale et politique. Ses membres devaient s'entendre sur le sens à donner à l'alphabétisation populaire. Le respect des différences, oui, mais également des actions visant la transformation sociale, et un sens politique clair, sans compromis, autour duquel se rallier...

Le deuxième congrès d'orientation (1992)

Que reste-t-il...

Françoise Lefebvre,
contractuelle au RGPAQ de 1985 à 2001,
se remémore certains aspects du deuxième congrès d'orientation.

Quelles sont les raisons à l'origine du deuxième congrès d'orientation?

«J'ai la mémoire qui flanche, j'me souviens plus très bien...» Il me semble que c'était rattaché à la notion de représentativité. Voilà, je m'explique: il se posait à cette époque une question de membership. Plusieurs nouveaux groupes s'étaient joints au RGPAQ, et toutes les questions d'ordre politique semblaient être restées au dortoir... L'aspect «pratiques» était le plus important aux yeux de plusieurs.

De plus, des groupes membres plus anciens éprouvaient un certain désintérêt, notamment face aux assemblées générales. Bref, le Regroupement était «tiraillé», et plusieurs pensaient que des prises de position «communes» étaient souvent négociées à la baisse, relativement, entre autres, au financement et à la reconnaissance.

Qu'est-ce qui a été discuté? Quels types de débats ont eu lieu?

J'y vais vraiment par mon côté «intuitif»... et de très loin. Je dois avouer que j'avais fait partie d'un comité ad hoc auquel étaient associés Christian Pelletier du Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles (Montréal) et Suzanne Daneau de la Boîte à lettres (Longueuil).

Il y a eu plusieurs grincements de dents à ce congrès pourtant assez «relax» quant aux ateliers de travail. Quelques groupes se sont même dissociés du Regroupement quand il a été question des critères d'acceptation des groupes à titre de membres du RGPAQ. (Je me rappelle que La maison alpha de Magog a quitté le RGPAQ à la suite de ce congrès ainsi que le SAC d'Anjou, mais, ce dernier, temporairement, le temps d'apporter les changements requis.) L'événement a vraiment servi à réaligner le RGPAQ pour ce qui est du «politique» tout en entraînant par ailleurs une scission entre les volets pratiques d'alphabétisation et discours politique...

Il me semble aussi qu'on y a parlé de la formation au «politique» quand on a constaté que la survie même du mouvement de l'alphabétisation populaire était en jeu, en ce sens qu'il fallait conserver les racines nous reliant à la philosophie de l'éducation populaire (dont celles relatives à la conscientisation et à la participation démocratique des personnes analphabètes aux décisions des groupes d'alpha...).

À quoi le congrès a-t-il servi? Quels en ont été les résultats?

Il a servi à établir des critères clairs, non équivoques, relativement au membership. Par ailleurs, des mesures d'accompagnement des groupes ne répondant pas à tous les critères ont aussi été mises de l'avant (comme des formations plus axées sur le volet «politique»). Autrement dit, certains groupes pouvaient être acceptés à titre de membres «observateurs» pendant une certaine période, le temps de remplir les exigences reliées aux critères d'adhésion.

L'idée de former un comité politique est-elle venue de ce congrès? Il me semble que oui... L'idée aussi de créer des passerelles entre le volet pratiques et le volet plus politique, du moins je pense...

Enfin, paradoxalement, les groupes membres en sont sortis revitalisés malgré la démission de certains organismes.

En récoltons-nous encore les fruits aujourd'hui?

D'un point de vue plus extérieur au Regroupement (qui est maintenant le mien), quand je regarde la politique d'éducation des adultes qui vient d'être adoptée, il me semble que oui, le RGPAQ en récolte encore les fruits, ne serait-ce que par la reconnaissance obtenue les années suivantes. Grâce aux débats qui ont finalement mis l'aspect politique à l'avant-plan, aujourd'hui encore le comité politique11 du RGPAQ porte des fruits...

Autre chose: cette fameuse formation offerte systématiquement aux nouveaux groupes membres n'est-elle pas indirectement le fruit de ce congrès?

La révision des critères d'adhésion d'un groupe au sein du RGPAQ (de 1992 à 1993)

Renforcer notre lutte

Christian Pelletier,
coordonnateur du RGPAQ

Après l'Année internationale de l'alphabétisation et à la veille d'une importante bataille pour obtenir la reconnaissance des groupes populaires en alphabétisation et un meilleur financement, le mouvement voit la nécessité de vérifier le degré d'adhésion des groupes membres aux orientations du RGPAQ. C'est pourquoi, au congrès d'orientation de juin 1992, il est décidé de procéder à une révision du membership. L'objectif de cette démarche est de consolider notre mouvement pour entreprendre la lutte politique. Un comité est formé pour donner suite à cette résolution. Il se compose de Louise Lavigne d'Un Mondalire (Montréal), de Mario Raymond de La Porte ouverte (Saint-Jean-sur-Richelieu), de Suzanne Daneau de La Boîte à lettres (Longueuil), de Christian Pelletier du Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles (Montréal) et de Nicole Lachapelle, coordonnatrice du RGPAQ. Son principal mandat est d'élaborer une procédure de révision du membership qui devra être soumise aux groupes lors d'une assemblée générale à l'automne 1992.

L'élaboration de la procédure

Du mois d'août au mois d'octobre 1992, le comité se réunit à plusieurs reprises pour élaborer une procédure d'évaluation du membership qui soit rigoureuse et facilement applicable dans un délai assez court et qui tienne compte des ressources financières restreintes. Le comité établit dès le départ que l'évaluation devra se faire avec la participation des groupes. On décide donc très tôt de définir un questionnaire auquel les groupes devront répondre et à partir duquel un autre comité évaluera le degré de correspondance desdits groupes aux critères d'adhésion du RGPAQ. Les quatre critères

sur lesquels portera l'évaluation, établis par l'assemblée générale à la suite du deuxième congrès d'orientation, sont les suivants:

  • Avoir une structure démocratique et des lieux de partage du pouvoir adaptés à la réalité et aux besoins des participants et des participantes.
  • Être autonome.
  • Avoir des liens avec l'éducation populaire dans son milieu.
  • Avoir une pédagogie conforme à la définition de l'alphabétisation populaire.

Le comité travaille également à établir une grille d'évaluation des groupes à partir des réponses au questionnaire.

À l'assemblée générale de novembre 1992, le comité a terminé son travail et dépose sa procédure de révision du membership. Elle comporte plusieurs éléments:

  • Chaque groupe devra répondre à un questionnaire.
  • Un comité de révision en fera l'étude et fournira au COCOA des recommandations concernant l'adhésion du groupe.
    - Le comité formulera ses recommandations en fonction des quatre critères retenus lors du congrès de 1992 (voir plus haut).
    - Après étude des questionnaires, le comité fera trois types de recommandations au COCOA. Il proposera d'accorder le statut de membre à part entière au groupe qui répond de façon satisfaisante aux critères d'adhésion. Pour les groupes ne répondant pas à certains critères, il ciblera des points précis à améliorer et leur donnera un délai de 10 mois pour apporter des changements tout en déterminant le type de soutien à apporter aux groupes dans cette démarche. Ceux-ci auront alors le statut de membres observateurs et feront l'objet d'une seconde évaluation après le délai de 10 mois. Enfin, le comité proposera de retirer le statut de membre à un groupe qui ne répond pas aux critères retenus.
  • Le COCOA étudiera les recommandations du comité et fera part de sa décision au groupe.
  • Un groupe insatisfait pourra en appeler de la décision et demander au COCOA de s'expliquer. S'il demeure insatisfait de la décision rendue par le COCOA, il pourra en appeler à une assemblée générale sur le membership prévue à la fin de la procédure.

L'assemblée générale adopte la procédure et forme un comité Révision du membership, composé de Suzanne Daneau, Christian Pelletier, Nicole Lachapelle et Françoise Lefebvre de CLÉ Montréal.

L'évaluation des groupes membres

Le travail du comité commence dès décembre 1992. Dans un premier temps, le questionnaire est testé auprès de cinq groupes et quelques modifications sont apportées. Il est ensuite envoyé à l'ensemble des groupes.

À cette époque, le RGPAQ compte 40 groupes membres. Quatre groupes décident de ne pas répondre au questionnaire et se retirent du Regroupement. Le comité étudie donc 36 dossiers.

Ce n'est qu'en juin 1993 que le COCOA informe les groupes des résultats de la démarche. Cela oblige le RGPAQ à reporter à l'automne l'assemblée générale où les groupes pourront en appeler de la décision du COCOA.

Les résultats

Voici ce qui ressort de l'évaluation des 36 groupes:

  • Vingt-deux groupes répondent aux quatre critères d'adhésion.
  • Six groupes répondent uniquement à trois critères et ont dix mois pour corriger la situation, avec l'aide du RGPAQ, après quoi ils feront l'objet d'une seconde révision. Ils gardent cependant leur statut de membre à part entière durant cette période. Tous sont encore membres du RGPAQ en 2003.
  • Cinq groupes répondent uniquement à deux critères. Ils doivent soumettre un plan d'action pour corriger la situation et indiquer sur quel aspect ils auront besoin de l'aide du RGPAQ. Ces groupes feront l'objet d'une seconde révision après 10 mois. Ils auront entre-temps un statut temporaire de membre à part entière. Un groupe se retire du Regroupement à la suite de cette décision. Les quatre autres sont encore membres du RGPAQ en 2003.
  • Un groupe ne correspond à aucun des critères. Il perd son statut de membre à part entière et se voit offrir un statut de membre sympathisant. Il redevient membre à part entière un an après la révision du membership de 1993, ayant corrigé la situation promptement. Il est encore membre du RGPAQ en 2003.
  • Finalement, deux groupes ayant un statut de membre observateur ne répondent toujours pas à une majorité de critères et se voient offrir le statut de membre sympathisant. Aujourd'hui, ces deux groupes ne sont plus membres du RGPAQ.

Les leçons à retenir

Voici quelques observations notées dans le rapport final du comité déposé en juin 1993:

  • La démarche a le mérite d'avoir permis au RGPAQ de refaire connaissance avec chacun de ses groupes membres.
  • À l'usage, nous avons constaté les limites de la grille d'évaluation des questionnaires remplis par les groupes. Comme toute grille, elle ne nous a pas permis de toujours aller au fond des choses.
  • Même si un groupe répond aux critères adoptés lors du congrès de 1992, c'est dans l'action, au fil des ans, que sa volonté de participer et de s'engager dans le mouvement est démontrée.
  • Il y a eu des limites de temps et des limites financières. Il aurait été intéressant de rencontrer certains groupes. Bien que la plupart ait répondu avec beaucoup de sérieux aux questions, il reste que des précisions ont dû être apportées par la suite, précisions pas toujours suffisantes.

Conclusion

Est-ce que cette démarche de révision du membership a atteint son objectif de consolider notre mouvement? Cela est difficile à évaluer. Cependant, la lutte politique entreprise par la suite pour une reconnaissance et un financement adéquats s'est soldée par une augmentation de 100 °/o de l'enveloppe PSAPA (Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome) et par la création de 40 nouveaux groupes dont la plupart sont devenus membres du RGPAQ. Y a-t-il un lien de cause à effet?

À tout le moins, cette démarche aura permis de resserrer les critères d'adhésion. D'une part, le questionnaire ayant servi à la révision du membership est encore utilisé aujourd'hui pour étudier les nouvelles demandes. D'autre part, ayant tiré leçon des commentaires contenus dans le rapport du comité Révision et pour pallier les limites de l'étude d'un dossier par le seul moyen d'un questionnaire, le RGPAQ visite chaque groupe qui demande son adhésion.

En 2003, 10 ans après la démarche de révision, le Regroupement compte 76 groupes membres. Parfois, certaines personnes expriment le désir de procéder à une seconde révision du membership. Cette opinion n'est qu'un courant minoritaire au sein du mouvement. Mais qui sait? La conjoncture actuelle, marquée par la politique de formation continue et la politique de reconnaissance de l'action communautaire, nous force à nous positionner comme mouvement et nous obligera peut-être à nous mobiliser de nouveau pour affirmer notre autonomie et la spécificité de notre approche. Il faut encore renforcer la cohésion de notre mouvement pour faire face à l'avenir, tout le monde en convient.

[Voir l'image pleine grandeur] Des gens

Quatrième période: Une action plurielle - de 1995 à 2003

Tout être, tout mouvement qui évolue et grandit finit un jour par se demander quelle place il occupe. Celle qu'on lui accorde, mais aussi celle qu'il entend occuper.

Au début, le RGPAQ tenait à être vu et entendu à tout prix, pourrait-on dire. Il a, de ce fait, multiplié les actions. Au fil du temps, il est devenu conscient de la valeur et de l'originalité de son expertise. Fier et confiant. Participantes, participants, formatrices, formateurs, tous désiraient aller plus loin. S'imposer. Être consultés.

Nous connaissions maintenant les règles du jeu et nous pouvions «entrer» en négociation. Étions-nous devenus plus fous ou plus sages? Peu importe, car la multiplicité des pratiques et l'esprit critique ont eu gain de cause. C'est manifestement bien enraciné et doté d'une vision large que le mouvement d'alphabétisation populaire s'apprête à entamer une nouvelle tranche de sa vie...

Le RGPAQ est devenu un interlocuteur de premier plan (de 1994 à 1999)

Solange Tougas,
coordonnatrice à Déclic (Berthierville)

Le temps des grands labours

En cette année 1994, année de grands labours
Où le Regroupement est invité à l'investiture des ministres
C'est la stupéfaction, l'éclosion de réactions vives,

L'Agriculture s'en vient à l'Éducation:
Jean Garon cultivera notre terre,
L'ex-ministre québécois de l'Agriculture sarclera
Les rangs du ministère de l'Éducation...

Déjà, dans les cours, ça cacasse fort!
On ne perd pas de temps:
Le grain est levé, il faut le battre sans tarder.
Une heure après sa nomination, le nouveau ministre
Reçoit une demande écrite pour une rencontre avec le Regroupement.

La récolte doit être bonne.
Le Regroupement et ses groupes ont fait une solide campagne électorale.
Toutes les terres du Québec ont été ensemencées,
Presque tous les candidats et candidates, rencontrés.
Il faut maintenant garder l'œil ouvert:
Les mauvaises herbes, ça pousse vite et, souvent, sans qu'on s'y attende.

Le nouveau ministre s'attelle rapidement à la tâche.
Dès novembre, il rencontre des représentants et des représentantes du Regroupement.
Il semble bien comprendre la situation et promet une réponse rapide à nos demandes.
Il doit rester dans le même sillon que son prédécesseur, Jacques Chagnon,
Qui, avant les élections, promettait de doubler notre budget et de travailler à un plan de lutte contre l'analphabétisme.

La saison avance, le froid s'installe fermement et le silence de Jean Garon également.

On ressort les voitures et on met au point une nouvelle stratégie: on invite le ministre à un déjeuner aux céréales Alpha-Bits, à Québec, pour avoir des réponses claires à nos demandes de reconnaissance et de financement.

Le 7 février 1995, Jean Garon s'engage à venir épandre de bonnes nouvelles à notre assemblée générale du 24 février.

Le grand jour arrive: les groupes et les porte-parole des adultes en démarche d'alphabétisation sont présents.

Moment historique: c'est la première fois qu'un ministre de l'Éducation vient à une assemblée générale du RGPAQ.

L'atmosphère est fébrile... Jean Garon nous annonce que le montant de l'enveloppe PSAPA (Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome) passera de 2,6 millions à 5,3 millions de dollars.

Pour ce qui est du plan de lutte à l'analphabétisme, il renvoie le débat aux États généraux sur l'éducation qui doivent se tenir en 1996.

Enfin, on récolte ce qu'on a semé, et tout ça parce que, entre autres, on a travaillé à bâtir un cadre de référence12 discuté et adopté en assemblée générale, qui deviendra notre base de négociations. On a également préparé un plan de lutte sur divers aspects: visibilité dans les médias des régions et les médias nationaux, campagne électorale structurée, pochette pour les candidats, les candidates, sensibilisation de ces derniers par une majorité de groupes, stratégies pour obtenir des promesses fermes de chacun des partis... Par ailleurs, l'engagement des adultes des groupes et de leurs porte-parole dans ce travail de sensibilisation et de visibilité a été énorme et très important. On a créé des alliances avec nos proches du communautaire, comme le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MEPACQ), afin de faire reconnaître l'éducation populaire.

Et, enfin, le vent a tourné!

C'est le temps de fêter cette belle victoire avec les groupes, avec les participants et les participantes: les porte-parole de certains groupes et le Regroupement se mettent à la tâche, et cela donne lieu à la Fête de la solidarité, le 27 mai.

Quel bonheur de fêter ensemble!

Mais tout n'est pas gagné.

Nous devons reprendre notre souffle, car un autre vent se lève, une autre tempête s'annonce: notre généreux ministre veut, avec cet argent, créer de nouveaux groupes, et non pas uniquement consolider les groupes existants.

Le temps de reprendre nos forces, et nous voilà repartis. Le RGPAQ doit se battre pour que les groupes en place obtiennent un financement significatif et pour que les nouveaux soient vraiment des groupes d'alphabétisation populaire.

Tout ce travail, basé sur la créativité, la solidarité et la ténacité, a porté ses fruits!

À force de volonté, d'énergie, de stratégies tant locales que régionales ou provinciales, le RGPAQ est devenu, de plus en plus, un interlocuteur incontournable!

Un acteur incontournable

L'un des moments importants de l'histoire du RGPAQ est sa participation aux Assises nationales des États généraux sur l'éducation, en 1996.

Un peu d'histoire... du côté politique

En 1995, Jean Garon devient ministre de l'Éducation. Sans tarder, le RGPAQ lui fait part des besoins des groupes en matière de reconnaissance et de financement. Du même coup, il met en évidence l'urgence, pour le Québec, de se doter d'un plan de lutte à l'analphabétisme.

Le ministre décide de doubler l'enveloppe PSAPA, mais pour le plan de lutte, il s'en remet aux États généraux sur l'éducation: ceux-ci doivent s'inscrire dans l'histoire de l'éducation du Québec et, en principe, en influencer le développement futur, et ce, à tous les niveaux.

... du côté du RGPAQ

À l'assemblée générale de juin 1995, les groupes adoptent une proposition soulignant l'importance que le RGPAQ et ses groupes participent à tout le processus des États généraux.

Une fois de plus, le Regroupement et ses groupes se mettent au travail pour bien préparer leurs interventions, à l'échelle tant locale que provinciale. Les principaux objectifs sont de faire partie du portrait actuel et futur de l'éducation au Québec, de ramener les préoccupations et l'expertise de l'alphabétisation et de l'éducation populaire à toutes les étapes des États généraux, d'être présents à chacune des étapes (en région et à l'échelle provinciale) et de créer des alliances qui appuieront nos interventions.

Petit fait intéressant: Jacques Parizeau, alors premier ministre, fait un remaniement ministériel et remplace le ministre de l'Éducation par Pauline Marois. C'est donc elle qui réalisera les États généraux sur l'éducation.

Pour ce faire, une commission est formée: elle se compose de 15 représentants et représentantes de divers milieux, tels que Céline St-Pierre, vice-rectrice à l'enseignement et à la recherche à l'Université du Québec à Montréal, Majella St-Pierre, président du Conseil de la coopération du Québec, Paul Inchauspé, directeur général du Cégep Ahuntsic et qui, plus tard, rédigera les versions de la politique de formation continue. Cette commission est présidée par Lucie Demers, porte-parole du Comité sur la survie de l'école Sainte-Ma rie-de-Batiscan, et par Robert Bisaillon qui, à ce moment-là, vient de quitter la présidence du Conseil supérieur de l'éducation. Dans un premier temps, après diverses consultations, les membres rédigent un document de travail, L'exposé de la situation, qui servira de base de discussion aux Assises régionales.

Un processus intéressant

Dans les régions, on prépare le terrain. Des représentants et des représentantes de la commission parcourent le Québec afin de bien saisir les réalités propres à chaque région et de connaître les principales préoccupations de la population; cela prend la forme de forums régionaux. Évidemment, dans plusieurs régions, des représentants et des représentantes des groupes y participent. On présente l'alphabétisation populaire, ses préoccupations et ses solutions, en faisant le lien avec la pauvreté et la situation précaire des groupes.

Dans un deuxième temps, les conférences régionales réunissent, sur invitation seulement, des organismes et regroupements de la région afin de définir des priorités d'action en éducation.

Dans plusieurs régions, les groupes d'alpha et les tables régionales d'éducation populaire sont présents. On travaille à mettre en évidence la spécificité de l'éducation populaire autonome, l'importance de l'analphabétisme au Québec ainsi que l'urgence de mettre au point un plan d'action gouvernemental qui favorise, évidemment, la reconnaissance des groupes et un financement adéquat. Du même coup, on en profite pour dénoncer quelques lacunes du système d'éducation et proposer des solutions.

C'est un grand défi que de faire en sorte que l'on ne parle pas seulement de l'éducation des jeunes mais aussi de l'éducation des adultes, et que l'alphabétisation ait une place importante.

Pendant ce temps, le RGPAQ poursuit son travail avec les alliés, le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MEPACQ), l'Institut canadien d'éducation des adultes (ICEA), les fédérations universitaires étudiantes... afin d'obtenir des sièges aux Assises nationales et pour que l'éducation des adultes soit défendue par le plus de gens possible.

Le RGPAQ obtient finalement un siège aux Assises nationales: une délégation de trois personnes, soit une porte-parole et deux membres, est invitée.

Les Assises nationales

Le mardi 3 septembre 1996 est un premier grand jour pour le RGPAQ, car jusqu'au 6 septembre, il pourra apporter sa contribution et faire valoir ses principales positions. Comment décrire la sensation que j'éprouve à le représenter, avec, entre autres, des délégués de la Centrale de l'enseignement du Québec, de la Fédération des commissions scolaires, de la Fédération des directeurs d'établissement, des fédérations étudiantes, de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec ou du Conseil du patronat du Québec? On prend le temps de respirer et surtout de bien préparer ses interventions. Il faut aussi toujours avoir en tête que l'on représente des groupes et que les propos doivent refléter leurs préoccupations.

Soixante-dix organismes nationaux sont représentés. Les discussions ont lieu à partir du Guide de participation aux Assises nationales, où l'on retrouve 10 grands thèmes et des questions traitant, entre autres, de la mission éducative, de l'accessibilité et de la réussite, de la formation continue, des pouvoirs et des responsabilités, de la confessionnalité et du financement.

La tâche la plus importante consiste à bien mettre en évidence les principales préoccupations des groupes tout en portant un regard sur l'ensemble du monde de l'éducation.

Durant ces quatre jours, nous créons des alliances avec nos proches comme l'ICEA et le MEPACQ, mais aussi avec d'autres groupes comme les fédérations universitaires, les syndicats ou les fédérations jeunesse.

Nous nous entendons sur des préoccupations communes, et quand vient notre tour de parole, nous les faisons valoir. Cela nécessite donc beaucoup de travail parallèle, afin d'obtenir des appuis et évidemment d'en donner.

Nous réclamons principalement une politique d'éducation des adultes, le gel des frais de scolarité et la reconnaissance de la diversité des lieux de formation.

Des suites concrètes

À la suite de ce grand exercice, la commission recommande 10 chantiers de travail, dont un sur l'éducation des adultes. Autre victoire: les objectifs de mettre l'éducation des adultes en évidence et de faire valoir l'alphabétisation sont atteints.

Mais, une fois de plus, se pointe un nouveau défi... Le chantier doit mettre de l'avant une politique de formation continue et, évidemment, il est primordial qu'on y parle d'alphabétisation, des groupes populaires et de leur reconnaissance, il est primordial que l'on soit engagé dans toutes les étapes.

Le ministère de l'Éducation décide alors de mettre sur pied un comité-conseil formé de 10 personnes - représentants des réseaux d'éducation tels que les universités, collèges, commissions scolaires et des organismes en lien avec les adultes comme l'ICEA - afin d'élaborer un projet de politique de formation continue.

Nous y obtenons un siège ainsi que le MEPACQ. Énorme travail que de faire valoir l'importance de l'alphabétisation, de la reconnaissance de la diversité des lieux de formation ainsi que de l'éducation populaire.

Les résultats ont tout de même été positifs... Rappelez-vous la première version de la politique de formation continue, presque tout un chapitre portait sur l'alphabétisation...

Le RGPAQ s'est révélé, une fois de plus, un acteur de premier plan. Il a influencé le travail du ministère, sensibilisé d'autres acteurs du monde de l'éducation à l'importance de l'alphabétisation et à la reconnaissance des groupes.

Le RGPAQ autour du monde

Cinquième Conférence internationale de Hambourg Séminaire sur l'alphabétisation de Namur

En 1997, l'UNESCO invite à Hambourg, en Allemagne, 132 pays et 400 organisations non gouvernementales. C'est une première! Habituellement, dans ces grands déploiements internationaux, il n'y a pas de place pour les ONG. L'objectif est le suivant: cerner la situation régionale et mondiale de l'alphabétisation afin d'en arriver à une déclaration commune signée par tous les pays et favorisant le développement de l'alphabétisation.

Une délégation québécoise se rend à Hambourg avec, à bord, en plus de la présidente, Pauline Marois, deux représentantes du RGPAQ, Nicole Lachapelle et Solange Tougas. Pendant toute la durée de l'événement, plusieurs textes sont proposés et les délégations sont conviées à enrichir les contenus pour en arriver à une déclaration mettant en valeur les préoccupations communes de l'ensemble des pays représentés.

Le Regroupement y apporte ses couleurs: sur la pauvreté, sur l'importance d'un plan d'action national ou sur l'exercice de la citoyenneté.

Le 18 juillet 1997, tous les pays signent la déclaration commune, qui deviendra la Déclaration de Hambourg.

Le RGPAQ a, une fois de plus, apporté sa contribution et fait connaître les principales préoccupations des groupes sur la place publique, sur la place internationale.

Le RGPAQ à Namur

Un séminaire portant sur l'alphabétisation dans les pays francophones et industrialisés a lieu en Belgique en 1999. On y retrouve, entre autres, des représentants et des représentantes du Canada, du Québec, de la France, de la Suisse et de l'Allemagne. Objectif: tracer le portrait de l'alphabétisation, de ses réussites, de ses difficultés, de son avenir à partir de l'expertise de groupes provenant de différents pays.

Le RGPAQ et les groupes membres COMSEP (Trois-Rivières), Ludolettre (Saint-Léonard-d'Aston) et Déclic (Berthierville) sont présents. Une fois de plus, notre expertise est reconnue. Nous parlons de l'alphabétisation populaire, de la conscientisation, de la place des adultes dans les groupes. Nous en arrivons bien vite à un constat: au Québec, l'alphabétisation est riche d'expériences diverses et soutenue par son gouvernement (contrairement à d'autres pays, comme la Suisse).

Là aussi, le RGPAQ a su mettre en valeur l'expertise des groupes et la spécificité de l'alphabétisation populaire.

La révision du fonctionnement (de 1996 à 2000)

Ne jamais cesser de se transformer

Pauline Beaulieu,
coordonnatrice à LIRA (Sept-îles) de 1996 à 2002

Commentaires de
Jeanne Francke,
formatrice à Lettres en main (Montréal) de 1992 à 2001
et maintenant contractuelle en formation au RGPAQ

P.B.: Il était une fois... Non, bien sûr, il n'est pas question ici de vous endormir avec l'histoire de la révision du fonctionnement! Il s'agit plutôt d'inscrire dans les mémoires cette merveilleuse aventure d'un regroupement qui voulait s'adapter aux nouvelles réalités.
C'est presque devenu un lieu commun que d'évoquer l'arrivée, au sein du Regroupement, de nouveaux groupes en 1995-1996 pour justifier la nécessité de revoir le partage des responsabilités et du pouvoir décisionnel. Cependant, un autre fait mérite aussi sa place dans l'histoire: le comité Stratégie, qui avait un pouvoir décisionnel entre les rencontres du COCOA en vue de poursuivre la lutte politique, était formé en majorité de membres du COCOA (trois sur quatre). Son mandat s'était élargi au fil du temps, sans pour autant que ne soit précisée l'étendue de son pouvoir décisionnel. Ce qui occasionna certaines tensions entre lui et le COCOA.

J.F.: Pauline, c'est bien vrai que, de prime abord, parler de la révision du fonctionnement peut paraître aride; pourtant ce processus a été l'un des moments intéressants de l'histoire du Regroupement avec tous les débats, les discussions et les réflexions qu'il a soulevés.
Pour nous, les engagés de près, le défi était de taille et les enjeux, majeurs: se concocter des structures et une organisation où pouvaient s'insérer, d'une part, les réalités complexes de notre Regroupement et celles de nos membres et, d'autre part, les mouvements d'évolution qui nous traversaient alors. Il s'agissait de baliser notre existence dans une construction «englobante» et souple, mais au contour assez net pour réduire au minimum les zones grises, où se jouait, entre autres, le partage des pouvoirs.

Ces deux facteurs déclencheurs ont donc amené un questionnement quant à la structure et au fonctionnement du RGPAQ. En 1997, le COCOA a donné à deux consultants le mandat de revoir le fonctionnement, les rôles et les pouvoirs de toutes les instances. Ces consultants ont questionné les personnes présentes cette année-là au RGPAQ, que ce soit à titre de membres de l'équipe de travail ou de membres de l'un ou l'autre des comités. Le rapport présenté aux groupes lors de l'assemblée générale annuelle de 1998 a eu un impact retentissant. Dans une salle non climatisée, il a fait l'effet d'une bouffée de chaleur supplémentaire venant ajouter à l'inconfort de tout le monde.

Tout à fait, les deux raisons principales qui nous ont amenés à entreprendre cette démarche sont bien l'accroissement du membership et les difficultés que provoquaient les flous dans la définition des rôles et des pouvoirs de chaque instance. J'ajouterais, par contre, des éléments qui ont eu leur importance à l'époque. Tout d'abord, si l'on regarde les attendus qui précèdent la proposition de l'assemblée générale de 1997 a deux reprises on nomme la régionalisation. À ce moment-là, nous étions inquiets des conséquences que ces transformations bureaucratiques auraient sur nous. D'ailleurs, plusieurs groupes s'étaient organisés régionalement, et au RGPAQ, on voulait instaurer des piliers régionaux pour faire les suivis.
Les autres aspects qui nous ont poussés à nous interroger sur notre fonctionnement sont la place des participants et des participantes au Regroupement, la multiplication des interventions des groupes (nous avions commencé à être de plus en plus sollicités) et les changements importants de société. On ne peut pas non plus passer sous silence ce qui se dit moins fort: il y a eu de la chicane et pas seulement entre le comité Stratégie et le COCOA. Les relations entre les comités, entre certains comités et le COCOA et même entre certains membres de l'équipe de travail étaient par moments houleuses. S'affrontaient des tempéraments forts et des visions différentes du développement du
Regroupement et de l'alphabétisation populaire.

On serait presque porté à plaindre ces pauvres consultants... Ils n'ont tout de même pas reçu de tomates lors de la présentation de leur rapport. Toutefois, il faut leur accorder le mérite d'avoir mobilisé les groupes et les membres des comités autour d'une tâche à accomplir d'une façon qui nous est propre. Leur analyse, qui s'étendait sur plusieurs pages, partait des nouveaux principes de gestion en vogue dans l'industrie, qui étaient à plusieurs égards très loin des principes du mouvement communautaire. À la suite des commentaires négatifs des membres, le COCOA s'attelait, l'automne suivant, à la lourde tâche de procéder à la révision tant annoncée. L'ampleur du dossier avait de quoi en inquiéter plus d'un et plus d'une. Par quel bout débrouiller ce qui apparaissait comme un écheveau? Comment consulter les groupes membres et intégrer leurs commentaires et suggestions dans cette révision de la cave au grenier?

En relisant les textes se rapportant à cette entreprise, je me suis rappelé notre «ardent désir» d'inclure les membres dans le PROCESSUS , ce qui était pour nous aussi important que les résultats eux-mêmes. Que ce travail en soit un de mobilisation, de construction de notre cohésion, d'information et de formation sur l'alphabétisation populaire pour toutes les personnes concernées. Nous avions effectué des consultations téléphoniques et écrites, un suivi dans chaque Scoop; nous avions invité les membres à formuler leurs commentaires, et au bout de toutes ces étapes, nous avions abordé à l'A.G., pendant une journée entière, la question de la mission, mais pas celle des rôles, des mandats et de la répartition des pouvoirs. Avec raison, certains, certaines nous ont trouvés lents et «téteux». Par contre, notre souci démocratique et notre démarche d'éducation populaire représentaient ce dont nous nous étions le mieux tirés cette année-là, et ce n 'est pas peu dire. C'est aussi le côté le plus positif de toute la révision du fonctionnement.

Le COCOA a donc procédé logiquement. Dans une bonne révision de structure, il faut s'assurer que les assises sont solides. Il a fallu revoir la mission et les valeurs qui soutenaient l'action du Regroupement. Ce qui a donné lieu à de longues et stimulantes discussions autour de sujets dont il n'est pas nécessairement question dans le feu de l'action mais auxquels on se reporte volontiers lorsqu'il s'agit de comprendre des dossiers complexes. Moments intenses où, autour de la table, nous nous interrogions et confrontions parfois nos visions des choses. Et survenait toujours un moment magique, où, tous idéaux confondus, nous arrivions à nommer des valeurs, à mettre des mots sur nos propres motivations personnelles dans l'action.

Il faut dire que notre logique a été grandement influencée par le rapport des premiers consultants. En effet, ceux-ci avaient des doutes sur notre mission, qu'ils trouvaient trop large et ambiguë. D'abord, ils trouvaient bizarre que nous ayons deux groupes cibles, soit les personnes analphabètes et les groupes d'alphabétisation. Ensuite, ils considéraient qu'avec les trois volets de notre mission (défense des personnes analphabètes, défense des groupes d'alphabétisation populaire et défense de l'alphabétisation populaire), nous embrassions trop large. Après avoir réalisé une recherche auprès d'autres regroupements et au terme de plusieurs discussions, les membres du COCOA ont conclu qu'ils n'étaient pas d'accord avec ce constat. C'est alors que nous avons commencé à consulter les membres. Notre souhait était de favoriser une meilleure compréhension de la mission pour que les groupes aient ainsi la possibilité de la transformer si tel était leur désir.

En juin 1999, le COCOA présentait à l'assemblée générale le fruit de ses réflexions. Dès l'instant où la mission serait redéfinie, i! serait ensuite possible d'établir les statuts rôles et pouvoirs de toutes les instances. Les valeurs détermineraient les fondements à partir desquels il serait possible d'établir des règles de fonctionnement nous ressemblant.

En général, les groupes étaient d'accord avec notre mission; il faut croire que nous aimions embrasser large! Deux points seulement faisaient l'objet d'un litige .- la place que devait prendre la défense des droits et la défense de l'alphabétisation populaire. Pour ce qui est du premier point, tout le monde était bien d'accord pour que nous le gardions dans notre mission. Ce qui était discuté, c'était l'ampleur du terrain sur lequel le Regroupement devait se mouvoir, chose qui serait définie et précisée ultérieurement. Pour ce qui est de la défense de l'alphabétisation populaire, plusieurs personnes trouvaient ridicule que l'on spécifie son existence puisqu'elle était incluse dans la défense des groupes d'alphabétisation populaire, je faisais partie de ceux et celles qui tenaient à garder nommément la défense de l'alphabétisation populaire dans la mission. Pour moi et pour quelques autres, l'enjeu était de préserver notre autonomie et notre philosophie. Il est facile d'oublier ce qui fait notre spécificité, il est facile d'être avalé par le quotidien, les besoins matériels et les pressions environnantes. C'était à mes jeux une façon d'insister sur notre position politique, de garder nos assises idéologiques.

L'année suivante, le COCOA mandatait un comité ad hoc pour travailler sur la révision du fonctionnement. Ce comité, formé par Jeanne Francke, Nicole Lachapelle et moi-même, avait pour mandat d'examiner le travail du consultant embauché afin de préciser la forme que pourraient prendre de nouveaux statuts et règlements. Là encore, un consultant venant de l'extérieur n'arrivait pas à saisir l'essence du Regroupement ni les besoins de l'organisme. C'est donc sur la base d'un document produit par ce comité ad hoc que le COCOA devait déterminer quels seraient les rôles et les pouvoirs des différentes instances et en compléter les définitions.

Non, on n'a pas eu de chance avec les consultants! Ils ont fait un travail de qualité, mais qui ne correspondait pas à nos besoins, et il a fallu ramer pour revenir à notre essence et garder notre ligne directrice. S'ils nous ont été utiles, comme tu le mentionnes un peu plus tôt, en nous obligeant à déterminer nos positions, ils nous ont presque nui en nous ramenant des modèles classiques de pouvoir centralisé, même dans leurs scénarios les plus ouverts, et cela, malgré tout, nous a influencés. Nous avons trimé fort avec nos propres moyens, gros travail de logique et de mécanique structurelle avec les matériaux glanés au fil des discussions et des consensus qui en étaient ressortis. Mais nous aurions pu aller tellement plus loin, créer des structures novatrices tenant compte de nos richesses et de nos forces diverses, si nous avions eu le soutien de consultants capables de nous aider à sculpter un organigramme à notre mesure.

C'est finalement en juin 2000 que l'assemblée générale, après des débats de forme et de sémantique, adoptait les nouveaux rôles, pouvoirs et responsabilités de chacune des instances existantes au Regroupement. Cet exercice, qui, pour plusieurs, peut sembler de l'ordre du débat intellectuel, attribuait et précisait chacune des fonctions assumées par l'équipe de travail, le COCOA, les comités et les membres.

Que de stress à cette assemblée, que de contenu aussi! Il y avait des pages et des pages de définitions de rôles, de mandats et de pouvoirs de chaque instance. Mais on y est arrivé. T'en souviens-tu? Tout le monde avait donné son 110 %, les groupes membres, Lionelle et ses invités, les employés du Regroupement, nous, les membres du COCOA , et notre présidente d'assemblée générale préférée, Lise Gervais.

Pour poursuivre et terminer le travail amorcé, le COCOA devait aussi se pencher sur la façon d'envisager le plan de travail. Chaque année, l'assemblée générale votait des propositions qui, l'automne venu, s'avéraient difficiles à mettre en ouvre. La conjoncture, les moyens indiqués dans ces propositions rendaient le travail de l'équipe très complexe ou carrément impossible dans certains cas. De discussions en discussions, de réflexions en analyses, une nouvelle manière d'orienter le travail s'est esquissée. En définissant de grandes orientations, il se dégageait une marge de manœuvre suffisante pour s'adapter à la conjoncture et à la table de travail de tous les comités.
C'est en partie selon les perceptions que des intervenants externes avaient du RGPAQ que les propositions d'orientation, qui seraient présentées en juin 2000, ont été ébauchées. Ces questions, posées par un consultant à des acteurs connaissant le Regroupement, ont situé la perception que des intervenants externes proches de l'alphabétisation avaient du RGPAQ. Il est ressorti des réponses une ligne directrice pour les activités de représentation et les actions publiques du mouvement. À travers ce cheminement, la convention de travail, le statut des postes permanents et temporaires ont aussi fait l'objet d'une évaluation. L'équipe de travail a connu, elle aussi, son lot de réflexions et de débats. Il coulait de source que les postes directement liés aux trois mandats de la mission devaient obtenir leur permanence. En ajoutant à cela le poste à la coordination, l'équipe permanente permettrait la survie du Regroupement. Selon la conjoncture, les projets, d'autres postes temporaires s'ajouteraient au besoin.

Petite ombre au tableau, je veux revenir sur un point que nous avons laisse' tomber en cours de route. Au tout début du cheminement, nous souhaitions débattre d'un aspect tabou au Regroupement: le partage des pouvoirs. Nous parlions aussi du besoin d'alimenter une culture de débat et de profiter de l'occasion pour la mettre en pratique. Si nous avons réussi à engager nos membres dans le processus et que, de ce point de vue, l'exercice a été une réussite - en passant par la définition concrète de nos instances - nous avons néanmoins évacué la possibilité de discuter de nos Disions idéologiques du partage des pouvoirs. Peut-être aussi avons-nous simplement évité une bataille de coqs (coq au féminin, ça s'écrit comment?).
En conclusion, à mes jeux, l'ensemble de la démarche a permis de faire ressortir les forces du Regroupement, de sentir la vigueur et l'énergie qui habitent nos membres et l'organisation dans son ensemble. Je crois que le RGPAQ est en bonne santé, qu'il sait, avec et malgré ses lacunes, évoluer et qu'il cherche à inclure la diversité de ses membres et des conjonctures. Espérons qu'il tendra à nourrir une culture de débat et qu'il s'ouvrira encore plus aux particularités de certains groupes, tels les jeunes, les personnes malentendantes, celles nouvellement arrivées au Québec, les autochtones, etc., et qu'il saura mieux intégrer les personnes qui sont à la base de sa raison d'être, c'est-à-dire les personnes peu alphabétisées et celles en démarche dans les groupes.

J'ai été partie prenante de tout ce processus, comme plusieurs personnes qui y ont pris part depuis le début. Ce changement nécessaire reflète la santé du mouvement. La capacité de se remettre en question suppose une ouverture d'esprit avec laquelle, à mon avis, il est indispensable de travailler si nous voulons un jour célébrer les 40 ans du RGPAQ.

La création d'un Comité des participants et des participantes (1998)

Travailler à un mieux-être

Louise Whitmore,
membre du Comité et des participantes du RGPAQ de 1998 à 2002
et membre actuelle du comité Défense des droits

Lors d'événements survenus en 199513, le RGPAQ remarque que les meilleurs des participants porte-parole pour défendre leurs points de vue sont justement les participants et les participantes, car ils sont personnellement concernés et ont personnellement des problèmes en alpha.

À la suite de cette manifestation, un comité ad hoc est formé pour préparer et présenter un dossier à l'assemblée générale de 1996 sur le bien-fondé d'avoir un comité permanent de participants et de participantes au sein du RGPAQ. La proposition est refusée.

Un an plus tard, le comité de travail dépose un projet en six points. L'assemblée générale de 1997 l'accepte sans modifications. On s'est aperçu qu'on ne pouvait pas avoir des participants et des participantes seulement comme porte-parole et qu'on devait élargir leur participation au sein du Regroupement.

En gros, voici la base du fonctionnement du Comité des participants et des participantes:

  1. Le Comité devra apprendre à fonctionner en groupe, à communiquer avec le RGPAQ et avec l'extérieur, à mieux connaître le RGPAQ.
  2. Il devra informer le RGPAQ et les participants et participantes des groupes sur ce qu'il fait, de même que les participants et les participantes sur les activités des groupes et sur les actions du RGPAQ.
  3. Il devra partager des idées sur les activités des groupes.
  4. Il devra appuyer les groupes et le RGPAQ dans les activités de sensibilisation, de visibilité et dans les actions publiques.
  5. Il devra organiser des activités de partage pour les participants et les participantes.
  6. Et pour finir, le point le plus important pour moi, le Comité devra faire connaître aux médias et aux gouvernements la réalité des personnes analphabètes.

Le Comité sera formé de 10 membres au maximum, élus démocratiquement par tous les participants et les participantes des groupes pour un mandat de 2 ans. Les gens pourront se présenter de nouveau.

C'est le 13 mars 1998 que j'ai déposé ma candidature pour faire partie du Comité des participants et des participantes; j'étais la 13e sur une liste de 16 candidats. J'étais très impatiente d'avoir les résultats, et, en mai, j'ai eu la confirmation de mon élection. Après, j'ai reçu mon invitation à l'assemblée générale du 10 au 12 juin 1998 à Pointe-du-Lac près de Trois-Rivières. À cette occasion, le Comité a été présenté, puis notre animatrice Odette Neveu nous a pris sous son aile, comme on dit, et Denis Chicoine du RGPAQ est devenu le responsable.

En octobre 1998, nous avons débuté tranquillement par le plan de travail 1998-1999 avec Denis, notre responsable. Nous ne savions pas encore ce que le RGPAQ prévoyait pour nous. Denis nous a expliqué les attentes et le rôle du Comité puis, en janvier, on nous a donné la formation de porte-parole et on nous a demandé de faire en équipe un article pour la revue Le Monde alphabétique. Nous avons appris à travailler ensemble. Lors de l'assemblée générale de 1999, René Paradis, l'un des membres, a dit ces paroles: «Maintenant que nous avons fait nos classes, comme on dit, nous sommes prêts à travailler avec les autres comités en septembre.»

Au retour des vacances, nous avons eu notre premier dossier avec le comité Défense des droits, dont le sujet était les problèmes que les personnes peu ou pas scolarisées rencontrent à tous les jours. Nous avons organisé une tournée dans les groupes pour répondre à nos questions.

La troisième année, un autre dossier s'est fait en collaboration avec le comité Pratiques, dont le thème était le recrutement. Durant nos deux tournées, les groupes ont participé au travail que le Comité a fait et, en même temps, ils ont appris ce qu'était le RGPAQ.

Depuis que j'ai commencé mes études à l'Écrit Tôt de Saint-Hubert, en 1995, ma vie a changé de direction. Dans nos groupes alpha, les formatrices, les formateurs nous apprennent les matières académiques, mais aussi comment s'épanouir, reprendre le contrôle de sa vie. J'ai appris à avoir confiance en moi, j'ai participé à des manifestations pour le RGPAQ et pour un groupe en alpha, aussi à une émission de télévision, à plusieurs émissions de radio et, pour finir, j'ai été au Salon rouge, le 17 octobre 2001, pour déposer mon témoignage et rencontrer le président de l'Assemblée nationale, monsieur Charbonneau.

Je suis engagée dans différents conseils d'administration et au comité Défense des droits, mais mon cheval de bataille, vous l'avez deviné, c'est l'alphabétisation. J'ai cru au Comité des participants et des participantes, et je suis sortie grandie de mon expérience; sinon, je ne serais pas restée quatre ans à défendre nos dossiers et à m'investir de plus en plus au sein du RGPAQ.

Le Comité nous a beaucoup apporté à tous et à toutes: nous avons appris à travailler ensemble (être capable d'accepter et de respecter les idées des autres et de se plier à la majorité), à augmenter notre estime de nous et notre confiance en nous, acquises au fil des années grâce aux expériences et aux démarches entourant les dossiers. Nous avons surtout réussi à démontrer à tout le monde que nous accomplissions notre travail sérieusement; le Comité a fait ses preuves par sa détermination et a montré qu'on pouvait compter sur lui ou avoir confiance en lui.

En ce qui concerne les groupes en alpha face au Comité des participants et participantes, il y a trois visions des choses:

Première vision: le Comité a visité plusieurs groupes lors des recherches pour différents dossiers, et les groupes ont été impressionnés par le travail fait sur la présentation de notre échéancier et les étapes pré-établies, sur la cueillette des renseignements que nous avions en notre possession. Ils nous ont félicités pour notre beau travail, car maintenant ils comprenaient le pourquoi et le fonctionnement du Comité des participants et des participantes.

Deuxième vision: il y a plusieurs groupes qui ne savent pas qu'il y a un Comité des participants et des participantes, car l'information ne va pas jusqu'à eux en raison d'un manque de communication entre la direction et les participants et les participantes. Le Comité cherche des moyens de faire changer cet état de choses.

Troisième vision: il y a aussi des groupes qui ne sont pas intéressés par d'autres activités que l'alphabétisation, car ils sont surtout axés sur leurs ateliers, et rien d'autre ne compte.

Mais en majeure partie, le Comité est très bien vu par les participants et les participantes des groupes, car ils savent que nous sommes là pour le mieux-être, pour eux et pour nous.

Comprendre et aider les participants et les participantes des groupes

René Paradis,
membre du Comité des participants et des participantes du RGPAQ de 1998 à 2002

Le Comité des participants et des participantes du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec existe depuis cinq ans. Il a été créé parce que des gens des groupes et du RGPAQ trouvaient important que les participants et les participantes aient une place dans le Regroupement. Dans la majorité des groupes, les participants et participantes étaient invités à s'engager dans les structures décisionnelles. Alors, il fallait que le RGPAQ change et donne l'exemple! Le Comité des participants et des participantes a donc été fondé pour aider le RGPAQ à s'adapter aux besoins des personnes ayant de la difficulté à lire et à écrire et leur permettre de participer à la vie du Regroupement.

Au printemps 1998, le RGPAQ envoie un formulaire aux participants et aux participantes de tous les groupes pour demander qui veut se présenter au Comité. Seize personnes se présentent. Il y a des élections un peu plus tard au printemps. Ce sont les participants et participantes des groupes qui votent. Dix personnes sont élues pour former le premier Comité des participants et des participantes du RGPAQ. Voici le nom de ces pionniers et de ces pionnières: Gérald Allaire, Céline Bard, Henriette Beauchesne, Nicole Girardot, Mario Hétu, Micheline Labrèche, René Paradis, Johanne Rondeau, Robert Tardif et Louise Whitmore. L'animateur est Denis Chicoine.

Le rôle du Comité, c'est d'être le représentant, le porte-parole des participants et participantes qui s'alphabétisent dans les groupes populaires. C'est important d'aller les voir pour leur parler et les écouter. Comme ça, on peut comprendre leurs besoins et mieux les aider. C'est pour ça qu'on travaille aussi avec le comité Défense des droits et sur les dossiers entrepris par d'autres comités du RGPAQ. On veut trouver des bonnes idées et des bons outils afin d'aider les groupes et le RGPAQ à organiser des choses utiles à la qualité de vie des participants et participantes. On est aussi là pour rappeler aux groupes membres du RGPAQ l'importance de faire de la place aux participants et participantes dans les lieux de décision.

Dans le Comité, on apprend à comprendre ce qu'est un comité et comment fonctionne le RGPAQ. On apprend aussi à se connaître et à travailler en groupe sur les dossiers de notre comité et du RGPAQ. Ça nous donne la chance de faire un plan de travail pour savoir comment nous allons aider les participants et participantes. Bref, on apprend beaucoup. C'est une belle expérience et ça fait connaître d'autre monde. On comprend qu'on n'est pas tout seul, qu'on est nombreux dans la province à travailler fort pour s'alphabétiser.

Les membres des groupes ont entendu parler du Comité. Ils ont appris que d'autres participants et participantes étaient là pour les aider et les comprendre. Le Comité veut essayer d'améliorer la qualité de vie des personnes qui ont de la misère à lire et à écrire. Premièrement, il est allé consulter les membres des groupes pour connaître les difficultés qu'ils rencontrent tous les jours. C'est un outil utile pour le RGPAQ parce que ça permet d'aider les travailleurs et les travailleuses à voir les besoins des participants et participantes. Deuxièmement, le Comité a visité d'autres groupes pour poser une question aux gens: «Comment avez-vous fait pour trouver votre groupe d'alphabétisation?» Les réponses ont enrichi les activités de recrutement des groupes. À la suite de cette tournée, une journée de réflexion a été organisée à Montréal et à Québec. Comme ça, les groupes ont pu profiter de nouvelles idées pour rejoindre de nouvelles personnes.

Je suis fier d'avoir travaillé pour le Comité des participants et des participantes. Je souhaite que ça continue longtemps.

Des porte-parole crédibles

Lucie St-Germain,
responsable du Comité des participants et des participantes du RGPAQ depuis 1999

En cinq ans, depuis la formation du Comité des participants et des participantes, on a constaté une évolution constante de la place occupée par les personnes peu alphabétisées au sein même des structures du RGPAQ.

Apprendre à bien exercer son rôle

En 1998, les participants et les participantes élus prennent connaissance des différents dossiers et reçoivent une formation de porte-parole. L'année suivante, ils travaillent avec les membres du comité Défense des droits à définir en quoi consisteront leurs interventions en cette matière. Pour ce faire, ils visitent, entre autres, une dizaine de groupes et rencontrent une centaine de participants et de participantes pour discuter des difficultés des personnes ayant des problèmes de lecture et d'écriture. L'année d'après, ils se penchent sur le recrutement. Ils rencontrent de nouveaux groupes et participants. Mais, cette fois, chaque membre du Comité a un rôle à jouer, soit celui d'animer une rencontre ou de présenter un témoignage. En 2002, certains et certaines deviennent des porte-parole officiels du RGPAQ. Deux membres participent à un comité d'organisation de la Semaine québécoise des adultes en formation et un autre à un comité de travail du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. En 2003, ils travaillent en collaboration avec un autre comité à une recherche sur la place des participants et des participantes dans les groupes membres du RGPAQ. Encore là, ils jouent un rôle actif pendant les rencontres avec les groupes.

Quatre membres des débuts ont choisi de ne pas se présenter de nouveau en 2002, après avoir rempli deux mandats consécutifs. Fait à noter, l'une des porte-parole du RGPAQ, Louise Whitmore, a continué son travail à l'extérieur du Regroupement. Ainsi, en quelques années seulement, des participants et des participantes sont devenus des représentants crédibles et ont suscité des interrogations non seulement au RGPAQ, mais également dans d'autres regroupements. Ils ont fait la preuve que lorsqu'on leur donnait les outils nécessaires, ils étaient tout aussi capables que d'autres de comprendre une situation, de s'exprimer et de prendre des responsabilités.

Ils ont participé, comme les membres des autres comités du RGPAQ, à la planification stratégique, ils ont pris des décisions concernant les orientations et alimenté les réflexions du mouvement. Et ils seront présents au prochain congrès d'orientation, car l'un des leurs fait partie du comité d'organisation! À suivre.

Textes d'analyse

Voici une autre lecture, une lecture verticale de notre histoire. Une traversée où se croisent quatre grands thèmes. Qui sont des phares. Toujours d'actualité, ils nous sont chers et familiers parce que collés à la mission de notre Regroupement et à notre réalité.

Les auteurs sont aussi les acteurs et les actrices de cette histoire, et l'intérêt des textes réside dans la subjectivité, dans la vision et l'interprétation de chacun et chacune. Qui explorent, sondent, scrutent les événements pour les saisir et mieux les comprendre.

La politique

20 ans de politique

Gilles Landry,
formateur à Lettres en main (Montréal) depuis 1982

En 1981, lorsque le Regroupement se met sur pied, il a un double mandat: défendre les intérêts des groupes devant l'État et devenir un lieu de discussion et de réflexion sur les pratiques de ces groupes. À première vue, on pourrait croire que le premier de ces mandats est d'ordre politique tandis que le second est plutôt d'ordre pédagogique. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples. En effet, en alphabétisation populaire, nos pratiques sont également politiques (ou devraient l'être). De plus, avec les années, le dossier politique a pris bien d'autres visages que le double mandat initial: défense des droits des personnes analphabètes, relations avec les autres organismes communautaires, vie associative, etc. Aussi l'histoire du volet politique au Regroupement ne saurait-elle se résumer à une suite d'événements chronologiques. Il semble plus opportun de laisser éclater cette histoire dans un florilège de faits, d'analyses et de perceptions.

Les 20 ans de politique au Regroupement, ce furent d'abord deux grands axes de revendications:

La reconnaissance et le financement

Dès le début du Regroupement, la question du financement a été centrale. Pour les groupes, c'était une question de survie. Alors que l'on reconnaissait leur expertise et leur originalité à la fois au ministère de l'Éducation et même hors frontières, le financement ne suivait pas. Très vite, le Regroupement a pris une position ferme face à l'État: pas de reconnaissance réelle sans financement. À cause de la précarité des groupes, cet axe de revendication a toujours été privilégié (et l'est encore) au Regroupement.

La défense des droits

Même si ce principe a toujours été clairement exprimé dans les intentions du Regroupement, ce n'est que depuis l'apparition du comité Défense des droits, au milieu des années 90, et le jumelage avec le Comité des participants et des participantes que cet aspect du travail a commencé à décoller dans les faits. Il a fallu attendre que le financement des groupes devienne plus important pour que cet axe de revendication puisse prendre son essor.

Ce furent des textes constitutifs importants:

Un grand nombre de textes ont été importants dans l'histoire du Regroupement. Parmi ceux-ci, on peut citer le mémoire présenté à la CEFA (Commission d'étude sur la formation des adultes) en 1982, la Déclaration de principes en 1986, le cadre de référence en 1993 et le mémoire présenté aux États généraux sur l'éducation en 1995. Ces textes sont représentatifs de la façon dont le Regroupement a développé son discours, défendu sa vision et réagi aux exigences des conjonctures sociales et politiques depuis 20 ans.

Ce furent de grandes tendances:

En 1981, le Regroupement a été fondé par 11 groupes14 qui avaient besoin d'un outil de représentation auprès du gouvernement afin d'assurer leur survie et leur autonomie, qui étaient sérieusement menacées. Ces groupes, issus de la base, partageaient une vision «relativement» commune de l'alphabétisation populaire. Toutefois, avec les années et les possibilités de financement, toutes sortes de groupes ont joint les rangs du Regroupement: certains issus d'une base militante, d'autres mis sur pied par des gens attirés uniquement par l'enseignement, d'autres encore créés par des commissions scolaires afin d'assurer leur recrutement. Plusieurs de ces groupes s'intéressaient plus au volet pédagogique du Regroupement qu'à son volet politique. Très rapidement, trois tendances ont émergé: les groupes très politisés, les groupes très peu politisés et, un peu entre les deux, un certain nombre de groupes plus pragmatiques, bien qu'attachés aux valeurs du Regroupement. Évidemment, avec le temps et les changements de personnel, plusieurs groupes ont migré de tendance, mais les trois tendances sont toujours bien présentes au Regroupement.

Cet état de choses a eu des conséquences sur les choix stratégiques et les possibilités d'action lorsqu'il s'est agi de mettre des revendications de l'avant. L'action politique au Regroupement n'a donc pas été menée à coups de grandes mobilisations (grèves générales, refus de payer les déductions à la source). Ce fut plutôt une suite d'actions ponctuelles (déjeuner aux céréales Alpha-Bits, lettres aux ministres, pétitions, etc.) et de longues et constantes négociations.

Ce furent (et ce sont toujours) de grands débats:

Évidemment, en 20 ans, il y a eu beaucoup de débats au Regroupement. On ne saurait tous les traiter dans le présent ouvrage. Toutefois, il serait intéressant de dire quelques mots sur certains des plus marquants.

Les liens avec les alliés

Ce débat part du principe selon lequel les inégalités sociales contribuent à perpétuer les inégalités en éducation. Donc, pour combattre l'analphabétisme, il faut s'attaquer aux injustices sociales. Pour certains, cette lutte doit être obligatoirement menée de front avec l'ensemble des organismes d'éducation populaire. Pour d'autres, le rôle du Regroupement est de mener d'abord sa propre lutte et ensuite de chercher des alliances avec d'autres regroupements. Ce débat, jamais résolu, a particulièrement soulevé les passions lors de la lutte pour le programme distinct en 1987-1988 et pendant l'élaboration des stratégies de lutte politique en 1992-1993.

Le choix des lieux de formation pour les personnes analphabètes

Cette question a été très discutée lors du congrès d'orientation de 1986. D'un côté, il y avait ceux qui pensaient que le Regroupement devait défendre le droit des adultes analphabètes de s'inscrire soit dans une commission scolaire, soit dans un groupe populaire. De l'autre, il y avait ceux qui disaient que, comme l'école était en partie responsable du problème de l'analphabétisme, il était absurde de croire qu'elle pouvait répondre aux besoins des adultes. Au congrès, le point de vue des premiers avait prévalu. Pendant longtemps, ce débat est resté en veilleuse. Toutefois, avec l'arrivée des années 2000 et la politique de formation continue, il refait surface au Regroupement.

Les liens avec les bailleurs de fonds

Ce débat a toujours été présent au Regroupement et a pris bien des formes. Que l'on parle d'heures-cours, de mesures d'employabilité, d'implication sociale, de mesures de prévention à l'analphabétisme, etc., la question est toujours la même: jusqu'à quel point sommes-nous prêts à remettre en cause notre autonomie pour avoir accès à des programmes de financement pour nous-mêmes ou pour nos participantes et participants? Le problème est complexe. En effet, refuser certaines subventions par principe peut avoir des conséquences graves dans les organismes: manque d'argent, difficultés de croissance, pertes de participantes et participants au profit des commissions scolaires, etc. Par contre, accepter cet argent oblige à faire des concessions: changer les durées de formation, fournir des listes de participantes et participants, recruter et évaluer les gens en fonction de critères définis par des fonctionnaires, etc. En fait, c'est l'éternel débat entre les principes et le pragmatisme, avec toutes les nuances que cela suppose.

La place des participantes et participants au Regroupement

Ce débat est aussi vieux que le Regroupement. Certaines personnes voudraient que toutes les instances soient ouvertes aux participants et participantes et affirment qu'il n'y a qu'à faire un effort de vulgarisation pour les intégrer. D'autres, au contraire, pensent qu'ils ont accumulé trop de déficits culturels pour bien saisir les problèmes dans leur complexité, et qu'il est illusoire de penser qu'ils sont en mesure de prendre des décisions éclairées au sein d'instances comme le COCOA ou le comité Reconnaissance et financement. D'autres encore soutiennent que le RGPAQ est un regroupement de groupes et non de personnes, ce qui exclut des instances toute personne non déléguée par les groupes. Toutefois, au-delà de tous ces arguments, il reste que les participants et les participantes commencent à frapper sérieusement aux portes du pouvoir. Aussi, la véritable question est-elle de savoir si ceux et celles qui le détiennent sauront trouver un moyen de le partager.

Le membership

Le débat sur le membership pourrait se résumer de la façon suivante: pour défendre et développer l'alphabétisation populaire, vaut-il mieux que le Regroupement ait un membership très étendu comportant un grand nombre de groupes moins politisés ou un membership plus restreint composé de groupes plus actifs politiquement. Cette question devient particulièrement importante lorsqu'il s'agit de mettre en branle une lutte politique. Elle était d'ailleurs à l'origine du congrès d'orientation de 1992.

Ce furent des luttes et des victoires importantes:

Au Regroupement, les luttes ont été multiples et incessantes. Encore une fois, on ne saurait toutes les nommer. En voici quand même quelques-unes qui ont laissé des traces:

La lutte pour la reconnaissance du Regroupement, en 1981-1982, qui a eu comme résultat de stabiliser l'existence des groupes populaires d'alphabétisation.

La lutte pour la levée des moratoires, entre 1983 et 1986, alors que le ministère de l'Éducation accréditait de nouveaux groupes, mais les empêchait d'avoir accès à du financement.

La lutte pour le programme distinct, en 1987-1988, afin que soit reconnu le droit des groupes populaires d'alphabétisation d'avoir accès à un financement accru pour leur infrastructure.

La longue lutte politique de 1991 à 1996, qui a suivi l'Année internationale de l'alphabétisation, au cours de laquelle les montants alloués à l'alphabétisation populaire ont augmenté de 4% et ceux des commissions scolaires de 400%. Cette lutte allait mener à la création de ce qu'on appelle encore les nouveaux groupes et à l'augmentation du financement des anciens. De plus, elle a permis au Regroupement d'avoir une place de choix lors des États généraux sur l'éducation en 1995, ce qui a mené à une reconnaissance de principe de l'alphabétisation populaire au sein de la politique de formation continue.

La lutte pour l'augmentation des budgets lors de la campagne électorale de 1998, alors que le ministère voulait allouer 80% des nouveaux budgets à la création de nouveaux groupes. Grâce à cette lutte, la proportion a été ramenée à 50%, ce qui a permis à plusieurs groupes d'avoir accès à un meilleur financement et au Regroupement de mieux encadrer la création des nouveaux groupes.

Ce furent des formations et des publications marquantes:

Le volet pédagogique a toujours été important au Regroupement, et qui dit pédagogie en alphabétisation populaire dit plus ou moins clairement politique. Toutefois, il convient de souligner trois formations qui ont particulièrement contribué à véhiculer les valeurs du Regroupement: Agir ensemble démocratiquement, La conscientisation et la formation itinérante Une formation en alpha pop!

Dans le même ordre d'idées, le Regroupement a été à l'origine d'un grand nombre de publications qui ont permis de faire connaître, à la fois à l'interne et à l'externe, les différentes pratiques d'alphabétisation populaire dans les groupes. Parmi ces publications, il convient particulièrement de souligner l'apport des deux revues phares du Regroupement: Alphabétisation populaire et Le Monde alphabétique (toujours publiée).

Ce furent de grandes réalisations:

Dans les 20 dernières années, le Regroupement est devenu un acteur incontournable en alphabétisation. C'est en grande partie grâce à lui que le problème de l'analphabétisme est sorti de l'ombre. De plus, les résultats de son travail constant de revendication sont plus que probants. Les groupes populaires sont passés d'une dizaine en 1981 à près de 120 (dont 76 sont membres du Regroupement) en 2003. Quant aux sommes allouées à l'alphabétisation populaire par le ministère de l'Éducation, elles sont passées dans la même période de quelques dizaines de milliers de dollars à plus de huit millions de dollars.

Ce furent finalement des centaines de personnes:

Permanents, permanentes et membres des groupes ont travaillé au COCOA et dans les différents comités à caractère politique: le comité Financement, devenu le comité Action politique (le CAP), devenu le comité Réflexion et action politique (le CRAP), devenu le comité Stratégie politique, devenu le comité Reconnaissance et financement ainsi que le comité Défense des droits.

Ce n'est qu'un début, continuons...

La formation

La quête d'une imbrication harmonieuse des dimensions politique et pédagogique

Berthe Lacharité,
responsable de la formation au RGPAQ de 1990 à 1993

L'auteure remercie Marie-Hélène Deshaies et Brigitte Létourneau pour les entrevues accordées.

On oppose souvent la pédagogie au politique quand on parle des responsabilités du Regroupement comme représentant du mouvement de l'alphabétisation populaire au Québec. On entend couramment ceci: «Le Regroupement devrait s'occuper plus du dossier politique et moins de pédagogie.» Ou l'inverse. Ce raccourci de langage a l'inconvénient de donner une image réduite de sa mission, de ses réalisations et de sa manière de faire.

En examinant les 20 ans passés, on voit que le politique et la pédagogie sont difficilement dissociables, car le mandat du Regroupement a toujours été double. Si, dans les expressions quotidiennes, on oppose l'une à l'autre les deux dimensions comme s'il s'agissait de concepts recouvrant des réalités totalement étanches, on réduit ainsi notre vision des choses. Car il est possible de déceler aussi, derrière cette intermittente polarisation du politique et de la pédagogie, la recherche d'une manière d'imbriquer ces deux aspects l'un dans l'autre. Il en va ainsi du mandat pédagogique pris isolément et d'une de ses composantes, la formation, de même que du mandat général du Regroupement: tantôt le politique et la pédagogie se sont éclipsés mutuellement, tantôt ils se sont côtoyés ou ont cherché à cohabiter harmonieusement. C'est ce qui ressort quand on observe l'évolution de la formation au Regroupement.

L'oscillation entre les périodes marquées par des réalisations politiques et celles caractérisées par des réalisations pédagogiques

Au début, le Regroupement consacre ses efforts à définir son mandat général. Ensuite, il connaît des périodes où les actions politiques et les activités pédagogiques prennent tour à tour le dessus.

  • 1981-1984, période où l'on forge le mandat pédagogique et politique du Regroupement.
  • 1985-1988, on met «en arrière-plan» la pédagogie, en ce sens que le Regroupement n'élabore pour ainsi dire ni outil pédagogique ni formation à l'intention des animateurs et des animatrices. En contrepartie, une définition de l'alphabétisation populaire est débattue au congrès d'orientation de 1986, et la Grande Rencontre de 1985 devient un méga-atelier d'alphabétisation. Sans prétention politique claire, ce dernier événement ne marque pas moins l'alphabétisation populaire comme mouvement social.

Quel politique? Quelle pédagogie?

Par politique, on entend ici l'engagement dans la communauté, l'analyse collective du contexte social, politique, économique ou culturel, les actions pour obtenir de meilleures conditions de vie ou pour l'élargissement de l'espace démocratique, l'expérimentation de la vie démocratique. Au début des années 80, en aidant les personnes qui désirent s'alphabétiser, bon nombre des pionniers et pionnières de l'alphabétisation populaire au Québec considèrent que leur travail a une portée politique: alphabétiser, c'est aussi participer à changer l'ordre des choses dans la société, en permettant aux personnes analphabètes de prendre plus de pouvoir sur leur vie et leur environnement. Suivant cette définition du politique et contrairement à ce qu'on laisse parfois entendre dans nos formulations courantes, la lutte pour le financement des groupes ne constitue qu'un des aspects du politique et de la lutte politique.

Par pédagogie, on entend ici le fait de transmettre et de partager des connaissances, de démontrer que des savoirs peuvent être tirés de l'expérience et de différentes manières d'apprendre, suivant certains outils, approches 15 , méthodes 16 correspondant aux apprentissages visés, c'est-à-dire cohérents avec les approches et méthodes retenues.

Pour actualiser son mandat pédagogique, le Regroupement s'est appuyé sur les mêmes assises que celles sur lesquelles s'est construite la philosophie des groupes d'alphabétisation populaire: il a tenu compte des besoins des animatrices et des animateurs, il a fondé les nouveaux apprentissages sur leur expérience, il a cherché à élargir les connaissances puis à créer de nouvelles façons de faire par des échanges d'idées égalitaires et par l'entraide entre les nouvelles personnes et les plus expérimentées, il a tâché de contribuer à l'évolution des pratiques pédagogiques au-delà du rehaussement du curriculum des travailleuses et des travailleurs pris individuellement. Bref, le Regroupement a appliqué dans ses formations à l'intention des animatrices et des animateurs les mêmes principes que ceux instaurés dans les ateliers d'alpha.

  • 1989-1994, après l'Année internationale de l'alphabétisation (1990), qui donne des ailes au Regroupement, ce dernier fait l'essai d'un premier programme de perfectionnement très structuré, puis d'un second.
  • 1995-1997, l'arrivée massive de nouveaux groupes membres oblige le Regroupement à leur donner des formations qui vont leur permettre de s'intégrer au mouvement de l'alphabétisation populaire.
  • 1997-1999, retour à une intensification de l'action politique dans le contexte de la lutte du gouvernement québécois pour atteindre le déficit zéro, de la régionalisation de nombreux mandats antérieurement dévolus aux ministères provinciaux, du déploiement de l'économie sociale, etc.; les formations reflètent plusieurs de ces préoccupations.
  • 2000-2002, la transformation sur le plan de la formation, impulsée par l'arrivée de nombreux groupes membres vers 1995, approche de son aboutissement: la nouvelle vision englobera plus résolument un ensemble de thèmes liés tant aux pratiques pédagogiques, à celles reliées à la vie associative ou à la gestion, qu'aux pratiques politiques.

L'oscillation entre des phases marquées par l'action politique (représentations auprès du ministère de l'Éducation du Québec, moyens de pression exercés pour la reconnaissance sociale et financière de l'alphabétisation populaire...) et des phases caractérisées par des activités visant l'établissement d'autres pratiques de l'alphabétisation populaire (approches et méthodes, place des participantes et des participants, évaluation et transfert des apprentissages...) est remarquable dans l'évolution du Regroupement. Cependant, plus on avance dans le temps, plus l'apparente opposition entre ces deux mondes s'estompe: à force d'essais et d'ajustements, les formations intègrent de mieux en mieux l'intervention politique aux préoccupations purement pédagogiques. Voyons de plus près ce qu'il en est.

1981-1984, où la pédagogie est politique

Des groupes d'alphabétisation populaire fondent en 1981 le RGPAQ afin de se donner une plus grande force sur les plans politique et pédagogique. Le Regroupement doit d'une part travailler à la reconnaissance, par l'État, des groupes d'alphabétisation populaire en exigeant un financement adéquat pour ceux-ci. L'autre partie de son mandat est formulé ainsi: «La reconnaissance des groupes d'alpha au niveau politique implique que le Regroupement effectue la promotion de la pédagogie particulière qui caractérise les groupes populaires d'alphabétisation17.» Dès le départ, les préoccupations politiques et pédagogiques sont intimement liées, même imbriquées les unes dans les autres. Du moins, c'est ce qui apparaît maintenant. Cela ne veut pas dire que cette vision est totalement partagée par l'ensemble des membres fondateurs. Cela ne veut pas dire non plus que l'articulation des deux composantes du mandat est parfaitement claire à ce moment-là.

L'assemblée de concertation est la première forme que prend la formation au Regroupement. Sept assemblées de concertation (où sont abordées des questions du type: doit-on alphabétiser dans la langue maternelle ou dans celle du pays d'adoption? pourquoi démocratiser et pour qui? ou des thèmes comme la créativité ou l'évaluation des progrès dans les apprentissages, pour n'en nommer que quelques-uns) se tiennent entre mai 1981 et avril 1984. Ces rencontres sont soutenues par le Regroupement, et ce sont les animatrices et les animateurs, pas toujours faciles à recruter pour cette tâche, qui préparent, à tour de rôle, la rencontre. Des groupes restent insatisfaits de ces discussions: certains aimeraient aborder plus les méthodes pédagogiques (syllabique, globale); d'autres préféreraient que les assemblées servent à actualiser le mandat politique du Regroupement, particulièrement en ce qui concerne le financement des groupes.

Dans ces assemblées, on confronte aussi l'approche de Paolo Freire, la pédagogie des opprimés, à celle de Freinet18 et à d'autres plus traditionnelles19. On y distingue aussi l'approche scolarisante de l'approche fonctionnelle ou de l'approche conscientisante20. Peu à peu, des pionniers et des pionnières appliquent de façon moins dogmatique l'approche conscientisante et d'autres prennent une distance face à l'approche scolarisante: l'alphabétisation populaire québécoise se modèle un cadre philosophique qui lui est propre. Si bien qu'entre 1981 et 1984, le concept de conscientisation mute de «conscientisation à tout prix» vers la notion «d'auto-prise en charge» qu'on cherche à concrétiser en amenant les personnes analphabètes à exercer un certain pouvoir dans l'organisme même.

Si ce sont principalement des animatrices et des animateurs qui participent aux assemblées de concertation, des personnes en processus d'alphabétisation assistent également aux dernières assemblées, moment où le projet de la Grande Rencontre s'élabore. Leur présence marque, à ce moment, la volonté des groupes d'instaurer un cadre de fonctionnement démocratique où les personnes analphabètes auraient plus de pouvoir.

En 1982 et en 1984, le Regroupement organise aussi deux tournées provinciales pour rendre visite à sa trentaine de groupes membres. «Le but de ces tournées est de développer un sentiment d'appartenance au Regroupement et de prendre connaissance des diverses réalités quotidiennes des groupes: la pédagogie, le mode de fonctionnement interne, le financement et la perception du Regroupement constituent les principaux sujets de discussion21.» D'après les bilans qu'on en tire lors des assemblées générales subséquentes, le but des tournées est atteint.

Grâce à la diversité des pratiques et des outils mis au point par les groupes, grâce aussi aux publications diffusées par le Regroupement, une philosophie particulière prend ancrage chez un bon nombre de groupes: «La notion de prise en charge, par les personnes analphabètes, de leur propre processus d'apprentissage et de leur milieu de vie, reposant sur le respect de leurs besoins, constitue le fondement même de l'alphabétisation populaire. S'ajoute à cela une relation animateur-participant fondée sur les principes de l'égalité et sur la prise de conscience que le problème de l'analphabétisme est collectif et non pas individuel22

1985-1988, où la pédagogie se peaufine dans l'œil du politique

À première vue, le RGPAQ semble intervenir très peu dans le développement pédagogique durant cette période. La revue Alphabétisation populaire créée en 1981 et son inséré Écrire pour la première fois, publié dès 1982, voient leur parution interrompue respectivement en 1986 et en 1985. Aucune formation n'est organisée. Cependant, la Grande Rencontre du printemps 1985 et le premier congrès d'orientation de 1986 sont deux événements qui témoignent du caractère indissociable de la pédagogie et du politique dans l'application du mandat du Regroupement.

En 1985, à l'Université Laval, 450 personnes participent à la Grande Rencontre. Près du tiers d'entre elles animent ou coaniment des ateliers. De plus, la préparation de l'événement aide à comprendre ce que veut dire l'engagement des participantes et des participants: «Travailler dans le respect de la réalité des personnes analphabètes, chercher réellement à leur accorder une place dans les prises de décisions et la réalisation des activités, exigent nécessairement beaucoup plus de temps que si l'on travaille entre personnes lettrées exclusivement23

La Grande Rencontre est en quelque sorte une expérience, à l'échelle nationale, de ce qui se vit et s'organise au quotidien dans un groupe de base quand les personnes analphabètes sont au cour de l'organisation et de la réalisation des activités. On peut considérer cet événement comme un terrain supplémentaire où se manifeste la tension entre la pédagogie et le politique, à savoir le partage du pouvoir entre les participantes, les participants d'une part et les animatrices, les animateurs d'autre part.

Le congrès d'orientation de 1986 vient étayer le mandat initial du Regroupement en formulant une définition de l'alphabétisation populaire et du groupe d'alphabétisation populaire de même qu'en donnant des orientations précises découlant de ces définitions: «La promotion, la défense et le développement de l'alphabétisation populaire, des groupes populaires qui font de l'alphabétisation ainsi que des droits des personnes analphabètes24.» En définissant l'alphabétisation populaire comme une approche polyvalente en éducation populaire autonome dont la spécificité réside dans ses dimensions pédagogiques, politiques et sociales, les membres du Regroupement viennent confirmer leur volonté de conserver comme inextricablement liés le travail politique et le travail pédagogique. Ces orientations sont adoptées lors de l'assemblée générale suivante, en juin 1986.

Ces deux moments, la Grande Rencontre et le congrès de 1986, auront été formateurs pour toutes les personnes qui y ont participé et déterminants pour l'avenir du Regroupement. Même si des moyens plus conventionnels comme des formations ou la publication d'une revue ne sont pas déployés durant cette période, l'organisation de la Grande Rencontre est on ne peut plus cohérente avec les visées pédagogiques du Regroupement, et le congrès d'orientation précise tout aussi clairement les deux dimensions du mandat du Regroupement.

Au printemps 1989, l'arrivée de fonds fédéraux permet de réactiver le dossier pédagogie.

1989-1994, où la pédagogie parade devant le politique

Une nouvelle pratique s'installe par la création, en 1989, d'un comité Pédagogie qui viendra moduler le mandat pédagogique du Regroupement. Pour sa part, le congrès d'orientation de 1992 viendra confirmer les définitions adoptées lors du précédent.

Deux programmes de perfectionnement consécutifs sont établis après une large enquête sur les besoins de formation et de recherche entreprise en 1988 auprès de l'ensemble des groupes. Pour répondre aux plus pressants besoins exprimés par les animatrices et les animateurs, quatre thèmes sont retenus pour chaque programme. Ils concernent des questions plus théoriques ou débordent le cadre de l'alphabétisation proprement dite. Il s'agit du processus d'apprentissage, de l'utilisation des médias, du travail en atelier (approches et méthodes), de l'instrumentation (la création de matériel didactique, l'évaluation des apprentissages), du fonctionnement et du travail de groupe, etc25.

Ces programmes visent principalement à raffiner les approches et méthodes en lecture, écriture et calcul de même que les outils pédagogiques des groupes. Quelques incursions sont quand même faites du côté de la vie associative, et des rencontres portant sur l'engagement des participants et des participantes sont organisées. Les contenus de ces formations font l'objet de documents publiés par le Regroupement, la plupart dans la collection Un visa pour l'alpha pop. On assiste aussi, au début des années 90, à la naissance de la revue Le Monde alphabétique, qui se concentrera avant tout sur les pratiques en alphabétisation populaire.

Pour ce qui est du premier programme, deux des quatre personnes embauchées pour donner les formations ont une expérience en alphabétisation populaire. Pour ce qui est du second, ce sont des professeurs d'université, comme le prévoit le projet conjoint RGPAQ-UQAM-MEQ, qui assurent les formations. Ainsi, on passe outre à un principe maintes fois rappelé dans les rangs du Regroupement, celui de faire appel aux ressources internes de l'alphabétisation populaire, de privilégier la formation par les pairs; cependant, le jeu en valait peut-être la chandelle puisque plusieurs outils de formation qui en sont issus sont encore utiles aujourd'hui.

Ces programmes de perfectionnement rejoignent les animatrices et les animateurs de toutes les régions. De plus, le fait qu'ils aboutissent à la production de documents d'autoformation qui en reprennent le contenu donne véritablement accès à la formation spécialisée.

Bien que ces formations, étalées sur quatre ou cinq jours, réservent du temps au partage des savoirs et des savoir-faire entre les animatrices et les animateurs, plusieurs restent insatisfaits. On se dit alors qu'il serait peut-être opportun de revenir à la formule des assemblées de concertation du début où les animatrices et les animateurs des groupes préparaient à tour de rôle des formations axées sur la comparaison de diverses approches, méthodes, activités, outils réalisés... Une remise en question de la manière d'organiser la formation au Regroupement se dessine.

1995-1997, où la pédagogie donne la main au politique

En 1995, on ressort d'une période de bilan et d'évaluation du travail en pédagogie en faisant le constat suivant: quatre objectifs pédagogiques ont marqué le Regroupement depuis sa fondation. Les voici:

  1. Favoriser le développement pédagogique au Regroupement et dans les groupes membres (structures).
  2. Susciter la réflexion et les discussions sur la spécificité de l'alphabétisation populaire et en favoriser le développement (contenu).
  3. Soutenir les groupes dans leur volonté de répondre plus adéquatement aux besoins des personnes analphabètes (transfert des acquis).
  4. Promouvoir l'alphabétisation populaire et en diffuser l'approche spécifique (retombées)26.

Le comité Pédagogie devient le comité Formation, qui est alors en charge de la formation relative à la vie associative et d'un secteur de formation supplémentaire, soit la formation sur les enjeux politiques de l'alphabétisation populaire. Cette période étant caractérisée par la naissance de nombreux groupes d'alphabétisation au Québec et, conséquemment, par l'arrivée massive de nouveaux groupes membres du Regroupement, le comité reçoit en quelque sorte la mission de favoriser la meilleure cohabitation possible des nouveaux arrivants avec les anciens groupes et de veiller à la cohésion du membership.

Pour cela, il faut mieux faire connaître aux nouveaux membres la philosophie, les valeurs et les pratiques intégrées du Regroupement, de même que la trajectoire de son action politique. Les formations portent notamment sur le RGPAQ comme mouvement en alphabétisation populaire, sur la création d'outils en conscientisation ou sur la pédagogie en alphabétisation populaire pour les nouveaux groupes accrédités. Un nouveau bulletin de liaison apparaît, le Scoop. Un comité ad hoc des participantes et des participants est mis sur pied, suivi d'un comité Journal des participantes et des participants.

C'est l'époque où la professionnalisation des animatrices et des animateurs ainsi que la spécialisation des tâches s'accentuent. Une première vague de professionnalisation s'était manifestée au tournant des années 90. À Montréal du moins, nombreux étaient alors les animateurs et les animatrices qui donnaient aussi des ateliers d'alpha dans le réseau public. Du même coup, ils avaient accès aux formations offertes par la commission scolaire aux enseignants et aux enseignantes à l'éducation des adultes. Cette fois, c'est l'arrivée d'un grand nombre de personnes diplômées en enseignement qui est en cause. Les nouveaux groupes d'alphabétisation apparaissent comme un débouché intéressant pour ces personnes qui ne trouvent pas de place dans le réseau public. Des groupes proposent d'ailleurs des postes d'enseignement et non des postes d'animation.

Il y a donc danger de s'éloigner des principes de l'alphabétisation populaire si les enseignantes et les enseignants ne sont pas désireux d'assimiler ces principes, comme celui du rapport égalitaire animateur, animatrice-participant, participante. Dans ce cas, la professionnalisation de la tâche d'alphabétisation est associée à son assimilation potentielle aux approches scolarisantes ou fonctionnelles. Une question se pose alors: veut-on créer des spécialistes de la pédagogie en alphabétisation populaire au même titre que le Regroupement est, depuis belle lurette, une école ayant formé de nombreuses et de nombreux professionnels politiques? Serait-ce là un autre terrain où se manifeste la tension entre le politique et la pédagogie? Est-il possible d'envisager cette incontournable tension comme potentiellement créatrice?

1997-1999, où le politique fait la cour à la pédagogie

Des objectifs, pour la première fois triennaux, sont assignés au comité Formation lors de l'assemblée générale de 1997:

  1. Soutenir le développement de l'analyse critique et politique auprès des groupes.
  2. Favoriser l'appropriation et la circulation des pratiques spécifiques à l'alphabétisation populaire.
  3. Développer et favoriser l'accès à des outils pour soutenir l'action des membres27.

Le besoin d'assurer une cohésion entre les groupes nouvellement formés et les plus anciens oblige le Regroupement à continuer d'introduire, de façon marquée, des notions de politique dans les formations. En assignant des objectifs de soutien à l'analyse critique et politique au comité Formation, le Regroupement confirme qu'il possède encore plus qu'auparavant sa définition de l'alphabétisation populaire: celle-ci peut s'actualiser dans un amalgame d'approches et de méthodes, en autant que ces approches et ces méthodes tiennent compte d'une position politique préalable considérant l'analphabétisme comme un problème social ou voyant un indice de sa résolution dans la possibilité, pour les personnes analphabètes, d'exercer effectivement les droits reconnus à tout citoyen et à toute citoyenne.

Fin des années 90, des changements sociaux comme la régionalisation, l'économie sociale ou la lutte au déficit amènent les groupes à diversifier leurs interventions tout en étant préoccupés par ces changements. Plusieurs formations visent à comprendre les enjeux de ces changements, d'autres s'attardent à ce qu'on appelle l'outillage des groupes: mondialisation et travail, formation en analyse critique à partir de la campagne électorale en cours ou formation sur la rédaction de projets et de rapports IFPCA (Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation) et PSAPA (Programme de soutien à l'alphabétisation populaire autonome), pour ne nommer que quelques thèmes.

Le comité Formation produit aussi des dossiers thématiques sur le travail et l'économie sociale. En juin 1998, il réalise un sondage sur les besoins de formation des groupes en pédagogie et, au printemps 1999, organise des groupes de discussion sur les perspectives de la formation au Regroupement. Il prend la responsabilité d'un projet de formation sur l'éthique et l'intervention en situation de crise, que des groupes membres ont lancé.

Dans la dernière année du plan triennal adopté en 1997, il apparaît clairement au comité Formation que la prochaine programmation du Regroupement en matière de formation devra, pour répondre au plus grand nombre d'attentes exprimées par les groupes, aborder de nouveaux thèmes tout en récupérant le contenu des formations expérimentées au cours des 10 années précédentes (1989-1999) et qui répondent encore à des besoins.

Après coup, on a le sentiment que vers 1999, fort d'une pléiade de thèmes abordés, selon des formules allant de très souples à très structurées, dans des contextes sociopolitiques mouvants, le Regroupement est mûr pour une synthèse de thèmes et de formules à utiliser dans ses formations. Son expérience est suffisamment importante pour qu'il soit possible d'extraire un type de programme plus consensuel. Cela aura nécessité presque 20 ans d'essais, d'enquêtes sur les besoins, de bilans, de nouvelles expérimentations, de confrontations de différentes formules, d'évaluations.

2000-2002, où a lieu le rendez-vous du politique et de la pédagogie

Le Regroupement et son comité Développement des pratiques (l'ancien comité Formation) parviennent à concevoir la formation dans le cadre d'une vision plus globale et intégrée du mouvement d'alphabétisation populaire.

Une porte reste ouverte pour les besoins en émergence, mais on envisage aussi un programme structuré, sous une forme différente de celle qui prévalait entre 1989 et 1994. Ainsi, les vocables de programme de perfectionnement et de programme de formation sont remplacés par le concept de formation continue, puisqu'on veut créer un lieu d'apprentissage et de réflexion continus sur les pratiques. Par ailleurs, certaines formations très appréciées au cours des 10 dernières années, et toujours utiles, sont reprises dans ce programme. Finalement, le dernier volet s'inspire grandement de l'esprit des assemblées de concertation des premières années du Regroupement.

En clair, le premier volet propose des formations sur le RGPAQ, sur la démocratie, sur la conscientisation; le deuxième comprend une banque de formations (et de formatrices, de formateurs) pour l'acquisition de nouvelles connaissances, telles que le langage intégré, l'évaluation des apprentissages, etc.; le troisième permet de mettre en commun des notions, de se questionner. Les thèmes, à choisir annuellement, sont liés aux pratiques pédagogiques, politiques, de vie associative ou de gestion.

Bref, le programme incorpore le meilleur des expériences passées en formation. En combinant les préoccupations qui relèvent tout autant des pratiques pédagogiques, politiques, de vie associative et de gestion, il a de bonnes chances de percer la membrane qui tente continuellement de rendre étanches les deux principales dimensions du mandat du Regroupement.

Une quête transformée

Après être passé par plusieurs périodes où il axait son travail tantôt sur la pédagogie, tantôt sur le politique, le Regroupement est prêt pour un nouvel envol où l'ensemble de son action imbriquera plus harmonieusement ces deux dimensions, à l'instar de ce qu'il est sur le point de réussir dans son programme de formation... probablement comme ses pionniers et pionnières le rêvaient lorsqu'ils ont défini son mandat.

Si la reconnaissance politique et financière de l'alphabétisation populaire n'est pas totalement acquise du côté des gouvernements, le Regroupement peut tout de même être fier de ce qu'il a réalisé sur le plan des formations qui, au fil des modulations successives de son double mandat, participent à mieux l'articuler.

La rétrospective des 20 ans de formation au Regroupement met aussi en lumière la recherche d'une façon de multiplier les corridors entre la pédagogie et le politique. D'abord, l'interdépendance des deux dimensions est présente dans la formulation même de son double mandat. Ensuite, l'importance de soutenir les pratiques pédagogiques l'amène, en 1989, à créer un comité Pédagogie. Quand, six ans plus tard, lui succède le comité Formation avec des objectifs insufflant une plus grande place à la vie associative et à l'analyse politique, un autre pas est fait vers l'imbrication des deux dimensions. Quand on en arrive au comité Développement des pratiques, en 2000, c'est du grand art; on manipule de façon très créative la tension politique-pédagogie.

Le plan de formation actuel répond plus adéquatement à la spécialisation des travailleuses et des travailleurs des groupes (personnes à l'animation, à la coordination, au soutien administratif...), amenuisant ainsi la tension entre professionnels politiques et pédagogiques. De plus, on laisse poindre une intention d'ouvrir les formations aux participants et aux participantes. De cette manière, le Regroupement affirme sa volonté d'appliquer de façon encore plus conséquente la philosophie qu'il a élaborée: c'est ensemble, travailleuses et travailleurs, participantes et participants, qu'on doit poursuivre la construction de l'alphabétisation populaire. Cette plus grande place aux participantes et aux participants devrait se faire en fonction d'acquis issus d'expériences passées et présentes, comme leur participation aux bulletins Écrire pour la première fois ou Journal des participants et participantes, leur participation à la Grande Rencontre ou leur engagement dans certaines luttes politiques, entre autres choses. Parions d'ailleurs que plus ils seront au cour des activités et des actions du Regroupement, plus l'inévitable tension entre le politique et la pédagogie donnera lieu à des réalisations tout aussi créatives et productives que celles qui viennent d'être nommées.

On ne peut donc pas y échapper: les deux dimensions du mandat initial du Regroupement, défini à son congrès de fondation, s'alimentent l'une l'autre. Quand on pousse jusqu'au bout des principes d'éducation populaire comme celui de la prise en charge par les personnes de leur propre vie et de leur environnement, on favorise la multiplication des occasions où elles peuvent exercer ce pouvoir. La prise de parole individuelle et collective dans des événements comme la Grande Rencontre a bel et bien une portée politique dans la mesure où elle met clairement sur la place publique le fait que l'analphabétisme est un problème collectif et non individuel et que la résolution de ce problème passe par l'action concertée de différents groupes sociaux, incluant nécessairement les personnes qui sont les premières concernées.

La place des participants et des participantes

Fêter, revendiquer, se faire connaître et... prendre sa place

Odette Neveu,
formatrice à Déclic (Berthierville)

Étonnée dans un premier temps qu'on me demande d'écrire sur la place des participantes et des participants, je me suis ravisée en me remémorant plusieurs souvenirs les concernant. Je n'ai pas la prétention de connaître leur réalité des 20 dernières années. Ni de pouvoir nommer de manière exhaustive les lieux et les activités où ils ont eu une place au RGPAQ. Je vous livrerai donc ma perception des événements, parfois du point de vue d'une formatrice des années 80 et, à d'autres moments, du point de vue de la personne-ressource auprès des porte-parole et du comité ad hoc des années 90.

De prime abord, quand je pense à la «place des participants et des participantes», j'ai tendance à ne penser qu'au Comité des participants et des participantes élus par leurs pairs en 1998. J'approfondis... Je cherche... LA PLACE? Quelle place ou quelles places?

Une place pour fêter...

Je retourne dans mes souvenirs... (Non! Ne me traitez pas de dinosaure!) Les participantes et les participants n'étaient-ils là que pour les festivités? Dans un premier temps, ma réponse est oui... Quelle fête superbe que la Grande Rencontre à Québec en mai 1985. Les groupes membres avaient été priés de déléguer des «apprenants et apprenantes» dans le but d'organiser une fête qui leur ressemblerait et les rassemblerait... Une grosse organisation! Qui demandait temps et énergie... tant de la part des participants et des participantes que des formateurs et formatrices qui les accompagnaient dans cette démarche...

Au jour J, près de 450 personnes, de partout au Québec, se rencontrent à l'Université Laval. Cet événement permet aux participants et aux participantes de différentes régions d'établir des liens, de parler de leurs réalités, de témoigner de leur vécu. Pour plusieurs, c'est la première occasion de prendre la parole, d'animer un atelier sur un thème précis, de prendre conscience d'une réalité commune. À la fin de la rencontre, lors de l'assemblée plénière, un grand nombre de personnes manifestent le besoin de garder le contact, de poursuivre les échanges de points de vue, de réaliser quelque chose ensemble... et d'être partie prenante du Regroupement. Plusieurs souhaitent donner suite à cette Grande Rencontre et s'attendent à ce que le Regroupement les soutienne dans cette démarche. Le moment est mal choisi: le Regroupement va bientôt avoir cinq ans, et sa priorité est d'organiser son congrès d'orientation. Meilleure chance la prochaine fois...

Cependant, en dehors du RGPAQ, quelques liens subsistent pour un certain temps. Puis les participants et les participantes de nos groupes changent. La situation évolue, les défis se transforment.

Une place pour revendiquer...

Alors que les groupes populaires en alphabétisation sont en pleine effervescence du côté de la reconnaissance et du financement (1994-1995), les participants et les participantes prennent de plus en plus de place. Sensibilisés dans leurs groupes respectifs, ils se joignent d'abord aux campagnes de pression du RGPAQ en déjeunant aux Alpha-Bits avec le ministre de l'Éducation Jean Garon. Cette action débouchera sur la participation du ministre à l'assemblée générale du Regroupement. Les groupes nomment des porte-parole qui se préparent ensemble à rencontrer monsieur le ministre. Les participants et les participantes qui, au départ, ne devaient être qu'une trentaine, se retrouvent à plus d'une centaine. Bien préparés dans leurs groupes, il ne leur faut que quelques heures pour définir les questions qui seront posées à monsieur Garon sur la survie du groupe, ou sur l'importance des groupes d'alphabétisation populaire dans leur vie... Et en prime, ils trouvent le temps de lancer quelques idées sur comment nous fêterons ça, en cas de victoire! D'une certaine façon, les porte-parole participent à cette assemblée générale du Regroupement. Leurs interventions impressionnent le ministre et illustrent, de manière concrète, la réalité dans les groupes populaires en alphabétisation.

Certains forment le comité organisateur de la Fête de la solidarité qui a lieu à Québec en mai 1995 pour célébrer les quelques gains obtenus à la suite des revendications des groupes auprès du gouvernement du Québec et du ministère de l'Éducation. Le Regroupement, encore une fois, accompagne les participants et les participantes en offrant un soutien technique et logistique à leur organisation, tout en respectant leurs souhaits.

Une place pour se faire connaître

Dès 1990, le Regroupement donne aux participants et aux participantes la possibilité de se faire connaître. En effet, lors du forum Une société sans barrières, organisé par le RGPAQ, la Centrale des enseignants et des enseignantes du Québec et l'Institut canadien d'éducation des adultes, ce sont des gens en démarche d'alphabétisation qui sont les personnes-ressources. À plusieurs reprises, lors de diverses manifestations, des témoignages d'adultes analphabètes viennent concrétiser nos propos. Pensons, entre autres, à la participation des porte-parole des groupes à l'assemblée publique de lancement de la campagne pour l'augmentation du financement des groupes (Montréal, 1994). Les porte-parole interviennent alors auprès de personnalités connues de la télévision, telles Reine France et Louise Portal.

Dans le cadre de la même campagne, on donne «un visage» à l'analphabétisme au Québec dans un feuillet comprenant la photo et le témoignage de quatre participants et participantes. À divers moments, le Regroupement fait aussi appel aux participants et aux participantes pour des conférences de presse. Pour les États généraux sur l'éducation, quelques porte-parole font une présentation «animée» sur les diverses facettes (travail, famille, société...) de la réalité des adultes éprouvant des difficultés en lecture et en écriture.

Une place pour comprendre, pour apprendre...

Dans chacune de ces actions, pour chacun de ces événements, plusieurs apprentissages sont réalisés par les participants et les participantes. Comprendre les enjeux et les revendications d'une manifestation exige certainement une part d'apprentissage! Proposer un texte pour un journal de participants (Écrire pour la première fois, qui paraît en 1982) ou faire partie d'un comité journal (Mon journal, à partir de 1994) permet d'apprendre à travailler en équipe, à se faire confiance dans l'écriture et à argumenter dans le cadre des discussions sur le choix des textes.

Faire partie d'un comité de travail qui réfléchit à l'engagement des participants et des participantes au RGPAQ (1995-1996) permet d'acquérir des connaissances sur la démocratie, sur le rôle d'un comité, sur les mécanismes d'une élection... Ça vous rend plus débrouillard, car il faut vérifier les horaires d'autobus pour arriver à temps à la rencontre. On y apprend à écouter l'autre, à attendre son tour pour prendre la parole et à se faire une idée sur un sujet. Et, bien entendu, ça crée des liens et une certaine complicité.

Quand les membres de ce comité se présentent à l'assemblée générale, ils ont derrière eux beaucoup d'heures de réflexion et de préparation. Du savoir «exprimer une idée» au savoir «s'exprimer devant plus de 100 personnes», les apprentissages sont nombreux et parfois bien ardus. Après la présentation des suggestions du comité, il est difficile d'accepter la remise en question d'un travail qui a demandé tant de labeur, tant de rencontres et, pourquoi se le cacher, qui a suscité tant d'espoirs! Malgré une bonne préparation de la part du comité, l'assemblée générale annuelle de juin 1996 restera, pour plusieurs participants et participantes, un échec et quelque chose d'incompréhensible. Les arguments préparés, les explications données sur la démarche et le fonctionnement d'un éventuel comité de participants et de participantes ne suffisent pas à convaincre la majorité des groupes membres présents de la pertinence de former un tel comité. Des formateurs et formatrices des groupes émettent des doutes sur la capacité des participants et participantes à fonctionner au sein du Regroupement. Leurs arguments reflètent la réalité de leur groupe: ils sont déjà réticents à les admettre au sein même de leur C.A. ou ont vécu des expériences négatives ou difficiles à l'intérieur de leur organisme. D'autres, en petit nombre, sont d'avis qu'il faudrait faire confiance aux participants et participantes et tenter l'expérience.

Après un long débat, on demande au comité de retourner réfléchir et de revenir avec une définition plus claire de ce que serait un comité permanent de participants et de participantes.

Malheureusement, devant ce qu'ils considèrent comme un échec, plusieurs membres se désintéressent des travaux de leur comité. Celles et ceux qui restent travaillent très fort pour présenter à l'assemblée générale de juin 1997 les objectifs d'un comité permanent, son mode d'élection et la durée de son mandat. Les groupes membres du RGPAQ adoptent «facilement» une proposition pour la mise sur pied d'un comité permanent de participants et participantes. Tellement facilement que certains membres du comité n'ont pas le temps de comprendre ce qui se passe! Il est surtout difficile de comprendre ce qui s'est passé pendant les 12 derniers mois...

Bref, à peine deux ou trois personnes ayant vécu l'aventure complète auront le plaisir de célébrer l'événement.

Une place... pour prendre sa place!

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on s'interroge sur la place des participants et des participantes au sein du Regroupement... Déjà, au congrès de juin 1992, on retrouvait le thème de discussion suivant: «Quelle est la place des participants et des participantes dans les groupes et au RGPAQ

Depuis 1998, le Regroupement a son comité de participants et de participantes élus par les pairs. Mais l'existence de ce comité ne règle pas tous les problèmes ni ne répond à toutes les interrogations. Cette place est-elle suffisante et satisfaisante pour les participants et les participantes? Comment les intégrer aux délibérations des assemblées générales alors que cela est parfois si ardu pour les autres membres? Devant la complexité des dossiers du Regroupement, comment se surprendre que si peu de participants et de participantes en saisissent tous les enjeux? De quelle manière le Regroupement peut-il soutenir le Comité et lui permettre d'atteindre ses objectifs? Est-ce dans la mission du Regroupement d'intégrer les participants et les participantes dans différents comités? A-t-il les moyens financiers et les ressources humaines pour le faire? Le Regroupement a-t-il les moyens de se passer des participants et des participantes, compte tenu du rôle qu'ils ont joué au cours des dernières années?

Par le passé, le RGPAQ a toujours eu le souci de vulgariser et de rendre accessible l'information destinée aux comités dont faisaient partie des participants et des participantes. Des outils ont été créés expressément pour différentes démarches (termes techniques des assemblées générales, animation relativement aux États généraux sur l'éducation, réflexions sur la défense des droits...) et des ressources techniques ont été offertes.

Le cheminement s'est-il poursuivi? Le RGPAQ apporte-t-il encore le soutien nécessaire à l'engagement des participants et des participantes? Sinon, est-ce par manque de temps? Reste la question de l'intérêt qu'il y aurait à poursuivre cette démarche, à la soutenir, à décider si le rôle des participants et des participantes est suffisamment important pour qu'on y investisse le temps, l'énergie et les moyens nécessaires.

Après la mise sur pied du Comité des participants et des participantes, avons-nous jugé que la question était réglée, que ce comité était autonome? L'autonomie, ça s'acquiert... Ça suppose de la préparation, du suivi, notamment sur le plan de la compréhension... Personne, ni même les formateurs et les formatrices des groupes membres, ne peut comprendre tous les aspects de la réalité du RGPAQ, ses assemblées, les décisions à prendre... sans une bonne préparation. Sans oublier que tout est à recommencer avec les nouveaux qui s'intègrent d'année en année! La tâche est lourde et difficile, j'en conviens. Mais, de mon point de vue, elle nous assure des alliés bien préparés et utiles quand vient le temps des luttes et des revendications. Et nous permet d'appliquer les principes de base de l'éducation populaire: agir avec et pour le monde. Malgré les difficultés financières... Malgré le manque de temps... Mais surtout parce que la place des participants et des participantes est inscrite en toutes lettres dans les principes de notre Regroupement.

La démocratie et le pouvoir

Démocratie interne et externe

Sylvie Tardif,
cofondatrice et coordonnatrice du Centre d'organisation mauricien de services et d'éducation populaire (COMSEP)

Dans le texte qui suit, j'aborderai le thème de la démocratie au RGPAQ. J'annonce dès le départ qu'il s'agit d'un regard bien partiel sur cette question puisque j'ai été active au Regroupement très intensivement de 1989 à 1995 et beaucoup plus timidement depuis. Cette présentation de la démocratie au RGPAQ est donc incomplète. Mon analyse n'est certes pas totalement objective puisqu'elle est celle d'une organisatrice communautaire de région, issue d'un groupe membre qui a sa propre histoire en lien avec la démocratie du Regroupement. Ma vision est donc orientée par des faits historiques, mais aussi par mes valeurs et principes personnels.

Pour réaliser ce texte, je me suis aussi inspirée d'une entrevue réalisée à l'été 2000 avec Nicole Lachapelle, coordonnatrice du RGPAQ pendant 11 ans, dans le cadre d'un travail universitaire. Lors de cette entrevue, nous avons abondamment abordé le thème de la démocratie au RGPAQ. Afin de bonifier mon analyse, j'appuierai ma présentation de citations de Nicole.

Concernant la démocratie, j'ai volontairement décidé d'utiliser une définition beaucoup plus large que celle du dictionnaire, qui se résume à élire un régime politique. J'y inclus donc l'appropriation du Regroupement par les groupes, les instances démocratiques, la place des groupes à l'intérieur de ces instances, les espaces de débats idéologiques, la place des participants et des participantes au RGPAQ et, finalement, la défense des droits démocratiques des personnes analphabètes.

Le contexte d'émergence

Depuis les tout débuts du RGPAQ, la démocratie y a pris une place centrale. En effet, «dès 1979-1980, les différents groupes populaires d'alphabétisation au Québec avaient commencé à créer des liens entre eux (...). Un événement allait cristalliser le désir de regroupement de ces groupes: le séminaire Alpha 80, organisé par la Direction générale de l'éducation des adultes (DGEA)28, qui s'adressait aux animatrices tant des commissions scolaires que du réseau populaire. À cette occasion, les groupes populaires d'alphabétisation se sont rapidement rendu compte que leurs pratiques étaient semblables et qu'ils avaient intérêt à travailler ensemble29».

À la fin de février 1981, 1130 groupes populaires mettent en commun leurs ressources et fondent le RGPAQ. Ces groupes se donnent ainsi un lieu d'échange et de réflexion sur leurs pratiques ainsi qu'un moyen supplémentaire de lutter pour leur financement. Il s'agit donc de la naissance d'un lieu démocratique où peuvent s'exprimer les différentes opinions. À cette époque, l'exercice de la démocratie occupe une place prépondérante chez ces groupes fondateurs.

De plus, dès sa première année d'existence, le Regroupement organise déjà une tournée de ses groupes membres afin de connaître leurs besoins et leurs intérêts. Il s'agit bien là d'une des particularités et d'une des grandes forces de notre Regroupement, soit de toujours s'inspirer des besoins de ses membres pour élaborer ses plans d'actions.

Participation et membership

Une des grandes pratiques établies par le RGPAQ est l'appropriation de leur Regroupement par les groupes membres. Peu de regroupements nationaux peuvent se vanter de pouvoir tenir certaines années deux assemblées générales et d'obtenir régulièrement une participation frôlant les 90 °/o. «Une seule fois, il n'y a pas eu quorum pour une assemblée générale, c'était au milieu des années 8031

Les membres s'engagent aussi en grand nombre dans les comités. «Trente personnes de groupes différents impliquées dans un mouvement provincial, c'est impressionnant32.» Les groupes issus des régions éloignées désirent eux aussi être présents aux différentes instances. Certaines années, une personne de la Côte-Nord, une autre de la Gaspésie et une des Îles-de-la-Madeleine siègent au COCOA pour coordonner le Regroupement. Peu importent leur provenance géographique et les coûts engendrés par leur participation, on encourage les groupes à investir les diverses instances. Pour faciliter cette participation, le Regroupement se donne les moyens financiers de ses principes. En effet, plus de 70 000 $ par année sont investis en frais de déplacement.

Des rencontres fréquentes, la circulation d'information à l'interne, diverses publications et l'effort investi pour outiller les groupes afin de leur permettre de bien saisir les enjeux deviennent des éléments essentiels au succès démocratique obtenu au RGPAQ. La question de la participation s'avère tellement primordiale pour le RGPAQ qu'elle se retrouve à l'intérieur des statuts et règlements. Ainsi, un groupe peut perdre son statut de membre actif s'il est absent à plus de deux assemblées générales annuelles consécutives sans raison valable.

Des rencontres COCOA-comités se tiennent deux fois par année afin d'échanger des idées sur le plan d'action annuel et aussi afin de préparer la présentation des bilans pour l'assemblée générale annuelle. Comme il a été mentionné précédemment, 30 personnes issues de groupes différents siègent à ces comités. Près de la moitié du membership assiste donc à ces rencontres. Avec les assemblées générales (certaines années, il y a deux assemblées par année), ce mode de fonctionnement représente un autre moment fort au chapitre de la participation.

«La qualité de la participation est majeure, les gens ne sont pas juste là par principe ou pour tenir le temps. Les gens s'impliquent dans les discussions, les membres des comités en prennent large et soutiennent l'équipe de travail. C'est pour cette raison que le RGPAQ fait autant qu'il fait et que les groupes sont satisfaits. La participation des membres dans les instances se révèle être une grande force pour le Regroupement. On peut s'appuyer sur les gens33

Officiellement, il n'y a pas non plus de hiérarchie au RGPAQ, sauf pour ce qui est du COCOA. Plusieurs personnes peuvent être porte-parole auprès de différents partenaires et représentants gouvernementaux, mais ces personnes doivent être mandatées par le COCOA. La présidence fait des sorties médiatiques, mais toujours avec des mandats bien établis.

Quelques crises et débats houleux

Au début des années 90, une grave crise secoue le RGPAQ en ce qui a trait au membership. Comme ses membres représentent un pivot central de son action, la blessure est profonde. Ainsi, après le deuxième congrès d'orientation, plusieurs groupes membres (certains satellites de commissions scolaires) doivent quitter le Regroupement. On assiste à ce moment à une période de «repli sur soi».

À cette époque, la question des ententes heures-cours avec les commissions scolaires occupe une très grande place dans les assemblées générales. Lors des débats sur cette question, des tensions majeures sont palpables entre certaines régions.

Toujours au début des années 90, une forte dynamique régionale se crée et tend à polariser les débats. Le programme régional de formation des formatrices, réalisé en collaboration avec l'UQAM, a comme impact indirect de renforcer cette tendance. Comme les animatrices et les animateurs se voient régulièrement, la démocratie régionale se porte très bien, mais la cohésion nationale est plus difficile à obtenir.

Quelques années plus tard, une deuxième crise du membership est évitée lors de l'arrivée de plus de 30 nouveaux groupes après l'octroi massif de subventions par le ministre Jean Garon. Les membres prennent soin de bien gérer l'accueil des «nouveaux arrivants»! À cette époque, l'orientation du Regroupement risque de prendre une tout autre tangente. L'impact des nouveaux venus est tellement important que huit ans plus tard, on les nomme encore les nouveaux groupes, et ce, à leur grand déplaisir!

Un autre débat important prend place en l'an 2000, soit celui sur la composition du membership du RGPAQ. En effet, il est clarifié que le RGPAQ fonctionne avec des groupes et qu'il n'est donc pas un regroupement d'individus. «La participation est basée là-dessus'.» Toutefois, il appartient aux groupes de choisir par qui ils veulent être représentés et à quelle instance. Une personne salariée, une personne bénévole ou une personne participant aux activités d'alphabétisation peut être amenée à siéger à l'une des instances du RGPAQ au nom de son groupe. Il incombe donc aux groupes concernés de déléguer leurs représentants et représentantes.

Au cours de cette même période, un autre débat capital risque d'occasionner une scission importante à l'intérieur du Regroupement, soit celui sur les groupes «multi». La question sous-entendue est la suivante: qui sont les véritables groupes d'alphabétisation populaire? Le respect dans les échanges d'opinions et une «mise sur la glace» de cette question permettent d'éviter une autre crise majeure. Le débat risque toutefois de reprendre de plus belle avec l'arrivée de la politique de l'action communautaire autonome. L'enjeu de la cohésion reste donc entier.

On peut s'apercevoir qu'une des forces du RGPAQ est de préserver son unité. Au fil des années, sur le plan démocratique, le Regroupement a vécu quelques déchirements. Toutefois, il n'a jamais fait face à une réelle possibilité de voir émerger une autre instance de représentation en alphabétisation populaire au Québec.

Réflexion critique

Le portrait démocratique dégagé ici semble très flatteur. Le RGPAQ est, à n'en pas douter, une organisation très saine sur le plan démocratique. À mon avis, aucun autre regroupement d'organismes n'a atteint un tel degré de participation de ses membres. Toutefois, il y a toujours place à l'amélioration et il est logique de continuer de réfléchir au thème de la démocratie interne et externe. Voici donc quelques questions permettant d'alimenter le débat: Les groupes ont-ils tous le même poids lors des échanges dans les différentes instances (un nouveau groupe versus un groupe expérimenté)? Faisons-nous assez de place dans nos instances aux groupes des communautés culturelles? Y a-t-il des sujets tabous ou difficilement abordables (ex.: alphabétisation et employabilité, économie sociale, liens avec les commissions scolaires, les participantes et participants dans les instances décisionnelles)? Comment traite-t-on les groupes qui abordent ces questions? Les comités de travail ont-ils tous le même poids dans le Regroupement? (ex.: comité Reconnaissance et financement versus comité Défense des droits des personnes analphabètes ou comité Développement des pratiques). L'arrivée en grand nombre, dans les instances décisionnelles (notamment le COCOA), de personnes qui connaissent peu le RGPAQ risque-t-elle de déstabiliser l'organisation? Leur méconnaissance de l'histoire ainsi que celle des us et coutumes du Regroupement peut-elle faire perdre des acquis à notre organisation? S'agit-il de l'envers de la médaille concernant la très grande participation au Regroupement? Quelle considération a-t-on pour les personnes qui s'investissent beaucoup? La démocratie serait-elle mieux servie si le RGPAQ était régionalisé?

Le RGPAQ n'a pas la réputation d'être un membre qui prend souvent le leadership au sein des nombreux regroupements nationaux auxquels il siège. Il a tendance à investir beaucoup d'énergie sur le dossier de la reconnaissance et du financement au MEQ et ne montre pas la même ardeur dans d'autres dossiers (loi sur l'aide sociale, politique de l'action communautaire autonome, loi sur l'élimination de la pauvreté, Marche mondiale des femmes, etc.). En tant que membre d'un grand mouvement social, le Regroupement ne devrait-il pas prendre plus de place et faire profiter les autres de son expertise? Le RGPAQ devrait-il être moins corporatiste et consacrer plus d'efforts à faire avancer notre projet de société? Le Regroupement est un modèle de démocratie interne, mais peut-on en dire autant en ce qui a trait à la démocratie externe? Lors de la dernière assemblée générale, les membres ont déjà commencé à réfléchir à cette question. Le fait de reconnaître cette lacune est certainement un pas dans la bonne direction.

L'objectif suivant est que le RGPAQ devienne un modèle de démocratie externe en s'investissant activement dans les lieux de concertation où il siège. Le Regroupement n'a qu'à se comporter à l'image de ses propres membres!

Démocratie citoyenne et défense des droits démocratiques

Avant de terminer, il serait impardonnable de passer sous silence la question des droits démocratiques des personnes analphabètes et celle de leur place au RGPAQ.

À partir de l'historique du RGPAQ, nous pouvons remarquer l'importance, pour les groupes membres, de la question liée à l'exercice du droit de vote des personnes analphabètes. En effet, dès le début des années 90, des actions sont posées afin de permettre aux personnes analphabètes d'exercer ce droit. À chaque élection, le RGPAQ sensibilise les décideurs et la population à la difficulté que représente ce geste pour les personnes analphabètes. Le Regroupement désire que le gouvernement permette d'apposer sur les bulletins de vote des photos des candidats ou les logos des partis afin d'aider les personnes ayant des difficultés de lecture à voter. Des groupes membres dans tout le Québec organisent des activités d'éducation populaire afin de permettre à leurs participants et participantes de bien comprendre les enjeux liés à la campagne électorale. Cette pratique démocratique du RGPAQ nous rappelle l'origine du mouvement des droits civiques. À cette époque, les jeunes étudiants et étudiantes noirs se mobilisent et organisent des campagnes monstres pour accompagner leurs compatriotes dans cet exercice de citoyenneté. «La pratique [des groupes d'alphabétisation populaire] rappelle le long et patient travail fait à l'époque de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis: inscription sur la liste électorale, information et éducation populaire, débats contradictoires avec les candidats, exercice de jugement critique et prise de parole34

Une des grandes avancées du RGPAQ dans la défense des droits des personnes analphabètes s'articule donc autour de la question du droit de vote. «À chaque élection provinciale, la Direction générale des élections s'adresse toujours à nous. Elle développe des trousses pour les électeurs ayant des difficultés à exercer leur droit de vote et se réfère à nous pour obtenir des commentaires. La même chose pour les rapports d'impôt, le gouvernement fédéral nous consulte et nous offre du matériel pour nos groupes afin de faciliter cet exercice35.» Il reste à convaincre le palier provincial d'en faire autant.

La place des participants et participantes

Une autre question qui hante le RGPAQ depuis le début de son histoire est celle de la place des participantes et participants au sein même du Regroupement. De nombreux débats sur ce thème reviennent sur le tapis régulièrement, surtout vers la fin des années 90. Les résistances découlent de la difficulté à concilier la volonté de faire une réelle place aux participantes et participants avec les exigences démocratiques d'un regroupement national.

En 1998, un Comité des participants et des participantes est formé, dont l'apport est des plus intéressants. Ce comité a ses mandats spécifiques: réflexion sur le recrutement, sur la place des participantes et des participants dans les instances à l'échelle tant locale que nationale. Le processus d'accompagnement mis en place permet à ces personnes peu scolarisées de jouer pleinement leur rôle. À titre de représentants et de représentantes d'un comité du RGPAQ, elles participent aussi aux assemblées générales et aux rencontres COCOA-comités.

Analyse critique

La défense des droits des personnes analphabètes a toujours eu sa place, en théorie, au RGPAQ. A-t-elle toujours eu la position prédominante qui lui revient de droit? La question du financement des groupes n'a-t-elle pas toujours eu préséance sur celle de la défense de la démocratie citoyenne des personnes analphabètes? Si le RGPAQ avait fait une réelle priorité de la question du droit de vote au lieu de s'en servir pour obtenir une plus grande visibilité médiatique une fois à chaque élection, ne croyez-vous pas que ce dossier aurait été réglé plus rapidement? Un suivi acharné n'aurait-il pas donné de meilleurs résultats?

Concernant la place des participantes et participants au Regroupement, des avancées importantes ont été réalisées au cours des dernières années. Toutefois, le processus n'est pas encore parfait et reste à être peaufiné. Les participants et participantes ont-ils suffisamment d'espace pour exercer leur pleine participation pendant nos assemblées générales? Lorsqu'une personne peu scolarisée participe à un comité de travail (autre que celui des participantes et participants), est-elle suffisamment accompagnée pour prendre réellement part aux débats? Le niveau des discussions, le côté abstrait de certains sujets, la rapidité des échanges et le langage utilisé permettent-ils de bien comprendre les enjeux et de bien intervenir à partir d'une compréhension éclairée de la question abordée? L'intervention, ici, ne remet pas en question la pertinence de la présence des participantes et participants au RGPAQ, mais plutôt l'accompagnement que nous leur offrons à l'extérieur de leur comité. Pour certains comités, cet accompagnement sera-t-il suffisant pour permettre aux participants et participantes de prendre une place réelle? L'idée maîtresse développée ici étant de ne pas mettre de nouveau ces derniers dans des situations d'échec.

Conclusion

Le thème de la démocratie a été présent de tout temps, car il s'agit d'un thème extrêmement fort et important pour le Regroupement. Même s'il demeure des éléments à améliorer, l'expertise de la démocratie interne est sûrement la plus grande contribution du RGPAQ au mouvement social. La démocratie s'avère sacrée, et le soin qu'on porte pour intégrer, consulter, informer les membres est assez phénoménal.

Certains regroupements communautaires auraient intérêt à s'inspirer du RGPAQ pour améliorer la participation à leurs différentes instances. Les assemblées se tiennent presque «à guichets fermés», plusieurs personnes (30) siègent aux comités et le Scoop, bulletin de liaison du RGPAQ, est sûrement le journal le plus lu au prorata des personnes qui le reçoivent!

Le RGPAQ a bien compris l'importance de son membership et de la place que celui-ci doit occuper dans sa structure démocratique. L'auteur Henri Lamoureux insiste sur le fait que «le premier contrat d'un organisme communautaire, c'est avec ses membres et les communautés qu'il représente. Il est impérieux pour les organismes d'accentuer leurs liens avec ceux et celles pour qui et par qui ils existent3610». Il s'agit là, sans aucun doute, de l'une des grandes forces du RGPAQ, et il est important de continuer de tabler sur cette force, entre autres choses, pour aider le Regroupement à poursuivre son évolution.

Résumé

Travail acharné, émotions, engagement ont ponctué les 20 premières années de notre Regroupement.

Aujourd'hui, en 2003, nous abordons une nouvelle tranche de vie avec la tenue d'un troisième congrès d'orientation. Les fondements mêmes de l'alphabétisation populaire autonome seront repensés à la lumière des nombreux changements sociaux survenus au cours de la dernière décennie. Nos pratiques devront tenir compte des nouvelles réalités pédagogiques et politiques qui influencent le quotidien des personnes peu alphabétisées.
Plusieurs de ceux et celles qui. ont imprégné notre histoire ne seront malheureusement pas avec nous pour entreprendre ce tournant. Mais notre mouvement a toujours été, et sera toujours, le fruit d'un travail collectif. Riche de toutes ces personnes qui l'ont porté à un moment ou à un autre, il continuera
d'être à l'avant-garde des solutions pour combattre l'analphabétisme au Québec.
Souhaitons-nous, pour l'avenir, une détermination égale à celle qui nous a animés au cours des 20 dernières années.

Christian Pelletier
Coordonnateur du RGPAQ

Une force en mouvement

«Depuis quelques semaines déjà, le groupe d'alphabétisation populaire le Tour de lire (TDL), venant juste de fêter son premier anniversaire, héberge le tout jeune RGPAQ.

Pendant près d'une année, ses locaux feront office de QG [...]. Cette cohabitation, parfois tapageuse, toujours joviale, plongera l'équipe du TDL et les participants et participantes des ateliers au cour d'un formidable laboratoire social. Nous sommes dans l'œil du cyclone, et certains jours, y vente fort... Témoins et protagonistes à la petite semaine des cogitations lumineuses, des grandes interrogations, des douces victoires, des amères déceptions [...].

Ces rencontres, ce foisonnement de stratégies, de débats, nous ne nous en rendions pas compte à ce moment-là, ont modifié profondément notre propre conception de l'alphabétisation, notre engagement et notre pratique...»
De chambre d'hôtel en réunion de cuisine
Robert Chatigny

L'histoire du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec du point de vue de ceux et celles qui y étaient.

Crédits

Ce livre a été réalisé grâce au soutien financier du Secrétariat national à l'alphabétisation du gouvernement du Canada.

Éditeur
Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ)

Coordonnatrice de l'édition
Christiane Tremblay

Comité de lecture
Alain Cyr (coordonnateur, Groupe Alpha Laval), Élise De Coster (coordonnatrice en alphabétisation et formatrice, Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, Montréal), Nicole Lachapelle, Gilles Landry (formateur, Lettres en main, Montréal), Lucie St-Germain (responsable du Comité des participants et des participantes du RGPAQ) et Christiane Tremblay.

Textes éditoriaux
Élise De Coster

Rédaction
Jean-François Aubin, Pauline Beaulieu, Sylvie Bernier, Françoise Bouchard, Robert Chatigny, Alain Cyr, Jeanne Francke, Berthe Lacharité, Gilles Landry, Micheline Laperrière, Françoise Lefebvre, Brigitte Létourneau, Louise Miller, Diane Mockle, Odette Neveu, René Paradis, Anne Pasquier, Christian Pelletier, Mario Raymond, Pierre Simard, Lucie St-Germain, Sylvie Tardif, Solange Tougas, Serge Wagner, Louise Whitmore.

Design graphique
Hypocrite

Révision
Isabelle Chagnon

Correction
Suzanne Éthier

Correction d'épreuves
Michèle David, Nathalie Dionne, Suzanne Éthier, Christiane Tremblay

Pour commander:

Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec
2120, rue Sherbrooke Est, bureau 302
Montréal (Québec) H2K 1C3
Téléphone: (514) 523-7762,
Télécopieur: (51 4) 523-7741,
courriel: apha@rgpaq.qc.ca

© La reproduction des textes en tout ou en partie est autorisée avec l'accord de l'éditeur.


  • 1 La Commission royale d'enquête sur l'enseignement, appelée également commission Parent, du nom de son président, Mgr Alphonse-Marie Parent, débouchera sur un rapport publié en 1966 (le rapport Parent) qui recommandera notamment la création du ministère de l'Éducation et celle des collèges d'enseignement général et professionnel (les Cégep).
  • 2 Ce paragraphe et le suivant résument des extraits d'un article de Jean-Paul Hautecoeur, «Essai d'historique de l'alphabétisation au Québec», publié dans Alpha 84, gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, 1984.
  • 3 Adapté de Jean-Paul HAUTECOEUR et André DUGAS, Introduction aux pratiques et politiques en alphabétisation, Montréal, éditions de l'Université du Québec à Montréal, 1987, p. 305.
  • 4 Ibid., p. 307.
  • 5 Les délais de rédaction nous ont empêchés de faire toutes les recherches nécessaires. Nous nous sommes fondés sur nos souvenirs et sur les documents retracés. Quelques dates peuvent être inexactes, mais pas les faits relatés.
  • 6 Les propositions en matière de formation de base et d'alphabétisation de la Politique d'éducation des adultes et de formation continue de 2002 sont beaucoup plus timides.
  • 7 Trimestriel du Service de l'éducation des adultes de la commission scolaire de Chambly (publié de 1981 à 1999).
  • 8 Groupe d'alphabétisation populaire du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, fondé en 1980.
  • 9 Faisant partie, à l'époque, du Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles.
  • 10 Comité de coordination en alphabétisation.
  • 11 Comité Stratégie politique, maintenant appelé comité Reconnaissance et financement.
  • 12 Dès 1992, nous décidons de bien articuler notre prochaine lutte politique. Nous travaillons à bâtir un cadre de référence qui respecte l'ensemble des groupes et qui, en 1993, sera adopté par ceux-ci. On y retrouve les éléments fondamentaux qui constituent la spécificité de l'alphabétisation populaire ainsi que nos principales revendications touchant notre reconnaissance et notre financement. Ce document s'intitule La nécessité d'une politique gouvernementale en alphabétisation et l'urgence d'un financement équitable pour les groupes membres du RGPAQ.
  • 13 Déjeuner aux Alpha-Bits et participation du ministre Jean Garon à notre assemblée générale.
  • 14 Le Centre N A Rive, Formation Tirelire inc., L'arbralettre (maintenant le Cep de l'Estrie), Le Centre portugais de référence et de promotion sociale (maintenant le Centre d'action socio-communautaire de Montréal), Le Centre éducatif des Haïtiens de Montréal, La Maison d'Haïti, Atelier Alpha (maintenant le Regroupement des assistés sociaux du Joliette métropolitain), La Coopérative des services multiples de Lanaudière, Le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, Le Tour de lire, Un Mondalire et Le Collectif d'alphabétisation des détenus.
  • 15 «Chaque approche concrétise la pratique d'alphabétisation selon deux pôles: 1- le but que l'animateur donne a son action; 2- les rôles attribués tant à l'alphabétiseur qu'à la personne analphabète.» Françoise Lefebvre, Approches et méthodes, collection Un visa pour l'alpha pop, RGPAQ, Montréal, 1990, bloc 10.
  • 16 «Les méthodes d'alphabétisation s'inspirent toutes, sans exception, des différentes méthodes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture explorées au niveau primaire. Chaque méthode a été élaborée en fonction des convictions que ses concepteurs avaient de l'apprentissage et de la langue. En effet, une méthode d'alphabétisation traduit sous quel angle on envisage l'apprentissage ET comment on organise le contenu des notions sur lesquelles porte cet apprentissage.» Ibid., bloc 6.
  • 17 La pédagogie au RGPAQ, d'hier à demain, RGPAQ, Montréal, 1991, p. 4.
  • 18 Cet éducateur français, né en 1896 et mort en 1966, a créé une pédagogie fondée sur la motivation, le travail collectif, le sens de l'effort et des responsabilités, et ce, par des méthodes actives (journaux scolaires, correspondance interscolaire, etc.).
  • 19 Le Monde alphabétique, no 3.
  • 20 «Tous ces éléments nous amènent à établir une distinction entre trois approches en alphabétisation: - l'approche scolaire ou scolarisante, qui reprend les outils pédagogiques utilisés au niveau primaire avec les personnes adultes, sans égard à leur expérience de vie, et qui reproduit le même schème d'inégalité dans le rapport maître-élève; - l'approche fonctionnelle, axée uniquement sur la capacité des apprenantes et apprenants à intégrer certaines formes d'apprentissage leur permettant de mieux fonctionner à l'intérieur de la société; - l'approche conscientisante, qui vise le transfert des apprentissages scolaires dans une forme d'application fonctionnelle, tout en cherchant à dépasser cet objectif. L'acquisition d'un esprit plus critique, l'abolition des préjugés et la connaissance des problèmes liés à l'analphabétisme ou aux autres conditions de vie inhérentes à la situation globale d'une classe défavorisée, mènent nécessairement à une plus grande autonomie et à une prise en charge par elles-mêmes des personnes en démarche d'alphabétisation.» La pédagogie au RGPAQ, d'hier à demain, RGPAQ, Montréal, 1991, p. 8.
  • 21 Ibid., p. 18.
  • 22 Ibid., p. 6.
  • 23 Ibid., p. 50.
  • 24 Ibid., p. 58.
  • 25 Rapport d'évaluation des activités de pédagogie réalisées par le RGPAQ, RGPAQ, Montréal, mars 1995, p. 37.
  • 26 Ibid., p. 52.
  • 27 Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le comité Formation et que vous avez osé demander!, document de référence à l'intention des membres du comité Formation, RGPAQ, Montréal, septembre 1999, p. 11.
  • 28 Instance administrative du ministère de l'Éducation du Québec.
  • 29 RGPAQ, Passeport pour l'alphabétisation populaire, 1995, p. 18-19.
  • 30 Le Centre N A Rive, Formation Tirelire inc., L'arbralettre (maintenant le Cep de l'Estrie), le Centre portugais de référence et de promotion sociale (maintenant le Centre d'action socio-communautaire de Montréal), le Centre éducatif des Haïtiens de Montréal, La Maison d'Haïti, Atelier Alpha (maintenant le Regroupement des assistés sociaux du Joliette métropolitain), la Coopérative des services multiples de Lanaudière, le Carrefour d'éducation populaire de Pointe Saint-Charles, le Tour de lire et le Collectif d'alphabétisation des détenus.
  • 31 Entrevue avec Nicole Lachapelle, été 2000.
  • 32 Ibid.
  • 33 Ibid.
  • 34 J. LAMOUREUX, Citoyenneté et pensée métisse: Pratiques réfléchies de quatre sites de citoyenneté au Québec, 1999, p. 143.
  • 35 Entrevue avec Nicole Lachapelle, été 2000.
  • 36 H. LAMOUREUX, «Membres usagers ou clients», RIOCM, ROC0 3, ROC de l'Estrie, 1999.